Pédiatrie B 271
Broncho-alvéolite du nourrisson Diagnostic et traitement PR Guy DUTAU Service d’allergologie et pneumologie, Hôpital des Enfants,Toulouse cedex 3.
Points Forts à comprendre • La plus fréquente des affections respiratoires du nourrisson, la broncho-alvéolite aiguë est définie par un ensemble de 5 critères : l’âge inférieur à 24 mois et même (pour certains) à 12 mois ; polypnée et distension thoracique ; râles crépitants en fin d’inspiration témoignant de l’atteinte alvéolaire ; premier ou à la rigueur second épisode de ce type ; présence d’un « frein expiratoire » avec râles sibilants diffus témoignant de l’atteinte bronchiolaire. • Une opacité parenchymateuse, un terrain atopique, des accès antérieurs de sibilances ne constituent pas des critères d’exclusion. • Le virus respiratoire syncytial est en cause dans 70 à 80 % des cas, mais d’autres virus peuvent être impliqués, en particulier les rhinovirus (10 % des cas).
Diagnostic Le diagnostic de bronchiolite est facile, en particulier en période d’épidémie. Néanmoins, ce diagnostic ne doit pas être porté avec trop de facilité car d’autres affections respiratoires aiguës peuvent simuler une bronchiolite. De plus, au-delà de 2 accès, le diagnostic de « bronchiolites récidivantes » doit être envisagé avec une grande circonspection, l’éventualité la plus probable étant l’asthme du nourrisson.
Circonstances du diagnostic 1. Forme commune de l’enfant sain Au cours de la forme commune, une toux sèche, une polypnée et un tirage s’installent progressivement après 2-3 jours de rhino-pharyngite. À l’inspection, on observe une distension globale du thorax dont l’ampliation est réduite. La percussion, si elle était réalisée, objectiverait une hypersonorité diffuse.
Deux critères essentiels du diagnostic sont fournis par l’auscultation pulmonaire : des crépitants diffus éclatent en fin d’inspiration lors du déplissement alvéolaire ; ils sont souvent masqués par des râles sibilants, expiratoires, également diffus. Ces symptômes auscultatoires peuvent être associés ou bien prédominer : dans l’ensemble, les formes avec râles crépitants (ou bronchoalvéolites) sont surtout observées chez les nourrissons de moins de 6 mois, alors que les formes avec sibilances, en rapport avec une atteinte des bronchioles et des bronches de moyen calibre, sont plutôt observées après cet âge. Dans la forme commune, le médecin traitant s’attache à identifier les signes de bonne tolérance qui permettront de traiter et de surveiller ce nourrisson à domicile. Le rythme respiratoire est inférieur à 40/min. Il n’existe pas de signes de lutte. Le rythme cardiaque est inférieur à 130/min. L’enfant s’alimente correctement. Sa température est inférieure à 38 ˚C. Il vit dans un milieu familial fiable, n’est pas exposé passivement à la fumée de tabac, et n’a pas de facteur de risque. Sous réserve d’un traitement symptomatique simple, du maintien d’une bonne perméabilité nasale, d’une séance de kinésithérapie journalière pendant 5 à 7 jours, sous étroite surveillance, ce nourrisson doit guérir sans séquelle.
2. Forme sévère • Détresses respiratoires aiguës : une détresse respiratoire d’installation aiguë peut inaugurer le tableau clinique. La fréquence respiratoire est supérieure à 50/min avec signes de lutte : tirage intercostal, sus-sternal, épigastrique ; battement des ailes du nez ; balancement thoraco-abdominal ; cyanose des extrémités ; sueurs. Le rythme cardiaque est supérieur à 140-150/min. Il peut exister une hépatomégalie. L’auscultation, gênée par la polypnée, objective les mêmes symptômes que dans la forme précédente, mais le freinage respiratoire est habituellement très accentué. L’hospitalisation s’impose en urgence. À l’admission, les examens indispensables seront : la mesure de la saturation transcutanée en oxygène (paO2) le plus souvent nettement inférieure à 95 %, une aspiration des sécrétions nasales pour le diagnostic rapide de l’infection à virus respiratoire syncytial (VRS) (immunofluorescence directe), et une radiographie thoracique.
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L’examen radiologique objective 3 types d’anomalies : un syndrome bronchiolaire, le plus fréquent (hyperclarté pulmonaire diffuse avec distension, prédominant aux bases, très nettement visible dans les régions rétrosternale et rétrocardiaque, aplatissement des coupoles diaphragmatiques), un syndrome bronchique (visibilité excessive des arborisations bronchiques à distance du hile réalisant des images en rail ou en coupe ronde), syndrome alvéolaire (opacités diffuses ou localisées, systématisées ou non). Les opacités systématisées, en général lobaires supérieures droites ou lobaires moyennes) semblent plus souvent liées à un trouble ventilatoire (obstruction bronchique par un bouchon muqueux), qu’à une pneumopathie. Il est suggéré de réserver la radiographie thoracique aux formes sévères, en cas d’aggravation clinique, s’il existe une pathologie respiratoire ou cardiaque préexistante. La survenue d’un pneumomédiastin et d’un emphysème sous-cutané est rare. Les conséquences cardiaques de la bronchiolite, évaluées par échographie doppler, sont caractérisées par des régurgitations tricuspidiennes (1 fois sur 2) et, dans la plupart des cas, par une augmentation de la pression systolique dans le ventricule droit. Ces anomalies, observées aussi bien dans les formes modérées que sévères, disparaissent toujours avec l’amélioration de l’état respiratoire. D’autres causes de détresses respiratoires aiguës seront envisagées (voir : Pour approfondir 1). • Apnées et mort subite : la bronchiolite peut aussi se manifester par des apnées, surtout chez les nourrissons de moins de 3 mois. Il s’agit d’apnées, unique ou multiples. Une apnée peut mener d’une forme banale vers une situation très grave à la suite d’une simple obstruction nasale. Elles imposent une hospitalisation d’urgence. Des cas de mort subite ont été rapportés, à domicile ou à l’hôpital, posant un problème médico-légal (importance de l’aspiration des sécrétions nasales pour recherche rapide du virus respiratoire syncytial et, éventuellement, d’un examen microscopique du tissu pulmonaire). On discutera les autres causes de morts subites ou de « menace de mort subite » : syndromes d’inhalation, anaphylaxie aiguë par allergie aux protéines du lait de vache, troubles du rythme cardiaque, etc. • Formes graves : certaines bronchiolites se manifestent d’emblée par des signes graves (grande détresse respiratoire, cyanose, hypoxie) chez des nourrissons jusque-là bien portants et, surtout, chez des nourrissons porteurs d’une pathologie préexistante (dysplasie broncho-pulmonaire, mucoviscidose, cardiopathie congénitale, anciens prématurés). La bronchiolite à virus respiratoire syncytial est beaucoup plus fréquente et plus sévère chez les jumeaux ou les triplés que chez les enfants prétermes uniques. Ces symptômes peuvent aussi apparaître en cours d’évolution à l’hôpital. Ces nourrissons doivent être placés en réanimation, intubés et ventilés. L’évolution se fait vers la régression des symptômes dans des délais plus longs que dans la forme commune. Des séquelles pulmonaires sont fréquentes. La mortalité peut atteindre 40 % des cas. 778
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3. Formes d’évolution prolongée Les formes d’évolution prolongée sont définies par la persistance de symptômes (toux, gêne respiratoire, sibilances) pendant plus de 8 jours. Le diagnostic est plus difficile. La radiographie thoracique recherche des troubles ventilatoires chroniques : la kinésithérapie sera alors intensifiée avec recours éventuel à une fibroscopie. D’autres facteurs de risque seront recherchés, en particulier reflux gastro-œsophagien, troubles de la déglutition, infection bactérienne en particulier à Hæmophilus influenzæ et à Moraxella catarrhalis. Ces formes exposent à des séquelles (syndrome du lobe moyen, bronchectasies, petit poumon clair unilatéral ou syndrome de Swyer-James et MacLeod). La bronchiolite oblitérante est exceptionnelle (moins de 1 % des cas). Les symptômes d’obstruction bronchique persistent, en particulier la polypnée gênant considérablement l’alimentation, ainsi que l’oxygénodépendance. Le tableau est celui d’une insuffisance respiratoire chronique qui peut être mortelle. À la biopsie pulmonaire ou à l’examen anatomo-pathologique, on observe des zones d’atélectasie et d’emphysème ; la lumière bronchiolaire est obstruée par un granulome qui évolue vers la fibrose. Les virus en cause sont les adénovirus et le virus respiratoire syncytial. Des situations de transition entre formes d’évolution prolongée et bronchiolite oblitérante sont possibles. Il faut éliminer les insuffisances respiratoires chroniques par inhalations répétées.
Éléments du diagnostic En période d’épidémie, le diagnostic est facile devant un tableau de gêne respiratoire avec râles crépitants et sibilants diffus, mais le médecin doit conserver son esprit critique et penser aux autres causes de détresse respiratoire aiguë ou subaiguë. L’épidémie de bronchiolite à virus respiratoire syncytial se développe pendant la saison froide à partir de novembre-décembre au nord de la France et de janvier-février au sud, avec un pic au milieu de l’hiver. Depuis quelques années, les médecins sont avertis du début de l’épidémie par des réseaux de surveillance préhospitaliers et hospitaliers (« plans bronchiolites »). Les épidémies de bronchiolite éclatent souvent dans les crèches. La présence de virus respiratoire syncytial peut être confirmée en quelques heures à l’hôpital et dans la plupart des laboratoires de ville par immunofluorescence ou examen ELISA des sécrétions nasopharyngées. Lorsque l’épidémie est confirmée, cette recherche devient inutile en pratique de ville. Dans les formes modérées, sous réserve d’une surveillance précise, il n’y a pas lieu de demander des examens complémentaires (formule-numération sanguine, protéine C-réactive, radiographie de thorax). Cette attitude ne s’applique pas aux formes sévères ou lorsqu’une aggravation clinique apparaît. L’élévation de la protéine C-réactive et des polynucléaires neutrophiles est assez bien corrélée à une colonisation bronchique bactérienne.
Pédiatrie
cile), et en hospitalisation conventionnelle (formes sur terrain à risque, formes prolongées et (ou) sévères (voir : Pour approfondir 2). En règle générale, l’évolution immédiate des broncho-alvéolites est favorable mais les complications à long terme sont possibles (voir : Pour approfondir 3).
Moyens disponibles 1. Moyens symptomatiques
1 Distension pulmonaire bilatérale : le parenchyme pulmonaire, hyperclair de façon diffuse, principalement aux bases, dépasse et atteint le 7e arc costal antérieur et dépasse le 9e arc postérieur. Les côtes sont horizontales ; les coupoles diaphragmatiques sont plates. La distension pulmonaire rétrécit le médiastin et soulève la pointe du cœur.
Ils sont indispensables pour tous les nourrissons quel que soit le type de la bronchiolite : • humidification de l’air ambiant, sans pousser le chauffage au-delà de 19 ˚C, avec interdiction formelle de fumer ; • maintien d’une bonne hydratation, en moyenne 60 à 80 mL/kg de liquide avec un supplément de 20 à 25 mL/kg en cas de fièvre ou de polypnée, en fractionnant les prises ; • maintien d’une bonne perméabilité nasale par instillation de sérum physiologique dans chaque fosse nasale et aspiration des sécrétions à l’aide d’un mouche bébé. Les aspirations nasopharyngées trop puissantes (à l’hôpital) peuvent déclencher des réflexes nauséeux et favoriser le reflux gastro-œsophagien ; • évacuation des sécrétions bronchiques par kinésithérapie (technique d’accélération passive du flux expiratoire, puis provocation de la toux) (fig. 3). Les vibromassages sont inefficaces et le clapping est mal toléré car trop agressif (risque de fracture costale). Le kinésithérapeute est un auxiliaire précieux du médecin car il peut l’informer d’une aggravation (évacuation plus difficile des sécrétions, aspect purulent, retard d’hydratation). La kinésithérapie ne doit pas être effectuée en position déclive (aggravation d’un reflux gastro-œsophagien préexistant) ;
2 Broncho-alvéolite sévère. La distension pulmonaire diffuse est associée à des troubles ventilatoires : atélectasie du lobe supérieur droit et du segment dorsal du lobe inférieur gauche dont on aperçoit l’opacité en position rétrocardiaque.
En salle d’urgence, l’examen le plus important est la mesure de la SaO2 à l’oxymètre de pouls : selon les équipes, les valeurs seuils qui nécessitent une hospitalisation sont situées entre 92 et 95 %. Des oxymètres de petit format adaptés à la pratique ambulatoire commencent à être disponibles.
Traitement Le traitement est différent en pédiatrie ambulatoire (formes modérées), en salle d’urgence (évaluation de la sévérité, décision d’hospitalisation ou du retour à domi-
3 Kinésithérapie par la technique d’accélération passive du flux expiratoire, lente (pour les bronches distales), rapide (pour les grosses bronches), suivie d’une provocation de la toux (pression cricoïde) et d’une aspiration pharyngée douce ou d’un recueil des sécrétions au moyen d’un abaisse-langue.
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• traitement antireflux non systématique, mais les nourrissons dont le reflux gastro-œsophagien est aggravé par la bronchiolite ou révélé par celle-ci sont nombreux. Le reflux gastro-œsophagien est favorisé par les symptômes (distension pulmonaire, toux), par les aspirations nasopharyngées qui doivent être douces, et par la kinésithérapie faite en position déclive : orthostatisme, cisapride (1 mL/5 kg, 3 à 4 fois par jour) ou dompéridone (une demi-mesure ou 1,5 mL/5 kg, 3 fois par jour).
Bronchiolite
Examen clinique (recherche de signes de gravité)
2. Bronchodilatateurs Les nébulisations de β2-stimulants d’action rapide (salbutamol, terbutaline) et l’adrénaline peuvent être efficaces. L’adrénaline semble plus efficace, mais ses effets sont moins durables ce qui nécessite de multiplier par 2 le nombre des nébulisations. D’après une méta-analyse récente (sur 89 publications), les bronchodilatateurs procurent une amélioration courte et modeste au cours des formes légères et modérément sévères. En pratique, il faut tester l’efficacité des nébulisations de β2-stimulants d’action rapide : salbutamol (dose de charge de 0,03 mL/kg de la solution à 0,5 %, puis doses d’entretien de 0,01 mL/kg) ou sulfate de terbutaline (ampoules unidoses à 5 mg pour 2 mL), propulsés par un débit d’oxygène de 6 L/min). Si elles sont efficaces (amélioration clinique, notamment auscultatoire), elles seront poursuivies au rythme de 6 par jour, puis 3 à 4 dès que possible.
Absents
➔ Suppression des nuisances ➔ Hydratation ➔ Antipyrétiques ➔ Kinésithérapie ➔ Désobstruction nasale
Présents
➔ Mise en condition ➔ Oxygénothérapie ➔ Hydratation ➔ Kinésithérapie ➔ Désobstruction nasale ➔ Tester l’efficacité des β2-stimulants
3. Corticostéroïdes Classiquement, la corticothérapie par voie générale n’est pas indiquée au cours de la bronchiolite. Les essais en double aveugle n’objectivent pas d’effet significatif à la phase aiguë d’un premier accès de bronchiolite. À distance, au bout de 2 ans d’évolution, les corticoïdes oraux ne réduisent pas la fréquence des symptômes respiratoires récurrents. Toutefois, on peut s’interroger sur la méthodologie et la difficulté d’interprétation de ces études qui mêlent des nourrissons présentant un premier accès de bronchiolite et d’autres qui ont eu des épisodes récurrents (asthme du nourrisson). Une autre étude récente est en désaccord avec les précédentes (le score clinique s’améliore plus vite sous prednisone à raison de 1 mg/kg/j pendant 7 j). On remarquera que la plupart des études précédentes font appel à des corticothérapies de courte durée (3 j).
Guérison
Arbre décisionnel face à une bronchiolite aiguë du nourrisson. * : au cours des formes nécessitant une hospitalisation, la présence d’une image pulmonaire en foyer et la nécessité d’une assistance nutritionnelle [gavages et (ou) parentérale] sont les 2 symptômes les mieux corrélés avec la nécessité d’une antibiothérapie (50 % de colonisations bactériennes, principalement à Hæmophilus influenzæ).
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Absence d’amélioration à J3-J5 (fièvre >39 °C, otite aiguë, ➔ Mise en condition signes pulmonaires en foyer : radio +++)
➔ Oxygénothérapie ➔ Nébulisations de β2-stimulants ➔ Assistance nutritionnelle ➔ Antibiothérapie « probabiliste »* ➔ Corticothérapie générale (w)
Pédiatrie
Les corticoïdes par inhalation (dipropionate de béclométasone, flunisolide, budésonide, fluticasone) ne sont pas indiqués à la phase aiguë des bronchiolites. Prescrits à la convalescence sous la forme de nébulisations (budésonide ampoule de 2 mL dosées à 0,5 mg et 1 mg : en général 1 mg, 2 fois par jour), pendant une durée de 2 à 4 mois, ils semblent capables de réduire la fréquence des accès ultérieurs chez les enfants hospitalisés pour formes prolongées et (ou) sévères et (ou) porteurs de facteurs de risque (prématuré, hypotrophie, dysplasie broncho-pulmonaire). Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l’efficacité préventive des corticoïdes par inhalation via une chambre d’inhalation adaptée aux nourrissons, munie d’un masque facial.
4. Antibiothérapie L’antibiothérapie de principe n’est pas précisée. Les indications des antibiotiques sont empiriques : pathologie pulmonaire ou cardiaque antérieure, aspect purulent des sécrétions bronchiques visualisées par le kinésithérapeute, fièvre élevée (supérieure à 39 ˚C) ou durable (plus de 2-3 jours), présence d’une otite moyenne aiguë, foyer pulmonaire systématisé ou non. L’antibiothérapie doit être « probabiliste », c’est-à-dire active sur Streptococcus pneumoniæ et Moraxella catarrhalis). L’association amoxicilline + acide clavulanique (80 mg/kg/j d’amoxicilline et 10 mg/kg/j d’acide clavulanique, en 3 prises) ou cefpodoxime-proxétil (4 mg/kg, 2 fois par jour). La suspicion d’une infection à pneumocoques résistants à la pénicilline conduit à utiliser des doses fortes d’amoxicilline (80 à 150 mg). En cas d’incertitude (H. influenzæ ou S. pneumoniæ ?), on peut ajouter 20 à 40 mg/kg/j d’amoxicilline à la prescription amoxicilline + acide clavulanique.
5. Autres traitements En France, la ribavirine, active uniquement sur le virus respiratoire syncytial sous la forme d’aérosols pendant 3 à 5 jours, est peu souvent indiquée. Les critères pour juger de son efficacité sont peu fiables et son coût est élevé. L’assistance ventilatoire est indispensable lorsque le nourrisson s’épuise et que ses besoins en oxygène augmentent. L’intubation permet au besoin une sédation, une meilleure oxygénation et l’aspiration des sécrétions.
Indications thérapeutiques En l’absence de critères de gravité, les antibiotiques et les corticoïdes sont inutiles dans les formes communes non compliquées du nourrisson sain. En cas de fièvre, on prescrira de l’aspirine (50 à 100 mg/kg) et (ou) du paracétamol (30 à 50 mg/kg). S’il existe des sibilances témoignant d’une atteinte des voies aériennes proximales (pratiquement constantes à partir de 12-16 mois), un traitement par les β2-stimulants délivrés par chambre d’inhalation est préférable
aux bronchodilatateurs per os (sirop de salbutamol ou théophylline d’action immédiate), associé (le plus souvent) à une corticothérapie orale (prednisone, 1 à 2 mg/kg/j, pendant 7 jours puis de façon dégressive). Toutefois, en cas de difficultés d’inhalation, les bronchodilatateurs oraux sont justifiés en pratique ambulatoire dans les formes légères. À l’hôpital, le traitement associe le plus souvent des nébulisations de β2-stimulants, des corticoïdes oraux et une antibiothérapie « probabiliste » s’il existe un ou plusieurs critères d’indication. La kinésithérapie est intensifiée en cas de trouble ventilatoire. L’oxygénothérapie est indispensable si la SaO2 est inférieure à 95 %. Elle sera maintenue tant que l’état clinique de l’enfant le nécessitera (surveillance de la SaO2), au début de façon continue, ensuite en discontinu après les repas ou les séances de kinésithérapie. Les difficultés d’alimentation conduisent au fractionnement des repas ou aux gavages. Dans les formes sévères, une perfusion veineuse véhiculant antibiotiques et corticoïdes peut être utile pendant 24-48 heures.
Prévention et organisation des soins Le virus respiratoire syncytial est une source d’infection nosocomiale contre laquelle il faut lutter. Le virus reste présent pendant une semaine dans les sécrétions respiratoires des individus infectés ; il est capable de survivre plus de 7 heures sur les surfaces qui entourent l’enfant malade, 1 heure et demie sur les gants, 30 minutes sur les blouses en coton. Ainsi, l’infection peut se propager par contact dans l’hôpital et vers l’extérieur via le personnel soignant et les visiteurs. La meilleure mesure de prévention est le lavage des mains avant et après chaque soin et examen. Cette mesure concerne tous les personnels : la technique du lavage efficace des mains doit être enseignée et réévaluée périodiquement. Le port de gants est efficace, mais, comme il faut les changer après chaque soin, il est onéreux. Le port d’une surblouse et d’un masque par le personnel soignant est traditionnel, mais il ne semble pas réduire sensiblement les risques d’infection nosocomiale. En période d’épidémie, l’organisation pédiatrique hospitalière doit être modifiée : report de l’admission des patients à risque, contrôle étroit de toutes les demandes d’admission, limitation du nombre des visites et de visiteurs, recherche systématique du virus respiratoire syncytial dans les sécrétions nasales pour isoler les nourrissons porteurs et organisation des soins d’aval dispensés par les kinésithérapeutes et les médecins traitants. Malgré une recherche active, il n’existe pas encore de vaccination efficace contre le virus respiratoire syncytial. Des résultats préventifs prometteurs ont été enregistrés par des auteurs américains chez les nourrissons à risque (prématuré, hypotrophie, bronchodysplasie) avec des gammaglobulines spécifiques anti-virus respiratoire syncytial (1 injection mensuelle pendant 5 mois avant l’épidémie). ■
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POUR APPROFONDIR 1 / Causes de détresse respiratoire aiguë Il convient cependant d’écarter les autres causes de détresse respiratoire aiguë : dyspnées laryngées, compression de la trachée et (ou) d’une bronche principale par un vaisseau aberrant, abcès rétropharyngé, insuffisance cardiaque par anomalie d’implantation des artères coronaires, et surtout un corps étranger bronchique ou un asthme du nourrisson chez un enfant âgé de plus de 18 mois. • Corps étranger bronchique : le syndrome de pénétration peut être méconnu, oublié ou négligé. On se basera sur la distension d’un hémithorax visible à l’inspection, l’asymétrie auscultatoire (silence ou wheezing unilatéral), une hyperclarté pulmonaire unilatérale avec distension ou, beaucoup plus rarement, une atélectasie (surtout à gauche), la présence d’un piégeage aérien sur le cliché expiratoire (comparer les clichés en inspiration et expiration) et, finalement, l’endoscopie à tube rigide qui permet l’extraction. • L’asthme du nourrisson peut précéder la bronchiolite ou la suivre (asthme post-bronchiolite avec hyperréactivité bronchique induite par le virus respiratoire syncytial et réactivée par de nouvelles infections virales). On se basera sur les antécédents familiaux (asthme maternel), personnels (dermatite atopique) et sur la réponse aux bêta-2-stimulants par inhalation.
2 / Critères d’admission aux urgences et d’hospitalisation conventionnelle • Difficultés d’alimentation • Vomissements • Polypnée (fréquence respiratoire > 50-60 cycles/min) • Signes de lutte respiratoire • Cyanose, troubles de l’oxygénation périphérique • Tachycardie supérieure à 130-140/min • Opacité pulmonaire (pneumopathie ou trouble ventilatoire) • Terrain particulier (âge < 6 mois, prématurité, hypotrophie, jumeaux ou triplés, dysplasie broncho-pulmonaire, cardiopathies, mucoviscidose, syndromes immunodéficitaires) • SaO2 inférieure à 95 % • Absence d’amélioration significative des signes cliniques et de la SaO2 qui reste inférieure à 95 % après mise en condition et réhydratation • Mauvaises conditions socio-économiques • Tabagisme passif • Défaut de compréhension • Difficultés d’accès aux soins
3 / Évolution À plus long terme, des symptômes résiduels ou des séquelles sont possibles. Les formes d’évolution prolongée qui durent plus de 8-10 jours sont celles qui y exposent le plus. Chez les nourrissons qui ont dû être hospitalisés, le risque d’asthme ultérieur est de 50 % au bout de 2-3 ans d’évolution. Le virus respiratoire syncytial induit un état d’hyperréactivité bronchique qui est entretenu et amplifié par les nouvelles viroses liées à l’apprentissage immunitaire. Les nourrissons étiquetés comme atteints de « bronchiolites récidivantes » ont en fait un asthme du nourrisson. Le pronostic de ce dernier est favorable dans trois quarts des cas. Les indices permettant de prédire la persistance de l’asthme sont
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les antécédents d’atopie familiale ou personnelle (eczéma), la persistance des sibilances après l’âge de 2-3 ans, l’élévation des IgE sériques totales, la positivité des prick tests cutanés d’allergie aux pneumallergènes ou aux trophallergènes usuels (œuf en particulier) et la présence d’IgE sériques spécifiques (marqueurs de l’atopie). ■
POUR EN SAVOIR PLUS Bourrillon A. Bronchiolites aiguës du nourrisson, quand hospitalier et pourquoi ? J Eur Urg Rea 1995 ; 1 : 20-4. Cohen R, Golfier B, Bégué P, Labbé A, Bourrillon A, Dutau G. Bronchiolites aiguës (dossier dirigé par Dutau G). Méd Enf 1996 ; 12 : 485-514. Dutau G, Juchet A, Rittié JL, Rancé F, Brémont F, Nouilhan P. Aspects thérapeutiques conflictuels au cours des bronchiolites aiguës du nourrisson. Société française de pédiatrie, Bordeaux, 18-19 avril 1997. Arch Pédiatr 1997 ; 4 (suppl. 2) : S 72-S 77.
Points Forts à retenir • La quasi-totalité des nourrissons (enfants de la naissance à 24 mois) doit contracter une infection à virus respiratoire syncytial, certains plusieurs fois. • L’infection à virus respiratoire syncytial se manifeste par une atteinte rhinopharyngée et parfois par une atteinte des petites voies aériennes (bronchioles et alvéoles). • Soixante-dix à 80 % des broncho-alvéolites sont dues au virus respiratoire syncytial : la majorité sont modérées et ne nécessitent pas d’hospitalisation. • Le taux d’hospitalisation des nourrissons de moins de 3 mois a augmenté dans les régions fortement urbanisées et (ou) industrialisées. • Le virus respiratoire syncytial provoque une nécrose diffuse des cellules de l’épithélium bronchiolaire et alvéolaire, à l’origine de troubles ventilatoires (atélectasies et emphysème obstructif) avec pour conséquence une distension pulmonaire diffuse. • Le diagnostic est facile : notion d’épidémie, râles sibilants (expiratoires) et crépitants (inspiratoires). • Dans les formes communes, le traitement est simple, symptomatique. Il faut détecter les facteurs de risque et surveiller attentivement le nourrisson pour dépister les signes de gravité dont la présence conduirait à demander un avis spécialisé à l’hôpital (« plan bronchiolite »).
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Convulsions du nourrisson Orientation diagnostique et conduite à tenir en situation d’urgence avec la posologie médicamenteuse PR Louis VALLÉE Service de neuropédiatrie, CHRU, hôpital Roger-Salengro, 59037 Lille Cedex.
Points Forts à comprendre • Les convulsions du nourrisson constituent un symptôme. La première cause à évoquer est l’épilepsie mais celle-ci n’est pas obligatoire, ce sont les convulsions fébriles qui constituent la cause la plus fréquente. Avant d’identifier la cause, il est nécessaire d’en préciser la sémiologie. • Le terme convulsion ou crise convulsive désigne des phénomènes moteurs paroxystiques involontaires, qui peuvent s’appliquer à des manifestations non épileptiques. À l’inverse des manifestations paroxystiques sans phénomène moteur, sous forme de rupture de contact, de troubles neurovégétatifs ne répondent pas à la terminologie de convulsion mais peuvent être d’origine épileptique. • L’analyse de la sémiologie des convulsions doit obéir à une stratégie d’analyse qui permet de préciser le type, la localisation et la durée. • Concernant le type des crises convulsives, il peut s’agir de crises cloniques (contractions musculaires régulières), toniques (contractions musculaires phasiques), tonicocloniques, hypotoniques, myocloniques (secousses musculaires brèves < 300 ms), de spasmes (flexion brutale des membres et de la tête durant 1 à 2 s, en salves, favorisée par la variation de vigilance). • Les convulsions peuvent être partielles, généralisées ou partielles secondairement généralisées. Une durée de plus de 30 min de crises convulsives fait parler d’état de mal. • Les causes de convulsions du nourrisson se divisent en 4 groupes : – les convulsions occasionnelles, de loin les plus fréquentes, dominées par le problème des convulsions fébriles ; – les convulsions symptomatiques d’une maladie ou lésions cérébrales sous-jacentes ; – les syndromes épileptiques du nourrisson ; – les épilepsies idiopathiques, non syndromiques.
Convulsions occasionnelles fébriles Le National Institute of Health proposait en 1980 lors d’une conférence de consensus la définition suivante pour les convulsions fébriles : « Une convulsion fébrile est un événement survenant chez un nourrisson ou un enfant habituellement entre 3 mois et 5 ans, associé à de la fièvre sans signe d’infection intracrânienne ou d’autre cause définie. Les crises convulsives avec fièvre survenant chez des enfants qui ont présenté dans leurs antécédents une crise épileptique non fébrile sont exclues de la définition. » Les convulsions fébriles doivent être distinguées de l’épilepsie caractérisée par des crises non fébriles récurrentes. Le terme « événement » employé dans cette définition est critiquable car imprécis. L’intensité de la fièvre n’est pas non plus précisée. Par contre, cette définition exclut les convulsions survenant lors de méningites ou d’encéphalites aiguës. Les convulsions fébriles survenant lors de salmonelloses ou shigelloses doivent être aussi éliminées de cette définition car leur étiopathogénie fait intervenir des mécanismes vasculaires ou toxiques. Les convulsions survenant lors d’hyperthermie secondaire à une vaccination (ex. : coqueluche) sont aussi exclues par certains. De même, plusieurs auteurs éliminent de ce cadre nosologique les enfants ayant une affection cérébrale non évolutive, connue ou reconnue à l’occasion d’une convulsion fébrile, considérant qu’il s’agit souvent de la première crise d’une épilepsie débutante. Les convulsions fébriles constituent la première cause de convulsions occasionnelles, les autres causes étant essentiellement les méningites et les encéphalites.
Épidémiologie Deux à 5 % des enfants présentent au moins 1 convulsion fébrile avant l’âge de 5 ans. Il existe une discrète prédominance chez les garçons avec un rapport entre les sexes de 1,2 fille pour 1,4 garçon et un caractère familial. Ainsi, le risque relatif de convulsion fébrile pour les descendants d’une mère ayant présenté une convulsion fébrile est de 10 %. Alors qu’en cas de convulsion non fébrile, le risque relatif pour la descendance est de 20 %, en cas d’antécédents périnataux, ce risque relatif est de 15 %. Ces chiffres n’ont qu’un intérêt épidémiologique, ils n’ont aucune influence sur la conduite à tenir. Ils permettent cependant d’informer et de rassurer les parents.
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CONVULSIONS DU NOURRISSON
TABLEAU Diagnostic des convulsions fébriles simple et compliquée
Âge Durée Localisation Examen neurologique Antécédents familiaux d’épilepsie
Convulsion simple
Convulsion compliquée
> 12 mois < 15 min ou 1 crise par jour Pas de focalisation Normal –
< 12 mois > 15 min ou > 1 crise par jour Focalisation Anormal +
Diagnostic On distingue les convulsions fébriles bénignes et les convulsions fébriles graves ou compliquées (tableau). Cette distinction entre convulsions fébriles bénignes et compliquées est importante car elle dicte la conduite à tenir. Il faut retenir que la majorité des convulsions fébriles sont bénignes, caractérisées par des crises brèves bilatérales, cloniques ou tonicocloniques, sans déficit post-critique. Une crise unilatérale peut entraîner une hémiplégie d’une durée inférieure à 48 h (paralysie de Todd). Le risque d’un syndrome hémiconvulsionhémiplégie ou hémiconvulsion-hémiplégie-épilepsie est devenu rare. La principale période de survenue des convulsions fébriles s’établit surtout entre 18 et 24 mois. Il est possible d’observer des convulsions fébriles après l’âge de 5 ans, mais c’est statistiquement rare. Il faut retenir que l’âge de survenue avant un an est le critère le plus important dans la différenciation entre convulsions fébriles simples et compliquées. Les convulsions fébriles ne surviennent pas toujours lors de l’acmé de la fièvre mais dans les 24 premières heures. Elles peuvent aussi se produire lors de la défervescence thermique. Dans 95 % des cas, l’origine de la fièvre est virale. Toute convulsion survenant avant l’âge de 6 mois, lors d’un syndrome fébrile, doit entraîner la recherche d’une autre étiologie qu’une convulsion fébrile.
Indications des examens paracliniques en cas de convulsions fébriles 1. Électroencéphalogramme En cas de convulsion fébrile simple, cet examen n’est d’aucun apport. En cas de convulsions fébriles compliquées, s’il est réalisé dans les 24 heures suivant la convulsion, il permet de confirmer l’hypothèse d’une convulsion focalisée. Pour toute convulsion fébrile survenant avant un an, l’électroencéphalogramme est nécessaire du fait du risque d’une épilepsie ultérieure. De même, un électroencéphalogramme (EEG) est indispensable chez tout enfant ayant présenté des convulsions fébriles et devant recevoir un traitement antiépileptique préventif au long cours. 1486
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2. Ponction lombaire Elle est obligatoire chez tout enfant présentant une convulsion fébrile avant 1 an ; entre 12 et 18 mois, elle doit être réalisée au moindre doute. Après 18 mois, l’indication est fonction de l’anamnèse et de l’examen clinique car une convulsion associée à de la fièvre peut être la première manifestation d’une méningite bactérienne ; l’examen neurologique dans ce cas est anormal mais il faut tenir compte pour son interprétation de l’administration antérieure de diazépam.
3. Radiographies de crâne Elles n’ont aucun intérêt et, si elles montrent une anomalie, celle-ci peut n’être que fortuite.
4. Examens biologiques • La numération formule sanguine montre, si elle est réalisée dans les heures suivant la convulsion fébrile, une hyperleucocytose avec polynucléose par démarginalisation des polynucléaires du fait de la décharge adrénergique. • La glycémie est élevée du fait de la glycogénolyse induite par la décharge adrénergique. • La calcémie est habituellement normale, sauf si l’anamnèse et l’examen neurologique montrent des signes évocateurs d’une hypocalcémie.
Risque de récidive après une première convulsion fébrile La notion d’antécédents pré- et périnataux n’est pas un facteur aggravant du risque de récurrence. Concernant les antécédents familiaux, l’étude de Nelson et Ellenberg en 1990 montre que le risque relatif de récidive est de 10 % si la mère a présenté des convulsions fébriles et de 20 % si l’on retrouve la notion de convulsions non fébriles chez les parents ou dans la fratrie. Les études de Berg et al. montrent que 2 facteurs interviennent dans le risque de récidive de convulsions fébriles, à savoir : la durée de l’épisode fébrile avant la convulsion et l’intensité de la fièvre. Douze mois après une première convulsion fébrile, la probabilité de récidive est de 0,22 en cas de fièvre à 40 ˚C et de 0,43 en cas de fièvre à 38,3 ˚C.
Pédiatrie
La notion de convulsions fébriles compliquées ou l’existence d’anomalies neurologiques antérieures ne sont pas corrélées à une augmentation du risque de récidive des convulsions fébriles. Tous facteurs confondus, ce risque à 12 mois est estimé à 0,25. Il est démontré que la probabilité de récidive est d’autant plus élevée que le délai entre le début de la fièvre et la survenue de la première convulsion fébrile est court. L’élément important à retenir est que s’il y a récidives, les convulsions fébriles surviennent dans plus de 90 % des cas dans les 12 mois suivant la première convulsion, le jeune âge constituant le principal facteur de récidive (< 12 mois).
Traitement Il a 2 buts. Dans l’immédiat, il doit arrêter la crise et secondairement, prévenir la récidive.
1. Conduite à tenir dans l’immédiat On doit administrer du diazépam en intrarectal à la posologie de 0,5 mg/kg, soit pour une ampoule de 10 mg, une demi-ampoule par 10 kg de poids. La concentration maximale est atteinte en 3 min. Si 5 min après l’administration, les convulsions persistent, on doit effectuer une 2e injection intrarectale de 0,5 mg/kg. Si après cette 2e injection, on n’observe pas d’amélioration, le diazépam doit être injecté par voie intraveineuse à raison de 0,5 mg/kg en intraveineuse lente. Si les convulsions persistent, on considère qu’il s’agit d’une menace d’état de mal épileptique et on le traite comme tel.
2. En dehors de la crise En pratique, le plus souvent, on n’assiste pas à la convulsion fébrile et l’on est amené à voir l’enfant, une fois que celle-ci est terminée. Dans ce cas, seul l’examen clinique guide la conduite à tenir. Si l’enfant a moins de 1 an, il rentre dans les critères de crise convulsive compliquée et doit être hospitalisé pour surveillance et réalisation d’une ponction lombaire. Si l’examen clinique est anormal (signes focalisés, hypotonie, syndrome méningé), on doit suspecter une pathologie intracrânienne. On sort alors du champ de la définition des convulsions fébriles et, en fonction de l’anamnèse et de l’examen clinique, un bilan paraclinique orienté doit être pratiqué. La situation la plus fréquente est la survenue d’une convulsion fébrile cédant spontanément au bout de quelques minutes chez un enfant de plus de 12 mois. Entre 12 et 18 mois, devant un examen clinique anormal, il faut réaliser au moindre doute une ponction lombaire. Si l’enfant a plus de 18 mois et si l’examen clinique ne montre pas de signe focalisé ou déficitaire, alors seuls le bilan étiologique et le traitement de la fièvre doivent être entrepris.
3. Prévention des récidives La stratégie thérapeutique a un double but : lutter contre la fièvre par l’utilisation d’un antipyrétique et augmenter le seuil de déclenchement d’une convulsion fébrile par l’utilisation de diazépam. En ce qui concerne les
antipyrétiques, on fait appel au paracétamol à raison de 20 mg/kg toutes les 6 à 8 h ou l’acide acétylsalicylique à la même posologie, associé au traitement physique classique à visée antipyrétique (enfant découvert, augmenter l’évaporation, bains). L’utilisation de diazépam per os à la posologie de 0,3 mg/kg toutes les 8 h, dès la découverte du syndrome fébrile et tant que persiste la fièvre, permet de prévenir la récurrence des convulsions. La concentration maximale est atteinte 20 min après l’administration. Une étude faite en double aveugle (diazépam versus placebo) chez 406 enfants d’une moyenne d’âge de 2 mois, utilisant le diazépam per os toutes les 8 h tant que la fièvre persiste, démontre une diminution significative de 44 % du risque de récurrence des convulsions entre les 2 groupes. Le diazépam doit être donné dès l’apparition de la fièvre.
4. Traitement préventif en dehors de l’épisode fébrile Ce traitement préventif peut être proposé en cas de convulsion fébrile compliquée (tableau). Le critère le plus significatif est la survenue d’une convulsion fébrile avant 1 an. Le traitement fait appel au valproate de sodium à la posologie de 20 à 30 mg/kg. En dehors de ce cas-là, il n’est pas justifié de proposer un traitement préventif quotidien. En effet, dans le cadre des convulsions fébriles non compliquées, il n’y a pas de diminution du risque de l’incidence de l’épilepsie par le traitement préventif quotidien et aucune conséquence des crises sur les capacités cognitives à long terme.
Convulsions occasionnelles en rapport avec un processus infectieux intracrânien Il s’agit de convulsions dues à une lésion cérébrale aiguë, associées à de la fièvre, alors qu’une convulsion fébrile est déclenchée par la fièvre et traduit une susceptibilité à l’augmentation de température. La distinction entre ces 2 situations n’est pas absolue car une même pathologie cérébrale peut chez un enfant entraîner une convulsion et chez un autre ne se traduire par aucun phénomène convulsivant. En cas de convulsions fébriles chez un nourrisson de moins d’un an, le premier diagnostic qu’il faut absolument éliminer est celui de la méningite purulente. À cet âge, on peut ne pas retrouver de syndrome méningé, mais au contraire observer une hypotonie ; une anorexie, des troubles du comportement, des pleurs incessants, une hyperexcitabilité et (ou) une hyperesthésie au moindre contact, tous symptômes qui constituent des signes d’alerte. En conséquence, tout enfant de moins de 1 an qui présente une convulsion fébrile doit être hospitalisé. L’étiologie est dominée par les méningites à méningocoques et pneumocoques. La vaccination antiHæmophilus B a considérablement diminué l’incidence des méningites à Hæmophilus.
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Convulsions occasionnelles autres Encéphalite primitive La 2e étiologie à laquelle on doit systématiquement penser devant des convulsions fébriles focalisées est celle d’une encéphalite primitive et, au 1er rang, l’encéphalite herpétique. Le diagnostic n’est pas toujours aisé. Classiquement, le nourrisson présente des convulsions itératives focalisées, pouvant toucher une hémiface. L’étude du liquide céphalorachidien (LCR) montre une pléiocytose à prédominance lymphocytaire avec une hyperprotéinorachie modérée. À l’électroencéphalogramme, on observe un foyer d’ondes lentes ou des activités de pointes et pointes-ondes asymétriques. Les pointes périodiques, quand elles existent, sont retardées. Le scanner cérébral, sans et avec injection, met en évidence des signes de nécrose parenchymateuse, focalisés le plus souvent dans la région temporale ou fronto-temporale. Un scanner normal n’élimine pas une telle étiologie. L’imagerie par résonance magnétique (IRM), si elle peut être faite rapidement, est d’une grande aide à l’orientation diagnostique en montrant un œdème du parenchyme cérébral de la région fronto-temporale voire une nécrose hémorragique. En cas de suspicion d’encéphalite herpétique, un traitement par aciclovir (Zovirax) est à débuter à raison de 15 mg, 3 fois/j et à poursuivre durant 10 j s’il y a confirmation diagnostique. Cette confirmation est obtenue par étude des marqueurs viraux dans le sang et le liquide céphalorachidien (interféron, PCR pour polymerase chain reaction et séroconversion).
Encéphalites aiguës postinfectieuses La survenue de convulsions répétées ou prolongées associées à des fluctuations de conscience durant plusieurs jours peut faire évoquer un tel diagnostic. On retrouve à l’anamnèse des signes évocateurs d’une virose dans les jours précédents. L’examen neurologique peut être fluctuant au cours de la journée, tant au niveau de la conscience qu’à l’examen neurologique. L’électroencéphalogramme montre un ralentissement diffus de l’électrogenèse, souvent des ondes lentes de grande amplitude. Le scanner ne sera pas contributif. L’imagerie par résonance magnétique peut mettre en évidence des images avec lésions « hypersignal » dans la substance blanche.
Hématome sous-dural Devant tout nourrisson présentant des convulsions en apyrexie et sans antécédent, l’hypothèse d’un hématome sous-dural doit être évoquée. Il n’existe pas de relation directe entre l’importance de l’hématome sous-dural et la sévérité des convulsions. Il peut s’agir d’un état de mal convulsif inaugural ou de quelques secousses cloniques focalisées ou secondairement généralisées, associées à des troubles neurovégétatifs avec pâleur. À l’examen clinique, d’autres signes permettent d’évoquer un hématome sous-dural : hémorragie au fond d’œil 1488
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(classiques perles jacobines), tension de la fontanelle, accélération de la vitesse de croissance cérébrale sur la courbe du périmètre crânien. C’est le scanner cérébral (sans injection) qui objective l’hématome dans l’espace sous-dural. L’échographie transfontanellaire n’est pas un bon examen, car elle peut être normale. Si l’état neurologique de l’enfant est grave, le traitement peut nécessiter une ponction transfontanellaire en urgence dans l’espace sous-dural, pour évacuer l’hématome et diminuer la pression intracrânienne.
Convulsions révélatrices d’une affection métabolique Il existe souvent des signes associés aux convulsions. L’anamnèse et ces signes associés permettent une orientation : hypocalcémie dans le cadre d’un rachitisme, hypoglycémie secondaire à une période de jeûne ; l’hypomagnésémie est rare. Les affections métaboliques héréditaires peuvent se manifester sous forme de convulsions chez le nourrisson, souvent dans le cadre d’une décompensation secondaire à un stress (infection, traumatisme, jeûne) qui évoquent une acidémie organique, des anomalies du cycle de l’urée, certaines amino-acidopathies.
Convulsions symptomatiques Les convulsions peuvent être révélatrices d’une sclérose tubéreuse de Bourneville par des spasmes et l’existence de signes cutanés qui permettent d’orienter le diagnostic. Malformations vasculaires, malformations cérébrales, tumeurs, encéphalopathies progressives débutantes : ces différentes étiologies sont plus rares et sont à évoquer en fonction du contexte et des signes cliniques associés.
Syndromes épileptiques du nourrisson Syndrome de West En 1841, West décrit des convulsions spécifiques au nourrisson, caractérisées par des mouvements brusques en flexion des 4 membres et de la nuque. En 1951, l’existence d’anomalies électroencéphalographiques concomitantes décrites comme hypsarythmiques et la régression des acquisitions permettent de définir la triade du syndrome de West : spasmes, hypsarythmie et régression des acquisitions. Les spasmes surviennent en salves. L’incidence du syndrome de West est de 1 pour 5 000 naissances ; l’âge de début est compris entre 3 mois et 1 an ; le pic de fréquence vers 6 mois. Dans un tiers des cas, d’autres types de crises s’associent aux spasmes sous forme de crises partielles ou généralisées pouvant même précéder les spasmes. Les signes associés à l’examen clinique dépendent de la cause. L’électroencéphalogramme montre une hypsarythmie, c’est-à-dire une désorganisation complète du tracé avec un mélange anarchique de pointes, de pointes-ondes, de grande
Pédiatrie
amplitude, d’ondes lentes, avec disparition complète du rythme de fond. La morphologie et la topographie des différentes phases varient d’un instant à l’autre du tracé. L’injection de Valium (test au Valium) peut permettre d’objectiver une asymétrie si celle-ci n’est pas mise en évidence spontanément. L’étiologie du syndrome de West est très variée. Celui-ci peut être idiopathique ou symptomatique dans le cadre d’une sclérose tubéreuse de Bourneville, d’une malformation cérébrale ou de séquelles de souffrance anoxo-ischémique du nouveau-né. Les éléments de bon pronostic sont un développement psychomoteur et intellectuel normal avant l’apparition des spasmes, l’absence de régression mentale, la persistance d’une coordination oculo-manuelle quand surviennent les spasmes, l’absence d’autres types de crises et de signes neurologiques focalisés. Le syndrome de West idiopathique constitue 30 % des syndromes de West. Le traitement en première intention fait appel au vigabatrin (Sabril) à la posologie de 100 à 150 mg/kg/j. Si après 8 j on n’observe pas d’amélioration, on peut remplacer le Sabril par de l’hydrocortisone à 15 mg/kg/j pendant 15 j, avec une régression progressive en 15 j à 1 mois suivant les cas. Un traitement adjuvant et de surveillance est nécessaire ainsi qu’une prévention des effets secondaires de la corticothérapie. Le traitement antiépileptique associé sous forme de valproate de sodium (Dépakine) doit être poursuivi 18 à 24 mois. Si l’évolution est favorable en cas de syndrome de West symptomatique, le traitement doit être prolongé.
Épilepsie myoclonique sévère du nourrisson Ce syndrome épileptique est caractérisé par une épilepsie qui débute entre 3 et 10 mois, sous forme de convulsions en contexte fébrile, faisant porter le diagnostic de convulsions fébriles. La fréquence des crises augmente secondairement, elles ne sont pas toujours déclenchées par la fièvre. À partir des 2e et 3e années, des myoclonies segmentaires ou massives apparaissent. Il s’agit de myoclonies évoluant par accès, responsables de chutes. Parallèlement, les crises cloniques sont plus nombreuses. Des états de mal myocloniques peuvent apparaître. Cette évolution est retrouvée dans ce syndrome quel que soit le traitement antiépileptique proposé. À partir de la 2e année, des absences atypiques très brèves, plusieurs fois par jour, apparaissent aussi. À l’électroencéphalogramme, ces manifestations se traduisent par une décharge brève de polypointes-ondes rapides, généralisées. Une photosensibilité est fréquente mais pas constante. Le développement psychomoteur, qui était normal jusqu’à l’âge de 1 an, s’altère progressivement dès l’apparition de crises cloniques apyrétiques, avec surtout, un retard d’apparition du langage et, progressivement, l’apparition d’une ataxie. Cette dernière est aggravée par les myoclonies. On n’observe pas de régression mais une stagnation dans les acquisitions. La survenue de convulsions fébriles, qui se répètent et qui
débutent durant la première année de vie, doit rendre prudent quant au pronostic car il peut s’agir d’une épilepsie sévère du nourrisson débutante.
Épilepsie myoclonique bénigne Il s’agit d’un nourrisson sans aucun antécédent, qui présente des myoclonies, apparaissant entre 1 et 3 ans. Les accès myocloniques sont de courte durée, de fréquence croissante, prédominant aux membres supérieurs, parfois associés à des révulsions oculaires. Il n’y a jamais de perte de connaissance associée. Dans quelques cas, des convulsions fébriles associées ont été rapportées. L’examen neurologique est toujours normal entre les épisodes. L’électroencéphalogramme montre des pointes-ondes et polypointes-ondes synchrones des myoclonies. La photosensibilité est inconstante. L’électroencéphalogramme intercritique est normal. L’évolution est toujours favorable sous traitement antiépileptique par Dépakine 15 à 20 mg/kg/j en 2 ou 3 prises en monothérapie ou en association avec le Zarontin à raison de 10 à 20 mg/kg/j en 2 prises.
Épilepsie myoclonique bénigne réflexe Décrite pour la 1re fois en 1995 chez 6 enfants, il s’agit d’une forme clinique de l’épilepsie myoclonique bénigne. Elle en diffère par les points suivants : des antécédents familiaux d’épilepsie généralisée idiopathique, des myoclonies massives symétriques, des flexions de la tête avec parfois des révulsions oculaires. Les stimulus déclenchant les myoclonies sont essentiellement tactiles (percussion de la racine du nez) ou thermiques (eau froide sur le visage) ou acoustiques (bruit intense). Le pronostic est favorable.
Syndrome des convulsions infantiles familiales bénignes Ce syndrome est aussi dénommé « convulsions familiales bénignes du nourrisson ». Il s’agit de nourrissons normaux, ayant un développement normal, sans antécédent et qui, entre 1 et 11 mois (moyenne : 6 mois), présentent des « orages » épileptiques durant 2 à 3 j, avec survenue de 4 à 10 crises par jour. La sémiologie des crises présente les caractéristiques suivantes. Il s’agit de crises brèves (< 5 min), partielles ou le plus souvent partielles secondairement généralisées, avec déviation des yeux, arrêt de l’activité, automatismes moteurs (mâchonnements), clonies unilatérales puis généralisées, survenue d’une apnée avec hypotonie. L’électroencéphalogramme durant la crise confirme le début partiel des crises sous forme de décharges rythmiques rapides, focalisées, avec généralisation secondaire. L’électroencéphalogramme à distance des crises est toujours normal ainsi que l’examen neurologique. Le pronostic est constamment favorable. Le traitement fait appel à une monothérapie, avec la Dépakine 15 à 20 mg/kg/j en 2 ou 3 prises en monothérapie, durant une durée courte (6 mois à 1 an au maximum).
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Épilepsies non syndromiques du nourrisson • Dans l’épilepsie généralisée, le nourrisson peut présenter des crises de grand mal idiopathique. Il s’agit d’un groupe hétérogène compte tenu de la variabilité du pronostic et la réponse du traitement antiépileptique. L’examen neurologique ne montre pas de syndrome focalisé ou déficitaire entre les crises. L’étude des corrélations électrocliniques, la sensibilité au traitement, et le développement neuropsychologique définissent le pronostic bénin ou grave de l’épilepsie. • L’épilepsie partielle débute dans la 1re ou 2e année de vie sous forme de crises partielles ou partielles secondairement généralisées qui ne sont pas rares. La sémiologie est variable. Elle correspond à la maturation successive des différentes aires corticales en fonction de l’âge. Les phénomènes moteurs sont prédominants. Les manifestations végétatives sous formes de rubéfaction du visage, d’apnée, de mydriase, de cyanose peuvent être observées mais leur reconnaissance est difficile. Les modifications paroxystiques du comportement doivent alerter. L’électroencéphalogramme peut être normal durant la période intercritique. Un enregistrement de veille et de sommeil est obligatoire à cet âge. Le développement de la vidéo électroencéphalographique de longue durée a permis d’établir des corrélations électrocliniques par l’enregistrement des manifestations cliniques durant la période critique. Les investigations en imagerie morphologique et fonctionnelle ne permettent pas toujours de démontrer
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l’existence d’une lésion corticale. Il faut savoir répéter à 2 ou 3 ans de distance une imagerie par résonance magnétique qui était normale antérieurement. Si l’épilepsie partielle est idiopathique, son expression est liée à l’âge. Les manifestations critiques disparaissent avec la maturation cérébrale. ■
POUR EN SAVOIR PLUS Dulac O. Épilepsies et convulsions. Encycl Med Chir (Paris) 4091 A10 – 1991.
Points Forts à retenir • La conduite à tenir devant des convulsions du nourrisson est centrée d’abord sur une bonne analyse sémiologique clinique, étape préalable indispensable au diagnostic étiologique. • Le type, la localisation, la durée de la convulsion et les signes associés (fièvre ou apyrexie) sont les éléments indispensables à préciser pour la démarche étiologique. La conduite thérapeutique en urgence repose sur l’administration du diazépam par voie intrarectale à la posologie de 0,5 mg/kg à répéter si nécessaire 1 fois. • Le pronostic est lié à l’étiologie.
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Coqueluche Diagnostic, prévention DR Philippe OVETCHKINE Service de pédiatrie générale, Centre hospitalier intercommunal de Créteil, 94000 Créteil.
Points Forts à comprendre
Déterminants bactériens de pathogénicité
• La coqueluche est une maladie respiratoire très contagieuse. Elle reste encore largement répandue dans le monde, avec un taux de mortalité non négligeable, concernant particulièrement le jeune nourrisson. • Malgré la généralisation de la vaccination et la bonne couverture vaccinale en France, il existe une résurgence de la maladie chez les enfants de moins de 6 mois et chez leurs parents. Ces éléments épidémiologiques ont incité à modifier le calendrier vaccinal, pour faire disparaître le portage pharyngé de Bordetella pertussis chez les adolescents et les adultes anciennement vaccinés mais plus protégés ; le traitement reste avant tout préventif.
Les facteurs de virulence produits par B. pertussis intervenant dans la pathogénicité, peuvent être classés en 2 catégories, les adhésines et les toxines (tableau I). Certains d’entre eux peuvent induire la production d’anticorps après infection ou vaccination, conférant parfois une immunité protectrice (tableau II).
1. Adhésines
Microbiologie Description Bordetella pertussis, agent responsable de la coqueluche a été décrit pour la première fois en 1900 par Bordet et Gengou. Elle appartient au genre des Bordetella composé de 4 espèces, pertussis, parapertussis, avium et bronchoseptica. Seules les 2 premières sont pathogènes pour l’homme, B. bronchoseptica pouvant être responsable d’infections opportunistes chez l’immunodéprimé. Il s’agit d’un coccobacille gram-négatif, immobile. Il existe à sa surface différents déterminants antigéniques permettant la reconnaissance de différents sérotypes, dont 6 sont spécifiques de B. pertussis.
• Hémagglutinine filamenteuse : il s’agit de l’adhésine la mieux connue, longtemps considérée comme la protéine la plus importante de B. pertussis. Différentes parties de la molécule sont actuellement individualisées sur le plan moléculaire, mais leurs fonctions ne sont pas parfaitement établies. L’hémagglutinine filamenteuse possède plusieurs motifs communs avec d’autres protéines d’adhésion d’eucaryotes, et plusieurs sites de fixation sur des cellules de l’hôte, notamment les globules rouges qu’elle est capable d’agglutiner (comme son nom l’indique). Elle induit la synthèse d’anticorps après infection et vaccination. Dans certains modèles animaux, il a été démontré que la vaccination avec hémagglutinine filamenteuse induit une immunité protectrice. • Les fimbriæ : B. pertussis produit des fimbriae de différents sérotypes. Comme pour l’hémagglutinine filamenteuse, les fimbriæ ont la capacité de se fixer sur des sucres sulfatés présents à la surface des cellules épithéliales. L’hémagglutinine filamenteuse et les fimbriæ peuvent également se fixer sur des macrophages alvéolaires (par le récepteur CR3), et coopérer lors de l’invasion de ces derniers mais aussi lors de la colonisation de la trachée. Les fimbriæ peuvent induire la synthèse d’anticorps après infection ou vaccination.
TABLEAU I Déterminants bactériens impliqués dans la pathogénicité de Bordetella pertussis Adhésines ❑ Hémagglutinine filamenteuse (FHA ) ❑ Fimbriæ (FIM) ❑ Pertactine ❑ BRK (facteur de résistance au sérum) ❑ TCF (facteur de colonisation trachéale) ❑ Toxine pertussique (PT)
Toxines ❑ Toxine pertussique (PT) ❑ Adénylcyclase-hémolysine (AC-Hly) ❑ Toxine cytotrachéale ❑ Toxine dermonécrotique (TDN)
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COQUELUCHE
TABLEAU II Déterminants bactériens susceptibles d’induire une production d’anticorps après infection ou vaccination Production d’anticorps
Immunité protectrice
Présence dans un vaccin acellulaire*
Adhésines ❑ Hémagglutinine filamenteuse ❑ Fimbriæ ❑ Pertactine ❑ BRK ❑ TCF
OUI OUI OUI ? ?
OUI OUI OUI
OUI OUI OUI NON NON
Toxines ❑ Toxine pertussique ❑ Adénylcyclase-hémolysine ❑ Toxine cytotrachéale ❑ Toxine dermonécrotique
OUI OUI ? ?
OUI OUI
OUI OUI NON NON
* L’ensemble de ces protéines sont, par définition, contenues dans les vaccins germes entiers.
• La pertactine est une protéine de la membrane externe de B. pertussis encore appelée P69. Il existe un polymorphisme de cette protéine selon les souches bactériennes. Cette agglutinine induit la synthèse d’anticorps après infection ou vaccination. Dans certains modèles murins il a été prouvé qu’elle conférait une immunité protectrice. • BRK (Bordetella resistance to killing ou facteur de résistance au sérum). Il s’agit d’une protéine responsable de la résistance au sérum selon un mécanisme non élucidé. Plusieurs travaux suggèrent un rôle dans l’adhérence aux cellules la classant dans la catégorie des adhésines. • TCF (Tracheal colonization factor ou facteur de colonisation trachéale). Cette adhésine n’est produite que par B. pertussis et non pas par B. parapertussis ou B. bronchoseptica. Comme son nom l’indique, elle est impliquée dans la colonisation de la trachée selon un mécanisme non élucidé.
2. Toxines. On distingue trois toxines majeures pour B. pertussis. • Toxine pertussique (PT) : cette protéine est synthétisée par la bactérie et possède 2 fonctions ; elle est capable d’induire certains effets biologiques observés au cours de la maladie chez l’homme et possède également un rôle dans l’adhérence en permettant la fixation de l’hémagglutinine filamenteuse sur certains récepteurs (notamment CR3 des macrophages). Le mécanisme d’action de la toxine pertussique est très semblable à celui de la toxine cholérique. Elle est de plus responsable de l’augmentation de production de mucus au cours de la coqueluche, mais ne semble pas avoir de rôle dans les mécanismes de quintes caractéristiques de la 1108
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maladie (B. parapertussis ne possède pas cette toxine). La toxine pertussique induit la synthèse d’anticorps après infection et vaccination, conférant une immunité protectrice dans certains modèles animaux. • Adénylcyclase-hémolysine (AC-Hly) : cette protéine est synthétisée à la fois par B. pertussis et B. parapertussis ou B. bronchoseptica. Elle possède une activité hémolytique et invasive. Après fixation, elle pénètre dans la cellule, active la calmoduline, augmente la concentration en AMPc intracellulaire et perturbe ainsi les fonctions cellulaires. Cette toxine est responsable de la mort cellulaire par apoptose des macrophages alvéolaires. L’adénylcyclase-hémolysine induit la synthèse d’anticorps protecteur après infection ou vaccination. • Toxine dermonécrotique (TDN) : cette toxine est localisée dans le cytoplasme, sa libération éventuelle nécessite donc une lyse bactérienne. Elle est produite par les 3 espèces principales de Bordetella. Son rôle dans la pathogénicité n’est pas parfaitement établi.
Physiopathologie De nombreuse protéines synthétisées par B. pertussis sont impliquées dans la pathogénicité de la bactérie. La maladie est schématiquement définie comme l’association d’un syndrome infectieux et d’un syndrome toxinique. Dès son entrée au sein de l’appareil respiratoire, elle interagit avec les cellules ciliées grâce aux adhésines, puis se produit une multiplication bactérienne locale. Ces adhésines ne permettent pas seulement la fixation au niveau des cellules épithéliales mais aussi avec les cellules du système immunitaire de l’hôte. Après cette période de multiplication bactérienne, il apparaît une phase de synthèse de toxines bactériennes
Pédiatrie
qui induisent une destruction de l’épithélium. La survenue d’un syndrome toxinique est secondaire à l’implantation bactérienne. Il comporte des manifestations locales à type de destruction et élimination des cellules ciliées et accumulation de mucus par paralysie du système d’épuration ciliaire, et des manifestations générales par le fait des réactions inflammatoires locales et systémiques (limitées à l’hyperlymphocytose). Ces différents effets biologiques sont médiés par les toxines. La contagiosité est d’environ 3 semaines sans traitement.
Épidémiologie Parmi les maladies à prévention vaccinale, la coqueluche reste l’une des plus difficiles à éliminer. Il s’agit d’une maladie très contagieuse, évoluant sur un mode endémique, avec des cycles périodiques tous les 2 à 5 ans. Ces intervalles entre les cycles n’ont pas été modifiés par la généralisation de la vaccination, suggérant que la vaccination permet un contrôle de la maladie et non la circulation de B. pertussis. L’homme est le seul hôte de la bactérie, dont la transmission se fait par voie aérienne, par les gouttelettes de salive d’un sujet infecté, notamment lors des efforts de toux. Les porteurs asymptomatiques sont rares et ne jouent probablement pas un grand rôle dans la transmission de la maladie. De plus, la faible survie de la bactérie dans l’environnement explique le faible rôle de la transmission indirecte. En France, il s’agissait d’une maladie très fréquente avant l’ère vaccinale avec environ 5 000 cas par an, un pic d’incidence vers 5 ans, la majorité des enfants ayant été contaminés avant l’âge de 15 ans, et avec un taux de mortalité élevé chez les nourrissons. Les programmes de vaccination ont considérablement modifié l’épidémiologie de la coqueluche, avec la généralisation d’un vaccin tétravalent en 1966 (DTCP pour diphtérie, tétanos, coqueluche et poliomyélite). Dès 1970, seulement 100 cas annuels étaient notifiés. Actuellement, les déclarations de coqueluche ne sont pas obligatoires, les données épidémiologiques reposent sur : – l’existence d’un réseau sentinelle hospitalier pédiatrique (RENACOQ); – la surveillance des souches de B. pertussis adressées au centre national de référence ; – les données de couverture vaccinale du ministère de la santé. Au cours de l’année 1996-1997, on a estimé entre 800 et 1 800 le nombre de cas de patients atteints de coqueluche hospitalisés en France, dont 12 % en réanimation avec un nombre de décès estimé à 0,5 % (soit environ 2 à 10 par an). Les enfants âgés de moins d’un an représentaient 60 % des cas, soit environ 1 000 cas annuels ; 30 % des cas avaient moins de 3 mois. Le statut vaccinal est déterminant car 10 % ont eu une vaccination complète alors que 60 % d’entre eux n’avaient reçu aucune injection (mais 1/3 était trop jeune pour être vacciné). La vaccination avec le vaccin germe entier utilisé en France procure une protection satisfaisante jusqu’à l’âge
de 12 ans. Les adultes ne sont pas épargnés par la maladie ; l’immunité acquise dans l’enfance s’estompe au fil du temps, et joue de ce fait un rôle dans la transmission de la bactérie et surtout la contamination des petits nourrissons. En effet, le « contaminateur » est retrouvé dans l’entourage proche dans 67 % des cas, il s’agit de l’un des deux parents dans la moitié des cas. La disparité et l’hétérogénéité des politiques vaccinales permet une comparaison intéressante entre différentes nations. Il apparaît que les incidences les plus faibles sont observées dans les pays où il y a eu une généralisation de la vaccination sans interruption depuis 40 ans (France, États-Unis…). À l’inverse, dans les pays où les programmes de vaccination ont été stoppés (Suède) ou interrompus (Royaume-Uni) ou encore insuffisamment développés (Russie, Allemagne), les incidences y sont de 10 à 100 fois plus élevées. Malgré l’extension de la vaccination, la coqueluche reste une maladie de premier ordre sur le plan mondial où l’on estime l’incidence d’environ 51 000 000 cas annuels dont 600 000 décès.
Diagnostic Diagnostic clinique Le diagnostic de coqueluche est évoqué sur un maître symptôme, la toux, caractéristique au cours de cette maladie. Toutefois l’expression clinique peut être considérablement modifiée par les vaccinations et l’âge du patient.
1. Forme typique Elle concerne principalement l’enfant. La forme typique révélatrice de la coqueluche est composée de 4 phases successives : • l’incubation est silencieuse, elle dure de 7 à 15 jours à partir du contage. La notion de cas similaires, ou de toux non fébrile de plus de 8 jours chez un adulte de l’entourage, voire un contage sont des piliers du diagnostic ; • la phase catarrhale dure de 3 à 7 jours. Elle est composée de signes non spécifiques d’infection des voies aériennes supérieures : rhinite aqueuse, toux sèche avec éternuements, fébricule à 38 ˚C, pharyngite modérée, injection conjonctivale discrète. Durant cette phase le malade est très contagieux ; • la phase des quintes est caractéristique de la coqueluche. Sa durée est variable de 2 à 4 semaines. Elle est composée de quintes de toux caractéristiques qui augmentent en fréquence et en intensité avec une recrudescence nocturne. Cette séquence des quintes est classiquement stéréotypée ; elles surviennent spontanément ou bien sont déclenchées par des efforts de toux, de cris, de déglutition, par l’alimentation, parfois lors de l’examen pharyngé. Ces quintes sont constituées d’une inspiration profonde, puis d’une série d’accès répétitifs et violents de secousses expiratoires (au nombre de 5 à 20), se succédant sans inspiration entre elles, entraînant une congestion du visage, voire une cyanose, puis se ter-
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minant par une reprise inspiratoire bruyante similaire au chant du coq. La fin de la quinte est volontiers marquée par une expectoration mousseuse ou des vomissements, laissant un enfant exténué. Les quintes de la coqueluche doivent être évoquées devant tout épisode de toux apnéisante, asphyxiante, cyanosante et émétisante (voire syncopale), ce d’autant qu’elles surviennent chez un petit nourrisson. Le patient est asymptomatique entre les quintes et l’examen clinique est sans particularité ; notamment l’auscultation pulmonaire est normale. Durant cette phase, le nombre de quintes augmente pendant une dizaine de jours, puis persiste pendant 2 à 4 semaines avant : • la phase de convalescence, avec une toux séquellaire, résiduelle appelée toux coqueluchoïde, peut persister pendant 1 à 3 mois, témoignant d’une hyperréactivité bronchique.
TABLEAU III Signes de gravité d’une coqueluche chez un nourrisson ❑ Âge inférieur à 6 mois ❑ Apnées, cyanose, bradycardies ❑ Tachycardie sans quinte et sans fièvre ❑ Atteinte neurologique ❑ Troubles hémodynamiques ❑ Hyponatrémie inférieure à 130 mEq/L ❑ Hyperlymphocytose supérieure à 50 000/mm3 ❑ Thrombocytose supérieure à 500 000/mm3
2. Formes cliniques • Forme du nourrisson non vacciné : il est le plus à risque de développer une coqueluche grave voire maligne. En effet, certains des anticorps maternels traversent la barrière maternofœtale mais ne confèrent aucune protection vis-à-vis de l’infection. Ces formes sont d’autant plus sévères que le nourrisson est jeune. Les périodes d’incubation et de phase catarrhale sont volontiers raccourcies par rapport à l’enfant plus grand ou l’adulte. Le tableau peut être atypique, avec absence de reprise inspiratoire bruyante évocatrice de la maladie, mais les accès de secousses expiratoires restent caractéristiques. Les particularités sont : – la survenue d’apnées, lors des épisodes de quintes asphyxiantes, soit des apnées isolées survenant même en dehors des quintes ou des efforts de toux (dans 30 % des cas) ; – la cyanose (60 % des cas) ; – le caractère asphyxiant, responsable d’accès hypoxiques plus ou moins prolongés et sévères, à l’origine de perte de connaissance ; – pâleur, hypotonie, bradycardie, peuvent provoquer des malaises graves du nourrisson (forme syncopale des quintes asphyxiantes). Il peut apparaître des complications neurologiques à types de convulsions (anoxiques). Le caractère émétisant des quintes entraîne une déshydratation et une dénutrition. L’ensemble de ces complications peut aboutir à la forme rare mais gravissime de coqueluche maligne avec troubles hémodynamiques, neurologiques et détresse respiratoire, dont le pronostic est redoutable avec 75 % de mortalité. L’ensemble des facteurs de risque qui font craindre une coqueluche grave sont résumés dans le tableau III. • Forme de l’enfant sans rappel vaccinal : l’immunité conférée par une vaccination préalable rend ces formes moins sévères que chez le nourrisson non vacciné. Les caractéristiques typiques de la maladie font souvent défaut, se réduisant à une toux prolongée de plus de 8 jours, plus ou moins quinteuse, parfois émétisante. Seule la prolongation de la toux devra faire évoquer le 1110
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diagnostic. Toutefois les patients qui présentent une pathologie bronchopulmonaire sous-jacente (à type d’hyperréactivité bronchique) sont susceptibles de faire une forme plus sévère. • Forme de l’adulte non vacciné contre la coqueluche : ce dernier est susceptible de faire une maladie dans sa forme typique, avec une toux sévère, quinteuse et émétisante, volontiers nocturne, susceptible de se compliquer par un malaise vagal. Dans la majorité des cas, les caractéristiques typiques de la toux ne sont pas retrouvées ; il faudra évoquer le diagnostic devant un tableau de toux prolongée de plus de 8 jours, a fortiori depuis plus de 21 jours, plus particulièrement si cette toux survient par quintes et si elle possède un caractère cyanosant ou émétisant. Le diagnostic de la maladie doit être le plus précoce possible afin d’instaurer une prise en charge thérapeutique et un traitement prophylactique pour l’entourage, surtout si celui-ci est composé de jeunes nourrissons non vaccinés.
Examens complémentaires 1. Biologiques La numération-formule sanguine peut être un élément évocateur quand il existe une hyperleucocytose avec surtout hyperlymphocytose (supérieure à 10 000 mm3). L’hyperlymphocytose quand elle existe est un des facteurs de gravité. Elle est liée à un effet systémique de la toxine pertussique. Parmi les autres examens biologiques, l’ionogramme sanguin recherche une hyponatrémie. Les marqueurs de l’inflammation (VX, protéine C-réactive) ne sont modifiés qu’en cas de surinfection.
2. Radiologiques La radiographie de thorax n’a rien de caractéristique. Différents aspects peuvent être trouvés (fig. 1), une distension thoracique, des adénopathies hilaires, un syn-
Pédiatrie
drome bronchique, une image d’atélectasie localisée (< 50 % des cas), un aspect de foyer alvéolaire (25 % des cas). La radiographie permet d’éliminer un pneumothorax, complication rare (1 %) mais aggravante de la maladie.
Diagnostic microbiologique 1. Méthodes indirectes La méthode diagnostique la plus couramment utilisée est une méthode indirecte qui se base sur la sérologie. Son interprétation est souvent délicate et repose sur la comparaison de 2 examens successifs à 4 semaines d’intervalle ; elle est significative s’il existe une élévation par 4 du taux des anticorps. Cette interprétation est difficile car l’ensemble de la population a été préalablement
vaccinée, donc possède déjà des anticorps circulants. Son interprétation est également plus difficile chez un petit nourrisson du fait de la présence des anticorps maternels transmis durant la grossesse et impose souvent la réalisation d’une sérologie maternelle comparative pour éliminer toute possibilité de faux positif. Elle peut aussi être difficile en cas d’antibiothérapie précoce préalable. Ces méthodes indirectes sont : • le dosage d’agglutinines : cette technique permet de détecter les anticorps agglutinants tels que la pertactine et les fimbriæ. Elle est principalement recommandée pour la détection d’anticorps vaccinaux. Elle est très peu sensible chez les sujets infectés. La recherche est souvent négative, malgré une infection bactériologiquement documentée ; • les tests immuno-enzymatiques, utilisant des suspensions bactériennes sont rapides et permettent un dosage quantitatif mais restent peu spécifiques et peu sensibles en cas de primo-infection ; • les tests utilisant des antigènes purifiés : il s’agit de tests sérologiques plus spécifiques et sensibles, mais qui ne sont ni commercialisés ni remboursés. Les protéines utilisées dans cette technique sont principalement la toxine pertussique, l’hémagglutinine filamenteuse et l’adénylcyclase-hémolysine. La discordance de la positivité vis-à-vis de ces 3 antigènes permettrait de distinguer présence d’anticorps vaccinaux (toxine pertussique et hémagglutinine filamenteuse) et infection, en cas de vaccination antérieure par un vaccin acellulaire. L’augmentation ou la diminution des taux d’anticorps antitoxine pertussique ou anti-adénylcyclase-hémolysine dans un sérum tardif à 4 semaines confirme l’infection.
2. Méthodes directes de recherche de B. pertussis sur les sécrétions nasales
En haut : aspect radiologique d’une coqueluche sévère chez un nourrisson de 5 mois. Il existe une distension thoracique, une image de foyer alvéolaire du lobe supérieur droit. En bas : l’amélioration est lente sous traitement par macrolides (J10).
Il s’agit des seules méthodes qui permettent d’affirmer le diagnostic. • L’immunofluorescence indirecte : cette méthode est peu utilisée, les résultats sont certes obtenus rapidement mais les taux de sensibilité et de spécificité ne dépassent pas 50 %. • Les cultures : elles permettent la recherche directe de Bordetella sur les crachats ou les produits d’aspiration nasopharyngée. B. pertussis est difficile à isoler et la culture doit s’effectuer sur des milieux spéciaux, enrichis au sang, soit de Bordet et Gengou (le plus utilisé) soit de Regan-Lowe. Sa réalisation nécessite une collaboration avec le service de microbiologie pour son application dans les meilleures conditions. Le délai de réponse est d’environ 3 à 6 jours. Si cette méthode est très spécifique, sa sensibilité est moins bonne (environ 60 %). Cet examen doit être réalisé avant toute mise sous antibiotique. Une identification des isolats peut alors être réalisée (sérotypage), l’expression des adhésines et toxines peut être vérifiée, un antibiogramme peut être réalisé afin de vérifier la bonne sensibilité de la souche aux antibiotiques usuels (macrolides).
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• La recherche par amplification génique par méthode PCR (polymerase chain reaction) : ces méthodes sont spécifiques des 3 espèces, pertussis, parapertussis et bronchoseptica. Elles reposent sur l’amplification du gène de l’adénylcyclase-hémolysine. Une méthode est spécifique de B. pertussis et repose sur l’amplification du gène de la toxine pertussique. Cet examen est réalisé en laboratoire spécialisé uniquement, il doit être impérativement couplé à une recherche directe par culture de Bordetella, voire à une étude sérologique afin d’optimiser les chances diagnostiques. La sensibilité est supérieure à 90 % et le résultat peut être obtenu en 2 jours. • La recherche de la toxine adénylcyclase-hémolysine : cet examen ne peut être réalisé qu’en milieu spécialisé. La toxine peut être trouvée 2 à 3 mois après le début de la maladie mais se négative dans un tiers des cas si l’enfant a été traité par une antibiothérapie efficace préalable. Sa sensibilité et sa spécificité sont proches de 90 %.
Complications nutritionnelles Elles sont induites par les vomissements lors des efforts de toux, parfois majorées par des épisodes de fausses routes. L’alimentation déclenche elle-même des quintes et participe en ce sens à cette dénutrition.
Complications neurologiques Les plus fréquentes sont les convulsions qui peuvent survenir dans 3 contextes : – hyperthermiques lors d’une poussée de fièvre ; – anoxiques lors de quintes rapprochées ou prolongées ; – ou bien être en rapport avec une encéphalite. Il s’agit d’une complication rare qui s’observe pendant 2 à 3 semaines au début de la maladie. Il existe alors des troubles de la conscience et une altération du tracé électro-encéphalographique.
Traitement Complications Préventif Forme gravissime du nourrisson Elle a déjà été évoquée (chapitre forme clinique).
Complications infectieuses Ces complications concernent principalement les voies aériennes inférieures. Ce peut être l’apparition d’une pneumopathie liée à B. pertussis (fig. 1) mais aussi de surinfections à d’autres pyogènes à tropisme respiratoire tels que Streptoccoccus pneumoniæ, Hæmophilus influenzæ, ou encore des staphylocoques. Le diagnostic est alors évoqué devant une évolution traînante, une réaggravation du tableau clinique, avec une altération de l’état général, de nouvelles localisations pulmonaires à la radiographie de thorax, une hyperleucocytose avec prédominance de polynucléaires neutrophiles. Le traitement repose alors sur une nouvelle antibiothérapie adaptée, si possible après identification du germe. L’otite moyenne aiguë est fréquemment rencontrée comme complication infectieuse, et doit être suspectée également sur l’apparition d’une fièvre.
Complications mécaniques Les complications dites mécaniques sont provoquées par les efforts de toux. Elles sont à la fois d’ordre respiratoire et digestif : – pneumothorax, emphysème pulmonaire et (ou) médiastinal, rupture diaphragmatique ; – ulcération ou rupture du frein de la langue, vomissements avec hématémèse dans le cadre d’un syndrome de Mallory-Weiss, hernies, prolapsus rectal. Ce peut être un purpura mécanique pétéchial du visage, ou bien des hémorragies sous-conjonctivales. 1112
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Le traitement préventif repose sur la vaccination. Il existe à ce jour 2 types de vaccins coquelucheux (encore appelés pertussiques), les vaccins à germes entiers utilisés en France chez le nourrisson et les vaccins acellulaires qui n’ont pas à cette date d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en primovaccination, mais sont autorisés en rappels précoces et tardifs.
1. Vaccins à germes entiers Le vaccin à germe entier est constitué d’une suspension de B. pertussis inactivée par la chaleur et le formaldéhyde, et absorbée sur hydroxyde d’aluminium. La constitution antigénique est complète (toxine pertussique, hémagglutinine filamenteuse, adénylcyclasehémolysine, pertactine). L’efficacité de ce vaccin peut être évaluée selon : – son immunogénicité, mais il est actuellement reconnu que le dosage des anticorps est un mauvais témoin de la protection contre la coqueluche ; – son efficacité clinique. Une étude menée au Sénégal a permis de montrer une efficacité clinique de 96 % de ce vaccin (98 % d’efficacité chez les enfants de 6 mois à 2 ans ayant reçu 3 injections). Ce vaccin contient également de nombreuses substances réactogènes non immunogènes comme l’endotoxine bactérienne responsable d’une partie des effets secondaires. Ces effets indésirables sont bénins pour la plupart, à type de réactions locales (rougeur, douleur locale, induration plus ou moins douloureuse) ou systémiques (fièvre supérieure à 38,9 ˚C dans 50 % des cas). Des manifestations plus sévères peuvent être observées ; elles sont rares mais contre-indiquent un rappel ultérieur : – convulsions ; – état de choc ou hypotonie-hyporéactivité ; – syndrome des cris persistants ;
Pédiatrie
– les encéphalopathies, avec séquelles cérébrales définitives qui ont pesé lourd sur la réputation du vaccin dans les années 1970-1980, ont désormais été levées ; néanmoins, les vaccins restent contre-indiqués en cas d’antécédents personnels neurologiques.
2. Vaccins acellulaires Ils ont pu être réalisés après une meilleure connaissance des protéines impliquées dans la pathogénicité de la maladie. Ils contiennent tous la toxine pertussique détoxiquée associée à d’autres composants (tableau II). L’efficacité clinique des différents vaccins acellulaires est variable d’un vaccin à l’autre et s’étend de 36 à 90 % d’efficacité. Les différents essais menés en comparaison avec le vaccin germe entier utilisé en France n’ont pas permis de montrer une meilleure efficacité vaccinale, c’est pourquoi jusqu’à ce jour, seul le vaccin germe entier est préconisé en France en primovaccination. La possibilité d’utilisation de vaccins hexavalents (qui contiennent tous une valence coquelucheuse acellulaire) modifiera peut-être dans les années qui viennent cette décision. En terme de tolérance, l’ensemble des essais montrent un avantage des vaccins acellulaires, à la fois en terme de réactions locales et générales.
3. Schéma vaccinal proposé pour la vaccination coquelucheuse Le calendrier vaccinal 1998 est le suivant : – vaccin recommandé, mais non obligatoire ; – primovaccination : composée de 1 injection à l’âge de 2 , 3 et 4 mois (vaccin à germes entiers) ; – premier rappel à l’âge de 15-16 mois (vaccin à germes entiers ou acellulaire) ; – rappel tardif à l’âge de 11-13 ans (vaccin acellulaire). Parmi les autres mesures préventives : – isolement et éviction scolaire pendant 5 jours si le patient est traité, pendant 30 jours à compter du début des quintes en l’absence de traitement ; – prévention d’apparition de cas secondaires, basée sur un traitement préventif par macrolides durant 10 jours, pour les cas exposés [membres de la famille et (ou) contacts étroits].
Curatif 1. Mesures symptomatiques L’hospitalisation s’impose chez les nourrissons de moins d’un an. Elle s’impose d’autant plus qu’il s’agit d’un petit nourrisson non vacciné et nécessite une prise en charge à proximité d’une unité de soins intensifs pédiatriques dès l’aggravation des quintes. Les mesures adjuvantes consistent en un isolement du patient, aspirations nasopharyngées (à condition qu’elles ne provoquent pas de quintes), l’administration d’oxygène dès lors qu’il existe une hypoxémie, la kinésithérapie est contre-indiquée. L’alimentation orale est arrêtée, et il ne faut pas hésiter à réhydrater et alimenter par voie paren-
térale afin de limiter les épisodes de fausse route et les complications respiratoires, ou bien par gavage gastrique continu ou discontinu selon l’état du patient. Un traitement antireflux est associé (mais attention aux interactions cisapride et macrolides). Toute aggravation de la fonction respiratoire nécessite de rechercher une surinfection, un pneumothorax.
2. Antibiothérapie Compte tenu de la physiopathologie de la maladie, l’antibiotique utilisé se doit de pénétrer au sein des cellules du tractus respiratoire infectées, et être actif sur B. pertussis. Les macrolides permettent de répondre à ces 2 impératifs ; ils sont généralement bien tolérés et l’on peut préconiser érythromycine (Érythrocine) ou de la josamycine (Josacine mieux tolérée) à la posologie de 40 à 50 mg/kg/j en 2 prises chez l’enfant (2 g/j chez l’adulte). La durée de traitement est de 14 jours. D’autres antibiotiques peuvent être une alternative thérapeutique car ils sont actifs in vitro sur B. pertussis : – les tétracyclines, mais elles sont contre-indiquées chez l’enfant ; – le triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim), qui diffuse moins bien au niveau du tractus respiratoire et reste moins bien toléré que les macrolides. L’ampicilline et les autres β-lactamines ne doivent pas être utilisées.
3. Surveillance en milieu hospitalier Elle s’effectue sous monitoring cardiorespiratoire, elle concerne principalement les conditions hémodynamiques, neurologiques, le nombre et l’intensité des quintes. ■
Points Forts à retenir • La coqueluche reste une maladie d’actualité. Les formes graves concernent avant tout les nourrissons, particulièrement avant l’âge de la vaccination. La source de contamination est le plus souvent l’adulte (parents) chez qui le diagnostic a été méconnu ou reconnu tardivement. Tout épisode de toux quinteuse et prolongée doit donc faire évoquer ce diagnostic. • L’hyperlymphocytose est évocatrice de la maladie. Les nouvelles méthodes diagnostiques sont performantes et autorisent un diagnostic microbiologique de certitude rapide, permettant d’instaurer un traitement curatif qui repose sur les macrolides. • Le traitement doit rester avant tout préventif, or la résurgence récente de la maladie et la possibilité d’utiliser de nouveaux vaccins considérés comme mieux tolérés en rappels ont entraîné les modifications récentes du calendrier vaccinal en 1998.
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Dépistage néonatal de la phénylcétonurie et de l’hypothyroïdie DR Nicole MAURIN, PR Jacques SARLES Association régionale d’étude et de dépistage des encéphalopathies, malformations et affections génétiques, hôpital d’enfants de la Timone, 13385 Marseille Cedex 5.
Points Forts à comprendre • Le dépistage néonatal est une action de santé publique, visant à reconnaître et traiter dès la naissance des affections constitutionnelles graves. • Tous les nouveau-nés de France métropolitaine et des départements et territoires d’outre-mer (environ 700 000/an) y sont soumis grâce à une organisation très rigoureuse. • Les maladies qui en font l’objet (phénylcétonurie, hypothyroïdie, hyperplasie congénitale des surrénales, drépanocytose) doivent répondre à des critères très stricts.
De nombreuses maladies, constitutionnelles ou acquises, se révèlent tôt dans la vie. Parmi elles, quelques-unes sont curables lorsqu’elles sont reconnues et traitées précocement. C’est le but du dépistage néonatal de mettre en place les moyens pour la recherche de ces maladies chez tous les nouveau-nés et leur prise en charge précoce lorsque le diagnostic est confirmé.
La phénylcétonurie et l’hypothyroïdie répondent à tous ces critères et représentent donc les modèles du dépistage néonatal.
Phénylcétonurie La phénylcétonurie est une amino-acidopathie héréditaire du métabolisme de la phénylalanine, identifiée par Fölling en 1934.
Symptômes cliniques La phénylcétonurie de Fölling (avant le dépistage) était une encéphalopathie progressive, apparaissant après quelques mois de vie ; profonde, aboutissant à un quotient intellectuel inférieur à 50 ; associée à des troubles des phanères (« enfants blonds aux yeux bleus »), une microcéphalie, des convulsions, des troubles du comportement (agitation), une odeur particulière des urines dite de « souris », pouvant atteindre plusieurs membres d’une fratrie. Actuellement (avec un traitement rigoureux et surveillé), l’enfant se développe normalement. La femme phénylcétonurique en âge de procréer est un cas particulier : l’hyperphénylalaninémie maternelle est toxique pour l’organogenèse du fœtus (voir : Pour approfondir).
Critères du dépistage néonatal Pour qu’une maladie puisse bénéficier d’un dépistage néonatal de masse il faut qu’elle satisfasse à plusieurs critères. Elle doit être reconnaissable à la période néonatale avant que la sémiologie ne soit apparente et irréversible. Son pronostic doit être grave lorsqu’elle n’est pas traitée. Elle doit être traitable avec d’autant plus d’efficacité que le traitement est débuté tôt dans le jeune âge. Ce doit être une maladie de fréquence élevée dans la population (> 1/15 000 naissances). On doit connaître ses « marqueurs » spécifiques. Une méthode de dosage facile, sensible, spécifique, apte à discriminer la maladie, applicable à un grand nombre et d’un coût moindre par rapport au coût de la maladie doit être connue. Les sujets « suspects » doivent être suivis pour la confirmation du diagnostic, la mise en route du traitement et la surveillance. 1728
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Mécanismes biochimiques La phénylcétonurie est due à un déficit en phénylalaninehydroxylase. Cette enzyme hépatique transforme la phénylalanine en tyrosine. Le bloc enzymatique aboutit à l’accumulation de phénylalanine et à un déficit en tyrosine. Des voies métaboliques secondaires font apparaître des dérivés urinaires (acide phénylpyruvique et acide orthohydroxyphényl-acétique) dont l’odeur caractéristique a donné son nom à la maladie. L’accumulation de la phénylalanine entrave la myélinisation correcte des fibres nerveuses. Parfois, le déficit en phénylalanine hydroxylase n’est que partiel et le régime est alors moins sévère. D’autres fois, le régime n’entraîne aucune amélioration lorsque le déficit congénital ne concerne pas la phénylalanine hydroxylase mais son système cofactoriel
Pédiatrie B 262 (2nde partie)
Régénération du cofacteur sous forme active
Hydroxylations
Synthèse de la tétrahydrobioptérine
Tyrosine
Guanosine triphosphate (GTP)
q-Dihydrobioptérine (q. BH2) Tyrosine hydroxylase (TH)
Dihydroptéridine réductase (DHPR)
DOPA Tryptophane Tétrahydrobioptérine (BH4)
Tryptophane Hydroxylase (Tr pH) 5-OH Tryptophane
GTP Cyclo-hydrolase (GTP c.h.) Dihydronéoptérine triphosphate 6-Pyruvoyl tétrahydroptérine synthétase (6 PTS) 6-Pyruvoyl tétrahydroptérine 6-Pyruvoyl, tétrahydroptéridine réductase (PTR)
Phénylalanine Hydroxylase (PAH) Phénylalanine
Tyrosine
Ac. phénylpyruvique (APP) Ac. parahydroxyacitique (ac. p. OHPA)
Schéma simplifié du métabolisme de la phénylalanine et de son système cofactoriel.
(bioptérines). D’autres enzymes sont alors concernées et le seul régime pauvre en phénylalanine est insuffisant. Il s’agit de formes au pronostic sévère.
Génétique La phénylcétonurie est une maladie héréditaire récessive autosomique. Le gène de la phénylhydroxylase a été localisé en 1983 par Woo sur le bras long du chromosome 12 en q22 q24. C’est un gène long de 90 kb qui comporte 13 exons et des grands introns. Les mutations sont ponctuelles. Il existe un taux faible de mutation. Le diagnostic prénatal est possible par analyse moléculaire, mais discutable sur le plan éthique.
Traitement Il consiste en un régime pauvre en phénylalanine, institué par Bickel en 1954. • Il a pour but de réduire le taux de phénylalanine, tout en maintenant des apports caloriques et protidiques normaux. Il faut toutefois maintenir un taux sanguin entre 2 et 5 mg/100 mL (ou 120 et 300 µmol/L) car la phénylalanine est un acide aminé essentiel, indispensable en particulier pour la synthèse protéique cérébrale. La tolérance alimentaire est la quantité de phénylalanine qu’il faut apporter dans l’alimentation, pour atteindre le taux d’équilibre sanguin recherché. Dans la forme classique, la tolérance alimentaire est en moyenne de 300 mg/j (la consommation moyenne est de 2 000 à 3 000 mg/j en France).
• Le régime repose sur l’interdiction de tous les produits à forte teneur protidique (viande, poisson, œufs, lait, laitages, fromages, céréales). Les produits à faible teneur (fruits et légumes) sont autorisés en quantité limitée. Ces aliments sont donc pesés. Les glucides et les lipides sont autorisés à volonté. Le maintien d’un apport protidique suffisant est assuré par l’apport de substituts dépourvus de phénylalanine (mélanges d’acides aminés, produits diététiques). • Une surveillance régulière du taux de phénylalaninémie est nécessaire pour maintenir le taux d’équilibre. Le dosage est fait à partir de prélèvements capillaires. • Le régime est maintenu de façon stricte jusqu’à l’âge de 8 à 10 ans. Il est ensuite « libéré » en maintenant cependant un taux de phénylalaninémie inférieur à 20 mg/100 mL (ou 1 200 µmol/L).
Modalités du dépistage La phénylcétonurie répond aux critères du dépistage néonatal : notion d’intervalle libre, encéphalopathie grave traitable par un régime pauvre en phénylalanine, de fréquence moyenne 1/15 000, le marqueur est la phénylalanine. Le rapport coût-efficacité est excellent. Le dépistage néonatal a été innové en 1965 par Guthrie. Il a débuté en France en 1967 et a été rendu systématique pour tous les nouveau-nés en 1980 par suite d’une convention entre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant. Le dépistage néonatal nécessite une organisation rigoureuse.
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DÉPISTAGE NÉONATAL DE LA PHÉNYLCÉTONURIE ET DE L’HYPOTHYROÏDIE
Elle commence à la maternité où s’effectue le prélèvement au 3e jour de vie, par ponction capillaire au talon. Les gouttes de sang sont recueillies sur un carton buvard qui comporte des éléments d’identification du nouveau-né. Ce prélèvement est acheminé par voie postale au centre régional. Il est alors enregistré et distribué au laboratoire. Le prélèvement est analysé selon 3 méthodes de dosage. • Le dosage bactériologique (dit de Guthrie) repose sur le principe de la pousse bactériologique d’une souche de Bacillus subtilis, proportionnelle au taux de phénylalanine. C’est une méthode qualitative qui tend à disparaître. • La méthode fluorimétrique est une méthode biochimique fondée sur la formation d’un composé fluorescent en présence de la ninhydrine et de la leucineL-alanine. Cette méthode est fiable, spécifique, simple et automatisable. • La méthode enzymatique est un dosage colorimétrique spécifique de la phénylalanine après déshalogénisation par une enzyme spécifique. • La valeur seuil est de 3 mg/100 mL ou 180 µmol/L. Au-delà de ce seuil, les sujets positifs font l’objet d’un bilan de confirmation : phénylalaninémie, tyrosinémie sur sérum, chromatographie des acides aminés, phénylalaninurie, dans des conditions de base et sous charge orale en phénylalanine. Les valeurs douteuses font l’objet d’un deuxième contrôle sur carton buvard. • Le dépistage néonatal de la phénylcétonurie aboutit chaque année à la découverte de 50 cas nouveaux en France. Fin 1997, 20 millions de tests avaient été effectués. Ils ont permis de dépister 1 500 cas de phénylcétonurie.
Hypothyroïdie L’hypothyroïdie répond aux critères du dépistage néonatal. L’hypothyroïdie congénitale est la plus fréquente des maladies endocriniennes de l’enfant. Cette fréquence est estimée à 1/4 000. C’est une affection particulièrement grave car les hormones thyroïdiennes sont indispensables au développement du système nerveux central et au développement statural de l’enfant. Avant le dépistage, les hypothyroïdiens risquaient d’être des « nains idiots ». Le dépistage néonatal des hypothyroïdies congénitales, grâce à un diagnostic et surtout un traitement substitutif précoce, peut seul faire disparaître les lourdes séquelles cérébrales qu’entraîne un diagnostic trop tardif.
Mécanismes physiopathologiques Les causes d’hypothyroïdie congénitale sont nombreuses et variées, dominées par les dysgénésies et les troubles de l’hormonogenèse. • Les dysgénésies thyroïdiennes sont responsables de plus de 85 % des hypothyroïdies congénitales reconnues par le dépistage néonatal. Elles atteignent plus souvent les filles que les garçons. La glande peut être complètement absente : c’est l’athyréose (37 % des dysgénésies). Les thyroïdes ectopiques représentent 53 % des dysgénésies. 1730
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Il s’agit d’une anomalie de la migration embryologique qui aboutit à une glande atrophique en position anormale et de valeur fonctionnelle réduite. • Les troubles de l’hormonogenèse concernent 10 % des hypothyroïdies congénitales. Chaque étape de l’hormonogenèse peut être atteinte. Le trouble le plus fréquent concerne l’organification de l’iode par déficit en peroxydase. Ils répondent à une hérédité récessive autosomique. • Les hypothyroïdies transitoires néonatales sont mieux connues depuis le dépistage néonatal de l’hypothyroïdie. Elles regroupent plusieurs variétés comme : les formes du prématuré avec un syndrome de détresse respiratoire, traduisant probablement une immaturité endocrinienne ; les formes iatrogènes : secondaires à des prises médicamenteuses par la mère (iodure, antithyroïdiens de synthèse…) ou à une carence iodée.
Modalités du dépistage de l’hypothyroïdie néonatale Le dépistage de l’hypothyroïdie est couplé avec celui de la phénylcétonurie depuis 1980. L’infrastructure du dépistage est donc la même pour le mode de prélèvement, le transport et le secrétariat. Le marqueur biologique retenu pour le dépistage néonatal est la TSH (thyroid stimulating hormone). Le dosage couplé TSH et thyroxine libre (FT4) n’a pas été retenu en raison d’un coût trop élevé. Les exceptionnelles formes hypothalamo-hypophysaires ne sont donc pas dépistées, leur pronostic est considéré comme meilleur. Le dosage de la TSH se fait par méthode radio-immunologique ou immuno-enzymatique. La valeur seuil est de 30 mUI/L. Les résultats entre 30 et 60 mUI/L sont douteux et font l’objet d’une demande de contrôle sur un 2e prélèvement. Les résultats supérieurs à 60 mUI/L sont considérés comme positifs au dépistage.
Prise en charge des hypothyroïdiens dépistés 1. Confirmation de l’hypothyroïdie primaire Les nouveau-nés, dont le taux est supérieur à 60 UI/L ou dont le 2e prélèvement contrôlé est encore douteux, font l’objet d’un bilan de confirmation plus complet. • L’examen clinique recherche des antécédents familiaux, des signes frustes d’hypothyroïdie : fontanelle postérieure ouverte (supérieure à 0,5 cm), hernie ombilicale, ictère prolongé, constipation avec notion de retard d’émission du méconium, marbrures, macroglossie, somnolence, faciès lunaire, hypotonie axiale. Les 3 premiers signes sont les plus fréquemment rencontrés. L’intensité des signes est fonction du tissu thyroïdien présent. L’examen clinique recherche un goitre . • Le bilan thyroïdien sanguin (TSH, FT3, FT4) confirme ou infirme le diagnostic. L’élévation de la TSH confirme l’hypothyroïdie primaire. Ce bilan apprécie également la gravité biologique de l’hypothyroïdie en fonction de l’élévation de la TSH et de l’effondrement des hormones thyroïdiennes.
Pédiatrie
2. Examens complémentaires L’hypothyroïdie primaire confirmée, un complément de bilan est effectué. • La scintigraphie à l’iode 123 permet le diagnostic anatomique de l’hypothyroïdie congénitale primaire : athyréose, ectopie thyroïdienne le plus souvent en situation sublinguale, glandes en place. Les glandes en place englobent les troubles de l’hormonogenèse. On peut alors observer un goitre. • L’iodémie et l’iodurie recherchent une surcharge iodée. • Le dosage de la TBG (thyroxin binding globulin) recherche un exceptionnel déficit en protéine transporteuse. • Le dosage des anticorps anti-thyroïdiens est effectué.
3. Traitement Il est débuté le plus rapidement possible, actuellement en moyenne entre 10 et 15 jours de vie. Le traitement substitutif est la L-thyroxine (1 goutte = 5 µg). La posologie de départ est de 5 à 8 µg/ kg/j.
4. Surveillance Elle repose sur la courbe staturopondérale, le développement psychomoteur, la recherche de signes de sur- ou sous-dosage ; le dosage de TSH mais également de FT4 ; l’âge osseux ; l’évaluation psychomotrice : quotient de développement (QD) puis quotient intellectuel (QI) : un audiogramme est fait à l’âge de 4 ans à la recherche d’un syndrome de Pendred. Le rythme de la surveillance clinique et biologique est rapproché la 1re année, puis plus espacé les années suivantes. L’âge osseux et l’évaluation psychométrique sont faits à l’âge de 6 mois puis tous les ans. Ces enfants dépistés ont un développement somatique et psychomoteur normal et une bonne insertion scolaire, professionnelle et sociale. Le dépistage de l’hypothyroïdie aboutit chaque année à la découverte de 200 cas nouveaux en France. En fin 1997, 18 millions de nouveau-nés ont bénéficié du dépistage néonatal de l’hypothyroïdie, 4 000 malades ont été dépistés et sont aujourd’hui normaux. Le dépistage néonatal est une action de prévention et de santé publique qui nécessite une organisation pratique sans faille. ■
POUR APPROFONDIR Embryopathie phénylcétonurique L’hyperphénylalaninémie est responsable de l’embryopathie phénylcétonurique. Cette embryopathie comporte un retard de croissance intra-utérin sévère, une microcéphalie, des malformations viscérales essentiellement : cardiaque, oculaire… Elle peut et doit être prévenue par la reprise d’un régime strict pauvre en phénylalanine avant toute conception et pendant toute la grossesse. Cette prévention est une prévention de la « 2e génération » qui nécessite donc une information, une éducation et une contraception efficace des jeunes filles phénylcétonuriques.
POUR EN SAVOIR PLUS Abadie V, Depondt E, Farriaux JP et al. La grossesse et l’enfant de mère phénylcétonurique. Arch Pediatr 1996 ; 3 : 489-96. Frézal J, Boschetti R, Briard ML. Une convention exemplaire. Arch Fr Pediatr 1980 ; 37 : 357. Frézal J, Farriaux JP. La phénylcétonurie hier et aujourd’hui. Bilan de l’action du dépistage néonatal systématique. Rev Prat 1992 ; 42 : 2316-26. Toublanc JE, Boileau P. Le dépistage de l’hypothyroïdie congénitale 20 ans après. MT Endocrinol 1999 ; 1 : 284-7.
Points Forts à retenir • La phénylcétonurie a une fréquence de 1/15 000. En l’absence de traitement, elle entraîne une encéphalopathie profonde. Le dépistage néonatal suivi de la mise en route d’un régime alimentaire spécifique permet un développement cérébral normal. Ce régime, poursuivi jusqu’à l’âge de 8 à 10 ans, doit être impérativement repris chez la jeune femme phénylcétonurique avant la mise en route de toute grossesse, pour éviter l’embryopathie spécifique. • L’hypothyroïdie a une fréquence de 1/4 000. En l’absence de traitement, elle entraîne un nanisme avec encéphalopathie variable. Le traitement précoce et poursuivi à vie permet un développement somatique et intellectuel normal.
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Pédiatrie B 270
Déshydratation aiguë du nourrisson Physiopathologie, diagnostic, traitement d’urgence PR Pierre COCHAT, DR Yves GILLET Département de pédiatrie, hôpital Édouard-Herriot et université Claude-Bernard, 69437 Lyon Cedex 03.
Points Forts à comprendre Répartition des compartiments hydriques en fonction de l'âge 100 90 80
% du poids corporel
• On entend habituellement sous le terme de déshydratation aiguë la diminution rapide du volume liquidien extracellulaire (fig. 1 et 2), conséquence d’une perte d’eau et de sodium. Dans plus de 80 % des cas, il s’agit de déshydratation isotonique. • Deux mécanismes principaux sont à l’origine des conséquences et de la gravité de la déshydratation aiguë : – le collapsus, qui entraîne une mauvaise perfusion des organes vitaux ; – les anomalies métaboliques (hémoconcentration, hypo- ou hypernatrémie, acidose métabolique), responsables d’un déséquilibre des compartiments hydriques et d’une souffrance cellulaire plus ou moins diffuse.
70 60 50 40 30 20 10 0
Prématuré
Nouveau-né Nourrisson
eau totale
Enfant
eau extra-cellulaire
Adulte eau intra-cellulaire
1 Répartition des compartiments hydriques en fonction de l’âge.
Les déshydratations aiguës sévères sont devenues rares sous nos climats car leur prise en charge s’est beaucoup améliorée. Il convient cependant de ne jamais sousestimer la gravité potentielle des diarrhées aiguës, qui constituent une cause encore fréquente de décés chez le nourrisson dans les pays en développement (voir : Pour approfondir 1).
Physiopathologie L’eau représente 50 à 60 % du poids du corps chez l’adulte et 70 à 80 % chez le nouveau-né à terme (fig. 1 et 2), ce qui explique que l’enfant soit d’autant plus vulnérable à la déshydratation qu’il est jeune. En outre, l’adulte renouvelle son liquide extracellulaire tous les 7 jours et le nourrisson tous les 2 jours ; en d’autres termes, les entrées ou sorties quotidiennes d’eau mobilisent plus d’un tiers des espaces extracellulaires chez le nourrisson contre seulement un sixième chez l’adulte. Les besoins liquidiens quotidiens sont ainsi de 100 à 130 mL/kg chez le nourrisson contre 25 mL/kg chez
EAU TOTALE eau interstitielle
eau extra-cellulaire eau interstitielle
membrane cellulaire
eau plasmatique
membrane capillaire
2 Répartition schématique de l’eau totale dans l’organisme.
l’adulte. L’eau se répartit différemment dans les 3 constituants de l’organisme : environ 10 % dans la graisse, 70 à 75 % dans la masse maigre, et 15 à 20 % dans le tissu osseux. De ce fait, l’eau totale varie en proportion inverse à la masse grasse ce qui explique que, chez le nouveau-né dont la masse grasse est réduite, la proportion d’eau dans le poids corporel soit si importante.
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DÉSHYDRATATION AIGUË DU NOURRISSON
Par ailleurs, le nourrisson n’est pas autonome en terme d’hydratation et dépend étroitement de son entourage. Un déséquilibre hydrique conduira ainsi très rapidement à la déshydratation aiguë d’autant que, avant l’âge de 18 mois, l’immaturité des fonctions rénales (capacité de concentration, capacité à excréter une surcharge sodée ou acide) contribue à la gravité du tableau clinique et biologique. La gravité potentielle de la déshydratation tient en partie au fait que le nourrisson présente une fragilité cérébrale accrue vis-à-vis de l’hyperthermie, de l’anoxie et de l’hyperosmolarité.
Étiologie • Les pertes liquidiennes constituent la principale cause de déshydratation. Diarrhée aiguë : elle représente 90 % des causes de déshydratation aiguë. Dans les pays industrialisés, les diarrhées aiguës sont causées par des virus (rotavirus essentiellement) dans 50 à 60 % des cas et par des bactéries dans 20 à 35 % des cas, rarement par des parasites (voir : Pour approfondir 2). Cependant, l’examen de routine des selles pratiqué dans la plupart des laboratoires de microbiologie, même avec les techniques les plus récentes, ne permet l’identification de l’agent responsable d’une diarrhée que dans deux tiers des cas. Les déshydratations sévères sont beaucoup plus fréquentes lors des diarrhées aiguës virales que lors des diarrhées bactériennes. Les mécanismes exacts des lésions de la muqueuse intestinale, les médiateurs en cause et les facteurs de régénaration font actuellement l’objet de nouvelles approches, dont la résultante est une interruption du cycle entérosystémique de l’eau avec augmentation de la sécrétion et diminution de l’absorption. Dans le cas du rotavirus, la diarrhée est secondaire à la nécrose des cellules absorbantes et s’accompagne d’une sécrétion nette d’eau, de sodium, de potassium, mais aussi de bicarbonates, d’où une acidose métabolique. Dans la majorité des cas, la phase d’état est brève, avec restitutio ad integrum de l’épithélium en 48 à 72 h. Autres causes digestives : d’autres causes digestives sont possibles, tantôt extériorisées (vomissements, aspiration, fistules, stomies), tantôt masquées (occlusion). Il existe alors des pertes en sodium, mais aussi en chlore et en ions H+ d’où la possibilité d’une alcalose hypochlorémique. Pertes cutanées ou pulmonaires : l’hyperthermie et le coup de chaleur entraînent une augmentation des pertes insensibles et des pertes sudorales. En cas de mucoviscidose, les pertes hydriques s’accompagnent d’importantes pertes chloro-sodées. Une situation comparable peut se rencontrer en cas de brûlures étendues, de dermatoses suintantes, d’hyperventilation. Toutes ces situations peuvent entraîner une diminution de la perfusion rénale avec oligurie par insuffisance rénale fonctionnelle (ou « prérénale »). Plus rarement, l’origine de la déshydratation est rénale avec polyurie paradoxale : insuffisance rénale à diurèse conservée, uropathies malformatives avec trouble de 1910
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concentration des urines, diabète insipide néphrogénique, diabète insulinodépendant, hyperplasie congénitale des surrénales. • La déshydratation peut être le fait d’une erreur diététique ou d’une carence d’apport, chez certains enfants négligés ou dans un contexte d’hyperthermie sans hydratation adéquate. • Elle peut enfin être en rapport avec la constitution d’un troisième secteur (péritonite), l’enfant ne semblant pas avoir perdu de poids.
Diagnostic Sémiologie La sémiologie de la déshydratation est relativement facile à reconnaître. • L’interrogatoire recherche les antécédents, précise l’ancienneté des troubles et les modalités diététiques, y compris une éventuelle réhydratation orale. • La perte de poids est le principal symptôme ; elle est estimée sur la base d’une pesée récente ou d’une extrapolation de la courbe de poids du carnet de santé (tableau I). L’examen clinique doit donc toujours commencer par la pesée de l’enfant nu. • L’estimation des pertes liquidiennes est habituellement accessible à l’interrogatoire : diarrhée, vomissements, fièvre. La perte de poids peut cependant être sousestimée en cas de diarrhée non encore extériorisée ; les autres symptômes prennent alors toute leur valeur. • Les signes de déshydratation sont généralement mixtes avec, à divers degrés (fig. 3 et 4) : – des signes de déshydratation extracellulaire : pli cutané, dépression de la fontanelle (à examiner en position semi-assise), hypotonie des globes oculaires, hypotension artérielle, oligurie ; – des signes de déshydratation intracellulaire : soif, sécheresse des muqueuses (langue, face interne des joues), fièvre inexpliquée, somnolence. • Dans tous les cas, il faut savoir reconnaître les signes de gravité : perte de poids supérieure à 10 % du poids du corps ; oligo-anurie (nécessité d’un collecteur d’urines – débit urinaire normal > 1 mL/kg/h) ; fièvre ; polypnée par acidose métabolique ; allongement du temps de recoloration cutanée (> 3 s) ; collapsus (voir : Pour approfondir 3) ; signes neurologiques (agitation, troubles de conscience). Ce tableau était jadis désigné sous le terme de « toxicose ». • Corrélations clinico-biologiques : un prélévement sanguin est réalisé à l’admission pour ionogramme, pH, PCO2, glycémie, calcémie, créatininémie, hémoculture ; selon le contexte : analyse des selles (virologie, bactériologie), uroculture, ponction lombaire. Il existe une corrélation entre l’importance du déficit hydrique et les signes cliniques de déshydratation (tableau I). À cela peuvent s’ajouter d’autres facteurs de risque : dénutrition préalable, infection associée, vomissements, mauvaise fiabilité parentale.
Pédiatrie
TABLEAU I Degré de déshydratation et signes cliniques en fonction de la perte de poids Perte de poids (%)
Déshydratation
Signes cliniques
o 5%
modérée
soif, muqueuses sèches
5-10%
moyenne
fontanelle déprimée, larmes absentes, cernes oculaires
O 10%
sévère
O 15%
risque vital
pli cutané, langue rôtie, oligurie, troubles de conscience hypotension, tachycardie, coma
Les conséquences de toute déshydratation peuvent être majorées par : ❑ la rapidité de la perte de poids ❑ le jeune âge ❑ les pathologies associées
3 Déshydratation sévére chez un nourrisson âgé de 10 mois : persistance d’un pli cutané (cliché du bas) après pincement de la peau de l’abdomen (cliché du haut).
Une glycosurie oriente vers un diabète sucré. Une densité urinaire inférieure à 1,006 avec osmolalité urinaire inférieure à l’osmolalité plasmatique évoque un diabète insipide (central ou néphrogénique). Il peut aussi s’agir d’une tubulopathie (urines hypotoniques), d’une hyperplasie congénitale des surrénales (natriurése élevée, hyperkaliémie, élévation de la 17OH progestérone) ou d’un pseudo-hypoaldostéronisme (primitif ou dans le cadre d’une uropathie).
Traitement d’urgence Les modalités thérapeutiques proposées concernent avant tout la déshydratation par diarrhée aiguë, de loin la plus fréquente, mais peuvent s’appliquer dans leurs grandes lignes à d’autres situations.
4 Cernes oculaires et troubles de conscience débutants chez un nourrisson âgé de 1 an.
Recherche d’une fuite rénale Dans un contexte de déshydratation, il est normal d’observer une diminution de la diurèse ; si ce n’est pas le cas, et notamment si la diurèse reste abondante, il faut évoquer une anomalie rénale. Aussi, le recueil des premières urines émises est-il essentiel, car il permet une étude biochimique et un examen à l’aide d’une bandelette réactive.
Correction d’une hypovolémie en urgence Lorsqu’il existe des signes de gravité et que l’état de l’enfant est inquiétant, sans attendre les résultats biologiques, le remplissage s’impose mais le collapsus rend souvent impossible tout abord veineux périphérique et, plutôt que d’insister, il faut savoir utiliser une voie d’abord d’urgence, telle la voie fémorale ou la voie intra-osseuse (voir : Pour approfondir 4). On utilise pour cela du sérum salé isotonique (chlorure de sodium 0,9 %), sur la base de 20 mL/kg à perfuser en 20 min. Si cela ne suffit pas, il convient d’utiliser un colloïde naturel (albumine à 4 %, 5 à 10 mL/kg) ou de synthèse, type hydroxyéthylamidon
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(Elohes, 5 à 10 mL/kg). Par la suite, l’objectif est de rétablir progressivement l’équilibre du milieu intérieur, tant en termes d’hydratation que d’ajustements électrolytiques, car toute variation brutale peut être délétère. Cela représente un argument majeur en faveur de la réhydratation orale.
La persistance de la diarrhée après réintroduction du lait justifie parfois la prescription d’un aliment lacté sans lactose (Modilac sans lactose, O-Lac) voire d’un hydrolysat de protéines (Pregestimil, Pepti-Junior) chez les petits nourrissons ayant présenté une diarrhée sévère. ■
TABLEAU II Réhydratation
Réhydratation par voie veineuse
1. Par voie orale Dans la majorité des cas, la réhydratation orale représente la meilleure option et, sous réserve du contexte socio-psychologique, l’hospitalisation n’est pas indispensable dans les cas de déshydratation modérée. Même en cas de déshydratation sévère, en milieu hospitalier, la seule limitation de la réhydratation orale tient à sa tolérance digestive (vomissements), qui est généralement maîtrisée si le soluté est proposé à l’enfant par petits volumes répétés (30 à 50 mL par prise) (voir : Pour approfondir 5). Les produits disponibles dérivent de la solution élaborée il y a une trentaine d’années par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la réhydratation lors des épidémies de choléra au Bangladesh.
2. Par voie veineuse Si l’état clinique est préoccupant ou si la réhydratation orale s’avère impossible, inefficace ou insuffisante, la réhydratation par voie veineuse est alors indiquée (tableau III). L’administration de bicarbonate de sodium en cas d’acidose métabolique n’est pas indispensable, car la restauration d’une volémie efficace, en améliorant la perfusion des organes et tissus à l’origine de l’acidose, suffit à corriger progressivement le pH.
La quantité de liquide à perfuser sur 24 h associe 1 / les apports adaptés à l’âge ❑ sérum glucosé à 5 % 100 mL/kg pour les 10 premiers kg de poids théorique 50 mL/kg pour les 10 kg suivants ❑ électrolytes Na 2 à 3 mmol/kg/j K = 2 à 2,5 mmol/kg/j Cl = 3 à 5 mmol/kg/j ❑ calcium gluconate de calcium à 10 % : 1 mL/kg/j Attendre la reprise de diurèse pour prescrire le potassium et le calcium. 2 / la correction de la perte de poids par du sérum salé isotonique (NaCl 0,9 %) ❑ 25 à 50 % de la perte de poids en 4 h (sans tenir compte de l’éventuel remplissage préalable en cas de collapsus) ❑ puis encore 25 à 50 % de la perte de poids sur les 20 h suivantes 3 / si le pH est inférieur à 7,10 ❑ perfusion de bicarbonate de sodium à 1,4 % 12 à 15 mL/kg en 15 à 30 min
3. Cas particuliers La déshydratation hypernatrémique (sodium > 160 mmol/L) : il faut réhydrater l’enfant plus lentement, sur 12 h, en privilégiant, là encore, la voie orale, sous contrôle fréquent de la natrémie afin de ne pas l’abaisser de plus de 1 mmol/L/h. Le cas échéant, il faut aussi corriger une hyperthermie sévère. Dans tous les cas, la réévaluation du poids et de l’examen clinique en cours de réhydratation est essentielle et doit être réalisée au bout de 4 h, puis toutes les 12 h jusqu’à ce que la situation s’améliore franchement.
Traitements associés Les produits antidiarrhéiques ralentisseurs du transit et antisécrétoires n’ont aucune indication. En revanche, les antispasmodiques non anticholinergiques (Spasfon) et certains médicaments de la motricité digestive (Débridat) peuvent être utiles en cas de douleurs abdominales associées. Les antibiotiques ne sont indiqués qu’en cas de salmonellose ou de shigellose. Ainsi, en présence d’une déshydratation aiguë par diarrhée sanglante fébrile, il est licite d’instaurer un traitement par cotrimoxazole (Bactrim) ou ceftriaxone (Rocéphine). 1912
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Points Forts à retenir • Une déshydratation aiguë négligée peut encore de nos jours entraîner rapidement le décès d’un nourrisson ou lui laisser des séquelles, en particulier neurologiques ou rénales. • Le traitement précoce du collapsus est toujours fondamental et souvent suffisant, car il rétablit la perfusion rénale et permet ainsi la correction des anomalies métaboliques. • La réhydratation orale est la meilleure option dans les déshydratations aiguës par diarrhée. Il ne faut pas donner d’eau plate, mais seulement un produit de réhydratation destiné à cet effet. La réalimentation doit ensuite être précoce, les laits de régime ne se justifiant que dans certains cas particuliers. • L’hospitalisation n’est pas toujours indispensable, mais elle s’impose si la perte de poids est importante ou si l’environnement familial est mal adapté à un traitement ambulatoire (compréhension, éloignement).
Pédiatrie
POUR APPROFONDIR 1 / Déshydratation aiguë dans les pays en développement
4 / La voie intra-osseuse est de réalisation facile et peut sauver un nourrisson
Dans les pays en développement, le taux de mortalité des enfants d’âge préscolaire est 30 à 50 fois plus élevé que dans les pays industrialisés. Selon l’Unicef, 40 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque jour, dont 19 % par diarrhée, ce qui représente 2,5 millions de jeunes enfants par an !
• Site de ponction : extrémité supérieure du tibia, 2 cm au-dessous de la tubérosité tibiale antérieure au centre de la face antéro-interne du tibia. • Matériel : des aiguilles conventionnelles peuvent étre utilisées, de préférence une grosse épicranienne, pour permettre un débit suffisant. • Inconvénients : débit parfois faible, risque infectieux mineur (ostéomyélite 0,6 %). • Avantages : toujours possible et efficace, elle permet d’administrer des solutions, des produits sanguins, des médicaments, mais aussi de prélever du sang médullaire pour estimer la glycémie, l’hématocrite, le pH veineux, et de déterminer le groupage.
2 / Principaux agents pathogènes responsables de diarrhées aiguës et fréquence approximative Virus (50-60 %)
Bactéries (20-35 %)
• Rotavirus (20-60)* • Adénovirus (2-8) • Astrovirus (0,9)** • Entérovirus (0,8) • Calicivirus (0,2)** • Agents de Norwalk** • Coxsackie
Parasites (< 5 %)
• Campylobacter • Giardia, Lamblia jejuni (6-8) (1-2) • Salmonella spp. (3-7) • Cryptosporidium (0-2) • Escherichia coli (2-5)*** • Shigella spp. (1-3) • Yersinia enterocolitica (1-2) • Aeromonas hydrophilia (0-2) • Citrobacter freundii (0-2) • Vibrio choleræ
* Le rotavirus Il occupe une place prépondérante dans les diarrhées aiguës sévères du nourrisson, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. En France, il est identifié dans 80 % des cas nécessitant l’hospitalisation. La mortalité qui s’ensuit chaque année correspond à 30 à 40 cas en France et environ 600 000 cas à travers le monde. Un vaccin est actuellement à l’essai. ** Les small round viruses (SRV) Ce groupe de virus inclut les astrovirus, les calicivirus et les agents de Norwalk. Ils sont responsables d’épidémies hivernales et produisent des diarrhées de courte durée (24 à 48 h) et habituellement de faible intensité. *** Escherichia coli Ils sont classés en 5 sous-groupes selon leur mécanisme d’action : – E. coli entéropathogène : épidémies de gastro-entérites, diarrhée par malabsorption aiguë ; – E. coli entérotoxinogène : colonisent la surface des entérocytes et sécrètent des toxines (« turista ») ; – E. coli entéro-agrégeant : entérotoxine thermorésistante responsable d’une diarrhée chronique ; – E. coli entéro-invasif : rares en Europe, similitudes avec Shigella, syndrome dysentérique ; – E. coli entérohémorragique : colites hémorragiques, syndrome hémolytique et urémique.
5 / Produits pour réhydratation orale • Mode d’emploi : diluer le contenu du sachet-dose dans 200 mL d’eau faiblement minéralisée. Administrer par voie orale, à température ambiante. Ne pas ajouter de sucre ni de sel. La préparation doit être conservée au réfrigérateur et utilisée dans les 24 h. • Posologie : administrer la solution reconstituée en fonction des besoins hydriques de l’enfant dès l’apparition de la diarrhée ou des signes de déshydratation. Si l’enfant est allaité au sein, l’allaitement est maintenu pendant la période de réhydratation. Le principe de cette réhydratation consiste à présenter le biberon à l’enfant toutes les 15 à 30 min et à administrer durant les 3 ou 4 premières heures : – 30 à 50 mL/kg si la perte de poids est inférieure à 5 % ; – 50 à 100 mL/kg si la perte de poids représente 5 à 10 % du poids ; – 100 à 150 mL/kg si la perte de poids excède 10 %. La reprise de l’alimentation se fera ensuite le plus rapidement possible à l’aide d’un régime adapté. • Produits : Adiaril, Alhydrate, Lytren, Milupa GES 45. Conditionnement de 10 à 15 sachets-doses. Valeur énergétique : 32 à 64 kcal par sachet-dose. Composition moyenne recommandée : – glucose : 90 mmol/L ; – sodium : 60 mmol/L ; – potassium : 20 mmol/L ; – citrate : 10 mmol/L ; – osmolalité : 240 mOsm/kg. Aucun de ces produit n’est remboursé.
POUR EN SAVOIR PLUS But JP. Diarrhées aiguës et déshydratations. In : Senterre J, Eeckels R (eds). Pédiatrie. Louvain : Capita Selecta, Garant, 1996 : 204-17. Huault G. Soins intensifs médicaux et chirurgicaux du nourrisson et de l’enfant. In : Sizonenko PC, Griscelli C (eds). Précis de pédiatrie. Lausanne : Payot ; Paris : Doin, 1996 : 1378-433.
3 / Hémodynamique chez le nourrisson
Murphy MS. Guidelines for managing acute gastroenteritis based on a systematic review of published research. Arch Dis Child 1998 ; 79 : 279-84.
Les valeurs normales de la fréquence cardiaque (FC) et des pressions artérielles systolique (PAS) et diastolique (PAD) chez le nourrisson sont les suivantes :
Produits pour réhydratation orale. GNP Encyclopédie Pratique du Médicament. Paris : Éditions du Vidal, 1999.
Âge (mois)
FC (batt/min)
PAS (mmHg)
PAD (mmHg)
6 12
135 w 35 120 w 30
80 w 20 90 w 15
55 w15 55 w 15
En cas d’hypovolémie, la chute de pression artérielle est plus tardive chez l’enfant que chez l’adulte. En revanche, la tachycardie et les troubles de conscience sont fréquents et précoces.
Recommandations pour la pratique clinique. Remplissage vasculaire au cours des hypovolémies relatives ou absolues. Rean Urg 1997 ; 6 (3 bis) : 331-430. Sandhu BK, Isolauri E, Walker-Smith JA et al. Early feeding in childhood gastroenteritis. A multicentre study on behalf of the European Society of Paediatric Gastroenterology and Nutrition working group on acute diarrhoea. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1997; 24: 522-7
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Pédiatrie B 253
Détresse respiratoire du nouveau-né Diagnostic, traitement d’urgence DR Bernard THÉBAUD, PR Thierry LACAZE-MASMONTEIL Service de pédiatrie et de réanimation néonatale, hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart Cedex.
TABLEAU I
Points Forts à comprendre
Score de Silverman • La pathologie respiratoire chez le nouveau-né, surtout prématuré, est très fréquente. Elle est due à des difficultés d’adaptation à la vie en milieu aérique en rapport avec une immaturité (maladie des membranes hyalines, détresse respiratoire transitoire), une pathologie acquise (inhalation méconiale, infection), ou une malformation (hernie diaphragmatique congénitale...). Il s’agit d’une urgence vitale. Le risque majeur des détresses respiratoires néonatales (DRNN) est l’hypoxémie qui peut entraîner des séquelles neurologiques définitives. Cela souligne l’importance considérable du dépistage et du traitement précoce de ces détresses respiratoires. • La démarche devant une détresse respiratoire néonatale ne souffre aucune improvisation. Elle doit être parfaitement codifiée : reconnaître la détresse respiratoire, rechercher les signes de gravité, restaurer le plus rapidement une hématose correcte avant de faire un diagnostic étiologique précis (et donc avant tout examen complémentaire) et d’appliquer alors le traitement spécifique.
Diagnostic positif Inspection Le diagnostic d’une détresse respiratoire néonatale est essentiellement un diagnostic d’inspection et n’offre guère de difficultés. L’enfant est observé en incubateur, au calme (si possible, avec une mesure continue de la saturation par oxymétrie de pouls). Les principaux signes sont : • les signes de lutte respiratoire : codifiés par Silverman (tableau I). La cotation de Silverman permet de quantifier la gravité d’une détresse respiratoire, et de suivre son évolution. Lorsque la respiration est strictement normale, le total du score est nul. Lorsque l’enfant est en détresse,
0
1
2
Battement des ailes du nez
absent
modéré
marqué
Geignement expiratoire
absent
audible au stéthoscope
audible à l’oreille
Entonnoir xiphoïdien
absent
modéré
marqué
Ampliation thoracique
bonne
mal synchronisée
balancement thoracoabdominal
Tirage intercostal
absent
modéré
marqué
Chaque signe est coté de 0 à 2 selon son importance. Le score est de 0 s’il n’y pas de détresse respiratoire. Le score est d’autant plus élevé (maximum 10) que les signes de rétraction sont intenses
le total des 5 signes augmente avec la sévérité de la maladie. Ces signes sont plus précoces et marqués chez le prématuré ; • la coloration : cyanose localisée (péribuccale, unguéale) ou généralisée. Elle est à interpréter en fonction de l’hémodynamique périphérique et du chiffre d’hémoglobine (aspect cyanique des polyglobulies). Une cyanose d’origine respiratoire doit s’améliorer sous oxygénothérapie. L’absence d’amélioration malgré l’oxygénothérapie signe une hypoxémie réfractaire. Un teint gris signe une hypercapnie ou des troubles hémodynamiques associés ; • la fréquence et le rythme respiratoires : la fréquence normale pour un nouveau-né à terme dans les premières heures de vie est inférieure à 40/min. Une tachypnée peut dépasser 100 cycles respiratoires/min. L’ampliation thoracique est alors très superficielle. Une bradypnée, parfois associée à des « gasps », est un signe de grande
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DÉTRESSE RESPIRATOIRE DU NOUVEAU-NÉ
gravité. Le rythme peut être régulier, ou irrégulier, entrecoupé de pauses (arrêts respiratoires pendant moins de 15 s) ou d’apnées (pauses respiratoires de durée supérieure à 15 s ou s’accompagnant de cyanose et bradycardie).
Le reste de l’examen clinique doit être rapide • Auscultation du thorax : le murmure vésiculaire est normalement symétrique, les bruits du cœur en place. L’auscultation recherche des râles, une disparition du murmure vésiculaire, un déplacement médiastinal. • Sur le plan hémodynamique : toute détresse respiratoire peut avoir un retentissement hémodynamique. On doit donc contrôler le temps de recoloration cutanée (normal inférieur à 3 s), la bonne perception des pouls périphériques, la tension artérielle (chiffres à interpréter en fonction de l’âge gestationnel et de l’âge réel du nouveau-né). • État neurologique : un enfant en détresse est souvent fatigué, hypotonique, hyporéactif, si bien que l’examen neurologique est d’interprétation délicate : il doit donc être recontrôlé ultérieurement lorsque la situation respiratoire est améliorée.
Diagnostic de gravité Les signes de gravité permettent d’orienter la prise en charge thérapeutique. Il convient de rechercher : un score de Silverman > 4 ou 5, une cyanose, des signes d’épuisement (bradypnée, irrégularité du rythme respiratoire, apnées multiples, gasps), des troubles hémodynamiques (pâleur, tachycardie, hypotension), des troubles neurologiques (prostration, aréactivité). Ils justifient une prise en charge immédiate de la ventilation d’abord manuelle (masque et Ambu) puis mécanique après intubation endotrachéale.
Diagnostic étiologique On peut schématiquement classer les détresses respiratoires néonatales en causes pulmonaires « non malformatives » et en causes pulmonaires « malformatives » (résumées dans le tableau II). Les cardiopathies et les maladies neurologiques et musculaires font également partie des causes à évoquer devant une détresse respiratoire. Une description plus détaillée des détresses respiratoires néonatales les plus courantes est donnée dans le chapitre « Traitements spécifiques des détresses respiratoires les plus courantes ».
TABLEAU II Causes des détresses respiratoires néonatales Causes pulmonaires non malformatives
Cardiopathies
❑ maladie des membranes hyalines ❑ détresse respiratoire transitoire ❑ inhalation de liquide amniotique clair ou méconial ❑ infection pulmonaire ❑ épanchement gazeux ou liquide intrathoracique
❑ transposition non corrigée des gros vaisseaux ❑ obstacles sur la voie pulmonaire (tétralogie de Fallot à petites branches artérielles pulmonaires ; atrésie pulmonaire ; sténose pulmonaire à septum interventriculaire intact). Atrésie tricuspide, anomalie d’Ebstein ❑ insuffisance cardiaque – hypoplasie du cœur gauche, obstacle sur la voie gauche (coarctation, interruption de l’arche) – retour veineux pulmonaire anormal – canal atrioventriculaire, tronc commun, ventricule unique, ventricule droit à double issue – tachycardie supraventriculaire – fistule artérioveineuse cérébrale
Causes malformatives ❑ malformations non respiratoires – hernie diaphragmatique – atrésie de l’œsophage – dystrophie thoracique asphyxiante de Jeune ❑ malformations de la partie haute de l’arbre aérien – syndrome de Pierre Robin – atrésie des choanes – anomalie laryngée – anomalie trachéale ❑ malformations bronchopulmonaires – emphysème lobaire géant – agénésie et hypoplasie pulmonaire – kyste bronchogénique – séquestration pulmonaire – lymphangiectasies pulmonaires congénitales – syndrome d’immotilité ciliaire
Autres causes d’insuffisance respiratoire ❑ affections neuromusculaires maladie de Werdnig-Hoffmann, maladie de Steinert, myopathies ❑ atteintes médullaires ou radiculaires paralysie phrénique traumatique ❑ atteintes cérébrales – souffrance fœtale anoxique – médicaments sédatifs administrés à la mère durant l’accouchement – syndrome d’Ondine – apnées idiopathiques du prématuré Maladies métaboliques héréditaires
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Pédiatrie
Anamnèse L’anamnèse précise rapidement les antécédents familiaux (une consanguinité peut orienter vers une maladie métabolique), le déroulement de la grossesse (âge gestationnel, malformation dépistée à l’échographie anténatale), les circonstances d’accouchement (une fièvre maternelle et des germes au prélèvement vaginal orientent vers une infection maternofœtale) et de naissance (accouchement par voie basse ou césarienne, un liquide amniotique méconial oriente vers un syndrome d’inhalation, un score d’Apgar bas vers une anoxie).
Signes cliniques La dissociation des signes respiratoires permet dans certains cas d’orienter le diagnostic étiologique. Par exemple : – un geignement précoce avec augmentation progressive des besoins en O2 doit faire suspecter une maladie des membranes hyalines ou une infection ; – une cyanose à une heure de vie sans polypnée oriente plutôt vers une cardiopathie congénitale cyanogène ; – une polypnée superficielle sans signe de lutte fait penser à une maladie métabolique.
Examens complémentaires Les examens complémentaires doivent être réduits au strict minimum. Ils doivent être réalisés rapidement, mais seulement après avoir commencé un traitement symptomatique de la détresse respiratoire.
1. Radiographie du thorax Elle est indispensable, et doit être réalisée avec un appareil mobile, sans transporter l’enfant, ni modifier son oxygénothérapie. L’interprétation des clichés ne peut être faite que si la technique de prise radiographique est parfaite : cliché de face, pris en fin d’inspiration, avec une bonne pénétration. L’image thoracique normale correspond à un aspect triangulaire du thorax, avec des arcs antérieurs des premières côtes symétriques par rapport au rachis, des coupoles diaphragmatiques situées au niveau de l’arc postérieur des 8es côtes, un index cardiothoracique à 0,50. La transparence des 2 champs pulmonaires doit être symétrique, de tonalité aérique, et il doit exister de l’air dans l’abdomen. Les parties molles et les structures osseuses doivent être analysées. On vérifie toujours la position des prothèses (sondes d’intubation, sondes gastriques, cathéter...). Les anomalies radiographiques observées au cours des détresses respiratoires seront fonction des différentes causes. Une bonne connaissance de l’anamnèse, un examen clinique rapide mais soigneux et une radiographie du thorax de bonne qualité suffisent pour porter un diagnostic étiologique. Il est exceptionnel qu’à ce stade, il soit nécessaire de réaliser des examens complémentaires plus sophistiqués à visée étiologique.
2. Gaz du sang Ils n’apportent pas de renseignements diagnostiques. Les gaz du sang (et le monitorage non invasif : oxymétrie de pouls, PO2 et PCO2 transcutanées) permettent d’adapter l’oxygénothérapie. Le prélèvement est réalisé de préférence en sang artériel, et interprété en fonction de la fraction en oxygène de l’air inspiré (FIO2). La pression partielle d’oxygène dans le sang artériel (PaO2) normale est située entre 70 et 80 mmHg (9,3 à 10,6 Kpa). La PCO2 normale est située entre 35 et 45 mmHg (4,7 à 6 Kpa). Le pH normal est situé entre 7,35 et 7,40. Le base excess (BE) calculé est entre – 5 et 0. En cas de détresse respiratoire néonatale, toutes les situations sont possibles : gaz normaux, acidose gazeuse ou métabolique.
3. Autres examens Peu d’examens sont nécessaires soit au diagnostic étiologique, soit à la surveillance de l’enfant : dextrostix, groupe sanguin, Rhésus, Coombs direct, numération formule sanguine, plaquettes, CRP (protéine C-réactive), prélèvements bactériologiques centraux et périphériques. D’autres examens sont pratiqués en fonction de l’état clinique (bilirubine, hémostase, glycémie, calcémie...).
Diagnostic différentiel Les manifestations respiratoires ne sont pas toujours dues, chez le nouveau-né, à une détresse d’origine pulmonaire. Certaines manifestations de types respiratoires doivent faire évoquer certains diagnostics différentiels : • Une cyanose : avant tout, une cardiopathie congénitale malformative. C’est notamment le cas des cardiopathies cyanogènes, où la cyanose profonde et réfractaire peut s’associer à une polypnée d’acidose sans signe de lutte. Plus rarement, il faut penser à une polyglobulie ou encore une méthémoglobinémie. • Une polypnée : une acidose en rapport avec une souffrance fœtale aiguë avec anoxie ou une maladie métabolique de révélation précoce : hypoglycémie, acidose lactique ou non par anomalie héréditaire du métabolisme des acides aminés ou des sucres. • Des apnées isolées : des convulsions, un début d’infection, une entérocolite, une intoxication médicamenteuse (dépression respiratoire d’origine centrale après anesthésie générale de la mère).
Traitement Traitement symptomatique en urgence Toute détresse respiratoire néonatale impose de mettre rapidement en œuvre une série de mesures permettant
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d’éviter le retentissement cérébral d’une anoxie ou d’une asphyxie prolongée. Ces mesures doivent intervenir immédiatement après avoir reconnu et apprécié la gravité de la détresse respiratoire et avant tout examen complémentaire. Tous les soins doivent être réalisés avec douceur et en respectant les règles d’asepsie. Ils comportent : – une désobstruction rhinopharyngée ; – la mise en place d’une sonde gastrique par voie buccale permettant l’évacuation de l’estomac ; – une surveillance électronique par monitorage cardiorespiratoire continu obligatoire ; – la mise en incubateur ou sur lit radiant, quel que soit le poids du nouveau-né : cela permet de maintenir une température normale, et de réaliser une surveillance clinique continue ; – une voie d’abord veineuse pour apporter de l’eau, du glucose, des électrolytes et des médicaments. La mise en place d’un cathéter artériel par voie ombilicale ne doit être réalisée qu’en centre spécialisé ; – oxygénothérapie : par l’intermédiaire d’une enceinte en plastique rigide placée autour de la tête de l’enfant ou « Hood » : cette technique permet l’apport continu d’O2. Une surveillance de la saturation par oxymétrie de pouls et (ou) de la PO2 et de la PCO2 transcutanées permet d’adapter la fraction en oxygène de l’air inspiré aux besoins de l’enfant et d’éviter l’hyperoxie néfaste chez le grand prématuré (facteur de risque de la rétinopathie du prématuré ou fibroplasie rétrolentale). De plus en plus souvent, l’oxygénothérapie avec Hood tend à être remplacée par l’institution précoce d’une pression positive continue (PPC) réalisée avec une sonde d’intubation nasale (pression positive continue nasale) ou plus récemment le système « Infant Flow ». L’avantage de ces techniques par rapport au Hood est d’éviter de façon non invasive le collapsus alvéolaire, de favoriser le rapport ventilation/perfusion et de diminuer le travail respiratoire ; – en présence de signes de gravité ou si la détresse respiratoire s’aggrave malgré la pression positive continue, la ventilation artificielle après intubation endotrachéale s’impose. Tout enfant en détresse respiratoire doit être transféré en unité de néonatologie-soins intensifs par l’intermédiaire d’un SMUR pédiatrique. Actuellement, la mise en place de réseaux régionaux facilite le transfert des grossesses à risque in utero, c’est-à-dire avant l’accouchement, afin que le nouveau-né et sa mère puissent bénéficier d’une prise en charge dans un centre disposant d’un plateau technique approprié.
Traitements spécifiques des détresses respiratoires les plus courantes 1. Maladie des membranes hyalines (MMH) • Définition : elle est due à un déficit fonctionnel en surfactant pulmonaire, complexe phospholipidique et protéique fabriqué par le pneumocyte II dans les dernières semaines de la gestation et nécessaire à la 2312
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1 Radiographie de thorax caractéristique d’une maladie des membranes hyalines. Syndrome alvéolaire bilatéral homogène avec bronchogramme aérique. Faible expansion thoracique.
création et au maintien d’une capacité résiduelle fonctionnelle. La fréquence de ce déficit est proportionnelle au degré de prématurité. Le poumon est peu compliant et le siège d’atélectasies étendues responsables d’un effet shunt intrapulmonaire important et d’une hypoxémie sévère. • Diagnostic : la maladie des membranes hyalines est marquée par une détresse respiratoire précoce, s’aggravant pendant les 24 premières heures, en « plateau » pendant 2 jours, puis par une amélioration rapide (« virage ») vers la 72e heure de vie. Radiologiquement, il existe un réticulogranité diffus, bilatéral, dessinant les contours d’un bronchogramme aérique (syndrome alvéolaire) avec une diminution de l’ampliation thoracique (fig. 1). • Traitement : il est d’abord prophylactique : en accélérant la maturation pulmonaire, l’administration de glucocorticoïdes à la mère en menace d’accouchement prématuré diminue d’environ 50 % l’incidence de la maladie des membranes hyalines. Le traitement curatif a recours à la ventilation mécanique conventionnelle avec une pression expiratoire positive (permettant d’éviter le collapsus alvéolaire), à l’oxygénothérapie contrôlée, et à l’administration intratrachéale de surfactants exogènes d’origine animale ou artificiels. Les surfactants exogènes ont révolutionné la prise en charge de la maladie des membranes hyalines : ils ont permis de réduire la mortalité de 40 % et la survenue des pneumothorax de 70 %. Actuellement, les indications des surfactants exogènes s’étendent également aux déficits secondaires – acquis – en surfactant chez le nouveau-né à terme. En effet, le surfactant peut être inactivé au cours de diverses pathologies respiratoires néonatales comme l’alvéolite infectieuse, l’inhalation méconiale, ou l’hémorragie pulmonaire. • Complications : – les barotraumatismes : emphysème interstitiel, pneumomédiastin, pneumothorax, dont la fréquence a diminué avec l’utilisation des surfactants exogènes ;
Pédiatrie
– chez le grand prématuré (âge gestationnel < 32 semaines d’aménorrhée) : la persistance du canal artériel (souffle systolodiastolique, hyperpulsabilité artérielle, pression artérielle diastolique basse, œdème pulmonaire), confirmée par l’échocardiographie, accessible à un traitement médical (inhibiteur de la synthèse des prostaglandines) ou chirurgical (ligature) ; – toujours chez le grand prématuré : la dysplasie bronchopulmonaire (DBP), pathologie respiratoire secondaire définie par la persistance de besoins en oxygène ou d’une assistance respiratoire après 28 jours de vie et (ou) 36 semaines d’âge corrigé. Sa physiopathologie est multifactorielle : chorioamniotite, immaturité pulmonaire, toxicité de l’oxygène, barotraumatismes liés à la ventilation assistée, surinfections respiratoires, poussée d’œdème pulmonaire favorisée par la persistance du canal artériel. L’avènement des surfactants exogènes a peu modifié l’incidence de la dysplasie bronchopulmonaire, mais en a diminué la gravité. Dans certaines circonstances, une corticothérapie peut être proposée en vue de favoriser l’extubation.
2. Détresse respiratoire transitoire (DRT) • Définition : elle est en rapport avec un trouble de résorption du liquide pulmonaire qui est normalement présent dans les alvéoles du fœtus pendant la vie intrautérine. On l’observe plus souvent en cas d’accouchement par césarienne. Elle peut survenir quel que soit le terme, mais plus fréquemment chez le prématuré. • Diagnostic : la détresse respiratoire est généralement peu importante, surtout marquée par une tachypnée, et s’améliore en quelques heures. La radiographie montre un poumon « humide » (opacités liquidiennes alvéolaires puis interstitielles). • Traitement : en général, une oxygénothérapie simple sous Hood ou avec pression positive continue nasale est suffisante. Le pronostic est en règle rapidement favorable en moins de 24 h.
3. Syndromes d’inhalation • Définition : ils sont dus à la survenue de mouvements respiratoires au moment de la naissance, provoqués par une anoxie fœtale, entraînant la pénétration de liquide amniotique plus ou moins teinté de méconium dans les poumons. • Diagnostic : les tableaux cliniques sont variables, depuis la détresse respiratoire minime (simple polypnée) jusqu’à la défaillance polyviscérale témoignant d’une anoxie très sévère. La radiographie montre typiquement une distension thoracique avec une alternance irrégulière de zones atélectasiées et de zones d’emphysème obstructif (fig. 2). • Traitement : le traitement préventif consiste dès la naissance, en présence de signes de souffrance fœtale aiguë avec liquide amniotique d’aspect méconial, en une aspiration bucco-pharyngée lorsque la tête est à la vulve, et en une désobstruction pharyngée suivie d’une intubation endotrachéale la plus précoce afin d’aspirer les
2 Radiographie de thorax caractéristique d’une inhalation méconiale. Opacités alvéolaires nodulaires à limite floue, zones d’atélectasie localisées et dispersées irrégulièrement dans les 2 poumons et zones claires d’emphysème obstructif.
sécrétions trachéales et d’empêcher la survenue d’une maladie respiratoire grave. En cas de naissance en état de mort apparente, l’aspiration trachéale après intubation doit précéder toute tentative de ventilation. Sinon, le tableau une fois constitué nécessite de recourir à la ventilation mécanique. En fonction de la gravité de la pathologie respiratoire, la prise en charge sera plus ou moins lourde (Hood, intubationventilation artificielle, surfactant exogène...). Les complications redoutées sont le pneumothorax, l’hypoxémie réfractaire, et les complications en rapport avec l’anoxie : encéphalopathie anoxo-ischémique, hépatopathie et néphropathie postanoxiques. Le pronostic dépend moins de la gravité de la maladie respiratoire que de la sévérité de l’anoxie cérébrale.
4. Alvéolite infectieuse (ou « pneumonie » du nouveau-né) • Définition : L’alvéolite infectieuse constitue l’une des localisations fréquentes de l’infection maternofœtale, le plus souvent à streptocoque B. Elle peut être isolée ou associée à un déficit en surfactant pulmonaire par immaturité (prématurité) ou un syndrome d’inhalation. • Diagnostic : elle doit être systématiquement évoquée devant toute détresse respiratoire, chez le prématuré comme chez le nouveau-né à terme, même en l’absence de toute anamnèse infectieuse. • Traitement : l’antibiothérapie doit rester systématique devant toute détresse respiratoire chez le nouveau-né. Le traitement est sinon symptomatique : oxygène sous Hood, pression positive continue, ventilation mécanique, selon le degré de gravité.
5. Pneumothorax Il peut être spontané (souvent révélateur d’un syndrome d’inhalation méconnu), ou survenir au cours d’une ventilation mécanique (fig. 3).
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DÉTRESSE RESPIRATOIRE DU NOUVEAU-NÉ
3 Radiographie de thorax caractéristique de pneumo-
4 Radiographie de thorax caractéristique de hernie diaphrag-
thorax gauche. Épanchement gazeux hyperclair à gauche refoulant le médiastin du côté opposé.
matique congénitale gauche. Présence de clartés digestives dans la cavité thoracique gauche refoulant le médiastin du côté droit. Sur ce cliché, l’estomac est intra-abdominal.
• Diagnostic : cliniquement, en dehors de la détresse respiratoire, il peut être suspecté sur l’abolition du murmure vésiculaire, le déplacement des bruits du cœur controlatéral, la distension abdominale. Le diagnostic est aisément confirmé par la transillumination ou par la radiographie du thorax (lame d’air plus ou moins importante refoulant le parenchyme pulmonaire, fig. 4). • Traitement : il dépend du degré de tolérance : il va de la simple surveillance dans les formes mineures jusqu’à l’exsufflation à l’aiguille ou au drainage thoracique urgent en cas de pneumothorax suffocant.
Diagnostic: la détresse respiratoire est le plus souvent d’emblée majeure dès la naissance. Le diagnostic clinique repose sur la triade classique : abolition du murmure vésiculaire à gauche, refoulement des bruits du cœur vers la droite et abdomen plat. La radiographie confirme le diagnostic en montrant la présence d’anses intestinales dans l’hémithorax gauche (fig. 4). Traitement : l’intubation doit être la plus précoce pour éviter la ventilation au masque responsable d’une dilatation des anses digestives intrathoraciques. Le traitement chirurgical n’est plus une urgence. Le nouveau-né est d’abord transféré en réanimation pour stabilisation préopératoire (3 à 10 j en moyenne) comprenant la plupart du temps une prise en charge lourde (ventilation à haute fréquence, NO inhalé, surfactant exogène). Le pronostic dépend de la qualité des soins périopératoires, et du degré de l’hypoplasie pulmonaire associée. • Atrésie de l’œsophage Définition : c’est l’interruption de la continuité de l’œsophage, le plus souvent au niveau thoracique avec fistule de l’extrémité inférieure dans la trachée (type III). Diagnostic : évoquée en cas d’hydramnios non expliqué, (passage d’une sonde gastrique et auscultation abdominale lors de l’injection d’air). La radiographie du thorax (sonde s’enroulant au niveau de D2-D3) confirme le diagnostic. Si celui-ci est méconnu, les conséquences respiratoires (par inhalation de salive ou régurgitations de liquide gastrique dans les poumons) peuvent retarder le traitement chirurgical et grever le pronostic respiratoire. Traitement : la prise en charge comprend la position en proclive et l’aspiration continue du cul-de-sac œsophagien supérieur en attendant la chirurgie. Le pronostic dépend essentiellement de la précocité du diagnostic, du poids de l’enfant, et d’éventuelles malformations associées (vertèbres, cœur, reins). • Atrésie des choanes Définition : obstruction uni- ou bilatérale de la partie nasale des voies aériennes supérieures, elle est responsable d’accès de cyanose disparaissant au cri.
6. Apnées du prématuré Elles sont de survenue inopinée, et peuvent entraîner bradycardie et hypoxémie sévères. Elles sont parfois favorisées par une hypothermie, une hypoglycémie, une anémie, ou une hypoxémie chronique. Rarement, elles sont le signe avant-coureur d’une surinfection ou d’une entérocolite ulcéronécrosante. Cependant, ces causes sont toujours à évoquer avant d’attribuer l’apnée à la prématurité. Les traitements proposés sont la prescription des dérivés xanthiques (caféine ou théophylline), le doxapram et le recours à une pression positive continue (PPC) ou à une ventilation nasale. Le pronostic de ces apnées est bon, car les anomalies de la commande respiratoire disparaissent en général au fur et à mesure de la maturation.
7. Détresses respiratoires d’origine malformative Elles requièrent le plus souvent un traitement chirurgical, mais nécessitent toujours la même attitude symptomatique pour prévenir l’anoxie cérébrale. • Hernie diaphragmatique congénitale Définition : il existe une solution de continuité d’une partie de la coupole diaphragmatique (le plus souvent gauche) entraînant la pénétration des organes dans la cavité thoracique. Le diagnostic est le plus souvent anténatal (échographie). 2314
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Pédiatrie
Diagnostic : cette malformation est systématiquement dépistée en salle de naissance : au cours de l’aspiration naso-pharyngée, la sonde bute à environ 1 à 2 cm de l’orifice des narines. Un scanner des choanes permet au mieux d’apprécier les caractéristiques anatomiques de cette malformation. Traitement : le traitement à la naissance est la mise en place d’une canule de Mayo pour permettre une respiration buccale et la position ventrale. Le traitement ultérieur fait appel à la chirurgie ORL. • Syndrome de Pierre Robin Définition : il associe micrognatisme, fente palatine et glossoptose. Traitement : la symptomatologie respiratoire est en partie due à la chute postérieure de la langue et en partie d’origine centrale : elle peut être améliorée par la position ventrale et le maintien de la perméabilité pharyngée à l’aide d’une sonde d’intubation oropharyngée ou d’une canule de Mayo. ■
Points Forts à retenir • Définition : difficultés respiratoires survenant avant l’âge de 28 jours. • Principale cause de mortalité et de morbidité néonatales. • Il s’agit d’une urgence diagnostique et thérapeutique vitale. • La prise en charge d’une détresse respiratoire néonatale impose de poursuivre rapidement et dans cet ordre 3 objectifs : – reconnaître et apprécier la gravité de la détresse respiratoire du nouveau-né; – assurer le traitement symptomatique des perturbations induites ou associées à la détresse respiratoire du nouveau-né ; – faire le diagnostic étiologique, conduisant à un geste thérapeutique spécifique immédiat. • Toute détresse respiratoire chez un nouveau-né à terme doit être considérée comme une infection jusqu’à preuve du contraire et donc bénéficier d’une antibiothérapie • La meilleure prise en charge est la prévention en assurant une continuité obstétrico-pédiatrique des soins : – organisation de soins périnatals en réseau pour les grossesses à risque (diagnostic anténatal, transfert in utero) ; – corticothérapie anténatale en cas de risque d’accouchement prématuré ; – antibiothérapie maternelle adaptée en cas de suspicion de chorioamniotite ; – prévention de la souffrance fœtale aiguë ; – prise en charge du nouveau-né en détresse sur le site de naissance par un pédiatre de maternité formé.
POUR APPROFONDIR Physiopathologie des détresses respiratoires néonatales et de l’hypoxémie réfractaire Rapport ventilation-perfusion
Une hématose optimale suppose un parfait équilibre entre la ventilation alvéolaire et la perfusion pulmonaire. Dans les conditions normales, ce rapport ventilation (VA)/perfusion (Q) est égal à 1. Toute perturbation du rapport VA/Q sera à l’origine d’une détresse respiratoire.
Vasoconstriction pulmonaire hypoxique baisse de la PaO2
Déviation du sang vers les zones correctement ventilées
En regard des zones présentant une anomalie de la ventilation alvéolaire, le poumon génère une vasoconstriction pulmonaire hypoxique visant à orienter le sang des zones pulmonaires mal ventilées vers les zones pulmonaires correctement ventilées. Cet effet shunt améliore le rapport VA/Q et ainsi l’oxygénation. En cas de perturbations profondes et étendues des anomalies de ventilation, il résulte une hypertension artérielle pulmonaire. VA : ventilation alvéolaire ; PaO2 : pression partielle en oxygène dans le sang artériel ; QS : débit de shunt ; QT : débit pulmonaire total.
Physiopathologie de la maladie des membranes hyalines
Collapsus alvéolaire par déficit en surfactant
Collapsus alvéolaire dû à un déficit en surfactant.
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DÉTRESSE RESPIRATOIRE DU NOUVEAU-NÉ
POUR APPROFONDIR (SUITE) Physiopathologie de l’inhalation méconiale
Bouchon méconial Atélectasie pulmonaire ± désactivation du surfactant
Mécanisme d’action du NO inhalé Le traitement du syndrome d’HTAPPN est difficile. Associé au traitement étiologique de la maladie respiratoire sous-jacente, la prise en charge de ce syndrome a largement bénéficié de la découverte du monoxyde d’azote (NO). Administré par voie respiratoire, le NO est un puissant vasodilatateur pulmonaire sélectif, permettant de réduire le shunt extra- et intrapulmonaire et d’améliorer l’oxygénation.
La physiopathologie de l’inhalation méconiale peut associer plusieurs mécanismes : obstruction bronchique et collapsus alvéolaire par destruction secondaire du surfactant par le méconium.
Physiopathologie de l’hypertension artérielle pulmonaire persistante du nouveau-né et de l’hypoxémie réfractaire Représentation schématique de l’effet vasodilatateur pulmonaire sélectif du NO inhalé. Administré par voie respiratoire, le NO est délivré directement au niveau de son site d’action. Le NO est rapidement inactivé par l’hémoglobine, confinant son effet vasodilatateur au lit vasculaire pulmonaire sans effet délétère sur la circulation systémique.
Le syndrome d’hypertension artérielle pulmonaire persistante du nouveau-né est une complication évolutive possible de toutes les maladies respiratoires néonatales. La circulation fœtale est caractérisée par une hématose placentaire, des résistances vasculaires pulmonaires (RVP) élevées et un shunt droite-gauche – par le foramen ovale et le canal artériel – nécessaire à la vie fœtale. À la naissance, le débit sanguin pulmonaire décuple en quelques systoles, ce qui permet au poumon d’assurer sa fonction d’échanges gazeux et la survie postnatale. Dans certaines circonstances pathologiques, cette adaptation à la vie extra-utérine est inadéquate, le débit pulmonaire n’augmente qu’insuffisamment et les résistances vasculaires pulmonaires restent élevées, définissant le syndrome d’hypertension artérielle pulmonaire persistante du nouveauné (HTAPPN) : un shunt extrapulmonaire de sang désoxygéné – par le foramen ovale et (ou) le canal artériel – vers la circulation systémique est alors responsable d’une hypoxémie « réfractaire ». Diverses pathologies respiratoires néonatales comme la maladie des membranes hyalines, une inhalation de liquide méconial, une infection sévère à streptocoque du groupe B, ou une hernie diaphragmatique congénitale s’associent habituellement à ce syndrome et sont responsables d’un shunt intrapulmonaire, cause supplémentaire d’hypoxémie.
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Représentation schématique de l’effet sélectif du NO inhalé sur le shunt intrapulmonaire. Administré par voie respiratoire, le NO n’atteint que les zones ventilées, améliorant ainsi le rapport ventilation-perfusion en redistribuant le sang des zones non ventilées vers les zones correctement ventilées.
POUR EN SAVOIR PLUS Clamadieu C, Jarreau Ph, Moriette G. Détresse respiratoire néonatale. Encycl Med Chir (Paris-France), Pédiatrie, vol. 1 (4-002-R-10). Dehan M, Micheli JL. Le poumon du nouveau-né, Paris : Doin, 2000. Lavaud J, Chabernaud JL, Barbier ML et al. Réanimation et transport
Pédiatrie B 262 (1re partie)
Diagnostic prénatal des maladies génétiques Indications, méthodes, aspects juridiques et éthiques DR Perrine MALZAC, PR Jean-François MATTEI Département de génétique médicale, hôpital des enfants de la Timone, 13385 Marseille Cedex 5.
Points Forts à comprendre • Un diagnostic prénatal est proposé aux couples qui ont un risque élevé d’avoir un enfant atteint d’une affection génétique grave. Dans le contexte d’un antécédent familial, ce risque est évalué, avant la grossesse, au cours d’une consultation de conseil génétique. En l’absence de risque familial connu, un diagnostic prénatal peut être envisagé en cours de grossesse en raison de signes d’appel échographiques, biologiques ou d’un âge maternel avancé. • Des techniques de plus en plus performantes sont aujourd’hui disponibles : échographie, analyses chromosomiques, moléculaires ou biochimiques. La démarche de diagnostic prénatal fait donc appel à des compétences variées et nécessite une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire. • En fonction de l’indication, une stratégie est établie, dont les étapes, les résultats attendus, les limites et les incertitudes doivent être détaillés à la femme enceinte. • L’établissement de textes législatifs et réglementaires a été nécessaire pour faire face aux nombreux problèmes éthiques et pratiques soulevés et pour assurer un contrôle de qualité des analyses.
Indications Consultation de conseil génétique Les indications d’un diagnostic prénatal pour une maladie génétique sont retenues lors d’une consultation de conseil génétique avant ou au cours de la grossesse. En effet, avant d’entamer cette démarche, il est important de déterminer son impact en vue d’un traitement efficace et d’une prise en charge précoce de la maladie ou bien d’envisager la possibilité d’une interruption médicale de
grossesse lorsque l’affection est « d’une particulière gravité » (en fonction de la demande des parents, du cadre des lois de bioéthique et du contexte familial, psychologique et social) ; de s’assurer qu’il est techniquement possible de faire, in utero, un diagnostic de certitude ou de forte probabilité en ce qui concerne l’affection recherchée ; d’évaluer le risque d’atteinte fœtale et de le mettre en balance avec le risque lié aux prélèvements ; d’expliquer aux parents les avantages, les inconvénients et les limites de chaque analyse et de recueillir leur consentement.
Circonstances d’un diagnostic prénatal Un diagnostic prénatal est entrepris dans plusieurs circonstances : soit pour rechercher une aberration chromosomique grâce aux techniques cytogénétiques ; soit pour identifier une affection héréditaire en caractérisant un gène muté par des analyses de biologie moléculaire ou en recherchant un déficit enzymatique par des dosages biochimiques ; soit pour visualiser un syndrome génétique malformatif à l’échographie. Il s’agit donc d’une approche pluridisciplinaire qui fait appel à des obstétriciens, des échographistes, des généticiens, des biologistes (cytogénéticiens, biologistes moléculaires, biochimistes), des fœtopathologistes, des pédiatres (médecins et [ou] chirurgiens) et des psychiatres.
1. Indications du caryotype fœtal Un caryotype fœtal est indiqué dans plusieurs cas. • Le risque chromosomique est connu : – un remaniement chromosomique équilibré ou une anomalie chromosomique (en mosaïque par exemple) sont retrouvés chez l’un des 2 parents ; – le couple a déjà un enfant porteur d’une anomalie chromosomique de nombre ou de structure ; – à part, un diagnostic chromosomique de sexe fœtal est fait pour les maladies héréditaires liées au chromosome X (le plus souvent, dans ce cas, une analyse moléculaire complète les investigations, si le fœtus est du sexe masculin). • En l’absence de risque préexistant : – lorsque l’âge maternel est supérieur ou égal à 38 ans ; – si un signe d’appel est constaté à l’échographie : au cours du 1er trimestre, la mesure de la clarté nucale est
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utilisée comme « test de dépistage » de la trisomie 21; au cours du 2e ou du 3e trimestre, lorsqu’une anomalie de la morphologie fœtale est observée, le caryotype fœtal est l’un des examens indispensables du bilan materno-fœtal. En effet, environ 10 % des malformations décelées à l’échographie sont associées à une anomalie chromosomique ; – depuis 1997, un test basé sur le dosage d’au moins 2 marqueurs : l’αFP (pour αfœto-protéine) ou l’œstriol et la βhCG (pour β human chorionic gonadotropin) dans le sang maternel est proposé, selon un protocole précis, pour évaluer le risque de trisomie 21. En général, la réalisation d’un caryotype fœtal est proposée chaque fois que le risque estimé avec ces marqueurs sériques est supérieur à 1/250.
• Les affections dominantes liées au chromosome X sont rares. Le syndrome de l’X fragile en est l’exemple le plus connu. • Les maladies autosomiques dominantes sont moins souvent concernées en raison de caractéristiques qui rendent le conseil génétique et a fortiori les indications de diagnostic prénatal difficiles : un phénotype plus modéré (puisque la maladie permet à un sujet atteint de procréer) ; une variabilité d’expression intrafamiliale avec parfois un début tardif à l’âge adulte (comme dans la chorée de Huntington) ; de fréquentes néomutations (comme dans l’achondroplasie). • Les maladies à hérédité mitochondriale posent de difficiles problèmes de diagnostic prénatal, qui sont résolus au cas par cas par des équipes spécialisées.
2. Indications de la biologie moléculaire
3. Techniques d’imagerie médicale
La plupart des indications de la biologie moléculaire prénatale concernent des couples à risque. Au préalable, plusieurs conditions sont nécessaires. • Le diagnostic précis de la maladie est connu chez le cas index. Il a été posé sur des critères cliniques, paracliniques ou biologiques indiscutables. • Le gène impliqué est identifié (c’est-à-dire que sa séquence et [ou] les mutations en cause sont caractérisées) ou localisé sur le génome. • L’étude de la mutation en cause ou de marqueurs liés à l’affection a été faite, dans la famille, avant la grossesse (ou elle est réalisable en urgence). • Les couples à risque ont été reconnus en tenant compte des données moléculaires, du mode de transmission de l’affection et du degré de parenté avec le cas index. Différentes situations sont envisageables en fonction du mode d’hérédité. • En cas de maladies autosomiques récessives, un diagnostic prénatal est proposé lorsque les 2 parents sont porteurs d’une mutation à l’état hétérozygote. Ces couples ont 25 % de risque de transmettre l’affection à chaque grossesse. Il peut s’agir d’un couple ayant déjà un enfant atteint (par exemple, une maladie métabolique). De plus, dans un couple, l’un peut être reconnu comme porteur en raison de son lien de parenté avec un sujet atteint et l’autre du fait de la fréquence élevée de la maladie (par exemple, la mucoviscidose dont la fréquence est estimée à 1/2 500 en France). Enfin, un couple d’hétérozygotes a pu être diagnostiqué lors d’un programme de dépistage dans une population à risque (par exemple, la drépanocytose dans des populations originaires d’Afrique sub-saharienne). • Dans les maladies récessives liées à l’X, un diagnostic prénatal est envisagé chaque fois que la mère est certainement ou probablement conductrice d’après les données de l’arbre généalogique et (ou) de la biologie moléculaire et (ou) des études biochimiques (dosage des CPK [créatine phosphokinase] dans la myopathie de Duchenne par exemple). Enfin, l’appréciation du risque doit prendre en compte la possibilité d’une mosaïque germinale en cas de néomutation.
Le recours à des techniques d’imagerie médicale est indiqué pour le diagnostic prénatal de syndromes génétiques malformatifs, lorsqu’une étude moléculaire est impossible (gène inconnu, cas index décédé, hétérogénéité génétique).
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4. Diagnostic préimplantatoire Le diagnostic préimplantatoire est, à certains égards, considéré comme la forme la plus précoce de diagnostic prénatal. Le principe est de faire un diagnostic génétique sur les zygotes obtenus après fécondation in vitro (FIV), à partir d’un globule polaire ou d’un blastomère prélevé par micromanipulation quelques heures après la fécondation. Seuls les embryons indemnes de l’affection sont transférés in utero. Les indications concernent des couples à risque génétique élevé, essentiellement dans le cadre des maladies héréditaires récessives (25 %) ou dominantes (50 %) qui ont déjà été confrontés à l’affection (enfant atteint, interruptions médicales de grossesse à la suite de diagnostics prénatals).
Méthodes Imagerie médicale 1. Échographie • L’échographie est l’examen de choix pour la surveillance de la morphologie fœtale et le dépistage des malformations viscérales. Ses performances sont très étroitement liées à la qualité de l’opérateur. En dehors d’indications particulières, 3 échographies sont préconisées au cours de la grossesse : – l’échographie de la 12e semaine d’aménorrhée (SA) donne des informations sur le nombre de fœtus et le terme exact de la grossesse. Elle permet de dépister des malformations majeures telles que l’anencéphalie, les anomalies des membres ou de la paroi abdominale. C’est au cours de cet examen qu’est réalisée la mesure de la clarté nucale, espace physiologique situé entre le revêtement cutané et les tissus mous, au niveau de la nuque. Un élargissement de la clarté nucale, mesurée
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minutieusement, est corrélé à une augmentation du risque chromosomique et particulièrement de la trisomie 21. Le calcul de risque est établi en tenant compte de la mesure observée et de l’âge maternel ; – l’échographie de la 22e semaine d’aménorrhée (échographie morphologique) permet une étude précise de la morphologie externe et interne du fœtus. Elle s’attache à analyser attentivement chacun des organes à la recherche de malformations, dont beaucoup sont visibles à ce stade ; – l’échographie de la 32e semaine d’aménorrhée permet de retrouver les malformations à révélation tardive (notamment cérébrales et rénales) et d’apprécier la croissance fœtale. • L’échographie tridimensionnelle permet de visualiser les malformations fœtales, d’en apprécier la gravité et d’adapter la prise en charge chirurgicale. • L’échographie a un double intérêt. Toute anomalie morphologique (élargissement de la clarté nucale, malformations, retard de croissance intra-utérin, anomalie de la quantité de liquide amniotique : hydramnios ou oligoamnios) constitue un signe d’appel pour pratiquer un caryotype fœtal. Lorsque le caryotype est normal, il reste, le plus souvent, très difficile de relier avec certitude un tableau malformatif à un diagnostic précis. Dans des situations à risque génétique élevé, lorsqu’une étude moléculaire est impossible, l’échographie est parfois le seul examen réalisable pour le diagnostic prénatal de syndromes polymalformatifs. L’échographiste doit alors être informé des malformations à rechercher, de façon systématique et répétée, en tenant compte d’une possible variabilité d’expression.
2. Autres techniques • L’imagerie par résonance magnétique (IRM) fœtale est utile notamment pour apprécier la gravité de certaines malformations cérébrales (anomalie de la giration, anomalie de structures cérébrales). • La radiographie du contenu utérin permet le diagnostic de certaines anomalies squelettiques (chondrodysplasies).
Techniques de prélèvements Ces différentes techniques permettent d’obtenir des cellules ou tissus d’origines fœtale ou placentaire. Le choix de la technique dépend de l’indication, des analyses à pratiquer, du risque fœtal lié au prélèvement et de l’âge gestationnel. Le but est de favoriser les examens les plus précoces et les moins invasifs, avec des résultats à la fois fiables et rapides. Les prélèvements sont réalisés par un obstétricien entraîné, sous contrôle échographique, dans des conditions d’asepsie rigoureuses. Si la femme est Rhésus négatif, une injection de gammaglobuline anti-D est faite à titre préventif.
1. Ponction de liquide amniotique (amniocentèse) Le prélèvement est pratiqué entre la 15e et la 20e semaine d’aménorrhée. Il consiste en une ponction à l’aiguille, effectuée sous anesthésie locale, par voie transabdo-
minale. Les risques principaux sont la fausse couche (0,5 à 1 %) et l’échec de ponction ou ponction blanche (environ 1 %). Les infections, les hémorragies ou le décollement placentaire sont devenus des complications exceptionnelles.
2. Prélèvement de villosités choriales (choriocentèse, placentocentèse) La ponction est effectuée par voie transabdominale sous anesthésie locale, dès la 10e semaine d’aménorrhée. Le risque de fausse couche est de 1 à 2 %. La qualité du prélèvement est systématiquement vérifiée à la loupe binoculaire afin de séparer le tissu fœtal de la caduque maternelle, et d’éviter ainsi les problèmes de contamination maternelle.
3. Ponction de sang fœtal (cordocentèse) Ce prélèvement est fait dans une veine, à la base du cordon, à partir de la 20e semaine d’aménorrhée. Le risque de fausse couche ou de mort fœtale in utero est élevé (2 à 5 %). Il est réservé à des indications bien précises et rares : signes d’appel échographique tardifs, maladies hématologiques identifiables sur le sang fœtal, vérification d’anomalies chromosomiques en mosaïque ou confinées au placenta. Il est surtout utile dans le cadre des maladies infectieuses.
4. Prélèvements de tissus fœtaux Il est exceptionnellement indiqué de réaliser des biopsies de tissus fœtaux : peau (dermatoses), foie (déficits enzymatiques) ou muscle fœtal (myopathies).
Analyses biologiques 1. Techniques de cytogénétique Les amniocytes obtenus à partir d’un prélèvement de liquide amniotique sont cultivés pendant 10 à 15 jours avant la réalisation du caryotype. Le résultat d’une étude cytogénétique sur liquide amniotique est obtenu en 2 à 3 semaines. Le résultat est fiable, le taux de faux négatifs est évalué à moins de 0,01 %. Une technique directe sur les mitoses existant in vivo est possible à partir des prélèvements de trophoblastes et permet d’obtenir un résultat rapide (en 24 heures) mais moins fiable (discordances fœtoplacentaires). Le résultat d’un caryotype réalisé sur sang fœtal est rendu en 5 à 7 jours. • La majorité des anomalies dépistées sont les anomalies chromosomiques de nombre : trisomies 21, 13, 18 et les anomalies gonosomiques (47XXY ou syndrome de Klinefelter, 45X ou syndrome de Turner, 47XYY, 47XXX). Elles sont parfois présentes en mosaïque. La découverte d’anomalies gonosomiques, correspondant à des phénotypes peu sévères ou mineurs, est une situation toujours très délicate en regard de la décision à prendre. Des chromosomes surnuméraires remaniés, de pronostic sévère, sont aussi décelables.
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• De nombreuses anomalies de structure peuvent être repérées (translocations robertsoniennes ou réciproques, inversions). Le pronostic dépend de plusieurs arguments : le remaniement est-il apparemment équilibré ? est-il hérité ou de novo ? s’accompagne-t-il de signes d’appel échographiques ? Dans le cas particulier des translocations robertsoniennes, une disomie monoparentale associée peut avoir des conséquences phénotypiques, comme lorsque les chromosomes 14 ou 15, soumis à l’empreinte, sont impliqués. • Pour certaines indications, telles que la recherche de microremaniements chromosomiques ou l’analyse de translocations complexes, il est nécessaire de recourir à des techniques de cytogénétique moléculaire (hybridation in situ, HIS) à l’aide de sondes fluorescentes appropriées.
2. Techniques de biologie moléculaire En pratique, l’ADN est extrait d’un prélèvement de villosités choriales, à la 10e ou 11e semaine d’aménorrhée, permettant un résultat rapide et une éventuelle interruption de grossesse précoce. En fonction de la maladie étudiée et de caractéristiques génétiques propres à la famille, 2 types d’approches sont envisageables. • Le diagnostic moléculaire direct a pour but de rechercher, sur l’ADN fœtal, la présence ou l’absence de mutation(s) précise(s) à l’origine de l’affection et permet d’en déduire avec certitude si l’enfant est ou non atteint. La ou les mutations en cause ont été préalablement identifiées chez le cas index ou les porteurs hétérozygotes de la famille. Les techniques utilisées sont diverses et adaptées à chaque cas. • Le diagnostic moléculaire indirect peut être utilisé lorsque la mutation ou la séquence du gène en cause sont encore inconnues. Il repose sur l’étude de marqueurs polymorphes intra- ou extragéniques. Lorsqu’ils sont informatifs, il est possible de déterminer quel(s) allèle(s) supposé(s) normaux ou mutés a (ont) reçu le fœtus et d’en déduire son statut. Le résultat est rendu avec un certain degré d’incertitude, lié au risque de recombinaison et fonction de la distance génétique entre les marqueurs utilisés et le gène d’intérêt. Le recours aux méthodes indirectes n’est possible qu’à certaines conditions : il s’agit d’une forme familiale de la maladie, le diagnostic a été posé avec certitude chez le cas index, il n’existe pas d’hétérogénéité génétique, une étude familiale préalable a permis d’identifier l’haplotype à risque, le risque de recombinaison est faible et acceptable. • La spécificité du diagnostic préimplantatoire réside dans le fait que l’analyse moléculaire est réalisée à partir d’une seule cellule pour chaque embryon. À partir de cette cellule obtenue par micromanipulation, l’ADN est amplifié par PCR (polymerase chain reaction). Une mise au point technique est donc indispensable pour déterminer, au cas par cas, la stratégie moléculaire, rapide et fiable, à appliquer. En raison d’un risque d’erreur lié, par exemple, à une contamination par de l’ADN étranger, 1726
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un diagnostic prénatal de contrôle est toujours préconisé. Le taux de réussite est de l’ordre de 20 % de grossesses obtenues à chaque tentative.
3. Techniques biochimiques • Les marqueurs sériques permettent une évaluation du risque de trisomie 21 basée sur leur dosage dans le sang maternel. Ce dosage est proposé à toutes les femmes enceintes, quel que soit leur âge. La démarche leur est expliquée préalablement, en précisant les avantages, les limites et le déroulement du test, notamment la possibilité d’une amniocentèse secondaire. Elles peuvent ainsi choisir ou refuser de réaliser cet examen. Les marqueurs étudiés sont l’αFP ou l’œstriol et la βhCG. Le prélèvement est réalisé entre la 15e et la 17e semaine d’aménorrhée, âge gestationnel qu’il est important de préciser exactement, à partir des données échographiques. Un taux significativement abaissé d’αFP ou d’œstriol non conjugué est corrélé avec un risque accru de trisomie 21, de même qu’un taux élevé de βhCG. Selon les protocoles, 2 ou 3 marqueurs sont pris en considération. Le calcul de risque est fait à l’aide d’un logiciel informatique qui intègre les valeurs des dosages, l’âge maternel et l’âge gestationnel. Si le risque est supérieur à 1/250, un caryotype fœtal est proposé à la patiente. Par ailleurs, un taux d’αFP élevé doit faire rechercher une anomalie de fermeture du tube neural. Sur l’ensemble des femmes enceintes testées, 5 % ont un risque supérieur à 1/250. Dans cette population à risque, une anomalie chromosomique est retrouvée sur le caryotype fœtal dans environ 2 % des cas (valeur prédictive positive) ; 98 % ont donc un caryotype normal. Le pourcentage de fœtus trisomiques diagnostiqués par le biais de ces dosages varie entre 60 et 80 % selon les protocoles (sensibilité du test). En clair, tous les fœtus trisomiques ne sont pas dépistés par les marqueurs sériques (faux négatifs). • Les dosages enzymatiques ou de métabolites, réalisés sur le trophoblaste ou dans le liquide amniotique, permettent le diagnostic prénatal de diverses maladies métaboliques héréditaires par déficit enzymatique.
Aspects juridiques et éthiques Le diagnostic prénatal est un acte médical individuel. Il doit être accessible pour toutes les femmes qui le souhaitent. Cependant, il n’est ni obligatoire, ni systématique. Sa pratique pose de nombreux problèmes éthiques concernant notamment la conduite à tenir devant une pathologie fœtale diagnostiquée en cours de grossesse, soit en raison d’antécédents, soit fortuitement, en fonction d’examens échographiques ou biologiques. Aussi, il est apparu indispensable qu’un encadrement législatif et réglementaire fixe à la fois les objectifs du diagnostic prénatal et les garanties d’une pratique de qualité. La loi du 29 juillet 1994 relative, entre autres, au diagnostic prénatal, puis ses décrets d’application ont fixé des modalités précises d’organisation et des éléments de contrôle strict.
Pédiatrie
• Une consultation médicale de conseil génétique doit précéder les prélèvements en vue d’établir un diagnostic prénatal. Elle doit évaluer le risque pour l’enfant à naître d’être atteint d’une maladie d’une particulière gravité, informer la femme enceinte sur les caractéristiques de cette maladie (moyens de diagnostic, possibilités thérapeutiques) et sur les risques inhérents aux prélèvements. Le médecin délivre alors une attestation signée certifiant qu’il a correctement informé la patiente, au praticien effectuant les analyses qui la conservera. • Afin de garantir la fiabilité des analyses biologiques, les structures et personnes habilitées à les réaliser sont nommément reconnues par le ministère de tutelle. L’agrément est donné pour 5 ans et un rapport d’activité annuel est demandé. • Le consentement éclairé de la femme enceinte est recueilli par écrit. Les résultats des examens biologiques doivent être expliqués à la patiente par le médecin prescripteur au cours d’un entretien personnalisé. • Il existe une éventuelle indication d’interruption de grossesse s’il y a « une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». La décision d’interruption de grossesse appartient aux parents dûment informés sur les résultats des examens. • La création, la composition et les conditions d’agrément des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal sont fixées par décret. Leur mission est de donner des avis et conseils, en matière de diagnostic, de thérapeutique et de pronostic, lorsqu’une affection est suspectée in utero. Toute indication d’interruption de grossesse doit être signée par 2 médecins dont l’un « doit exercer son activité dans un centre de diagnostic prénatal multidisciplinaire ».
Les indications de l’amniocentèse classiques se sont désormais élargies aux grossesses à risque de trisomie 21 supérieur ou égal à 1/250 après dosage des marqueurs sériques maternels, dans des conditions bien définies. Tout récemment, les premiers agréments ont été délivrés pour assurer les indications du diagnostic préimplantoire. ■
Points Forts à retenir • Avant d’entreprendre le diagnostic prénatal d’une maladie génétique, les éléments majeurs à apprécier sont le risque d’atteinte fœtale, la gravité de l’affection, les possibilités (ou impossibilités) thérapeutiques et diagnostiques, ainsi que la demande du couple et plus particulièrement de la femme enceinte vis-à-vis de cette affection. En dehors des cas, rares, où le diagnostic prénatal permet une prise en charge thérapeutique adaptée, il aboutit le plus souvent, lorsque le fœtus est atteint, à une interruption de grossesse toujours très douloureuse psychologiquement. • Le diagnostic préimplantatoire, devenu possible en France, s’il permet d’éviter l’interruption de grossesse, soulève d’autres difficultés, notamment en raison du nécessaire recours à la fécondation in vitro. Ainsi, au-delà des solutions techniques à mettre en œuvre, il reste fondamental de replacer la démarche de diagnostic prénatal dans son contexte psychologique, sa dimension éthique et ses implications sociales.
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Pédiatrie A 86
Diarrhée aiguë du nourrisson Orientation diagnostique PR Jean-Pierre OLIVES Département de pédiatrie, hôpital des Enfants, 31026 Toulouse Cedex.
Points Forts à comprendre • L’apparition d’une diarrhée aiguë avant l’âge de 4 mois exige beaucoup de prudence. • Soixante-dix à 90 % des causes sont virales : la pratique d’une coproculture et le recours aux antiseptiques intestinaux et aux antibiotiques sont inutiles. • Les solutions de réhydratation orales sont très efficaces dans le traitement de la déshydratation, et inefficaces pour le traitement de la diarrhée (persistance des selles liquides). • La réalimentation précoce au cours des diarrhées aiguës est recommandée. • La dilution du lait et l’utilisation de lait sans lactose doivent être exceptionnelles. • L’efficacité des médications adjuvantes (antisécrétoires, protecteurs de la muqueuse, probiotiques) est non prouvée. • L’efficacité des antibiotiques dans le cas des diarrhées aiguës bactériennes (sauf shigelloses) est discutable. • Le vaccin tétravalent anti-rotavirus, particulièrement actif sur les formes sévères avec déshydratation, est très attendu.
Dans les pays en voie de développement, l’incidence des diarrhées aiguës infantiles est nettement plus élevée : le nombre d’épisodes varie de 3 à 9 par an et par enfant. Les maladies diarrhéiques sont encore plus fréquentes et plus sévères dans les parties les plus pauvres des pays en voie de développement surtout dans les régions tropicales et subtropicales. Un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), établi en 1992, avançait le chiffre de 3,3 millions de décès par diarrhée aiguë chez des enfants de moins de 5 ans en Afrique, Asie et Amérique latine. Cependant, grâce aux campagnes de prévention, ce chiffre était nettement inférieur à celui rapporté en 1980 qui faisait état de 4,6 millions de décès dans les mêmes régions. La prévalence des différents agents pathogènes, ainsi que leur recrudescence saisonnière, est éminemment variable dans les différentes régions du monde, le climat semblant être le facteur le plus important à l’origine de ces variations. La répartition moyenne des fréquences des différents agents infectieux est présentée dans le tableau I. Dans les pays nordiques et froids, les infections virales prédominent par rapport aux infections bactériennes et sont plus fréquentes pendant la période hivernale, à l’exception remarquable de l’adénovirus qui est plus fréquent en période estivale. Les causes bactériennes, à l’inverse, sont plus fréquentes dans les pays chauds et les épidémies sévissent surtout en été et en automne.
TABLEAU I
Prévalence et épidémiologie L’incidence annuelle des diarrhées aiguës infantiles dans les pays industrialisés est estimée actuellement entre 1,3 à 2,3 épisodes par enfant, les chiffres étant plus élevés chez les enfants séjournant en collectivité. Aux États-Unis, plus de 200 000 enfants sont hospitalisés chaque année pour diarrhée aiguë, ce qui représente environ 900 000 journées d’hospitalisation. Les enquêtes publiées montrent que les recommandations thérapeutiques et (ou) diététiques, largement diffusées, concernant l’utilisation des solutions de réhydratation orale (SRO) et les indications très limités des médicaments sont peu suivies. De nombreuses études confirment que les diarrhées aiguës dans les pays favorisés sur le plan économique sont peu sévères et évoluent favorablement de manière spontanée. Cependant, le risque de déshydratation est bien réel et, malheureusement, il est encore à l’origine de décès évitables chez le nourrisson en France.
Principaux agents responsables de diarrhées aiguës infectieuses Agents Bactéries ❑ Campylobacter jejuni ❑ Escherichia coli ❑ Salmonella ❑ Shigella ❑ Yersinia enterocolitica ❑ Klebsiella pneumoniæ ❑ Vibrion cholérique Virus ❑ Rotavirus ❑ Adénovirus ❑ Calicivirus ❑ Astrovirus Parasites ❑ Giardia intestinalis ❑ Cryptosporidium ❑ Entamœba histolytica
Fréquence (%)
6-8 2-5 3-7 1-3 1-2 0-2 ? 30-60 2-4 ? ? 1-2 2 ?
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DIARRHÉE AIGUË DU NOURRISSON
Étiologie Virus La présence de virus dans les selles, quelle que soit la méthode d’identification utilisée, ne suffit pas pour affirmer que tel ou tel agent viral est à l’origine d’une diarrhée aiguë. En effet, des particules virales peuvent être retrouvées en quantité non négligeable chez des enfants sans pathologie digestive. Pour le rotavirus par exemple, une très forte concentration de virus dans les selles (1010 virus/g) a été retrouvée chez les sujets malades et la différence était significative par rapport au groupe témoin. Il faudrait, pour avoir une certitude étiologique, mettre en évidence une séroconversion à partir de 2 prélèvements sanguins à 2 semaines d’intervalle.
3. Astrovirus Il n’existe pas à l’heure actuelle d’examens fiables, de routine, permettant de connaître la fréquence réelle des diarrhée aiguës à astrovirus chez l’enfant. Cependant, les études par immuno-enzymologie utilisant les anticorps monoclonaux et les recherches par microscopie électronique semblent indiquer que la fréquence des infections intestinales à astrovirus chez l’enfant serait bien supérieure à celle estimée.
1. Rotavirus
4. Calicivirus
Mis en évidence en 1973, les rotavirus sont la cause majeure des entérites chez le nourrisson et l’enfant. Les rotavirus ont un génome constitué de 11 segments d’ARN bicaténaire, chacun des brins code une protéine structurale ou non. Trois couches protéiques entourent le génome. Les 2 couches externes portent les principaux antigènes. Parmi les 14 protéines isolées, les sérotypes liés aux protéines 1, 2, 3, 4, représentent 90 % des souches isolées chez l’homme. Les rotavirus ont un tropisme localisé à l’épithélium des villosités intestinales et dirigé spécifiquement sur les entérocytes matures. Les entérocytes infectés croissent en taille, se vacuolisent puis desquament. Les particules virales sont incluses dans le réticulum endoplasmique. Ces modifications histologiques apparaissent 24 h après l’infection et sont maximales entre 24 et 72 h. Une atrophie minime à modérée, associée à une hyperplasie des cryptes, a été rapportée. Sur le plan moléculaire il semblerait que ce soit la protéine NSP4 qui augmenterait spécifiquement la concentration de calcium intracellulaire et modifierait les transports membranaires ioniques. Cette protéine agirait en fait comme une véritable toxine en intervenant sur la sécrétion d’eau et de chlore par la voie dépendant du calcium. Les facteurs de virulence des rotavirus sont avant tout dépendants de l’hôte : le jeune âge, l’existence d’une malnutrition et les déficits immunitaires sont des facteurs de gravité. Les différences de virulence sont également expliquées par la spécificité des souches virales. La pathogénie des rotavirus ne serait pas liée à un seul gène. Les gènes codant les protéines NSP1, NSP4, VP3, VP4 et VP7 interviennent dans la spécificité et la capacité de multiplication du virus.
Les calicivirus sont des virus à ARN sans enveloppe qui ont été décrits pour la 1re fois en 1972 au cours d’une épidémie en milieu scolaire à Norwalk dans l’Ohio. Ces virus sont transmis par l’homme, les animaux domestiques ou par contamination de l’eau et des fruits de mer. La diarrhée est très souvent accompagnée de signes ORL ou respiratoires.
2. Adénovirus Parmi les 47 sérotypes connus d’adénovirus, seuls les adénovirus de type entérique, correspondant aux sérotypes 40 et 41, sont responsables de diarrhées aiguës chez l’enfant. C’est une des causes les plus fréquentes d’infections nosocomiales en milieu hospitalier, se traduisant par une diarrhée aiguë apparaissant chez les 2154
enfants hospitalisés pour une autre cause. L’évolution naturelle de cette infection est peu connue, cependant, elle semble se caractériser par une durée prolongée du syndrome diarrhéique (environ 10 j) accompagnée de fièvre et, contrairement au rotavirus, peu ou pas de vomissements.
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5. Autres virus De nombreux autres virus ont été identifiés dans les selles mais leur rôle étiologique au cours des diarrhées aiguës infantiles n’a pas toujours été clairement démontré. Les coronavirus représentent une cause très fréquente de diarrhée dans l’espèce bovine ; chez l’homme, ils ont été isolés au cours d’épidémies de diarrhées aiguës, retrouvés chez des adultes présentant une sprue tropicale et chez des nouveau-nés souffrant d’entérocolite nécrosante. Les torovirus ont été isolés plus fréquemment chez les enfants diarrhéiques que chez les sujets témoins. Chez les patients immunodéprimés, le cytomégalovirus et les picornavirus peuvent être à l’origine d’épisodes de diarrhée aiguë.
Bactéries 1. Campylobacter jejuni Cet agent microbien, gram-négatif, est très répandu tant dans les pays industrialisés que dans les pays défavorisés. Sa prévalence peut atteindre 10 % des cas de diarrhées aiguës infectieuses, cependant, le portage asymptomatique dans les pays pauvres peut concerner, suivant les régions, 40 % des sujets. Ce micro-organisme est capable de produire une entérotoxine qui provoque une diarrhée aqueuse abondante mais aussi de se comporter comme un agent entéro-invasif, pénétrant la muqueuse au niveau de l’iléon et du côlon et déclenchant une colite sévère avec syndrome dysentérique, douleurs abdominales violentes et selles sanglantes. Une bonne corrélation peut être établie entre la symptomatologie clinique et les propriétés de virulence du germe (entérotoxinogène ou entéro-invasif), grâce à des isolements par technique ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay).
Pédiatrie
2. Salmonelles Plus de 2 000 sérotypes de salmonelles ont été répertoriés. Cependant, Salmonella typhi et Salmonella enteritidis représentent la majorité des souches isolées dans les pays industrialisés et en particulier en France. Les différentes souches ont en commun leur caractère invasif, localisé à la partie distale de l’iléon et le long du cadre colique, pénétrant à la fois l’épithélium et la lamina propria et leur capacité à sécréter une entérotoxine. La mise en évidence d’une salmonelle à la coproculture chez le nourrisson et le jeune enfant ne doit pas conduire à un traitement antibiotique systématique, compte tenu du plus grand nombre d’échecs par rapport à l’adulte et du risque fréquent de portage asymptomatique. Le risque du portage chronique est mal connu, tant pour l’enfant porteur que pour son entourage ; malgré tout, il est observé plus fréquemment chez l’enfant de moins de 5 ans (50 % après un épisode aigu) que chez l’adulte (15 % environ). Même si les quantités excrétées sont faibles, elles représentent un risque certain de contagion, en particulier chez les enfants vivant en collectivité.
3. Escherichia coli Les colibacilles représentent la population microbienne commensale la plus nombreuse à l’intérieur du tube digestif. Le sérotypage reconnaissant l’antigène O est encore largement utilisé mais il est compliqué à réaliser et peu fiable ; dans l’avenir la biologie moléculaire et les techniques de PCR (polymerase chain reaction) permettront une identification plus précise et une nouvelle classification. Pour l’instant, les Escherichia coli sont regroupés en fonction de leur mécanisme d’action et des tableaux cliniques qu’ils réalisent. • Escherichia coli enterotoxigènes (ETEC) : ils sont responsables d’un grand nombre de diarrhées bactériennes infantiles dans les pays en développement et de la diarrhée des voyageurs chez l’adulte. Leur pouvoir pathogène est dû à leur capacité d’adhérence et de production d’entérotoxines thermostables et (ou) thermolabiles. Certains sérotypes sont souvent à l’origine de diarrhées mais, contrairement aux Escherichia coli entéropathogènes (EPEC), les sérotypes sont plus variés selon les pays. L’identification précise repose sur la mise en évidence des facteurs d’adhérence aux cellules épithéliales, très caractéristiques des E. coli entérotoxigènes, et sur l’identification de la toxine. • Escherichia coli entéropathogènes (EPEC) : ils sont les premiers à être identifiés dans les années 1950. Les sérotypes O55 et O111 sont les plus fréquemment isolés. Actuellement, ces souches sont plus largement retrouvées dans les pays en développement. Une toxine n’a jamais pu être identifiée pour ce groupe, mais ces E. coli se caractérisent par des capacités d’adhérence très fortes sur la bordure en brosse des entérocytes. • Escherichia coli entéro-invasifs (EIEC) : ces microorganismes partagent bien des caractères : biologiques, morphologiques et fonctionnels avec Shigella. Ils déclenchent un syndrome dysentérique fébrile particu-
lièrement sévère. Leur isolement repose sur la positivité du test de Sereny (kératoconjonctivite provoquée chez le cobaye). Une entérotoxine (30 à 100 kd) vient d’être récemment isolée. • Escherichia coli entéro-hémorragique (EHEC) : ils représentent également un groupe récemment identifié depuis que le sérotype O157:H7 a été démontré comme responsable d’épidémies de colites hémorragiques. La survenue de syndromes hémolytiques et urémiques est notée chez environ 10 % des enfants présentant une infection à Escherichia coli O157:H7. Cette complication peut survenir même en l’absence de diarrhée glairo-sanglante. Il convient donc de rechercher ce germe par sérotypage devant toute atteinte de la fonction rénale pour pouvoir débuter un traitement précoce. La toxine peut être recherchée dans les selles par étude de cytotoxicité sur des cellules Véro en culture ou par PCR. • Escherichia coli entéro-agrégeant (EA-AggEC) : ce groupe de germes semble être à l’origine de diarrhées prolongées chez le nourrisson et le jeune enfant. Ils semblent très proches des E. coli entéropathogènes mais pour l’instant aucun sérotype n’a pu être défini et aucune toxine n’a été isolée.
4. Shigella Les shigelloses ne sévissent pas uniquement dans les pays en développement. Elles sont à l’origine de nombreuses diarrhées dans les pays développés et touchent avant tout l’enfant. La mortalité, très élevée dans les pays pauvres, n’est pas exceptionnelle en Occident. Les Shigella sont des bactéries gram-négatives sans capside externe. On décrit 40 sérotypes appartenant à 4 sérogroupes : – groupe A, Shigella dysenteriæ ; – groupe B, Shigella flexneri; – groupe C, Shigella boydii; – groupe D, Shigella sonnei. Les souches à l’origine des formes les plus graves, entraînant une mortalité élevée, sont S. dysenteriæ (en particulier de sérotype 1) et S. flexneri. Les shigelloses sont une des causes de diarrhées bactériennes les plus transmissibles. L’inoculum nécessaire est très faible (10 bacilles engendrent des symptômes chez 10 % des volontaires) ; la survenue d’épidémies intrafamiliales ou dans les collectivités autour du cas initial sont très fréquentes. Le tableau est très polymorphe. Il peut s’agir d’une diarrhée modérée guérissant spontanément ou, au contraire, d’un syndrome dysentérique avec choc et manifestations neurologiques. Les convulsions sont très fréquentes et la règle est de pratiquer une coproculture chez un enfant fébrile et diarrhéique qui a des convulsions. Toutes les souches de Shigella sécrètent, à des degrés divers, une toxine dite Shiga-toxine, très cytotoxique, ou Vérotoxine. Les souches de S. dysenteriæ de sérotype 1 en sécrètent de 1 000 à 10 000 fois plus que les autres espèces.
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5. Yersinia enterocolitica Il s’agit d’un agent pathogène, invasif pour la muqueuse de l’intestin grêle, au sein de laquelle il entraîne des lésions de la bordure en brosse et des altérations des fonctions de transport, pouvant conduire à une malabsorption de certains nutriments. Il pourrait également sécréter une toxine. Ce germe est à l’origine de diarrhées d’évolution prolongée (1 à 2 semaines). L’infection s’accompagne de fièvre et de douleurs abdominales. Chez certains sujets l’infection à Yersinia peut entraîner une adénite mésentérique et un tableau clinique qui ressemble aux maladies inflammatoires chroniques intestinales.
6. Vibrion cholérique Vibrio choleræ est un micro-organisme mobile, aquatique, à l’origine d’épidémies spectaculaires mais qui subsiste à l’état pandémique dans de nombreuses régions du globe. Il possède l’antigène 01 qui peut être reconnu par anticorps monoclonal ou polyclonal. Les 2 principaux sérotypes sont Inaba et Ogawa. La diarrhée profuse induite par les vibrions cholériques est le prototype du mécanisme dû à une entérotoxine. Toutes les souches sauvages de V. choleræ produisent une protéine binaire de 84 000 d. Elle est 10 fois plus puissante que celle d’E. coli entérotoxicogène ; elle se combine avec un récepteur spécifique GM1 situé dans la bordure en brosse. La partie active pénètre la cellule par endocytose et en moins de 15 min, par une action enzymatique, elle active de façon irréversible l’adénylcyclase et l’acide adénosine monophosphorique (AMPc) ce qui a pour conséquence une hypersécrétion d’eau et de chlore dans la lumière. Une autre toxine est sécrétée, dénommée ZOT (zona occludens toxin), qui augmente la perméabilité intestinale par atteinte des jonctions serrées inter-entérocytaires.
7. Clostridium difficile Le rôle de Clostridium difficile dans les diarrhées associées aux antibiotiques est parfaitement établi, ainsi que dans la forme majeure représentée par la colite pseudo-membraneuse, au demeurant peu fréquente chez l’enfant. Il semblerait que ce germe puisse également être à l’origine de diarrhées aiguës sporadiques chez des enfants n’ayant pas reçu d’antibiotiques.
8. Autres agents bactériens Klebsiella pneumoniæ est apte à sécréter une toxine thermostable qui provoque une diarrhée sécrétoire chez certains enfants présentant une malnutrition. Citrobacter freundii possède des analogies avec les E. coli entérotoxicogènes, plus particulièrement une entérotoxine similaire à la toxine STa. Plesiomonas shigelloïdes n’a été décrit que dans les régions asiatiques (Japon, Thaïlande) et contaminerait essentiellement les poissons et fruits de mer. 2156
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Parasites 1. Giardia intestinalis Giardia (ou Lamblia) est un des parasites intestinaux les plus largement répandu, pouvant affecter l’être humain à tous les âges. L’infection s’acquiert par voie oro-fécale à partir d’eau contaminée, aliments, mains insuffisamment lavées ou par contact intrafamilial ou chez les nourrissons vivant en collectivité. Les manifestations cliniques de l’infection à Giardia peuvent varier du portage asymptomatique jusqu’au tableau de malabsorption chronique sévère. L’infestation massive et aiguë à Giardia peut donner des épisodes brutaux de diarrhée aiguë mais aussi des épisodes plus marqués de selles liquides sur un fond de diarrhée chronique. Il est cependant difficile d’affirmer que, dans les régions d’endémie, la présence du parasite dans les selles est à l’origine d’un épisode précis de diarrhée aiguë. Par ailleurs, le germe peut être retrouvé à la biopsie intestinale, par étude des sécrétions duodéno-jéjunales par technique d’immunofluorescence et ne pas être identifié au même moment dans les selles même par des techniques performantes.
2. Cryptosporidium Cryptosporidium est un protozoaire de petite taille initialement décrit comme agent pathogène chez les animaux. Il se localise puis se multiplie au niveau de la bordure en brosse des entérocytes où il peut produire des altérations structurales très importantes. Sa présence peut être révélée en microscopie optique après coloration de Ziehl-Neelsen, en microscopie électronique ou par marquage par des anticorps monoclonaux. Chez l’homme, son rôle pathogène a d’abord été mis en évidence chez les sujets immunodéprimés ; les épisodes de diarrhées aiguës à répétition chez les enfants présentant un déficit immunitaire avec atrophie villositaire ou infectés par le virus du sida étant fréquemment dus à une colonisation du tube digestif par Cryptosporidium, ces données justifiant même la pratique de cures de désinfection systématique par antibiotiques dérivés de la spiramycine chez ces patients. Ce parasite a depuis été décrit comme une cause de diarrhée aiguë chez le sujet immunocompétent, mais une plus grande fréquence et surtout un risque de dissémination rapide ont été rapportés au sein de populations d’enfants souffrant de malnutrition.
3. Autres parasites Dans les régions tropicales, et à un degré bien moindre dans les pays tempérés, certains parasites peuvent être à l’origine d’authentiques poussées de diarrhées aiguës. Parmi les protozoaires autres que les Cryptosporidium, peuvent être cités : Entamœba histolytica, Balantidium coli, Isospora belli et cyclospora. Par ailleurs, les infections dues aux nématodes ne peuvent en principe pas engendrer de perturbations des mécanismes de sécrétion et d’absorption de l’eau et des électrolytes, mais ils peuvent, en colonisant l’intestin,
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créer des phénomènes inflammatoires de la muqueuse, gêner la déconjugaison des sels biliaires et favoriser la malabsorption de certains nutriments, ce qui se traduit par une augmentation et une accélération du débit fécal. Ces troubles de transit plus ou moins aigus ont été décrits en présence d’Ascaris lumbricoides, Trichuris trichiura, Strongyloïdes stercoralis, Necator americanus ou de formes adultes d’ankylostomes.
Physiopathologie Mécanismes cellulaires et moléculaires 1. Physiologie cellulaire La survenue d’une diarrhée résulte d’interactions complexes entre l’agent pathogène et les cellule intestinales de l’hôte. Ces échanges entre l’agent extérieur et la cellule eucaryote procèdent d’une véritable communication, d’un langage, qui s’établit entre des récepteurseffecteurs cellulaires et des zones de contact du microorganisme infectant ou des molécules sécrétées par celui-ci. • Barrière intestinale et zones de passage et d’échanges : l’épithélium intestinal a une structure polarisée qui lui permet de fonctionner comme une barrière séparant 2 milieux mais également de transporter des molécules ou des fluides d’un compartiment à l’autre. La continuité de la barrière est assurée par des rapprochements entre les cellules qui sont aussi des lieux de passage figurés par les complexes jonctionnels, ou jonctions serrées (encore appelées zona occludens). Cette zone est située à la partie la plus apicale de 2 entérocytes comprenant de bas en haut : la jonction serrée proprement dite, puis une section intermédiaire contenant un filament d’actine-myosine et enfin le desmosome. Ces régions sont des lieux de passage parfaitement contrôlés : l’étanchéité de la muqueuse est en outre renforcée par un épais tapis de mucus (glyocalyx) qui recouvre les entérocytes. Malgré tout, cette barrière présente des points faibles où le tapis muqueux s’interrompt représentés par les structures lymphoïde : plaque de Peyer et nodules solitaires. Ces zones contiennent des cellules M dont le rôle est d’assurer l’entrée de particules pour faciliter leur présentation aux cellules immunocompétentes. Ce sont ces « pores » qu’utilisent préférentiellement certains pathogènes pour franchir la barrière épithéliale. • Voies de contrôle de la sécrétion et de la perméabilité de l’entérocyte : les phénomènes de contrôle de l’absorption et de la sécrétion d’eau et d’électrolytes sont régulés par 4 mécanismes sous la dépendance de 4 effecteurs principaux : l’AMPc, l’acide guanosine monophosphorique (GMPc), le calcium intracellulaire et les protéines du cytosquelette. Les nucléotides cycliques (AMPc et GMPc) peuvent stimuler la sécrétion entérocytaire par 3 effets : ils activent le canal principal à chlorure CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductor regulator), ils
augmentent la production de calcium intracellulaire, enfin ils agissent sur les jonctions serrées et sur les protéines du cytosquelette. Le calcium intracellulaire par son élévation stimule les protéines transporteuses d’ions et la sécrétion active le CFTR et module la perméabilité intestinale par action sur les jonctions serrées. Les protéines du cytosquelette assurent la rigidité du cytoplasme par des microfilaments (kératine et actine) et l’amarrage au niveau des jonctions serrées. C’est le maintien de la structure cylindrique des entérocytes et leur polarité qui sont le garant du fonctionnement normal des autres mécanismes.
2. Facteurs moléculaires de virulence des agents pathogènes Les agents pathogènes disposent d’une ou plusieurs propriétés leur permettant de « dialoguer » avec les cellules intestinales et de troubler leur mécanisme, ou plus radicalement d’envahir et de forcer la barrière muqueuse. Ces capacités sont au nombre de 4 : adhésion, multiplication (colonisation), sécrétion de toxine(s) et invasion. Ces différentes aptitudes sont codées par des déterminants antigéniques qui sont eux-mêmes transférables par conjugaison, transduction ou transposition. La capacité d’adhérence d’une bactérie est liée à des microfibrilles (fimbriæ) portées comme une chevelure ou une touffe de poils ou à la présence d’un flagelle. Le contact avec la cellule induit la production de ligands bactériens qui sont des adhésines favorisant l’attachement. L’aptitude à sécréter des toxines est très répandue chez les agents pathogènes. Elles sont regroupées en 4 classes principales : les entérotoxines, les toxines altérant le cytosquelette (ZOT par exemple), les cytotoxines et les toxines à tropisme nerveux. La capacité d’invasion est liée essentiellement à l’utilisation de la cellule M comme porte d’entrée. Une fois franchie la barrière muqueuse, les agents bactériens procèdent de 2 manières différentes : certains restent localisés au sein de la muqueuse intestinale (Campylobacter jejuni, Shigella, E. coli entéro-invasifs), d’autres comme Salmonella ou Yersinia enterocolitica utilisent les cellules phagocytaires ou dendritiques pour se répandre et essaimer à distance.
2. Conséquences physiopathologiques L’équilibre entre les phénomènes d’absorption et de sécrétion électrolytique conditionne et caractérise le cycle entéro-systémique de l’eau. Toute diarrhée aiguë est liée à une anomalie de ce cycle entéro-systémique, par dérèglement des processus d’absorption ou de sécrétion des électrolytes, essentiellement du sodium. La conséquence univoque de ces troubles de la sécrétion ou de l’absorption hydroélectrolytique est une perte anormale d’eau et d’électrolytes par les selles, à l’origine d’une déplétion hydroélectrolytique.
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DIARRHÉE AIGUË DU NOURRISSON
Dans notre pays, quelle que soit l’étiologie en cause, les concentrations moyennes fécales sont de 25 à 75 mmol/L pour le sodium, 30 à 75 mmol/L pour le potassium et 10 à 40 mmol/L pour le chlore. Cette déperdition hydroélectrolytique est généralement à l’origine d’une déshydratation de type hyponatrémique. La perte fécale de potassium, à l’origine d’une baisse du potassium extracellulaire entraîne un hyperaldostéronisme qui augmente la déplétion potassique par hyperkaliurie, l’hypokaliémie qui en résulte pouvant elle-même être à l’origine d’un iléus paralytique qui aggrave les pertes électrolytiques fécales. Plus rarement, la conséquence de ces déperditions hydro-électrolytiques est une déshydratation de type hypernatrémique qui s’observe particulièrement dans les diarrhées aiguës très sévères et lorsque l’enfant a une alimentation hyperosmolaire, trop riche en sel ou en hydrates de carbone. L’utilisation de formules lactées à charge osmolaire réduite a permis de diminuer considérablement ce risque de déshydratation hypernatrémique. Toute diarrhée aiguë peut être par ailleurs à l’origine de troubles de la digestion et de l’absorption de certains nutriments. Des lésions épithéliales et une atrophie villositaire modérée ont surtout été démontrées au cours des infections à rotavirus. Elles sont à l’origine d’une diminution des activités disaccharidasiques. Les troubles de la motricité intestinale peuvent également diminuer les capacités d’absorption des hydrates de carbone. La survenue d’un déficit en lactase et d’une intolérance secondaire en lactose a pendant longtemps été considérée comme une complication fréquente des diarrhées aiguës et a été à l’origine de la mise en œuvre de régimes spéciaux ou de protocoles de réintroduction très progressive du lait. Si le déficit en lactose secondaire à l’atrophie villositaire qui accompagne la malnutrition reste une complication fréquente et redoutable dans les pays pauvres chez un enfant qui va présenter en plus une diarrhée aiguë, l’intolérance au lactose habituellement rencontrée au cours des diarrhées aiguës dans les pays développés est devenue exceptionnelle. Une étude récente menée sous l’égide de la Société européenne de gastroentérologie et de nutrition pédiatrique (ESPGHAN) chez 230 enfants dans 12 centres hospitaliers en Europe confirme cette notion et conduit cette Société à ne plus recommander l’utilisation des laits sans lactose et à préconiser une renutrition très précoce au cours de tout épisode de diarrhée aiguë. Une autre complication a également conduit à la prescription de régimes spéciaux, plus particulièrement chez le jeune nourrisson : il s’agit du risque de sensibilisation aux protéines du lait de vache. Cette entité a été un temps dénommée « syndrome post-entéritique » et semblait plus spécifiquement liée à l’infection à rotavirus. En fait, cette complication paraît peu fréquente et fait discuter l’utilisation systématique d’hydrolysats de protéines, en des formules partiellement hydrolysées chez les nourrissons de moins de 4 mois présentant un épisode diarrhéique. Seule une évolution supérieure à une semaine justifie, chez les très jeunes enfants, l’utilisation de formules extensivement hydrolysées. 2158
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Aspects cliniques Les diarrhées aiguës observées dans les pays développés sont à l’heure actuelle presque toujours d’allure bénigne, leur durée moyenne se situant entre 3 et 4 jours. En fonction des principaux symptômes, 3 entités cliniques peuvent être réalisées (tableau II).
Entérite virale Ce sont les diarrhées les plus fréquentes chez l’enfant avant 18 mois. Elles se caractérisent par des selles liquides aqueuses souvent associées à des vomissements (ce qui a justifié le terme de gastro-entérite). La phase aiguë est parfois précédée, ou accompagnée, de signes ORL (rhinopharyngite, otite) ou respiratoires. Les diarrhées à rotavirus sont plus sévères que les autres diarrhées virales. La période d’incubation varie de 2 à 5 j. La fièvre peut être élevée, l’altération de l’état général et l’intensité des vomissements sont marquées. Les selles sont liquides, abondantes et nombreuses. Certains enfants sont hospitalisés dans les jours qui suivent le début de la maladie car le transit reste accéléré et la tolérance digestive à l’alimentation est médiocre. La recherche de virus dans les selles à cette phase peut être négative. Cette situation est habituellement transitoire et ne doit pas conduire à un arrêt alimentaire et (ou) à la prescription de régimes spéciaux ; mieux vaut continuer à alimenter l’enfant en répartissant les prises en petites quantités.
Diarrhée invasive bactérienne Les germes invasifs déclenchent un tableau clinique assez caractéristique fait d’une fièvre élevée, de douleurs et de crampes abdominales associées à des selles sanglantes ou glairo-sanglantes. Les vomissements sont absents mais le risque de déshydratation n’est pas négligeable. Les selles sont précédées, accompagnées et suivies pendant quelques minutes de crampes abdominales et d’épreintes parfois particulièrement pénibles ; si l’atteinte colique est intense, le tableau diarrhéique et douloureux peut prédominer en période nocturne.
Diarrhée par production de toxine Les différentes toxines agissent par des mécanismes différents, cependant elles réalisent sur le plan clinique un tableau assez univoque marqué par un début très brutal, des selles profuses et un météorisme abdominal. Il n’y a pas de douleurs abdominales et peu ou pas de fièvre. Ces diarrhées peuvent prendre un caractère sécrétoire très marqué (choléra) et la réhydratation doit être menée de façon précoce parallèlement au débit fécal.
Autre classification Les aspects cliniques des diarrhées aiguës infantiles peuvent également être classifiés en fonction de l’état de déshydratation apprécié sur le pourcentage de perte de poids ou estimé en fonction de critères cliniques (tableau III).
Pédiatrie
TABLEAU II Principaux symptômes observés en fonction du mécanisme et de l’étiologie des diarrhées aiguës Entérite virale
Diarrhée par production de toxine + ++ + -
+ +++ + +++ +++ +
Fièvre Déshydratation Choc Vomissements Selles aqueuses Leucocytes fécaux
Diarrhée invasive +++ + + +++
TABLEAU III Déshydratation Critère
Tension artérielle Pouls Temps de recoloration Pli cutané Fontanelle Muqueuses Yeux
Déshydratation minime (3-5 %)
Déshydratation modérée (6-9 %)
normale normal normal normal normale un peu sèches normaux
normale accéléré un peu allongé pâteux déprimée sèches creux
• Diarrhée aiguë bénigne : il n’y a pas de signes cliniques de déshydratation, la perte de poids est nulle ou inférieure à 5 % du poids du corps, l’enfant n’a pas de vomissements ni de météorisme abdominal. • Diarrhée aiguë d’intensité moyenne : les signes de déshydratation sont nets (soif, persistance du pli cutané, perte de poids entre 5 et 8 % du poids du corps), associés à de la fièvre, une anorexie, des vomissements et une diarrhée importante. • Diarrhée grave : la diarrhée est profuse, l’intolérance gastrique absolue, les signes de déshydratation marqués (soif, « faciès toxique », état de choc, polypnée témoignant de l’existence d’une acidose, persistance du pli cutané, sécheresse des muqueuses, oligo-anurie, parfois troubles de la conscience) ; le météorisme abdominal est net. La perte de poids dépasse 10 % du poids du corps.
Investigations paracliniques Elles doivent être indiquées en fonction de la nature et de la gravité du syndrome diarrhéique. La coproculture est généralement de peu d’intérêt. La plupart des diarrhées aiguës observées en France sont d’origine virale. Quelle
Déshydratation sévère (O 10 %) normale ou basse accéléré très allongé persistant déprimée sèches très creux
que soit l’étiologie, l’évolution se fait habituellement vers une guérison spontanée en 2 à 3 jours. Un examen bactériologique des selles ne doit donc être demandé que lorsque les données cliniques font soupçonner une infection bactérienne (selles glairo-sanglantes), si la diarrhée se prolonge anormalement, particulièrement chez l’enfant vivant en collectivité. Dans ces cas, la numération des globules blancs dans les selles peut aider au diagnostic. Les limites de la coproculture viennent aussi parfois des insuffisances méthodologiques qui ne permettent pas de déceler tous les germes pathogènes, en particulier Campylobacter jejuni. Inversement, la présence dans les selles d’un agent bactérien connu comme pathogène ne suffit pas pour affirmer que ce germe est la cause de la diarrhée et pour déterminer son mode d’action. Les techniques qu’il conviendrait d’utiliser pour préciser ces points (méthodes bactériologiques permettant de déterminer le type, les caractères pathogènes de la bactérie, examens sérologiques) sont difficiles à réaliser, elles restent du domaine de la recherche ou sont contraignantes pour l’enfant. Elles ne sont pas effectuées en pratique quotidienne d’autant plus que les résultats qu’elles peuvent apporter ont peu ou pas d’incidence thérapeutique.
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DIARRHÉE AIGUË DU NOURRISSON
Anamnèse Examen – Pesée Évaluation clinique
B
Poids antérieur connu ou Estimation du pourcentage de déshydratation*
B
ou ou ou
ou
Déshydratation > 10 % Choc hypovolémique Enfant inconscient Ileus majeur NON Déshydratation entre 6 et 9 % NON Déshydratation entre 3 et 5 % NON Patient non déshydraté Déshydratation < 3 %
B B B
HOSPITALISATION OUI OUI OUI
B
Continuer alimentation normale Boissons usuelles en grande quantité
Réhydratation voie intraveineuse Réhydratation orale (solutés de réhydratation orale) sur 4 h Réhydratation orale (solutés de réhydratation orale) sur 4 h
B
Après 4 h de réhydratation orale
Bonne tolérance Reprendre le lait Alimentation solide Continuer solutés de réhydratation orale 24 h
Mauvaise tolérance Vomissements + + + Diarrhée profuse Aggravation de la déshydratation HOSPITALISATION
* voir tableau III.
*Réhydratation par voie intraveineuse *Discuter solutés de réhydratation orale par sonde naso-gastrique
Prise en charge d’une diarrhée aiguë de l’enfant.
La mise en évidence de particules virales dans les selles, facile à réaliser à l’heure actuelle, ne suffit pas pour affirmer que le syndrome diarrhéique a pour origine une infection virale qui ne peut être véritablement affirmée que par l’étude de la séroconversion spécifique. Étant donné l’absence d’intérêt pratique, cette recherche n’est généralement pas réalisée. L’examen virologique des selles a surtout un intérêt en situation épidémique, en particulier chez des enfants vivant en collectivité. Une augmentation des transaminases et de l’acide urique plasmatiques a été retrouvée chez 30 à 40 % des enfants présentant une diarrhée aiguë à rotavirus. Cependant, ces données ne justifient pas la pratique systématique de ces examens. Les autres examens paracliniques (hémogramme, culot urinaire, prélèvements bactériologiques divers, examens parasitologiques) sont indiqués en fonction d’une orientation étiologique précise ou si la diarrhée se prolonge anormalement. La détermination du type et de la gravité de l’état de déshydratation – protides totaux, ionogramme, pH et réserve alcaline sanguins, dosages de sodium (Na+) et du potassium (K+) urinaires, études répétées du pH et de l’osmolarité urinaires – sont indispensables dès que l’enfant présente des signes cliniques de déshydratation grave. ■ 2160
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Points Forts à retenir • Les diarrhées aiguës infantiles représentent un coût économique considérable. • Ce coût est directement lié au nombre des prescriptions : examens complémentaires, régimes et laits spéciaux, médicaments et bien sûr hospitalisations. • Dans l’immense majorité des cas, les diarrhées aiguës du nourrisson dans nos pays sont bénignes et d’évolution spontanée vers la guérison en 48 h. • Les examens bactériologiques des selles (coproculture) demandent 2 à 3 jours pour être interprétés : c’est-à-dire que le résultat est disponible quand l’enfant est guéri. • Le diagnostic et l’appréciation de la gravité reposent sur l’examen clinique immédiat. • La prescription de médicaments antidiarrhéiques, antibiotiques, laits de régime ou réintroduction progressive de l’alimentation est le plus souvent inutile. • C’est la prise en charge de la déshydratation (prévention du risque ou traitement d’un état patent) qui est le point clé de la surveillance et du traitement d’une diarrhée aiguë de l’enfant.
Pédiatrie A 89
Douleur abdominale aiguë de l’enfant Orientation diagnostique DR Didier STAMM Service d’urgence et de réanimation pédiatriques, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.
Points Forts à comprendre • Un interrogatoire rigoureux et un examen clinique général systématique et minutieux sont les éléments essentiels à l’établissement d’un diagnostic. • L’objectif de l’examen est de ne pas méconnaître une affection chirurgicale. • Une cause chirurgicale probable ou certaine impose une hospitalisation en environnement chirurgical pédiatrique ou à compétence pédiatrique. • Devant tout diagnostic imprécis, une surveillance étroite s’impose. • Aucun examen complémentaire ne se justifie de manière systématique. • Devant un tableau abdominal douteux, une échographie peut être utile, même en cas de négativité. Elle permet alors d’exclure certains diagnostics. • La présence d’une selle diarrhéique n’élimine pas une cause chirurgicale. • Organiser une surveillance, c’est connaître les limites des situations où l’hospitalisation ne paraît pas nécessaire.
Conduite de l’examen Devant un tableau de douleur abdominale aiguë, l’un des éléments essentiels à la détermination d’un diagnostic est la réalisation d’un examen complet, détaillé, rigoureux, qui permet de décider de l’utilité ou de l’inutilité de certains examens complémentaires. Cet examen permet d’éviter la réalisation d’un bilan inutile voire dangereux lorsqu’il est source d’un retard à la prise en charge, la démarche étant sous-tendue par la crainte de méconnaître une affection chirurgicale.
Interrogatoire rigoureux Celui-ci doit être minutieux, il convient de préciser plusieurs points.
1. Contexte Quel est l’âge de l’enfant ? Certaines causes posent problèmes à tout âge (appendicite), d’autres plutôt chez le jeune enfant (invagination intestinale aiguë). S’agit-il de douleurs réellement récentes et aiguës ou celles-ci surviennent-elles sur un terrain de douleurs abdominales chroniques ? Ces douleurs aiguës ont-elles déjà été ressenties par l’enfant, sont-elles du même type ? La localisation est-elle identique, existe-t-il des facteurs déclenchants ? L’enfant a-t-il eu un traumatisme (chute, impact abdominal) ? Les antécédents personnels ne sont pas négligeables, qu’ils soient récents ou plus anciens. L’enfant a-t-il déjà subi une chirurgie abdominale, une infection récente a-t-elle été constatée ou diagnostiquée ? Existe-t-il des antécédents personnels de pathologie chronique, hépatique ou urologique ? Les antécédents familiaux d’atopie, de maladie ulcéreuse ou inflammatoire peuvent également orienter sur certains diagnostics ; les douleurs abdominales, les migraines sont d’autres exemples. L’environnement familial et scolaire est aussi à inventorier, de même que la notion d’un facteur ethnique (drépanocytose chez un sujet noir, maladie périodique sur le pourtour méditerranéen).
2. Caractères de la douleur La recherche des caractères de la douleur de l’enfant doit être réalisée par un interrogatoire non suggestif. Quels sont l’horaire et les modalités d’apparition ? Le mode de début a-t-il été brutal ou progressif ? Le siège (péri-ombilical, épigastrique, hypocondre droit ou gauche, fosse iliaque droite ou gauche) peut être obtenu en demandant à l’enfant de localiser avec le doigt sa douleur. Une localisation ombilicale ou para-ombilicale ne doit pas être faussement rassurante. Le type de douleur est par contre difficile à obtenir chez le jeune enfant, de même que la notion d’irradiation. L’évolution immédiate, avec douleur initialement localisée diffusant par la suite, est également utile, de même que la recherche de l’intensité des douleurs avec son retentissement sur les jeux, le sommeil, les activités et l’appétit. La douleur paraîtelle permanente ou paroxystique ? Existe-t-il une périodicité ? Existe-t-il des facteurs d’exacerbation ou de soulagement ? À côté du rythme post-prandial, l’accentuation des douleurs après l’absorption de certains
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DOULEUR ABDOMINALE AIGUË DE L’ENFANT
Interrogatoire Contexte
Caractères de la douleur
Signes associés
Antécédents ✓ familiaux ✓ personnels
Modalités initiales
Généraux
Topographie
Digestifs
Épisode antérieur
Évolution immédiate
Urinaires
Contexte ✓ familial ✓ scolaire
Facteurs favorisants
Pulmonaires
Facteurs soulageants
Dermatologiques
1 Conduite de l’examen devant des douleurs abdominales aiguës. aliments ou, à l’inverse, une disparition des douleurs peuvent être observées. Existe-t-il un pyrosis ? Comment la douleur évolue-t-elle après la prise d’antalgiques ? Le nourrisson exprime sa douleur par une agitation, des pleurs incessants, des cris plus ou moins inexpliqués.
3. Signes associés L’interrogatoire s’attache également à rechercher la présence de signes généraux tels qu’une fièvre, une altération de l’état global, une perte de poids ; de signes digestifs tels que des nausées, des vomissements bilieux orientant sur une occlusion intestinale ou sanglants évocateurs d’un ulcère ou de prise de salicylés ; de troubles du transit tels que des diarrhées ou une constipation ; de signes urinaires tels que des brûlures mictionnelles, une dysurie ou une pollakiurie ; de signes pubertaires (premières règles) ; sans oublier d’autres signes respiratoires, avec la présence d’une toux ou de douleurs thoraciques en particulier basithoraciques, neurologiques tels que des céphalées, des troubles de la conscience, d’arthralgies, de myalgies ou de purpura. La présence d’une infection de la sphère ORL de même que l’existence d’hématomes disséminés sur le corps sont également d’une grande aide.
Examen clinique Il est lui aussi fondamental et doit déjà être orienté par les éléments recueillis au cours de l’interrogatoire. Il doit être complet et général, en débutant autant que faire se peut par les zones non abdominales pour ne pas réveiller, dès le début de l’examen, les douleurs qui perturberaient le bon déroulement de la démarche diagnostique. Il convient de ce fait d’apprécier l’état de l’enfant, son teint pâle, gris ou ictérique. Une mesure 1924
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objective de la température, du rythme cardiaque, de la pression artérielle est réalisée. L’appréciation de la marche renseigne sur l’importance de la douleur. À l’arrivée aux urgences, l’enfant qui a mal est anxieux. Il convient d’avoir une approche calme, rassurante avec les parents, source d’une augmentation de la confiance de l’enfant. Le dialogue avec celui-ci est essentiel, il sait expliquer où et comment il a mal si les questions sont précises, positives, lui faisant comprendre que nous appréhendons sa douleur. Pour le bébé, il faut être particulièrement attentif à ce que racontent les parents en essayant de faire l’examen en dehors des périodes de pleurs. L’essentiel de l’examen abdominal est la patience. Le déclenchement de cris ou de pleurs réduit la valeur de l’examen, d’autant plus que l’enfant est jeune. L’abdomen doit être examiné chez un enfant déshabillé, en décubitus dorsal et les jambes demi-fléchies. L’installation de façon confortable est un élément susceptible de le rassurer, un coussin sous les genoux peut permettre de relâcher les muscles abdominaux. L’enfant prend d’ailleurs spontanément une position antalgique pouvant aider au diagnostic. La palpation de l’abdomen se fait avec une main réchauffée qui explore d’abord les zones qui ne sont pas douloureuses avant de se rapprocher de la zone sensible. Tous les temps de l’examen doivent être respectés. L’inspection apprécie la présence d’un météorisme, d’une respiration abdominale. La palpation recherche la localisation de la douleur, son réveil ou sa majoration. Elle permet également d’apprécier la présence d’une défense, d’une contracture. Elle peut mettre en évidence une masse abdominale telle qu’un fécalome, un boudin d’invagination, une tumeur. Le retrait de la main qui palpe, la présence d’une position antalgique, de contractures ou d’une douleur non médiane sont autant de signes en faveur de l’organicité du symptôme. L’évaluation du volume du foie et de la rate est également
Pédiatrie
Examen clinique Examen abdominal
Examen général
✓ Rassure l’enfant
Anormal
✓ Approche calme
normal
✓ Patience
Anormal
Douteux
Normal
importante. La palpation doit explorer l’abdomen depuis les fosses iliaques pour ne pas méconnaître une viscéromégalie majeure. Elle peut être plus aisée chez un enfant couché sur le côté gauche pour la recherche de l’hépatomégalie, sur le côté droit pour la recherche d’une splénomégalie. On ne doit pas omettre de vérifier les orifices herniaires et les fosses lombaires. La percussion recherche un tympanisme ou une matité déclive. L’auscultation évalue la présence de bruits hydroaériques. Enfin, le toucher rectal doit être réalisé en fin d’examen. Il ne peut, chez l’enfant, être systématique et doit être réalisé en fonction des hypothèses étiologiques. Il faut parfois savoir s’en passer si l’avis chirurgical paraît indispensable compte tenu des autres éléments anamnestiques et cliniques. Il paraît difficilement tolérable de réaliser deux touchers à quelques minutes d’intervalle. Celui-ci peut montrer des matières fécales orientant plutôt vers une constipation, une douleur vive plus fréquemment déclenchée à droite en cas d’appendicite aiguë, la présence de sang rouge sur le doigtier en cas d’invagination intestinale aiguë. Autant que faire se peut, l’enfant doit être vu conjointement par le médecin et le chirurgien. La réalisation d’une bandelette urinaire est indispensable, la description de signes cliniques est en effet difficile chez le nourrisson et le jeune enfant.
Attitude pratique au terme de l’examen clinique Les douleurs abdominales peuvent conduire à un éventail très large de causes. Elles constituent donc une situation difficile, où il faut distinguer les cas qui nécessitent une attitude thérapeutique immédiate. Trois éventualités sont possibles au terme de l’interrogatoire et de l’examen clinique.
Origine chirurgicale suspectée ou probable Devant toute anomalie de l’examen abdominal (défense, contracture, masse, douleur vive localisée réveillée par la palpation), l’avis d’un chirurgien pédiatrique s’impose en urgence. L’indication d’intervention immédiate ou de surveillance en environnement chirurgical à compétence pédiatrique est alors précisée. En présence d’un tableau occlusif, une appendicite ou une péritonite doivent être évoquées, a fortiori s’il existe une défense ou une contracture. La constatation d’une cicatrice abdominale, devant le même tableau, oriente vers une bride, la présence de sang frais sur le doigtier ou une fosse iliaque droite vide vers une invagination intestinale. Un état de choc doit conduire à envisager une péritonite devant un tableau fébrile, une rupture d’organe en cas de traumatisme, un diverticule de Meckel, une invagination intestinale compliquée, une entérite nécrosante en présence de rectorragies ou de melæna. Une masse pelvienne douloureuse chez une fille entraîne la recherche d’une torsion de kyste de l’ovaire et, chez le garçon, un scrotum douloureux impose d’éliminer une torsion de testicule. Souvent, les situations ne sont pas aussi nettes et il convient de savoir demander un 2e examen, réalisé par un chirurgien d’autant plus expérimenté que l’enfant est jeune ou que les manifestations sont imprécises. Dans le doute, mieux vaut une intervention redressant le diagnostic qu’une chirurgie réalisée tardivement chez un enfant présentant alors un état précaire.
Origine médicale probable ou certaine L’urgence chirurgicale éliminée, quelques examens complémentaires aident parfois à confirmer le diagnostic. Le renvoi à domicile avec une thérapeutique adaptée ou
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Examen abdominal Anormal ✓ Défense ✓ Contracture ✓ Masse
Douteux
Normal
Surveillance hospitalière étroite
Examen général Normal
Quel que soit l’examen général
Douleurs récidivantes ? Examens complémentaires ?
Cause chirurgicale Avant tout
Parfois
✓ Appendicite aiguë ✓ Invagination intestinale aiguë
✓ Occlusion ✓ Meckel ✓ Torsion testiculaire ✓ Torsion ovaire ✓ Péritonite ✓ Traumatisme
Fièvre (+)
Anormal Cause médicale
Fièvre (–)
✓ Infection ORL ✓ Parasitose ✓ Pneumonie ✓ Constipation ✓ Gastro-entérite ✓ Drépanocyte ✓ Infection urinaire
2 Attitude pratique au terme de l’examen clinique devant des douleurs abdominales aiguës.
l’hospitalisation en milieu médical pour mise en route d’un traitement immédiat dépendent du diagnostic retenu. La mise en évidence d’une fièvre est un élément d’aide au diagnostic.
Diagnostic imprécis Une décision doit être prise quant au choix d’un retour à domicile, la surveillance étant alors assurée par les parents, ou d’une hospitalisation pour confirmer ou infirmer l’organicité des douleurs. La réalisation d’examens complémentaires ne se justifie pas systématiquement, par contre une surveillance étroite doit être impérative.
1. Retour à domicile Il ne se conçoit que si divers éléments sont présents : l’absence de toute hypothèse chirurgicale s’impose, l’examen abdominal est normal, l’examen général est rassurant. La famille doit pouvoir assurer la surveillance et a compris toute l’importance de celle-ci. La dispensation des instructions de surveillance doit être claire, précise. Une surveillance régulière de la température, du transit, de l’état général est nécessaire. De plus, un recours systématique et facile à un réexamen clinique, en dehors de toute aggravation et a fortiori en cas de dégradation de l’état de l’enfant et de nouveaux symptômes, doit être expliqué. À ce titre, l’éloignement du domicile familial par rapport au service hospitalier peut être source d’une hospitalisation pour surveillance. 1926
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2. Hospitalisation Si toutes ces conditions ne sont pas retrouvées, il convient d’hospitaliser l’enfant pour répéter les examens cliniques, réaliser quelques examens complémentaires et juger de l’évolution. Celle-ci doit être étroite et rapprochée. Il convient de maintenir l’enfant à jeun et de le mettre sous perfusion pour assurer des apports hydriques nécessaires. Tout traitement antalgique susceptible de masquer une symptomatologie chirurgicale doit être proscrit. Les examens cliniques sont répétés, complets, ne se limitant pas à la palpation abdominale. La réalisation d’une numération formule sanguine, d’un ionogramme sanguin avec calcémie et phosphorémie, d’une protéine C réactive (CRP) s’impose, souvent associés à une hémoculture, lorsque l’enfant est fébrile. Le renouvellement de l’examen de l’abdomen sans préparation doit être large, voire parfois d’une échographie abdominale, celle-ci pouvant être décalée de quelques heures. Trois situations peuvent par la suite être rencontrées : – l’apparition de nouveaux symptomes permettant d’affirmer avec certitude un diagnostic ; – la disparition complète des symptômes et de la douleur ; il est alors nécessaire de se donner quelques heures de recul pour ne pas méconnaître une accalmie faussement rassurante ; il convient de s’assurer de l’absence d’organicité réelle des douleurs ; le diagnostic d’atteinte psychosomatique doit rester une exception, en dehors
Pédiatrie
de tableaux chroniques pour lesquels les contextes familial et scolaire sont souvent particuliers ; – le tableau clinique peut rester identique, ne permettant pas de lever les incertitudes ; il conduit à rechercher à tout prix une origine chirurgicale, en retenant comme suspecte une douleur de topographie fixe, s’accompagnant de vomissements persistants, d’une paroi abdominale difficile à examiner. L’intervention chirurgicale de sécurité ou la cœliochirurgie préconisée actuellement par quelques équipes peuvent alors révéler une cause organique.
3. Autre possibilité Une 3e possibilité se présente fréquemment à une époque où les services de pédiatrie sont fréquemment pleins et où tous les services d’urgence en particulier pédiatrique n’ont pas de lit de surveillance. En cas de doute quant à la bénignité des douleurs, quelques examens paracliniques sont alors demandés immédiatement, l’enfant est gardé pendant 2 ou 3 h aux urgences le temps d’obtenir l’ensemble des résultats. Une telle attitude impose en premier lieu qu’un 2e examen clinique soit réalisé par un 2e examinateur, afin d’éliminer toute hypothèse chirurgicale. Une numération formule sanguine et une CRP (délai de positivité d’une dizaine d’heure après le début de la fièvre) sont réalisées dans le but d’éliminer un tableau infectieux sévère. La bandelette urinaire est systématique, de même que la réalisation de l’examen de l’abdomen sans préparation. L’indication d’une échographie est large, faut-il encore pouvoir en disposer d’une manière aisée et rapide. Une telle attitude doit cependant rester exceptionnelle et expose à un risque médico-légal en cas d’erreur diagnostique. Au moindre doute, cette attitude ne peut être retenue et l’enfant doit être gardé en surveillance hospitalière.
Diagnostic étiologique Origine chirurgicale probable ou certaine 1. Appendicite aiguë Il s’agit avant tout d’un diagnostic clinique. Dans sa forme typique, chez un enfant âgé de plus de 2 ans, le début est aigu, l’enfant est le plus souvent sub-fébrile (37,5 à 38 °C). L’enfant arrive plié en 2, lorsqu’il n’est pas porté par ses parents, position qui traduit le psoïtis. Il a des nausées ou des vomissements, la douleur est permanente. La palpation abdominale déclenche à la pression de la fosse iliaque droite ou à la décompression (signe de Blumberg) une douleur vive. Celle-ci s’accompagne d’une défense. La langue est classiquement saburrale. Le toucher rectal déclenche une douleur à droite, sa valeur est d’autant plus fiable que l’âge de l’enfant est élevé. Les examens complémentaires sont de peu d’appoint et montreraient une hyperleucocytose avec polynucléose au stade de diffusion de l’infection appendiculaire. L’abdomen sans préparation montre
parfois des niveaux liquides au niveau de la fosse iliaque droite ou un éventuel coprolithe appendiculaire. De par l’âge, l’examen chez le nourrisson (moins de 2 ans) peut être égaré par des troubles digestifs fréquents à cette période de la vie (vomissements, diarrhées, distension abdominale). Souvent, l’enfant n’est pas examinable et retire la main de l’examinateur lors de l’abord de la fosse iliaque droite. Nombreuses sont les formes atypiques qui occasionnent des difficultés extrêmes. De par sa localisation inhabituelle (forme rétrocæcale, pelvienne…), le diagnostic peut à tort s’orienter vers une origine urinaire ou gynécologique. Enfin, certaines formes sont particulièrement trompeuses ; il s’agit des formes neurologiques chez un enfant ayant fait un malaise voire exceptionnellement un coma. Dans de telles circonstances, les examens paracliniques sont parfois utiles, l’échographie abdominale peut avoir sa place si l’appendice est suffisamment inflammatoire pour être diagnostiqué ou en cas de forme abcédée. Enfin, certains enfants ayant eu un parcours traînant au cours des dernières heures peuvent se présenter avec un tableau de contracture généralisée évoquant alors le diagnostic de péritonite appendiculaire.
2. Invagination intestinale aiguë Ce diagnostic doit être évoqué chez un nourrisson âgé de 6 à 18 mois, qui vomit, refuse le biberon, a des accès subits de pleurs ou de cris survenant classiquement sur un rythme répétitif avec des intervalles critiques asymptomatiques. Ces épisodes ont tendance à se rapprocher et sont souvent accompagnés d’accès de pâleur. L’âge n’est pas un facteur limitant au diagnostic, de tels tableaux ont été constatés chez des nouveau-nés âgés de 15 jours à 3 semaines. Le diagnostic est parfois plus difficile en cas de forme neurologique, avec troubles du comportement, convulsions ou lors d’accès de pâleur répétitifs isolés sans épisode de cris. La palpation abdominale réveille la douleur lorsqu’elle est réalisée en phase intercritique. Elle peut permettre de percevoir une masse abdominale (boudin d’invagination) au sein d’une fosse iliaque droite vide. Enfin, le toucher rectal est taché de sang lorsque les parents n’ont pas spontanément constaté de rectorragies. Le radiologue tient alors une place essentielle dans la prise en charge diagnostique et même thérapeutique. L’échographie réalisée par un radiologue compétent en pédiatrie confirme l’invagination intestinale aiguë en visualisant un aspect en pince de crabe ou de cocarde selon la coupe, témoin du boudin d’invagination. Le lavement aux produits hydrosolubles ou à l’air confirme les images échographiques et permet une réduction de l’invagination intestinale. Cet examen doit être réalisé avec douceur, en présence du chirurgien. Il est contreindiqué cependant lorsque l’état général de l’enfant est altéré ou lorsque l’échographie montre la présence d’un épanchement péritonéal déjà conséquent. Dans un tel cas ou en cas de récidive de l’invagination après réduction radiologique, les enfants étant gardés en
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surveillance en milieu chirurgical pendant 24 à 48 h, il convient alors de réaliser une intervention chirurgicale. Chez le grand enfant, l’invagination est avant tout secondaire sur adénolymphite, diverticule de Meckel voire parfois tumeur. Elle se manifeste plutôt par un tableau d’occlusion intestinale aiguë. Enfin, on ne peut méconnaître la possibilité d’une invagination chez un enfant présentant un purpura rhumatoïde accompagné de douleurs abdominales importantes et de vomissements.
3. Étranglement herniaire La palpation des orifices herniaires doit faire partie intégrante de l’examen abdominal. L’étranglement se caractérise par une masse irréductible dont la correction s’impose en urgence pour ne pas compromettre la vitalité de l’anse intestinale étranglée. Ce geste doit être réalisé sous sédation, voire sous anesthésie générale, permettant alors une correction chirurgicale simultanée de l’orifice herniaire.
4. Occlusion intestinale aiguë Le contexte est souvent très évocateur. L’enfant présente des douleurs abdominales diffuses associées à des vomissements, un arrêt des matières et des gaz et parfois un ballonnement abdominal dans les occlusions basses. La persistance de quelques selles parfois liquides ne doit pas faire méconnaître l’utilité de l’examen de l’abdomen sans préparation. Celui-ci montre une distension intestinale avec présence de niveaux hydroaériques. La présence d’une anse particulièrement dilatée avec niveau hydroaérique en U est évocatrice d’un volvulus. D’autres causes sont également retrouvées : occlusion sur bride chez un enfant aux antécédents d’intervention chirurgicale abdominale, syndrome de Meckel. La pathologie du diverticule de Meckel doit être également évoquée devant un enfant ayant des douleurs abdominales avec rectorragies.
5. Syndrome péritonéal L’état général de l’enfant est altéré, le teint est cireux. L’état hémodynamique est atteint avec tachycardie, hypotension, allongement du temps de recoloration cutanée. Une interruption du transit est habituellement constatée, mais la présence de quelques selles diarrhéiques n’infirme pas le diagnostic. Surtout, à la palpation abdominale, on retrouve une contracture généralisée, à la percussion une matité déclive ou parfois un tympanisme. L’examen de l’abdomen sans préparation tangentiel (profil chez un enfant couché sur le dos) permet alors de confirmer le diagnostic de pneumopéritoine, de face il révèle parfois un croissant aérique sous-diaphragmatique. Il met rarement en évidence un corps étranger (aiguille, clou). Le diagnostic étiologique est en fait peu souvent posé avant l’intervention chirurgicale. Celle-ci peut révéler une perforation intestinale sur appendicite, invagination ou parfois des tableaux rares d’entérite nécrosante ou d’infarctus mésentérique. 1928
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6. Torsion du testicule Les douleurs se délimitent au niveau de la zone scrotale, la bourse est alors grosse, douloureuse, le testicule est augmenté de volume et extrêmement douloureux à la palpation. L’abolition du réflexe crémastérien du côté de la torsion est fortement évocatrice. L’enfant est dans la forme typique, apyrétique. Le diagnostic différentiel avec une torsion d’hydatide n’est pas toujours évident. Rien ne ressemble plus à une torsion de testicule qu’une orchite et pourtant la confusion n’est pas permise. En cas de doute, une intervention chirurgicale d’exploration urgente s’impose. Une fixation bilatérale des testicules est réalisée après détorsion du testicule concerné.
7. Torsion d’annexe La palpation abdominale chez une jeune fille ayant des douleurs aiguës peut permettre de découvrir une masse pelvienne ou pelvi-abdominale associée à des vomissements. L’échographie abdominale urgente affirme le diagnostic de torsion d’ovaire, soit sur annexe normale, soit sur masse tumorale telle qu’un kyste ou un tératome. Dans tous les cas, la confirmation chirurgicale s’impose. En période pubertaire, il convient de vérifier la vulve, à la recherche d’un hématocolpos (rétention de sang menstruel dans le vagin par imperforation de l’hymen ou atrésie de l’orifice vulvaire).
8. Douleur abdominale post-traumatique Le contexte est le plus souvent évocateur. Après un examen ayant évalué les menaces vitales consécutives au traumatisme et un examen clinique minutieux, l’échographie abdominale s’impose. Tous les organes sont systématiquement vérifiés, un hémopéritoine même en l’absence de lésion d’organe plein doit faire éliminer une contusion hépatique ou splénique. L’indication de doppler sur les différents axes vasculaires doit être large. En cas de constatation d’une lésion organique ou d’hémopéritoine isolé, la réalisation d’un scanner permet de mieux préciser l’étendue de la contusion souvent sousestimée par l’échographie. Une surveillance étroite s’impose alors en service de réanimation pédiatrique. L’interrogatoire doit être repris pour ne pas méconnaître d’éventuels sévices.
9. Grossesse extra-utérine Elle est rare en pédiatrie mais doit systématiquement être évoquée chez une jeune fille pubère. L’interrogatoire en l’absence des parents, le dosage des β-hCG et l’échographie abdominale sont indispensables.
Origine médicale très probable Elle n’est évoquée qu’après avoir éliminé de manière formelle une cause chirurgicale. La présence ou l’absence d’un état fébrile est un élément d’orientation.
1. L’enfant est fébrile • La pathologie ORL est fréquente chez l’enfant. Un examen systématique doit être réalisé, la mise en évidence
Pédiatrie
d’une dysphagie, d’adénopathies cervicales ou sousmandibulaires et d’amygdales érythémateuses ou érythémato-pultacées oriente vers une angine. Il convient de ne pas oublier qu’avant l’âge de 3 ans, celles-ci sont virales. L’examen des tympans paraît indispensable, il est cependant difficile et requiert une expérience importante. Mieux vaut alors le remplacer par une simple pression successive sur chaque conduit auditif externe, pression qui déclenche une douleur vive, entraîne des pleurs et le retrait brutal de la tête, témoin d’une otite. Les douleurs abdominales intégrées dans ces cadres sont fréquentes et leur physiopathologique n’est pas expliquée ; une adénolymphite mésentérique est parfois mise en évidence. Ces mêmes douleurs peuvent se retrouver devant un tableau de rhinopharyngite, l’examen buccal montrant un rhinopharynx entièrement érythémateux. • Une cause pulmonaire peut être génératrice de douleurs abdominales. Le plus souvent, il s’agit d’une pneumonie franche lobaire aiguë. Le tableau associe la notion d’une toux volontiers sèche, d’une asthénie chez un enfant très fébrile (> 39 °C), parfois d’un battement des ailes du nez. Quelques autres signes sont évocateurs d’une pneumonie tels que la poussée d’herpès labial ou la présence de pommettes rouges. L’auscultation pulmonaire doit être particulièrement soigneuse, à la recherche d’un souffle tubaire. La radiographie pulmonaire confirme le diagnostic. Il est licite, à l’heure où les conférences de consensus recommandent de ne pas faire de radiographie pulmonaire en l’absence de signe auscultatoire, de demander la radiographie si le tableau clinique s’avère complet en dehors d’une auscultation normale. L’hyperleucocytose avec polynucléose est un bon élément d’orientation. La défervescence rapide sous pénicilline reste habituelle. La constatation d’une matité et d’une diminution du murmure vésiculaire en regard évoque une pleurésie. • Les gastro-entérites aiguës sont révélées par la présence de selles liquides, fortement évocatrice du diagnostic. L’examen de l’abdomen sans préparation peut montrer dans ce contexte quelques niveaux hydroaériques. La présence d’une diarrhée ne doit pas obligatoirement rassurer, la préoccupation d’un problème chirurgical reste entier. Les toxi-infections alimentaires se retrouvent avec un tableau bruyant et brutal. Plusieurs cas familiaux ou scolaires sont contemporains. Les signes cliniques sont précoces (1 à 6 h) après une ingestion alimentaire suspecte, plus tardif (8 à 48 h) en cas de salmonelle. Les vomissements sont violents. L’aliment contaminant ou le « contaminateur » doivent être recherchés. • L’adénolymphite mésentérique présente un tableau fébrile douloureux, apparu au décours d’un contexte de virose des voies aériennes. Une surveillance étroite est nécessaire car le tableau clinique ne permet parfois pas d’éliminer l’appendicite aiguë. L’échographie abdominale est parfois utile. • L’hépatite virale est révélée par des vomissements, des douleurs abdominales, dans un contexte modérément fébrile, à la phase préictérique. L’examen clinique retrouve parfois une sensibilité de l’hypocondre droit.
Le subictère, les arthralgies, les urines foncées facilitent le diagnostic. Le dosage des transaminases oriente le diagnostic, la mesure d’un temps de prothrombine normal rassure sur la sévérité de l’infection. • La pyélonéphrite aiguë doit être évoquée en cas de douleurs abdominales, parfois localisées à la fosse lombaire ou à l’hypocondre, et (ou) en présence d’une fièvre. La réalisation d’une bandelette urinaire doit être systématique chez l’enfant fébrile. La constatation de nitrites et (ou) de leucocytes chez un enfant correctement désinfecté permet d’affirmer le diagnostic. La performance de cet examen est comparable à celle de l’examen cytobactériologique urinaire mais est fortement dépendante de la désinfection préalable. La mise en place d’une poche à recueil d’urines ne doit pas excéder les 20 min, délai au-delà duquel le nettoyage doit être renouvelé et la poche changée. Les tableaux de douleurs abdominales devant les infections urinaires basses sont plus rares. • Pour le purpura pétéchial rhumatoïde, le diagnostic est posé devant l’association d’arthralgies et d’un purpura déclive situé sur les membres inférieurs, les fesses, les lombes et parfois sur les avant-bras. L’éruption est symétrique, la survenue d’un œdème localisé n’est pas exceptionnelle. Le tableau est parfois trompeur lorsque les douleurs abdominales sont inaugurales. La présence d’une protéinurie avec ou sans hématurie est évocatrice. La persistance du tableau abdominal aigu doit faire éliminer de manière systématique une invagination intestinale, complication classique. • Pour le rhumatisme articulaire aigu, des tableaux abdominaux sont possibles, mais l’angine ancienne et les arthralgies débutantes permettent le diagnostic.
2. L’enfant n’est pas fébrile • En ce qui concerne les parasitoses intestinales, il faut évoquer avant tout l’oxyurose et l’ascaridiose. Elles peuvent en imposer pour un tableau chirurgical. La réalisation d’un scotch test et la surveillance des selles s’imposent et peuvent conduire à un traitement d’épreuve. • Les douleurs annexielles peuvent être constatées à la phase prémenstruelle et sont classiques chez la jeune fille. Après la puberté, les dysménorrhées sont à rechercher. • Dans la gastrite à Helicobacter pylori, les douleurs peuvent être réelles, même en l’absence d’ulcère vrai. • L’ulcère gastroduodénal présente des douleurs qui vont s’intégrer dans un syndrome abdominal chronique. Bien qu’imprécise, la douleur apparaît proprement épigastrique, à recrudescence nocturne, souvent associée à des vomissements. Le diagnostic est le plus souvent posé devant une complication hémorragique. • Les autres troubles digestifs sont dus à une banale indigestion, des vomissements acétonémiques peuvent être évoqués. Une dilatation aiguë de l’estomac s’accompagne d’une intolérance à toute alimentation, parfois de vomissements répétés. Elle se caractérise par un ballonnement épigastrique, sans péristaltisme. Elle est plus fréquemment observée chez un enfant en état de coma mais peut se rencontrer après une fracture, une intervention chirurgicale
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abdominale ou thoracique. La mise en place d’une sonde nasogastrique en aspiration douce et la correction des troubles hydro-électrolytiques assurent une évolution favorable. • Les causes urinaires ou biliaires telles les lithiases sont rares mais possibles. Elles s’intègrent souvent dans un tableau de douleurs répétitives. La recherche des antécédents en particulier urinaires peut aider au diagnostic. Un syndrome de la jonction pyélo-urétérale peut expliquer de tels tableaux. De même qu’un syndrome néphrotique ou une glomérulonéphrite avec présence d’un syndrome œdémateux et d’une oligurie. La bandelette urinaire montre une protéinurie voire une hématurie. • Une crise drépanocytaire doit être évoquée chez un enfant noir. La douleur est souvent résistante aux antalgiques simples. L’interrogatoire familial est essentiel. • Une intoxication par les anti-inflammatoires non stéroïdiens est source de douleurs abdominales. Le dosage du paracétamol doit être largement demandé en cas de doute, l’institution précoce de son antidote (Fluimucil) contrecarrant le plus souvent le risque majeur d’insuffisance hépatique. La prise accidentelle de caustique passe rarement inaperçue. Au cours de l’automne, une intoxication aux champignons peut être évoquée. Le contexte familial du tableau et l’interrogatoire facilitent le diagnostic. • De multiples autres tableaux peuvent présenter des douleurs abdominales. Une anémie hémolytique aiguë est associée à une pâleur cutanée et des conjonctives, une tachycardie, une asthénie importante plus ou moins brutale, parfois une splénomégalie. La numération sanguine, le taux de réticulocytes, le dosage de l’haptoglobine et de la bilirubine complètent le tableau. La transfusion est alors réalisée le plus vite possible, mais seulement de manière concomitante à la réalisation du bilan d’hémolyse pour assurer le diagnostic et ne pas aggraver l’anémie. Lors d’un diabète sucré, devant un syndrome polyuropolydipsique, une perte de poids importante, une somnolence voire un coma, la glycosurie et la glycémie posent le diagnostic. Chez un diabétique connu, les douleurs abdominales reflètent le déséquilibre thérapeutique. Les migraines à expression abdominale s’associent souvent à des céphalées, des vomissements. Le début et la fin de l’épisode sont souvent brutaux. L’interrogatoire permet en général de mettre en évidence des antécédents familiaux. Un contexte ethnique oriente parfois. La maladie périodique souvent accompagnée de fièvre et d’un syndrome inflammatoire net biologiquement doit être évoquée chez un enfant israélite du bassin méditerranéen. Une tumeur abdominale engendre des douleurs consécutives à la compression de différents organes ou plexus nerveux. Elle est très souvent associée à la constatation d’une distension abdominale, la palpation retrouve la masse tumorale. Une pancréatite aiguë quoique rare est de diagnostic difficile en dehors d’un tableau antérieur d’oreillons. Un œdème angioneurotique par déficit en C1-estérase a un diagnostic facilité par l’association à un œdème de Quincke. 1930
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Une porphyrie présente des douleurs concomitantes des crises hémolytiques avec émission d’urines porto. Une hypertension artérielle se manifeste quelquefois par des douleurs abdominales toujours associées à des céphalées, parfois des troubles visuels. La prise de la pression artérielle, la palpation et l’auscultation des axes vasculaires sont indispensables. La mise en évidence de sueurs fait penser au phéochromocytome. L’insuffisance surrénale doit être évoquée devant un amaigrissement récent, une soif, une fatigabilité. La confirmation est apportée par l’hyponatrémie avec hyperkaliémie, l’hypoglycémie entre autres anomalies. Des douleurs aiguës peuvent se voir dans un contexte de douleurs abdominales récurrentes. Le diagnostic est difficile lors de la première crise. Il s’agit de : – constipations, souvent méconnues par la famille ; les douleurs sont fréquemment localisées à l’hypocondre gauche, la distension colique est parfois nette ; l’existence de fécalome est fortement évocatrice, de même qu’une éventuelle encoprésie ; – douleurs abdominales d’origine psychogène, peu spécifiques et souvent périombilicales, qui ne réveillent jamais l’enfant ; le contexte est la constatation d’une sensibilité, d’une anxiété et d’un perfectionnisme qui sont évocateurs ; une tension scolaire et (ou) familiale est parfois retrouvée. ■
POUR EN SAVOIR PLUS Bourrillon A, Dehan M. Pédiatrie pour le praticien. Paris : Masson, 1996. Huault G, Labrune B. Pédiatrie d’urgence. Paris : Médecines-Sciences Flammarion, 1993. Soupre D. Douleurs abdominales et urgences. MT pédiatrie 1999
Points Forts à retenir • Les formes cliniques d’appendicite aiguë sont nombreuses et souvent trompeuses. • Le traitement d’une invagination intestinale aiguë relève actuellement le plus souvent de la radiologie. • Toute douleur scrotale impose, dans le doute, une intervention urgente. • Il faut penser à une pneumonie lombaire aiguë devant toute douleur abdominale hautement fébrile. • La réalisation d’une bandelette urinaire impose une désinfection soigneuse, pour éviter de nombreux faux positifs. • Une topographie non périombilicale de la douleur est évocatrice d’une organicité. • Une décision de surveillance à domicile impose d’avoir éliminé toute hypothèse chirurgicale. Un second examen par un second examinateur est indispensable.
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Dystrophie musculaire de Duchenne Syndrome de l’X fragile Épidémiologie, génétique, diagnostic Dr Stéphane PINSON, Pr Henri PLAUCHU Service de génétique, Hospices civils de Lyon, 1, place de l’Hôpital, 69288 Lyon cedex 02. UFR, Rth Laennec, Université Claude-Bernard, Lyon I.
DYSTROPHIE MUSCULAIRE DE DUCHENNE Points Forts à comprendre • Cette maladie décrite par Duchenne de Boulogne à la fin du siècle dernier correspond à la génopathie musculaire la plus fréquente. • Elle ne touche que les garçons et appartient, avec l’X fragile et l’hémophilie, aux trois maladies génétiques liées au sexe les plus fréquentes. • Cette dystrophie musculaire est progressivement évolutive vers la mort avant l’âge adulte.
Épidémiologie L’incidence de la maladie est de l’ordre de 1/3 500 à 1/4 500 garçons nés vivants. La fréquence de cette maladie étant stable depuis plus de 30 ans alors que les hommes malades ne deviennent jamais pères de famille, il faut donc admettre un taux de mutation élevé pour expliquer le maintien du stock de gènes délétés d’une population. L’apparition d’une mutation de novo est en cause pour un tiers des cas sporadiques. Les mères de ces enfants sont déjà conductrices de la mutation dans deux tiers des cas et sont le plus souvent asymptomatiques. Les formes familiales, avec atteinte de plusieurs enfants, ne concernent que 20 à 30 % des enfants malades, car l’atteinte réduite aux garçons et les petites fratries limitent l’extériorisation familiale. La myopathie de Duchenne est une maladie génétique récessive liée au sexe ne touchant que des garçons apparentés de façon matrilinéaire dans une même famille.
Génétique L’examen clinique des malades à la naissance ne montre aucune anomalie apparente : le garçon présente une mobi-
lité et une trophicité normales. Il apprend à marcher sans retard caractéristique mais lorsqu’il se relève de la position accroupie, il doit s’appuyer sur ses genoux pour se redresser : c’est le signe de Gowers. Il trébuche fréquemment et il garde toujours un appui pour monter les marches d’escaliers, une à une. L’examen clinique est pauvre et ne révèle que des masses musculaires diminuées et un peu fibreuses à la palpation méticuleuse de l’enfant. La significative pseudo-hypertrophie des mollets apparaît plus tardivement. Lorsque l’on évoque la maladie, la forte élévation des créatines-kinases musculaires (de 20 à 100 fois les valeurs normales) oriente fortement vers le diagnostic. L’électromyogramme permet de confirmer une atteinte myogène. La biopsie musculaire n’apporte que des éléments indirects de diagnostic de dystrophie musculaire (atrophie myogène, nécrose, fibrose lipoïdique). L’utilisation d’anticorps spécifiques anti-dystrophine permet d’être affirmatif et d’établir un pronostic grave. Dans la dystrophie de Duchenne, on ne retrouve pas de marquage par les anticorps puisque la dystrophie est totalement absente de la fibre musculaire, son évolution va se poursuivre inéluctablement vers l’insuffisance musculaire des ceintures, avec des variations d’un garçon à l’autre. Les rétractions tendineuses achiléennes mettent les pieds en équinisme, un flessum de hanche s’installe et l’enfant prend ainsi une démarche dandinante « en canard » sur la pointe des pieds, avec une lordose pour rétablir l’équilibre fragile. L’atrophie musculaire des quadriceps précipite, en général, l’enfant vers le fauteuil roulant entre 8 et 12 ans. Cette immobilisation accélère l’installation de rétractions irréductibles des membres inférieurs. Le risque d’une scoliose très évolutive est important, et peut être aggravé par une obésité intercurrente. La scolarisation devient problématique, d’autant que l’on retrouve des difficultés intellectuelles chez un tiers des garçons. La prise en charge de ces patients, psychologiquement lourde, demeure principalement symptomatique comprenant la kinésithérapie pour lutter contre les rétractions, le traitement précoce chirurgical de la scoliose et la prévention des troubles trophiques LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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et vasomoteurs. Elle n’empêche pas son extension à la ceinture scapulaire qui réduit l’usage des membres supérieurs du jeune adolescent. C’est l’atteinte du muscle cardiaque et des muscles respiratoires qui met en jeu le pronostic vital nécessitant une prise en charge nocturne puis permanente de l’insuffisance respiratoire. Pour les mères conductrices, l’inactivation de l’X porteur de la mutation n’étant jamais totale (courbe de Gauss), il est possible de retrouver chez ces femmes vectrices une fibrose du mollet, une petite faiblesse musculaire ou une augmentation discrète de leur CK (1,5 à 10 fois la normale) qui doit être considérée comme un indice du statut de transmettrice. Les femmes conductrices ont un risque de 1 sur 2 de transmettre la maladie à leurs futurs garçons. Le gène responsable a été localisé sur le bras court de l’X, en Xp21 et a été dénommé DYS en raison de la dystrophie qu’entraîne son altération. Il comprend 2,3 millions de paires de bases, soit 1 % du chromosome X et presque 1 p. 1000 du génome. C’est le plus grand gène humain connu actuellement. Il se compose de 76 exons et est transcrit en un ARN de seulement 14 000 bases. L’étude de la transcription de ce gène a aussi montré qu’il existe un épissage différentiel entraînant la coexistence dans une même cellule de nombreuses versions de la dystrophine. Leurs lieux d’action éventuellement spécifiques expliqueraient les différentes manifestations cliniques, et l’atteinte mentale. Différents types de mutations responsables de la maladie ont été décrits. Une grande délétion intragénique de plusieurs milliers de paires de bases est retrouvée chez 65 % des patients. Celle-ci survient essentiellement en certains « points chauds » du gène facilitant sa recherche. Les autres mutations du gène (35 %) correspondent à des duplications ou délétions partielles, des microdélétions de quelques bases ou des mutations ponctuelles. L’apparition des mutations entraîne deux types d’anomalies : soit elles font apparaître un codon stop qui interrompt la synthèse de la protéine, soit elles décalent le cadre de lecture (duplication ou délétion d’un nombre de bases différent de 3 ou d’un multiple) et entraînent une perturbation importante de la protéine qui est rapidement dégradée. La protéine codée, appelée dystrophine, est présente normalement en très faible quantité dans le muscle, mais fait partie des protéines indispensables du cytosquelette des myocytes. Son rôle est capital dans l’attachement des filaments d’actine des fibres musculaires à la membrane cytoplasmique. La recherche directe des mutations ponctuelles reste encore du domaine théorique. Mais l’étude haplotypique des chromosomes X bénéficie de l’existence de nombreux polymorphismes intra- et juxtagéniques permettant d’utiliser une batterie de sondes microsatellites adaptées à chaque situation familiale (voir : pour approfondir / 1).
Diagnostic Le diagnostic positif de la maladie est avant tout clinicobiologique. 566
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1. Diagnostic moléculaire Les méthodes d’étude directe sont entreprises, après un simple prélèvement sanguin, sur l’ADN lymphocytaire du garçon atteint, et après consentement éclairé des parents. Les macrodélétions sont recherchées par PCR et Southern blot et maintenant à l’aide des microsatellites. Il est envisageable de chercher une délétion chez un fœtus masculin dans une famille sans garçon atteint survivant. Ce résultat est toujours limité puisque l’on ne retrouve une mutation de type délétion que dans 65 % des cas. Mais la recherche de mutations ponctuelles et des microdélétions n’est pas actuellement l’objet d’une détection accessible aux cliniciens.
2. Diagnostic des conductrices Lorsqu’un garçon est atteint de façon sporadique dans la famille, il s’agit d’une mutation « de novo », une fois sur trois. Dans l’autre situation, la mère est conductrice. Si aucune délétion n’est trouvée chez le garçon, il n’est pas possible de conclure sur la réalité du caractère conducteur de la mère. Devant une forme familiale, une étude moléculaire indirecte permet, selon la structure familiale, d’établir le statut des femmes potentiellement conductrices de la famille qui le demandent. On identifie l’haplotype de l’X porteur du gène muté en comparant les haplotypes de l’X chez les sujets malades et les sujets sains de cette famille. C’est l’étude de la transmission de l’X « pathologique » dans la famille qui permettra de reconnaître indirectement les vectrices parmi les conductrices possibles. Si une délétion était trouvée chez un garçon malade, l’étude directe, sur les deux X de sa mère, de la région de la délétion permet parfois de reconnaître directement les conductrices. Une consultation de conseil génétique est indispensable, avant le début des investigations, afin d’expliquer les difficultés et les limites de ces examens, et de recueillir la participation des sujets informatifs de la famille et leur consentement. La transmission des résultats de l’étude familiale s’accompagnera de l’explication de la notion de crossing-over dont la survenue modifie la fiabilité des analyses. Le diagnostic prénatal, s’il est demandé, devra être organisé dans les meilleures conditions pour tous.
3. Diagnostic prénatal Sa réalisation dépend de toute la démarche familiale décrite, avant la grossesse, afin que les parents possèdent toutes les informations nécessaires. Si un diagnostic prénatal est demandé sans qu’une étude familiale ne soit possible (garçon malade décédé) ou n’ait été faite, il n’y a pas d’étude directe fiable possible chez le fœtus masculin attendu, contrairement à l’hémophilie ou à l’X fragile. La recherche d’une macrodélétion possible, réalisable sur la notion d’antécédent très précis, se révèle trop hasardeuse. Elle est cependant la seule façon d’aider à conserver une grossesse remise en cause par la décision des parents devant le risque existant.
4. Diagnostic différentiel Devant un jeune garçon hypotonique et ayant un taux de créatine kinase élevé, il faut écarter le diagnostic de myo-
Pédiatrie pathie congénitale et penser à une dystrophie musculaire congénitale à l’aide surtout de la biopsie. Devant un adolescent qui n’évolue pas gravement comme une myopathie de Duchenne, selon les investigations paracliniques, il faudra penser à une forme allélique de Becker (faible fixation des anticorps anti-DYS sur le muscle et mutation-délétion ne compromettant pas la totalité de la fonction du gène DYS). ■
Points Forts à retenir • La dystrophie musculaire de Duchenne est une myopathie sévère des ceintures touchant le jeune garçon et évoluant vers la mort précoce par l’atteinte cardiorespiratoire. • La dystrophie musculaire de Duchenne est une maladie fréquente à transmission récessive liée à l’X. Le gène DYS responsable est altéré 65 fois sur 100 par une grande délétion identifiable. Le reste des mutations correspond à des lésions moléculaires plus petites qui restent méconnues. Aucun diagnostic direct n’est alors disponible.
SYNDROME DE L’X FRAGILE Points Forts à comprendre
• Comme pour toute maladie liée à l’X, l’établissement de l’haplotype des X par les marqueurs moléculaires permet une étude indirecte des familles. Les données informatives peuvent permettre l’identification du caractère conducteur de femmes en âge de procréer. • La survenue sporadique de la dystrophie musculaire de Duchenne chez un garçon pose la question d’une récurrence familiale puisque la mère est conductrice avec une probabilité de 2 sur 3. • Les familles touchées ne peuvent bénéficier d’un diagnostic prénatal que si l’étude en génétique moléculaire est réalisée et est informative. • Le conseil génétique est l’acte médical responsable de l’étude familiale, de la transmission des résultats expliqués, de l’écoute de la demande de diagnostic prénatal par un couple et de son éventuelle mise en place avec suivi et soutien.
POUR EN SAVOIR PLUS Eberhard Passarge. Atlas de poche de Génétique. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 1995. Kaplan JC, Delpech M. Biologie moléculaire et médecine, 2e édition. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 1993 : 386-404.
Sémiologie clinique Classiquement, la définition du syndrome repose sur une triade de signes cliniques qui ne sont ni spécifiques, ni constants.
1. Retard mental et signes neuropsychiques • Le syndrome de l’X fragile est défini par un retard mental lié au chromosome X, s’accompagnant parfois d’un morphotype particulier et d’une macro-orchidie. • La découverte au locus de l’X fragile d’un nouveau type de mutation dite instable a permis de localiser le gène en cause : FMR1 (Fragile X Mental Retardation).
Épidémiologie La maladie de l’X fragile a une incidence estimée à environ 1/4 000 chez les hommes ; elle est aussi responsable de retard mental léger à modéré chez la femme avec une incidence estimée à 1/7 000. On peut donc estimer à environ 10 000 le nombre de patients atteints en France. Cette maladie correspond à la forme de retard mental héréditaire la plus fréquente en France.
• La déficience intellectuelle est pratiquement constante mais de gravité variable allant de l’intelligence subnormale à la débilité profonde, souvent associée à des troubles du langage. • Les troubles psychiatriques sont caractérisés par des troubles du comportement : instabilité psychomotrice ou « autisme » retrouvé chez la moitié des enfants de moins de 30 mois. • Les signes neurologiques sont définis par un retard psychomoteur avec hypotonie, retard d’acquisition de la station assise et difficulté à la marche. Mais il peut n’apparaître qu’à l’entrée en milieu scolaire. Une comitialité est retrouvée dans 20 % des cas, parfois maligne.
2. Syndrome dysmorphique de la face et du crâne Il permet d’évoquer le diagnostic en donnant à ces sujets un « air de famille » : un visage allongé (front haut, hypoplasie de l’étage moyen) associé à des lèvres épaisses et de grandes oreilles mal ourlées. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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DY S T R O P H I E M U S C U L A I R E D E D U C H E N N E - S Y N D R O M E D E L’ X F R A G I L E
3. Macro-orchidie post-pubertaire Elle s’observe dans 80 % des cas. Elle est généralement importante, supérieure à 30 mL et isolée, sans anomalie endocrine. Des signes de dysplasie du tissu conjonctif peuvent s’associer (hernies).
• Femmes conductrices Elles ont un morphotype normal mais 40 à 60 % d’entre elles ont un retard mental, léger, dominé par un retard du langage.
Génétique de l’X fragile La fragilité caractéristique de l’X fut individualisée grâce à l’analyse du caryotype en milieu révélateur pauvre en acide folique. Le site fragile « FRAX-A » est localisé en Xq27.3.
1. Défaut moléculaire Il correspond à l’amplification anormale d’une séquence instable de trinucléotides CGG localisés dans le premier exon (non traduit) du gène FMR 1 entraînant l’inactivation de ce gène. Ce gène code une protéine cytoplasmique associée aux ribosomes pouvant lier des ARN. Elle pourrait jouer un rôle dans la régulation de la traduction de certains ARN messagers. Ce nouveau type de mutation instable permet d’expliquer le mode inhabituel de transmission, avec augmentation du risque de développer la maladie au cours des générations successives dans une même famille (phénomène d’anticipation). La taille de l’amplification influence l’expression phénotypique. L’amplification évolue différemment selon le sexe du parent transmetteur. Chez le sujet normal, la répétition est polymorphique (n = 6 à 50 CGG). Les mutations complètes correspondent à des expansions importantes allant de 230 à plus de 1 000 CGG et sont associées à une méthylation anormale de la répétition CGG et des séquences d’ADN environnantes. Ces phénomènes entraînent un retard mental chez 100 % des hommes, et 40 à 60 % des femmes hétérozygotes. Les prémutations sont des expansions intermédiaires (60 à environ 200 CGG) non méthylées. Elles n’entraînent pas la maladie mais semblent la « préparer ». Elles sont retrouvées chez les hommes « sains » transmetteurs et chez la majorité des femmes vectrices sans retard mental. On remarquera la difficulté d’interprétation des zones intermédiaires pour lesquelles les connaissances restent incertaines (de 50 à 60 CGG et de 200 à 230).
2. Transmission L’expression de l’anomalie dépend de l’origine parentale de la transmission. • Quand le père transmet la séquence, elle est peu modifiée. Un homme normal transmetteur, donc porteur d’une prémutation, la transmet, inchangée, à toutes ses filles naissant vectrices. Le risque d’avoir des enfants atteints n’apparaîtra qu’à la génération suivante. • Quand la mère transmet la séquence, on assiste généralement à une augmentation du nombre de répétitions, soit par augmentation de la taille de la prémutation, soit en passant d’une prémutation à une mutation complète. Cette der568
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nière éventualité n’est pas obligatoire mais semble survenir avec une probabilité dépendant de la taille de la prémutation. Plus la taille de la prémutation portée par la mère est importante, plus le risque d’avoir un enfant avec une mutation complète est grand (une prémutation de grande taille, 90 CGG et plus par exemple, entraîne un risque de transformation en mutation complète supérieur à 50 % pour chaque grossesse avec l’X pathologique).
3. Retard mental léger avec site fragile FRAX-E Un second site fragile, beaucoup plus rare, FRAX-E a été récemment décrit chez des familles avec un retard mental léger. Il est localisé au même endroit (Xq27.3) et présente le même biais maternel de transmission de l’expansion. Il est caractérisé par l’existence d’une expansion identique au niveau d’un gène voisin récemment identifié : FMR2. Le retard mental est modéré et les filles en général, ne sont pas atteintes.
Diagnostic de l’X fragile La découverte de la mutation responsable du syndrome X fragile a modifié le conseil génétique permettant le diagnostic de la maladie, la détection des personnes à risque de la transmettre et le diagnostic prénatal en l’absence de traitement. On utilise, actuellement, l’analyse de l’ADN afin de faire le diagnostic (prélèvement de sang périphérique, de villosités choriales ou de cellules amniotiques). Deux stratégies complémentaires peuvent être utilisées : l’analyse directe de la mutation et l’analyse indirecte par étude de la transmission de marqueurs polymorphiques liés au locus X fragile. L’analyse indirecte est nécessaire pour l’interprétation fine du résultat d’analyse directe, particulièrement en cas de contamination maternelle d’un prélèvement de fœtus féminin (voir : pour approfondir / 1).
1. Analyse directe • La technique de Southern-Blot permet la mise en évidence des mutations et prémutations par analyse de la migration de l’ADN après l’action d’enzymes de restriction. Elle permet de connaître la taille de l’expansion et son état de méthylation, mais cette méthylation est absente au terme gestationnel habituel d’un prélèvement sur villosités choriales. Les allèles normaux et les petites prémutations peuvent être analysés par amplification génique (PCR) de la zone où se trouve la mutation. Cela permet d’exclure la présence d’une mutation complète par la détection de l’allèle maternel normal chez un fœtus masculin, ou de voir une hétérozygotie chez un fœtus féminin (la connaissance des allèles des parents est indispensable).
2. Analyse indirecte Elle repose sur la notion de coségrégation entre le gène muté et des marqueurs génétiques polymorphiques (microsatellites) situés au voisinage du locus morbide de l’X fragile (entourant les répétitions CGG). Il s’agit d’une méthode fiable si la famille est informative, nécessitant peu d’ADN, et donnant des résultats rapides. Elle permet de pister le chromosome X muté maternel et de rassurer rapidement quand le fœtus a hérité de l’haplotype maternel sain. De rares crossing-over sont possibles expliquant un faux résultat qui doit être vérifié par analyse directe. ■
Pédiatrie
Points Forts à retenir La possiblité d’un diagnostic fiable pour l’X fragile est à mettre au service des familles pour éviter une récurrence en attendant une thérapie efficace. Cela oblige à penser à ce diagnostic devant un retard mental, en particulier chez le garçon, et a fortiori devant une forme familiale.
POUR APPROFONDIR 1 / Conseil génétique • La loi de bioéthique du 29 juillet 1994 rend obligatoire la consultation du conseil génétique avant tout acte de diagnostic prénatal. • Elle exige qu’une information adaptée à chaque cas et comprenant une explication des risques et des limites de chaque examen proposé soit délivrée au préalable. • Et elle oblige, de la part du médecin, de recueillir un consentement écrit du patient pour lequel est entreprise une étude génétique spécifique. • Comme c’est souvent le cas pour les maladies génétiques, les progrès réalisés dans la connaissance du gène apportent actuellement des possibilités diagnostiques avant de déboucher sur une solution thérapeutique.
• Cette situation très conflictuelle de la médecine et l’évolution sociomédicale depuis la loi sur l’interruption volontaire de grossesse de 1975, ont conduit à une « anti-médecine », le diagnostic prénatal, quand il conduit à une interruption de grossesse. Celle-ci est alors faite dans le but de soulager les parents d’une grande souffrance, mais au détriment d’une vie, c’est une décision éthiquement difficile qui doit être prise directement avec chaque couple. • Ce diagnostic ne peut pas être une fin en soi mais n’est qu’une étape temporaire en attendant le succès de la thérapie génique. Comme tout défaut génétique « constitutionnel » dû à l’anomalie d’une protéine structurelle, l’espoir thérapeutique repose sur l’utilisation du gène normal, comme « médicament ». Chaque traitement génétique nécessite l’élaboration d’un vecteur adapté au gène transféré et à son fonctionnement ultérieur. L’immense taille du gène DYS constitue un obstacle majeur à son intégration dans un vecteur et à son transport vers les cellules atteintes.
POUR EN SAVOIR PLUS Cossée M, Moutou C, Biancalana V et al. Le syndrome X fragile est encore méconnu : efficacité du diagnostic moléculaire chez les proposants avec retard mental. Arch Pediatr 1997 ; 4 : 227-36. Forestier F, Schorderet DF. Diagnostics prénatals et biologie moléculaire. Éditions Médicales Internationales, 1997. Mandel JL, Biancalana V. Diagnostic anténatal du syndrome X fragile. Chapitre 5. Romana SP, Gérard B. Indications de l’analyse des chromosomes et de l’ADN pour le diagnostic des maladies génétiques. Nouvelle question de l’internat, numéro 261. Rev Prat (Paris) 1997 ; 47 : 1241-52.
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Pédiatrie - Neurologie
B 233
Épilepsie de l’enfant Étiologie, diagnostic, évolution, pronostic, traitement Pr Louis VALLÉE 1, Dr Joseph VAMECQ 2 1. Service des maladies infectieuses et neurologie infantiles, (Pr J.P. Nuyts), CHRU de Lille, 59037 Lille Cedex 2. INSERM - CHRU Lille, Certia, 59651 Villeneuve-d’Ascq
Points Forts à comprendre • Tout âge confondu, on évalue l’incidence annuelle de l’épilepsie à 50 cas pour 100 000 et la prévalence chez l’enfant de 4,4 à 9/1 000. • Le risque d’apparition d’une épilepsie est maximal durant l’enfance, 50 % des épilepsies apparaissant avant 10 ans et 75 % avant 20 ans. L’incidence de l’épilepsie à la période préscolaire est estimée à 84/100 000 et de 42,2/100 000 à l’âge scolaire. • Les crises épileptiques doivent être différenciées en fonction de plusieurs critères : leur type (toniques, cloniques, tonico-cloniques, myocloniques, atoniques, absences, spasmes) ; leur durée (l’état de mal correspondant à des crises durant plus de 30 minutes) ; la localisation (partielle ou généralisée). • La classification internationale des épilepsies de 1989 est étiologique et syndromique. • L’intérêt du regroupement syndromique des épilepsies permet de comparer des groupes de malades homogènes et donc de définir une stratégie thérapeutique cohérente, et une recherche étiopathogénique pertinente.
Classification étiologique La classification des épilepsies est fonction de leur étiologie. On différenciera ainsi : • L’épilepsie idiopathique, du grec ιδιοδ : « propre, personnel, non précédé ou secondaire à ». Par définition, cette épilepsie n’a aucune cause sous-jacente. Il s’agit donc de manifestations épileptiques qui évoluent pour elles-mêmes. Les épilepsies idiopathiques sont fortement liées à l’âge, ce qui sous-entend une origine génétique probable. • L’épilepsie symptomatique, du grec συν, πιπτειν : « ensemble, arriver ». Ces épilepsies sont toujours secondaires à une lésion cérébrale et correspondent le plus souvent à des formes graves d’épilepsie. • L’épilepsie cryptogénique, du grec κριτον : « caché ». Ces épilepsies présentent suffisamment de critères cli-
niques et paracliniques pour faire suspecter une lésion cérébrale de façon quasi certaine alors que l’on ne parvient pas à mettre en évidence ces lésions. Ce concept par les techniques d’imagerie sous-entend que les crises n’ont fait que révéler une lésion cérébrale préexistante.
Classification des syndromes épileptiques de l’enfant 1. Épilepsies partielles • Idiopathiques : – épilepsie à paroxysmes rolandiques ou centrotemporales – épilepsie à paroxysmes occipitaux – épilepsie à symptomatologie affective • Cryptogéniques ou symptomatiques : – épilepsie partielle continue progressive – épilepsie du lobe frontal – épilepsie du lobe temporal – épilepsie du lobe pariétal – épilepsie du lobe occipital
2. Épilepsies généralisées • Idiopathiques : – épilepsie absence – épilepsie généralisée tonico-clonique • Cryptogénique ou symptomatique : – syndrome de Lennox-Gastaut – épilepsie myoclono-astatique – épilepsie avec absence myoclonique – épilepsies myocloniques progressives
3. Épilepsie dont la localisation partielle ou généralisée ne peut être déterminée – Pointes-ondes continues du sommeil – Syndrome de Landau-Kleffner
Épilepsies partielles Épilepsies partielles idiopathiques 1. Épilepsie à paroxysmes rolandiques ou épilepsie centrotemporale Décrite en 1958, c'est la plus fréquente des épilepsies partielles bénignes (20 % des épilepsies d’enfants en âge scoLA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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ÉPILEPSIE DE L’ENFANT
laire) correspondant à la moitié des crises morphéiques et touchant préférentiellement le garçon (65 % des cas). L’âge de début est de 3 à 13 ans avec un pic entre 8 et 10 ans. • Diagnostic : la sémiologie clinique est caractérisée classiquement par la survenue chez un enfant de 8-9 ans, sans antécédent neurologique, une demi-heure après s’être couché, de manifestations critiques orofaciales : paresthésie unilatérale intéressant la langue, les lèvres, la gencive ou l’intérieur des joues puis des convulsions unilatérales toniques, cloniques ou tonico-cloniques à prédominance orofaciale puis un arrêt de la parole ou une anarthrie et secondairement une sialorrhée avec toujours conservation de la conscience. Les crises peuvent durer plus d’une à deux minutes. Elles sont parfois moins riches dans leur symptomatologie, elles peuvent être hémicorporelles, tonico-cloniques ou encore secondairement généralisées. Dans trois quarts des cas, les crises sont liées au sommeil. L’expression des crises paraît dépendre de l’âge ; chez l’enfant plus âgé, des crises hémifaciales sont plus fréquentes alors que, chez l’enfant plus jeune, ce sont des crises hémicorporelles. • Électro-encéphalogramme: le tracé intercritique enregistre des pointes dans la région centrotemporale uni- ou multifocales. Il s’agit de pointes diphasiques de haut voltage, isolées ou en bouffées. Le sommeil augmente leur survenue et leur diffusion sur les deux hémisphères. Chez 30 % des enfants, les pointes ne sont enregistrées que pendant le sommeil. Un tracé de sommeil est donc nécessaire quand le diagnostic clinique est suspecté. • Diagnostic différentiel : vu la bénignité de l’affection, il faut éviter les investigations paracliniques abusives. On doit différencier cette épilepsie de l’épilepsie temporale, de l’épilepsie bravais-jacksonnienne. L’épilepsie centrotemporale peut s’associer à une épilepsie bénigne à paroxysmes occipitaux. • Traitement : il doit être guidé par le fait qu’il s’agit d’une épilepsie bénigne, que les crises peuvent être rares et que le plus souvent, elles sont uniquement nocturnes. Pour cette raison, certains auteurs proposent même l’abstention thérapeutique. Si on décide d’un traitement, on fera appel au valproate de sodium (Dépakine chrono) (comprimé à 500 mg) à la posologie de 15 à 20 mg/kg/j. Le grand principe dans le traitement est d’éviter un excès dans les posologies et toutes polythérapies. • Évolution : cette épilepsie est bénigne. Cependant, dans 20 % des cas, les crises peuvent être fréquentes, persistantes malgré le traitement mais sans influence sur le pronostic qui est toujours bon.
2. Épilepsie à paroxysmes occipitaux L’épilepsie à paroxysmes occipitaux est caractérisée par des crises à sémiologie visuelle. Elle a été identifiée définitivement entre 1980 et 1982. Elle touche autant les garçons que les filles. Cette épilepsie débute à un âge moyen de 7 ans et demi avec des extrêmes entre 2 et 17 ans. Dans un tiers des cas, on retrouve des antécédents familiaux et dans 16 % des cas la notion de migraines. • Diagnostic : la sémiologie clinique est constituée de signes visuels et non visuels. Les signes visuels surviennent au moment de la crise et sont marqués par une amaurose, des 218
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sensations visuelles élémentaires telles que des phosphènes occupant tout ou une partie du champ visuel. Les hallucinations visuelles complexes sont rares. La symptomatologie non visuelle survient habituellement après la symptomatologie visuelle marquée par une crise hémiclonique dans presque la moitié des cas. Il peut s’agir de crises partielles complexes ou de crises généralisées tonico-cloniques. • Électro-encéphalogramme : en période post-critique, l’électro-encéphalogramme est caractérisé par des décharges de pointe-ondes ou de pointes sur les deux lobes occipitaux. Il s’agit de pointes survenant de façon rythmique de 1 à 3 cycles/seconde. L’activité de fond est normale. À l’ouverture des yeux, il y a une disparition quasi complète des images paroxystiques ; l’hyperpnée n’est pas activante, ni la stimulation lumineuse intermittente. • Diagnostic différentiel : – les crises partielles simples secondaires à une lésion occipitale : il s’agit de cas rares chez l’enfant. Le bilan neuroradiologique met dans ce cas en évidence une lésion occipitale ; – épilepsies du lobe temporal : lorsque les crises partielles complexes sont précédées par une aura visuelle qui peut être hallucinatoire, on peut évoquer une épilepsie à paroxysmes occipitaux, mais l’analyse sémiologique avec la crise partielle complexe secondaire permet de rétablir le diagnostic ainsi que l’électro-encéphalogramme ; – la migraine basilaire : elle est exceptionnelle et ne s’associe pas à des pointes ou pointe-ondes à l’électro-encéphalogramme. • Traitement : le traitement par la carbamazépine (Tégrétol LP) ou la Dépakine peut être proposé. • Évolution : dans 60 % des cas, le contrôle des crises est obtenu d’emblée en monothérapie. Les crises disparaissent à la puberté.
3. Épilepsies partielles bénignes à symptomatologie affective Décrite en 1980, l’épilepsie partielle bénigne à symptomatologie affective ou épilepsie psychomotrice bénigne survient autant chez les garçons que chez les filles entre 2 ans et 9 ans et demi. • Diagnostic : la sémiologie clinique est caractérisée par un sentiment de peur ou de terreur soudaine qui s’exprime par des cris, des hurlements. L’enfant appelle sa mère, s’agrippe à elle ou à quelqu’un de l’entourage. Il peut aller également dans un coin de la pièce en se cachant. Cette expression de terreur peut être associée à des mouvements de mastication ou de rire angoissé. Il y a un arrêt de la parole, des gémissements et de la salivation. On peut observer une pâleur, des épisodes sudoraux. L’enfant se plaint de douleurs abdominales. Il n’y a pas de véritable perte de conscience mais une modification de la perceptivité. Les crises durent en moyenne une à deux minutes. Il n’y a pas de déficit post-critique. • Électro-encéphalogramme : l’activité de fond est normale. Les anomalies intercritiques sont caractérisées par des ondes lentes semblables aux pointes observées dans l’épilepsie centrotemporale, localisées dans la région fronto-temporale ou pariéto-temporale, uni- ou bilatérale. le sommeil augmente leur survenue.
Pédiatrie - Neurologie • Diagnostic différentiel : les crises partielles complexes en rapport avec une épilepsie lésionnelle du lobe temporal. Habituellement, il s’y associe d’autres types de crises ou des manifestations de terreur qui ne constituent qu’une phase initiale d’une crise plus longue. • Traitement : le traitement le plus efficace est la carbamazépine. • Évolution : lorsque les crises sont fréquentes, on peut observer des troubles du comportement chez l’enfant avec retentissement sur les fonctions d’apprentissage. Sinon, lorsque le diagnostic est posé, le traitement administré, l’évolution est toujours bonne sans aucune séquelle intellectuelle.
Épilepsies partielles cryptogéniques ou symptomatiques 1. Épilepsie partielle continue progressive Cette épilepsie est rare. Elle débute entre 8 mois et 10 ans. Deux groupes électro-cliniques ont été individualisés : • Le syndrome de Kojewnikow de type I est caractérisé par des crises convulsives généralisées ou unilatérales débutant en moyenne vers 6 ans ; des états de mal fréquents précèdent l’apparition du syndrome de Kojewnikow. Les crises surviennent en moyenne une fois par jour et sont résistantes aux traitements antiépileptiques. L’enfant a souvent un déficit moteur homolatéral préexistant. Il n’y a pas d’évolutivité des lésions cérébrales. Il n’y a pas d’atteinte mentale. • Le syndrome de Rasmussen, ou syndrome de Kojewnikow de type II, comporte un début des crises vers l’âge de 5 ans chez un enfant sans antécédent. Les crises partielles cloniques sont très fréquentes (1 à 20 par jour) avec apparition précoce de crises myocloniques associées à une dégradation de l’état neurologique. Le pronostic est donc sévère du fait de l’extension progressive du processus lésionnel. Vu la résistance aux traitements antiépileptiques, on discute chez ces patients un traitement neurochirurgical. Un traitement par bolus de corticoïdes a été proposé par certains auteurs.
2. Épilepsie selon la localisation cérébrale du foyer Le diagnostic de chaque épilepsie est basé sur la corrélation existant entre la sémiologie clinique propre à chaque topographie lésionnelle du cortex et l’enregistrement électro-encéphalographique. On distinguera ainsi : – les épilepsies du lobe frontal : épilepsie de l’aire motrice supplémentaire, du gyrus cingulaire, fronto-polaire, orbitofrontale, dorso-latérale, operculaire et de la frontale ascendante ; – les épilepsies du lobe temporal : épilepsie hypocampique et temporale postérieure ; – les épilepsies du lobe pariétal ; – les épilepsies du lobe occipital. Le traitement fera appel avant tout à la monothérapie et en première intention à la carbamazépine. Le choix du médicament sera fonction du type de crise. De nombreux médicaments nouveaux sont en cours d’étude chez l’enfant de moins de 12 ans (Diacomit, Felbamate, Gabapentin, Lamo-
trigine, Tiagabine…) ou commercialisé (Vigabatrin).
Épilepsies généralisées Épilepsies idiopathiques 1. Épilepsie-absence L’épilepsie-absence de l’enfant est la plus connue des épilepsies de l’enfant mais n’est pas la plus fréquente des épilepsies généralisées idiopathiques (8 % des épilepsies chez l’enfant d’âge scolaire). Elle est plus fréquente chez les filles que chez les garçons (60 à 76 % des cas sont des filles). Les antécédents familiaux d’épilepsie sont retrouvés dans 15 à 44 % des cas. • Diagnostic : les absences ont une durée courte, le plus souvent 5 à 10 secondes. Elles peuvent être plus brèves mais aussi plus longues, jusqu’à 2 minutes. Le début et la fin de l’absence sont brusques : l’absence est caractérisée par une perte de la perceptivité, de la réactivité avec arrêt des activités en cours. L’enfant s’arrête de parler, de manger ; il reste figé, les yeux vagues regardant devant lui ou en l’air. Le rythme respiratoire peut se ralentir surtout lorsque les absences sont prolongées. La conscience peut être altérée à différents degrés, certains enfants vont entendre ce qui se passe mais ne pourront répondre. Une activité motrice élémentaire peut persister. Dans la classification des crises épileptiques, on différencie 6 types d’absence, suivant qu’elles sont isolées ou associées à d’autres manifestations. Un même enfant peut avoir plusieurs types d’absences. Leur nombre est le plus souvent sous-estimé par l’entourage. Le facteur déclenchant principal est l’hyperpnée ou l’hyperventilation. Le diagnostic d’épilepsie-absences doit être reconsidéré si l’absence n’est pas déclenchée après 2 minutes d’hyperpnée. • Électro-encéphalogramme : il est caractérisé par une décharge de pointes-ondes rythmiques bilatérales, symétriques, synchrones. Le début et la fin de ces décharges sont brusques, la fréquence des pointes-ondes est de 3 Hz mais peut se ralentir en fin de décharge à 2,5 voire 2 Hz. L’activité de fond (rythme de base) reste normale entre les décharges. Le sommeil lent active le nombre de décharges. • Diagnostic différentiel : l’épilepsie-absence doit être différenciée de : – l’épilepsie-absence de l’adolescent, dont l’âge d’apparition se situe autour de la puberté ; à l’électro-encéphalogramme, il existe des bouffées de pointes-ondes à plus de 3 Hz ; – l’absence de l’épilepsie myoclonique juvénile : des absences peuvent survenir dans près d’un quart des cas chez les enfants ayant une épilepsie myoclonique juvénile mais il faut savoir qu’elles peuvent aussi précéder l’épilepsie myoclonique juvénile ; – l’absence révélatrice de lésions cérébrales : une épilepsie-absence peut être en fait une épilepsie symptomatique liée à une lésion cérébrale. Il est important de souligner l’association absences et lésions frontales. • Traitement : le valproate de sodium (Dépakine) en monoLA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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thérapie, associé si nécessaire à l’éthosuximide (Zarontin) sont les médicaments les plus actifs contre les absences. Le valproate de sodium doit être prescrit en première intention ; s’il y a échec, on y adjoindra de l’éthosuximide, qui peut cependant altérer les capacités d’apprentissage. De nouvelles molécules sont étudiées actuellement (lamotrigène). • Évolution : elle se fait sur trois modes ; les absences disparaissent sous traitement adapté ; ou bien elles persistent après la puberté, ce qui est rare (6 %). Elles ne surviennent que lors de circonstances favorisantes (manque de sommeil, stress, etc.) ; ou bien surviennent les crises tonicocloniques généralisées qui sont le plus souvent bien contrôlées par le traitement. Dans tous les cas, le pronostic intellectuel est bon. Il faut retenir que les cas qui évolueront favorablement sont ceux qui répondront rapidement au traitement. Les facteurs prédisposant à la survenue de crises tonico-cloniques sont des absences ayant commencé avant l’âge de 8 ans, une mauvaise réponse au traitement initial, un retard à la mise en route du traitement initial, une activité électro-encéphalographique de fond anormale, une photosensibilité.
2. Épilepsie avec crise généralisée tonicoclonique (crise « grand mal ») Il s’agit d’une épilepsie débutant entre 3 et 11 ans, à prédominance masculine (60 %). • Diagnostic : cette épilepsie est caractérisée par la survenue de crises généralisées tonico-cloniques. La fréquence de survenue est habituellement rare, une crise ou moins par an. L’état de mal généralisé tonico-clonique est rare. Le retard intellectuel est rare. Il n’y a pas de déficit neurologique. Des antécédents familiaux d’épilepsie sont retrouvés dans un tiers des cas. • Électro-encéphalogramme : il montre des anomalies caractéristiques sous forme de pointes-ondes généralisées diffuses. • Traitement : le traitement de première intention fera appel à la Dépakine. • Évolution : la réponse au traitement est toujours de bonne qualité ; 95 % des traitements sont efficaces la première année.
Épilepsie cryptogéniques ou symptomatiques 1. Syndrome de Lennox-Gastaut Épilepsie débutant le plus souvent avant 8 ans avec un maximum de fréquence entre 3 et 5 ans. Il semblerait exister une discrète prédominance masculine. • Diagnostic : ce syndrome est caractérisé par des crises toniques, diurnes et (ou) nocturnes. Il peut s’agir de crises brèves pouvant passer inaperçues. Lorsqu’elles sont prolongées, elles peuvent se terminer par des clonies extrêmement rapides. Le sommeil lent favorise la survenue de ces crises toniques. S’y associent des absences atypiques avec un début et une fin progressive et parfois une perte de connaissance qui paraît incomplète. L’enfant peut poursuivre une certaine activité. Il peut s’y associer des myo220
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clonies palpébrales. On observe une diminution progressive du tonus musculaire entraînant un affaissement progressif de la tête puis du tronc. • Électro-encéphalogramme : il est caractérisé par un ralentissement du rythme de fond, survenue de pointesondes lentes à 2-2,5 cycles/seconde, diffus sur les 2 hémisphères. L’électro-encéphalogramme de sommeil est caractérisé par la survenue de décharges de pointes rythmiques diffuses, s’accompagnant ou non de crises toniques. Ces décharges sont caractéristiques du syndrome de LennoxGastaut et surviennent durant le sommeil lent. • Diagnostic différentiel : les caractéristiques cliniques et électro-encéphalographiques diurnes et nocturnes sont suffisamment spécifiques pour évoquer le diagnostic. La limite entre syndrome de Lennox-Gastaut et l’épilepsie myoclono-astatique est encore discutée. • Traitement : il n’y a pas de protocole thérapeutique défini. La carbamazépine, le valproate de sodium, le Di-Hydan, ainsi que les benzodiazépines sont les médicaments les plus utilisés. L’éthosuximide (Zarontin) est proposé pour contrôler les absences atypiques. Des nouvelles molécules sont actuellement à l’étude pour ce syndrome (Tiagabine, Diacomit, Felbamate, lamotrigène…). La place des corticoïdes est difficile à établir. La chirurgie de l’épilepsie (callosotomie) peut être proposée lorsque les crises atoniques sont fréquentes, invalidantes, et résistantes au traitement médicamenteux. • Évolution : on observe un ralentissement du développement des acquisitions motrices et intellectuelles, des troubles du caractère, une instabilité psychomotrice. Lorsque l’enfant grandit, ce sont les troubles d’attention qui sont prédominants avec une altération des fonctions intellectuelles rendant l’apprentissage et la scolarisation impossible. Enfin, on peut observer des troubles de la personnalité associés.
2. Épilepsie myoclono-astatique : il s’agit d’une épilepsie rare (1 à 2 % de l’épilepsie de l’enfant) touchant deux fois plus souvent les garçons que les filles. Dans un tiers des cas, on retrouve des antécédents familiaux d’épilepsie avec une incidence plus élevée dans les fratries (15 %) que chez les parents (6 %). • Diagnostic : l’épilepsie myoclono-astatique associe d’une part, des secousses myocloniques symétriques des épaules et des membres supérieurs accompagnées d’une flexion de l’extrémité céphalique, pouvant entraîner la chute, et d’autre part, des crises astatiques, forme de perte brutale du tonus musculaire responsable d’une chute. Lorsque la résolution du tonus musculaire est moins intense, on peut observer simplement une flexion de la tête avec un fléchissement des genoux. Les crises myocloniques et astatiques peuvent s’associer, donnant des crises myoclono-astatiques. Des absences peuvent être présentes dans la moitié des cas. • Électro-encéphalogramme : à la phase d’état, il enregistre des pointes-ondes et des polypointes-ondes en bouffées irrégulières à 2-3 cycles/seconde. Il existe une sensibilité à la stimulation lumineuse intermittente. • Traitement : le valproate de sodium est le traitement de
Pédiatrie - Neurologie première intention. S’il y a échec, on pourra y associer de l’éthosuximide puis de la lamotrigène. • Évolution : elle peut être très variable. Dans près de 50 % des cas, il y a une disparition complète des crises. Le pronostic est péjoratif s’il existe des crises généralisées tonico-cloniques fréquentes, si l’on note la survenue d’un état de mal-absence au début de l’affection et s’il existe un ralentissement du rythme de fond persistant à l’électroencéphalogramme.
3. Épilepsie avec absences myocloniques Épilepsie rare, prédominante chez les garçons (69 %), caractérisée par des absences et des myoclonies bilatérales. Elle débute en moyenne à 7 ans ; il s’y associe un retard mental dans plus d’un tiers des cas. • Diagnostic : l’enfant présente des myoclonies des racines des membres supérieurs et des cuisses, responsables en position debout d’un mouvement de vacillement. Parfois, on observe aussi une composante tonique. Il s’y associe une altération de la conscience de degré variable. • Électro-encéphalogramme : l’activité de fond est normale en intercritique. Durant les absences myocloniques, on enregistre des bouffées de pointes-ondes à 3 Hz, bilatérales, synchrones et symétriques et des myoclonies à l’EMG. • Traitement : l’association valproate de sodium et éthosuximide semble la plus efficace. • Évolution : dans la moitié des cas, les crises persistent quel que soit le traitement.
4. Épilepsie myoclonique progressive Il s’agit d’épilepsies rares, qui associent myoclonies, crises tonico-cloniques généralisées (inconstantes), détérioration mentale, et un syndrome neurologique où le syndrome cérébelleux est constant. Les causes les plus fréquentes sont les céroïdes-lipofuscinoses, la maladie de Lafora, les épilepsies myocloniques progressives dégénératives.
Épilepsie dont la localisation partielle ou généralisée ne peut être déterminée 1. Épilepsie à pointes-ondes continues pendant le sommeil Syndrome rare, décrit en 1971 sous le nom d’état de mal épileptique électro-encéphalographique caractérisé par la présente de pointes-ondes occupant 85 % de toute la durée du sommeil lent. L’âge moyen de la première crise est de 4 ans 7 mois avec des extrêmes entre 8 mois et 2 ans. • Diagnostic : la sémiologie débute soit par des crises généralisées tonico-cloniques, soit par des crises partielles motrices ; secondairement, le tableau clinique peut se compléter par des crises myocloniques, toniques, généralisées ou partielles ; puis des absences. • Électro-encéphalogramme : en veille, possibles décharges de pointes-ondes généralisées ou non, associées inconstamment à des pointes ou des pointes lentes dans la
région fronto-temporale. Secondairement, apparition de pointes-ondes diffuses à 3 cycles/s en bouffée. Pendant le sommeil apparaissent des pointes-ondes lentes, continues, bilatérales et diffuses durant plus de 85 % du tracé. • Traitement : les corticoïdes peuvent être efficaces sur ce syndrome et améliorer les troubles du langage. Si les corticoïdes sont utilisés, ils sont prescrits à forte dose ; d’autres auteurs ont proposé l’administration de clobazam (Urbanyl). Un protocole thérapeutique reste à déterminer. • Évolution : les crises peuvent disparaître avant la normalisation de l’électro-encéphalogramme ou de façon concomitante. Dans 15 à 20 % des cas, les crises persistent après la disparition des pointes-ondes continues du sommeil lent. La gravité du diagnostic est surtout due aux conséquences neuropsychologiques en rapport avec la longue durée des décharges. On observe une baisse d’efficience intellectuelle et des troubles d’expression orale. Les troubles du comportement sont souvent sévères avec instabilité psychomotrice, déficit attentionnel ; des états psychotiques ont même été rapportés.
2. Syndrome de Landau-Kleffner Il s’agit d’un syndrome rare : affection caractérisée par deux symptômes cardinaux : une aphasie acquise et un tracé électro-encéphalographique caractéristique. Cette épilepsie décrite par Landau et Kleffner en 1957, intéresse plus souvent le garçon que la fille (62 % contre 38 %). L’âge de survenue se situe principalement entre 3 et 8 ans, les extrêmes entre 2 et 11 ans. • Diagnostic : la sémiologie clinique associe une aphasie qui débute dans 70 % des cas avant l’âge de 6 ans. Les troubles phasiques correspondent à une agnosie auditive verbale : les patients sont incapables de comprendre les signaux sonores reçus. Il s’y associe une réduction de l’expression orale, la survenue de stéréotypies et de persévération. Parfois, la parole peut totalement disparaître. Ces difficultés de compréhension peuvent aussi s’installer progressivement. Il s’y associe des troubles du comportement avec hyperkinésie dans plus de la moitié des cas. Les capacités intellectuelles sont habituellement conservées. Les crises comitiales surviennent dans trois quarts des cas ; il peut s’agir soit de crise unique, soit d’un état de mal survenant au début de l’évolution. Leur sémiologie est hétérogène. Il n’y a pas de crise tonique. • Électro-encéphalogramme : à l’état de veille, les anomalies électro-encéphalographiques sont constituées par des pointes et des pointes-ondes de grandes amplitudes répétitives, de localisation variable dans le temps et dans l’espace. Ces foyers multifocaux peuvent prédominer dans la région temporale (50 % des cas) ou pariéto-occipitale. Le sommeil active les anomalies électro-encéphalographiques avec une diffusion des décharges de pointes et pointes-ondes, principalement dans le sommeil lent. • Traitement : il n’y a pas de traitement spécifique démontré dans le syndrome de Landau-Kleffner. L’acide valproïque, les benzodiazépines ou l’éthosuximide ont des effets bénéfiques partiels ou éphémères sur le langage. La corticothérapie semble apporter une amélioration plus LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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ÉPILEPSIE DE L’ENFANT
importante et surtout plus prolongée. • Évolution : l’aphasie persiste quelques mois après la normalisation de l’électro-encéphalogramme en veille et en sommeil. Dans 10 % des cas, des troubles phasiques importants persistent ; dans 40 % des cas, on observe des difficultés du langage parlé ou écrit, des troubles du comportement ou des troubles d’apprentissage scolaire. Il s’en suit des difficultés d’intégration dans le milieu socio-professionnel. ■
Points Forts à retenir • Devant toute manifestation épileptique de l’enfant, l’analyse sémiologique clinique reste l’élément principal de la démarche diagnostique. La corrélation à la sémiologie électroencéphalographique et à d’éventuels autres examens paracliniques permettra d’en identifier la nature syndromique. • À cette seule condition, un traitement adapté pourra être proposé. La polythérapie doit être évitée en sachant qu’elle n’est que l’apanage des formes sévères, et relève d’équipes spécialisées. À cette seule condition, on évitera les conséquences neuropsychologiques sur les capacités d’apprentissage de l’enfant. La décision de mise en route d’un traitement antiépileptique ne doit pas induire la poursuite prolongée de ce traitement.
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On pourra envisager un arrêt progressif du traitement antiépileptique dans la plupart des cas après au minimum 2 ans d’une épilepsie totalement contrôlée. • Seule l’identification rigoureuse des syndromes épileptiques permettra de progresser dans la compréhension étiopathogénique de l’épilepsie (des recherches en génétique par biologie moléculaire, en épidémiologie, en biochimie), et l’amélioration des stratégies thérapeutiques et l’étude de nouveaux médicaments.
SCHÉMA THÉRAPEUTIQUE La plupart des nouvelles molécules anti-épileptiques nécessitent actuellement pour les enfants de moins de 12 ans, une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Ces molécules ont comme principe d’action d’agir soit sur les systèmes inhibiteurs, soit sur les sytèmes excitateurs du neurone ou de la tranmission synaptique. Pour certaines molécules anti-épileptiques, le mécanisme d’action n’est pas connu. Parmi celles-ci, citons : • le gabapentin (Neurontin) ; • la lamotrigine (Lamictal) ; • le stiripentol (Diacomit) ; • le tiagabine (Gabatril).
POUR EN SAVOIR PLUS Roger J, Bureau M, Dravet C, Dreifuss FE, Pervet A, Wolf P. Les syndromes épileptiques de l’enfant et de l’adolescent ; 2e ed. London, Paris : John Libbey, 1992.
Pédiatrie
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Fractures de la palette humérale de l’enfant Diagnostic, complications, traitement Dr Luc WILLEMEN, Pr Rémi KOHLER, Dr Fabien NICOLAS Service de chirurgie infantile, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon cedex 03
Points Forts à comprendre • Les fractures de la palette humérale sont fréquentes chez l’enfant. Deux pics de fréquence sont observés : 8 et 13 ans. • Ces fractures font le plus souvent suite à un accident domestique ou sportif. • La lecture radiologique est délicate car les structures sont en partie cartilagineuses. L’intérêt des clichés comparatifs est primordial. • Dans la moitié des cas, il s’agit d’une fracture supracondylienne. • Des complications sont observées dans 20 % des cas, essentiellement neurologiques immédiates et cals vicieux séquellaires. • Le traitement est orthopédique ou chirurgical, dépendant du type de fracture et surtout du déplacement. La kinésithérapie est proscrite.
Les fractures de la palette humérale ou fractures de l’extrémité inférieure de l’humérus sont plus fréquentes que chez l’adulte et le type anatomopathologique est différent.
Fractures de la palette humérale chez l’enfant
En grisé : les structures osseuses (palette et noyaux d’ossification) En pointillé : les structures cartilagineuses (radiotransparentes)
Fractures supracondyliennes Elles représentent 50 % des fractures de la palette humérale, elles s’observent habituellement à 8 ans. Le plus souvent isolées (90 %), elles peuvent s’associer à une fracture d’avant-bras.
1. Diagnostic étiopathogénique Le mécanisme peut être : indirect (95 %) par chute sur la paume de la main, le coude en extension et le déplacement de la palette humérale est postérieur ; direct (5 %), responsable d’une fracture en flexion avec déplacement antérieur de la palette.
2. Diagnostic clinique Type de description : fracture supracondylienne en extension. • Signes fonctionnels : douleurs du coude avec impotence fonctionnelle absolue du membre supérieur.
• Inspection : le coude est demi-fléchi en pronation modérée. Lorsque la fracture est déplacée, la déformation est caractéristique avec élargissement d’avant en arrière du coude « coup de hache postérieur ». L’avant-bras paraît alors plus court. L’axe du bras passe en avant du massif articulaire, avec saillie postérieure de l’olécrane. • Palpation : les 3 repères du coude sont conservés. • Complications immédiates : – nerveuses (10 %) : l’atteinte peut concerner le nerf médian (le plus souvent), le nerf radial, le nerf cubital, le nerf musculo-cutané (rare). Certaines lésions ne sont notées qu’après réduction, le diagnostic lésionnel (fracture ou réduction) étant difficile à préciser ; – vasculaires (5 %, fracture stade IV) : la recherche d’une compression du paquet huméral doit être systématique ; LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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FRACTURES DE LA PALETTE HUMÉRALE DE L’ENFANT
– cutanées : ouverture cutanée antérieure stade I (de dedans en dehors), par pointe acérée du fragment proximal ; – musculaires : lésions du brachial antérieur (fractures stade III ou stade IV).
3. Diagnostic radiologique Le trait est sus-articulaire, transversal, supracondylien, audessus du cartilage de conjugaison de face. Il est oblique en bas et en avant de profil.
Diagnostic radiologique Clichés du coude de face et de profil stricts et comparatifs (cartilage radiotransparent et noyaux d’ossification sont des pièges pour l’interprétateur).
Le déplacement du fragment inférieur associe le plus souvent bascule et translation postérieures et décalage en rotation interne. Selon leur importance, ces fractures sont classées en 4 stades.
Classification des fractures supracondyliennes • Stade I : absence de déplacement. • Stade II : simple bascule postérieure. • Stade III : déplacement important avec contact interfragmentaire. • Stade IV : perte de contact interfragmentaire.
4. Évolution et complications • Évolution favorable C’est le cas habituel avec consolidation en 30 à 45 jours sans séquelle. Parfois, la mobilité complète du coude peut être longue à récupérer (6 à 12 mois). • Complications secondaires : – déplacements (10 % des cas) : surtout après traitement orthopédique. Ils sont à dépister par des contrôles radiographiques répétés ; – syndrome de Volkman (rétraction ischémique des fléchisseurs) : complication redoutable, elle devient de plus en plus rare du fait d’une surveillance rapprochée ; – infection postopératoire (rare) : après embrochage percutané ou abord chirurgical. Les infections profondes sont de mauvais pronostic. • Complications tardives : – cal vicieux : principale complication, chaque type de déplacement (valgus, varus, translation postérieure, flexion, extension, décalage) peut exister (souvent en association). Le cubitus varus est la séquelle la plus fréquente (15 % des cas) ; – raideur du coude : elle est liée aux défauts de réduction et aux cals vicieux en rotation et varus, voire aux parties molles (ostéome du brachial antérieur, ou à la rééducation intempestive). Elle se traduit le plus souvent par un déficit de flexion et (ou) extension. 206
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Traitement Celui-ci est urgent en cas de grand déplacement ou avec lésion vasculonerveuse associée. Toute kinésithérapie doit être proscrite lors du déplâtrage. • Fractures en extension : – stade I : plâtre brachio-palmaire pendant 4 semaines ; – stade II : réduction anatomique par manœuvres externes sous anesthésie générale, suivie d’une immobilisation plâtrée ou par méthode de Blount (coude fléchi à 120°) pour 4 à 6 semaines ; – stade III : réduction puis stabilisation par méthode de Blount, ou par méthode de Judet (embrochage percutané suivi d’un plâtre de 6 semaines) ; – stade IV : réduction orthopédique suivie d’une stabilisation par embrochage percutané puis immobilisation de 6 semaines. En cas d’irréductibilité ou d’instabilité majeure, la réduction chirurgicale s’impose. • Fractures en flexion : peu déplacées, un plâtre en flexion à 60° pour 4 à 6 semaines est réalisé sinon embrochage puis plâtre de 6 semaines.
Fractures de l’épitrochlée Elles représentent 20 % de l’ensemble des fractures de l’extrémité inférieure de l’humérus de l’enfant. Elles surviennent dans la majorité des cas plus tardivement que les précédentes en raison de la date plus tardive de l’apparition du point d’ossification (6 ans) : entre 10 et 15 ans.
1. Diagnostic étiopathogénique Le mécanisme est indirect par chute sur la main en flexion dorsale, alors que l’avant-bras est en supination. Le ligament latéral interne arrache alors le noyau épi trochléen lors du valgus forcé. Ce mécanisme est celui de la luxation postéro-externe du coude associée dans un tiers des cas.
2. Diagnostic clinique Il existe un gonflement et un point douloureux au bord interne du coude. La pronation est douloureuse et limitée. Il faut rechercher systématiquement une lésion du nerf cubital (rare) et une luxation postérieure du coude.
3. Diagnostic radiologique Le trait de fracture sépare l’épitrochlée de la métaphyse : c’est avant tout un décollement apophysaire. Il concerne presque exclusivement le cartilage, pouvant arracher parfois un petit fragment diaphysaire. Le déplacement est variable. Le fragment peut rester incarcéré dans l’articulation, piège radiologique classique.
Classification des fractures de l’épitrochlée • Degré I : fracture peu ou pas déplacées. • Degré II : fracture déplacée, soit en arrière, soit le plus souvent en bas. • Degré III : incarcération de l’épitrochlée dans l’articulation humérocubitale. • Degré IV : fracture associée à une luxation du coude.
Pédiatrie
L’évolution est en règle très favorable : les déplacements secondaires sont rares. Les déficits d’extension sont les plus fréquents. Dans certains cas, peuvent exister une saillie osseuse inesthétique ou un cubitus valgus sans gêne fonctionnelle. Les séquelles à type de diminution de la force musculaire, craquements, pseudo-blocages, sensation d’instabilité et surtout irritabilité cubitale sont possibles.
delà de 3 mois, favorisée par le déplacement secondaire négligé, le défaut de réduction dont les séquelles sont le varus, la raideur du coude et surtout la nécrose du condyle externe. Les séquelles sont essentiellement représentées par des déviations axiales, cubitus valgus en particulier par défaut de réduction ou fermeture prématurée du cartilage de conjugaison, les raideurs et les troubles esthétiques.
5. Traitement
5. Traitement
L’appréciation de la stabilité frontale sous anesthésie générale est fondamentale (éventuellement après réduction d’une luxation). • Les fractures non déplacées avec un coude stable relèvent d’une immobilisation simple par plâtre brachio-palmaire, avant-bras en pronation pendant 4 semaines. • Les fractures déplacées avec un coude instable nécessitent un traitement chirurgical suivi d’un plâtre de 6 semaines.
• Fractures non déplacées : plâtre brachio-palmaire en demi-pronation pour 4 semaines. • Fractures déplacées : réduction chirurgicale suivie d’une ostéosynthèse par broches. L’immobilisation est de 6 semaines.
4. Évolution et complications
Fractures de l’épicondyle
Fractures du condyle externe
Peu fréquentes, elles s’observent entre 6 et 8 ans, le point condylien apparaissant précocement (6 mois).
Elles représentent 10 % des fractures de la palette humérale de l’enfant.
1. Diagnostic étiopathogénique
1. Diagnostic étiopathogénique La lésion fait suite à une chute sur la main ou le coude, le choc est transmis par la tête radiale. Deux mécanismes sont possibles : soit compression (traumatisme en valgus forcé), soit avulsion (traumatisme et varus forcé).
2. Diagnostic clinique Douleurs et impotences fonctionnelles du coude sont associées à une tuméfaction externe avec parfois angulation en varus. Les lésions associées sont essentiellement osseuses : luxation du coude ; fractures de l’épitrochlée, de la coronoïde ou du capitellum. Les atteintes vasculonerveuses et cutanées sont exceptionnelles.
Le mécanisme est indirect en varus forcé.
2. Diagnostic clinique Douleurs (exacerbées en supination) et impotence fonctionnelle du coude ; il existe une tuméfaction externe. Les lésions associées doivent être recherchées.
3. Diagnostic radiologique Le trait de fracture sépare l’épicondyle de la métaphyse, passant par le cartilage de croissance.
4. Évolution et complications Les complications sont rares et tardives à type de craquements, pseudo-blocages et laxité en varus.
3. Diagnostic radiologique
5. Traitement
Fractures articulaires d’aspect souvent trompeur en raison de la petite taille du point condylien comparée à l’importance du fragment fracturé, le trait est oblique en bas et en dedans, réalisant habituellement une fracture décollement épiphysaire type IV de Salter.
• Fractures non déplacées avec un coude stable : plâtre brachio-palmaire en demi-pronation pour 4 semaines. • Fractures déplacées : réduction chirurgicale suivie d’une ostéosynthèse par broches. L’immobilisation est de 6 semaines.
4. Évolution et complications Le pronostic est fonction du degré de déplacement, de la qualité de la réduction et de la fixation, et de la surveillance. L’anatomie articulaire rétablie, cette fracture bien immobilisée, consolide en 4 à 6 semaines avec récupération complète de la fonction du coude. Des complications secondaires sont rares : déplacements surtout, mais aussi infection ; retard de consolidation ; pseudarthrose, complication la plus redoutable apparaissant au-
Fractures du condyle interne Rares, elles surviennent entre 10 et 15 ans.
1. Diagnostic étiopathogénique Le mécanisme est indirect par compression (varus forcé) ou par avulsion (valgus forcé). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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FRACTURES DE LA PALETTE HUMÉRALE DE L’ENFANT
Points Forts à retenir
2. Diagnostic clinique Impotence fonctionnelle du coude avec point douloureux électif au bord interne. Les lésions associées sont surtout osseuses ou neurologiques (cubitales).
3. Diagnostic radiologique Le trait de fracture réalise le plus souvent une fracture décollement épiphysaire type IV de Salter.
4. Évolution et complications L’évolution est en règle favorable sous réserve de la qualité de la réduction avec consolidation en 4 à 6 semaines. Les déviations axiales séquellaires et les lésions du nerf cubital constituent les principales complications.
5. Traitement • Fractures non déplacées : plâtre 4 semaines. • Fractures déplacées : réduction, ostéosynthèse par broche et plâtre 6 semaines.
• Les fractures de la palette humérale de l’enfant sont surtout représentées par les fractures supracondyliennes. • Il s’agit d’urgences traumatologiques en particulier si des lésions vasculonerveuses sont associées. • Le syndrome de Volkmann en raison d’une surveillance postopératoire immédiate en milieu hospitalier de 1 à 3 jours régresse en fréquence. • Le remodelage peu important (seuls 20 % de la croissance de l’humérus sont assurés par l’extrémité inférieure de celui-ci) explique la mauvaise tolérance des défauts de réduction. • Le traitement est orthopédique en cas d’absence de déplacement (plâtre 4 semaines), ou de fracture correctement réduite et stable, chirurgical dans les autres cas. • L’autorééducation doit être systématiquement explicitée à l’enfant et son entourage familial.
Autres fractures
POUR EN SAVOIR PLUS
D’autres fractures de la palette humérale sont exceptionnellement rencontrées chez l’enfant : fractures sus- et intercondylienne, apanage des fractures de la palette humérale de l’adulte, elles concernent les adolescents de plus de 15 ans ; fractures diacondyliennes dont le trait est horizontal et traverse la surface articulaire ; fractures du capitellum. ■
Bracq H. Fractures supra-condyliennes de l’humérus de l’enfant. Conférence d’enseignement de la SOFCOT. Expansion Scientifique Française, Paris, 1991. Clavert JM, Métaiseau JP. Fractures des membres chez l’enfant. Monographie du GEOP. Montpellier : Sauramps médical, 1990. Dimeglio A. Orthopédie pédiatrique quotidienne. Montpellier : Sauramps médical, 1988. Pouliquen JC. Fractures du coude chez l’enfant. Symposium SOFCOT. Rev Chir Orthop, 1987 (73) : 417-90 .
ERRATUM Dans l’article « Thrombopénie » rédigé par les Docteurs B. Godeau et P. Bierling [Rev Prat (Paris) 1997 ; 47 (15) : 1700], une erreur d’imprimerie a amputé la fin du texte de 2 lignes. Nous reproduisons donc ici la phrase complète telle qu’elle aurait dû paraître, avec les excuses des éditeurs aux lecteurs et aux auteurs. La thrombopénie, souvent sévère, survient habituellement dans les 10 jours qui suivent la transfusion.
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Hémophilie Diagnostic, génétique, complications Dr Claude NÉGRIER1, Dr Christine VINCIGUERRA1, Dr Stéphane PINSON2, Pr Henri PLAUCHU2 1. Centre régional de traitement des hémophilies, Hospices civils de Lyon, hôpital É.-Herriot, 69288 Lyon cedex 02 2. Service de génétique clinique, Hospices civils de Lyon, Hôtel-Dieu, 69288 Lyon cedex 02
Points Forts à comprendre • L’hémophilie est la plus fréquente des maladies hémorragiques graves. • L’hémophilie A (déficit en facteur VIII) touche environ 1 naissance sur 5 000 enfants de sexe masculin et l’hémophilie B (déficit en facteur IX) 1 sur 30 000. • Le conseil génétique et les études génétiques doivent être conduits avant tout projet d’enfant. • L’analyse génotypique est de plus en plus réalisée par méthode directe. Ainsi devant une forme sporadique, les mutations « de novo » seront reconnues.
3. Diagnostic différentiel Le diagnostic différentiel biologique doit reconnaître les autres déficits de la coagulation allongeant le temps de céphaline activée : maladie de von Willebrand où les facteurs von Willebrand et VIII sont généralement abaissés ; déficits en facteurs XI ou XII de la coagulation ; hémophilie acquise par auto-anticorps anti-facteur VIII ou autoanticorps anti-facteur IX ; anticorps de type lupique.
4. Diagnostic de gravité Le diagnostic de gravité est fait devant un syndrome hémorragique menaçant le pronostic vital, comme une hémorragie digestive ou du système nerveux central, ou le pronostic fonctionnel comme une hémorragie de l’orbite, de la loge antérieure de l’avant-bras ou du creux axillaire qui requièrent une administration d’urgence du produit antihémophilique adapté.
Diagnostic 1. Diagnostic clinique Le diagnostic clinique de l’hémophilie n’est fait que si l’on y pense, et cela devant des circonstances particulières de l’activité du sujet, et la gravité du déficit en cause. • L’interrogatoire peut retrouver soit des antécédents familiaux d’hémophilie chez un ou plusieurs garçons, soit simplement une tendance hémorragique anormale (saignement prolongé post-traumatique ou post-chirurgical). • L’examen clinique retrouve fréquemment des accidents hémorragiques survenant après un traumatisme qui passe inaperçu : hémarthroses (70 % des accidents hémorragiques) et hématomes sous-cutanés ou intramusculaires (10 à 20 %). Enfin, il peut s’agir d’une découverte biologique fortuite lors d’un bilan préopératoire.
2. Diagnostic biologique Le diagnostic biologique repose sur quelques tests simples de coagulation montrant : un allongement isolé du temps de céphaline activée, corrigé après incubation avec un plasma témoin (ce qui élimine la présence d’un anticorps circulant) ; un temps de Quick, un temps de thrombine et un taux de fibrinogène plasmatique normaux ; un bilan d’hémostase primaire normal (temps de saignement, numération des plaquettes, dosage du facteur de von Willebrand et fonctions plaquettaires) ; un dosage spécifique du facteur VIII et du facteur IX permet le diagnostic du type d’hémophilie A ou B et en définit la sévérité : forme sévère si le facteur de coagulation est inférieur à 1 %, forme modérée entre 2 et 5 % et forme fruste entre 5 et 30 %.
Génétique L’hémophilie est une maladie récessive liée au chromosome X (les gènes du facteur VIII et du facteur IX sont situés sur l’extrémité distale du bras long du chromosome X). Donc seuls les hommes seront touchés. Les femmes conductrices ont très rarement une expression clinique, du fait du phénomène de lyonisation de l’X (voir : pour approfondir).
1. Analyse médicale de la famille La première étape du conseil génétique est le recueil des données familiales et médicales, rassemblées dans une généalogie. Lors de l’examen des critères de faisabilité de l’étude génétique demandée par la famille, deux situations se présentent : • Le garçon hémophile est le seul concerné dans une petite famille ou est indemne d’antécédent : devant cette forme sporadique, une recherche directe de la mutation est possible à partir du sujet malade et vivant. Soit la mutation est caractérisée et elle peut être recherchée chez la mère, qui sera reconnue conductrice si elle porte cette mutation propre à la famille, mais l’absence d’identification de la mutation ne permettra pas d’être formel puisqu’une mutation en mosaïque germinale n’est pas dépistable sur l’ADN leucocytaire. Soit la mutation n’est pas identifiée et il sera impossible de connaître le statut génotypique de la mère. Ne sachant pas si elle est conductrice, et une étude indiLA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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HÉMOPHILIE
recte par les haplotypes n’étant pas ici pertinente, le conseil génétique restera sur des notions de probabilités. C’est le cas dans un tiers des nouveaux diagnostics. • Deux ou plusieurs garçons ou adultes sont hémophiles : sera reconnue d’emblée conductrice obligatoire toute fille née d’un père hémophile, toute mère d’un enfant hémophile ayant aussi un apparenté masculin atteint, et toute mère d’au moins deux garçons atteints. Sera considérée conductrice potentielle (un risque de 50 %) toute descendance féminine issue d’une femme conductrice. Ce risque diminue de moitié à chaque génération. Sera non conductrice toute femme née d’un homme issu directement de la famille et non atteint, l’X paternel reçu étant sain. Ainsi chaque sujet situé sur l’arbre généalogique voit son risque évalué et trouve là les motivations de participer à l’étude familiale selon les questions qu’il se pose. Aucune contrainte ne peut peser et l’information doit être diffusée dans la famille par la branche demandeuse et non par le généticien. L’analyse génotypique nécessite l’obtention d’un consentement éclairé individuel, prévu par la loi.
2. Étude génétique L’étude familiale peut être conduite selon deux approches : • Soit par l’étude du phénotype biologique basée sur des dosages comparatifs du facteur VIII et du facteur von Willebrand (rapport facteur VIII/facteur von Willebrand antigène) ou du facteur IX chez les femmes potentiellement conductrices. Si le quotient facteur VIII/vWF-Ag est inférieur à 0,7, ou si le dosage du facteur IX est abaissé, le diagnostic de conductrice est probable. Toutefois, ces valeurs ne sont pas systématiquement modifiées, et il existe une zone d’incertitude ne permettant pas de conclure formellement sur le statut de conductrice. • Soit par l’étude en génétique moléculaire : le clonage et le séquençage des gènes du facteur VIII ou du facteur IX permettent la détection de l’allèle morbide par l’analyse génétique selon deux procédés. – L’analyse directe (chez le sujet malade) consiste à caractériser la mutation génétique responsable de la maladie, puis à la rechercher dans une famille donnée. La grandeur du gène du facteur VIII (26 exons répartis sur 186 kbases) ne rend l’analyse directe accessible qu’à quelques laboratoires. En revanche elle représente la méthode de choix pour l’analyse du gène du facteur IX qui est environ 6 fois plus petit (8 exons répartis sur 33 kilobases). Si la recherche de mutation n’a pas été faite, ou si elle n’a pas abouti, l’analyse indirecte reste le seul espoir d’étayer le conseil génétique. – L’analyse indirecte nécessite alors d’obtenir l’ADN de tous les sujets consentants de la famille qui contribueraient à apporter une information utile. L’étude des garçons malades va permettre de définir, chez leur mère, l’haplotype de l’X porteur du gène muté et l’étude des garçons sains fournira l’haplotype sain. Cette analyse utilise les polymorphismes existant dans les deux gènes et à leurs extrémités (acte coté en 1997 B500 par individu). Une dizaine de polymorphismes connus permettent de repérer l’haplotype porteur de l’allèle atteint par rapport à l’autre dans environ 90 % des cas. 658
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3. Conduite du conseil génétique L’étude génétique a pour objectif d’expliquer les modalités de la transmission génétique, les moyens de détection des conductrices et de présenter les possibilités diagnostiques, dont le diagnostic prénatal. Ce dernier n’est envisagé que dans les cas d’hémophilie sévère, c’est-à-dire avec des dosages de facteur inférieur à 1 %, ou dans les familles de patients présentant un tableau clinique de déficit majeur. En cas d’hémophilie B, on recherche directement l’anomalie génétique responsable, une mutation ponctuelle le plus souvent, chez le propositus, puis chez les autres membres de la famille, afin de dépister les conductrices qui veulent être informées. En cas d’hémophilie A, la grande taille du gène ne permet pas encore d’effectuer le même type d’étude directe systématique. Néanmoins, un diagnostic direct est parfois possible car il existe à l’intérieur de l’intron 22 une inversion particulière et fréquente. Un gène appelé F8A, localisé dans cet intron 22, a deux autres copies en sens inverse situées en position extragénique, de façon distale sur le télomère. Il a été décrit un phénomène très particulier de recombinaison intrachromosomique entre le gène F8A situé dans l’intron 22 et l’une des copies extragéniques, produisant une inversion des séquences qui les séparent. Le gène du facteur VIII est alors coupé en deux morceaux, l’un contenant les exons 1 à 22 qui est alors transcrit dans le sens opposé, et l’autre contenant les exons 23 à 26 qui est orienté dans le sens classique de transcription. La synthèse du facteur VIII devient impossible, produisant une hémophilie sévère. Cette inversion est responsable d’environ 40 % des hémophilies A sévères, et elle est actuellement détectable chez le garçon malade ou la femme conductrice par analyse directe. Dans une famille où aucun hémophile n’est vivant, la recherche de cette inversion est la seule possibilité, si elle est positive, d’affirmer le statut de conductrice d’une femme. La conduite à tenir est adaptée à chaque famille et à sa demande propre qui ne doit pas être confondue avec les craintes projetées de médecins. Chez une femme qui envisage d’avoir recours au diagnostic prénatal pour éviter la naissance d’un enfant gravement atteint, l’étude familiale devra être terminée avant le début de la grossesse pour conclure sur la faisabilité du diagnostic prénatal. Une information complète sur ses modalités doit être présentée au couple. Le sexe du fœtus est le premier élément à déterminer (échographie dès la 14e semaine de grossesse, cytogénétique, et sonde spécifique du chromosome Y). En cas de fœtus masculin, le diagnostic d’hémophilie sera réalisé selon les données de l’étude familiale préalable. La recherche de délétion ou de mutation par analyse directe est quasiment sans ambiguïté. Les résultats obtenus par la technique indirecte des marqueurs intragéniques restent très fiables (99 %), et ceux à partir des marqueurs extragéniques présentent un risque d’erreur de 2 à 3 % dû aux possibilités de recombinaison naturelle entre les deux chromosomes X de la mère lors de la méiose. Ils seront expliqués au couple qui aura été prévenu de cette incertitude possible avant la pratique du diagnostic prénatal. Dans ce cas comme dans celui où aucune étude génétique préalable n’a été faite ou n’est informative, seul un dosage biologique fœtal de l’activité du facteur VIII
Pédiatrie ou du facteur IX est envisageable après la ponction de sang fœtal, réalisable aux alentours de la 20e semaine de grossesse. En cas de fœtus atteint, le généticien recueillera la demande du couple d’interrompre la grossesse et cette décision devra être prise conformément à la loi avec le soutien de l’équipe qui s’est engagée.
Complications
ceux dépourvus d’enveloppe lipidique (virus de l’hépatite A ou parvovirus B19) résistent à ces traitements et peuvent donc être transmis par les injections intraveineuses des dérivés du plasma. Les vaccinations contre les hépatites A et B constituent une prévention nécessaire. Il existe maintenant des produits de substitution recombinants fabriqués par génie génétique utilisant des cellules de mammifères (hamster) qui diminuent encore ce risque de transmission d’agents infectieux. ■
Complications hémorragiques Les manifestations hémorragiques constituent la première complication. La plus fréquente est l’hémarthrose (70 % de l’ensemble des accidents). Elle est souvent post-traumatique et récidivante, sans que la symptomatologie initiale soit bruyante (douleur, boiterie). Les conséquences sur les chevilles, genoux et coudes surtout sont l’hypertrophie synoviale entretenant le saignement et provoquant une destruction ostéochondrale progressive. L’arthropathie hémophilique conduit à la limitation articulaire, aux attitudes vicieuses irréductibles, à l’amyotrophie et aux rétractions. Les hématomes compressifs des nerfs et des vaisseaux pouvant conduire à un syndrome de Volkman, peuvent succéder à un traumatisme extérieur ou à un prélèvement sanguin. Toute injection intramusculaire doit être formellement proscrite, de même que la prise d’aspirine. Les hématomes musculaires diffus sont douloureux et entraînent une compression de voisinage puis une éventuelle rétraction tendineuse. Les hématomes dangereux sont ceux menaçant un organe noble enfermé comme l’œil ou le carrefour aérien (plancher de la bouche). Les hémorragies aiguës ont une gravité qui dépend de leur siège et de leur extériorisation ; la rapidité d’intervention, sutures et traitement de substitution, permet de réduire la morbidité des plaies. Les hémorragies internes sont graves mais rares. Les formes sévères (moins de 1 % de facteur antihémophilique) assujettissent le patient à un traitement substitutif répété, voire programmé s’il veut réduire la perturbation sociale qui résulte de la répétition des accidents hémorragiques.
Complications thérapeutiques • Elles sont hématologiques : il s’agit des anticorps inhibiteurs du facteur VIII ou du facteur IX qui apparaissent lors des traitements des accidents hémorragiques utilisant l’apport substitutif intraveineux de la molécule non ou mal fabriquée par l’organisme. Ces anticorps surviennent en moyenne à la suite de 10 à 20 jours de traitement et peuvent compromettre sérieusement son efficacité. Si leur titre est trop élevé, le traitement substitutif n’est plus actif et un autre type de produit doit être utilisé pour traiter les épisodes hémorragiques. Cette complication se rencontre chez environ 20 % des hémophiles A et 4 % chez les hémophiles B. • Elles peuvent être virologiques : les produits dérivés du plasma à une époque où ils n’étaient pas encore viro-inactivés (en France avant fin 1985) ont transmis massivement les virus des hépatites B, C et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). À l’heure actuelle, les traitements chimiques ou thermiques des dérivés du plasma détruisent les virus munis d’une enveloppe lipidique. En revanche,
Points Forts à retenir • Le diagnostic clinique d’hémophilie n’est fait que s’il on y pense devant une complication hémorragique aiguë à tout âge ou une atteinte articulaire insolite chez un garçon. • C’est l’augmentation isolée du temps de céphaline activée qui doit attirer l’attention. • Le diagnostic biologique repose sur le dosage des facteurs antihémophiliques A (facteur VIII) ou B (facteur IX) de la coagulation.
POUR APPROFONDIR L’inactivation du chromosome X La présence de 2 X chez la femme et d’un seul X chez l’homme devrait entraîner un déséquilibre entre les deux sexes hétérogamétiques. Une compensation est assurée chez la femme par l’inactivation aléatoire d’un X sur les 2 dans chaque cellule, avec extinction transcriptionnelle de la quasitotalité des gènes de l’X inactivé. Mary Lyon a formulé en 1961 une hypothèse en 3 points, appelée aujourd’hui la lyonisation : – l’inactivation survient à un stade précoce de l’embryogenèse (vers le 16e jour de la vie embryonnaire) et se transmet de façon irrévocable au cours des générations cellulaires successives ; – un seul X est actif par cellule, l’autre étant inactivé et constitue le corpuscule de Barr, corps chromatinien qui n’existe que chez la femme ; – l’inactivation se produit au hasard sur l’X maternel ou sur l’X paternel dans les différentes cellules d’un même sujet. C’est-à-dire que chez une même femme certaines cellules et leurs descendantes auront l’X maternel inactivé, alors que d’autres et leurs descendantes auront l’X paternel inactivé. Ainsi, une conductrice d’hémophilie peut avoir un taux plasmatique S8 ou 9 extrêmement variable. Certaines anomalies gonosomiques (syndrome de Turner) ou les translocations X-autosomes aboutissent au maintien actif du même chromosome X dans toutes les cellules. La présence d’une mutation sur un seul allèle suffira à rendre cette femme malade. Notons qu’une autre possibilité de femme hémophile malade, sera créée par la réunion possible d’un homme atteint et d’une femme conductrice, réunissant deux allèles mutés.
POUR EN SAVOIR PLUS Forestier F, Daffos F, Solé Y, Rainaut M, Descombey D. Dépistage prénatal des troubles de la coagulation et de l’hémophilie. Rev Prat (Paris) 1987 ; 37 : 2650-5. Laurian Y. Prise en charge de l’hémophilie. Rev Prat (Paris) 1989 ; 39 : 2669-73. Plauchu H. L’hérédité des caractères monofactoriels. Rev Prat (Paris) 1994 ; 19 : 2627-35. Kaplan JC, Delpech M. Biologie moléculaire et médecine. 2e édition. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 1993 ; 170-3.
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Pédiatrie
B 256
Hérédité monofactorielle Construction et interprétation d’un arbre généalogique. Principes du conseil génétique Dr Pascale de LONLAY Département de génétique médicale (Pr A. Munnich, Pr S. Lyonnet), groupe hospitalier Necker-Enfants Malades, 75743 Paris cedex 15
Points Forts à comprendre • Le conseiller génétique a un but d’information sur le risque de récurrence d’une maladie génétique héréditaire ; il reçoit les couples consanguins, âgés, ou présentant un trouble de la fécondité. Il permet un diagnostic prénatal pour beaucoup de maladies, par des techniques cytogénétiques, biochimiques ou moléculaires (diagnostics direct et indirect à partir de l’ADN fœtal). • Les difficultés du diagnostic prénatal lorsque le diagnostic moléculaire direct ne peut être fait sont les phénocopies, l’hétérogénéité génétique et le risque de recombinaison pour le diagnostic moléculaire direct et reconnaître une mutation « de novo » d’un parent conducteur dans un cas isolé de maladie dominante (pénétrance incomplète et variabilité d’expression) ou de maladie liée au sexe (mère conductrice dans deux tiers des cas) dans la fratrie du fœtus.
La génétique est une science en plein essor. L’élaboration de la cartographie génétique humaine a permis la localisation et l’identification des gènes et ainsi, pour beaucoup de maladies, un diagnostic moléculaire et un diagnostic prénatal fiables.
Hérédité monofactorielle La cellule somatique diploïde est composée de 46 chromosomes ou 23 paires de chromosomes. Chaque paire est constituée d’un chromosome d’origine maternelle et d’un chromosome d’origine paternelle (les gamètes ou cellules germinales sont haploïdes). Les 22 premières paires sont appelées les autosomes et la 23e paire les gonosomes ou chromosomes sexuels, XY pour l’homme et XX pour la femme. Chaque chromosome est constitué d’une molécule d’ADN sur lequel sont définis des sites ou locus. Chaque chromosome étant en deux copies, chaque gène est luimême en double exemplaire (allèles). Les allèles correspondent à toutes les formes alternatives d’un gène à un locus donné. Si les 2 allèles pour un gène donné sont identiques, l’individu est dit homozygote pour ce locus. Au
contraire, si les allèles sont différents, il est dit hétérozygote. L’ensemble des gènes situés sur les chromosomes, eux-mêmes présents dans toutes les cellules somatiques, réalise le génotype ou patrimoine héréditaire de l’individu. Le génotype rend compte du phénotype qui représente l’apparence clinique du sujet. Une maladie monofactorielle est due à une erreur (ou mutation) survenue sur le génotype.
Hérédité autosomique Le caractère étudié est codé par un gène situé sur une des 22 paires d’autosomes.
1. Hérédité autosomique dominante • Définition : le caractère étudié est déterminé par un gène (ou allèle) à l’état de simple copie. Le caractère est ainsi exprimé, que le sujet soit hétérozygote pour cet allèle ou homozygote pour ce même allèle. Ainsi, dans une maladie de transmission autosomique dominante, les sujets atteints sont indifféremment des garçons et des filles, nés d’un parent atteint de l’affection ; parmi les frères et sœurs du malade, on compte en moyenne un sujet atteint pour un sujet sain (risque de transmission de 50 %, quel que soit le sexe) ; les germains sains n’ont eux-mêmes que des enfants sains. La maladie se transmet ainsi verticalement si la pénétrance de la maladie est complète. • Pièges : la pénétrance d’un gène est le pourcentage de sujets porteurs d’un gène dominant qui en présentent les manifestations phénotypiques. Si la pénétrance de la maladie est incomplète, un sujet porteur de l’allèle délétère peut ne montrer aucun signe de la maladie. De la même façon, on peut observer au sein d’une même famille un phénotype variable : on parle d’expression variable d’un gène. La pénétrance incomplète et l’expression variable d’un gène sont deux pièges classiques en matière de conseil génétique. En effet, le généticien clinicien qui ne note aucun signe clinique de la maladie chez les parents d’un patient peut croire à tort à une mutation de novo et de ce fait donner un conseil génétique rassurant. Une mutation de novo est une erreur génétique survenue dans une cellule germinale de l’un des parents du sujet atteint. Le risque de récidive dans la fratrie de ce patient est négligeable, identique à celui de la population générale, alors que dans la descendance du sujet atteint, il sera de 50 %. L’âge paternel élevé favorise pour certaines maladies autosomiques dominantes la survenue des mutations de novo. Dans les mosaïques germinales, alors que l’histoire familiale est en faveur d’une mutation de novo, l’erreur génétique est contenue dans plusieurs cellules germinales de l’un des parents LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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HÉRÉDITÉ MONOFACTORIELLE
I II III IV 1
Transmission autosomique dominante. On observe autant de filles que de garçons atteints dans les fratries. Les individus non atteints ont des enfants sains. Il y a deux exemples de transmission père-fils (II6-III11 et III11-IV9). Exemples de maladies dominantes : achondroplasie, maladie de Steinert, sclérose tubéreuse de Bourneville. (D’après 1).
du sujet atteint (parents cliniquement sains). Le risque de récidive dans la fratrie du sujet atteint est alors supérieur à celui de la population générale. Les phénocopies correspondent à un tableau clinique ressemblant à celui de la maladie génétique mais dont l’origine est différente (autres gènes, facteurs environnementaux…). Le diagnostic prénatal d’une maladie autosomique dominante peut poser un problème éthique par son pronostic souvent non catastrophique, une expression variable de la maladie et la possibilité d’une néomutation.
2. Hérédité récessive • Définition : seuls les sujets homozygotes pour un allèle muté sont atteints. Ils naissent de l’union de deux parents cliniquement sains et tous les deux hétérozygotes (porteurs d’un allèle non muté et d’un allèle muté). Le risque de récidive dans la fratrie du patient est de un quart à chaque conception, quel que soit le sexe. À chaque conception, 4 combinaisons génétiques sont possibles : 1 enfant sur 4 est homozygote pour l’allèle sain, 2 enfants sur 4 sont hétérozygotes comme leurs parents, et 1 enfant sur 4 est homozygote pour l’allèle muté et donc malade. • Fréquence : les mariages consanguins augmentent la probabilité d’avoir un enfant atteint d’une maladie autoso-
mique récessive, ce d’autant que la fréquence de la mutation est faible car les deux conjoints ont reçu un gène identique venant d’un ancêtre commun. La loi de Hardy-Weinberg permet de donner la fréquence d’un allèle récessif autosomique par le développement de l’équation (p+q)2 = p2+2pq+q2 où q est la fréquence de l’allèle muté et p celle de l’allèle normal, dans une population vaste où les unions se font au hasard, sans sélection ni migration, et où les taux de mutations se font à taux constant. La fréquence q du gène muté est alors égale à la racine carrée du nombre de malades q2.
Hérédité liée au chromosome X 1. Hérédité récessive liée à l’X • Définition : la maladie est due à un gène porté par les chromosomes sexuels ou gonosomes. L’homme possédant un seul chromosome X et la femme deux, un caractère récessif s’exprimera toujours chez l’homme car il est en unique exemplaire, et uniquement à l’état homozygote chez la femme. Un homme atteint transmettra à toutes ses filles un chromosome X porteur de l’allèle mutant (toutes conductrices). Une femme saine conductrice (hétérozygote) aura 50 % de filles conductrices et 50 % de garçons
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Transmission autosomique récessive. Les parents (hétérozygotes) d’un frère et d’une sœur atteints sont en bonne santé, les enfants d’un individu atteint sont en bonne santé. Exemples : la plupart des erreurs innées du métabolisme, mucoviscidose, amyotrophie spinale infantile, ataxie de Friedreich. (D’après 1).
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LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
Pédiatrie autosome (l’inactivation de l’X se fait sur l’X non transloqué pour préserver l’autosome de l’inactivation), une consanguinité (homozygotie).
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III IV
2. Hérédité dominante liée au sexe
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Transmission récessive liée à l’X. Toutes les filles d’un homme atteint sont conductrices obligatoires (II3 et II5). III7 est aussi conductrice obligatoire, dans la mesure où elle a un frère et un fils atteints. III5 est une conductrice potentielle, mais la probabilité qu’elle soit conductrice, sachant qu’elle a 5 garçons en bonne santé, est faible. Exemples de maladies : myopathies de Duchenne de Boulogne et de Becker, syndrome de Lowe, retard mental avec fragilité du chromosome X, maladie de Hunter. (D’après 1).
atteints suivant le chromosome X qu’elle leur transmettra. Une femme atteinte (homozygote) donnera uniquement des gamètes X mutants à ses filles (toutes conductrices) et à ses garçons (tous atteints). Ainsi une maladie récessive liée à l’X touche les garçons et se transmet par les femmes. Il n’y a donc jamais de transmission père-fils. Un caractère récessif lié à l’X peut être hérité ou apparaître de manière sporadique (mutation de novo). Dans un cas sporadique, la probabilité a priori qu’une femme ayant un garçon atteint soit conductrice est de 2 sur 3. À l’inverse, la probabilité qu’il s’agisse d’une néomutation est de un tiers. • Fréquence : l’équation de Hardy-Weinberg est aussi applicable à l’hérédité récessive liée à l’X. La fréquence des hommes atteints est donnée par la fréquence du gène q ; la fréquence des femmes conductrices est de 2pq (fréquence des hétérozygotes) et la fréquence des femmes bien portantes est de p2 + 2pq (homozygotes saines et hétérozygotes). • Théorie de l’inactivation de l’X de Mary Lyon : certaines femmes conductrices peuvent manifester des signes cliniques de la maladie, expliqués par la théorie de l’inactivation de l’X de Mary Lyon. Dans les cellules somatiques 46 XX, l’un des deux X est inactivé. Cette inactivation se fait au hasard et très précocement au cours du développement de chaque tissu, puis se maintient au cours des divisions cellulaires (l’inactivation est clonale). La femme se comporte ainsi comme une mosaïque physiologique. Une inactivation aléatoire préférentielle pour le chromosome X normal – non porteur du gène muté – peut expliquer l’existence de signes modérés, cliniques ou biologiques, chez des femmes conductrices. C’est pourquoi par exemple, on dosera les enzymes musculaires chez la mère d’un garçon atteint d’une myopathie de Duchenne. • Femmes atteintes d’une maladie récessive liée à l’X : on recherchera un syndrome de Turner (femme 45, X) ; un testicule féminisant (caryotype 46, XY) ; une translocation X-
Il s’agit de la transmission d’un caractère dominant porté par le chromosome X. Les sujets atteints sont des deux sexes, mais il y a en théorie deux fois plus de filles atteintes que de garçons. Cependant, en pratique ces affections sont le plus souvent létales chez le garçon. Il n’y a pas de transmission père-fils. Les hommes atteints n’ont que des filles atteintes et des fils sains. Les femmes atteintes auront un enfant sur deux atteint, quel que soit le sexe (comme dans l’hérédité autosomique dominante).
Hérédités non classiques 1. Hérédité mitochondriale Bien que la plupart des sous-unités enzymatiques de la mitochondrie soient codées par le génome nucléaire, la mitochondrie a son propre génome, présent en plusieurs copies dans chaque mitochondrie. Un tissu, une cellule, ou même une mitochondrie peuvent contenir un mélange de molécules normales et mutantes d’ADN mitochondrial : on parle d’hétéroplasmie. Seules les mitochondries d’origine maternelle étant transmises lors de la fécondation, la transmission des mutations mitochondriales est maternelle. Tous les enfants d’une mère porteuse d’une mutation mitochondriale sont atteints à des degrés variables, selon le taux de mutations porté par les cellules germinales.
2. Mosaïques germinales Les mosaïques ne concernent pas que les maladies autosomiques dominantes (se référer au chapitre « hérédité autosomique dominante »).
3. Mutations concernant les régions soumises à empreinte parentale et disomie uniparentale Les gènes soumis à empreinte sont d’expression monoallélique, leurs allèles n’ayant pas le même rôle selon qu’il s’agit de l’allèle maternel ou de l’allèle paternel. Une disomie uniparentale (DUP) de l’un des allèles ou une délétion de l’autre allèle peut entraîner une pathologie, tels le syndrome d’Angelman en cas de délétion maternelle ou de disomie uniparentale paternelle en 15q11 et le syndrome de Prader-Willi en cas de délétion paternelle ou de disomie uniparentalematernelle en 15q11. Ces syndromes sont le plus souvent sporadiques.
4. Cas particulier des répétitions instables de trinucléotides Lorsque le phénotype s’aggrave de génération en génération, on parle d’anticipation. Ce phénomène est observé lorsque la mutation est une répétition instable de trinucléotides, comme dans le retard mental lié à l’X avec fragilité du chromosome X (transmission récessive liée à l’X), la maladie de Steinert (autosomique dominante), les maladies neurologiques dégénératives comme la maladie de Huntington (autosomique dominante) et plus récemment la maladie de Friedreich (autosomique récessive). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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HÉRÉDITÉ MONOFACTORIELLE
Conseil génétique Définition Le conseil génétique destiné à un couple confronté à un risque de maladie génétique ou pour lequel l’obstétricien a décelé une anomalie fœtale lors d’une grossesse en cours, était autrefois fondé sur une consultation d’information sur la nature de l’affection en cause et son risque de récurrence familiale. Actuellement, grâce aux progrès de la biologie moléculaire, elle permet également de dépister les fœtus sains et atteints dans beaucoup de maladies. Le diagnostic prénatal nécessite que le diagnostic ait été établi de façon objective chez le patient atteint, par des procédés moléculaires si le gène est connu, par des dosages biochimiques pour les maladies dues à des déficits enzymatiques, ou par un caryotype pour les anomalies chromosomiques (attention aux phénocopies). Les tests utilisés ont pour unique but de dépister la maladie en cause, et non toutes les maladies. Le généticien ne prend aucune décision : le choix de garder ou d’interrompre une grossesse d’un fœtus atteint appartient au couple et à lui seul. Le conseiller génétique est tenu au secret professionnel.
Différentes situations du diagnostic prénatal Il s’agit d’une démarche médicale multidisciplinaire nécessitant la collaboration d’un généticien clinique, d’un pédiatre, d’un échographiste, d’un obstétricien, d’un cytogénéticien ou d’un généticien moléculaire (voir : pour approfondir / 1).
1. Antécédent de maladie génétique héréditaire dans la famille Après avoir vérifié le diagnostic exact chez le cas index, le mode de transmission, et estimer le risque de récurrence, on peut proposer un diagnostic prénatal : • maladie monogénique avec gène et mutation connus chez le cas index : on peut proposer un diagnostic direct qui représente le cas idéal, sans risque d’erreur par recombinaison mais qui n’est applicable que lorsque la mutation est connue dans la famille : la même mutation est recherchée chez le fœtus, par des méthodes de biologie moléculaire (utilisant le plus souvent la méthode PCR d’amplification de l’ADN), idéalement à partir de prélèvements de villosités choriales, ou à partir de cellules amniotiques obtenues par amniocentèse (voir : pour approfondir / 2 et 3). • Maladie monogénique avec gène localisée, voire connu, mais mutation non connue : on proposera un diagnostic 226
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Mariage
Femme
Union extra-maritale
Sexe indéterminé ou grossesse en cours
Divorce
Nombre d'individus de même sexe
Union consanguine
Atteint
Jumeaux monozygotes
Hétérozygote pour un trait récessif autosomique Jumeaux dizygotes
•
Conductrice d'un trait récessif à l'X
?
Jumeaux : zygotisme inconnu
Cas index 1
I
2
Décédé 1
II
2
3
Numérotation des individus dans un arbre généalogique
Mort in utero
•
Fausse couche Adoption
Constitution d’un arbre généalogique La réalisation d’un arbre généalogique permet d’établir le mode de transmission d’une maladie génétique dans une famille et de calculer un risque pour un couple de transmettre le caractère, en tenant compte de leur lien de parenté avec le patient atteint. Les générations sont numérotées par des chiffres romains ; à l’intérieur de chaque génération, les individus sont numérotés en chiffres arabes, de gauche à droite, l’individu le plus âgé étant situé à gauche.
2
4
Homme
Pas de descendance
Grossesse en cours fœtus masculin
4
Symboles habituels pour la constitution d’un arbre généalogique. (D’après 1).
indirect. L’utilisation de marqueurs génétiques (polymorphismes) localisés au voisinage du gène concerné permet de distinguer le chromosome normal du chromosome mutant et de connaître ainsi le statut du fœtus. Le diagnostic prénatal indirect nécessite de connaître avec certitude le diagnostic de la maladie et sa localisation génétique (attention à l’hétérogénéité génétique). Il n’est applicable qu’aux formes familiales, et seulement si l’on dispose d’ADN du cas index. Le risque de recombinaison rend le diagnostic indirect moins fiable que le diagnostic direct ; on limite ce risque en utilisant des marqueurs intragéniques. • Maladie monogénique avec gène non localisé ; anomalies du métabolisme : le diagnostic prénatal se limitera aux méthodes non moléculaires avec dosages biochimiques dans le liquide amniotique et dosage des activités enzymatiques dans le trophoblaste en cas de déficits enzymatiques, surveillance échographique en cas de malformation dépistable en période anténatale, diagnostic de sexe dans les maladies de transmission liée au sexe. • Antécédent d’anomalie chromosomique : le risque de récurrence est estimé en fonction du caryotype des deux parents ; la détermination du caryotype fœtal se fait sur culture de cellules amniotiques de préférence (risque de mosaïcisime dans les villosités choriales).
2. Consultation pour anomalie fœtale sans antécédent familial Il peut s’agir d’un retard de croissance intra-utérin, d’une anomalie échographique ; une hyperéchogénicité intesti-
Pédiatrie nale est par exemple évocatrice d’un iléus méconial et doit faire proposer un diagnostic moléculaire anténatal de mucoviscidose ; une clarté nucale évoquant un hygroma kystique doit faire rechercher un syndrome de Turner, un fémur court doit faire pratiquer un contenu utérin (radiographie du squelette fœtal) à la recherche d’une dysplasie squelettique ; dans tous les cas, il faut essayer de faire un diagnostic, repérer une anomalie létale, apprécier le pronostic du fœtus et en informer les parents ; un caryotype anténatal par amniocentèse décèlera une anomalie chromosomique.
3. Consultation pour âge maternel Une amniocentèse avec caryotype anténatal est proposée à toute femme âgée de 38 ans ou plus du fait d’un risque accru de trisomie 21 ; le dépistage prénatal de défauts de fermeture du tube neural ou d’anomalies chromosomiques telle la trisomie 21 est possible à partir de marqueurs mesurés dans le sang maternel. Il s’agit de l’α-fœtoprotéine, de la β-hCG et de l’œstriol dont les valeurs sont rapportées au terme de la grossesse (variation des taux tout au long de la grossesse).
4. Consultation pour stérilité ou fausses couches à répétition On proposera un caryotype à la recherche d’un syndrome de Klinefelter en cas de stérilité masculine, et d’un syndrome de Turner en cas de stérilité féminine ; on recherchera de même une agénésie des canaux déférents en cas de stérilité masculine avec, si tel est le cas, une recherche moléculaire de mutations du gène CFTR (mucoviscidose). Des fausses couches à répétition feront pratiquer un caryotype des deux parents (remaniements chromosomiques équilibrés). ■
Points Forts à retenir • Les maladies génétiques monofactorielles ont plusieurs modes de transmission possibles qu’il faut savoir reconnaître sur un arbre généalogique : transmission autosomique dominante, autosomique récessive, récessive liée au sexe, dominante liée à l’X, mitochondriale. • On recherchera également une mosaïque germinale (piège classique en matière de conseil génétique), une disomie uniparentale si l’on dispose de marqueurs polymorphiques et une répétition instable de trinucléotides devant un phénomène d’anticipation clinique.
• Analyses biochimiques : risque de transmission d’une erreur congénitale du métabolisme de diagnostic fortement établi. • Diagnostic moléculaire direct et indirect de maladies génétiques héréditaires dont le gène est localisé : analyse de l’ADN fœtal au mieux par prélèvement de villosités choriales, sinon à partir de cellules amniotiques.
2 / Techniques de prélèvement • Amniocentèse : ponction de liquide amniotique se faisant entre 14 et 18 semaines d’aménorrhée, après avoir localisé le placenta par échographie ; une ponction à l’aiguille retire 10 à 20 mL de liquide ; différents tests sont possibles : analyse biochimique directe, dosage de l’α-fœtoprotéine, culture de cellules amniotiques pour caryotype fœtal ou dosage d’activités enzymatiques, extraction de l’ADN fœtal. Le risque de contamination maternelle est moins fréquent que dans le cas d’un prélèvement de villosités choriales. • Choriocentèse ou biopsie des villosités choriales : se fait entre 10 et 12 semaines d’aménorrhée, sous contrôle échographique, par voie transvaginale ou transabdominale. Chaque prélèvement rapporte 5 à 30 mg de tissu, utilisé pour caryotype fœtal (mais préférer l’amniocentèse en raison des mosaïques dans les villosités choriales), études biochimiques (dosage d’activités enzymatiques), analyse de l’ADN fœtal (attention au risque de contamination de cellules maternelles). Le risque de fausses couches liées à la choriocentèse est de 1 % (variable en fonction des centres d’obstétriques), plus élevé que pour une amniocentèse. • Cordocentèse : il s’agit du prélèvement de sang fœtal par une aiguille introduite par voie transabdominale dans le cordon ombilical, à environ 18 semaines d’aménorrhée. • Imagerie fœtale : l’échographie fœtale permet de détecter une anomalie fœtale idéalement entre 16 et 18 semaines d’aménorrhée. L’échocardiographie fœtale associée à la technique de doppler permet de déceler des malformations cardiaques dès la 15e semaine d’aménorrhée. Le contenu utérin ou la radiographie font le diagnostic de dysplasies squelettiques, idéalement à la 20e semaine d’aménorrhée. Rarement, une biopsie de peau fœtale ou une biopsie hépatique fœtale (dosage enzymatique) peuvent être indiquées, via un fœtoscope.
3 / Diagnostic prénatal moléculaire : diagnostics direct et indirect Utilisables lorsque le gène de la maladie recherchée est localisé (diagnostic indirect) ou connue ainsi que la mutation responsable de la maladie (diagnostic direct). Le diagnostic direct va directement rechercher par des techniques de biologie moléculaire la mutation responsable de la maladie après amplification de l’ADN fœtal (PCR). Il s’agit du diagnostic prénatal le plus fiable, pouvant se faire à partir d’une biopsie de villosités choriales [(11 semaines d’aménorrhée (SA)] ou de liquide amniotique (14 SA). Le diagnostic indirect permet de connaître le chromosome normal ou mutant hérité par le fœtus grâce à l'utilisation de marqueurs ou polymorphismes qui sont des variantes génétiques physiologiques à un même locus. Le diagnostic indirect nécessite une pathologie familiale et d’avoir de l’ADN du cas index. Ses trois inconvénients sont le risque de recombinaison des allèles, diminué par l’utilisation de marqueurs intragéniques, les cas où le statut d’une mère conductrice est incertain : risque d’avorter un fœtus ayant reçu les mêmes chromosomes que le cas index avec une mère non conductrice (mutation de novo), pouvant conduire à un geste plus invasif pendant la grossesse, comme une biopsie de foie fœtal pour un fœtus de sexe masculin dont le frère est porteur d’un déficit en OTC (maladie métabolique du cycle de l’urée, récessive liée à l’X), le risque d’hérétogénéité génétique (plusieurs gènes, soit plusieurs locus, pour une même maladie) et de phénocopie.
POUR APPROFONDIR 1 / Indications du diagnostic prénatal • Analyses chromosomiques : âge maternel élevé, premier enfant porteur d’une aneuploïdie, un des parents porteur d’un remaniement chromosomique, détermination du sexe fœtal pour une maladie liée au sexe, dépistage maternel pathologique (triple test), anomalie échographique du fœtus.
POUR EN SAVOIR PLUS Sizonenko PC, Griscelli C. Précis de pédiatrie. Chap 6, Génétique. Paris : Éditions Payot Lausanne, Doin ; 93-146. Kaplan JC, Delpech M. Biologie nucléaire. Parizs : Médecine Sciences, Flammarion.
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Pédiatrie B 255
Ictère néonatal Physiopathologie, étiologie, diagnostic DR Véronique ZUPAN Service de pédiatrie et réanimation néonatales, hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart Cedex.
Points Forts à comprendre Hémoglobine
• L’ictère, qui correspond à une hyperbilirubinémie, est un symptôme très courant chez le nouveau-né. La bilirubine provient de la dégradation de l’hémoglobine ; pour être métabolisée, elle doit être captée par le foie, transformée en composé hydrosoluble par glycuroconjugaison et excrétée dans la bile puis l’intestin. Une partie est réabsorbée par les cellules épithéliales intestinales, déconjuguée et passe dans la circulation portale : c’est le cycle entéro-hépatique. • Les ictères néonatals à bilirubine libre, dont la majorité sont transitoires et physiologiques, sont liés une production importante de bilirubine chez le nouveau-né, une immaturité hépatique et une augmentation du cycle entéro-hépatique. Une hyperbilirubinémie pathologique peut être liée à une augmentation de la production de bilirubine (hémolyse ou résorption d’hématomes), à une augmentation du cycle entéro-hépatique (jeûne) ou à une anomalie (fonctionnelle ou constitutionnelle) du transport ou de la conjugaison intra-hépatocytaire. • Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte correspondent à une cholestase néonatale. Ils sont toujours pathologiques.
Physiopathologie Métabolisme de la bilirubine Le nouveau-né a physiologiquement dans les premiers jours de vie une hyperbilirubinémie transitoire. Elle est liée à plusieurs facteurs : – une production accrue de bilirubine, 2 à 3 fois supérieure à celle de l’adulte ; – une immaturité hépatique : diminution de la captation intra-hépatocytaire de la bilirubine (déficit en ligandine) ; déficit des systèmes de conjugaison notamment de l’uridine diphosphate (UDP)-glycuronyltransférase ; – augmentation du cycle entéro-hépatique de la bilirubine : l’absence de flore bactérienne ne permet pas la transformation de la bilirubine conjuguée en urobilinogène ; celle-ci est réabsorbée et déconjuguée. Le jeûne et l’absence de transit intestinal favorisent le cycle entérohépatique.
dégradation dans le système réticulo-endothélial R1 noyau hème % bilirubine non liée hème-oxygénase = fraction neurotoxique Bilirubine libre 99 % bilirubine liée à l’albumine plasmatiqu
Captation par le foie récepteurs hépatocytair Transport intracellulaire par les protéines Y (liga Glycuroconjugaison dans le réticulum endopla (bilirubine glucuro-tan R bilirubine conjugée (hy
Cycle entéro-hépatique
Excrétion biliaire
réabsorption transformation dans l’intestin grêle déconjugaison reconjugaison réabsorption
Élimination dans les urines
transformation dans le (rôle de la flore bact urobiline stercobiline Élimination dans les selles
Métabolisme de la bilirubine.
Ces 3 phénomènes sont encore accentués chez les enfants prématurés (figure).
Ictères pathologiques Une hyperbilirubinémie pathologique à bilirubine libre peut être liée à plusieurs facteurs : – une production excessive de bilirubine (hémolyse, résorption d’hématomes) ; – une majoration du cycle entéro-hépatique (prématurité, jeûne…) ; – une anomalie de transport ou de glycuroconjugaison hépatique (prématurité, hypothyroïdie, déficit congénital en bilirubine glycuronyl-transférase).
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Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte sont liés à une cholestase. Le trouble de l’excrétion des acides biliaires peut avoir une origine intra-hépatique, extrahépatique ou mixte.
Toxicité de la bilirubine La toxicité de la bilirubine libre tient à la fraction non liée aux protéines plasmatiques (essentiellement l’albumine). Cette bilirubine non liée a une grande affinité pour les phospholipides membranaires et traverse la barrière hémato-encéphalique. La concentration de bilirubine non liée dépend de la concentration totale de bilirubine libre et d’albumine. Le risque majeur d’une concentration élevée de bilirubine non liée est l’encéphalopathie hyperbilirubinémique ou ictère nucléaire caractérisé par des lésions irréversibles des noyaux gris centraux et des noyaux de certaines paires crâniennes. Les séquelles s’expriment sous forme de choréo-athétose et de surdité. La concentration de la bilirubine non liée peut être augmentée par différents facteurs augmentant la perméabilité hémato-encéphalique à la bilirubine ou déplaçant la bilirubine de l’albumine (tableau I). On peut retenir schématiquement les taux suivants comme potentiellement neurotoxiques (indication à une exsanguino-transfusion) : – taux de bilirubine libre en µmol/L supérieur à 15 % du poids du bébé (en g) et quel que soit le poids si elle est supérieure à 350 µmol/L ; – taux de bilirubine en µmol/L supérieur à 10 % en cas d’ictère précoce par hémolyse ; – concentration de bilirubine non liée supérieure à 1,5 mg/dL (ce dosage est pratiqué dans certains centres d’hémobiologie périnatale).
TABLEAU I Facteurs augmentant la toxicité de la bilirubine Facteurs augmentant la perméabilité hémato-cérébrale ❑ prématurité ❑ infection ❑ acidose ❑ hypoxie ❑ déshydratation, hyperosmolarité ❑ hypothermie ❑ hypoglycémie Facteurs augmentant la fraction de bilirubine non liée ❑ hypoalbuminémie ❑ médicaments déplaçant la bilirubine de l’albumine : paracétamol, oxacilline, indométacine, furosémide, médicaments conservés avec du benzoate, émulsions lipidiques intraveineuses
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Étiologie Les ictères néonatals sont classés en 2 types très distincts répondant à des mécanismes et des causes bien différentes (tableau II) : ictères à bilirubine libre, de loin les plus fréquents ; ictères à bilirubine conjuguée ou mixte.
Ictères à bilirubine libre 1. Ictère physiologique L’ictère apparaît vers le 2e jour de vie, il est habituellement peu intense (< 280 µmol/L) ; il disparaît avant le 10e jour de vie. Sa disparition est annoncée par la coloration des urines qui sont initialement claires.
2. Ictère du prématuré Chez le prématuré, l’ictère est plus fréquent, plus intense et plus dangereux. Cela est expliqué par plusieurs phénomènes : – une plus grande immaturité hépatique ; – un faible taux d’albumine ; – une plus grande perméabilité de la barrière hématocérébrale. Le taux de bilirubine libre potentiellement toxique est d’autant plus bas que l’enfant est plus prématuré.
3. Ictère au lait maternel Il concerne 1 à 3 % des enfants nourris au sein, habituellement des nouveau-nés à terme bénéficiant dès les premiers jours d’une lactation abondante. L’ictère apparaît vers le 5 ou 6e jour de vie et persiste pendant tout l’allaitement. Il est classiquement bénin, ne contreindiquant pas l’allaitement ; la concentration de bilirubine ne dépasse jamais 350 µmol/L. Son diagnostic peut être confirmé par la diminution de l’ictère après l’interruption de l’allaitement pendant 3 jours ou le chauffage du lait maternel à 60 ˚C. Le lait maternel responsable d’ictère a une activité lipoprotéine lipase excessive (enzyme thermosensible) ; la libération d’acides gras en excès inhibe la glycuroconjugaison. D’autres mécanismes moins bien identifiés sont probablement en cause.
4. Ictères par hémolyse L’ictère est précoce, avant la 24e heure de vie, rapidement intense ; un cordon jaune signe une hémolyse à début anténatal. Les signes d’hémolyse sont une anémie régénérative plus ou moins profonde avec une réticulocytose et une érythroblastose importantes. Il existe souvent une hépatosplénomégalie (le foie et la rate sont le siège d’une érythropoïèse). • Incompatibilités materno-fœtales : ce sont les premières causes d’ictère hémolytique. Le test de Coombs est positif. Ces incompatibilités sont, par ordre de fréquence : – dans le système Rhésus : immunisation anti-D, plus rarement anti-C et anti-E ;
Pédiatrie
TABLEAU II Démarche diagnostique et principales causes des ictères néonatals Ictère néonatal Examen clinique : aspect du foie, signes d’hémolyse, signes de cholestase, signes infectieux ? Groupe de la mère et recherche d’agglutinines irrégulières Bilirubine libre et conjuguée Numération sanguine et réticulocytes Groupe sanguin du bébé et test de Coombs
Ictère à bilirubine libre Hémolyse Iso-immunisation ❑ Rhésus ❑ ABO ❑ autres groupes Hémolyses constitutionnelles ❑ maladie de Minkowski et Chauffard ❑ déficit en G6PD ❑ déficit en pyruvatekinase
Pas d’hémolyse Ictère physiologique Facteurs augmentant l’hyperbilirubinémie ❑ prématurité ❑ résorption d’hématomes ❑ polyglobulie ❑ diabète maternel ❑ jeûne ❑ infection
Infections
Ictère au lait maternel
Accidents transfusionnels
Causes plus rares ❑ hypothyroïdie ❑ sténose du pylore ❑ maladie de Gilbert Cause très rare ❑ maladie de Crigler et Najjar (déficit congénital en glycuronyl-transférase)
– dans le système ABO : immunisation le plus souvent A/O (enfant de groupe A et mère de groupe O ayant des anticorps anti-A). L’ictère peut être très intense malgré une hémolyse souvent modérée ; – dans les autres systèmes : Kell, Duffy, Kidd. • Hémolyses constitutionnelles : la plus fréquente en France est la maladie de Minkowski et Chauffard ; le diagnostic repose à la naissance sur l’étude familiale (maladie autosomique dominante) ; les tests de résistance globulaire ne sont pas interprétables à cet âge. Le déficit en G6PD ou pyruvate-kinase est fréquent dans le pourtour méditerranéen et en Extrême-Orient ; ce déficit de transmission liée à l’X n’est habituellement
Ictère à bilirubine conjuguée ou mixte Échographie hépatique Bilan biologique : enzymes hépatiques, facteurs de coagulation ; autres examens selon le contexte clinique Hépatites infectieuses ❑ septicémie ❑ infection urinaire (E. coli) ❑ hépatite virale : cytomégalovirus, herpès, coxsackie, virus ECHO ❑ embryofœtopathies Maladies génétiques et métaboliques ❑ tyrosinémie ❑ galactosémie ❑ déficit en cortisol ❑ maladie de Niemann-Pick ❑ mucoviscidose ❑ déficit en α-1 antitrypsine ❑ maladie de Byler Obstacles sur les voies biliaires ❑ intra-hépatiques : paucité ductulaire ❑ extra-hépatiques : atrésie des voies biliaires extra-hépatiques ++, kyste du cholédoque Cholestase néonatale secondaire à une anoxie hépatique périnatale
symptomatique que chez les garçons ; l’hémolyse est aggravée par de nombreux médicaments dont la liste doit figurer dans le carnet de santé. • Infections : l’ictère peut associer un double mécanisme d’hémolyse et d’hépatite. L’infection doit être évoquée chaque fois qu’un ictère n’est pas d’origine immunologique.
5. Anomalies de conjugaison de la bilirubine L’hypothyroïdie s’accompagne fréquemment d’un ictère prolongé, probablement par insuffisance fonctionnelle de l’activité en glycuronyl-transférase. L’ictère disparaît sous traitement hormonal.
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La maladie de Gilbert est responsable d’épisodes récidivants de subictère, volontiers déclenchés par le stress ou le jeûne. Elle est très fréquente (3 à 7 % de la population) mais les révélations néonatales sont assez inhabituelles à l’exception des associations avec une sténose du pylore. La maladie de Crigler et Najjar est une maladie génétique très rare (1 pour 100 000 naissances) correspondant à un déficit profond de la glycuroconjugaison. Plusieurs mutations des gènes codant les glycuronyltransférases ont été décrites.
Ictères à bilirubine conjuguée ou mixte Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte signent une cholestase néonatale. L’origine de cette cholestase est environ pour moitié intra-hépatique et pour moitié extrahépatique ou mixte (tableau III).
TABLEAU III Indices cliniques devant faire suspecter un ictère pathologique ❑ Survenue précoce avant 24 heures de vie ❑ Signes d’hémolyse : pâleur, hépatomégalie, splénomégalie ❑ Ictère prolongé plus de 10 jours ❑ Ictère intense ❑ Selles décolorées (l’ictère cholestatique est toujours pathologique)
1. Cholestases intra-hépatiques Les causes sont multiples et une bonne place revient aux hépatites infectieuses, surtout bactériennes. Concernant les virus, on recherche en premier lieu le cytomégalovirus (CMV). Les hépatites à virus A et B n’existent pas chez le nouveau-né en raison de leur délai d’incubation supérieur à 1 mois. Les autres causes sont plus rares ; diverses maladies génétiques peuvent être à l’origine d’une cholestase néonatale.
2. Cholestases extra-hépatiques et mixtes La cause principale est l’atrésie des voies biliaires extra-hépatiques qui doit être évoquée dès qu’un enfant a des selles décolorées de façon prolongée. Les obstacles sur les voies biliaires sont beaucoup plus rares. 1370
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Diagnostic Diagnostic de l’ictère L’ictère est visible cliniquement à partir d’une concentration de bilirubine supérieure à 70 µmol/L. Il faut être vigilant chez les bébés de peau noire car l’ictère est plus difficile à repérer cliniquement. L’hyperbilirubinémie doit être contrôlée par un dosage sanguin de la bilirubine totale et conjuguée. En maternité, l’utilisation d’un bilirubinomètre transcutané permet une évaluation non invasive (mesure optique) de l’ictère. Cet appareil ne remplace pas le dosage sanguin mais permet de réduire le nombre de prélèvements pour la surveillance des ictères peu intenses.
Orientation devant un ictère à bilirubine libre La majorité des ictères néonatals sont des ictères à bilirubine libre. Des examens complémentaires ne sont nécessaires que si l’ictère présente des caractéristiques anormales (tableau III). La démarche diagnostique doit alors rechercher en premier lieu une hémolyse (tableau II).
Orientation devant un ictère à bilirubine conjuguée ou mixte À la différence des ictères à bilirubine libre, les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte, qui témoignent d’une cholestase, sont toujours pathologiques et nécessitent des investigations souvent spécialisées. Cliniquement, l’ictère est souvent présent dès la fin de la première semaine de vie. Les urines sont foncées et les selles plus ou moins décolorées. L’aspect du foie dépend de la cause de la cholestase. Ces éléments cliniques imposent de pratiquer : – un bilan biologique qui confirme la cholestase (hyperbilirubinémie à prédominance conjuguée, augmentation des phosphatases alcalines et souvent des gamma GT), recherche une éventuelle cytolyse associée pouvant témoigner d’une hépatite (augmentation des aspartate amino-transférase et alanine amino-transférase [ASAT-ALAT]) et une diminution des facteurs de coagulation ; – une échographie abdominale à la recherche d’une dilatation des voies biliaires orientant vers un obstacle extra-hépatique ; l’absence de vésicule biliaire visible peut orienter vers une atrésie des voies biliaires mais cet élément est inconstant. Des selles franchement décolorées de façon permanente orientent vers une origine extra-hépatique ou mixte de la cholestase. Dans ce cas, surtout si l’échographie ne montre pas de dilatation des voies biliaires, le premier diagnostic à évoquer est une atrésie des voies biliaires
Pédiatrie
extra-hépatiques. C’est une urgence diagnostique car le pronostic est conditionné par la précocité de la dérivation bilio-digestive. Lorsque les selles ne sont pas franchement décolorées et que l’échographie hépatique est normale, il s’agit plutôt d’une cholestase d’origine intra-hépatique. En dehors des hépatites infectieuses, le diagnostic des cholestases néonatales est souvent complexe et nécessite des explorations en milieu très spécialisé. Une biopsie hépatique est souvent nécessaire pour aboutir au diagnostic final. ■
POUR EN SAVOIR PLUS Bernard O. Diagnostic des cholestases du nouveau-né. In : Progrès en hépato-gastro-entérologie. Paris : Doin, 1996 ; 12 : 281-8. Bourrillon A, Dehan M. Pédiatrie pour le praticien. Paris : Masson, 1996. Odièvre M, Labrune P, Trioche P. Hyperbilirubinémies non conjuguées prolongées du nouveau-né. Journées parisiennes de pédiatrie.
Points Forts à retenir • Les ictères à bilirubine libre, très fréquents, sont souvent physiologiques mais ne doivent jamais être négligés. Deux entités sont à connaître : – les principales pathologies responsables d’une hyperbilirubinémie intense et (ou) prolongée, dominées par les hémolyses ; – les facteurs augmentant la toxicité de la bilirubine libre, notamment la prématurité. Tout le danger réside dans la neurotoxicité de la bilirubine non liée pouvant conduire à l’atteinte cérébrale définitive avec des lésions irréversibles des noyaux gris centraux : l’ictère nucléaire. • Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte sont toujours pathologiques et nécessitent des investigations diagnostiques particulières. L’origine de la cholestase est intra-hépatique (hépatites infectieuses, cholestases génétiques) et (ou) extra-hépatique (anomalie des voies biliaires). Une cholestase néonatale franche avec des selles décolorées doit toujours faire évoquer une atrésie des voies biliaires extra-hépatiques (urgence thérapeutique).
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Indications de l’analyse des chromosomes et de l’ADN pour le diagnostic des maladies génétiques PR Dominique BONNEAU, DR Valérie BIRAN-MUCIGNAT Service de génétique médicale, centre hospitalier universitaire, 86021 Poitiers Cedex.
TABLEAU I
Points Forts à comprendre • Les maladies génétiques peuvent être classées schématiquement en maladies monogéniques ou à hérédité mendélienne, anomalies chromosomiques, maladies multifactorielles. • La partie de la biologie qui s’intéresse à l’analyse des chromosomes s’appelle la cytogénétique. L’examen des chromosomes ou caryotype est réalisé sur des cellules en mitose ; il a pour but de mettre en évidence soit des anomalies du nombre soit des anomalies de structure des chromosomes. • Les anomalies chromosomiques sont très fréquentes dans l’espèce humaine (plus de 50% des conceptions, 0,6% des naissances) et les pathologies dont elles sont responsables sont multiples. • L’étude de l’ADN se fait par les méthodes de la biologie moléculaire. Pour le diagnostic d’une maladie génétique, on peut avoir recours soit à la mise en évidence des mutations dans le gène responsable de l’affection (méthode directe), soit à l’étude de la région du génome où se situe le gène (méthode indirecte).
Indications de l’analyse des chromosomes Les anomalies chromosomiques sont responsables d’un nombre important de pathologies humaines (tableau I) et les indications du caryotype peuvent être classées en fonction des situations suivantes : diagnostic prénatal cytogénétique, en période néonatale, chez l’enfant, chez l’adulte, en hématologie.
Responsabilité des anomalies chromosomiques dans différentes pathologies humaines, d’après Hook Pathologies
Anomalies chromosomiques (%)
Avortements spontanés très précoces (avant diagnostic de la grossesse)
Évalués entre 30 et 70%
Avortements spontanés avant 22 SA (fausses couches)
❑ en moyenne 30% ❑ entre 8 et 11 SA : 50%
Avortements spontanés après ❑ 5 à 7% 22 SA (morts périnatales) Morts néonatales
❑ 5 à 7%
Malformations congénitales
❑ toutes confondues : 4-8% ❑ cardiopathies congénitales : 13%
Anomalies chromosomiques détectées à la naissance
❑ par un caryotype systématique : 0,62% (1/160 naissances) ❑ en raison d’une anomalie du phénotype : 0,42% (1/120 naissances)
Retard mental
❑ QI < 20 : 3 à 10% ❑ QI de 20 à 50 : 12 à 35% ❑ QI de 50 à 70 : 3%
Infertilité chez l’homme
❑ en général : 1 à 2% ❑ avec azoospermie : 15%
Fausses couches à répétition
❑ 2 à 5%
Anomalies génitales
❑ anomalies de la différenciation masculine : < 25% ❑ hermaphrodisme vrai : 25% ❑ retard pubertaire chez la fille : 27%
L A R E V U E D U P R AT I C I E N 2 0 0 0 , 5 0
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A N A LY S E D E S C H R O M O S O M E S E T D E L’ A D N P O U R L E D I A G N O S T I C D E S M A L A D I E S G É N É T I Q U E S
Diagnostic prénatal cytogénétique (voir : Pour approfondir 1) Le caryotype fœtal peut être réalisé de différentes manières : sur les cellules des villosités choriales (ou trophoblastes) obtenues par ponction transabdominale réalisée vers 11 à 12 semaines d’aménorrhée (SA), sur les cellules du liquide amniotique obtenues par amniocentèse vers 16-17 semaines d’aménorrhée ; sur les lymphocytes obtenus par ponction du sang fœtal au cordon ombilical à partir de 22 semaines d’aménorrhée. Le recours à ces différentes méthodes varie selon les indications du caryotype, l’âge de la grossesse et le degré d’urgence de la situation. Le caryotype fœtal est proposé et pris en charge financièrement
1. Âge de la femme égal ou supérieur à 38 ans à la date du prélèvement Le risque de non-disjonction des chromosomes au cours de la méiose féminine et par conséquent celui d’avoir un fœtus trisomique augmente avec l’âge maternel. Le risque pour la trisomie 21 en fonction de l’âge maternel est donné sur le tableau II.
TABLEAU II Risque de trisomie 21 en fonction de l’âge maternel, à la naissance* et au 2e trimestre Âge maternel
Risque à la naissance
Risque au 2 e trimestre
20 ans 30 ans 38 ans 40 ans 45 ans
1/1 500 1/900 1/180 1/110 1/30
1/1 200 1/750 1/150 1/90 1/23
* Le risque à la naissance est inférieur de 20 % en raison des morts fœtales tardives.
2. Antécédent pour le couple de grossesse(s) avec caryotype anormal Quand un couple a eu un enfant avec une aberration chromosomique, le risque de récidive pour chaque future grossesse se situe aux alentours de 1%. Cela justifie de proposer systématiquement un caryotype (par amniocentèse ou ponction de trophoblaste) pour la surveillance des grossesses ultérieures. En revanche, ce risque ne concerne que les parents de l’enfant atteint et non les membres plus éloignés de la famille.
3. Anomalie chromosomique parentale La présence chez l’un des membres du couple d’une translocation réciproque équilibrée ou d’une translocation robertsonienne augmente considérablement le risque d’avoir un enfant malformé en raison de la possible transmission d’une anomalie chromosomique déséquilibrée. 204
L A R E V U E D U P R AT I C I E N 2 0 0 0 , 5 0
La translocation équilibrée chez l’un des parents peut être découverte dans les circonstances suivantes : à la naissance d’un enfant avec un phénotype anormal ; dans un bilan familial, après la découverte chez un apparenté d’une anomalie de ce type ; dans le bilan de fausses couches à répétition ou de mort fœtale tardive ; dans le bilan d’une infertilité ou d’une hypofertilité.
4. Diagnostic de sexe pour les maladies liées au chromosome X La détermination du sexe fœtal est le préliminaire indispensable pour les examens de biologie moléculaire réalisés dans le cadre des affections liées au chromosome X. Par exemple, pour le diagnostic prénatal (DPN) de la myopathie de Duchenne, l’étude de l’ADN n’est réalisée que si le fœtus est de sexe masculin (XY).
5. Découverte d’une anomalie morphologique à l’échographie Les fœtus porteurs d’anomalies chromosomiques ont souvent des anomalies morphologiques dépistables à l’échographie. Deux échographies sont particulièrement importantes pour le dépistage de ces signes d’appel : celle pratiquée à 12 semaines d’aménorrhée et celle pratiquée à 22 semaines d’aménorrhée (que l’on appelle également échographie morphologique). Au cours de l’échographie précoce à 12 semaines d’aménorrhée, le signe le plus évocateur d’une anomalie chromosomique est l’épaisseur anormale de la nuque fœtale. Les signes d’appel découverts lors de l’échographie de 22 semaines d’aménorrhée sont très nombreux (malformations des organes, retard de croissance intra-utérin, anomalies de quantité du liquide amniotique…). Ces signes sont d’autant plus évocateurs de la présence d’une anomalie chromosomique qu’ils sont associés entre eux. En fonction de la date de découverte des signes d’appel et de leur gravité, le caryotype est réalisé sur villosités choriales, sur liquide amniotique ou sur sang fœtal. Une anomalie chromosomique est trouvée dans 10 à 20 % des grossesses où sont mis en évidence des signes d’appel échographiques.
6. Anomalies des marqueurs sériques maternels Les marqueurs sériques sont des dosages biochimiques sanguins proposés aux femmes enceintes entre 15 et 18 semaines d’aménorrhée. Il existe, en effet, une corrélation entre les taux sanguins de ces marqueurs et le risque de trisomie 21. Il ne s’agit cependant que d’une méthode de dépistage des grossesses à haut risque et non d’une méthode de diagnostic direct de la trisomie 21. En pratique, on dose la β-hCG (human chorionic gonadotropin) et l’α-fœtoprotéine auxquelles on ajoute parfois l’œstriol libre. Le résultat est rendu en tenant compte de différents paramètres maternels intervenant dans la détermination du risque de trisomie 21 (âge maternel, poids, tabagisme, diabète…). Ces résultats sont exprimés sous forme d’une évaluation du risque et le caryotype fœtal est proposé si le risque de trisomie 21 dépasse 1 sur 250.
Pédiatrie
En période néonatale En période néonatale, on est amené à réaliser un caryotype dans les circonstances suivantes : • quand un nouveau-né a des signes dysmorphiques évocateurs ou non d’une anomalie chromosomique connue. Le cas le plus fréquent est, par exemple, la suspicion d’une trisomie 21 ; • devant un nouveau-né polymalformé : la présence de malformations multiples impose la réalisation d’un caryotype dans le bilan étiologique et pronostique de l’affection dont est atteint le nouveau-né ; • devant une mort périnatale inexpliquée ; • devant une ambiguïté sexuelle : c’est une indication majeure et urgente de réalisation du caryotype. La connaissance du sexe chromosomique oriente souvent le diagnostic de l’affection causant l’ambiguïté sexuelle et guide la prise en charge thérapeutique.
Dans l’enfance Au cours de cette période, un caryotype peut être demandé dans les circonstances suivantes : • en présence de signes dysmorphiques (comme précédemment) ; • devant un retard des acquisitions psychomotrices et un retard mental : la découverte d’un retard des acquisitions psychomotrices sans explication évidente, et a fortiori s’il s’accompagne de signes dysmorphiques, doit faire pratiquer au minimum 2 examens complémentaires : un caryotype et une recherche en biologie moléculaire du syndrome de l’X fragile ; • devant un retard statural chez une fille, on doit rechercher une monosomie X (ou syndrome de Turner) ; • devant un retard pubertaire, à la recherche, chez la fille, d’un syndrome de Turner ; chez le garçon, d’un syndrome de Klinefelter.
À l’âge adulte On peut retrouver les situations précédentes (retard mental, hypogénitalisme, petite taille) mais les indications les plus spécifiques, chez l’adulte, sont en rapport avec les échecs de la reproduction : • fausses couches à répétition : le caryotype est indiqué, pour la femme et l’homme, après 3 fausses couches ; • infertilité du couple : en particulier si le bilan a montré qu’il existait une azoospermie ou une oligospermie chez l’homme.
Pour le diagnostic des affections acquises en hématologie Le caryotype est demandé dans le bilan des affections hématologiques malignes, mais ce n’est pas le moyen direct d’en faire le diagnostic. Par exemple, la mise en évidence d’une translocation 9-22 (chromosome Philadelphie) confirme le diagnostic clinique et cytologique d’une leucémie myéloïde chronique et permet d’en suivre l’évolution.
Indication de méthodes particulières de cytogénétique 1. Hybridation in situ L’indication principale de ces méthodes est le diagnostic des syndromes avec microdélétion chromosomique tels que le syndrome de Prader-Willi, celui d’Angelman, la microdélétion du chromosome 22q11, le syndrome de Williams, et celui de Smith-Magenis (voir : Pour approfondir 2).
2. Diagnostic de maladies avec instabilité chromosomique Certaines maladies sont dues à des anomalies de la réparation de l’ADN et peuvent donner des anomalies cytogénétiques témoignant de l’instabilité et de la fragilité des chromosomes. C’est le cas, par exemple, de l’anémie de Fanconi, du syndrome de Bloom, de l’ataxietélangiectasie.
Situations pour lesquelles un caryotype n’est pas indiqué Il s’agit des maladies monogéniques et des unions consanguines.
Indications des analyses de l’ADN (biologie moléculaire) Confirmer ou faire le diagnostic des affections monogéniques constitutionnelles 1. Confirmer le diagnostic Pour beaucoup d’affections monogéniques, l’étude de l’ADN n’est pas utilisée pour faire directement le diagnostic. En général, les données cliniques et les examens complémentaires classiques suffisent. Par exemple, le diagnostic de la mucoviscidose n’est pas fait par l’étude du gène CFTR mais par la clinique et le dosage du chlore sudoral. Cependant, l’étude du gène responsable de l’affection est souvent indispensable pour confirmer la maladie ou surtout pour envisager un conseil génétique (voir : Pour approfondir 3) pour les parents ou la famille.
2. Faire le diagnostic Dans d’autres situations, l’étude moléculaire va être demandée de première intention pour faire le diagnostic de l’affection. On peut citer les exemples suivants : diagnostic précoce du syndrome de l’X fragile qui doit être envisagé devant tout retard mental sans diagnostic précis chez un garçon ou une fille ; diagnostic du syndrome de Prader-Willi et du syndrome d’Angelman ; de l’amyotrophie spinale infantile ; de la maladie de Steinert.
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Connaître le statut d’un individu pour le conseil génétique
Faire le diagnostic présymptomatique ou prédictif d’une maladie familiale
Cette situation est fréquente, elle intéresse surtout les maladies autosomiques récessives et celles liées au chromosome X ; il s’agit de dépister les sujets hétérozygotes à risque de transmettre la maladie. • Pour les maladies récessives, cette indication est de pratique courante pour la mucoviscidose, les pathologies de l’hémoglobine (drépanocytoses, thalassémies). • Pour les maladies liées à l’X (X fragile, myopathie de Duchenne, hémophilie A et B…), le diagnostic des femmes hétérozygotes encore appelées conductrices de la maladie est essentiel en raison du risque direct de transmission et des possibilités éventuelles de diagnostic prénatal.
Certaines maladies génétique peuvent être diagnostiquées par étude de l’ADN avant que les signes cliniques n’apparaissent. On distingue : • les tests présymptomatiques : si le test est positif, l’individu a une très forte probabilité de déclarer la maladie; • les tests prédictifs qui dépistent uniquement une susceptibilité de développer la maladie, un facteur de risque génétique mais ne donnent pas de certitude. Les indications de ces examens doivent être pesées avec soin et sont en général données après une ou plusieurs consultations spécialisées pour ce type de maladie. Cela concerne essentiellement une affection neurologique à révélation tardive (la chorée de Huntington) et des prédispositions au cancer [la polypose colique familiale, les formes familiales de cancer du sein, les formes familiales de cancer du côlon (en dehors de la polypose)]. ■
Faire un diagnostic prénatal Le diagnostic prénatal par la biologie moléculaire est disponible pour un grand nombre d’affections monogéniques (tableau III). L’étude de l’ADN se fait en général à partir des cellules du trophoblaste prélevées entre 11 et 12 semaines d’aménorrhée. Le principe est de déterminer le statut du fœtus vis-à-vis de la maladie génétique connue dans la famille. Le diagnostic peut être direct par détection de la mutation dans le gène en cause si celle-ci a été déterminée au préalable par l’étude d’un sujet malade. Dans le cas contraire, on peut avoir recours à un diagnostic indirect (voir : Pour approfondir 4).
POUR EN SAVOIR PLUS Aymé S. Génétique et santé publique. In : Feingold J, Fellous M, Solignac M (eds). Principes de génétique humaine. Paris : Hermann, 1998 : 431-57. Berger R. Cytogénétique humaine. In : Feingold J, Fellous M, Solignac M (eds). Principes de génétique humaine. Paris : Hermann, 1998 : 33-58.
Points Forts à retenir TABLEAU III Principales maladies monogéniques dont le diagnostic prénatal est possible par la biologie moléculaire Maladie
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Méthode
Mucoviscidose
Le plus souvent diagnostic direct après reconnaissance de la (ou des) mutation(s) chez le cas index (1er sujet malade étudié dans la famille)
Myopathie de Duchenne
Directe si délétion du gène (2/3) Indirecte dans le cas contraire
X fragile
Directe par détection de la taille de la mutation instable en 3’ de FMR1
Hémophilie A
Directe si présece de l’inversion Indirecte dans le cas contraire
Hémophilie B
Directe Indirecte
Amyotropie spinale infantile
Directe par recherche de la délétion homozygote du gène SMN
Drépanocytose
Directe
Thalassémie
Directe si la (ou les) mutation(s) sont connues Indirecte
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• Les principales indications de l’examen des chromosomes sont : le diagnostic prénatal cytogénétique ; la découverte chez un nouveau-né ou un enfant d’une dysmorphie ou d’un syndrome polymalformatif ; la présence, à la naissance, d’une ambiguïté sexuelle ; un retard mental inexpliqué chez l’enfant ; un retard pubertaire; l’infertilité d’un couple, surtout si l’on a mis en évidence une anomalie du nombre des spermatozoïdes chez l’homme ; les fausses couches à répétition. • Les principales indications des examens de l’ADN sont la confirmation diagnostique d’une maladie monogénique (ex. : mucoviscidose); la méthode diagnostique de première intention pour certaines affections (X fragile, myotonie de Steinert, Prader-Willi, Angelman…); les études familiales pour connaître le statut des apparentés vis-à-vis de l’affection : détection des hétérozygotes pour les maladies récessives (mucoviscidose) et des conductrices pour les affections liées au chromosome X ; le diagnostic prénatal d’une affection génétique reconnue dans la famille pour les couples à risque ; le diagnostic présymptomatique d’affections génétiques à révélation tardive.
Pédiatrie
POUR APPROFONDIR 1 / Méthode de cytogénétique et principales anomalies chromosomiques Méthodes Méthodes classiques de cytogénétique L’examen des chromosomes ou caryotype se fait habituellement à la métaphase de la mitose. Il est donc nécessaire soit d’obtenir des divisions cellulaires par des méthodes de culture soit d’observer une population de cellules présentant spontanément beaucoup de mitoses. Le caryotype se fait habituellement sur les lymphocytes obtenus par une prise de sang et mis en culture. Les mitoses sont obtenues 72 h après stimulation des lymphocytes par la phytohémagglutinine et bloquées en métaphase par l’adjonction de colchicine. Pour le diagnostic prénatal, le caryotype fœtal peut être obtenu de différentes manières :sur les cellules des villosités choriales (ou trophoblastes), obtenues par ponctions transabdominales, où l’on observe les mitoses directement et après culture ; sur les cellules du liquide amniotique, obtenues par amniocentèse, puis mises en culture ; sur les lymphocytes, obtenus par ponction du sang fœtal au cordon ombilical et mis en culture. Pour les indications d’hématologie, le caryotype peut être réalisé directement sur les cellules malignes obtenues par ponction médullaire ou ganglionnaire ou dans le sang circulant. Les mitoses obtenues sont étalées sur lames et traitées suivant différentes méthodes pour faire apparaître des bandes sur les chromosomes. Les systèmes de bandes les plus couramment utilisés sont les bandes G (pour Giemsa, le nom du colorant utilisé) et les bandes R (pour reverse car la coloration est inverse de celle des bandes G) qui sont obtenues par dénaturation thermique. Les mitoses sont ensuite photographiées au microscope ou analysées grâce à un microscope relié à un ordinateur et les chromosomes sont examinés et classés. Le caryotype humain comporte 46 chromosomes, 22 paires d’autosomes et 2 chromosomes sexuels ou gonosomes. Les 2 chromosomes qui composent une paire sont appelés chromosome homologues. Chaque chromosome apparaît formé de 2 chromatides reliées entre elles par le centromère ; ce dernier divise le chromosome en un bras court (ou bras p) et un bras long (ou bras q). Les chromosomes se distinguent selon la position de leur centromère en chromosomes métacentriques (les 2 bras sont sensiblement égaux), chromosomes submétacentriques (le centromère est situé environ au tiers du chromosome), chromosomes acrocentriques (les bras courts sont très réduits). Le caryotype standard permet d’observer 300 à 500 bandes par génome neutre (22 autosomes + X). Hybridation in situ fluorescente Le principe de l’hybridation in situ fluorescente est le marquage des chromosomes par une ou plusieurs sondes spécifiques d’une région chromosomique donnée. Les sondes utilisées sont des fragments d’ADN monocaténaire dont les localisations génomiques sont connues et qui sont marqués par un fluorochrome. Ces sondes s’hybrident par complémentarité à la région chromosomique à étudier et sont ensuite révélées en fluorescence. On peut utiliser plusieurs types de sondes. Les sondes centromériques sont des séquences répétées d’ADN spécifiques de chaque chromosome. Elles peuvent être utilisées sur les chromosomes métaphasiques mais aussi sur les noyaux interphasiques (en dehors de la mitose) pour détecter rapidement les anomalies de nombre des chromosomes ; les sondes spécifiques de régions chromosomiques (autres que les centromères) sont utilisées pour la détection des anomalies submicroscopiques de la structure des chromosomes ; les systèmes dits de peinture chromosomique sont un mélange de plusieurs sondes spécifiques d’un chromosome permettant de le rendre fluorescent en entier. Autres méthodes utilisées en cytogénétique La méthode du caryotype en prométaphase (ou caryotype en haute résolution) consiste à bloquer les mitoses à un stade plus précoce que pour les examens habituels. Elle permet d’obtenir des chromosomes plus étirés pour lesquels on peut mettre en évidence beaucoup plus de bandes (550 à 1 000) et dépister ainsi des anomalies chromosomiques mineures.
Autres systèmes d’obtention de bandes chromosomiques : bande Q (quinacrine, système de bandes comparable aux bandes G mais observées en fluorescence) ; bande C (centromérique) : coloration NOR qui met en évidence les organisateurs nucléolaires sur les chromosomes acrocentriques. Anomalies chromosomiques chez l’homme On distingue les anomalies de nombre et les anomalies de structure des chromosomes. Anomalies de nombre Le nombre de 23 chromosomes que comportent les gamètes est appelé haploïde. Les cellules somatiques avec 46 chromosomes ont un nombre diploïde de chromosomes. Les différentes anomalies de nombres que l’on peut observer sont les polyploïdies et les aneuploïdies. Les polyploïdies sont des anomalies, non viables, où le nombre de chromosomes est un multiple supérieur à 2 du lot haploïde (23). La triploïdie (3 x 23 = 69 chromosomes), est une cause fréquente (8 %) d’avortement spontanés ; la tétraploïdie (4 x 23 = 92 chromosomes) est plus rarement en cause (2 % des avortements spontanés). Les aneuploïdies sont des aberrations de nombre portant sur un seul ou sur un nombre limité de chromosomes. Les aneuploïdies les plus fréquentes sont les trisomies et les monosomies. Les trisomies se définissent par la présence d’un seul chromosome surnuméraire ; le caryotype compte alors 47 chromosomes et l’on parle alors de trisomies libres (par opposition aux trisomies par translocation). Ces anomalies cytogénétiques, très fréquentes, sont dues à une nondisjonction des chromosomes à la méiose. En théorie, tous les chromosomes peuvent être intéressés mais la plupart des trisomies autosomiques conduisent à des avortements spontanés. En pratique, seules sont viables les trisomies 21, 13, 18 et X, qui représentent environ 3 pour 1 000 des naissances. Les trisomies libres ne sont en général pas familiales. Les monosomies se définissent par l’absence d’un chromosome et résultent, comme les trisomies, d’accidents de non-disjonction méiotique. Elles devraient être en théorie aussi fréquentes que les trisomies mais elles causent en général des avortements très précoces et aucune monosomie autosomique n’est compatible avec la vie. Seule la monosomie X, responsable du syndrome de Turner,peut se rencontrer après la naissance. Anomalies de structure Elles peuvent intéresser un ou plusieurs chromosomes. Anomalies intéressant plusieurs chromosomes Les translocations réciproques résultent d’un échange de matériel entre 2 chromosomes non homologues. Quand cet échange n’a aucune conséquence sur le phénotype la translocation est dite équilibrée ; si, au contraire, le phénotype est anormal, la translocation est dite déséquilibrée. Environ un individu sur 1 000 est porteur d’une translocation équilibrée ; le risque pour ces personnes concerne leur fertilité (par anomalie de la gamétogenèse) et leur descendance. En effet, les gamètes qui résultent de la disjonction méiotique des chromosomes transloqués peuvent comporter du matériel génétique en plus ou en moins conduisant respectivement à des conceptus porteurs d’une trisomie partielle ou d’une monosomie partielle. Les risques sont donc triples : infertilité surtout chez l’homme (azoospermie), fausses couches, enfants viables mais malformés. Les translocations robertsoniennes sont la conséquence de la fusion au niveau de leurs centromères de 2 chromosomes acrocentriques (13 à 15, 21 et 22). Le caryotype ne comporte alors que 45 chromosomes puisque 2 d’entre eux sont fusionnés. Le risque, là encore, peut concerner la fertilité et (ou) la descendance. Anomalies de structure intéressant un seul chromosome On distingue : délétion (perte d’un fragment de chromosome conduisant à une monosomie partielle), inversion (une partie du chromosome est retournée sur elle-même), chromosome en anneau (les 2 télomères sont fusionnés en circularisant le chromosome avec souvent une perte de matériel), duplication (un fragment chromosomique est en double conduisant à une trisomie partielle), isochromosome (chromosomes formés par 2 bras longs ou 2 bras courts. Le plus fréquent est l’isochromosome du bras long de l’X responsable de syndrome de Turner par monosomie Xp).
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POUR APPROFONDIR Anomalies chromosomiques en mosaïque Il s’agit d’anomalies chromosomiques présentes dans un pourcentage variable des cellules de l’organisme. On oppose les termes d’anomalies chromosomiques en mosaïque à celui d’anomalie homogène, c’est-àdire présentes dans toutes les cellules.
• X fragile : il s’agit d’une cause très fréquente de retard mental transmis sur le mode dominant lié à l’X. Les mutations responsables de cette affection sont des expansions instables de triplets CGG localisées dans la partie 3’ non traduite du gène FMR1.
3 / Conseil génétique 2 / Glossaire des maladies génétiques citées dans cette question • Amyotrophie spinale infantile : il s’agit d’une maladie autosomique récessive due à une atteinte de la corne antérieure de la moelle épinière. On distingue plusieurs types de la maladie en fonction de la gravité et de la précocité des signes. Le type I se traduit par une hypotonie majeure néonatale avec décès précoce ; les types II et III sont moins sévères. Le gène de cette affection, nommé SMN, est localisé sur le chromosome 5 ; la maladie est le plus souvent causée par des délétions homozygotes de ce gène. • Anémie de Fanconi : syndrome avec instabilité chromosomique autosomique récessif donnant des malformations et une insuffisance médullaire progressive. • Angelman : syndrome caractérisé par un retard mental avec épilepsie, ataxie et troubles du comportement (rires fréquents). Sur le plan génétique, cette maladie est due soit à une microdélétion de la région q11-q13 du chromosome 15 (même région que le syndrome de Prader-Willi), soit à la transmission de 2 chromosomes 15 d’origine paternelle (isodisomie). • Ataxie-télangiectasie : maladie autosomique récessive donnant des signes neurologiques progressifs, des télangiectasies de la conjonctive et des problèmes hématologiques. Syndrome de Bloom Maladie autosomique récessive due à une instabilité chromosomique donnant des signes cutanés et hématologiques. Chorée de Huntington Affection neuro-dégénérative de l’adulte débutant entre 30 et 50 ans et conduisant progressivement vers la perte de contrôle des mouvements et la démence. Il s’agit d’une maladie autosomique dominante due à une mutation instable (répétition de CAG) dans le gène de la huntingtine sur le chromosome 4. • Microdélétion du chromosome 22q11 : syndrome de microdélétion fréquent dont les signes sont très variables associant fréquemment des anomalies oro-faciales et une cardiopathie congénitale. • Myopathie de Duchenne : dystrophie musculaire liée à l’X donnant une atteinte précoce et progressive des muscles volontaires. Les mutations dans le gène DMD sont des délétions dans deux tiers des cas. • Myotonie de Steinert : maladie neurologique autosomique dominante dont l’expression est très variable dans les familles. Dans la forme classique, cette maladie entraîne une myotonie musculaire apparaissant chez l’adulte. Elle est due à une mutation instable (répétition de CTG) se situant dans la région 3’ non codante du gène DM. • Polypose colique familiale : maladie autosomique dominante prédisposant au cancer du côlon et se caractérisant par l’apparition précoce de nombreux polypes du côlon. Le gène FAP responsable de cette maladie est identifié et la recherche des mutations permet de reconnaître les individus à risque dans les familles. • Syndrome de Prader-Willi : syndrome caractérisé par une hypotonie néonatale puis par l’installation d’une obésité (en raison de troubles majeurs de l’alimentation) et d’un retard mental modéré. Sur le plan génétique, cette maladie est due soit à une microdélétion de la région q11-q13 du chromosome 15 (même région que le syndrome d’Angelman), soit à la transmission de 2 chromosomes 15 d’origine maternelle (isodisomie). • Syndrome de Smith-Magenis : syndrome donnant un retard mental et des troubles du comportement particuliers du à une microdélétion du chromosome 17. • Syndrome de Williams et Beuren : syndrome avec retard mental, dysmorphie particulière et troubles du comportement du à une microdélétion du chromosome 7 (q11).
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Le conseil génétique est un acte médical effectué par un généticien. Son but principal est d’évaluer et de prévenir les risques génétiques pour un individu ou par sa descendance vis-à-vis d’une maladie génétique.
4 / Stratégie pour le diagnostic moléculaire Généralités Deux étapes sont indispensables avant d’envisager l’utilisation de la biologie moléculaire pour le diagnostic des maladies génétiques. Il faut tout d’abord connaître la localisation chromosomique du gène responsable de la maladie. La connaissance précise de la région du génome contenant le gène d’intérêt peut déjà permettre d’effectuer un diagnostic indirect de la maladie. Par exemple, on a effectué pendant quelques années le diagnostic prénatal de la mucoviscidose sans connaître le gène CFTR (cloné en 1989). La deuxième étape est l’identification du gène et la mise en évidence de mutations causant la maladie. Ces données, une fois acquises, peuvent être utilisées en méthode de diagnostic selon une stratégie qui varie en fonction des problèmes techniques rencontrés. Stratégies d’étude Elles dépendent de l’identification ou non du gène causal de l’affection et des difficultés techniques de son étude. On rencontre 3 types de situations. • Le gène de l’affection est connu et son analyse est facile : le diagnostic peut alors être direct par mise en évidence de la mutation responsable de la maladie. C’est la situation idéale, en particulier pour le diagnostic prénatal, car les risques d’erreur sont limités. • Le gène de la maladie a été identifié mais son analyse est difficile (souvent en raison de sa taille) ; • Le gène n’est pas identifié mais sa localisation est connue avec précision. Dans les situations 2 et 3, on est obligé d’avoir recours à une analyse diagnostique indirecte. Celle-ci utilise des marqueurs génétiques situés soit à proximité du gène (marqueurs extragéniques) soit à l’intérieur même du gène (marqueurs intragéniques). Son principe est d’identifier avec précision la partie du génome qui se transmet dans la famille avec l’allèle muté (et donc avec la maladie) de celle qui se transmet avec un allèle sain. Les méthodes de diagnostic génétique indirect comportent plusieurs contraintes très importantes à considérer avant leur mise en œuvre : il faut que la maladie soit identifiée avec rigueur en raison du risque d’hétérogénéité génétique (ne pas envisager l’étude moléculaire d’une maladie si l’on se trompe de diagnostic) ; les méthodes indirectes ne sont applicables que dans les formes familiales des maladies génétiques et nécessitent une étude préalable de la famille (sujets atteints et sujets sains apparentés) ; certaines limites doivent être connues : manque d’informativité venant des marqueurs (on ne peut pas discerner ce qui se transmet avec l’allèle muté ou avec l’allèle sain) et risques de recombinaison (on risque de se tromper entre les allèles mutés et sains). Il faut enfin insister sur le fait que ces examens qui déterminent les caractéristiques génétiques d’une personne nécessitent d’avoir obtenu le consentement écrit du sujet ou de ses parents (loi de bioéthique, juillet 1994).
Pédiatrie
B 275
Infection aiguë ostéo-articulaire des membres de l’enfant Physiopathologie, diagnostic, évolution, pronostic, traitement Dr Xavier BARTHES, Pr Raphaël SERINGE Service de chirurgie pédiatrique B, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 75674 Paris cedex 14
Points Forts à comprendre • Le mode de contamination ostéo-articulaire est essentiellement hématogène. • Les germes au cours d’une septicémie ou d’une bactériémie vont se localiser à une articulation (arthrite) ou à la métaphyse d’un os (ostéomyélite). • Dans l’ostéomyélite un traumatisme peut avoir un rôle focalisateur.
Physiopathologie Différents facteurs concourent à la localisation métaphysaire de l’infection osseuse : l’artère nourrissière après avoir pénétré l’os se ramifie près de la plaque de croissance, les capillaires et les plexus veineux entraînent un ralentissement rhéologique qui facilite le développement des germes. Le cartilage de croissance est au milieu d’un double front vasculaire (épiphysaire et métaphysaire) qui s’oppose à l’extension épiphysaire du sepsis mais l’absence d’anastomose rend cette région fragile à toute ischémie avec risque de nécrose favorisant la multiplication bactérienne. Le faible nombre de cellules réticulo-endothéliales (macrophages), alors que ce système est bien développé au niveau de la diaphyse, est un facteur facilitant le sepsis. Le développement des germes entraîne un œdème avec hyperpression locale, facteur de thrombose et d’ischémie. Dans les 48 heures l’infection diffuse au périoste par les canaux de Havers provoquant une inflammation puis un décollement du périoste (abcès sous-périosté). Ce décollement périosté rompt la vascularisation corticale favorisant la nécrose osseuse (une néoformation osseuse réactionnelle apparaît dès le 4e jour), si l’évolution continue, un séquestre peut apparaître dans les 10 à 20 jours. Lorsqu’un traitement efficace est mis en route, l’activité ostéoclastique éliminant les tissus nécrotiques empêche la formation du séquestre. L’arthrite succède à l’atteinte primitive de la synoviale dont l’absence de membrane basale et la riche vascularisation permettent la traversée des germes. L’arthrite surviendra si les réactions immunitaires locales sont dépassées. L’atteinte
de la synoviale diminue la nutrition du tissu cartilagineux, le liquide articulaire purulent altère le cartilage articulaire et la couche germinale du cartilage de croissance épiphysaire. Ces deux tableaux physiopathologiques doivent être modulés par quelques particularités : le double front vasculaire épiphyso-métaphysaire apparaît à 18 mois et disparaît vers 16 ans d’âge osseux. Cela explique l’ostéo-arthrite du nourrisson (voir : pour approfondir / 1). Il peut y avoir une contamination de l’articulation lors d’une ostéomyélite lorsque la métaphyse est intra-articulaire comme c’est le cas de la métaphyse du fémur à la hanche, de la métaphyse de l’humérus à l’épaule et de la métaphyse du radius au coude (voir : pour approfondir / 2).
Diagnostic La symptomatologie associe un syndrome septique et des douleurs locales.
Ostéomyélite aiguë L’âge moyen de survenue est 6 ans et le garçon est le plus souvent concerné. Les sièges les plus fréquents sont : le fémur et le tibia près du genou (70 % des cas), puis l’humérus et enfin le péroné. Plus rarement des os plats ou courts (astragale, calcanéum, rotule…). La douleur est de survenue parfois brutale, aiguë (pseudofracturaire), insomniante et évocatrice. Chez le jeune enfant une attitude pseudo-paralytique peut résumer la douleur (surtout aux membres supérieurs). Plus souvent, le début est insidieux et progressif. L’articulation voisine est mobile sauf en cas d’atteinte de la hanche ou de l’épaule. L’augmentation de la chaleur locale, le gonflement, la rougeur, ne surviennent que tardivement. Les signes généraux sont marqués par la fièvre, élevée (39 °C), qui peut être responsable de convulsion ou de léthargie chez le jeune enfant.
Arthrite L’âge moyen de survenue est 6 ans, sans prédominance de sexe. L’articulation du genou est la plus souvent atteinte (40 %) suivie par la hanche (20 %). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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INFECTION AIGUË OSTÉO-ARTICULAIRE DES MEMBRES DE L’ENFANT
La symptomatologie est d’apparition souvent brutale associant une fièvre, une douleur localisée à la région de l’articulation et une impotence fonctionnelle. En cas d’articulation superficielle un aspect inflammatoire peut être observé : gonflement articulaire et augmentation de la chaleur locale. La mobilisation de l’articulation est douloureuse, impossible. La palpation appuyée des métaphyses est indolore. Au genou, l’épanchement est confirmé par la présence d’un choc rotulien.
Examens complémentaires 1. Biologie Les signes de l’inflammation ont une valeur indicative et ne sont pas spécifiques. Il faut rechercher une hyperleucocytose, une augmentation de la vitesse de sédimentation (VS) survenant dès les 24 premières heures, une augmentation de la protéine C-réactive (CRP) survenant dès la 6e heure avec un maximum au 2e jour, une augmentation des oroso-mucoïdes.
2. Imagerie • Les radiographies nécessitent deux incidences (face, profil). En cas d’ostéomyélite, les signes radiologiques sont en retard par rapport à la clinique. Un bilan normal n’exclut pas le diagnostic. Le premier signe à apparaître est le gonflement des tissus mous puis après 2 à 3 jours la production d’os néoformé au niveau du soulèvement périosté marque le contour de l’os. On peut également observer une zone de raréfaction métaphysaire. Après deux semaines d’évolution apparaissent des lésions destructrices sous forme de zones de raréfaction multiples avec sinus de décharge, ainsi que des zones d’os séquestrés d’aspect plus dense. • En cas d’arthrite, on peut observer un flou des parties molles péri-articulaires, un élargissement de l’interligne articulaire, la trame osseuse étant normale. • L’échographie permet dans le cadre d’une ostéomyélite, la recherche d’abcès sous-périostés quand se discute une indication chirurgicale. Devant une suspicion d’arthrite, elle met l’épanchement articulaire en évidence (intérêt particulier à la hanche). • La scintigraphie au technétium 99 m montre une hyperfixation. Dans l’ostéomyélite sa sensibilité est de l’ordre de 80 %, et l’on peut observer des zones normales en cas d’infection sévère avec thrombose et hypovascularisation. Elle est utile pour préciser la localisation : vertébrale, pelvienne ou multiple. La scintigraphie au gallium, quand elle fixe, est plus en faveur d’une localisation septique. Ces deux techniques ne sont pas spécifiques. La scintigraphie n’a pas d’intérêt pour le diagnostic d’arthrite, mais permet de retrouver un autre foyer infectieux et d’étudier à distance la vitalité épiphysaire. • La tomodensitométrie permet la recherche d’abcès des parties molles, la mise en évidence d’anomalies osseuses (ostéolyse médullaire, rupture de corticale…). Elle est utile dans la recherche de séquestre dans les formes chroniques. • L’imagerie par résonance magnétique, en cas d’atteinte osseuse, montre un hyposignal en T1 et un hypersignal en 556
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T2, modifications non spécifiques. La présence d’abcès sous-périostés (hyposignal en T1, hyper en T2) ou des parties molles venant au contact de l’os est évocatrice d’ostéomyélite. L’injection de produit de contraste permet de distinguer l’abcès (pas de rehaussement où seulement en périphérie) et l’inflammation (rehaussement). Elle est utilisée en cas de localisation inhabituelle (rotule, péroné), de problème de diagnostic différentiel avec les lésions tumorales et chez l’enfant drépanocytaire pour les lésions d’infarctus osseux.
3. Bactériologie L’isolement et l’identification du germe confirment le diagnostic d’infection ostéo-articulaire aiguë et permettent un traitement antibiotique adapté. Les prélèvements doivent être multiples.
TABLEAU I Prélèvements bactériologiques à réaliser – Hémocultures – Examen cytobactériologique des urines – Porte d’entrée cutanée (panaris, ombilic…) – Prélèvement de la sphère oto-rhino-laryngolée – Ponction lombaire pour analyse du liquide céphalo-rachidien (si syndrome méningé) – Recherche d’antigènes solubles pour certaines germes (H. influenzæ, Streptococcus B, S. pneumoniæ, N. meningitidis, E. coli K1) – Ponction articulaire et métaphysaire (réalisée sous anesthésie générale) en ramenant le maximum de matériel
Les prélèvements conservés à température ambiante seront amenés au laboratoire et seront ensemencés rapidement. Dans le cas d’une ponction articulaire, il faut envoyer un tube en cytologie. Les cultures seront conservées aux moins 10 jours avant d’être considérées comme négatives. Le germe le plus fréquent est le staphylocoque doré puis le streptocoque du groupe A et l’Haemophilus influenzae de type b chez le jeune enfant. Les antigènes solubles d’Haemophilus influenzae peuvent être recherchés dans le sérum et les urines. Le Mycobacterium tuberculosis est systématiquement recherché.
Évolution Ostéomyélite aiguë hématogène 1. Complications infectieuses Il existe un risque évolutif d’infection à distance en cas de traitement tardif : staphylococcie pleuro-pulmonaire, péricardite, phlegmon péri-néphrétique, péritonite… La survenue d’un choc septique est possible avec coagulopathie de consommation, coagulation intravasculaire disséminée, (CIVD) et décès.
Pédiatrie Traitée rapidement elle guérit avec des séquelles minimes, l’hyperhémie inflammatoire peut entraîner une poussée de croissance qui se traduira par une inégalité de longueur des membres inférieurs de 1 à 2 cm.
2. Autres complications • Une ischémie aiguë d’un membre doit faire rechercher une compression par un abcès sous-périosté. • Une phlébite peut aussi survenir en cours d’évolution (présence d’une circulation collatérale). • Un syndrome de loge peut survenir en phase aiguë ou chronique. • L’atteinte du cartilage de croissance est une complication grave entraînant des troubles de la croissance osseuse : raccourcissement, défaut d’axe amènent à des chirurgies correctrices. Il existe également des complications articulaires à type de raideur.
Ostéomyélite chronique L’inadaptation du traitement peut conduire à l’ostéomyélite chronique avec des lésions cutanées (fistule, ulcération, perte de substance), musculaires (amyotrophie, fibrose rétractile du quadriceps dans les atteintes fémorales), osseuses avec séquestre (perte d’os par séquestrectomie chirurgicale ou élimination spontanée). Sur cet os fragile, la survenue de fracture pathologique est possible avec un risque de pseudarthrose.
Abcès de Brodie C’est un stade évolutif constitué d’une nécrose purulente localisée, enkystée. Il est défini par son aspect radiologique.
Arthrite Vite traitée, la guérison est rapide et sans séquelle. Une atteinte du cartilage articulaire peut entraîner une diminution de la mobilité, sa destruction conduisant à l’arthrodèse. Une atteinte du cartilage de croissance épiphysaire, du cartilage métaphyso-épiphysaire peut entraîner des troubles de croissance, des destructions articulaires (épiphysiolyse septique).
Traitement Ostéomyélite aiguë 1. Traitement médical C’est une urgence ; le patient est hospitalisé en milieu chirurgical. L’antibiothérapie est débutée après avoir effectué les prélèvements à la recherche du germe, mais sans en attendre les résultats. Il s’agit d’une bi-antibiothérapie par voie intraveineuse. De première intention on choisit une antibiothérapie dirigée contre le S. aureus, par exemple une pénicilline M (Bristopen), à laquelle on associe un aminoside. Un antibiotique à plus large spectre est utilisé contre un streptocoque A (par exemple l’ampicilline, Totapen) où chez le jeune enfant contre Haemophylus influenzae (par exemple céfuroxime, Zinnat). Une conférence de consensus a proposé les antibiotiques à utiliser dans les infections ostéo-articulaires selon les germes et l’âge de l’enfant. Ce traitement est adapté selon les résultats bactériologiques en choisissant un antibiotique bactéricide délivré par voie intraveineuse jusqu’à normalisation des manifestations cli-
TABLEAU II Propositions d’antibiothérapie des infections ostéo-articulaires de l’enfant Germes S. aureus
2e intention
Non documenté
vancomycine + amikacine (Amiklin) amoxicilline + aminoside céfotaxime (Claforan) + aminoside ceftazidime (Fortum) + tobramycine (Nebcine) céfotaxime + fosfomycine
céfotaxime + fosfomycine céfotaxime + aminoside imipénème + aminoside imipénème + tobramycine vancomycine + aminoside
H. influenzae S. aureus
céfotaxime péni M + aminoside
thiamphénicol vancomycine ou céfotaxime + fosfomycine
Streptocoque A Salmonelle
amoxicilline ceftriaxone (Rocéphine)
Non documenté
péni M + aminoside ou céfotaxime + fosfomycine
Streptocoque B Nouveau-né Enterobacter Pseudomonas
Nourrisson et enfant
1re intention
selon antibiogramme, fluoroquinolones imipénème
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niques locales et générales (si le germe n’est pas retrouvé une bi-antibiothérapie est poursuivie). Les infections à Haemophilus sont de meilleurs pronostic car le germe est plus sensible aux antibiotiques. Les posologies peuvent être adaptées selon le pouvoir bactéricide du sérum (PBS > 1/2 à tout moment) et le dosage des antibiotiques (concentration entre 4 et 8 fois la CMI). Un relais per os est poursuivi pendant 3 à 6 semaines. L’immobilisation plâtrée est obligatoirement associée pour ses rôles anti-inflammatoire, antalgique et de prévention des attitudes vicieuses. L’efficacité du traitement permet la disparition des douleurs et des signes inflammatoires locaux, la disparition de la fièvre, la normalisation des examens biologiques (la CRP se normalise en 8 jours, la VS en 3 semaines). L’absence d’amélioration clinique en 72 heures, le maintien d’une CRP élevée ou sa réascension font évoquer une antibiothérapie inadaptée, la survenue d’un abcès souspériosté.
2. Place de la chirurgie Il faut intervenir sur un abcès suspecté sur les signes cliniques ou les lésions radiologiques. Le geste opératoire consistera à évacuer les tissus nécrotiques et à pratiquer un lavage abondant. Un drainage sera mis en place.
Arthrite Les principes de l’antibiothérapie sont les mêmes que pour l’ostéomyélite. Il faut pratiquer ici une évacuation et un lavage articulaire au bloc opératoire sous anesthésie générale avec une asepsie chirurgicale. On pratique : soit une ponction qu’il faut répéter à la 48e heure pour s’assurer de l’assèchement de l’articulation ; soit une arthrotomie qui assure un lavage complet et permet de faire une biopsie synoviale ; soit une arthroscopie au genou qui assure un lavage abondant et qui autorise la biopsie synoviale. En cas de retard diagnostique un lavage articulaire est préférable, car il permet de rompre d’éventuel cloisonnement et de placer un drain de Redon. Une immobilisation plâtrée sera associée, un bilan clinique étant pratiqué au 10e jour. ■
Points Forts à retenir • L’ostéomyélite et l’arthrite de l’enfant associent syndrome septique et douleurs locales ; l’âge moyen de survenue est de 6 ans. • Les localisations les plus fréquentes sont le fémur et le tibia, le genou et la hanche. • Le diagnostic d’infection ostéo-articulaire aiguë est confirmé par les prélèvements bactériologiques d’une ponction articulaire ou métaphysaire. • Le principe du traitement repose sur une antibiothérapie active sur le germe délivrée au début par voie intraveineuse avec relais per os. 558
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POUR APPROFONDIR 1 / Infections chez le nouveau-né et le nourrisson Chez le nouveau-né, la séparation des réseaux vasculaires épiphysaire et métaphysaire n’existe pas encore, ce qui explique la fréquence de l’ostéoarthrite du nourrisson. Le germe le plus souvent rencontré est le Staphylococcus aureus suivi par le streptocoque B chez le nouveau-né. Chez le nourrisson on trouve comme 2e germe le streptocoque A et l’Haemophilus influenzae à partir de 3 mois. L’atteinte de la hanche est la localisation la plus fréquente (50 % des infections ostéo-articulaire de cet âge). Elle survient dans les deux premiers mois (fréquence maximale au 30e jour). L’immaturité du système immunitaire alors que le taux d’IgG maternel diminue expliquerait ce pic de fréquence. Terrains à risque : poids de naissance < 2 500 g, césarienne, rupture prématurée de la poche des eaux, infection urinaire maternelle, cathéter ombilical, prématurité. Elle peut apparaître comme une localisation supplémentaire dans un tableau septicémique où être insidieuse avec une température normale. Il faut rechercher : une limitation douloureuse de la mobilité articulaire, un aspect pseudoparalytique du membre atteint (l’examen doit localiser l’articulation en cause), une attitude vicieuse, la douleur à la palpation de l’articulation associée à un œdème péri-articulaire avec augmentation de la température locale. • La biologie montre des signes septiques classiques. La ponction articulaire est faite au moindre doute sous anesthésie générale. • La radiographie recherche l’œdème des parties molles, une excentration de la métaphyse fémorale. L’évolution peut aboutir à une luxation, l’ascension de la métaphyse fémorale supérieure étant un facteur de pronostic péjoratif. Plus tard apparaissent des signes d’atteinte osseuse (géodes, ostéolyse, décollement périosté). • La scintigraphie est rarement indiquée à cet âge et peut être utilisée en cas de suspicion d’infection ostéo-articulaire. Évolution : le traitement est une urgence pour éviter des séquelles graves. On peut assister : à une disparition de la tête fémorale, à une luxation associée à une dysplasie cotyloïdienne, à des défauts de congruence ou d’orientation (coxa magna, coxa vera ou valga), ces différents défauts pouvant conduire à des interventions ultérieures. Aspect particulier du traitement : l’antibiothérapie, de première intention chez le nouveau-né, associe vancomycine et aminoside pour un staphylocoque ; amoxicilline et aminoside pour le streptocoque B. L’immobilisation par plâtre pelvi-pédieux peut être remplacé par une traction collée ou un langeage en abduction. Il faut pratiquer l’arthrotomie lavage dans les formes évoluées.
2 / Ostéo-arthrite de hanche de l’enfant L’atteinte initiale est une ostéomyélite métaphysaire supérieure du fémur avec une contamination secondaire de l’articulation. Le cartilage de croissance forme une barrière efficace mais la métaphyse étant intra-articulaire l’épanchement réactionnel s’infectera. La symptomatologie clinique peut être franche (algique et septicémique) mais elle est le plus souvent fruste (syndrome infectieux bâtard). La douleur localisée au pli de l’aine irradie parfois au genou, l’impotence fonctionnelle se limite au début à une boiterie d’esquive. La mobilisation passive de l’articulation est douloureuse dans tous les secteurs. Le bilan biologique est perturbé. La recherche du germe est réalisée par les prélèvements habituels et par la ponction métaphysaire au trocart, la ponction de l’articulation est positive secondairement (la ponction confirmant un diagnostic fortement suspecté). Le Staphylococcus aureus est le plus souvent retrouvé. La scintigraphie en urgence montre une hyperfixation et des clichés au collimateur Pin-Hole mettent en évidence des zones d’hypofixation traduisant les défauts de vascularisation de la tête fémorale. L’imagerie par résonance magnétique permet un diagnostic précoce et évalue l’étendue de l’atteinte osseuse et des troubles circulatoires de la tête fémorale. L’échographie met en évidence l’épanchement. La radiographie est contributive tardivement, les signes osseux apparaissant après 2 ou 3 semaines d’évolution (ostéoporose localisée, densification de la tête fémorale). Évolution : le risque évolutif est la survenue d’une nécrose de l’épiphyse fémorale. Aspect particulier du traitement : une perforation osseuse métaphysaire est faite de principe, elle favorise la baisse de pression métaphysaire permet l’évacuation du pus éventuellement présent. Ce geste évite la constitution d’un abcès sous-périosté qui pourrait être responsable de l’occlusion de l’artère circonflexe postérieure (risque de nécrose de la tête).
Pédiatrie
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Infections bactériennes du nouveau-né Diagnostic, principes du traitement, prévention Dr Catherine MAINGUENEAU, Pr Jean-Bernard GOUYON Service de gynécologie-obstétrique, CHU, 10, bd de Lattre-de-Tassigny, 21034 Dijon cedex
Points Forts à comprendre • Fréquentes, le mode de contamination peut être pendant la grossesse, à la naissance et après l’accouchement. Trois germes dominent, le streptocoque β hémolytique du groupe B, Escherichia coli et Listeria monocytogenes. La probabilité de l’infection néonatale repose sur des arguments anamnestiques, cliniques et biologiques. Le traitement curatif repose sur l’antibiothérapie. La prévention doit être systématiquement envisagée.
1. De la colonisation à l’infection • Physiologiquement, le nouveau-né se colonise (peau, voies aériennes, tube digestif) pendant les 5 premiers jours de vie. Cette colonisation peut être perturbée par la transmission d’un germe pathogène de la mère ou de l’environnement. Il a été plus rarement observé des translocations digestives de bactéries dont la pullulation digestive a été favorisée par une antibiothérapie (klebsielles et ampicilline, pyocyanique et céfotaxime). • L’immunité du nouveau-né est caractérisée par un déficit en cellules phagocytaires, en lymphocytes T, en complément, en immunoglobulines M (IgM) et A (IgA) (absence de passage transplacentaire) ou IgG (absence de passage transplacentaire avant 32 semaines).
2. Modes de contamination du nouveau-né
Épidémiologie L’infection bactérienne néonatale (IBN) est fréquente ; elle touche 1 % des nouveau-nés. Sa prise en charge repose sur une antibiothérapie instituée précocement avant la confirmation bactériologique. Cette attitude vise à réduire la morbidité et la mortalité, mais conduit à traiter 1 à 10 % des nouveau-nés.
Définition Il est habituel de distinguer les infections bactériennes précoces apparues dans les 2 premiers jours de vie qui sont d’origine materno-fœtale, des infections bactériennes tardives qui sont materno-fœtales ou acquises.
Physiopathologie Les infections bactériennes du nouveau-né résultent d’une anomalie de la colonisation bactérienne néonatale et d’une immaturité de l’immunité.
Le nouveau-né peut s’infecter à 3 moments : pendant la grossesse (infection prénatale), au moment de la naissance (infection pernatale) et après l’accouchement (infection postnatale). Les infections prénatales sont transmises par voie transplacentaire lors de bactériémies ou de septicémies maternelles, soit par voie transmembranaire, à membranes intactes ou rompues, le liquide amniotique (amniotite) contaminant le fœtus lors de sa déglutition. Les infections pernatales sont acquises lors du passage dans la filière génitale. Les infections postnatales sont de transmission manuportée ou secondaires à la contamination de matériel prothétique.
3. Bactériologie Les infections materno-fœtales, qu’elles soient précoces ou tardives, sont dues principalement à 3 germes : Streptocoque β hémolytique du groupe B (37 %) (SβHB), Escherichia coli K1 (20 %), (E. coli) et Listeria monocytogenes (5 %). D’autres germes sont retrouvés : entérocoques, streptocoque D, klebsielle, Proteus, Hæmophilus influenzæ, Pseudomonas aeruginosa, Bacteroides fragilis, staphylococcus aureus ou epidermidis… Le taux d’incidence des germes responsables d’infections materno-fœtales (IMF) varie d’un pays et d’une région à l’autre, conduisant à la nécessité d’adapter l’antibiothérapie probabiliste initiale à l’écologie bactérienne. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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INFECTIONS BACTÉRIENNES DU NOUVEAU-NÉ
Diagnostic La probabilité d’une infection bactérienne néonatale repose sur des arguments anamnestiques, cliniques et biologiques. La confirmation bactériologique du diagnostic d’infection bactérienne néonatale est secondaire, après un délai de 48 à 72 h. Il faut souligner que lors d’une suspicion d’infection materno-fœtale, l’identification d’un germe dans les hémocultures, le liquide céphalo-rachidien, les urines ou les prélèvements périphériques est inconstante. La poursuite ou l’arrêt précoce de l’antibiothérapie dépendent aussi du tableau clinique et des paramètres inflammatoires.
Arguments anamnestiques d’infection 1. Arguments d’origine maternelle • Pendant la grossesse ces arguments infectieux sont les suivants : des infections urinaires répétées ou une pyélonéphrite du dernier trimestre de la grossesse (E. coli K1), une infection génitale diagnostiquée devant des leucorrhées (Gardnerella vaginalis), une fièvre ou un syndrome grippal d’allure bactériémique (Listeria, Streptococcus, gramnégatif), une menace d’accouchement prématuré, une rupture ou une fissuration prématurée de la poche des eaux, une chlorioamniotite, un portage génital ou urinaire de germes potentiellement pathogènes. La situation la plus fréquente est le portage asymptomatique de SβHB dans les voies génitales chez 20 à 30 % des femmes enceintes. Le risque de colonisation du nouveau-né est de 50 % et le risque d’infection néonatale est de 4 % pour les nouveaunés colonisés. • À l’accouchement ces arguments infectieux sont les suivants : une rupture ou une fissuration prolongée des membranes > 12 h, une fièvre maternelle (> 38 °C) pré-, per-, post-accouchement, un liquide amniotique teinté ou fétide, la présence de germes dans le liquide amniotique ou bien une glycosamnie < 10 mg/L, un placenta présentant des abcès crayeux listériens.
2. Arguments d’origine fœtale Une prématurité inexpliquée, une souffrance fœtale aiguë inexpliquée (anomalies du rythme cardiaque fœtal, liquide amniotique teinté, score d’Apgar bas), une tachycardie fœtale > 160 batt/min.
Arguments cliniques De nombreux signes cliniques aspécifiques doivent faire évoquer une infection bactérienne néonatale, mais les nouveau-nés infectés sont fréquemment asymptomatiques initialement, situation qui ne doit pas faire différer l’antibiothérapie si l’anamnèse est évocatrice. • Signes respiratoires : cyanose, apnées ou détresse respiratoire sont un mode de révélation des infections néonatales. La détresse respiratoire peut être modérée ou sévère (hypoxémie réfractaire) comme dans les infections néonatales à SβHB. De plus, l’inhalation de liquide amniotique 1130
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méconial doit être considérée comme associée à une infection. Chez un prématuré, une maladie des membranes hyalines (MMH) peut simuler (ou être associée) à une infection materno-fœtale. • Signes hémodynamiques : teint gris, troubles vasomoteurs ou marbrures, allongement du temps de recoloration capillaire supérieur à 3 s, tachycardie (fréquence cardiaque > 180/min), hypotension artérielle systémique (pression artérielle moyenne < 30 mmHg chez le nouveau-né à terme). • Signes thermiques : hyperthermie supérieure à 37,5 °C ou hypothermie. • Signes cutanéo-muqueux : purpura pétéchial, éruption cutanée (macules, vésicules, pustules), nodules pharyngés listériens, ictère de début précoce (au cours du 1er jour de vie) en dehors de toute incompatibilité sanguine fœtomaternelle, ictère d’aggravation secondaire surtout à bilirubine conjuguée (infection urinaire à E. coli). • Signes neurologiques : anomalies du tonus (hypotonie, hypertonie), de la succion, hyporéactivité, réflexes archaïques anormaux, troubles de conscience (somnolence, létargie), convulsions et bombement de la fontanelle antérieure en cas de méningite. • Signes abdominaux et digestifs : refus du biberon, vomissements, météorisme abdominal, diarrhée, rectorragies, hépatomégalie, splénomégalie.
Arguments biologiques L’absence de spécificité des signes cliniques d’infection bactérienne néonatale et leur inconstance à la phase initiale de l’infection expliquent l’importance accordée aux arguments biologiques. La numération formule plaquettes sanguine : leucopénie < 5 000/mm3, neutropénie < 2 500/mm3 (meilleur signe, mais rare et fugace), hyperleucocytose > 30 000/mm3, monocytes > 10 % des leucocytes totaux, pourcentage élevé de polynucléaires non segmentés, thrombopénie < 150 000/mm3, anémie hémolytique, fibrinogène > 3,5 g/L au cours des 2 premiers jours de vie (> 4 g/L au-delà). Élévation de l’orosomucoïde. L’élévation de la protéine Créactive (CRP) est considérée comme le marqueur de référence de l’infection bactérienne néonatale. Son augmentation (> 10 mg/L) d’emblée ou secondaire (à 1224 h de vie) est un bon critère d’infection materno-fœtale (spécificité : 80 à 90 %, sensibilité : 50 à 80 %). Ses variations sont plus précoces que celles du fibrinogène et sa normalisation est un critère d’efficacité thérapeutique. Plus récemment a été souligné l’intérêt de la procalcitonine sanguine qui augmente significativement en cas d’infection bactérienne néonatale et de l’interleukine-6. Cette cytokine s’élève très précocement chez le nouveau-né infecté (sensibilité 85 à 90 %). D'autres cytokines, le tumor necrosis factor α (TNFα), le G-CSF, des molécules d’adhésion cellulaires varient aussi chez le nouveau-né infecté mais semblent moins intéressantes que l’interleukine-6. L’interleukine-6 augmente plus rapidement que la procalcitonine qui s’élève plus précocement que la protéine C-réactive. Autre argument biologique, l’acidose métabolique inexpliquée qui est un signe rare, mais évocateur.
Pédiatrie
1
Abcès cérébral lors d’une infection néonatale à citrobacter diversius (avec méningite). 15 jours de vie.
2
Abcès cérébral lors d’une infection néonatale à citrobacter diversius (avec méningite). 3 semaines de vie.
3
Abcès cérébral lors d’une infection néonatale à citrobacter diversius. 3 semaines de vie.
5
4
Infiltrat micronodulaire radiologique d’une infection néonatale materno-fœtale à streptocoque β hémolytique du groupe B.
Épanchement pleural D minime lors d’une infection néonatale à streptocoque β hémolytique du groupe B.
6
Opacités diffuses macronodulaires floues lors d’une infectin materno-fœtale à streptocoque β hémolytique du groupe B.
7
Fausse MMH lors d’une infection materno-fœtale à streptocoque β hémolytique du groupe B. 8
Pleurésie néonatale G à streptocoque β hémolytique du groupe B. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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INFECTIONS BACTÉRIENNES DU NOUVEAU-NÉ
3. Forme méningée (fig. 1, 2 et 3)
Arguments paracliniques La radiographie pulmonaire recherche systématiquement une localisation pulmonaire de l’infection. Tous les aspects radiologiques peuvent être rencontrés en cas d’infection bactériologique néonatale, mais le plus évocateur est une pneumopathie avec infiltrats micro- ou macronodulaires uni- ou bilatéral. La radiographie peut être normale ou prendre l’apparence d’une maladie des membranes hyalines.
Arguments bactériologiques Les prélèvements bactériologiques sont impératifs devant toute suspicion d’infection bactérienne néonatale et avant toute antibiothérapie. Ils comprennent : une hémoculture ; un examen cytobactériologique des urines (dont la réalisation ne doit pas retarder l’antibiothérapie) ; une ponction lombaire (tableau I). En périphérie, seul le liquide gastrique prélevé à la naissance et témoignant de la bactériologie du liquide amniotique a un intérêt réel. L’interprétation des résultats devra prendre en compte la bactériologie du placenta et les résultats bactériologiques de la mère (hémocultures, prélèvement d’endocol, examen cytobactériologique des urines).
TABLEAU I Cytochimie du liquide céphalo-rachidien du nouveau-né indemne de méningite Liquide céphalo-rachidien
Nouveau-né à terme
Prématuré
Protéinorachie
< 1,3 g/L
1,75 g/L
Glycorachie
> 0,5 g/L
> 0,5 g/L
Leucocytes
< 30/mm3 (50 % polynucléaires)
< 30/mm (< 50 % polynucléaires)
Formes cliniques 1. Forme pulmonaire Elle s’observe lors d’infections materno-fœtales précoces ou lors d’une infection secondaire chez un enfant en ventilation mécanique. L’infection se révèle par un tableau de détresse respiratoire de sévérité variable.
2. Forme septicémique Elle s’observe lors d’infections materno-fœtales précoces ou d’infections secondaires sur prothèses principalement. Le tableau clinique est dominé par une altération de l’état général, des anomalies thermiques, des troubles hémodynamiques (tachycardie, hypotension artérielle) nécessitant alors une expansion volémique et l’administration d’amines vasopressines en association au traitement antibiotique. 1132
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Elle s’observe surtout en cas d’infections materno-fœtales de révélation tardive. Le tableau clinique est dominé par des troubles du tonus et de conscience, des convulsions, un bombement de la fontanelle antérieure, une fièvre, des apnées et des vomissements. L’antibiothérapie débutée sans délai n’évite pas une grande fréquence de séquelles neurologiques et sensorielles. Des abcès cérébraux sont possibles (citrobacter diversius).
4. Forme urinaire Elle s’observe lors d’infection néonatale à révélation secondaire et révèle souvent une malformation des voies urinaires. La symptopathologie est dominée par la fièvre et les troubles digestifs. Un ictère à bilirubine conjuguée est parfois le mode de découverte. Dans tous les cas l’infection urinaire néonatale doit être traitée comme une septicémie.
Formes selon le germe 1. Infection bactérienne néonatale à Streptocoque β hémolytique du groupe B (fig. 4, 5, 6, 7 et 8) Le Streptocoque β hémolytique du groupe B (SβHB) est le principal germe de l’infection materno-fœtale. sa transmission est prénatale transmembranaire ou pernatale lors du passage dans la filière génitale. La contamination postnatale est possible. Le germe SβHB est de plus en plus dépisté pendant la grossesse et colonise les voies génitales de 10 à 30 % des femmes enceintes. Les nouveau-nés sont alors fréquemment colonisés (environ 50 %), mais seulement 1 à 2 % d’entre eux font une infection précoce et 1 à 2 ‰ une infection sévère. L’intensité du portage maternel de SβHB, le sérotype du SβHB, la présence ou non d’anticorps spécifiques du sérotype chez la mère, influent sur le risque d’infection du nouveau-né. • La forme précoce est asymptomatique, paucisymptomatique, respiratoire (± hypoxémie réfractaire), septicémique (± fulminante), mais rarement méningée. • La forme tardive est méningée ou ostéo-articulaire. Il n’existe pas de critères prédictifs connus permettant le dépistage des infections bactériennes néonatales tardives. SβHB est sensible à l’amoxicilline, au céfotaxime et est résistant aux aminosides. En revanche, il est sensible à l’association β-lactamines + aminosides.
2. Listériose néonatale Sa fréquence est en diminution. On distingue : • une forme précoce liée à une transmission par voie hématogène ou par amniotite aiguë et qui associe un syndrome infectieux grippal maternel d’origine alimentaire (fromage, viande), un liquide amniotique teinté, une prématurité inexpliquée, un tableau clinique franc et grave avec septicémie et méningite associées éventuellement à une détresse respiratoire. La mortalité est élevée ;
Pédiatrie • une forme tardive qui associe une grossesse sans problème ; un accouchement eutocique à terme ; un tableau clinique de septicémie ou de méningite secondaire. Listeria monocytogenes est sensible à l’amoxicilline.
Traitement curatif 1. Règles d’antibiothérapies du nouveau-né L’antibiothérapie doit être administrée par voie intraveineuse, avoir un spectre élargi initialement puis une adaptation spécifique secondaire, être bactéricide vis-à-vis des germes responsables, avec une vitesse de bactéricide maximale, utiliser des associations d’antibiotiques synergiques, diffuser dans les méninges, être de toxicité réduite et de durée suffisante adaptée à la nature de l’infection.
3. Infection bactérienne néonatale à Escherichia coli Sa clinique n’est pas spécifique. Escherichia coli porteur de l’antigène K1 se retrouve dans 80 % des méningites à E. coli. Il est sensible aux céphalosporines de 3e génération, aux uréido-pénicillines et aux aminosides.
2. Nature, spectre et posologie des antibiotiques utilisés dans les infections bactériennes néonatales
4. Infection bactérienne néonatale à Chlamydia trachomatis Le tableau clinique est celui d’une conjonctivite traînante et (ou) d’une pneumonie réticulo-nodulaire, apparaissant après une incubation de 1 à 40 j. Le diagnostic est confirmé la culture de Chlamydia dans les cellules conjonctivales ou pharyngées. Le traitement repose sur les macrolides.
Le traitement des infections bactériennes néonatales fait principalement appel aux β-lactamines associées le plus souvent à une aminoside. Les tableaux II et III résument respectivement les principaux β-lactamines et aminosides utilisés pour le traitement des infections bactériennes néonatales, ainsi que leurs posologies. • Parmi les β-lactamines, l’amoxicilline est active sur le SβHB, la Listeria et sur seulement 50 % des E. coli. Le céfotaxime est actif sur le SβHB et sur E. coli, mais pas sur Listeria. L’association amoxicilline-acide clavulanique est active sur le SβHB, la Listeria et 75 % des E. coli. Elle ne doit pas être utilisée en cas de méningite car l’acide clavulanique ne franchit pas la barrière méningée. En cas de méningite, les β-lactamines sont administrées à la dose de 200 mg/kg/j en 4 fois. • Les aminosides sont efficaces spontanément sur de nombreux bacilles gram-négatifs dont E. coli. Grâce à leur synergie d’action avec les β-lactamines, les aminosides sont actifs sur le SβHB et la Listeria. Le tableau III rapporte certains amonosides utilisés en période néonatale et leurs posologies habituelles. D’autres modalités d’administration sont à
5. Infection bactérienne néonatale à Ureaplasma urealyticum Se manifeste le plus souvent par une pneumopathie tardive dont le traitement repose sur les macrolides.
Pronostic Les facteurs de mauvais pronostics sont l’existence d’une chorio-amniotite maternelle, la prématurité, une méningite, une forme clinique fulminante, un retard à l’antibiothérapie, la non-réponse au traitement.
Traitement
TABLEAU II Principales β-lactamines utilisées pour le traitement des infections bactériennes néonatales et posologies (mg/kg) Antibiotique
Pénicillines
< 34 semaines dose < 7 j
dose > 7 j
dose < 7 j
dose > 7 j
amoxicilline Clamoxyl ou Hiconcil
50 x 2/j
50 x 2 ou 3/j
50 x 2 ou 3/j
50 x 2 ou 4/j
amoxicilline + acide clavulanique Augmentin
50 x 2/j
50 x 2 ou 3/j
50 x 2 ou 3/j
50 x 2 ou 4/j
50 x 2 ou 4/j
50 x 2 ou 4/j
50 x 3 ou 4/
50 x 4/j
ceftazidime Fortum
50 x 2/j
50 x 2/j
50 x 3/j
50 x 4/j
pipéracilline Pipérilline
75 x 2/j
75 x 2/j
75 x 2/j
75 x 3/j
Céphalosporines céfotaxime Claforan 3e génération
Uréidopénicilline
> 34 semaines
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1133
INFECTIONS BACTÉRIENNES DU NOUVEAU-NÉ
TABLEAU III Posologies de nétilmicine et d’amikacine, aminosides utilisés lors du traitement d’infection bactérienne néonatale Nétilmicine Nétromicine
< 34 semaines (S)
> 34 semaines
< 4 jours de vie
3,5 mg/kg toutes les 24 h
4 mg/kg toutes les 24 h
> 4 jours de vie
4,5 mg/kg toutes les 24 h
5 mg/kg toutes les 24 h
Amikacine Amikline
< 28 semaines
28 à 31 semaines
31 à 34 semaines
34 à 37 semaines
37 à 41 semaines
20
20
18,5
17
15,5
42 h
36 h
30 h
24 h
24 h
dose mg/kg intervalle
l’étude : dose unique journalière, doses de charges. • La vancomycine (Vancocin) s’utilise à la dose de 30 mg/kg/j en 2 injections. Elle est utilisée lors des infections pulmonaires ou septicémiques staphylococciques sur prothèses. Les doses d’antibiotiques néphrotoxiques (aminosides, vancomycine) doivent être adaptées à la fonction rénale et modifiées selon leurs taux sanguins (pics et taux résiduels). Pic à < 30 µg/mL pour l’amikacine et < 18 µg/mL pour la nétilmicine et taux résiduel entre 2 et 5 µg/mL la nétilmicine.
3. Stratégie antibiotique et adaptation secondaire du traitement au germe responsable de l’IBN
s’agisse d’une infection materno-fœtale ou d’une infection bactérienne néonatale secondaire : soit arrêt des antibiotiques en cas de non-confirmation d’infection, soit poursuite et adaptation en fonction du germe, en cas d’infection confirmée ou probable.
4. Durée du traitement antibiotique Elle dépend de la nature de l’infection : 10 j pour une infection simple ; 10 à 15 j pour une septicémie, une entérocolite, une pyélonéphrite ; 21 j pour une méningite et 3 mois pour une ostéomyélite. La durée d’utilisation des aminosides est aussi fonction du type d’infection, mais tend à se raccourcir.
5. Surveillance et efficacité du traitement
L’antibiothérapie initiale varie suivant qu’il s’agit d’une infection materno-fœtale précoce, tardive ou d’une infection bactérienne néonatale secondaire. L’antibiothérapie est débutée sur les critères anamnestiques, cliniques ou biologiques évoqués antérieurement, alors que le germe n’est pas encore isolé. L’antibiothérapie initiale sera probabiliste (tableau IV). L’adaptation secondaire de l’antibiothérapie sera fonction des résultats bactériologiques et de l’antibiogramme, qu’il
L’efficacité du traitement se juge par l’amélioration clinique en cas d’infection patente, la normalisation des paramètres biologiques (CRP), la stérilisation bactérienne à 48 h d’antibiothérapie, pour les septicémies, méningites, infections urinaires, la surveillance des taux sériques des aminosides (pics et taux résiduels) en prévention de leur toxicité rénale et auditive, leur index thérapeutique étant étroit.
Traitement symptomatique
TABLEAU IV Antibiothérapies proposées en fonction du germe et du type d’infection Infection
1134
Traitement initial
Traitement adapté
Infection materno-fœtale précoce ou tardive (SβHB/E. coli/Listeria)
– amoxicilline + céfotaxime + aminoside
– SβHB/Listeria : amoxicilline + aminoside – E. coli : céfotaxine + aminoside
Infection bactérienne néonatale sur prothèse vasculaire (staphylocoque DNAse)-
– vancomycine + aminoside/ – céfotaxime + fosfamycine
– vancomycine + aminoside/ – céfotaxime + fosfamycine ou adapté
Infection bactérienne néonatale sur prothèses digestives ou urinaires (entérobactérie)
– céfotaxime + aminoside/ – ceftazidime + aminoside
– céfotaxime + aminoside/ – ceftazidine + aminoside ou adapté
Entérolite ulcéro-nécrosante (entérobactérie)
– céfotaxime ou ceftazidime + aminoside + métronidazole
– adaptée
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Pédiatrie Le traitement symptomatique s’associe à l’antibiothérapie et prend en charge les détresses respiratoires, les troubles hémodynamiques, les anomalies de la coagulation… Il n’y a pas d’intérêt des immunoglobulines ni des transfusions de leucocytes.
Surveillance du nouveau-né infecté Elle comprend la mise en incubateur, la surveillance cardiorespiratoire hémodynamique (fréquence cardiaque, respiratoire, pression artérielle, saturation artérielle en oxygène, pression transcutanée en oxygène, pression transcutanée en gaz carbonique), la surveillance thermique, glycémique, hydroélectrolytique, acido-basique et de la diurèse.
Prévention 1. Prévention des infections bactériennes néonatales précoces impliquées • Traitement des épisodes infectieux maternels pendant la grossesse : amoxicilline en cas de syndrome fébrile évocateur de listériose, antibiothérapie adaptée des infections cervicovaginales et des voies urinaires. • Dépistage des portages génitaux de SβHB pendant la grossesse. Mais il n’y a pas d’intérêt à traiter le portage génital asymptomatique à SβHB pendant la grossesse avant l’accouchement pour prévenir les infections maternofœtales à SβHB. • Dépistage et traitement systématique du SβHB urinaire pendant la grossesse.
• Antibiothérapie per-partum intraveineuse des femmes fébriles > 38 °C ou porteuses de SβHB : cette attitude diminue le nombre des formes précoces graves d’infection materno-fœtale (septicémies, méningites) mais interfère sur les résultats bactériologiques du nouveau-né. Importance de la protéine C-réactive. Traitement précoce et arrêt secondaire en cas d’infection materno-fœtale non prouvée.
2. Prévention des infections bactériennes néonatales secondaires Elle repose sur le respect strict d’hygiène et d’asepsie : lavage des mains avec des antiseptiques efficaces, isolement des enfants infectés, utilisation de matériel à usage unique, limitation des prothèses de soin. ■
Points Forts à retenir • Fréquentes, potentiellement redoutables, les infections bactériennes néonatales doivent être prévenues par des mesures en règles simples. Le diagnostic repose sur des arguments anamnatiques d’infections d’origine maternofœtale. De nombreux signes cliniques peuvent amener au diagnostic mais les nouveaux-nés infectés sont fréquemment asymptomatiques. L’absence de spécificité des signes cliniques et leur inconstance soulignent l’importance accordée aux signes biologiques.
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Pédiatrie
B 267
Invagination intestinale aiguë du nourrisson Physiopathologie, diagnostic, traitement d’urgence Dr Marc-David LECLAIR, Dr Valérie PLATTNER, Pr Yves HELOURY Service de chirurgie infantile, CHU, hôpital Mère et Enfant, 44093 Nantes cedex 01
Points Forts à comprendre • Pénétration d’un segment de tube digestif dans le segment d’aval. • Invagination iléo-colique. • Strangulation du mésentère, et occlusion par obstruction. • Les invaginations intestinales aiguës du nourrisson sont presque toujours idiopathiques. • Diagnostic clinique : importance de l’interrogatoire. • Hiérarchie des examens complémentaires. • Intérêt diagnostique de l’échographie. • Rôle thérapeutique du lavement.
Physiopathologie
une nécrose de la paroi de l’anse invaginée, avec diffusion de sang dans la lumière du tube digestif.
3. Étiologies Les causes de l’invagination varient en fonction de l’âge. • Invagination intestinale aiguë idiopathique : la très grande majorité des invaginations intestinales aiguës du nourrisson est idiopathique (90 %). Elle serait liée à une hyperplasie des plaques de Peyer (ilôts lymphoïdes de l’iléon terminal), au cours d’une infection, ce qui tend à expliquer l’incidence saisonnière et la tendance épidémique des invaginations intestinales aiguës. • Invagination intestinale aiguë organique : beaucoup plus rarement, l’invagination intestinale aiguë est secondaire à une cause anatomique ou pathologique, et l’on parle alors d’invagination intestinale aiguë organique. Il peut s’agir d’invagination sur diverticule de Meckel, sur duplication kystique du tube digestif, ou sur polype endoluminal, angiome ou fibrome. À l’inverse du nourrisson, les invaginations du grand enfant sont souvent organiques (environ un tiers). Outre les causes citées ci-dessus, il faut redou-
1. Définition L’invagination intestinale aiguë (IIA) se définit comme la pénétration d’un segment intestinal d’amont dans la lumière du segment intestinal d’aval (fig. 1). Elle débute le plus souvent au niveau de l’iléon terminal, qui s’engage dans la lumière du côlon ascendant, réalisant une invagination iléo-colique. Les invaginations iléo-iléales ou colocoliques pures sont beaucoup plus rares. Le boudin d’invagination (masse constituée par les deux anses intestinales invaginées) est pris en charge par le péristaltisme, qui tend à le faire progresser vers l’aval.
1
Invagination iléo-iléale pure. Invagination iléo-colique.
2. Conséquences Les conséquences de l’invagination intestinale aiguë sont doubles : elle entraîne une occlusion par obstruction de la lumière intestinale, et une strangulation du mésentère du segment invaginé, qui fait toute la gravité de la maladie. La compression veineuse et lymphatique qui découle de cette strangulation est responsable d’un œdème qui aggrave l’occlusion, et d’une hypersécrétion muqueuse. La compression artérielle mésentérique entraîne une ischémie puis
ter un lymphome digestif. L’invagination intestinale aiguë peut également survenir au cours d’une mucoviscidose, ou d’un purpura rhumatoïde. • À part, citons les invaginations postopératoires, qui peuvent survenir dans les deux premières semaines après une chirurgie abdominale ou rétropéritonéale. Dans 90 % des cas, elles sont iléo-iléales. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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INVAGINATION INTESTINALE AIGUË DU NOURRISSON
1
« ASP d’invagination iléo-colique. » Notez le peu d’air dans le cæcum, la grisaille de l’hypochondre droit (siège de la tête du boudin d’invagination), et l’air paradoxal dans le côlon d’aval.
2
« ASP d’occlusion aiguë du grêle. » Notez la distension des anses grêles, et l’absence d’air dans le côlon.
4
3
766
Échographie d’invagination intestinale aiguë : aspect en cocarde.
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Invagination intestinale aiguë : aspect en pince de homard au lavement opaque.
Pédiatrie 2. Formes cliniques
Physiopathologie • Occlusion directe par obstruction de la lumière intestinale. • Compression veineuse : – œdème qui aggrave l’occlusion ; – hypersécrétion muqueuse. • Compression artérielle : ischémie, puis nécrose du segment invaginé.
Diagnostic Épidémiologie L’invagination survient chez l’enfant de 3 mois à 3 ans dans 90 % des cas, et à 60 % avant 1 an. Elle touche 80 % de garçons. Son incidence annuelle est évaluée à environ 5 ‰ admissions en chirurgie pédiatrique, incidence qui semble sous influence de facteurs épidémiques et saisonniers.
Diagnostic clinique 1. Présentation clinique habituelle • L’interrogatoire cherche à mettre en évidence la triade classique de l’invagination associant douleurs abdominales, vomissements et rectorragies. • Les douleurs abdominales sont des douleurs paroxystiques, à début souvent très brutal. Elles s’accompagnent classiquement d’accès de pâleur inhabituelle. Elles se manifestent par un refus du biberon, associé à des cris ou des pleurs. Les crises douloureuses sont spontanément résolutives, et en dehors des crises, le nourrisson est strictement normal. • Les vomissements, alimentaires au début, sont fréquents. Initialement, ils sont le reflet végétatif de la souffrance mésentérique. Ensuite, ils deviennent bilieux et traduisent l’occlusion du grêle. • Les rectorragies peuvent être franches et spontanées. Parfois, il s’agira de simples traces muco-sanglantes dans les selles ou sur la couche. • La palpation abdominale recherche le boudin d’invagination, masse constituée par les deux anses intestinales invaginées. Il peut siéger sur tout le cadre colique, avec une prédominance dans la région sous-hépatique et sur le côlon transverse. Le boudin d’invagination est rarement palpé ; il doit être recherché de préférence en dehors des crises douloureuses, lorsque l’enfant est asymptomatique. • Le toucher rectal doit être systématique, à la recherche de sang sur le doigtier en cas de rectorragies non extériorisées. • La fièvre est présente dans 30 % des cas, en rapport avec l’infection virale souvent incriminée. • L’examen clinique recherche enfin des signes de gravité, contre-indiquant le lavement : altération sévère de l’état général, météorisme abdominal avec défense, collapsus ou état de choc, déséquilibres hydro-électrolytiques sévères, ou rectorragies massives. Ces formes graves sont actuellement très rares (moins de 5 % des invaginations intestinales aiguës).
– Invaginations intestinales aiguës du nouveau-né, très rares, qui sont presque toujours organiques. – Piège diagnostique des formes pseudo-convulsives et pseudo-neurologiques : il faut savoir penser à l’invagination devant un enfant adressé pour absences ou convulsions (en particulier sans fièvre). – Formes pouvant simuler une gastro-entérite. – Invaginations intestinales aiguës bien tolérées du grand enfant, évoluant souvent depuis plusieurs jours. – Invaginations intestinales aiguës iléo-iléales, réalisant un tableau clinique d’occlusion précoce du grêle. – Invaginations intestinales aiguës colo-coliques, rarissimes, en rapport avec une insuffisance d’accolements coliques, pouvant se révéler par un prolapsus du boudin d’invagination par l’anus. À noter qu’un boudin prolabé par l’anus peut se voir également dans les invaginations intestinales aiguës iléo-coliques classiques. Le diagnostic d’invagination intestinale aiguë doit être suspecté, et donc éliminé, chez tout enfant de 3 mois à 3 ans présentant des douleurs abdominales et (ou) des vomissements.
Examens complémentaires 1. Abdomen sans préparation (ASP) Il doit être systématique. Réalisé de face, en décubitus dorsal et en orthostatisme, il recherche (document O1 et 02) : – une opacité ovalaire, image directe du boudin d’invagination, parfois cerclée par de l’air, et siégeant le plus souvent dans la région sus-hépatique ou sur le côlon transverse ; – une fosse iliaque droite vide, avec disparition du granité cæcal ; – la présence d’air « paradoxal » dans le côlon d’aval. Des niveaux hydro-aériques peuvent être présents, témoins d’une occlusion du grêle parfois sévère : ils prédisent un risque plus élevé d’échec du lavement. Il recherche également des complications, telles qu’un pneumopéritoine, des signes radiologiques d’épanchement intrapéritonéal, ou des anses intestinales préperforatives. L’abdomen sans préparation peut être normal, ce qui n’élimine pas le diagnostic d’invagination.
2. Échographie • Indications : c’est actuellement l’examen clé. Pour une majorité d’équipes, elle doit être systématique. Pour d’autres, elle n’est à réaliser qu’en cas de doute diagnostique, faisant hésiter à réaliser d’emblée un lavement. Elle est en tous cas indispensable lorsque l’état clinique de l’en-
Signes radiologiques évocateurs à l’abdomen sans préparation • Opacité ovalaire ± cerclée d’air, dans l’hypochondre droit. • Fosse iliaque droite vide : disparitin du granité cæcal, absence d’air. • Présence d’air paradoxal dans le côlon d’aval. • Niveaux hydro-aériques, témoins d’une occlusion du grêle.
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INVAGINATION INTESTINALE AIGUË DU NOURRISSON
Suspicion clinique d’invagination Abdomen sans préparation + échographie
Invagination intestinale aiguë certaine ou très probable
Doute diagnostique Surveillance clinique quelques heures
Signes de gravité clinique contre-indication formelle au lavement
CHIRURGIE
LAVEMENT
Échec
Succès
Surveillance clinique 24 - 48 heures
fant laisse suspecter une nécrose digestive ou une perforation. Elle doit être réalisée par un échographiste habitué à cette pathologie. Insistons en particulier sur l’efficacité du couple abdomen sans préparation-échographie : l’écho permet d’atteindre une sensibilité excellente (98,5 %) et une spécificité parfaite (100 %) si elle est confrontée aux renseignements fournis par l’abdomen sans préparation et pratiquée par un opérateur entraîné. • Résultats : l’échographie cherche à mettre en évidence l’image directe du boudin d’invagination (document 03), réalisant un aspect en cocarde (ou en « œil-de-bœuf »). Il s’agit d’une image arrondie ou ovalaire, composée d’une zone centrale échogène entourée d’un halo hypo-échogène correspondant à un œdème du cylindre digestif invaginant. L’échographie recherche par ailleurs des signes de souffrance de la paroi digestive.
tion de Hartmann), voire avec de l’air ou de l’oxygène pur insufflé : le lavement est alors exclusivement thérapeutique et l’efficacité de la réduction est suivie sous contrôle échographique. Le lavement baryté (LB) est effectué à l’aide d’une simple canule intrarectale, non occlusive. L’opacification est alors réalisée sous pression hydrostatique, c’est-à-dire sous une pression directement proportionnelle à la hauteur du bocal contenant la baryte. • Résultats : la progression du lavement est suivie sous scopie. On observe l’opacification progressive du cadre colique, jusqu’à l’image typique d’arrêt du produit de contraste en cocarde ou en « pince de homard » (document 04), là où le produit de contraste bute sur la tête du boudin d’invagination. Le maintien de la pression hydrostatique permet alors de repousser le boudin d’invagination vers l’amont, jusque dans le cæcum puis dans le grêle, jusqu’à la désinvagination complète. Ce passage de la valvule iléocæcale est le moment le plus délicat de la réduction. En cas d’échec, il est possible de répéter le lavement, après évacuation complète du contenu colique.
Étiologies des invaginations intestinales aiguës organiques quel que soit l’âge • Diverticule de Meckel. • Duplication kystique du tube digestif. • Polype, angiome, fibrome endoluminaux. • Lymphome. • Purpura rhumatoïde. • Mucoviscidose.
Traitement d’urgence
3. Lavement Le lavement opaque était avant l’avènement de l’échographie l’examen clé de l’invagination intestinale aiguë où il détenait à la fois un rôle diagnostique et thérapeutique. Actuellement, il ne devrait plus être utilisé qu’à but exclusivement thérapeutique. • Contre-indication : la contre-indication est formelle en cas de suspicion clinique, radiographique ou échographique de nécrose digestive, ce qui est rare. En cas de perforation digestive, une fuite de baryte dans la cavité péritonéale serait catastrophique. • Technique : le lavement doit toujours être réalisé en présence du chirurgien, sur un enfant réchauffé, perfusé, porteur d’une sonde d’aspiration digestive, et sous prémédication (benzodiazépine per os ou intrarectale). Quand il est réalisé avec un produit radio-opaque, il est toujours réalisé avec de la baryte, car un produit iodé hydrosoluble est moins efficace, et est souvent hyperosmolaire, ce qui accentue les troubles hydro-électrolytiques du nourrisson par un appel d’eau massif dans la lumière digestive. Certaines équipes, de plus en plus nombreuses, réalisent un lavement avec de l’eau ou une solution isotonique au plasma (solu768
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1. Le lavement • Lavement baryté : les critères radiologiques affirmant la réduction de l’invagination par le lavement sont stricts : – retour du cæcum en place dans la fosse iliaque droite ; – parois cæcales régulières après réduction, absence de lacune, ou d’encoche pariétale ; – opacification massive de l’iléon distal ; – absence formelle de réinvagination sur les clichés post vacuation. • Autres lavements : réalisés le plus souvent à l’eau, mais aussi on l’a vu au gaz, leur progression est suivie sous contrôle échographique. Ils reposent sur les mêmes principes que le lavement baryté, c’est-à-dire le refoulement de la tête du boudin d’invagination sous une pression hydrostatique constante et contrôlée. Ils présentent sur le lavement baryté l’avantage d’être non irradiants. Avec un lavement bien conduit, la réduction est obtenue dans près de 90 % des cas. L’échec du lavement impose l’intervention chirurgicale en urgence ; c’est en général le signe d’une invagination intestinale aiguë d’étiologie organique.
Pédiatrie 2. Intervention chirurgicale Il existe deux indications formelles : l’échec du lavement, ou l’existence d’une contre-indication. D’autres indications sont plus relatives, telles que les formes iléo-iléales, supposées inaccessibles au lavement. Certaines équipes, enfin, proposent une laparotomie exploratrice systématiquement (après réduction par le lavement) en cas de récidives multiples, ou d’invagination intestinale aiguë du nouveau-né, du fait de la haute probabilité d’une cause organique. • Technique : intervention sous anesthésie générale, en urgence, par une voie d’abord élective. On utilise une incision horizontale du flanc, déterminée par la position du boudin d’invagination au lavement. On procède à une désinvagination manuelle très douce, au traitement de la cause si elle existe, et au traitement d’une éventuelle complication (par exemple résection digestive a minima d’un segment nécrosé). On termine le geste par une appendicectomie systématique.
3. Après la réduction • Quelle que soit la méthode de réduction employée, une courte hospitalisation est nécessaire. Une surveillance clinique pendant 24 à 48 heures, en milieu chirurgical, permet de s’assurer ainsi de la réalimentation du nourrisson, et de la reprise du transit. • La récidive est toujours possible : elle est cependant plus fréquente après réduction par le lavement (10 à 15 %) qu’après chirurgie (5 %). Lors de la sortie, il est donc indispensable de prévenir les parents de ce risque de récidive. ■
Points Forts à retenir • Urgence médico-chirurgicale. • Garçon, de 3 mois à 3 ans. • Triade clinique : douleur paroxystique avec accès de pâleur – vomissements – rectorragies. • Un abdomen sans préparation normal n’élimine pas le diagnostic. • Rôle du couple abdomen sans préparationéchographie. • Le succès du lavement est obtenu dans près de 90 % des cas. • Le succès du lavement n’est affirmé que sur des critères de réduction stricts. • Une forme grave contre-indique formellement le lavement. • L’échec du lavement signe – presque – toujours l’étiologie organique. • Risque de récidive, quelle que soit la méthode de réduction.
POUR EN SAVOIR PLUS Helardot PG. Invaginations intestinales aiguës. Chirurgie digestive de l’enfant. Paris : Doin, éditeurs, 1990.
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Pédiatrie B273
Mucoviscidose Génétique, diagnostic, évolution, principes du traitement DR Jacques BROUARD, DR Georges TRAVERT, PR Jean-François DUHAMEL Service de pédiatrie A et laboratoire de biophysique médicale, CHU de Caen, 14033 Caen cedex.
Points Forts à comprendre • La mucoviscidose, ou fibrose kystique du pancréas (cystic fibrosis) est la plus fréquente des maladies autosomiques graves des populations d’origine européenne (incidence en France environ 1/3 000 naissances). • La maladie, qui touche différents organes, est liée à un dysfonctionnement des transferts transépithéliaux de chlorure. • La prise en charge médicale doit être précoce, spécialisée, constante. La prévention des carences nutritionnelles reste le facteur déterminant de l’évolutivité de la maladie. • L’atteinte de l’épithélium bronchique est responsable de la majeure partie de la morbidité et de la mortalité liées à la maladie. • La surinfection bronchopulmonaire représente le problème majeur, elle est pratiquement constante, caractérisée par des exacerbations aiguës intercurrentes, dominée initialement par le Staphylococcus aureus puis le Pseudomonas aeruginosa. Ce dernier constitue un tournant évolutif de la maladie.
Les progrès du traitement de la mucoviscidose durant les 2 dernières décennies ont permis une amélioration des conditions de vie des patients dont la majorité atteindront aujourd’hui l’âge adulte. Le passage d’une structure de soins pour enfant à une structure pour adulte constitue une étape importante pour le patient.
Génétique Le gène impliqué a pu être localisé sur le bras long du chromosome 7 (7q31) en 1985, et cloné en 1989 par une démarche de génétique inverse. Ce gène de 250 kilobases est transcrit en un ARN messager composé de 27 exons qui codent une chaîne de 1480 acides aminés constituant une protéine dénommée CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator) (voir : pour approfondir 1). L’apparition de manifestations patholo-
giques à l’échelle d’un organe dépend de la capacité des cellules de cet organe à compenser l’anomalie de la protéine CFTR, notamment par l’existence d’autres mécanismes de transport du chlore. À ce jour, plusieurs centaines de mutations ont été décrites chez les sujets atteints de mucoviscidose. Cependant, seule une douzaine sont observées avec une fréquence supérieure à 1%. La plus fréquente est la ∆F508 qui correspond à la délétion de la phénylalanine en position 508 sur la protéine. Sa fréquence est d’environ 75 % en Europe occidentale avec un gradient nord-sud (90 % dans les pays scandinaves, 40 % dans le pourtour de la Méditerranée) (voir : pour approfondir 2).
Diagnostic Le diagnostic positif de la maladie, bien qu’étayé par l’anamnèse (arbre généalogique, retard d’élimination du méconium) et par l’étude de la sémiologie clinique et radiologique, doit être confirmé en raison de son polymorphisme par des arguments biologiques et maintenant génétiques.
1. Diagnostic postnatal La confirmation repose sur le dosage des électrolytes dans la sueur (test de la sueur) où un taux de chlore supérieur à 60 mmol/L chez l’enfant et à 70 chez l’adulte est quasiment pathognomonique de la mucoviscidose, alors qu’un chiffre inférieur à 50 l’élimine pratiquement. En raison des conséquences très lourdes d’un diagnostic erroné, il faut souligner les difficultés représentées par des taux intermédiaires ou discordants, la répétition du test de la sueur s’impose (au moins 2), réalisé par un laboratoire spécialisé, associé à une technique rigoureuse et validée (échantillon d’au moins 100 mg recueillis par iontophorèse à la pilocarpine = méthode de Gibson et Cooke). Ces conditions étant réunies, ce test est sensible dès l’âge de 1 mois, il n’existe aucune relation entre le degré de l’anomalie sudorale et la gravité de la maladie ; ce test ne permet pas de dépister les hétérozygotes. • L’analyse génétique par la recherche des 2 mutations doit être réalisée devant toute suspicion de mucoviscidose. • La mesure de la différence de potentiel transépithélial à la surface de l’épithélium respiratoire objective des valeurs plus élevées chez les sujets atteints de mucoviscidose, traduisant la perte de la conductance de l’épithélium pour les ions chlore. Sa réalisation est parfois préLA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1999, 49
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conisée en cas de doute diagnostique (test de la sueur non contributif, une seule mutation génétique identifiée).
2. Diagnostic postnatal par le dépistage néonatal • Le dosage de la trypsine immunoréactive en période néonatale, prélevée selon une technique identique à celle utilisée pour le diagnostic néonatal de la phénylcétonurie et de l’hypothyroïdie (sang du talon obtenu par micropuncture, recueilli sur papier filtre) est la base de la majorité des programmes de dépistage néonatal systématiques (hypertrypsinémie persistante). Plus qu’un gain en sensibilité, déjà excellente (> 98 %), la mise au point des techniques d’amplification génique (PCR) pour la recherche directe des mutations les plus fréquentes (variables selon les régions), réalisée en cas d’une hypertrypsinémie néonatale, a permis de largement diminuer les reconvocations inutiles (faux-positifs = 0,07 %). • Ce dépistage néonatal ne reconnaît la maladie qu’en cas d’homozygotie ∆F508, ou de double hétérozygotie, sinon la réalisation d’un test de la sueur est obligatoire.
3. Diagnostic anténatal • Les couples ayant déjà un enfant atteint peuvent bénéficier des possibilités de diagnostic anténatal par l’étude des produits issus de la biopsie du trophoblaste en biologie moléculaire (10e semaine). Le diagnostic génotypique indirect s’appuie sur des résultats d’une analyse de liaison génétique effectuée à l’aide de marqueurs ADN du gène CFTR (déséquilibre de liaison). Le diagnostic génotypique direct est aisément réalisé lorsque l’on connaît la nature des mutations transmises par les 2 parents. • Le dépistage d’une hétérozygotie éventuelle chez des futurs parents est possible si une mucoviscidose a été diagnostiquée chez des collatéraux.
Évolution Les manifestations cliniques sont polymorphes et évolutives, il faut souligner l’intrication des pathologies pulmonaires et digestives ainsi que leurs conséquences nutritionnelles. En l’absence de dépistage néonatal, le diagnostic s’effectue 2 fois sur 3 durant les 6 à 12 premiers mois de vie avec une grande variabilité des symptômes d’un enfant à l’autre.
1. Manifestations respiratoires Les manifestations bronchopulmonaires conditionnent le pronostic vital et la qualité de la survie. • Sémiologie clinique – Classiquement, le poumon est indemne à la naissance mais les manifestations respiratoires débutent précocement, dès les premiers trimestres de la vie. Ces signes ne sont pas spécifiques, la toux est sèche, quinteuse, voire coqueluchoïde, particulière par son caractère diurne et nocturne, rebelle, insomniante lors des poussées évolutives. La bronchorrhée, contemporaine de l’installation 184
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de la toux, est parfois d’emblée suppurée ; c’est un élément primordial de surveillance, l’intensité augmente avec le temps associant parfois des hémoptysies. Les signes auscultatoires sont variables, une diminution du murmure vésiculaire traduit la composante emphysémateuse précoce et constante, les râles sous-crépitants localisés ou diffus lors des exacerbations sont dus à l’hypersécrétion au niveau des petites bronches. La viscosité excessive du mucus bronchique entraîne la formation de bouchons dans les bronchioles et les bronches. La répétition fréquente et précoce des bronchites aiguës ou de bronchopneumopathies dyspnéisantes constitue un signe d’appel majeur. La déformation thoracique avec distension, cyphose dorsale, l’hippocratisme digital voire la cyanose des extrémités apparaissent de façon plus tardive parallèlement à l’insuffisance respiratoire. Les hémoptysies de faible abondance sont habituelles, mais en fonction des récidives et parfois de leur sévérité, elles posent de réelles difficultés thérapeutiques (décision ou pas d’embolisation en urgence). À ce stade, le pneumothorax est également une complication fréquente. Les manifestations rhino-sinusiennes sont courantes (sinusites), une atteinte très évocatrice de la mucoviscidose est représentée par la polypose nasale, elle est volontiers récidivante. • Sémiologie infectieuse : l’évolution se fait par poussées infectieuses où la fièvre est rarement au premier plan ; elles sont contemporaines d’une aggravation de la symptomatologie fonctionnelle (toux, encombrement, expectoration purulente), d’un amaigrissement, d’une asthénie. Malgré les avancées scientifiques concernant les anomalies moléculaires de l’affection, la compréhension du portage bronchique du S. aureus ou de l’H. influenzae, précédant en règle l’implantation du P. aeruginosa, reste incomplète. Ces 3 germes sont en effet incriminés dans plus de 80% des poussées infectieuses survenant au cours de la mucoviscidose. L’examen cytobactériologique des crachats recueillis au décours d’une séance de kinésithérapie respiratoire est primordial. Le P. aeruginosa est très spécifique de la mucoviscidose, il possède des caractères particuliers (apparition au cours de l’évolution de la capacité de sécréter une enveloppe muqueuse : slime) ; son apparition initialement intermittente devient chronique même avec une sensibilité in vitro vis-à-vis des antibiotiques utilisés. Ce stade marque un tournant évolutif car il est associé à une nette progression des lésions bronchopulmonaires. À un stade plus tardif se développeront des résistances multiples et d’autres bactéries peuvent s’implanter : Stenotrophomonas maltophilia, Acromabacter xylosoxidans, Burkholderia cepacia. Ces germes hautement résistants aux antibiotiques ont été responsables d’épidémie nosocomiale et sont associés à un fâcheux pronostic. Cependant leur expression en est très variable. Les virus à tropisme respiratoire interviennent dans les exacerbations tandis que les infections fungiques, particulièrement à Aspergillus fumigatus, posent de difficiles problèmes diagnostiques et thérapeutiques (différencier
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le simple portage d’une aspergillose bronchopulmonaire allergique). De même, la responsabilité des mycobactéries atypiques dans l’aggravation de la situation respiratoire reste difficile à apprécier. Les investigations biologiques usuelles sont souvent perturbées lors des exacerbations : polynucléose à l’hémogramme, élévation des protéines de l’inflammation, hypergammaglobulinémie. • Sémiologie radiologique : la radiographie thoracique est le plus souvent normale à la naissance puis les anomalies apparaissent. Elles n’ont aucune spécificité en dehors de leur extension constante et de leur association. Initialement, il existe une hyperclarté diffuse avec abaissement des coupoles diaphragmatiques (distension) et une visibilité anormale d’un ou plusieurs territoires bronchiques (bronchite non spécifique). Avec la répétition des épisodes infectieux, les images deviennent de plus en plus complexes, certaines sont transitoires grâce à un traitement adapté (atélectasie segmentaire, alvéolite, pneumothorax…), d’autres sont définitives (bronchectasies, pseudo-kystes, bulles emphysémateuses…).
Les radiographies peuvent être cotées selon différents scores afin de disposer d’un profil évolutif (par exemple le score de Brasfield : tableau I). – La tomodensitométrie thoraco-pulmonaire précise les lésions anatomiques (bronchectasies, bulles emphysémateuses, adénopathies…) particulièrement lorsque la radiographie standard est peu contributive. • Les explorations fonctionnelles respiratoires sont anormales très précocement. Elles retrouvent une distension et un trouble ventilatoire obstructif progressif, prédominant initialement aux bronches distales et dont on testera la réponse aux bronchodilatateurs (réversibilité éventuelle). L’évolution sera marquée par l’association à un syndrome restrictif. L’étude des gaz du sang au repos, à l’effort et durant le sommeil est un bon témoin ponctuel des possibilités fonctionnelles du poumon. L’hypoxie est évaluable par la mesure non sanglante de la saturation en oxygène à l’aide d’un oxymètre transcutané de pouls (mesures ponctuelles ou en continu). Le retentissement cardiaque de l’insuffisance respiratoire est régulièrement évalué par la réalisation d’un électrocardiogramme et d’une échographie cardiaque.
TABLEAU I Score radiologique de Brasfield D (Pediatrics 1974 ; 63 : 24-9)
Anomalie
SCORE
Piégeage de l’air (Surdistension)
Hyperaération pulmonaire – Saillie sternale – Dépression diaphragmatique – Cyphose
0 Absent 1.2.3.4 Sévérité croissante
Opacités linéaires (Bronchiques)
Épaississement des parois, bronchiques : images en rail, opacités circulaires en anneau
0. Absent 1.2.3.4. Sévérité croissante
Opacités modulaires et lésions kystiques Multiples opacités nodulaires (Impactions mucoïdes et bronchectasies) de 0,5 cm ou plus
0. Absent 1.2.3.4. pour l’atteinte de 1,2,3,4 quadrants pulmonaires
Lésions étendues (Surinfection)
Atélectasies lobaire ou segmentaire 0. Absent Foyer alvéolaire segmentaire ou lobaire 3. Opacité segmentaire ou lobaire Foyer pneumonique 5 Atélectasies multiples
Sévérité globale (Impression générale)
Impression de sévérité Fibrose Silhouette cardiomédiastinale
0. Normal 1.2.3.4 Sévérité croissante 5. Cardiomégalie ou pneumothorax
Score inversé = 25-score
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2. Manifestations d’origine digestive Elles sont dominées par l’insuffisance pancréatique externe, les troubles associés aux anomalies des selles et enfin les complications hépatiques ou biliaires. • L’iléus méconial néonatal réalise une occlusion fonctionnelle ; il est la manifestation initiale de la maladie dans 15 à 20 % des cas. Cliniquement, dès les 48 premières heures, il existe des vomissements bilieux, un météorisme abdominal et une absence d’émission du méconium. La radiographie de l’abdomen sans préparation est évocatrice, avec des images en « bulle de savon» dans la fosse iliaque droite, l’iléon en amont est dilaté. La réalisation d’un lavement opaque avec un produit hydrosoluble hyperosmolaire (du type Gastrografine) objective un microcôlon et permet parfois la levée de l’obstacle méconial siégeant habituellement au niveau de l’iléon terminal mais une fois sur 2 une intervention chirurgicale rapide s’impose en raison d’une complication associée (péritonite méconiale, volvulus, atrésie du grêle…). Dans 20 à 30% des cas, l’iléus méconial se complique de troubles de la motricité intestinale. On peut rapprocher de ce tableau les anomalies fréquentes du transit in utéro, décelées lors de e e l’échographie entre la 18 et la 20 semaine de gestation (pouvant, en évoquant la mucoviscidose, amener la réalisation d’une enquête en biologie moléculaire), et chez l’enfant plus grand le syndrome d’obstruction intestinale distale où existe une accumulation stercorale iléale. Ces épisodes de subocclusions intestinales sont favorisés par une insuffisance d’hydratation ou des erreurs diététiques, le traitement en est habituellement médical (lavement par du N-acétylcystéine). Le prolapsus rectal chez le nourrisson doit faire évoquer la mucoviscidose, son caractère récidivant peut amener la réalisation d’injections sclérosantes. • L’insuffisance pancréatique exocrine s’exprime au cours de l’évolution chez plus de 90 % des patients. Le tableau associe une diarrhée chronique avec selles volumineuses, pâteuses et nauséabondes, un appétit conservé initialement contrastant avec l’hypotrophie. L’intensité de ce tableau est très variable, des poussées de pancréatites peuvent survenir. • L’hépatomégalie est rarement un mode de découverte malgré sa fréquence, elle est initialement secondaire à une stéatose, la fibrose focale est parfois présente. Une cirrhose diffuse, avec hypertension portale, ou une lithiase vésiculaire doivent être recherchées systématiquement. • Le reflux gastro-œsophagien est fréquent, il aggrave la symptomatologie digestive et respiratoire. Il faut en rechercher les signes évocateurs (douleurs épigastriques, pyrosis), effectuer les investigations diagnostiques et traiter avant la survenue de complications évolutives. • D’autres complications intestinales sont à mentionner : invagination intestinale aiguë, mucocèle appendiculaire à différencier d’une authentique appendicite, quelques observations de cancer digestif justifient la surveillance étroite des patients les plus âgés (> 25 ans). 186
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• Il existe une stéatorrhée par déficit qualitatif et quantitatif de lipase pancréatique dans 90 % des cas. L’étude de la sécrétion du pancréas exocrine est difficile à réaliser (tubage duodénal après double stimulation par pancréozymine et sécrétine), l’intérêt du dosage de l’élastase fécale est en cours d’évaluation. • Les conséquences biologiques de la maldigestion, de la malabsorption et de l’atteinte hépatique sont multiples : – hypoprotidémie, diminution du RBP (retinol binding protein), de la préalbumine, de la carnitine et de la taurine ; – carences vitaminiques, selles liposolubles (hémostase, ADE) mais également B12, folates et C ; – carences en oligoéléments essentiellement le fer, le zinc, le sélénium et le molybdène ; – carence en acides gras essentiels ; – troubles phosphocalciques, magnésiques, déficit sodé et potassique par des pertes excessives ; – élévation des enzymes hépatiques (cholestase, cytolyse).
3. Autres manifestations ou complications • La perte chloruro-sodique peut être considérablement augmentée en période chaude risquant de conduire à une déshydratation aiguë hyponatrémique. • L’atteinte cardiaque en dehors du cœur pulmonaire chronique, avec décompensation d’apparition tardive de mauvais pronostic, peut être spécifique de la mucoviscidose. C’est le cas de myocardiopathies avec asystolie le plus souvent aiguë ou un trouble du rythme à type de biou trigéminisme. • Certaines atteintes ostéo-articulaires existent : l’ostéoarthropathie hypertrophiante des formes sévères ; les arthrites secondaires à des complexes immuns circulants ou à certaines classes d’antibiotique (fluoroquinolone). • Une insuffisance pancréatique endocrine se développe chez 10 % des adolescents et adultes. Ce diabète se distingue du diabète juvénile habituel, il est directement lié à la destruction du pancréas. Pour le dépistage de cette complication évolutive, le dosage de l’hémoglobine glycosylée et les glycémies post-prandiales semblent avoir une sensibilité suffisante. Ce diabète est le plus souvent insulinodépendant. • Un retard pubertaire est fréquent, en général lié à la malnutrition. La période péripubertaire est un cap évolutif difficile surtout chez la fille. Chez le garçon, il existe dans la majorité des cas, une stérilité en raison d’une azoospermie obstructive.
4. Éléments de surveillance de l’évolution Il existe une grande variabilité dans l’évolution de la maladie tant interindividuelle qu’individuelle. Les éléments de surveillance sont fondés sur la clinique (intensité de la toux, aspect de la bronchorrhée, courbe staturo-pondérale, courbe thermique), la biologie [numération formule sanguine (NFS), immunoglobulines, protéine C-réactive (CRP)…], la bactériologie [examen cytobactériologique des crachats (ECBC) itératifs], la radiologie et la mesure régulière à domicile du débit expiratoire de pointe dont la chute est un témoin
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précoce d’exacerbation. Une à 2 fois par an une exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) est effectuée en dehors des poussées de surinfection [évolution du volume expiratoire maximal/seconde(VEMS)]. La surveillance annuelle hépatique comportera la biologie et l’échographie . L’appréciation du profil évolutif est facilitée par l’utilisation de scores soit globaux tel celui de Shwachman (tableau II), soit spécifiques tel un score radiologique de Brasfield (tableau I) ou un score bactériologique. Il est cependant difficile d’établir un pronostic individuel pourtant nécessaire lorsque l’on envisage un programme de transplantation. Le génotype n’est pas un marqueur fiable d’évolution.
Un score de Shwachman inférieur à 50, une réduction des tests spirométriques de plus de la moitié théorique, une hypoxémie inférieure à 55 mmHg, une infection chronique à pyocyanique multirésistant sont de très fâcheux pronostics à l’échéance d’une année.
Principes de traitement Celui-ci doit être personnalisé, il doit être le plus précoce possible et, au mieux, réalisé par une équipe multidisciplinaire intégrant le versant extra-hospitalier qui est actuellement en grand développement (kinésithérapeute, infirmières de soins à domicile, prestataire de servi-
TABLEAU II Score global de Shwachman et Kulczycki (Am J Dis Child 1958 ; 96 : 6-15) Nombre de points
Activité générale
Examen physique
25
Activité normale Joue Scolarité régulière
Ne tousse pas Fréquence cardiaque et respiratoire normale
Poids et taille O25 e percentile Selles normales
20
Manque d’endurance Fatigue en fin de journée Scolarité satisfaisante
Toux rare Fréquence cardiaque et respiratoire normale au repos Auscultation normale Emphysème minime Pas d’hippocratisme
Poids et taille O15 e percentile < 25e percentile
Se repose au cours de la journée Se fatigue facilement après exercice Assiduité scolaire
Toux occasionnelle parfois au lever le matin Discrète tachypnée Emphysème modéré Râles bronchiques
Poids et taille O3 e percentile Selles habituellement anormales Discrète distension abdominale Amyotrophie
Emphysème modéré Atélectasie en bande Exagération nette de la trame bronchovasculaire
Etude au domicile Dyspnée après une courte marche Repos très fréquent
Toux fréquente et productive Emphysème marqué Râles pulmonaires nombreux Hippocratisme de degré 2 ou 3
Poids et taille < 3e percentile Selles fétides Amyotrophie Distension abdominale nette
Emphysème Atélectasie étendues Bronchectasies débutantes
Orthopnéique Confiné au lit ou au fauteuil
Quintes de toux sévères Malnutrition grave Tachypnée et tachycardie Abdomen large Râles bronchiques et distendu très nombreux Prolapsus rectal Possibilité de défaillance Selles volumineuses cardiaque droite fréquentes, graisseuses Hippocratisme de degré et fétides 3 ou 4
15
10
5
Nutrition,
Selles peu modifiées
Tonus et trophicité musculaire bons
Radiographie Champs pulmonaires normaux
Accentuation discrète de la trame bronchovasculaire Emphysème débutant
Images anormales diffuses Phénomènes obstructifs et infectieux Atélectasies lobaires Bronchectasies
Score de sévérité : excellent 86 à 100 ; bon 71 à 85 ; moyen 56 à 70 ; médiocre 41 à 55 ; grave o 40
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ce, insertion socio-professionnelle…). Actuellement, ce traitement reste encore symptomatique et contraignant, il est débuté dès le diagnostic et sera poursuivi pendant toute la vie du patient. La qualité de l’environnement familial est essentielle, particulièrement pour favoriser l’observance du traitement parfois difficile à obtenir chez l’adolescent. Cette adhésion fluctuante dans le temps imposera à l’équipe médicale de s’adapter constamment.
1. Prise en charge respiratoire Sa priorité reste de retarder l’installation de lésions parenchymateuses invalidantes ; elle comporte des mesures préventives et curatives. • Prévention : une fonction respiratoire optimale est maintenue grâce à un traitement précoce et permanent de l’obstruction bronchique avant tout par une kinésithérapie efficace effectuée par un kinésithérapeute spécialisé, débutée précocement, enseignée à la famille, et dont la fréquence doit être définie en fonction de l’intensité de la symptomatologie. Outre le désencombrement, les résultats recherchés sont une amélioration de l’autonomie, une correction des anomalies posturales. Elle peut être associée à la ventilation dirigée et à une aide instrumentale. Le réentraînement à l’effort constitue un complément indispensable, il doit être individualisé en fonction du seuil ventilatoire, il faut favoriser la pratique régulière d’un sport. Les mesures préventives comportent la vigilance d’un calendrier vaccinal respecté (vaccin antigrippal en particulier), le respect de mesures d’hygiène (plantes intérieures, eau stagnante, contamination inter-humaine…) et l’éviction du tabagisme familial. • Traitement des infections bactériennes respiratoires aiguës : son but est de casser le cycle : infection, anorexie, malnutrition, altération des capacités de défense, diminution de la trophicité musculaire. Il ne faut jamais laisser évoluer une infection notamment de la sphère ORL. Une difficulté réside dans la définition de l’infection, le seul examen reproductible reste l’examen cytobactériologique de l’expectoration avec ses limites liées à l’âge, à la validité et à la fiabilité de l’examen en raison de la contamination possible par les voies aériennes supé-
rieures. Une fois les bactéries isolées, il faut définir le seuil de virulence retenu, imposant l’antibiothérapie (suivant le germe 106 ou 105 UFC/mL, voire moins lors de prélèvement sous endoscopie bronchique). Les études pharmacocinétiques montrent qu’il existe dans la mucoviscidose une diminution de la demi-vie des antibiotiques, une augmentation du volume de distribution et une élévation de la clairance rénale. Cela impose l’augmentation de la posologie ainsi que le contrôle sanguin lors de l’utilisation des aminosides. Cette antibiothérapie doit être bactéricide, il s’agit en règle d’une bithérapie limitant la sélection de germes résistants ; elle doit être adaptée au germe et à l’antibiogramme, administrée soit par voie orale dans la plupart des infections à S. aureus ou à H. influenzae, soit par voie parentérale particulièrement en présence du P. aeruginosa. Ce dernier nécessite le recours à une association synergique d’une bêtalactamine et d’un aminoside (tableau III). Les fluoroquinolones, même si leur autorisation de mise sur le marché est réservée aux patients de plus de 15 ans, sont une alternative, malgré l’émergence rapide de résistances. La durée minimale de traitement est de 2 semaines, malgré cela l’éradication est difficilement obtenue. Une première antibiothérapie intraveineuse mérite d’être réalisée lors d’une hospitalisation conventionnelle afin de surveiller la tolérance et l’efficacité. Cependant, pour préserver la qualité de vie des patients et diminuer l’acquisition éventuelle d’une infection nosocomiale, l’organisation à domicile du traitement doit être encouragée. • Traitement des infections chroniques à P. aeruginosa. – Cette situation correspond à un stade déjà évolué de la maladie. Il n’existe pas de consensus mais 2 attitudes peuvent être adoptées : soit des cures d’antibiotique réalisées de façon systématique (4 à 6 fois par an), soit une antibiothérapie réalisée lors des poussées aiguës en fonction de la situation clinique, bactériologique et radiologique. Ces cures, même en l’absence d’éradication des germes, améliorent l’état clinique, radiologique et fonctionnel respiratoire. – Les difficultés d’abord veineux peuvent justifier l’indication de la pose d’une chambre sous-cutanée implantable (Port à Cath en sous-clavier).
TABLEAU III Choix séquentiel d’une bêtalactamine antipyocyanique Ticarcilline
S
R
R
Ceftazidime
S
S
R
Antibiogramme 1re intention Si gravité ou absence d’efficacité
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Carboxy ou Uréïdopénicilline Ceftazidime
Ceftazidime Imipénème...
Imipénème
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• Autres moyens thérapeutiques : l’infection chronique à S. aureus est très précocement installée, certaines équipes préconisent une chimioprophylaxie antistaphylococcique (flucloxacilline). Cette attitude n’est pas consensuelle notamment en France. L’utilisation d’antibiotique administré par voie d’aérosol (colistine, aminosides) permet l’obtention de concentrations élevées dans les sécrétions bronchiques. Les nébulisateurs devront être performants (granulométrie, rendement…) et nettoyés soigneusement (prolifération fungique, pyocyanique). Cette aérosolthérapie sera effectuée après kinésithérapie et peut se situer lors ou au décours d’une antibiothérapie intraveineuse. Les bronchodilatateurs sont utilisés en fonction des résultats des explorations fonctionnelles respiratoires, les corticoïdes inhalés semblent prouver leur intérêt dans cette pathologie car l’inflammation a un rôle majeur dans la dégradation pulmonaire. Les données actuelles seraient en faveur d’un traitement très précoce. Les propriétés rhéologiques anormales des sécrétions bronchiques (viscosité, filance, hydratation…) sont modifiées par l’utilisation de mucomodificateurs par voie générale (N-acétylcystéine, ambroxol) ou par nébulisation (rhDNase : Pulmozyme). L’efficacité de la rhDNase est confirmée par la plupart des équipes, cependant toutes notent de grandes variations individuelles et préconisent la réalisation d’explorations fonctionnelles respiratoires après 6 mois de traitement afin de juger de l’opportunité de sa poursuite en raison de son coût. L’oxygénothérapie nocturne de longue durée à domicile est indiquée en cas d’hypoxie marquée, une ventilation par masque nasal se discute lors de l’association à une hypercapnie. L’effet favorable sur l’hypertension pulmonaire préviendrait la survenue du cœur pulmonaire chronique. La transplantation pulmonaire est proposée au stade ultime de la maladie, en dehors de la pénurie des greffons. Elle pose le délicat problème des indications même si certaines difficultés techniques sont contrôlées (taille du greffon, rejet, infection…). La complication évolutive majeure est la survenue d’une bronchiolite oblitérante. La probabilité globale de survie, très variable selon les centres de transplantation, ne dépasse pas 50 % à 1 an et 35 % à 3 ans. Chez les enfants de moins de 10 ans, les résultats sont encore inférieurs. Cette thérapeutique exige une excellente adhésion de l’enfant et des parents lors du suivi ainsi que le contrôle rigoureux de l’immunosuppression.
2. Prise en charge nutritionnelle et gastro-entérologique. Son objectif est clair : le maintien de l’état nutritionnel pour assurer un bon développement staturo-pondéral de l’enfant. Les apports alimentaires doivent se situer à 130 voire 150 % des besoins théoriques en raison de l’augmentation des pertes fécales, de l’importance du travail respiratoire, de l’intensité de l’hypercatabolisme secondaire aux infections.
• Chez le nourrisson, de nombreuses équipes préfèrent initialement les substituts à base d’hydrolysat de protéine du lait et dont l’apport en triglycérides à chaînes longues est limité, mais compensé par l’adjonction de triglycérides à chaînes moyennes peu dépendants des sécrétions biliopancréatiques pour l’absorption intestinale. Le statut électrolytique sera régulièrement évalué car un apport complémentaire sodé, surtout en été, et potassique est nécessaire. • L’insuffisance pancréatique exocrine étant au premier plan, l’assistance nutritionnelle repose principalement sur l’utilisation d’extraits pancréatiques gastroprotégés. Ces derniers permettent , grâce à une adaptation au degré de l’insuffisance pancréatique, d’avoir une prise en charge diététique moins contraignante notamment au début de la diversification alimentaire, grâce à l’amélioration du coefficient d’absorption intestinale. Des sténoses coliques ont été décrites lors de l’utilisation de fortes doses quotidiennes, il ne faut pas dépasser chez l’enfant 10 000 unités de lipase/kg/j. • Un apport complémentaire vitaminique (A, E, D, K, B12, biotine, C…) et en oligoéléments peut être justifié en fonction des résultats des contrôles biologiques. • Une supplémentation en taurine a été proposée pour diminuer la lithogénicité de la bile et favoriser l’absorption des triglycérides à chaîne longue. De même, l’action préventive d’un traitement par l’acide ursodésoxycholique (Délursan) face à la survenue de la cirrhose et d’une insuffisance hépatique. • À une phase évoluée de la maladie, une assistance nutritionnelle par alimentation entérale continue nocturne peut être nécessaire, par sonde nasogastrique, si elle est épisodique, ou par gastrostomie.
3. Les nouvelles approches thérapeutiques • Une action pharmacologique dirigée vers les différents canaux ioniques transmembranaires reste une voie de recherche [uridine triphosphate (UTP), amiloride…]. • L’inflammation contribue à la dégradation des patients atteints de mucoviscidose. Outre la corticothérapie dont la place, et surtout le début, restent à définir d’autres perspectives sont en cours d’exploration : correction de l’équilibre protéase-antiprotéase (alpha 1antitrypsine), anti-inflammatoires non stéroïdiens (Ibuprofène). • La thérapie génique est la plus récente des approches thérapeutiques ; les systèmes vecteurs du gène CFTR (adénovirus défectifs, liposomes) ont montré leur efficacité dans des modèles animaux. Chez l’homme, la tolérance clinique et biologique de ces vecteurs administrés par aérosol est admise, cependant, leur efficacité clinique reste en cours d’évaluation.
Conclusion Les possibilités de prise en charge efficace des enfants atteints de mucoviscidose se sont transformées au cours des 20 dernières années, celles-ci sont amplifiées par la LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1999, 49
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MUCOVISCIDOSE
mise en œuvre d’un dépistage néonatal et de la prise de conscience nécessaire d’une collaboration pour le suivi des enfants entre la famille, le médecin traitant, les intervenants au domicile, et les centres de traitement spécialisés. ■
POUR APPROFONDIR 1/ Les modélisations de CFTR Elles suggèrent qu’il s’agit d’une glycoprotéine membranaire composée de différentes régions : 2 domaines transmembranaires, 2 sites de fixation des nucléotides (NBF), un domaine R riche en sites potentiels de phosphorylation par les protéines kinases A et C. Très rapidement, après l’identification du gène de la protéine CFTR , on a pu montrer que la protéine CFTR est un canal chlore de faible conductance mais son fonctionnement n’est pas complètement élucidé. La possibilité que la protéine CFTR exerce plusieurs fonctions moléculaires apparaît très plausible. La protéine CFTR est exprimée principalement dans les cellules épithéliales. Le plus haut niveau d’expression est retrouvé dans les glandes exocrines (glandes salivaires, pancréas, glandes sudoripares…), les canaux épididymaires et l’intestin. Concernant l’appareil respiratoire, l’expression de la protéine CFTR est plus importante dans les cellules épithéliales des glandes trachéo-bronchiques sous muqueuses. Dans les cellules épithéliales où elle est exprimée, la protéine CFTR est principalement retrouvée au niveau de la membrane apicale.
2/ L’hétérogénéité clinique de la mucoviscidose Elle a conduit à rechercher des relations entre le génotype et le phénotype des malades. Certaines mutations rares sont associées à des formes modérées mais pour la majorité des mutations, les résultats sont plus contrastés. L’existence d’une insuffisance pancréatique est corrélée à certaines mutations, par exemple pour les enfants homozygotes ∆F508, mais une mutation donnée est un mauvais indicateur prédictif de l’atteinte respiratoire. Un cas particulier est celui de l’agénésie des canaux déférents qui dans certains cas, est associée à des mutations du gène de la protéine CFTR (R117H). Ces malades n’ont par ailleurs aucune maladie pancréatique ou pulmonaire et les électrolytes de la sueur sont dans les limites de la normale. Plus qu’une forme particulière de mucoviscidose, il s’agit du cadre plus large de maladies apparentées aux anomalies de la protéine CFTR (CFTR related disease).
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Points Forts à retenir … • La précocité de la prise en charge nutritionnelle - a largement contribué à l’amélioration du pronostic, l’inflammation bronchique précède l’infection et une prise de conscience récente de son importance se confirme (dégradation respiratoire et genèse de l’hyperréactivité bronchique). Le traitement de la maladie pulmonaire de la mucoviscidose nécessite une large approche thérapeutique. • Il n’existe pas de corrélation stricte génotypephénotype lorsque l’on s’intéresse à un patient défini. • Le développement des alternatives à l’hospitalisation classique s’étend. • Malgré une progression rapide de la médiane de survie (avant 1940 inférieure à 1 an ; 1960 = 10 ans ; 1980 = 18 ans, prévision 2000 = supérieure à 40 ans), la mucoviscidose reste une maladie grave aboutissant à l’insuffisance respiratoire chronique dont la greffe pulmonaire reste une solution ultime peu satisfaisante, même si les résultats s’améliorent. • Quelles que soient les thérapeutiques envisagées, il n’existe pas de régression des lésions destructrices constituées au niveau du poumon.
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Oreillons Épidémiologie, diagnostic, évolution, prévention DR Philippe VIGNERON Service de pédiatrie, centre hospitalier Bretagne-Sud, 56322 Lorient Cedex.
Points Forts à comprendre • Il s’agit d’une infection virale aiguë de l’enfant, contagieuse, habituellement bénigne, qui se présente souvent sous la forme d’une parotidite bilatérale. • Dans 30 % des cas, la maladie est totalement asymptomatique. Dans 20 % des cas, elle survient chez l’adulte, où elle donne une forme plus prolongée et plus souvent compliquée. • Les localisations extraparotidiennes des oreillons font toute la gravité de la maladie, notamment la méningite, l’encéphalite et l’orchite qui peuvent laisser des séquelles. • Le traitement est préventif. La fréquence des oreillons a beaucoup diminué avec les recommandations concernant la vaccination chez les nourrissons et les jeunes enfants. Le vaccin associé rougeole-oreillons-rubéole (ROR-Vax) a permis d’améliorer la couverture vaccinale contre ce virus.
Épidémiologie Virus Le virus des oreillons est un membre de la famille des paramyxoviridæ. C’est un virus à acide ribonucléique (ARN) monocaténaire, enveloppé, de symétrie hélicoïdale, dont le diamètre moyen est 200 nm. Le génome viral est contenu dans une nucléocapside, elle-même entourée de l’enveloppe virale. Celle-ci est constituée de trois feuillets lipidiques dans lesquels sont enchâssés essentiellement 5 glycoprotéines de structure. Elles ont une activité neuraminidase (protéines HN) ou une activité favorisant la fusion cellulaire (protéines F). Il n’existe qu’un seul sérotype de virus ourlien. Ce paramyxovirus est difficile à isoler. Il est très thermosensible. L’antigène S représente la protéine NP (nucleocapsid-associated protein) et l’antigène V la protéine HN. Ces 2 protéines sont des constituants de l’enveloppe virale.
Réponse immune Le virus des oreillons confère une immunité solide et durable, humorale et cellulaire. L’infection induit la
sécrétion dans le sérum d’IgA, IgM et IgG spécifiques. Les premiers anticorps (IgA, IgM, anticorps anti-protéine HN) apparaissent 5 à 7 j après le début de la phase d’état, disparaissent en quelques semaines et ne sont pas protecteurs. Les IgM spécifiques peuvent persister 2 à 3 mois. Les IgG sont sécrétées dès le 15e j de l’infection, persistent plusieurs années, et sont protectrices. En cas d’atteinte méningée, il se produit une sécrétion intrathécale d’IgM et IgG spécifiques, ainsi que d’interféron γ. Enfin, il existe une activation de lymphocytes T cytotoxiques, responsables d’une mémoire immunologique vis-à-vis du virus.
Pathogénie La contamination s’effectue par les gouttelettes de salive provenant d’un sujet infecté. Après avoir contaminé le rhinopharynx et les ganglions de voisinage, le virus passe dans le sang. Cette virémie est silencieuse et dure 5 à 6 j. La symptomatologie des oreillons est liée aux manifestations cliniques secondaires à la diffusion du virus dans l’organisme, qui surviennent après une incubation silencieuse de 3 semaines (18 à 21 j). Le malade est contagieux (par excrétion du virus dans la salive) 3 à 6 j avant l’apparition des premiers symptômes et jusqu’à 9 j après. L’isolement des malades est inefficace (ceux-ci étant contagieux avant l’apparition de la parotidite). Les organes les plus fréquemment atteints sont les parotides, les méninges et les testicules. La parotidite se caractérise par un œdème interstitiel diffus avec infiltrat de macrophages et lymphocytes et sécrétion d’un exsudat sérofibrineux. La méningite ourlienne est secondaire à la contamination des plexus choroïdes. À partir de cette localisation, le virus colonise les cellules épendymaires tapissant les ventricules. Une atteinte encéphalique est possible. L’envahissement des testicules par le virus se traduit par un œdème interstitiel diffus avec infiltrat de lymphocytes, qui peut détruire l’épithélium germinal.
Épidémiologie clinique La transmission est directe, interhumaine. Il s’agit d’une maladie strictement humaine, l’homme étant le seul réservoir du virus des oreillons. Les épidémies surviennent surtout dans les collectivités (écoles, casernes). L’isolement des malades est inefficace. L’infection se rencontre toute l’année, avec une prédominance à la fin
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de l’hiver et au printemps. Grâce à la généralisation du vaccin associé ROR-Vax en France, l’incidence des oreillons est stable depuis 1987 avec 200 cas/100 000 habitants. L’âge moyen de survenue est de 9 ans et demi. Il n’y a pas de différence quel que soit le sexe. La majorité des cas (58 %) apparaît à l’école du fait de l’âge de survenue. Parallèlement à une meilleure couverture vaccinale, la fréquence des complications immédiates (méningites, orchites) et des séquelles (surdité, stérilité) a diminué pour passer à 1 % depuis 1991. Parmi ces complications, on estime à 3 pour 1 000 la fréquence des méningites ourliennes. En France, la persistance de la circulation du virus impose le maintien et l’augmentation de la couverture vaccinale afin d’éviter la survenue d’épidémies au sein de groupes de population insuffisamment protégés.
Diagnostic différentiel de la parotidite ourlienne 1. Autres parotidites virales Le diagnostic des oreillons est habituellement aisé grâce au seul examen clinique. Cependant, d’autres virus (para-influenza, entérovirus) peuvent aussi se localiser dans la parotide, et induire des parotidites virales. Les autres causes de tuméfaction parotidienne sont les suivantes.
2. Adénopathie intraparotidienne Elle coexiste avec un foyer infectieux ORL, une infection cutanée ou dentaire. Il existe habituellement d’autres adénopathies satellites, l’angle mandibulaire est palpable. La polynucléose est franche.
3. Parotidite bactérienne suppurée
Diagnostic Diagnostic clinique Le diagnostic des oreillons est un diagnostic clinique. Aucun examen complémentaire n’est habituellement nécessaire, sauf en cas de localisation extraparotidienne isolée.
1. Forme clinique classique : la parotidite Après une incubation silencieuse de 18 à 21 j, la phase d’invasion se traduit par une hyperthermie modérée, un malaise général avec céphalées, parfois vomissements et une otalgie unilatérale, se majorant à la déglutition. À ce stade, l’orifice du canal de Sténon peut être rouge et la pression de la parotide douloureuse. L’atteinte des glandes salivaires, et notamment de la parotide, est très fréquente dans les oreillons. Initialement unilatérale, la parotidite devient bilatérale dans 70 % des cas. À la phase d’état, l’enfant présente une déformation piriforme du visage, témoignant d’une tuméfaction parotidienne élastique, tendue, comblant le sillon rétro-auriculaire, soulevant le lobe de l’oreille, et dont la peau en regard est normale, pas inflammatoire. L’angle de la mandibule peut ne pas être palpable. Il s’y associe une fièvre modérée. Une sous-maxillite, plus rarement une atteinte de la glande sublinguale, est possible.
2. Autres formes cliniques Au cours de la phase de virémie, le virus des oreillons peut disséminer dans tout l’organisme. Les organes le plus souvent atteints sont les méninges (méningite) et les testicules (orchite). Le virus peut aussi se localiser à l’encéphale, le pancréas, les articulations, le rein, le cœur… Toutes ces atteintes peuvent être considérées comme des complications des oreillons et sont donc décrites au chapitre « Évolution ». 2178
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Elle est unilatérale. La peau en regard de la parotide est chaude et rouge. L’enfant est habituellement fébrile. L’examen endobuccal peut révéler du pus à l’orifice du canal de Sténon lors de la pression de la glande. Biologiquement, il existe une polynucléose et un syndrome inflammatoire.
4. Lithiase du canal de Sténon Exceptionnelle, la douleur récidivante doit faire évoquer le diagnostic. Le calcul peut être visualisé car souvent radio-opaque.
5. Hémangiome parotidien Il s’agit de la plus fréquente des tumeurs parotidiennes de l’enfant. Elle existe dès la naissance et croît progressivement durant la première année de vie. Ensuite, elle régresse le plus souvent spontanément. Les autres tumeurs de la parotide sont : lymphangiome, tumeur mixte, sarcomes.
6. Adénopathies cervicales Elles doivent être différenciées d’une augmentation de volume de la parotide elle-même. Les ganglions proches de la parotide se situent habituellement en arrière de la branche montante de la mandibule. La palpation de la peau préparotidienne est vide de contenu.
Diagnostic biologique Le diagnostic de certitude repose sur l’isolement du virus et sur la sérologie mettant en évidence une élévation des anticorps spécifiques. Dans la forme classique avec atteinte parotidienne non compliquée, le diagnostic clinique suffit et aucun examen complémentaire n’est nécessaire.
1. Isolement du virus Le virus des oreillons est difficile à isoler. Le prélèvement doit être transporté rapidement et enrichi en gélatine. La multiplication virale en cultures cellulaires est lente. Le virus est isolé par immunofluorescence ou par inhibition
Pédiatrie
de l’hémadsorption. Il est retrouvé dans la salive et l’oropharynx une semaine avant et jusqu’à 9 j après l’apparition des premiers symptômes. Il a aussi été isolé dans les urines et le liquide céphalo-rachidien (LCR) où il est présent pendant une dizaine de jours. Enfin, la polymerase chain reaction (PCR) détectant l’ARN viral peut être utilisée pour mettre en évidence le génome viral dans un prélèvement.
2. Sérologie La méthode de référence est la réaction de fixation du complément pour les anticorps dirigés contre les antigènes S et V (voir chapitre « Épidémiologie, le virus »). Les anticorps anti-S apparaissent 3 à 7 j après le début de la maladie et disparaissent en 6 mois. Les anticorps anti-V s’élèvent 2 à 4 semaines après les premiers symptômes et persistent des années. La technique la plus spécifique et la plus sensible est le dosage des IgM et IgG spécifiques du virus des oreillons par ELISA. Les anticorps neutralisants apparaissent après quelques semaines et persistent indéfiniment. Eux aussi sont spécifiques de l’infection ourlienne.
3. Autres méthodes diagnostiques non spécifiques • La numération formule sanguine peut être normale ou montrer une discrète hyperlymphocytose, parfois une neutropénie. Un purpura thrombopénique peut survenir au décours des oreillons. • L’élévation de l’amylasémie et de l’amylasurie est constante en cas de parotidite, et plus franche en cas de pancréatite associée. L’étude des iso-enzymes de l’amylase permet de préciser l’origine pancréatique de celle-ci. • Une cytolyse hépatique, uniquement biologique, est possible.
Évolution Les complications sont soit immédiates, soit retardées, à type de séquelles. Les complications immédiates les plus fréquentes sont la méningite et l’orchite. Les séquelles sont dominées par la stérilité et la surdité. Grâce aux campagnes de vaccinations, les complications ne se rencontrent plus que dans 1 % des cas d’oreillons.
Parotidite isolée L’évolution de la forme classique avec atteinte parotidienne isolée est en règle simple, avec régression progressive et guérison spontanée et définitive en 4 à 10 j.
Complications immédiates 1. Méningite Il s’agit de la localisation extrasalivaire la plus fréquente. Elle représente environ 8 % des méningites virales de l’enfant. Elle complique 3 cas d’oreillons pour 1 000. Le
pic de survenue est 5 ans. Il existe une prédominance masculine (3 hommes pour 1 femme). Elle survient en moyenne 2 jours après la parotidite. Mais, dans 50 % des méningites ourliennes, il n’y a pas de parotidite. Il s’agit d’une méningite habituellement bien supportée. Des céphalées, une fièvre, un état léthargique, des vomissements sont possibles. Le liquide céphalo-rachidien est clair avec une pléiocytose (< 1 000/mm3) à prédominance de lymphocytes (parfois panaché ou à prédominance de polynucléaires neutrophiles au début de la maladie), avec une glycorachie normale et une protéinorachie normale ou peu augmentée. Les IgM spécifiques puis les IgG sont augmentées dans le liquide céphalo-rachidien. L’isolement du virus y est difficile. L’évolution spontanée est rapidement favorable sans séquelles, mais les signes cliniques de début sont d’autant plus intenses que l’âge de survenue de la maladie est tardif.
2. Encéphalite Elle est beaucoup plus rare que la méningite. Il s’agit plus souvent d’une encéphalite post-infectieuse (par réaction immune au virus) que d’une encéphalite primitive (où le virus se réplique dans les cellules cérébrales). Cette deuxième forme est beaucoup plus sévère et induit de graves séquelles. En moyenne, elle survient 7 à 9 j après l’apparition de la parotidite. L’encéphalite postinfectieuse se manifeste par une fièvre souvent modérée, avec céphalées, vomissements et troubles de la conscience. Dans 20 % des cas, il s’y associe des convulsions. Une ataxie d’origine cérébelleuse n’est pas rare. D’autres manifestations sont possibles : vertiges, troubles psychiatriques. L’évolution est habituellement favorable. L’étude du liquide céphalo-rachidien montre les mêmes anomalies que lors d’une méningite. L’électroencéphalogramme (EEG) objective un tracé lent d’encéphalite, sans signe spécifique.
3. Autres anomalies neurologiques Une myélite aiguë transverse, un syndrome de Guillain et Barré (0,1 p. 1 000), une labyrinthite (0,1 p. 1 000) peuvent survenir au décours des oreillons.
4. Orchite Il s’agit habituellement d’une orchi-épididymite. Le virus envahit directement le testicule. Le risque est surtout important chez les jeunes adultes de 15 à 29 ans. Elle est rare avant la puberté. Elle se rencontre dans 2 cas d’oreillons pour 1 000 après 12 ans mais chez 20 à 30 % des garçons atteints d’oreillons après leur puberté. L’atteinte est unilatérale dans 75 % des cas. Les symptômes apparaissent 4 à 8 j après la parotidite, à type d’augmentation du volume testiculaire très douloureuse avec fièvre, malaise, vomissements, douleurs hypogastriques. L’épididyme est souvent palpé comme un gros cordon sensible. Les signes persistent 3 à 7 j. La douleur peut être plus prolongée. L’orchite nécessite une immobilisation des bourses associée à des antalgiques forts. Un traitement corticoïde est parfois proposé sans que son efficacité n’ait jamais été prouvée. Il s’agit de la
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prednisone en cures courtes (10 j maximum) à la dose de 1 mg/kg/j. Ce traitement semble soulager la douleur sans prévenir l’atrophie.
5. Pancréatite aiguë Elle serait présente dans 0,4 p. 1 000 cas d’oreillons. Devant toute pancréatite aiguë infectieuse de l’enfant, il faut rechercher les oreillons. Elle se manifeste par des douleurs abdominales survenant entre le 4e et le 10e j de la maladie, avec un abdomen sensible à la palpation et parfois une diarrhée et des vomissements. L’évolution est en règle bénigne en quelques jours. Quelques cas de pancréatites hémorragiques sévères ont cependant été rapportés. L’augmentation de l’amylasémie apporte peu au diagnostic, puisqu’une hyperamylasémie est fréquente au cours des oreillons du fait de l’atteinte des glandes salivaires. L’étude des iso-enzymes spécifiquement pancréatiques n’est pas réalisée en pratique courante.
6. Arthrites Leur fréquence varie de 0,2 p. 1 000 à 0,4 % des cas d’oreillons. Elles seraient plus fréquentes chez les jeunes adultes (moyenne d’âge : 24 ans) de sexe masculin. Il peut s’agir de polyarthralgies, de mono-arthralgies, voire de polyarthrites migratrices avec des signes inflammatoires en regard des genoux surtout, mais parfois des coudes, poignets, chevilles, épaules. Elles apparaissent en l’absence de parotidite ou 1 à 3 semaines après celle-ci ; 78 % des patients ayant une atteinte articulaire présentent aussi une atteinte viscérale extraparotidienne (orchite, pancréatite…). La guérison sans séquelle est habituelle, dans un délai variable de quelques jours à 1 à 6 mois.
7. Atteinte rénale Durant les 2 premières semaines de la maladie, le virus est retrouvé dans les urines et des anomalies rénales sont possibles. Ce sont le plus souvent des anomalies transitoires telles qu’une diminution de la clairance de la créatinine, une hématurie, une protéinurie. Quelques cas de glomérulonéphrites ont été rapportés, sans que la preuve de la responsabilité directe du virus n’ait été faite.
8. Atteinte cardiaque Le virus des oreillons peut se multiplier dans les cellules myocardiques, ce qui entraîne des lésions de myocardite avec de fréquentes anomalies à l’électrocardiogramme (ECG) (4 à 15 % des oreillons) : allongement de l’espace PR, anomalie de repolarisation, négativité de l’onde T, bloc de branche droit, extrasystoles ventriculaires. L’atteinte péricardique est rare. Ces anomalies régressent sans séquelle en 2 à 4 semaines.
9. Autres atteintes Des thyroïdites, des mastites, des dacryocystites, des kératites, des purpuras thrombopéniques ont aussi été décrits au cours d’infections à paramyxovirus. 2180
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Séquelles 1. Encéphalite Les séquelles sont plus fréquentes en cas d’encéphalite primitive que lors d’encéphalite postinfectieuse. Il s’agit d’une surdité, de troubles du comportement, d’hydrocéphalie par sténose de l’aqueduc de Sylvius, d’ataxie chronique, de déficits moteurs.
2. Orchite Le risque de séquelles est important puisque 50 % des malades atteints d’orchite développent une atrophie testiculaire et 50 % guérissent sans séquelle. La stérilité n’est pas constante, même dans les formes avec atrophie bilatérale, mais une diminution du nombre et de la mobilité des spermatozoïdes est possible.
3. Surdité La surdité vraie est rare (0,1 p. 1 000) mais les surdités transitoires s’observent dans 4 % des cas.
Oreillons et grossesse L’incidence des embryofœtopathies n’est pas accrue chez les femmes séronégatives qui contractent les oreillons au cours de leur grossesse. Quelques cas de fibro-élastoses endocardiques ont été signalés lorsque l’infection ourlienne survient chez la mère pendant le 1er semestre de la grossesse. Les mêmes lésions histologiques sont retrouvées chez l’animal auquel on inocule le virus en début de gestation. Cette anomalie endocardique n’est cependant pas spécifique du virus ourlien et semble plutôt correspondre à un mode de réaction non spécifique du cœur à une agression durant la vie fœtale. De rares cas de microcéphalies, d’avortements spontanés, de parotidites et pneumonies périnatales ont aussi été publiés.
Prévention Il n’existe pas de traitement spécifique curatif du virus des oreillons. Le traitement est symptomatique, reposant sur les antipyrétiques et les antalgiques. La prise en charge thérapeutique est donc essentiellement préventive et repose sur la vaccination.
Vaccin L’utilisation à grande échelle du vaccin contre le virus des oreillons a été justifiée par la grande fréquence de cette infection et des complications qui lui sont associées, et par le caractère plus aigu et plus souvent compliqué de cette maladie chez l’adolescent et chez l’adulte. L’association aux vaccins rougeoleux et rubéoleux a permis d’optimiser la protection contre ce virus. Il s’agit d’un vaccin à virus vivants atténués. Le virus vaccinal n’est pas transmissible.
Pédiatrie
Souches vaccinales Il existe 2 vaccins vivants atténués dans le monde : la souche Jeryl Lynn et la souche Urabe. La souche Jeryl Lynn est utilisée en France depuis 1994 et est associée aux vaccins rubéoleux et rougeoleux (ROR-Vax, Institut Mérieux MSD). Le virus est atténué par passages sur œufs embryonnés puis cultures cellulaires de fibroblastes d’embryons de poulets. Il contient 5 000 unités infectantes par dose. Il doit être conservé entre + 2 et + 8 ˚C. Réhydraté juste avant utilisation, il s’injecte par voie sous-cutanée ou intramusculaire. Le taux de séroconversion après vaccination est proche de 98 %. La durée de l’immunité après une injection est d’au moins 15 ans.
La 1re dose est recommandée entre 12 et 15 mois et la seconde entre 3 et 6 ans. Cette dernière ne constitue pas un rappel mais un rattrapage pour tous les enfants n’ayant pas séroconverti à l’un des 3 antigènes lors de la 1re injection. L’entrée à l’école primaire est la bonne occasion pour réaliser cette injection, associée au rappel diphtérie-tétanos-polio. À 11-13 ans, une injection du vaccin ROR-Vax est recommandée pour tous les enfants n’ayant jamais été vaccinés, quels que soient leurs antécédents vis-à-vis des 3 maladies. Pour les enfants vaccinés avant l’âge de 12 mois, une 2e injection est nécessaire 6 mois plus tard. En cas de contage chez un sujet non immunisé, une vaccinoprophylaxie est possible dans les 48 h qui suivent le contage. ■
Effets indésirables Une parotidite fugace, indolore, unilatérale, survenant entre le 10e et le 20e j après le vaccin n’est pas rare. Des méningites postvaccinales ont été rapportées, à raison de 1 pour 1 million d’injections, surtout avec la souche Urabe. Elles apparaissent entre 15 et 21 j après l’injection, sont réversibles en 5 j, et guérissent sans séquelle. Des fièvres modérées, des érythèmes locaux sont rares.
Contre-indications du vaccin Elles sont communes à tous les vaccins à virus vivants atténués : – déficits immunitaires congénitaux ou acquis (y compris le virus de l’immunodéficience humaine [VIH]) ; – grossesse (l’interruption de grossesse n’est cependant pas justifiée en cas d’injection accidentelle chez une femme enceinte) ; – allergie aux protéines de l’œuf ; – allergie à la néomycine.
Recommandations Le calendrier vaccinal 1998 a introduit les nouvelles recommandations concernant les vaccinations ROR, coqueluche et hépatite A. Tous les enfants âgés de 1 à 6 ans devraient recevoir 2 doses du vaccin ROR.
Points Forts à retenir • Infection à paramyxovirus, les oreillons sont une maladie contagieuse immunisante, le plus souvent bénigne. • La transmission est interhumaine stricte. Le malade est contagieux 6 j avant et jusqu’à 9 j après l’apparition des signes cliniques. • La parotidite uni- ou bilatérale est la forme clinique la plus fréquente. Les localisations extraparotidiennes font toute la gravité de la maladie. Les plus fréquentes sont la méningite et l’orchite. Les formes asymptomatiques ne sont pas rares (30 %). • Le diagnostic est clinique. Aucun examen complémentaire n’est justifié en cas de parotidite isolée. • Il n’existe pas de traitement curatif. La prophylaxie repose sur la vaccination : 1 injection sous-cutanée ou intramusculaire du vaccin associé à des virus vivants atténués (rougeole-oreillons-rubéole) entre 12 et 15 mois et une 2e injection de rattrapage à 6 ans. La protection est de 97 %. Les contre-indications sont : immunodépression, grossesse, allergie à l’œuf, allergie à la néomycine.
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Prématurité et hypotrophie à la naissance Épidémiologie, causes et prévention PR Olivier CLARIS Service de pathologie et de réanimation néonatale, hôpital Édouard-Herriot 69437 Lyon Cedex 03.
Points Forts à comprendre • Toute naissance survenant avant 37 semaines d’aménorrhée révolues est une naissance prématurée. La grande prématurité concerne les grossesses se terminant avant 32 semaines. • Les termes d’hypotrophie, de retard de croissance intra-utérin et de restriction de croissance fœtale correspondent à des concepts physiopathologiques caractérisés par un défaut de croissance fœtale et donc un poids de naissance inférieur à la normale attendue pour l’âge gestationnel. • L’établissement de courbes de croissance de référence repose sur un âge gestationnel précis, et sur une population bien définie et de taille suffisante. • La prévention de la prématurité et de l’hypotrophie implique une organisation régionale préalable des soins périnatals.
Définition La prématurité est définie comme une naissance vivante avant le dernier jour de la 37e semaine. L’âge gestationnel est déterminé à partir du premier jour des dernières règles. On distingue la prématurité spontanée inéluctable de la prématurité provoquée, ou médicalement consentie, l’accouchement étant alors déclenché et réalisé (soit par voie basse, soit par césarienne) lorsque la poursuite de la grossesse est menaçante pour la santé de la mère ou lorsqu’il est estimé que le risque pour l’enfant né avant terme est moins grand que s’il reste in utero. Le petit poids de naissance est défini par un poids inférieur à 2 500 g, le très petit poids par une valeur inférieure à 1 500 g et le poids extrêmement petit par une valeur inférieure à 1 000 g.
Hypotrophie fœtale (small for gestational age) Elle correspond à une insuffisance de nutrition des tissus et se caractérise par un poids inférieur à une limite donnée pour l’âge gestationnel.
Retard de croissance intra-utérin (intra-uterine growth retardation) Il correspond à un ralentissement de la croissance et sa définition est, à défaut, la même que celle de l’hypotrophie. On définit le retard de croissance harmonieux qui atteint de façon identique la taille, le poids, éventuellement le périmètre crânien et le retard dysharmonieux avec atteinte prédominante ou exclusive du poids.
Restriction de croissance fœtale (fetal growth restriction) Elle correspond à une restriction du développement par rapport à un potentiel de croissance et se définit donc par un poids inférieur à une limite, tenant compte du potentiel de croissance. Ainsi un modèle statistique de régression linéaire multiple réalisé à partir de plus de 100 000 naissances a permis d’isoler 5 variables influençant le poids de naissance : le sexe, l’âge gestationnel, le rang de naissance, la taille et le poids habituel de la mère. Les « valeurs limites de normalité » sont établies à partir de courbes de croissance de référence. De telles courbes impliquent une détermination précise de l’âge gestationnel, idéalement obtenue en combinant la date du premier jour des dernières règles et une échographie précoce avant 12 semaines. Le choix de la population de référence reste débattu. Faut-il inclure les mort-nés, les nouveau-nés malformés, les grossesses multiples ? En effet, toute élimination dans la population étudiée conduit à s’abstenir d’utiliser une telle norme à titre diagnostique pour un enfant présentant tel facteur d’exclusion de la population de référence.
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PRÉMATURITÉ ET HYPOTROPHIE À LA NAISSANCE
Épidémiologie
TABLEAU II Causes de prématurité
Prématurité Le taux de prématurité varie d’un pays à l’autre et, au sein d’un même pays, d’une région à l’autre. Ce taux a beaucoup diminué depuis les 20 dernières années (tableau I) et c’est actuellement au Japon qu’il est le plus bas (4 %), alors qu’il est estimé à 4,8 % en France, cette augmentation étant en particulier liée à la prématurité médicalement consentie. Parallèlement, la grande prématurité (naissance avant 32 semaines) a diminué de 1,6 % en 1971 à moins de 1 % actuellement et ce quelles que soient la politique périnatale et l’organisation des soins périnatals.
TABLEAU I
GrandeBretagne
❑ Grossesses multiples ❑ Placenta prævia ❑ Décollement placentaire ❑ Retard de croissance intra-utérin ❑ Hydramnios ❑ Rupture prématurée des membranes ❑ Malformations utérines congénitales ❑ Béance cervico-isthmique Facteurs maternels
Taux de prématurité (%) selon le nombre de naissances vivantes France
Facteurs obstétricaux
Suède
États-Unis
❑ Infections générales : streptocoque B, gram-, Listeria ❑ Infections virales ❑ Infections urinaires
1971 1977 1981 1983 1988 1990 1991
7,9 7,9 5,7 4,8 4,7 4,3 4,1
❑ Infections cervico-vaginales
5,1 6,1 10,8
❑ Pathologies : diabète, iso-immunisation Rhésus, toxémie, antécédents de la prématurité/hypotrophie
Facteurs fœtaux
Hypotrophie Son incidence est fonction du percentile de la courbe de référence, c’est-à-dire 3 % si l’on utilise le 3e percentile, 10 % si l’on utilise le 10e percentile. Si la distribution de la population est gaussienne, alors 95 % des observations se situent dans un intervalle dit de fluctuation autour de la moyenne (± 2 déviations standard). En 1990 en France, 5,3 % des enfants nés vivants avaient un poids de naissance inférieur à 2 500 g avec des variations allant de 4,32 % à 6,9 %. L’hypotrophie est plus fréquente en cas de prématurité, pouvant atteindre un taux de 25 % chez les enfants nés avant 32 semaines.
Causes Prématurité Les causes de la prématurité sont multiples et volontiers intriquées (tableau II). On distingue des facteurs obstétricaux, maternels, fœtaux et socio-économiques. 858
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❑ Malformations chromosomiques ❑ Autres anomalies et malformations congénitales
Facteurs socio-économiques ❑ Primiparité ❑ Multiparité O 4 ❑ Grossesse illégitime ❑ Conditions défavorables de travail et transport ❑ Âge maternel < 18 ans ou > 35 ans ❑ Classe socio-économique défavorisée
Depuis le milieu des années 1980, le nombre de grossesses multiples augmente considérablement en raison de l’essor des techniques de procréation médicalement assistée. Ainsi, entre 1985 et 1990, le taux de grossesses triples est passé de moins de 2 pour 10 000 à un peu plus de 4 pour 10 000. En outre, l’âge de la procréation s’est avancé et, entre 1981 et 1989, le pourcentage de grossesses
Pédiatrie
chez les femmes de plus de 35 ans est passé de 6 à 14 %. Enfin la prématurité médicalement consentie (maladie maternelle, hypotrophie évolutive) représente au moins 30 % des hospitalisations en néonatologie pour prématurité.
TABLEAU III Causes d’hypotrophie Causes intrinsèques
Hypotrophie On distingue des causes intrinsèques et des causes extrinsèques (tableau III). Dans environ 20 % des cas, la cause reste méconnue. On estime que la contribution génétique du poids de naissance est d’environ 40 % alors que les facteurs d’environnement y participent pour 60 %. La croissance fœtale est bien plus influencée par le poids maternel que par le poids paternel. Alors que le chromosome Y influence positivement la croissance fœtale (le poids de naissance moyen des petits garçons est supérieur de 200 grammes à celui des petites filles) un chromosome 13, 18 ou 21 en excès ralentit significativement la croissance fœtale. Dans le syndrome de Turner, le poids de naissance est estimé à 85 % de la valeur attendue. Le retentissement d’autres anomalies chromosomiques (délétion, translocation) dépend de la paire de chromosomes affectés et du caractère équilibré ou non. Le retard de croissance observé dans la plupart des infections virales ou parasitaires résulte d’une lyse cellulaire. Par contre, les affections bactériennes, à l’exception de la syphilis, n’altèrent pas la croissance fœtale. Toute pathologie maternelle sévère peut induire une hypotrophie, soit par réduction de la perfusion utéroplacentaire (hypertension artérielle chronique, toxémie gravidique, insuffisance rénale chronique…), soit par réduction de la disponibilité de substrats indispensables à la croissance comme l’oxygène (anémie sévère, cardiopathie cyanogène) ou calories et protéines (malnutrition). La croissance fœtale est d’autant plus ralentie que le nombre de fœtus présents est important. On estime ainsi à 25 % le pourcentage de jumeaux nés avec une hypotrophie. Toutes les anomalies placentaires et funiculaires affectent la croissance fœtale : décollement chronique, infarctus, hémangiomes placentaires, insertion vélamenteuse du cordon et mosaïque placentaire (caractérisée par une discordance entre le caryotype placentaire et le caryotype fœtal).
❑ Petite taille constitutionnelle ❑ Génétiques : anomalies chromosomiques (trisomie 13, 18) maladies métaboliques (hypophosphatasie, gangliosidose type I) syndromes malformatifs ❑ Toxiques : alcool nicotine cocaïne, héroïne, méthadone médicaments (hydantoïnes, coumarine, amphétamines, anti-métaboliques types méthotrexate, prednisone) ❑ Infectieuses : toxoplasmose, rubéole, cytomégalovirus syphilis malaria ❑ Tératogéniques : radiations, médicaments Causes extrinsèques ❑ Maternelles : âge < 18 ans antécédent d’hypotrophie multiparité > 4 conditions défavorables de travail classe socio-économique défavorisée malnutrition pathologies (diabète, anémie, cardiopathie…) ❑ Placentaires : hypertension artérielle maladie auto-immune (lupus, anticorps anticardiolipines) infarctus (infections) anastomoses vasculaires (grossesses gémellaires monochoriales) diminution du volume placentaire (décollement, grossesses multiples) ❑ Utérines : malformations fibromes
Causes idiopathiques
Prévention La prévention de la prématurité et de l’hypotrophie ne se conçoit que dans le cadre d’une politique nationale de santé publique voulue, organisée, appliquée et évaluée. Une telle prévention implique une régionalisation des soins prénatals conformément aux recommandations du Haut comité de la santé publique (1994), une information du corps médical et du public, et l’organisation des consultations prénatales. Si la prématurité médicale-
ment consentie reste difficilement compressible, la prévention peut agir efficacement sur d’autres facteurs. Grâce à l’instauration d’une politique périnatale en France au début des années 1970, le taux de prématurité est passé en 4 ans de 8,2 % à 6,8 % ; dans le même temps, le nombre de consultations prénatales avait augmenté significativement alors que la grande multi-
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parité avait diminué significativement. Différents avantages avaient été offerts aux femmes salariées (aménagement d’horaires, changement de poste). Enfin la surveillance à domicile par des sages-femmes a permis de réduire nettement la prématurité quand la composante essentielle du risque était sociale. Il est clairement et scientifiquement établi que la corticothérapie anténatale (injection intramusculaire de bétaméthasone ou dexaméthasone lorsqu’une menace d’accouchement prématuré est diagnostiquée entre 24 et 32 semaines d’aménorrhée révolues) diminue significativement la mortalité néonatale, réduit l’incidence et la sévérité de la maladie des membranes hyalines, l’incidence du canal artériel persistant, des hémorragies intracérébrales, des entérocolites nécrosantes, et améliore l’adaptation hémodynamique néonatale. Le dépistage des grossesses à haut risque, leurs surveillance et prise en charge dans des centres périnatals spécialisés, le recours large à la corticothérapie anténatale ont contribué à réduire la mortalité néonatale associée à la grande prématurité, sans pour autant augmenter le nombre de séquelles neurologiques graves (leur diminution semble même envisageable). L’hypotrophie explique en elle-même certaines anomalies neuro-développementales spécifiques, et ce d’autant plus qu’elle est associée à une asphyxie périnatale. C’est dire la nécessité de surveiller soigneusement les grossesses caractérisées par une croissance fœtale anormale et de prévoir, dans le cadre d’une collaboration obstétricopédiatrique, une décision d’extraction de principe avant que ne survienne une souffrance fœtale aiguë. ■
POUR EN SAVOIR PLUS Mamelle N. Le concept de retard de croissance intra-utérin. In : 28es Journées de médecine périnatale. Paris : Arnette 1998 ; 3-19. Mamelle N, Munoz F, Martin JL, Laumon B, Grandjean H pour le travail AUDIPOG. Croissance fœtale à partir de l’étude Audipog II. Application au diagnostic de retard de croissance intra-utérin. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1996 ; 25 : 71-7. Rumeau-Rouquette C. Conférence de presse INSERM, 27 oct. 1983. Voyer M. Prématurité I. Enclycl Med Chir (Elsevier, Paris). Pédiatrie
Points Forts à retenir • L’hypotrophie est plus fréquente en cas de prématurité. • Les causes de la prématurité sont obstétricales, maternelles, fœtales, socio-économiques. • La croissance fœtale est génétiquement déterminée, mais l’hypotrophie est liée à des facteurs intrinsèques et extrinsèques (maternels, placentaires, utérins ou inconnus).
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Purpura rhumatoïde de l’enfant et de l’adulte Diagnostic, évolution Pr Pierre COCHAT Unité de néphrologie pédiatrique, hôpital Édouard-Herriot et Université Claude-Bernard, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03
Points Forts à comprendre
Purpura rhumatoïde de l’enfant Présentation habituelle
• Le purpura rhumatoïde est une vascularite à immunoglobulines (Ig) A, qui survient le plus souvent entre 5 et 15 ans. Il est caractérisé cliniquement par un purpura vasculaire prédominant dans les zones déclives, volontiers accompagné d’arthralgies des grosses articulations, de douleurs abdominales, et d’anomalies du sédiment urinaire. • Dans la majorité des cas, la maladie dure 1 à 3 mois et le pronostic est bon. Cependant, à court terme, l’évolution peut être marquée par des complications digestives aiguës ; à long terme, seule l’atteinte rénale mérite d’être retenue. • Le traitement, avant tout symptomatique, fait appel à une corticothérapie brève en cas de douleurs abdominales, et sous forme de perfusions en cas de néphropathie évolutive.
Les symptômes du purpura rhumatoïde s’installent en quelques heures ou quelques jours. La durée de la maladie est variable : dans un tiers des cas, elle ne comporte qu’une poussée évoluant sur 2 à 3 semaines et, dans deux tiers des cas, plusieurs poussés se succèdent pendant 2 à 3 mois ou plus.
Présentation habituelle du purpura rhumatoïde de l’enfant Syndrome cutané : 95-100 % Atteinte articulaire : 70-75 % Manifestations digestives : 75-90 % Manifestations rénales : 25-55 %
1. Signes généraux Une fièvre, généralement modérée, peut être présente au début et lors des poussées. Les marqueurs biologiques de l’inflammation ne sont que discrètement modifiés.
2. Atteinte cutanée Le purpura rhumatoïde, ou maladie de Henoch-Schönlein, associe des signes cutanés, articulaires, et digestifs et peut évoluer par poussées. C’est la plus commune des vascularites de l’enfant (15 à 20 cas pour 100 000 enfants de moins de 15 ans) et il n’affecte que rarement l’adulte. La maladie survient essentiellement entre 5 et 15 ans (en moyenne à 6-8 ans). Elle est exceptionnelle avant l’âge de 2 ans et à l’âge adulte. Il existe une discrète prédominance masculine. Dans un quart des cas, on retrouve un facteur déclenchant (prise médicamenteuse, infection bactérienne ou virale, allergie, vaccination, piqûre d’insecte), mais aucune relation de cause à effet ne peut être établie. Un terrain particulier est parfois en cause : liaison à certains antigènes d’histocompatibilité, anomalie du complément. Aucun test biologique n’est spécifique et le diagnostic est avant tout clinique. La concentration sérique des IgA est inconstamment élevée (voir : pour approfondir / 1).
Il s’agit d’un purpura vasculaire. C’est le seul signe constant, mais il n’est révélateur que dans deux-tiers des cas. Il est symétrique et prédomine aux zones déclives : membres inférieurs (fig. 1) pour la station debout, fesses et coudes pour la position couchée. Il existe parfois des localisations atypiques : scrotum, verge, pavillon des oreilles. En revanche, il épargne toujours la face et il n’y a jamais d’hématomes ni d’hémorragies muqueuses. Le purpura a un aspect pétéchial et infiltré, fait de papules légèrement saillantes, perceptibles au toucher, comportant souvent en leur centre une zone plus sombre. Il est volontiers précédé et accompagné d’éléments urticariens et d’œdèmes éventuellement ecchymotiques au niveau des extrémités (dos des mains et des pieds), des lombes, du front ou du cuir chevelu. Le syndrome cutané se constitue en 3 ou 4 jours et il existe des éléments d’âge différent. Il régresse en 1 à 3 semaines, LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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quent et peut s’accompagner d’une protéinurie modérée (< 1 g/24 h). Une insuffisance rénale transitoire est possible. L’hypertension artérielle est rare mais peut être notée même en présence de signes urinaires minimes.
Complications Plusieurs complications sont possibles mais rares et le pronostic global est bon dans la grande majorité des cas.
1. Complications digestives
1
Lésions cutanées typiques de purpura rhumatoïde : noter la topographie déclive.
mais peut évoluer par poussées plus ou moins nombreuses et durables.
3. Atteinte articulaire Il s’agit de polyarthralgies peu exubérantes, transitoires et migratrices, touchant surtout les grosses articulations (genoux, chevilles). Elles durent moins que le purpura luimême (3 à 5 jours) et disparaissent sans laisser de séquelles.
4. Manifestations digestives Les manifestations digestives sont relativement fréquentes, volontiers limitées à des douleurs abdominales modérées, qui traduisent l’équivalent muqueux du purpura. Ces douleurs précèdent le purpura dans 10 à 15 % des cas, posant le problème d’un abdomen « chirurgical ». Il s’agit de douleurs intermittentes, qui procèdent souvent par coliques paroxystiques évoquant l’invagination intestinale. Des vomissements et une diarrhée peuvent accompagner les douleurs.
5. Manifestations rénales L’atteinte glomérulaire s’exprime habituellement durant les premières semaines de la maladie, mais parfois plus tardivement, au cours ou au décours d’une nouvelle poussée. Il n’y a pas de corrélation entre la sévérité des signes extrarénaux et celle de la néphropathie. L’hématurie isolée – macroscopique ou microscopique – est le signe le plus fré-
Conduite à tenir à l’admission • Examen clinique complet + examen urinaire à la bandelette. • Aucun autre examen paraclinique si le tableau est typique. • Cas particuliers En cas de doute diagnostique : hémogramme ± bilan de coagulation. En cas d’hypertension artérielle ou si les anomalies du sédiment urinaire sont importantes : créatininémie + protéinurie de 24 h. • Hospitalisation seulement si : symptomatologie digestive suspecte ; état général altéré ; hypertension artérielle ; syndrome néphrotique ; insuffisance rénale.
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Elles surviennent dans 10 à 15 % des cas. Les lésions siègent surtout sur la partie proximale de l’intestin grêle (duodénum, jéjunum) mais peuvent être disséminées de l’estomac au rectum. Les complications chirurgicales sont en rapport avec la sévérité de l’atteinte muqueuse : hémorragies et hématomes (mélænas ou rectorragies dans 10 à 15 % des cas), œdèmes, malabsorption (entéropathie exsudative), ulcérations, nécrose et perforations. Ces lésions sont souvent accompagnées d’une adénolymphite. L’échographie abdominale est essentielle et doit être répétée chez les malades non opérés dont la symptomatologie persiste. Elle objective l’épaississement pariétal, les hématomes, les épanchements, les signes d’invagination, etc. Une endoscopie est parfois justifiée. Les indications chirurgicales sont souvent délicates, d’autant qu’une corticothérapie a été entreprise dans la plupart des cas.
Complications digestives et leur traitement (outre la corticothérapie) • Hémorragie sévère : transfusion sanguine ± chirurgie. • Invagination intestinale aiguë : désinvagination par lavement ± chirurgie. • Diarrhée : traitement symptomatique. • Malabsorption : nutrition parentérale. • Nécrose, perforation : chirurgie. • Obstruction intestinale : aspiration digestive ± chirurgie. • Volvulus : chirurgie. • Péritonite : chirurgie. • Pancréatite : aspiration digestive. • Duodénite, gastrite : anti-acides. • Sténose secondaire : chirurgie à froid.
Certaines formes graves associent intolérance digestive, pertes protéiques et hypercatabolisme, nécessitant une assistance nutritionnelle (entérale voire parentérale) généralement associée à la corticothérapie.
2. Complications rénales La néphropathie est la principale cause de morbidité du purpura rhumatoïde. Dans 80 % des cas, elle survient dans le mois qui suit le début clinique, exceptionnellement audelà du troisième mois, éventuellement au décours d’une autre poussée de la maladie ; seuls 2 à 5 % des enfants ont une néphropathie tardive, avec un recul pouvant aller jusqu’à 2 ans. Il convient de surveiller la protéinurie (bande-
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Purpura rhumatoïde de l’adulte Le purpura rhumatoïde peut survenir à tout âge, avec les mêmes facteurs favorisants, mais il est beaucoup plus rare chez l’adulte que chez l’enfant. La présentation clinique est sensiblement différente : fièvre souvent absente mais syndrome inflammatoire volontiers plus net, douleurs abdominales plus rares, manifestations articulaires plus exubérantes, évolution plus prolongée. La néphropathie est plus fréquente, à l’origine d’une insuffisance rénale dans 10 à 15 % des cas. De ce fait, les thérapeutiques proposées sont souvent relativement plus lourdes qu’en pédiatrie : corticothérapie, agents cytotoxiques. Le pronostic est bon dans 85-90 % des cas. 2
Biopsie rénale (examen d’un glomérule en immunofluorescence) : dépôts mésangiaux d’immunoglobuline A (cliché Dr R. Bouvier).
lette réactive) et la pression artérielle une fois par semaine pendant 1 mois, puis une fois par mois pendant 3 mois, puis une fois par mois durant l’année suivant la poussée ; en cas d’anomalie, la créatininémie doit être contrôlée. La néphropathie complique moins de 5 % des purpuras rhumatoïdes et représente 15 % de l’ensemble des glomérulopathies de l’enfant (voir : pour approfondir / 2). Il s’agit d’une atteinte mésangiale avec dépôts prédominants d’IgA dans tous les glomérules (fig. 2) avec un degré variable d’hypercellularité. Il existe une bonne corrélation anatomoclinique : plus le pourcentage de glomérules présentant une prolifération cellulaire – mésangiale mais surtout extracapillaire (croissants) – est élevé, plus la présentation clinique et le pronostic sont sévères. La néphropathie du purpura rhumatoïde guérit généralement en moins de 2 ans, mais peut évoluer dans 5 à 10 % des cas vers l’insuffisance rénale terminale.
3. Autres complications Les lésions de vascularite peuvent concerner de nombreux organes : uretères (urétérite sténosante), testicules (orchite), pancréas (pancréatite), atteinte cardiaque (myocardite, péricardite), atteinte neurologique (par vascularite, par hypertension artérielle ou par hyponatrémie d’origine digestive), atteinte pleuropulmonaire. Ces localisations sont rares et leur pronostic est généralement bon. On rencontre parfois des formes systémiques sévères, sans atteinte viscérale prédominante, mais avec une altération profonde de l’état général (amaigrissement, asthénie, anorexie), un syndrome inflammatoire majeur, une fonte musculaire, des algies diffuses. Le pronostic est généralement aussi bon que dans les formes « classiques » mais la convalescence est prolongée et la corticothérapie est souvent utile, associée à une nutrition entérale (voir : pour approfondir / 3). Les difficultés sont souvent d’ordre diagnostique, car une autre maladie systémique peut être évoquée.
Frontières du p urpura rhumatoïde Purpura rhumatoïde et maladie de Berger Bien que leurs manifestations cliniques soient différentes, purpura rhumatoïde et maladie de Berger ont en commun l’existence de dépôts d’IgA dans le mésangium et parfois au niveau des parois des capillaires glomérulaires et du derme. Sur le plan clinique, les manifestations extrarénales définissent le purpura rhumatoïde alors que seul le rein est atteint dans la maladie de Berger. Cependant, dans certains cas de maladie de Berger, des douleurs abdominales ou des arthralgies sont notées. De la même manière, certains purpuras rhumatoïdes évoluent sur le mode d’épisodes d’hématurie macroscopique indépendants de toute poussée purpurique. Biologiquement, on peut retrouver dans les deux affections des complexes immuns à IgA, une augmentation de la concentration sérique des IgA, des anomalies fonctionnelles de lymphocytes T. Par ailleurs, on peut rencontrer dans une même famille des patients atteints de l’une ou l’autre maladie, avec d’ailleurs une fréquence accrue des antigènes HLA B35 et DR4. Finalement, après transplantation rénale, les dépôts d’IgA sur le greffon récidivent souvent (généralement sans altération fonctionnelle) en l’absence de signes extrarénaux, tant dans le purpura rhumatoïde que dans la maladie de Berger. Pour toutes ces raisons, certains auteurs font de ces deux affections deux formes cliniques d’une même entité.
Purpura rhumatoïde et œdème aigu hémorragique du nourrisson Le purpura rhumatoïde est rarissime avant l’âge de 2 ans. Sa parenté avec l’œdème aigu hémorragique de la peau du nourrisson est discutée sans être admise.
Diagnostic différentiel Il s’agit du diagnostic d’un purpura vasculaire, dont il existe trois types : – les purpuras avec anomalies immunologiques, dont le purpura rhumatoïde fait partie (cryoglobulinémie, hyperimmunoglobulinémie, affections auto-immunes) ; LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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– les purpuras déclenchés par certains médicaments, certaines infections ou certaines pathologies malignes ; – les vascularites intriquées. Les difficultés du diagnostic différentiel concernent essentiellement l’adulte car, du fait de sa fréquence et de sa sémiologie, le purpura rhumatoïde est de diagnostic assez facile chez l’enfant. ■
Points Forts à retenir • Le purpura rhumatoïde est de bon pronostic dans l’immense majorité des cas, même si la présentation clinique est parfois préoccupante. Les lésions cutanées peuvent évoluer par poussées influencées par l’orthostatisme. Le syndrome articulaire guérit rapidement et sans séquelles. Au-delà des douleurs abdominales dont l’interprétation est parfois délicate, les complications digestives sont rares mais justifient parfois la chirurgie ; l’échographie abdominale doit donc être réalisée au moindre doute. • Lorsqu’elle existe, la néphropathie, proche de la maladie de Berger, expose au risque d’insuffisance rénale chronique et, même si cette éventualité est rare, elle justifie la réalisation d’une biopsie rénale pour préciser le pronostic et argumenter la thérapeutique. La surveillance de tout purpura rhumatoïde doit donc être recommandée pendant un an.
POUR EN SAVOIR PLUS Bensman A, Reffabert L. Un dogme non justifié : le repos strict dans le purpura rhumatoïde. Arch Fr Pediatr 1993 ; 50 : 635-6. Clauvel JP, Leibowitch M. Purpuras vasculaires. In : Kahn MF, Peltier AP, Meyer O, Piette JC (ed). Les maladies systémiques. Paris : Flammarion Médecine-Sciences, 1995 : 763-76. Larbre F, Parchoux B, Cochat P. Le purpura rhumatoïde. Encycl Med Chir (Paris-France), Pédiatrie, 4078T10, 1-1986, 6 pp.
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POUR APPROFONDIR 1 / Le purpura rhumatoïde au microscope Il s’agit d’une angéite leucocytoclasique avec infiltration périvasculaire polymorphe, œdème des cellules endothéliales et foyers de nécrose fibrinoïde de la paroi vasculaire. En immunofluorescence, on trouve des dépôts granuleux d’IgA, parfois associés à des IgG, IgM, du complément (C3) et de la fibrine, dans la paroi des capillaires du derme et dans le mésangium.
2 / Ponction biopsie rénale • Indications de biopsie rénale – Syndrome néphrotique (protéinurie O 50 mg/kg/j) persistant. – Insuffisance rénale et (ou) hypertension artérielle persistantes. – Réapparition d’anomalies du sédiment urinaire à distance de l’épisode initial. • Quatre types de lésions de gravité croissante 1. Glomérulonéphrite mésangiopathique. 2. Glomérulonéphrite segmentaire et focale (la plus fréquente). 3. Glomérulonéphrite proliférative endocapillaire diffuse. 4. Glomérulonéphrite proliférative endo- et extracapillaire.
3 / Traitement du purpura rhumatoïde de l’enfant • Repos Le repos au lit n’est pas justifié ; il atténue souvent l’expression cutanée de la maladie mais n’influence ni l’aspect histologique de vascularite, ni la formation de complexes immuns à IgA, ni le génie évolutif des lésions viscérales. • Corticothérapie – Prévention des complications : la prévention de la néphropathie par une corticothérapie systématique devant tout purpura rhumatoïde a été proposée mais son efficacité n’est pas validée. Elle n’est donc pas justifiée. – Douleurs abdominales et complications digestives : lorsque les douleurs abdominales ne sont pas significativement améliorées par le traitement symptomatique (alimentation légère semi-liquide, paracétamol, spasmolytique), une corticothérapie brève est justifiée et donne d’excellents résultats : prednisone (Cortancyl), 2 mg/kg/j pendant 7 jours, puis arrêt progressif sur les 7 jours suivants. • Néphropathie Les indications thérapeutiques, dictées par les résultats de la biopsie rénale, vont de l’abstention à la corticothérapie massive par voie veineuse selon le degré et la topographie de la prolifération cellulaire.
Pédiatrie B 274
Rachitisme Physiopathologie, diagnostic, traitement préventif et curatif DR Alain FOUILHOUX, PR Louis DAVID Département de pédiatrie, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.
Points Forts à comprendre • Le terme de rachitisme définit un trouble de la minéralisation du squelette en croissance. • Les lésions les plus spécifiques s’observent au niveau des principales zones de croissance (cartilages de croissance des métaphyses) mais l’ensemble du squelette en croissance est concerné. • Le défaut de minéralisation affecte également le remodelage osseux et, en ce sens, le rachitisme est toujours associé à une ostéomalacie. Rachitisme et ostéomalacie de l’adulte ont donc les mêmes causes. En l’absence de prévention, la cause principale du rachitisme est la carence en vitamine D correspondant au rachitisme dit carentiel, d’une extrême fréquence chez les nourrissons de 6 à 18 mois. En effet, compte tenu du rôle permissif de la vitamine D sur l’absorption intestinale du calcium, sa carence empêche l’absorption du calcium et donc la minéralisation du squelette. • Les autres causes de rachitisme chez l’enfant sont très rares, nous décrirons donc le rachitisme carentiel, les autres étiologies étant abordées dans le diagnostic différentiel.
Physiopathologie du rachitisme carentiel Les données essentielles du métabolisme de la vitamine D sont rappelées en fin d’article (voir : Pour approfondir).
Vitamine D : origine et besoins Souvent considéré comme une maladie de la nutrition, le rachitisme carentiel est en fait une maladie socio-géographique. L’origine naturelle de la vitamine D est en effet essentiellement la synthèse cutanée sous l’effet du rayonnement solaire ; l’apport nutritionnel est négligeable. Dans les pays septentrionaux comme la France, la synthèse de vitamine D est faible ou nulle pendant la saison froide (fin septembre-début avril), en raison du défaut d’exposition solaire, mais surtout du faible rayonnement ultraviolet lié à l’inclinaison du soleil. Par contre, à moins que le mode de vie ou les habitudes
vestimentaires ne s’y opposent, la synthèse sous l’effet du rayonnement solaire est très active pendant la « belle saison » avec constitution de réserves (stockage graisseux et musculaire de vitamine D, stockage plasmatique sous forme de 25-hydroxyvitamine D (25-OHD) dont le taux plasmatique est près de 1 000 fois supérieur à celui du calcitriol). Les besoins sont évalués à environ 400 UI/j.
Particularités du nourrisson En l’absence de prévention, le nourrisson est particulièrement exposé à une carence en vitamine D : – à la naissance les réserves en vitamine D sont dépendantes des réserves maternelles, tout particulièrement au cours du dernier trimestre de la grossesse. Dans le contexte géographique, climatique et social français, en l’absence de prévention, une majorité de femmes enceintes ont spontanément de faibles réserves en vitamine D (tout particulièrement pendant la saison froide). Une majorité d’enfants est donc en situation de carence en vitamine D, soit dès la naissance, soit très rapidement au cours des premiers mois ; – le contenu en vitamine D du lait maternel est très faible et ne permet pas de couvrir les besoins quotidiens du nourrisson ; – l’exposition au soleil est faible ou nulle pendant les premiers mois. Par ailleurs, du fait de la très forte vélocité de croissance pendant les 2 premières années (25 cm en moyenne la 1re année, 10 cm la 2e année), les métaphyses des os longs sont le siège d’une prolifération cartilagineuse importante. L’absence de minéralisation de ce cartilage est à l’origine des signes les plus caractéristiques du rachitisme.
Enfants et adolescents Un défaut d’exposition solaire peut être à l’origine d’un rachitisme carentiel chez l’enfant et l’adolescent. Plusieurs facteurs peuvent y contribuer : mode de vie confiné, pigmentation cutanée qui limite les possibilités de synthèse de la vitamine D, maladie chronique empêchant les sorties, alimentation pauvre en calcium, la carence en calcium ayant pour effet d’augmenter les besoins en vitamine D. S’ajoute à cela, pendant la puberté, l’accélération de la croissance osseuse (pic de croissance pubertaire) avec son corollaire, un accroissement important des besoins en calcium.
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L’hyperparathyroïdisme secondaire, facteur aggravant des lésions osseuses La carence en calcium entraîne une réaction parathyroïdienne qui accentue la déminéralisation via une stimulation de la résorption osseuse. Cet hyperparathyroïdisme secondaire induit une hypophosphatémie par inhibition de la réabsorption tubulaire des phosphates qui contribue également au défaut de minéralisation osseuse.
Diagnostic du rachitisme carentiel Forme typique du nourrisson et du jeune enfant 1. Signes osseux • Cliniques : les 2 signes cliniques majeurs sont les nouures épiphysaires et le chapelet costal. Les nouures épiphysaires sont des renflements des extrémités des os longs particulièrement visibles et palpables au niveau des poignets et des chevilles. Elles résultent de l’accumulation d’un tissu cartilagineux non calcifié au niveau des cartilages de croissance. Le chapelet costal correspond aux renflements cartilagineux des jonctions chondro-osseuses des côtes, palpables et parfois visibles, sur les lignes axillaires antérieures. La mollesse de la structure osseuse est à l’origine de : – craniotabès : mollesse anormale du crâne à la pression dans les régions occipitale et pariétale (ce signe n’a toutefois une réelle valeur qu’à partir de l’âge de 3 mois car il existe une mollesse pariéto-occipitale physiologique pendant les 3 premiers mois) ; – fontanelle antérieure large ou persistante au-delà de 18 mois ; – déformations osseuses du crâne (plagiocéphalie), des membres (genu varum, plus rarement genu valgum), du thorax. Le défaut de minéralisation affecte également la dentition : retard d’éruption dentaire, hypoplasie de l’émail dentaire, dents fragiles exposées aux caries précoces. • Radiologiques : les signes radiologiques sont parallèles aux signes cliniques ; ils sont diffus et, en cas de suspicion de rachitisme, il est donc inutile de multiplier les radiographies. L’altération de la minéralisation des os longs s’évalue particulièrement bien sur une radiographie d’un poignet de face ou une radiographie des genoux de face (fig. 1 et 2) : – défaut de minéralisation des métaphyses où les lignes métaphysaires convexes, irrégulières, élargies se prolongent latéralement par des becs métaphysaires (dans les formes très évoluées, aspect dit « en toit de pagode ») ; – points d’ossification épiphysaires retardés ou irréguliers et pâles, écartés des lignes métaphysaires (espaces correspondant à du tissu cartilagineux non calcifié), signe bien visible sur la radiographie des genoux de face (points d’ossification normalement présents dès la naissance) ; 1680
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Rachitisme carentiel chez un enfant de 8 mois. Radiographie des genoux de face. Lignes métaphysaires irrégulières, frangées, élargies avec becs latéraux. Élargissement des espaces entre lignes métaphysaires fémorales et points d’ossification épiphysaires. Points d’ossification épiphysaires pâles et irréguliers. Extrémités supérieures des péronés concaves avec aspect en cupules.
2 Rachitisme carentiel chez un enfant de 2 ans et demi. Radiographie d’un poignet. Lignes métaphysaires cubitales et radiales concaves, irrégulières. Élargissement de l’espace entre la ligne métaphysaire et le point d’ossification épiphysaire du radius.
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– amincissement des corticales, témoin du défaut de minéralisation au niveau du périoste ; – densité osseuse diminuée ; – parfois, fractures spontanées méconnues. Une radiographie du thorax montre un aspect dit « en bouchon de champagne » des jonctions chondroosseuses correspondant au chapelet costal clinique.
2. Manifestations cliniques d’hypocalcémie Elles constituent volontiers un signe révélateur du rachitisme carentiel. On observe : – des convulsions surtout ; – des trémulations et une hyperexcitabilité ; – des crises de tétanie, exceptionnelles chez le nourrisson, surtout présentes dans les formes du grand enfant et de l’adolescent ; – un spasme laryngé et une insuffisance cardiaque par cardiomyopathie hypocalcémique qui constituent des complications rares mais graves (mortalité).
3. Signes musculaires Le rachitisme carentiel s’accompagne d’une altération fonctionnelle musculaire responsable : – d’une hypotonie globale qui, au niveau de la sangle abdominale, se traduit fréquemment par un gros ventre avec hernie ombilicale ; – d’un retard des acquisitions motrices, notamment de la marche ; – chez le grand enfant et l’adolescent, de douleurs osseuses et d’une fatigabilité à la marche comme dans l’ostéomalacie de l’adulte.
4. Manifestations respiratoires L’atteinte de la mécanique ventilatoire (mollesse de la cage thoracique, insuffisance musculaire) favorise les troubles de ventilation et les pneumopathies graves chez le nourrisson. Ces troubles constituaient une cause indirecte de mortalité du rachitisme carentiel avant l’instauration de la prévention systématique.
5. Signes biologiques • Hypophosphatémie et élévation de l’activité phosphatase alcaline plasmatique sont les signes les plus constants. L’hypophosphatémie est la conséquence de l’hyperparathyroïdisme secondaire. La phosphatémie étant plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte, son évaluation doit en tenir compte. L’élévation de l’activité phosphatase alcaline plasmatique est le témoin du défaut de minéralisation osseuse ; elle traduit la perturbation de l’activité ostéoblastique dans le contexte de carences en vitamine D et calcium. • Une hypocalcémie est présente dans 50 % des cas environ. On l’observe dans 2 situations très différentes : – rarement, avec un rachitisme aux lésions cliniques et radiologiques discrètes, chez un jeune nourrisson (souvent avant l’âge de 4 mois). Dans ce cas, l’hypo-
calcémie ne s’accompagne pas d’hypophosphatémie (la phosphatémie est le plus souvent normale), ni d’hyperparathyroïdisme secondaire. Cette forme de rachitisme hypocalcémique à révélation précoce a pour origine un défaut de réaction parathyroïdienne face à la carence en vitamine D. Elle s’apparente à l’hypocalcémie néonatale tardive où la carence en vitamine D et le défaut de réactivité parathyroïdienne sont les principales composantes idiopathogéniques ; – le plus souvent, elle accompagne un rachitisme aux signes cliniques et radiologiques patents. En fonction du niveau de calcémie, il est volontiers fait état dans la littérature de différents stades évolutifs clinicobiologiques du rachitisme carentiel : stade 1 correspondant au rachitisme hypocalcémique précoce, stade 2 avec manifestations cliniques et radiologiques typiques mais sans hypocalcémie, stade 3 avec signes cliniques et radiologiques typiques d’hypocalcémie. En fait, la notion d’évolutivité entre ces stades n’est qu’hypothétique, et de plus lorsque les signes cliniques et radiologiques typiques sont en place, il n’y a pas de corrélation entre leur intensité et l’existence ou non d’une hypocalcémie. Il serait donc plus approprié de parler de types 1, 2 et 3 pour différencier ces différentes formes clinico-biologiques. • Le rachitisme carentiel s’accompagne de nombreuses autres anomalies biologiques. Elles ont essentiellement une valeur physiopathologique et leur recherche est inutilement coûteuse, car sans grand intérêt diagnostique lorsque le tableau de rachitisme est typique et qu’il s’accompagne d’une notion de carence en vitamine D : – taux plasmatique de 25-OHD bas témoignant de la carence en vitamine D ; – taux plasmatique de parathormone (PTH) élevé témoignant de l’hyperparathyroïdisme secondaire (hormis la forme hypocalcémique précoce) ; – taux plasmatique de calcitriol bas ; – hypocalciurie en relation avec l’hyperparathyroïdisme secondaire (augmentation de la réabsorption tubulaire du calcium). Diverses anomalies témoignent d’un trouble fonctionnel tubulaire rénal induit par l’hyperparathyroïdisme et (ou) l’hypocalcémie : hyperaminoacidurie généralisée avec parfois glycosurie modérée, acidose hyperchlorémique avec défaut de réabsorption tubulaire des bicarbonates et parfois hypokaliémie, hyperhydroxyprolinurie, élévation de l’excrétion urinaire d’acide adénosine monophosphorique (AMP) cyclique. Une anémie hypochrome carentielle est fréquente témoin d’une carence martiale associée à la carence en vitamine D. Exceptionnellement, peut s’observer un syndrome hématologique de leucémie myéloïde chronique (syndrome de von Jaksch-Hayem-Luzet associant érythroblastose, leucocytose, myélocytose et parfois myéloblastose, moelle hypoplasique, hépatomégalie et splénomégalie). Ce syndrome dont la pathogénie est obscure régresse avec l’apport de vitamine D.
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Formes cliniques 1. Rachitisme carentiel des prématurés Les prématurés sont particulièrement exposés à la survenue d’un rachitisme précoce sévère. En effet, ils ne bénéficient pas des réserves en vitamine D constituées en fin de grossesse, et un grand nombre d’entre eux naissent en situation de carence en vitamine D (taux bas de 25-OHD dans le sang du cordon). Cette forme clinique qui était responsable d’une forte mortalité par complication pulmonaire, a complètement disparu avec sa prévention systématique par l’administration de vitamine D dès la naissance.
existe 2 formes pathogéniques, déficit en α-hydroxylase (type 1) d’une part, résistance périphérique au calcitriol (type 2) d’autre part. Dans les 2 cas, le mode de transmission est récessif autosomique. • Certaines tubulopathies peuvent s’accompagner d’un rachitisme (acidose tubulaire rénale, tubulopathies complexes comportant un défaut de réabsorption tubulaire des phosphates). Ce sont les anomalies biologiques associées au rachitisme qui orientent le diagnostic.
2. Ostéodystrophie rénale Elle donne une atteinte osseuse diffuse très proche d’un rachitisme mais elle est toujours associée à une insuffisance rénale chronique sévère.
2. Rachitisme néonatal
3. Ostéogenèse imparfaite, chondrodysplasies
Exceptionnellement, un nouveau-né peut présenter dès la naissance des manifestations d’un rachitisme carentiel. Cela est toujours la conséquence d’une carence maternelle en vitamine D très sévère.
Un aspect radiologique proche du rachitisme peut se voir dans l’ostéogenèse imparfaite et dans certaines chondrodysplasies ; la présence de signes associés, des antécédents familiaux et l’absence d’anomalies biologiques orientent le diagnostic.
3. Rachitisme du grand enfant et de l’adolescent (rachitisme tardif) Le tableau clinique est plus trompeur, proche de l’ostéomalacie de l’adulte, avec crises de tétanie possibles en cas d’hypocalcémie. Il touche des enfants et des adolescents dont le mode de vie les prive d’exposition solaire (vie recluse, habitudes vestimentaires, maladies chroniques). Peuvent y contribuer également la pigmentation cutanée, une carence alimentaire en calcium, et certains traitements antiépileptiques qui augmentent les besoins en vitamine D.
4. Signes cliniques isolés De nombreux signes cliniques du rachitisme ne lui sont pas spécifiques et on les trouve isolément chez de nombreux enfants sans qu’ils aient de valeur pathologique (retard d’acquisition du tonus, retard de marche, retard d’éruption dentaire, tibia vara, genu valgum, plagiocéphalie…). Leur caractère isolé suffit à écarter le diagnostic de carence en vitamine D.
Traitement Diagnostics positif et différentiel Le diagnostic positif du rachitisme carentiel repose principalement sur les signes osseux diffus, associés à la notion d’absence d’apport de vitamine D (ou apport douteux), les dosages de calcémie, de phosphatémie et d’activité phosphatase alcaline plasmatique. L’amélioration rapide après administration de vitamine D apporte la confirmation définitive du diagnostic.
1. Rachitismes vitamino-résistants L’échec du traitement de vitamine D en présence d’un rachitisme typique doit faire considérer un rachitisme vitamino-résistant, dont il existe plusieurs formes étiopathogéniques, toutes très rares. • Le rachitisme hypophosphatémique est la forme la plus fréquente, le plus souvent familial, lié au chromosome X. Une hypophosphatémie sévère est le principal signe biologique, résultat d’un défaut de réabsorption tubulaire des phosphates. L’homéostasie calcique est conservée avec calcémie normale et absence d’hyperparathyroïdisme secondaire. Il n’y a pas de retard moteur. • Les rachitismes vitamino-résistants pseudo-carentiels se présentent sous la forme d’un rachitisme carentiel sévère précoce insensible à l’apport de vitamine D. Il en 1682
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Traitement préventif Il a permis la disparition presque complète du rachitisme carentiel. Il doit être systématique.
1. Avant la naissance La prévention de la carence chez le nouveau-né repose sur l’administration de vitamine D aux femmes enceintes au cours du dernier trimestre de la grossesse (100 000 à 200 000 UI au 7e mois de grossesse par exemple).
2. De la naissance à 18 mois Il s’applique à tous les nourrissons dès la naissance et jusqu’à 18 mois : – 800 UI/j pour les nourrissons ayant un allaitement maternel ; – 400 UI/j pour les nourrissons ayant un allaitement artificiel qui bénéficient par ailleurs de l’enrichissement en vitamine D des formules lactées (400 UI/L environ) ; – soit administration, quotidienne ou hebdomadaire, d’une solution de vitamine D donnée en gouttes ; – soit administration en dose de charge de 80 000 à 100 000 UI tous les 3 à 4 mois.
3. Après 18 mois La prévention de la carence en vitamine D au cours de l’hiver repose sur l’administration d’une dose de vitamine D de 80 000 à 100 000 UI au milieu de la saison froide (décembre-janvier) jusqu’à la fin de la croissance. Pour toutes les situations à risque chez le grand enfant et l’adolescent, une prévention régulière doit être faite par l’administration de 80 000 à 100 000 UI de vitamine D tous les 3 à 4 mois.
Traitement curatif 1. Vitamine D Il n’y a aucune indication d’utilisation des formes hydroxylées de vitamine D. Celle-ci doit être administrée par voie orale : – soit 5 000 UI/j pendant un mois ; – soit dose de charge de 100 000 à 200 000 UI renouvelée 1 mois plus tard. Dans les 2 cas, un traitement préventif doit prendre le relais du traitement curatif.
2. Apport adéquat de calcium L’apport de calcium est nécessaire en cas d’hypocalcémie : – apport par voie intraveineuse sous forme de gluconate de calcium jusqu’à normalisation de la calcémie ; – relais par voie orale pendant un mois (500 mg/24 h). Dans tous les cas, il faut s’assurer que l’alimentation comporte un apport suffisant de calcium : – de l’ordre de 500 à 800 mg/j chez le nourrisson et l’enfant (ce qui suppose un minimum de 3 laits, laitages ou fromages par jour) ; – de l’ordre de 1 g chez l’enfant ou l’adolescent en période de croissance pubertaire (soit un minimum de 4 laits, laitages ou fromages par jour). Les produits laitiers constituant la source principale de calcium de l’alimentation, la supplémentation calcique devra être poursuivie pendant plusieurs mois si l’alimentation n’en comporte que peu ou pas du tout.
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Rachitisme carentiel chez un enfant de 23 mois. Radiographies comparatives d’un genou au moment du diagnostic (cliché de gauche), et 23 jours après apport de 100 000 unités de vitamine D (cliché de droite). On observe sur le cliché après traitement la minéralisation amorcée des lignes métaphysaires et des points d’ossification et le comblement des espaces entre lignes métaphysaires et points d’ossification.
En pratique, les principaux critères d’efficacité du traitement sont la normalisation rapide de la calcémie au cours des premiers jours, l’amélioration du tonus musculaire en 2 semaines, et la minéralisation des métaphyses en bonne voie sur le contrôle radiologique au bout d’un mois.
3. Évolution sous traitement L’hypocalcémie se corrige généralement en 1 à 5 jours, l’hypophosphatémie et l’hyperparathyroïdisme en 2 à 3 semaines ; l’activité phosphatase alcaline plasmatique reste élevée pendant plusieurs semaines jusqu’à correction complète du défaut de minéralisation osseuse. L’amélioration radiologique apparaît nettement sur un contrôle radiologique un mois après le début du traitement (radiographie du poignet ou des genoux de face) montrant des dépôts linéaires denses au niveau des lignes métaphysaires (fig. 3). La normalisation des épiphyses et métaphyses est généralement constatée au bout de 3 mois. Les déformations des os longs se corrigent lentement en plusieurs années sous l’effet du remodelage osseux ; un traitement orthopédique est exceptionnellement nécessaire.
Points Forts à retenir • Le diagnostic positif du rachitisme carentiel repose principalement sur les signes osseux diffus associés à la notion d’absence d’apport de vitamine D, les dosages de calcémie, de phoshatémie et d’activité phosphatase alcaline plasmatique. • Enfin, l’amélioration rapide après administration de vitamine D apporte l a confirmation définitive du diagnostic.
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POUR APPROFONDIR Données essentielles du métabolisme de la vitamine D Synthèse naturelle
Actions principales
Elle résulte de la transformation d’un précurseur d’origine hépatique, le 7-déhydrocholestérol au niveau de la peau sous l’action des ultraviolets du rayonnement solaire pour donner la vitamine D3 (cholécalciférol) qui est la vitamine D naturelle.
La principale action du calcitriol est le contrôle de l’absorption intestinale du calcium. Il exerce en effet une action permissive sur l’absorption intestinale du calcium, adaptée aux besoins de l’organisme, l’absorption intestinale passive de calcium étant très faible.
La vitamine D2, ou ergocalciférol, est un produit de synthèse artificielle obtenu par irradiation d’un stérol d’origine végétale, l’ergostérol. Elle a un métabolisme et une action identiques à la vitamine D3, d’où son utilisation dans plusieurs préparations pharmaceutiques.
Au niveau osseux, la vitamine D favorise la minéralisation, mais il est difficile de dissocier une action directe d’une action indirecte résultant du maintien de l’homéostasie calcique via son effet sur l’absorption intestinale du calcium. Elle exerce par ailleurs une stimulation de la résorption osseuse en synergie avec la parathormone (PTH).
La forme hormonale active : le calcitriol La forme active de la vitamine D est le 1-25-dihydroxyvitamine D (D3 et D2), ou calcitriol. Elle est le résultat d’une double hydroxylation : 1re hydroxylation en C25 au niveau du foie donnant un produit intermédiaire présent dans la circulation, le 25-hydroxyvitamine D (25OHD), 2e hydroxylation en C1α au niveau des cellules tubulaires rénales. Le taux plasmatique de 25-OHD (D3 et D2) reflète les réserves en vitamine D de l’organisme. Il est bas dans la carence en vitamine D et non détectable dans la carence sévère.
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Son effet rénal est négligeable comme l’indique l’absence d’hypercalciurie dans le contexte de rachitisme carentiel.
Régulation La synthèse du calcitriol est soumise à régulation, le contrôle s’exerçant essentiellement au niveau de la 1 α-hydroxylase rénale. La parathormone est le principal facteur de régulation et elle contrôle ainsi indirectement l’absorption intestinale du calcium. ■
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Retard de croissance staturo-pondérale Orientation diagnostique PR Raja BRAUNER Service d’endocrinologie et croissance, hôpital Necker-Enfants Malades, 75743 Paris cedex 15
Points Forts à comprendre • Une croissance normale nécessite un système endocrinien et un squelette normaux. Elle est contrôlée par des facteurs génétiques et liée à l’état nutritionnel. Elle peut être ralentie par certaines anomalies de l’environnement. • La taille moyenne adulte est de 162 cm chez la fille et de 175 cm chez le garçon. Les tailles de 95 % des enfants bien portants sont entre - 2 et + 2 déviations standard, ce qui correspond à une taille adulte comprise entre 151 et 174 cm chez la fille et entre 163 et 187 cm chez le garçon. • Dans les petites tailles, l’évolution du poids est à analyser parallèlement à l’évolution de la taille pour savoir si le ralentissement de la croissance en taille s’accompagne : d’un arrêt de la prise de poids ou au contraire de la constitution d’un surpoids ; précède ou au contraire succède à la modification de l’évolution du poids.
Croissance et puberté normales (rappel) 1. Croissance normale De la naissance à l’âge auquel la taille adulte est atteinte, la croissance peut être divisée en 4 phases, en fonction de la vitesse de croissance et de l’influence prépondérante d’un facteur de croissance donné (tableau I). Une croissance normale nécessite un système endocrinien (tableau II) et un squelette normaux. Elle est contrôlée par des facteurs génétiques. Elle est liée à l’état nutritionnel. Elle peut être ralentie par certaines anomalies de l’environnement. Les facteurs génétiques interviennent sur le niveau de taille et sur l’âge au démarrage de la puberté. Le contrôle génétique de la croissance normale est multifactoriel. On ne sait pas évaluer les influences
respectives des facteurs génétiques et d’environnement d’une part, et de chacun des 2 parents d’autre part. La taille cible est la taille que devrait avoir l’enfant si n’intervenaient que les facteurs génétiques. Elle est calculée selon la formule : taille cible (cm) : taille père (cm) + taille mère (cm) + 13 si garçon - 13 si fille 2
La taille doit être mesurée avec soin par une personne entraînée à le faire et avec un matériel fiable. Le résultat de la mesure est inscrit sur le carnet de santé, ce qui
TABLEAU I Phases de croissance postnatale De la naissance à 2-3 ans Vitesse de croissance très rapide • 1re année : 24 cm • 2e année : 11 cm • 3e année : 8 cm Diminution de l’influence des facteurs intra-utérins au profit des facteurs génétiques changements possibles de couloir de croissance Phase prépubère Vitesse de croissance stable (5-6 cm par an) avec souvent ralentissement prépubertaire Phase pubertaire Développement des caractères sexuels Accélération de la vitesse de croissance staturale qui passe de 5 à 7-9 cm/an • Pic à 12 ans O / 14 ans • Gain total moyen : 24 cm O / 27 cm Indicateurs de fin de croissance Gain statural < 2 cm/an Âge osseux > 15 ans O et 16 ans Test de Risser
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TABLEAU II Facteurs hormonaux de la croissance
d’approcher la fraction de sa taille adulte qu’un individu a déjà prise et donc sa taille prédite. La prédiction de la taille adulte se calcule pour un enfant donné à partir de sa taille et de son âge osseux.
Hormone de croissance (= STH ou GH)
2. Puberté normale
Synthétisée et sécrétée par cellules somatotropes antéhypophysaires
La puberté est la période de transition entre l’enfance et l’état adulte. Elle s’exprime sur le plan clinique par un développement des caractères sexuels et par une accélération de la vitesse de croissance staturale. Elle conduit à l’acquisition des fonctions de reproduction. Le démarrage clinique de la puberté résulte d’une série d’activations successives de l’hypothalamus, de l’antéhypophyse, des gonades, puis des organes cibles périphériques (tableau III). Des phénomènes de rétrocontrôle existent entre chacune des étapes. Les caractères sexuels se développent dans 95 % des cas entre 8 et 13 ans (moyenne 11,5 ans) chez la fille et entre 9 et 14 ans (moyenne 12,5 ans) chez le garçon. Les stades du développement pubertaire sont cotés de 1 (stade prépubère) à 5 (stade adulte). Chez la fille, le premier signe est le développement d’un bourgeon mammaire (souvent unilatéral au début), accompagné ou suivi de l’apparition d’une pilosité pubienne. L’intervalle moyen entre le début du développement des seins et l’apparition des premières règles est de 2 ans. Chez le garçon, le signe qui indique le démarrage pubertaire est l’augmentation du volume des testicules. Cette augmentation témoigne du développement des tubes séminifères. Ce développement est induit par l’augmentation de la sécrétion hypophysaire de FSH (follicule stimulating hormone). Les testicules prépubères mesurent
Chaîne polypeptidique de 191 résidus d’acides aminés Sécrétion pulsatile, essentiellement nocturne, contrôlée par 2 facteurs hypothalamiques : • GRF (= GHRH ou GHreleasing hormone) stimulant • somatostatine (= SRIF) inhibiteur Insulin-like growth factors (IGF, essentiellement IGF1) Facteur essentiel de la croissance postnatale Agit directement sur le cartilage de croissance Hormones thyroïdiennes (T4 et T3) Agit sur la croissance et sur la maturation osseuse Stéroïdes sexuels : estradiol ou testostérone Accélèrent la vitesse de croissance à la puberté par 2 mécanismes : • augmentation sécrétion GH IGF1 • action directe sur cartilage de croissance Soudent les cartilages de croissance Glucocorticoïdes Leur excès inhibe la croissance
permet de suivre l’évolution de la croissance. Parallèlement, sont évalués : le périmètre crânien (rapporté aux normes pour l’âge), le poids (rapporté à la taille) et le stade pubertaire (cf. infra). La taille moyenne adulte est de 162 cm chez la fille et de 175 cm chez le garçon. Le niveau de taille est exprimé en déviations standard (DS) ou en percentiles. Les tailles de 95 % des enfants bien portants sont entre - 2 et + 2 DS. Cela correspond à une taille adulte comprise entre 151 et 174 cm chez la fille et entre 163 et 187 cm chez le garçon. Le niveau de taille est parfois exprimé en percentiles : un percentile donné est la limite en dessous de laquelle se trouve le pourcentage correspondant de la population normale (par exemple 3 % des enfants bien portants ont une taille en dessous du 3e percentile). L’indice de corpulence (body mass index) est le rapport poids (kg)/taille2 (m). Les normes sont exprimées en fonction de l’âge. L’âge osseux correspond pour un individu à l’âge réel de la majorité des individus de son sexe qui ont la même maturation squelettique. Il est évalué sur la radiographie de la main et du poignet gauches de face (un seul cliché) qui est comparée à l’atlas de Greulich et Pyle. Même lu par une personne entraînée à le faire, l’âge osseux reste une approximation. Au point de vue clinique, il permet 556
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TABLEAU III Étapes de l’activation pubertaire Phénomène initiateur mal compris Gonadarche Organe
Hormone
Hypothalamus
LHRH ou GnRH ou LRF
Antéhypophyse
LH et FSH (pic LH > pic FSH)
Développement des gonades
estradiol (> 20 pg/mL) testostérone (> 0,5 ng/mL)
Développement caractères sexuels secondaires + accélération vitesse de croissance Adrénarche DHA participe à pilosité sexuelle
Pédiatrie
autour de 2 x 1 cm ; des dimensions testiculaires supérieures à 3 x 2 cm indiquent une stimulation. La sécrétion de testostérone contribue avec les hormones surrénales (essentiellement sulfate de déhydro-épiandrostérone, DHAS) au développement de la pilosité sexuelle. Elle induit une augmentation des dimensions de la verge, des érections et une mue de la voix. Il est fréquent d’observer au cours de la puberté une intumescence mammaire appelée gynécomastie. Celle-ci est parfois douloureuse. Elle est le plus souvent transitoire. La vitesse de croissance staturale s’accélère à la puberté. La sécrétion de stéroïdes sexuels (estradiol chez la fille et testostérone chez le garçon) induit une augmentation de la sécrétion d’hormone de croissance (GH) et des taux plasmatiques d’IGF1 (insulin-like growth factor). La croissance résiduelle après les premières règles varie de 4 à 13 cm (moyenne 7 cm). Un gain de taille inférieur à 2 cm dans l’année précédente, chez un enfant sain dont la puberté est largement engagée, indique que sa croissance est proche de son terme. Les courbes de croissance des 2 sexes sont superposables jusqu’à l’âge de démarrage pubertaire. La différence de 13 cm de la taille adulte au profit des garçons vient essentiellement des caractéristiques du pic de croissance pubertaire, pic qui est plus tardif et plus ample chez le garçon que chez la fille.
Retard de croissance La petite taille est un motif fréquent de consultation. Elle est le plus souvent (> 70 % des cas) de type constitutionnel. Un enfant vu pour petite taille conduit à se poser les questions suivantes : le niveau de taille et la croissance sont-ils réellement anormaux ? en cas d’anomalie, quelle en est la cause ? quelles sont les possibilités de traitement ? Nous envisagerons successivement ces 3 questions (tableau IV).
1. Diagnostic positif La courbe de croissance en taille et en poids est le document-clé qui permet de savoir si un enfant donné a une croissance anormale. Les éléments qui font rechercher une anomalie sont : – un niveau de taille situé en dessous de - 2 DS ; plus l’écart à la moyenne est grand, plus forte est la probabilité de trouver une anomalie ; – une discordance entre le niveau de taille de l’enfant (exprimé en DS) et celui de sa taille cible calculée à partir des tailles de ses parents ; – surtout une vitesse de croissance inférieure à la norme pour l’âge, ce qui conduit à un changement de couloir de croissance. En effet, pris isolément, le niveau de taille d’un enfant ne permet pas de conclure quant au caractère normal ou non de sa croissance. Il est essentiel de préciser sa vitesse de croissance pour savoir si son niveau de taille actuel résulte d’une croissance régulière ou s’il est secondaire à une vitesse de croissance inférieure à la norme pour l’âge. Dans les petites tailles, l’évolution du poids est à analyser parallèlement à celle de la taille pour répondre aux
TABLEAU IV Conduite du diagnostic devant un enfant de petite taille Questions • Niveau de taille et croissance sont-ils anormaux ? • En cas d’anomalie, quelle en est la cause ? • Quelles sont les possibilités de traitement ? Informations nécessaires • Tailles et âges pubertaires des parents et de la fratrie • Terme, poids et taille à la naissance • Pathologie et (ou) corticothérapie chroniques • Troubles fonctionnels : diarrhée, vomissements, anorexie, polyurie et (ou) céphalées • Apports alimentaires et contexte psycho-socio-affectif Examen clinique • Taille, périmètre crânien, développement pubertaire à comparer à l’âge • Poids à comparer à la taille
questions suivantes : – le ralentissement statural s’accompagne-t-il d’un arrêt de la prise de poids ou au contraire de la constitution d’un surpoids ? – le ralentissement statural précède-t-il ou au contraire succède-t-il à la modification de l’évolution pondérale ? En effet, lorsqu’une stagnation de la prise de poids précède le ralentissement de la croissance en taille, cela indique que le ralentissement statural est probablement secondaire à l’insuffisance de prise pondérale et oriente vers un problème nutritionnel. À l’inverse, lorsque le ralentissement statural s’accompagne d’une prise pondérale excessive, cela oriente vers une hypothyroïdie ou un hypercorticisme.
2. Diagnostic étiologique (tableau V) • Petite taille constitutionnelle : elle est aussi appelée génétique, essentielle ou familiale. Les éléments en faveur du diagnostic de petite taille constitutionnelle sont : un examen clinique normal et surtout l’existence de petites tailles dans la famille. L’indication à demander des examens complémentaires à la recherche d’une pathologie dépend du contexte. Le plus souvent, le diagnostic de petite taille constitutionnelle est facile à faire car la vitesse de croissance est normale pour l’âge et le niveau de taille est concordant avec la taille cible parentale. Il suffit alors de faire doser le taux plasmatique du
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facteur de croissance IGF1. S’il est normal pour l’âge et à condition qu’il ait été dosé dans un laboratoire performant, cela constitue un argument contre une pathologie. • Pathologie connue : dans certains cas, la cause de la petite taille est facile à établir car l’enfant a une pathologie qui ralentit la vitesse de croissance ou qui s’accompagne d’une petite taille. L’indication à demander des examens complémentaires à la recherche d’une pathologie associée, en particulier d’un déficit en GH, est fonction d’une part du niveau de taille de l’enfant comparé à celui qu’entraîne habituellement sa pathologie initiale, et d’autre part de la possibilité d’associations. Ainsi l’association de certaines cardiopathies à une petite taille fait rechercher un syndrome de Turner ou un syndrome de Noonan. • Pathologie endocrinienne : elle est importante à reconnaître car elle conduit à un traitement spécifique. – Déficit en GH : il peut être secondaire à une lésion (kyste, tumeur) de la région hypothalamo-hypophysaire, à une irradiation crânienne ou être idiopathique. Le diagnostic de déficit en GH est facile chez un enfant qui a un ralentissement de sa vitesse de croissance staturale après une irradiation crânienne ou une lésion de la région hypothalamo-hypophysaire. La lésion la plus fréquente est le craniopharyngiome. Celui-ci induit de manière quasi constante des modifications de la selle turcique à type d’élargissement ou de calcifications visibles sur la radiographie de la selle turcique de profil. Par contre, le diagnostic de déficit idiopathique en GH est difficile. Cependant ce diagnostic reste important à faire malgré l’augmentation de la disponibilité en GH, et ce pour les raisons suivantes : la petite taille peut être due à une cause différente du déficit en GH et nécessiter un traitement spécifique ; l’accélération de la vitesse de croissance obtenue avec des doses standard de GH chez les patients ayant un déficit transitoire en GH est médiocre, inférieure à celle obtenue chez ceux ayant un déficit permanent ; le traitement par GH est astreignant et coûteux ; la constatation d’un déficit en GH conduit à rechercher d’autres déficits hypophysaires et une cause à ce déficit. Le diagnostic de déficit en GH est fait sur l’insuffisance ou l’absence d’augmentation des taux plasmatiques de celle-ci en réponse à une stimulation. Les stimulus les plus couramment employés sont l’arginine, l’ornithine et l’hypoglycémie insulinique contrôlée. On parle de déficit en GH lorsque son pic sous stimulation est inférieur à 7-10 ng/mL (= µg/L). La limite définissant le déficit est en effet variable selon les pays. Il est nécessaire de confirmer le déficit par une deuxième évaluation de la sécrétion de GH, utilisant de préférence un stimulus différent de celui utilisé pour la première stimulation. En effet, un certain nombre d’enfants ayant une capacité normale à sécréter de la GH ne répondent pas à une première, voire à une deuxième stimulation. Cela est particulièrement le cas des enfants qui ont un surpoids et des garçons qui ont un retard pubertaire. Par ailleurs, les taux mesurés de GH varient selon la trousse utilisée pour son dosage. Pour toutes ces raisons, le dia558
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TABLEAU V Étiologies des petites tailles Petite taille constitutionnelle Pathologie connue • Anomalie chromosomique autosomique • Maladie osseuse constitutionnelle • Affection chronique décompensée • Corticothérapie continue et prolongée Pathologie endocrine • Déficit en GH • Hypothyroïdie • Syndrome de Turner • Retard pubertaire • Excès de corticostéroïdes Autres causes • Retard de croissance intra-utérin • Trouble psycho-socio-affectif • Maladie cœliaque • Pathologie inflammatoire intestinale • Pathologie rénale
gnostic de déficit en GH est parfois fait par excès. Les taux plasmatiques du facteur de croissance IGF1 et de sa protéine liante IGFBP-3 dépendent essentiellement de la sécrétion de GH. Ils sont effondrés en cas de déficit idiopathique en GH et constituent ainsi un excellent marqueur du diagnostic. Les signes cliniques de déficit en GH sont rarement présents. Ils se voient essentiellement chez les patients qui ont un déficit congénital en GH. Il s’agit de surcharge pondérale à prédominance tronculaire, extrémités petites, front bombé et ensellure nasale marquée. L’association, chez un nouveau-né, d’une hypoglycémie à un micropénis (longueur de la verge < 3 cm) est très évocatrice du diagnostic de déficit en GH. L’imagerie par résonance magnétique de la région hypothalamo-hypophysaire montre chez plus de la moitié des patients qui ont un déficit en GH un aspect dit d’interruption de la tige dont les composantes sont : post-hypophyse ectopique, antéhypophyse petite et tige pituitaire interrompue. Cet aspect apporte une confirmation anatomique au diagnostic de déficit en GH. Sa pathogénie est variée et en cours d’analyse : traumatique, malformative ou génétique. Le syndrome de Laron donne un aspect clinique ressemblant à celui du déficit en GH. Il n’est pas dû à un déficit en GH mais à une résistance hépatique à cette hormone. Les taux plasmatiques de GH sont élevés. En revanche, ceux de IGF1 sont effondrés. Sa transmission est réces-
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sive autosomique. – Hypothyroïdie : la spécificité de l’effet des hormones thyroïdiennes chez l’enfant, par rapport à l’adulte, est qu’elles sont nécessaires au développement du système nerveux durant les deux premières années de vie et à la croissance. L’hypothyroïdie peut être d’origine centrale (hypothalamo-hypophysaire) ou périphérique (thyroïdienne). Le taux plasmatique de TSH (thyroid stimulating hormone) est normal ou bas dans les formes centrales et augmenté dans les formes périphériques. L’hypothyroïdie peut être congénitale ou acquise. Le pronostic de l’hypothyroïdie congénitale est dominé par le risque de retard du développement psychomoteur. L’hypothyroïdie congénitale périphérique est diagnostiquée sur un taux plasmatique de TSH augmenté dans le cadre du dépistage néonatal systématique. Cependant, elle peut « échapper » au dépistage pour les raisons suivantes : le dépistage ne permet pas le diagnostic de l’hypothyroïdie centrale ; il ne couvre pas tous les nouveau-nés du monde ; certains cas ne sont pas diagnostiqués (problème technique ou expression tardive). L’hypothyroïdie acquise est le plus souvent due à une thyroïdite. Le ralentissement de la vitesse de croissance staturale est fréquemment associé à une prise pondérale excessive et à d’autres signes cliniques d’hypothyroïdie (constipation, diminution des performances scolaires et goitre en cas de thyroïdite). L’âge osseux est souvent très inférieur à l’âge chronologique (différence > 2 ans). Le diagnostic d’hypothyroïdie est fait sur le taux bas de thyroxine plasmatique. Le traitement substitutif permet un rattrapage statural. – Syndrome de Turner : il associe une anomalie d’un chromosome X, une petite taille et une dysgénésie gonadique. Sa fréquence est de 1/3 500 naissances de filles. Le diagnostic est fait sur le caryotype. La taille adulte moyenne varie de 142 à 147 cm selon les pays où les données ont été recueillies et selon la taille génétique. La dysgénésie gonadique est responsable de l’absence de développement spontané de la puberté (80 % des cas) et de la stérilité. Les organes génitaux internes (vagin et utérus) sont féminins, normaux dans la majorité des cas. Les autres signes sont inconstants. Parmi les anomalies observées dans le syndrome de Turner, celles qui constituent réellement un problème sont la petite taille et la stérilité. Depuis peu, ces enfants peuvent être traités par l’hormone de croissance, et ce traitement est pris en charge par les caisses primaires d’assurance maladie. – Retard pubertaire : il est défini par l’absence de développement des caractères sexuels au-delà de l’âge de 13 ans chez la fille et de 14 ans chez le garçon. On distingue le retard pubertaire secondaire à une pathologie (anomalie hypothalamo-hypophysaire ou gonadique) du retard pubertaire simple, c’est-à-dire suivi d’un développement pubertaire spontané complet. Chez la fille, le retard pubertaire est secondaire dans plus de la moitié des cas à une pathologie, et en particulier à un syndrome de Turner. Chez le garçon, il s’agit dans 80 % des cas
d’un retard pubertaire simple. Il est responsable d’un retard à l’accélération de la vitesse de croissance staturale, accélération qui survient normalement à la puberté. Cela explique que le motif de consultation soit souvent la petite taille. – Excès de corticostéroïdes : il peut être iatrogénique ou d’origine endogène. Le syndrome de Cushing est caractérisé par une hypersécrétion de cortisol. Il est rare chez l’enfant. Les principaux signes sont : ralentissement de la croissance staturale, prise pondérale excessive, douleurs dorsales secondaires à l’ostéoporose et vergetures. Le diagnostic d’hypercorticisme est suspecté sur l’augmentation de la cortisolurie des 24 heures (> 50 µg). Le taux plasmatique d’ACTH (adreno-corticotrophic hormone) est augmenté dans les formes centrales, hypothalamo-hypophysaires et bas dans les formes périphériques, surrénales. Par ailleurs, l’administration prolongée de doses pharmacologiques de corticoïdes ralentit la vitesse de croissance staturale. L’arrêt du traitement n’est pas toujours suivi d’un rattrapage statural. • Autres causes – Retard de croissance à début intra-utérin (RCIU). Il est la cause de 10 % des petites tailles. Il est hétérogène et peut être secondaire à une anomalie chromosomique, à un facteur d’environnement (infection, drogue, alcool, malnutrition), faire partie d’un syndrome ou le plus souvent être idiopathique. Le retard de croissance intra-utérin peut porter sur le poids, la taille ou le plus souvent les deux. Il est habituellement défini par un poids de naissance situé en dessous de - 2 DS pour l’âge gestationnel. Celui-ci est calculé en semaines à partir de la date de survenue des dernières règles. Contrairement aux prématurés ayant un poids de naissance normal pour leur âge gestationnel, environ 20 % des enfants qui ont un retard de croissance intra-utérin n’ont pas de rattrapage statural. Celui-ci, lorsqu’il a lieu, se produit tôt, en règle générale avant l’âge de 1 an. Ses facteurs ne sont pas connus. – Retard de croissance par trouble psycho-socio-affectif. Le « nanisme psychosocial » se présente de la manière suivante : ralentissement de la vitesse de croissance staturale, réponse variable de GH aux tests de stimulation, taux plasmatique effondré de l’IGF1. Les difficultés relationnelles avec l’entourage sont souvent difficiles à mettre en évidence. Le critère de diagnostic est l’accélération de la vitesse de croissance staturale lorsque le patient est totalement séparé de son milieu familial. L’anorexie mentale se voit le plus souvent chez les filles, après le début de la puberté. L’amaigrissement et l’aménorrhée sont alors au premier plan. Un certain nombre de syndromes s’accompagnent d’un déficit statural. Certaines pathologies peuvent s’exprimer par un déficit statural isolé. Elles sont à rechercher devant une croissance anormale inexpliquée : maladie cœliaque par le dosage du taux plasmatique des anticorps anti-gliadine, maladie de Crohn par la mesure de la vitesse de sédimentation, néphropathie par l’ionogramme sanguin.
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3. Traitement Dans les petites tailles constitutionnelles, il n’y a actuellement pas de traitement dont l’efficacité à augmenter la taille adulte a été démontrée. Ces enfants ont un indice de corpulence significativement plus bas que celui des enfants de taille normale. De plus, leurs taux plasmatiques des IGF1 sont corrélés avec leur indice de corpulence et leur vitesse de croissance. Ces données suggèrent qu’une optimisation de leur apport alimentaire peut augmenter leur potentiel de croissance. L’hormone de croissance biosynthétique constitue un progrès majeur par rapport à l’hormone de croissance extractive. En effet, l’utilisation de celle-ci a été suivie de cas d’encéphalite de Creutzfeldt-Jakob. Les règles du traitement par GH sont détaillées dans le Journal officiel du 20 janvier et du 11 février 1997. Un enfant peut être traité par GH s’il a une petite taille due à un déficit en GH, un syndrome de Turner, une insuffisance rénale chronique ou un retard de croissance intra-utérin. Dans l’hypothyroïdie et dans le retard pubertaire, le traitement substitutif permet le rattrapage statural. ■
Points Forts à retenir • La courbe de croissance en taille et en poids est le document-clé qui permet de savoir si un enfant donné a une croissance anormale. La petite taille est le plus souvent (> 70 % des cas) de type constitutionnel. • La pathologie endocrine est importante à reconnaître car elle conduit à un traitement spécifique. • Le déficit en hormone de croissance peut être secondaire à une lésion (kyste, tumeur) de la région hypothalamo-hypophysaire, à une irradiation crânienne ou être idiopathique. Le diagnostic de déficit idiopathique est difficile. • Le retard pubertaire est responsable d’un retard à l’accélération de la vitesse de croissance staturale, accélération qui survient normalement à la puberté. Cela explique que le motif de consultation soit souvent la petite taille. • Chez le garçon, il s’agit dans 80 % des cas d’un retard pubertaire simple. • Le retard de croissance à début intra-utérin est la cause de 10 % des petites tailles.
POUR EN SAVOIR PLUS Brauner R, Adan L, Souberbielle JC. Déficit idiopathique en hormone de croissance : marqueurs du diagnostic. Médecine Sciences 1994 ; 10 : 696-700. Brauner R. Anomalies de la croissance staturale. Encycl Med Chir. Paris : Elsevier, 1998 ; 8-0420, 6 p. Sempé M, Pedron G, Roy-Pernot MP. Auxologie, méthode et séquences. Paris : Laboratoires Theraplix, 1979.
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Rougeole Épidémiologie, diagnostic, évolution, prévention PR Dominique GENDREL Service de pédiatrie générale, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, , 75674 Paris cedex 04
Points Forts à comprendre • La rougeole est une maladie virale très contagieuse caractérisée par une éruption, un exanthème pathognomonique avec toux, rhinorrhée et conjonctivite. • La rougeole est en passe de devenir une maladie dans les pays industrialisés sinon oubliée du moins à l’importance minimisée. • La vaccination en a fait considérablement baisser la fréquence, et les complications infectieuses et nutritionnelles, à l’origine d’une mortalité élevée dans le Tiers-Monde, ont régressé de manière spectaculaire dans les pays occidentaux. Pour ces raisons, la rougeole est trop souvent considérée comme une maladie bénigne, ce qui peut conduire à négliger la vaccination. • Dans une enquête effectuée en 1990 à Paris, 40 % des enfants examinés, âgés de 2 à 15 ans, n’avaient pas été vaccinés : le médecin de famille n’avait pas proposé la vaccination et dans 5 % des cas l’avait refusée, malgré la demande familiale.
Étiologie et réponse immune Le virus rougeoleux appartient au groupe des paramyxovirus (comme le virus des oreillons ou le virus respiratoire syncytial). L’enveloppe lipido-protéique protège une capside à ARN. L’homme est le seul réservoir de virus connu et la transmission se fait par voie aérienne. L’incubation est en moyenne de 10 jours. Il existe une phase transitoire de virémie peu après la contamination, suivie d’une réplication active dans les cellules du nasopharynx. Une virémie secondaire survient ensuite vers le 7e jour suivant la contamination, avec une phase importante de réplication virale. La contagiosité est maximale dans les 4 jours qui précèdent et les 3 jours qui suivent le début de l’éruption. Les anticorps sériques neutralisants confèrent une immunité définitive. La montée des anticorps est assez rapide, en 5 à 7 jours. Le vaccin vivant atténué permet d’éviter une rougeole chez un individu s’il est effectué
dans les 72 h qui suivent la contagion. L’immunité humorale est importante pour prévenir l’infection, mais l’immunité cellulaire est nécessaire pour limiter les effets de la maladie chez un individu : les enfants ayant un déficit de l’immunité cellulaire font une maladie plus grave que les agammaglobulinémiques. C’est ce qui explique que la rougeole soit, dans le Tiers-Monde, si grave chez l’enfant malnutri où l’immunité cellulaire est dramatiquement réduite.
Épidémiologie L’instauration de la vaccination antirougeoleuse a entraîné une diminution de la maladie. On est passé en France de 400 000 cas à la fin des années 1970 à 40 000 à 50 000 cas en 1995. Aux États-Unis, l’incidence est passée de 315 cas pour 100 000 à 2 pour 100 000 depuis 1981. La rougeole entraîne environ 1 500 hospitalisations par an, les deux tiers concernant des enfants de moins de 5 ans. La couverture vaccinale stagne en France, autour de 80 %. L’efficacité vaccinale étant de 95 %, le virus continue donc à circuler. Cependant, l’augmentation de la couverture vaccinale entraîne un nouveau visage de la maladie. La rougeole sévit en France sous forme endémique. Mais chez des enfants vaccinés dans la 2e année de vie, une perte progressive de l’immunité post-vaccinale peut se voir. Ainsi, de petites épidémies frappant le grand enfant ou l’adolescent, du type de celles constatées aux États-Unis, sont possibles en France, justifiant l’introduction d’une deuxième dose vaccinale. Le problème de la date de cette deuxième vaccination varie selon les pays. En France, ce rappel était fixé à 10-11 ans, et il vient d’être ramené à 3 à 6 ans. (voir : pour approfondir) Enfin, la baisse de circulation du virus provoque aussi une transformation de la sémiologie. La rougeole est une maladie où l’effet inoculum est net. Dans les pays du Tiers-Monde, la mortalité est maximale à l’acmé de l’épidémie et la maladie est plus grave quand plusieurs membres de la famille sont atteints en même temps. Quand la contamination se fait par une source unique et que l’inoculum viral est plus faible, les signes de la rougeole sont souvent moins nets. Mais les rougeoles atypiques avec signes atténués se voient surtout chez les enfants antérieurement vaccinés ou les sujets ayant une immunité partielle.
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ROUGEOLE
Aspects cliniques
Complications
Après une phase d’invasion inapparente de 10 jours, la maladie devient nette.
Les complications font toute la gravité de la rougeole. Il faut distinguer les complications dues à l’atteinte directe du virus morbilleux et les surinfections bactériennes.
1. Phase d’invasion Elle dure 3 à 4 jours et se caractérise par une fièvre rapidement importante avec malaise général et céphalées ; une polyadénopathie discrète ; un catarrhe diffus des muqueuses, obligatoire pour porter le diagnostic de rougeole; ce catarrhe est oculaire avec une conjonctivite nette, nasal et trachéobronchique avec toux; les muqueuses digestives sont également atteintes : une diarrhée est fréquente, tandis que progressivement s’installe une atteinte de la muqueuse buccale ; l’énanthème apparaît 24 à 48 h après le début du catarrhe. Sur une muqueuse érythémateuse, le signe de Koplick, uni- ou bilatéral, est pathognomonique de la rougeole (il dure 2 à 3 jours). Cet énanthème est douloureux et gêne considérablement l’alimentation.
2. Phase d’état L’éruption survient en moyenne 3 à 4 jours après le début du catarrhe. L’exanthème est fait de maculopapules non prurigineuses, confluentes avec des intervalles de peau saine. Il commence derrière les oreilles, puis gagne le visage et le tronc. La fièvre disparaît avec la généralisation de l’éruption. Celle-ci disparaît progressivement en quelques jours avec une desquamation inconstante.
3. Diagnostic Dans la forme habituelle décrite ci-dessus, le diagnostic de rougeole se porte sur l’association du catarrhe et du signe de Koplick au moment où apparaît l’exanthème. En fait, les formes atténuées sont fréquentes avec un catarrhe discret et un exanthème peu net. Il est classique de considérer que les rougeoles atypiques surviennent chez les sujets antérieurement vaccinés, mais des enquêtes systématiques montrent qu’elles ne sont pas rares dans la population générale, peut-être en rapport avec la moindre circulation du virus. Par ailleurs, les autres fièvres éruptives peuvent prêter à confusion quand l’éruption est morbilliforme, ce qui n’est pas rare : rubéole (mais le catarrhe est absent), infections à entérovirus, et surtout à adénovirus, parfois mononucléose infectieuse. Au total le diagnostic clinique de la rougeole n’est pas toujours aisé. Dans une série récente, la moitié seulement des enfants non vaccinés et ayant des anticorps anti-rougeoleux avaient eu une rougeole reconnue cliniquement par le médecin. Pour cette raison, la confirmation par un diagnostic sérologique est souvent nécessaire. La présence d’IgM antirougeoleuses dans la salive est intéressante et pourrait éviter un prélèvement sanguin. 1842
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1. Atteintes virales • Les atteintes respiratoires sont les plus fréquentes. Le plus souvent il s’agit de bronchites (ou de bronchiolites chez le nourrisson) avec des râles ronflants ou sibillants, sans obligatoirement de surinfection bactérienne. Les laryngites aiguës sont fréquentes au début de la phase éruptive. Une pneumopathie virale est toujours présente, mais le plus souvent modérée. Les atteintes pulmonaires graves d’emblée, en dehors de toute surinfection, sont plus fréquentes dans le Tiers-Monde que dans les pays occidentaux. Il s’agit d’une pneumopathie sévère avec hypoxie de survenue généralement précoce nécessitant une réanimation respiratoire. Elle se voit surtout chez les sujets malnutris (pneumonies interstitielles à cellules géantes avec présence du virus morbilleux). Les enfants immunodéprimés sont des sujets à risque important d’atteinte pulmonaire sévère d’emblée par action directe du virus morbilleux. C’est particulièrement le cas des enfants atteints de sida. C’est pourquoi, bien que le vaccin antirougeoleux soit constitué par un virus vivant, la vaccination est obligatoire en cas d’immunodépression à moins que celle-ci ne soit en pleine phase évolutive avec une fonction lymphocytaire effondrée. Les pneumonies interstitielles ne sont pas rares chez le jeune nourrisson, mais plus encore chez l’adolescent et l’adulte jeune, avec une atteinte souvent sévère. C’est principalement à cause de l’atteinte pulmonaire que la rougeole est grave chez l’adulte. • Les complications virales neurologiques sont graves. L’encéphalite aiguë morbilleuse (0,1 % des cas de rougeole) survient quelques jours après le début de l’exanthème (entre le 3e et le 7e jour). Elle détermine une leuco-encéphalite périveineuse avec démyélinisation progressive. Les signes neurologiques sont variés et peu typiques et la mortalité est importante (15 à 25 % des cas). Des séquelles se voient dans 30 à 40 % des cas. Une méningite virale sans atteinte encéphalitique est possible. Enfin une encéphalite post-rougeoleuse retardée, survenant 2 à 6 mois après l’éruption, a été décrite chez des sujets immunodéprimés, l’issue est rapidement fatale. • La panencéphalite sclérosante aiguë (Van Bogaert) est une complication retardée survenant 2 à 10 ans après une rougeole apparemment banale. Son installation est progressive, avec des mouvements anormaux, une détérioration importante et une issue toujours fatale en 1 à 2 ans. Les troubles du comportement précèdent l’apparition de mouvements anormaux (hypercinésie de la tête et des membres supérieurs). Des myoclonies apparaissent ensuite, puis la dégradation intellectuelle devient évidente. L’hypertonie généralisée conduit le malade à
Pédiatrie un état grabataire et l’issue est fatale en un ou deux ans. L’électro-encéphalogramme est très caractéristique. Le taux d’anticorps dans le sang et le liquide céphalo-rachidien est très élevé et il existe dans le liquide céphalorachidien un pic monoclonal d’IgG très net. La panencéphalite sclérosante subaiguë (PESS) est observée dans 1 à 5 cas pour 100 000, mais sa fréquence a considérablement diminué avec la vaccination.
2. Surinfections bactériennes Elles sont fréquentes, surtout chez les enfants les plus jeunes. Elles sont majorées par le fait que le virus rougeoleux entraîne rapidement une immunodépression cellulaire qui fait le lit des surinfections bactériennes, principalement au niveau des voies respiratoires. Les otites sont fréquentes : elles sont la conséquence du catarrhe. Théoriquement, il s’agit d’otites congestives mais les surinfections bactériennes sont habituelles et nécessitent un traitement antibiotique. Les laryngites sont fréquemment surinfectées dans les pays du TiersMonde par des bactéries, mais aussi par des Candida. Dans les pays industrialisés, il s’agit de laryngites virales simples. L’importance de surinfections pulmonaires a considérablement diminué avec l’usage des antibiotiques, mais elles restent encore dans le Tiers-Monde une cause majeure de mortalité. Prouver l’origine bactérienne d’une pneumopathie rougeoleuse est difficile car les prélèvements invasifs sont difficiles chez l’enfant. Enfin les surinfections bactériennes de l’œil sont fréquentes et graves et doivent être systématiquement prévenues par des soins oculaires pour éviter la kératite.
3. Complications nutritionnelles Elles sont au premier plan dans le Tiers-Monde. L’énanthème est très douloureux et gêne l’alimentation et une diarrhée est fréquemment associée. Les surinfections bactériennes aggravent encore le tableau, ce qui fait que la rougeole conduit fréquemment à la malnutrition. Le résultat de l’extension de la vaccination antirougeoleuse dans les grandes villes d’Afrique a été de réduire considérablement le nombre de kwashiorkor et de marasmes dans les services de pédiatrie.
Traitement Comme pour la plupart des maladies virales, il n’y a pas de traitement spécifique. Cependant la fréquence des surinfections, en particulier respiratoires, fait que beaucoup de médecins prescrivent des antibiotiques qui souvent ne sont que préventifs. Par contre il est absolument indispensable de prescrire des soins oculaires avec lavage et collyres antiseptiques et souvent antibiotiques (ou mieux pommade ophtalmique) chez tous les enfants. Dans le Tiers-Monde, les surinfections pulmonaires à entérobactéries ne sont pas rares et il faut en tenir compte pour le choix des antibiotiques.
Il n’y a pas d’antibiothérapie universelle et la bactériologie est fort utile. Sinon l’antibiothérapie probabiliste repose sur l’amoxicilline ou l’association amoxicillineacide clavulanique.
1. Immunoglobulines et vaccinations • Les indications de la sérothérapie sont rares (sujets immunodéprimés ou avec insuffisance cardiaque ou respiratoire lors de la contamination) mais elle interdit toute vaccination dans les 3 mois qui suivent avec un vaccin à virus vivant. En fait, il faut vacciner les sujets contacts au cours d’une épidémie pour protéger l’individu et surtout pour interrompre la circulation du virus. Le vaccin est efficace dans les 3 à 4 premiers jours qui suivent le contage. En cas d’épidémie dans une communauté d’enfants, il faut vacciner aussitôt les plus jeunes, faire un rappel à ceux qui n’ont reçu qu’une dose et s’assurer de l’immunité antirougeoleuse chez les adultes. • Le vaccin antirougeoleux utilisé en France est un vaccin vivant atténué, de souche Schwartz, combiné généralement aux vaccins anti-oreillons et rubéole. Son efficacité est de 95 % et les complications sont rares, en dehors de pics fébriles et de rash vers le 10e jour. Une anergie tuberculeuse d’un mois, comme après la rougeole, est habituelle. La question des encéphalites induites par le vaccin rougeoleux est encore débattue : en fait, celles-ci correspondent (3 à 4 pour 10 millions de doses) aux encéphalites d’origine inconnue d’une population témoin. • Le problème de la vaccination des jeunes enfants n’est pas résolu. Les souches Schwartz et Moraten sont peu actives avant 9 mois et cela n’est pas seulement dû aux anticorps maternels transmis : la non-efficacité du vaccin à 6 mois n’est pas expliquée clairement. Pourtant, en zone tropicale, les rougeoles surviennent tôt dans la vie : à Libreville, 51 % des rougeoles hospitalisées avaient moins de 1 an et 26 % moins de 9 mois. La séroconversion à 6 mois est de 45 % environ. Pour les enfants vivant en zone de forte endémie, il faut vacciner dès 6 mois (vaccin rougeoleux seul) et refaire un rappel avec le ROR à 12 mois. Dans le Tiers-Monde, l’OMS recommande la vaccination à partir de 9 mois. Pour les enfants vivant en France et entrant en crèche, il est recommandé de vacciner par le vaccin rougeoleux entre 6 et 9 mois, suivi d’un rappel ROR à 15 mois. Enfin, la rougeole peut être grave en cas de sida, aussi, bien qu’il s’agisse d’un vaccin vivant, il est recommandé de vacciner les enfants séropositifs pour le VIH s’ils ne sont pas en plein déficit immunitaire (CD4 < 100).
2. Calendrier officiel des vaccinations de 1996 Il recommande la vaccination à partir de 1 an, et un rappel à 11-13 ans, ce qui est justifié pour les raisons exposées plus haut (couverture insuffisante et circulation faible mais réelle du virus). Actuellement, la décision a été prise en France de ramener le rappel à la période 3 à 6 ans, pour augmenter la couverture vaccinale et réduire
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ROUGEOLE
la circulation du virus. En effet, les différentes enquêtes ont montré que le nombre annuel de cas rougeole était de 150 000 à 200 000, avec un déplacement vers les sujets les plus âgés. Pour répondre aux objectifs de l’OMS qui envisage la disparition de la maladie en Europe en 2005, la Direction de la Santé conseille donc deux doses (avant 2 ans et à 3 à 6 ans), avec toujours un rattrapage à 11 ans pour les sujets non vaccinés, seul moyen d’étendre la couverture vaccinale et de réduire le taux d’incidence de la maladie. ■
POUR APPROFONDIR Âge d’incidence et mortalité Dans les pays en développement où le taux de couverture vaccinale est faible, la majorité des rougeoles surviennent avant l’âge de 2 ans. Dans les pays industrialisés, la rougeole est également observée avant l’âge de 2 ans chez les enfants non vaccinés, mais on observe maintenant un grand nombre de rougeoles chez les adolescents et les adultes jeunes vaccinés pendant la petite enfance (rougeole « des collégiens » des Américains). Le déplacement vers un âge plus avancé est une donnée récente et constante dans tous les pays occidentaux. En France, le réseau «Sentinelles de Médecin»s a signalé 30 % de rougeoles chez les sujets âgés de plus de 10 ans. Ce chiffre est de 40 % aux États-Unis. Or les complications et le taux de létalité augmentent avec l’âge. Les pneumonies interstitielles ne sont pas rares chez l’adulte atteint de rougeole. La mortalité due à la rougeole (130 cas par an aux États-Unis) est importante chez l’adulte. Dans les enquêtes anglaises (1971-1988), le taux de létalité était de 10 pour 100 000 chez les enfants âgés de 5 à 9 ans et supérieur à 88 pour 100 000 chez les sujets de plus de 15 ans. Dans les pays du Tiers-Monde, la mortalité est importante chez le jeune enfant (jusqu’à 10 % des cas hospitalisés), mais la circulation du virus étant très grande, les adultes ayant eu la rougeole dans l’enfance se réimmunisent constamment sans refaire la maladie. Ces changements épidémiologiques imposent donc d’adapter les stratégies vaccinales aux différentes conditions locorégionales pour arriver à éliminer la rougeole au début du xxie siècle, selon le vœu de l’OMS.
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Points Forts à retenir Même si la couverture vaccinale augmente, un devoir d’éducation sanitaire, tant auprès du corps médical que des familles, reste prioritaire pour démontrer que la rougeole est une maladie grave avec une mortalité élevée et que la vaccination est indispensable.
POUR EN SAVOIR PLUS Antona D, Verpillat P, Rebière I et al. Mise en place d’une surveillance exhaustive des cas résiduels de rougeole en France. Bull Epidemial Hebd 1996 ; 37 : 163-4. Calendrier Vaccinal 1996-1997. Bull Epidemiol Hebd 1996 ; 35 : 151-2. Direction générale de la santé. Comité technique des vaccinations. Guide des vaccinations. Édition 1995. Gendrel D, Chemillier-Truong M et al. Immunité antirougeoleuse et incidence de la maladie dans une population d’enfants parisiens. Arch Fr Pediatr 1992 ; 49 : 865-8. Lévy-Bruhl D, Maccario J, Richardson S, Guérin N. Modélisation de la rougeole en France et conséquences pour l’âge d’administration de la seconde vaccination rougeoleoreillons-rubéole. Bull Epidemiol Hebd 1997 ; 29 : 133-5. Loubières Y, Fourme T, Page B, Vieillard-Baron A, Jardin F. Rougeole avec atteinte respiratoire chez l’adulte : deux observations. Presse Med 1997 ; 26 : 366-8. Note de la Direction générale de la Santé. Bull Epidemiol Hebd 1997 ; 29 : 133-5
Pédiatrie B 266
Sévices à enfant Diagnostic, conduite médico-légale PR Antoine BOURRILLON 1, M. Yvon TALLEC 2 1. Chef du service de pédiatrie générale et urgences pédiatriques médicales, hôpital Robert-Debré, Paris. 2. Premier substitut, chef de la section des mineurs, parquet du tribunal de grande instance de Paris.
Points Forts à comprendre • Il existe 4 grands types de mauvais traitements : – le syndrome des enfants battus ; – les abus sexuels ; – les négligences graves psychologiques ; – les mauvais traitements émotionnels. • Ils peuvent être associés chez un même enfant. L’identification des enfants victimes de sévices est fonction de la perspicacité des soignants. Les moyens que se sont donnés les sociétés pour protéger leurs enfants sont différents. Les principes du diagnostic demeurent toujours les mêmes. • Circonstances du diagnostic : – l’enfant peut être accompagné par un parent ou un autre adulte pour motif de maltraitance ; – la maltraitance peut être suspectée derrière un autre motif de consultation.
Diagnostic Il est évoqué sur la conjonction d’indices de suspicion le plus souvent cliniques, de données anamnestiques et de résultats d’examens complémentaires systématiques ou orientés. Autant d’informations obtenues lors d’une hospitalisation au mieux consentie par la famille.
Indices de suspicion et informations apportés par l’examen clinique 1. Indices de suspicion de mauvais traitements physiques • Il s’agit en premier lieu de lésions tégumentaires : – hématomes et ecchymoses multiples, de morphologie parfois évocatrice (linéaire, boucle) ; de topographie particulière (visage, cuir chevelu, oreilles, parties couvertes : thorax, région dorsale ; lombes) ; et d’âges différents ; – brûlures (évocatrices si cigarette), siégeant en particulier au dos des mains ou dans la bouche ;
– griffures ou traces de contention aux extrémités des membres ; – morsures ; – plaques de cheveux arrachés. • On recherchera de façon systématique des lésions de la cloison nasale (une éventuelle otorragie), de la région endobuccale, des organes génitaux externes, de l’anus. • Des fractures suspectées par la clinique et confirmées par les examens radiologiques peuvent être : – uniques, diaphysaires, parfois répétées dans le même territoire ; – ou multiples, souvent situées dans certains sites atypiques : côtes, sternum, omoplates. • On retiendra aussi comme évocateurs de sévices : – les arrachements métaphysaires multiples et décollements périostés, souvent latents, découverts par l’examen systématique de l’ensemble du squelette (syndrome de Silverman) ; – des sévices physiques peuvent être également suspectés sur un mode sévère devant des troubles neurologiques aigus (crises convulsives ou coma à début brutal avec pâleur, évoquant un hématome sous-dural, ou des lésions cérébrales d’enfants secoués) ; – un traumatisme crânien ou orbitaire ; – des lésions dentaires ; – des traumatisme viscéraux sévères inexpliqués (rupture viscérale intra-abdominale ; hémopneumothorax).
2. Indices de suspicion de négligences ou de mauvais traitements psychologiques ou émotionnels Ils peuvent être associés aux signes de maltraitance physique (ils doivent être recherchés systématiquement) ou être reconnus isolément. • La négligence physique peut être suspectée sur : – une hygiène corporelle déficiente ; – une conduite parentale diététique inappropriée ; – un retard de croissance staturopondéral sans cause évidente et pouvant aller dans les formes extrêmes jusqu’au « nanisme psychosocial » ; – des administrations médicamenteuses anarchiques ; – des intoxications répétées mal élucidées. • La négligence affective peut s’exprimer sous forme de : – troubles du comportement psychomoteur avec un retard du langage ;
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SÉVICES À ENFANT
– troubles du comportement affectif avec peur excessive ou au contraire quête affective indifférenciée envers tout adulte ; – troubles de l’alimentation (boulimie, anorexie, pica). Le syndrome de Münchhausen par procuration est une forme particulière mais non exceptionnelle de maltraitance. Les parents (habituellement la mère) allèguent des symptômes chez l’enfant conduisant à multiplier les examens et l’hospitalisation, voire les interventions. Toutes ces manifestations, sans être spécifiques de la maltraitance, sont autant d’indices d’appel justifiant d’être intégrés dans le contexte anamnestique et précisé par l’examen.
Données anamnestiques Le recueil des données anamnestiques peut, conduite particulière dans le contexte de la maltraitance, être réalisé de façon simultanée ou postérieure à l’examen clinique, de façon progressive sans qu’à aucun moment aucun des intervenants ne cherche à obtenir un aveu de culpabilité ou n’exprime un jugement ou une accusation. • Il convient de toujours préciser la source des informations : – parents (informations si possible après entrevue séparée du père et de la mère) ou d’autres accompagnants éventuels ; – l’enfant seul, s’il est capable de s’exprimer ; – le personnel paramédical qui a eu l’occasion d’observer l’enfant et le milieu familial. • Il sera toujours nécessaire d’effectuer une analyse critique des facteurs favorisants liés : – aux responsables de l’enfant : éthylisme, chômage ; psychose ou état dépressif ; toxicomanie ; immaturité ou jeune âge parental ; antécédents de sévices à l’enfant dans l’enfance ; – à l’enfant : prématurité ; multiples consultations aux urgences vespérales ou nocturnes ; hospitalisations ou séparations prolongées ; troubles du comportement (agitation ; pleurs incessants ; anorexie ; troubles du sommeil ; handicap physique ou intellectuel) ; – à la fratrie : placements, décision judiciaire ; mort subite inexpliquée ; – au contexte des informations apportées concernant la maltraitance, on retiendra en particulier comme ayant une valeur d’orientation essentielle à toujours prendre en compte : . l’incohérence entre le motif invoqué des consultations et le tableau clinique, . le hiatus entre les explications fournies par les parents en réponse aux questions et les signes physiques observés, . le délai parfois inexplicable entre le début des signes et la consultation médicale, . la responsabilité reportée sur une tierce personne des blessures de l’enfant, . le manque d’intérêt pour la gravité possible de la condition médicale de l’enfant. 990
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Examen clinique Il doit être conduit chez un enfant mis en confiance en évitant les examens douloureux ou agressifs inutiles. La présence d’une personne connue de l’enfant peut continuer à apaiser celui-ci. Cet examen vise à : – une observation des réactions et du comportement de l’enfant : figé, irritable, hostile, indifférent ; – l’évaluation de la croissance staturopondérale et des grands repères de l’acquisition du développement psychomoteur ; – l’inspection des téguments : description détaillée et non interprétative des lésions (coloration, dimension, topographie) ; – l’évaluation de la mobilité des membres et des articulations ; – l’inspection des organes génitaux externes et de la région anale ; – la recherche d’hémorragies rétiniennes (au fond d’œil). Aucun des éléments de l’anamnèse et de l’examen clinique très étroitement intégrés n’est pathognomonique des situations de maltraitance.
Examens complémentaires Certains sont systématiques : numération formule sanguine ; étude de l’hémostase (+ facteur XIII), fond d’œil à la recherche d’hémorragies rétiniennes (enfant secoué) ; transaminases ; recherche de toxique ; examen radiographique du squelette (complet chez l’enfant de moins de 2 ans). Il affirme seul les fractures (cf. supra). D’autres sont orientés selon la clinique : le fond d’œil, l’échographie transfontanellaire ou surtout l’examen tomodensitométrique cérébral, l’échographie abdominale.
Diagnostic différentiel • Les hématomes et les ecchymoses sont fréquents sur la face antérieure des membres inférieurs chez les jeunes enfants. Ils sont plus inhabituels chez le jeune nourrisson. Il importe cependant d’éliminer par l’anamnèse les rituels d’endormissement (hématomes frontaux) ; par l’étude de l’hémostase : une thrombopénie, une hémophilie ou d’autres affections constitutionnelles ou acquises des facteurs de l’hémostase. • Les brûlures doivent être dissociées des lésions vésico-bulleuses d’origine infectieuse ou allergique. • Les ecchymoses seront dissociées des taches mongoloïdes (taches pigmentées sur la peau des Africains ou Asiatiques) ou de certaines thérapeutiques parallèles [Cao-Giao des Asiatiques (topographie linéaire intercostale)]. • Les fractures pathologiques (scorbut, rachitisme) sont enfin moins exceptionnelles que celles liées à d’authentiques fragilités osseuses constitutionnelles très souvent invoquées par la famille.
Pédiatrie
Conduite médico-légale En ville Devant des indices de suspicion de maltraitance, la famille, les proches, le médecin traitant peuvent intervenir dans un premier temps auprès de la PMI (Protection maternelle et infantile), l’ASE (Aide sociale à l’enfance) ou mieux, en orientant l’enfant vers une structure hospitalière. L’accord d’un des parents peut permettre l’hospitalisation que la raison donnée soit véritable ou prétexte. Le numéro vert national (119 ou 08 00 05 41 41) peut également être utilisé par le médecin mais aussi par tout enfant ou adulte, pour demander conseil et faire transmettre un signalement à l’institution adéquate.
À l’hôpital La décision d’hospitalisation est le plus souvent souhaitable. En cas de refus, dans une situation de danger immédiat ou en cas de menace de retrait de l’enfant de la structure hospitalière, il est nécessaire de faire appel en urgence au procureur de la République ou à son substitut et de formuler une demande en urgence d’OPP (ordonnance de placement provisoire) permettant le maintien de l’enfant dans la structure hospitalière. C’est, en effet, en milieu hospitalier que sera réalisée au mieux une période d’observation pendant plusieurs jours, dans un cadre stable sur le plan affectif et stimulant pour l’enfant. Cette observation permettra l’évaluation prolongée de l’environnement et de l’état somatique de l’enfant (comportement, appétit). Elle peut constituer la base d’un projet thérapeutique, en évitant la banalisation et le jugement. Ce projet ne peut être que le fruit du travail d’une équipe : – à l’intérieur du service, réunions de synthèse regroupant médecins, assistante sociale, personnel soignant, psychologue ; – avec les intervenants extrahospitaliers : centres de protection maternelle et infantile, médecin traitant, équipe sociale de secteur, Aide sociale à l’enfance, intersecteur, médecin scolaire. Cette hospitalisation conduit à alerter les autorités administratives ou judiciaires. Un certificat médical initial descriptif, rédigé par un docteur en médecine doit être établi. Il sera transmis en cas de demande d’intervention auprès du procureur de la République ou gardé dans le dossier dans les situations où des mesures judiciaires n’ont pas semblé immédiatement nécessaires. Toutes les conditions pour une surveillance régulière de l’enfant à court terme doivent par ailleurs être réunies après contact avec les services de protection maternelle et infantile, la crèche, l’école ou le service social de secteur. L’essentiel de la conduite médico-légale repose sur le signalement ; il peut être : – administratif (à l’inspecteur de l’Aide sociale à l’enfance), si la coopération de la famille paraît possible ; – ou judiciaire (au procureur de la République) dans le
cas contraire ou si la maltraitance est particulièrement grave ou nécessite une protection immédiate (voir : Pour approfondir).
Le procureur ou son substitut au parquet des mineurs Il peut délivrer une ordonnance de placement provisoire : l’enfant est alors confié pour une durée temporaire à l’hôpital ou à l’Aide sociale à l’enfance. Dans les 8 jours, le juge des enfants sera saisi au titre de l’assistance éducative. Le procureur peut demander une enquête complémentaire (Brigade de protection des mineurs). Si des poursuites sont estimées nécessaires contre les éventuels auteurs de violences, le parquet requerra la désignation d’un juge d’instruction ou transmettra le dossier à la juridiction compétente.
Le juge des enfants Au terme d’un travail d’instruction (enquête sociale complémentaire, audition des familles, expertise) il détermine la mesure qui lui semble la plus appropriée à l’intérêt de l’enfant, ou de l’adolescent. Il peut : – ordonner un complément d’informations ; – ordonner une mesure d’investigations et d’orientation éducative (IOE) ; – ordonner une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) ; – décider du placement de l’enfant (foyer, famille d’accueil ou tiers…) ; – maintenir l’enfant dans sa famille en assortissant cette décision d’obligations précises ; – prononcer un non-lieu en assistance éducative. Dans tous les cas, le juge des enfants doit : – s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée ; – maintenir si possible le mineur dans sa famille. Les décisions prononcées ont, certes, un caractère obligatoire, mais sont susceptibles d’appel. Le retrait des droits d’autorité parentale, rarement envisagé, est identifié plus comme une mesure de protection des enfants que comme une sanction d’une faute des parents. Cette mesure facultative et réversible peut n’être que partielle. Elle est prononcée par la chambre civile du tribunal à la requête du procureur ou de l’un des parents ou en cas d’infractions pénales commises par les parents sur l’enfant par le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. ■
POUR EN SAVOIR PLUS Masson P, Fortin G. Enfants victimes de sévices. In : Bourrillon A et al. (eds). Pédiatrie pour le Praticien. Paris : Masson, 1996 : 116-22. Enfants et adolescents victimes de maltraitance. Guide de l’AP. Paris : Doin, 1997.
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SÉVICES À ENFANT
POUR APPROFONDIR 1 / Sévices à enfant : Définition – Évaluation – Intervenants Définitions « L’enfant maltraité est celui qui est victime de la part de ses parents – ou d’autres adultes ayant autorité sur lui – de violences physiques, de sévices psychologiques, de négligences (ou absences de soins) ou d’abus sexuels pouvant avoir des conséquences graves sur son développement physique ou psychologique » (P. Strauss).
Le chiffre croissant des cas signalés résulte probablement à la fois d’une augmentation du nombre de cas et d’une performance des signalements induits par une meilleure formation des professionnels. Les trois quarts des enfants hospitalisés pour mauvais traitements ont moins de 3 ans, la moitié moins de 1 an. Le pronostic est d’autant plus grave que l’enfant est plus jeune. Deux enfants meurent chaque jour de mauvais traitement. Intervenants
Violence physique
Le médecin
Blessure infligée à un enfant pour quelque raison que ce soit, par une personne responsable de cet enfant
Il doit repérer les enfants victimes de sévices, assurer le diagnostic clinique et en référer aux structures administratives ou judiciaires qui interviendront en première ligne dans les démarches associées visant à la protection de l’enfant.
La notion de « blessure » induit tout dommage tissulaire qui dépasse le stade de la simple rougeur résultant d’une tape à un endroit quelconque sur le corps. La notion de « dommage » tissulaire inclut les ecchymoses, les brûlures, les déchirures, les piqûres, les fractures, les ruptures de viscères, les pertes de fonction d’un membre ou d’un organe. Abus sexuel « Toute participation d’un enfant ou d’un adolescent à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre, qui sont inappropriées à son âge et à son développement psychosexuel, qu’il subit sous la contrainte, par la violence ou la séduction ou qui transgressent les tabous sociaux ». Négligence Il s’agit d’une inadéquation de la famille aux besoins de l’enfant, du point de vue physique (alimentation, habillement, hygiène, soins médicaux, prévention, sécurité de l’environnement) ou affectif (besoins de sécurité) ou social (éducation, socialisation, instruction).
Code de déontologie et textes législatifs Le signalement des sévices à mineur de moins de 15 ans est une obligation pour tout médecin. w L’article 44, alinéa 2 du Code de déontologie médicale précise que le médecin « doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour protéger le mineur victime de sévices ou de privations ». w Les articles 226-13 et 226-14 du nouveau Code pénal (en vigueur depuis le 1er mars 1994), précisent que la loi impose ou autorise la révélation du secret médical pour tous sévices ou privation infligés à un mineur de moins de 15 ans. w La loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance énonce la priorité que constitue la prévention dans le domaine de la maltraitance et privilégie l’évaluation des situations à risques.
Le procureur de la République Les mauvais traitements psychologiques ou émotionnels peuvent être autonomisés Ils incluent les négligences d’origine psychoaffective (cf. supra) ; le rejet de l’enfant ; les menaces et humiliations ; les punitions ou exigences éducatives inadaptées à l’âge de l’enfant ou à ses possibilités (forcing) ; la corruption ; l’exploitation ; toutes agressions psychologiques ayant un caractère prolongé ou répété. Évaluation Toute approche épidémiologique est complexe en raison des difficultés de définition et de l’hétérogénéité des références personnelles, culturelles et de société. En France, en 1997 : • 7 000 enfants ont fait l’objet d’un signalement judiciaire pour mauvais traitements physiques ; • 6 800 pour abus sexuels ; • 5 400 pour négligences graves ; • 1 800 pour violences psychologiques. Chiffres publiés par l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, ODAS, à partir de signalements parvenus dans les départements français et au téléphone national : 05 05 41 24 41.
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Le procureur de la République ou le substitut du procureur chargé des mineurs occupe un rôle de premier plan dans le domaine d’interventions judiciaires concernant les enfants victimes de sévices. Il reçoit les signalements. Il peut : • classer le dossier sans suite ; • rendre en urgence une ordonnance de placement provisoire en cas de danger immédiat à charge pour lui de saisir le juge des enfants dans les 8 jours ; • demander une enquête complémentaire à la Brigade de protection des mineurs ou à la gendarmerie ; • saisir le juge des enfants pour la protection du mineur ; • éventuellement saisir le juge d’instruction ou la juridiction dans les cas où le signalement révèle que des infractions ont été commises. Le juge pour enfants Il est saisi au titre de l’assistance éducative (art. 375 et suivants du Code civil) par le procureur de la République, par le mineur lui-même, un ou les deux parents, le tuteur ou le gardien de l’enfant. Le juge des enfants est par ailleurs le seul magistrat du siège qui peut être saisi d’office.
Pédiatrie
POUR APPROFONDIR (suite) 2 / Signalement Objectif Il n’est pas de dénoncer l’auteur des faits, mais de signaler une situation de danger vis-à-vis d’un enfant, basée sur des faits établis et non de simples soupçons. Rédaction du certificat Le certificat de signalement doit comporter les éléments suivants : • nom et adresse du destinataire ; • nom, qualité et adresse de l’auteur du signalement ; • nom de la ou des personnes qui détiennent l’autorité parentale ; • nom, prénom, date de naissance et adresse de l’enfant maltraité ou présumé maltraité ; • renseignements administratifs concernant les personnes vivant au domicile de l’enfant ; • exposé de la situation motivant le signalement : – date à laquelle la situation a été reconnue, – faits constatés par l’auteur du signalement, – faits rapportés par l’auteur du signalement, – origine des informations contenues dans le signalement (enfant, parents, tiers, travailleurs sociaux). Les informations relatées sont « citées et rapportées au conditionnel » si le médecin n’en n’a pas été le témoin direct : • actions déjà menées dans la famille et limites rencontrées dans la prise en charge (préciser les noms, qualité, adresse des autres professionnels éventuellement contactés ou impliqués) ; • conclusions et avis du rédacteur sur les mesures de protection suggérées, administratives ou judiciaires (en précisant le suivi envisagé par le médecin ou l’équipe médicale) ; • date, signature de l’auteur du signalement ; • envoi par lettre recommandée et maintien d’un double dans le dossier médical.
• des troubles généraux du comportement : chute brutale et continue des performances scolaires ; comportement devenu passif ou au contraire agressif ; attitude de crainte, de soumission, de séduction ; tristesse ; repli sur soi ; mutisme durable ; • une anorexie. Plus rarement, l’attention peut être attirée : • chez les plus jeunes enfants, par des comportements à connotation sexuelle incongrus pour l’âge de l’enfant (paroles, gestes, proposition aux autres enfants de jeux érotiques) ; • chez les enfants plus âgé : fugues ou tentatives de suicide ; troubles alimentaires (anorexie mentale) ; grossesse. Quand il n’y a pas de lésion manifeste, c’est la conjonction d’un ou plusieurs de ces indices qui doit attirer l’attention et faire évoquer le diagnostic notamment chez le jeune enfant. Anamnèse Il convient ici aussi que les informations soient recueillies dans un climat de calme et de confiance. Il sera nécessaire de transcrire aussi fidèlement que possible les mots mêmes de l’enfant, sans chercher à les interpréter. Les informations obtenues viseront à établir : • les circonstances de l’agression (date, lieu, circonstances, menaces associées) ; • le lien (membre de la famille, connaissances, inconnu) de l’agresseur avec la victime ; • la notion d’une toilette ou d’un changement de vêtements après l’agression ; • la recherche d’antécédents médicaux, chirurgicaux ou gynécologiques. Les données de l’examen clinique ont, comme celles de l’anamnèse, valeur médico-légale
Sévices sexuels
1. Examen général
Ils regroupent les abus sexuels commis par un adulte (le plus souvent bien connu de l’enfant), membre de la famille ou proche ; enseignant ; éducateur… La révélation de l’abus sexuel vient le plus habituellement de l’enfant mais reste encore minoritaire (environ 1 cas sur 3).
Apprécier en premier lieu si les vêtements de la victime sont déchirés ou tachés. Il faut alors en faire une description détaillée.
Indices de suspicion Le diagnostic est souvent difficile et repose essentiellement sur le récit de l’enfant. À titre d’orientation, on retiendra que : • les fausses allégations sont assez rares et que dans tous les cas par contre, douter de « la véracité des faits rapportés par l’enfant n’appartient pas au médecin » ; • la rétraction après un premier aveu signe souvent une conduite d’adaptation qui doit a priori davantage renforcer la présomption que l’infirmer ; Les autres symptômes évocateurs du diagnostic sont : • les douleurs abdominales ou pelviennes répétées ; • les épisodes fréquents de cystite ou de vulvite non expliqués ; • les infections génitales à germe inhabituel à cet âge (Chlamydia, gonocoque, maladies sexuellement transmissibles) ; • un saignement vaginal ou rectal ; • une énurésie récente chez un enfant qui avait acquis une propreté diurne et nocturne ; une encoprésie ;
Faire un examen complet, recherchant des signes d’abus physiques ou des indices de négligence associés. Chez l’adolescent, coter le développement pubertaire (stade de Tanner). Apprécier l’état psychologique de la victime (agitation, inhibition). 2. Examen des organes génitaux externes Il doit être fait par un médecin expérimenté, dans un endroit isolé, en prenant le temps nécessaire, selon un protocole précis. Il se limite dans la plupart des cas à une inspection : • du périnée (ecchymoses, lacération, sang, sperme) ; • de la vulve (œdème, érythème, érosions) ; • de l’hymen (déchirure) ; • de l’anus ; • de la verge (irritation, écoulement, traces de striction). L’examen au spéculum, chez l’adolescente, est rarement indiqué. Il sera, si nécessaire, pratiqué au mieux par un gynécologue ou un chirurgien (vérification du col, des culs-de-sac, parois).
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SÉVICES À ENFANT
POUR APPROFONDIR (suite) 3. Prélèvements Les prélèvements locaux doivent assurer : • la recherche de sperme dans tous les sites suspects si l’agression date de moins de 72 heures (vulve, introïtus vaginal) ; bouche (derrière les incisives supérieures). Ces prélèvements s’effectueront à l’aide d’un écouvillon stérile humidifié au sérum physiologique. Il devra être conservé avant examen au laboratoire compétent à + 4 ˚C ; • la recherche d’une cause bactérienne (si signes locaux d’infections) : gonocoque, Chlamydia. Les prélèvements sanguins doivent : • diagnostiquer une éventuelle grossesse : dosage des β-hCG chez l’adolescente pubère ; • rechercher une maladie sexuellement transmissible : sérologie hépatites B et C ; virus de l’immunodéficience humaine (avec l’accord de la victime) ; sérologie syphilitique (TPHA ; VDRL).
Rédiger un certificat médical. Le certificat doit toujours être rédigé même s’il n’a pas été requis. Son double est à conserver dans le dossier. Il doit comporter : • l’identité du médecin signataire avec date et heure de l’examen ; • l’identité et la date de naissance de la victime ; • les déclarations de la victime et de l’entourage comportant : – la date et les circonstances de l’agression telles que rapportées « par l’enfant ou sa famille », – les résultats des examens somatique, général, périnéal, psychologique, – un éventuel risque de grossesse chez l’adolescente, – la signature du rédacteur. Le certificat doit être remis, en cas de réquisition : • à la police sous pli cacheté à l’intention du requérant (commissaire, procureur) ; • aux parents si la victime est mineure ou à la victime elle-même si elle a plus de 18 ans. ■
Conduite médicale Prévention de la grossesse : contraception post-coïtale (si adolescente réglée et agression inférieure à 72 heures) : Stédiril : 2 comprimés aussitôt puis 2 comprimés 12 heures plus tard.
Points Forts à retenir
Prévention d’infection s’il y a lieu : chlamydiase, gonococcie… Hospitaliser l’enfant ou l’adolescent uniquement s’il existe des signes de gravité : • abus intrafamilial ; • retentissement émotionnel important sur la victime ou l’entourage ; • nécessité d’une réparation chirurgicale ; • signes en faveur d’une infection ; • grossesse. En cas de non-hospitalisation : prévoir la prise en charge ultérieure (au minimum rendez-vous de consultation). Conduite médico-légale Conserver les vêtements portés lors de l’agression (dans un sac en papier ou à l’air, pas dans un sac en plastique) en vue d’un placement sous scellés.
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• Le diagnostic est évoqué sur la conjonction d’indices se suspicion souvent cliniques et anamnestiques et sur les données d’examens paracliniques orientés. • Devant des indices de suspicion de maltraitance, la famille, les proches, le médecin peuvent intervenir dans un premier temps auprès de la PMI ou en s’orientant vers une structure hospitalière. • Le juge des enfants, au terme du travail d’instruction, détermine les mesures appropriées.
Pédiatrie B 259
Syndromes de Turner et de Klinefelter Diagnostic PR Jean-Marie LIMAL Département de pédiatrie, centre Robert-Debré, CHU, 49033 Angers Cedex.
Points Forts à comprendre
Syndrome de Turner
Turner. Une malformation rénale associée est aussi un signe d’appel. • Nouveau-né Le syndrome de Turner est parfois révélé par un lymphœdème du dos des mains et des pieds avec palmure du cou, correspondant au syndrome de Bonnevie-Ullrich. Le lymphœdème régresse en général après la naissance, mais il peut réapparaître à l’adolescence sous l’influence du traitement œstrogénique. • Phénotype turnérien classique Depuis la description initiale de Henry Turner en 1938, les signes suivants sont ancrés dans l’esprit des médecins : très petite taille, pterygium colli (cou palmé), implantation basse des oreilles en rotation postérieure et celle des cheveux sur la nuque, fentes palpébrales antimongoloïdes, palais ogival, thorax en bouclier avec écartement mamelonnaire, cubitus valgus, absence de puberté et retard mental modéré. • Autres phénotypes fréquents En réalité, ces symptômes sont variablement associés, inconstants ou inexacts. En particulier, la fréquence du pterygium colli n’est que de 10 % dans certaines séries et tous les intermédiaires sont observés : ébauche de palmure, simple brièveté du cou et même, plus rarement, longueur normale du cou. La notion de retard mental modéré est inexacte, sauf parfois en cas de chromosome X en anneau. De même, la fonction ovarienne peut être préservée. Les symptômes les plus fréquents sont : le retard statural, l’aspect général trapu, la brièveté du cou, l’implantation basse des cheveux sur la nuque, le thorax en bouclier avec écartement mamelonnaire et présence de nævus thoraciques, l’absence de puberté ou l’arrêt du développement pubertaire. L’aphorisme célèbre : « toute petite taille isolée chez la fille doit faire penser au syndrome de Turner » est parfaitement juste.
Diagnostic clinique
2. Troubles de la croissance, anomalies osseuses et puberté
• C’est l’une des plus fréquentes aberrations chromosomiques humaines : son incidence chez le fœtus de sexe féminin est de 3 %, mais en raison de la létalité qu’elle entraîne, sa fréquence n’est que de 1/2 500 naissances environ chez les filles. • Le syndrome de Turner peut être associé soit à une monosomie de l’X, homogène dans toutes les cellules ou en mosaïque, soit à une anomalie de la structure de l’X (délétion). • Les récentes approches moléculaires ont permis d’identifier différents gènes sur le chromosome X dont l’atteinte variable rend compte des différents phénotypes observés. • Parmi ceux-ci, la petite taille et la stérilité liées à la dysgénésie gonadique, prédominent. Ces deux signes correspondent justement à 2 gènes différents sur le chromosome X, repérés grâce à la biologie moléculaire. • La cytogénétique conventionnelle ne permet pas de poser le diagnostic dans tous les cas. Si le résultat est négatif malgré une symptomatologie évocatrice, il faut refaire le caryotype à partir des fibroblastes cutanés (biopsie de peau). • En cas de formule chromosomique 45,X0/46,XY, les gonades dysgénétiques risquent de dégénérer en gonadoblastome et il faut en faire précocement l’ablation.
1. Phénotypes turnériens • Fœtus : le diagnostic prénatal, grâce à l’échographie fœtale, peut être évoqué sur la constatation d’un hygroma kystique ; le caryotype fœtal, à partir des cellules du liquide amniotique prélevées par amniocentèse, démontre si cette anomalie correspond au syndrome de
Le retard statural est présent dans plus de 95 % des cas. • Variabilité d’expression du retard statural Il existe un retard de croissance intra-utérin modéré dans un tiers des cas ; par exemple, les indications fournies par le carnet de santé révèlent typiquement une naissance à terme avec un poids de 2 700 g et une taille de 47 cm.
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SYNDROMES DE TURNER ET DE KLINEFELTER
grande dispersion, allant de 128 cm à 161 cm. Mais les tailles supérieures à 150 cm sont exceptionnelles. Les résultats actuels du traitement par l’hormone de croissance permettent en moyenne de se rapprocher ou de dépasser 1,50 m. • Anomalies osseuses La plus anciennement décrite est celle des genoux avec aspect « en enclume » du plateau tibial interne et verticalisation du condyle fémoral interne. À la main, la brièveté du 4e métacarpien est inconstante. Beaucoup plus fidèle est l’aspect « grillagé » des os du carpe et de l’épiphyse radiale, qui traduit un état de déminéralisation structurelle, incomplètement corrigée par les œstrogènes. L’angle carpien est inférieur à 130 ˚ en raison de l’ascension du semi-lunaire. Le pincement de la partie interne de l’épiphyse radiale et (ou) l’aspect flou de ses contours sont souvent retrouvés. Ainsi, l’observation attentive de la radiographie de la main, toujours demandée pour évaluer la maturation osseuse dans une consultation pour 1 Variabilité d’expression du retard de croissance dans le syndrome de Turner. Dans le cas petite taille, peut souvent orienter vers le syndron° 1, c’est entre l’âge de 3 et 4 ans que le ralentissement de la croissance est observé (cassure de la me de Turner. courbe). La taille finale est située dans la moyenne des turnériennes non traitées par l’hormone de • Puberté dans croissance (GH), c’est-à-dire 1 m 42. Remarquer aussi la taille de naissance de 47 cm : le retard de croissance intra-utérin est fréquent. Le type de courbe du cas n°2 est plus rarement observé : le syndrome de Turner la croissance est normale jusqu’à l’âge de 7 ans, mais le ralentissement n’est bien visible qu’entre Classiquement, ce synl’âge de 9 et 11 ans, ce qui est trompeur ; la taille finale est de 1 m 52. Ce niveau de taille est drome est synonyme rarement observé dans le syndrome de Turner et il faut se méfier d’un infléchissement tardif de la d’absence de puberté, en croissance. Avec le traitement par la GH, la taille atteint fréquemment 1 m 50 ou plus. raison de la dysgénésie gonadique. Cela est exact dans environ 80 % des cas. Depuis l’utilisaLe retard statural apparaît plus ou moins précocement, en tion de l’hormone de croissance, la fréquence des moyenne vers l’âge de 3 ans (fig. 1). Il peut être isolé. pubertés spontanées a progressé, pouvant atteindre Le retard de la maturation osseuse est variable. La taille 40 %. Dans ce cas, la séquence est l’apparition des finale moyenne des turnériennes non traitées par l’horbourgeons mammaires vers l’âge de 12 à 13 ans, mone de croissance est de 142 cm en France, avec une précédée de celle de la pilosité pubienne. La progression 1012
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Pédiatrie
mammaire est variable selon le degré d’atteinte de la fonction ovarienne. Parfois même, les règles apparaissent et l’on connaît de rares cas de grossesse. L’obésité apparaissant à l’adolescence ou favorisée par les œstrogènes est fréquente.
3. Atteintes viscérales et autres symptômes Deux atteintes viscérales sont fréquentes : les malformations rénales et la coarctation de l’aorte. • Les reins peuvent être réunis en fer à cheval, visibles à l’échographie. D’autres types d’uropathies malformatives existent, ainsi que des sténoses vasculaires rénales. La fonction rénale est normale dans le syndrome de Turner. • La coarctation de l’aorte doit être systématiquement recherchée à l’échographie (10 % des cas). À l’inverse, la découverte chez une petite fille d’une coarctation symptomatique (hypertension artérielle) entraîne la réalisation d’un caryotype. Les autres malformations décrites sont la bicuspidie des valves aortiques et un prolapsus valvulaire mitral. De rares cas de dissection aortique ont été rapportés pouvant survenir dès l’adolescence. L’hypertension artérielle peut être observée en dehors de la coarctation. • Anomalies cutanées : outre les nævus cutanés thoraciques qui doivent être surveillés (risque de dégénérescence), il faut signaler la fréquence des cicatrices chéloïdes, notamment après résection cutanée chez les filles ayant un cou palmé. Les ongles sont petits et bombants, les ongles incarnés fréquemment observés aux pieds. • Autres manifestations : l’association avec certaines maladies auto-immunes comme la thyroïdite, plus rarement le diabète sucré est reconnue. Parmi les troubles sensoriels, l’hypoacousie peut être provoquée par la répétition des otites moyennes.
4. Intelligence et comportement L’idée que ces filles turnériennes ont une intelligence souvent inférieure à la normale doit être fortement dénoncée. Depuis le début des années 1980, le mystère qui entourait la maladie, parfois entretenu par les médecins, le trouble des parents à l’annonce du diagnostic, l’image dévalorisée transmise à l’enfant ont contribué à accréditer la notion de QI insuffisant. Depuis une quinzaine d’années, la prise en charge pédiatrique a été considérablement améliorée. L’annonce plus ou moins précoce du diagnostic à l’enfant, l’amélioration du pronostic de taille grâce au traitement par l’hormone de croissance, les associations de parents ont beaucoup contribué à redresser cette image défavorable. En dehors des cas avec chromosomes X en anneau, l’intelligence est normale, quoique les performances en mathématiques soient souvent le point faible. De plus, la féminisation bien conduite par les œstroprogestatifs, la possibilité de procréation médicalement assistée contribuent à valoriser ces jeunes filles dont l’insertion sociale à l’âge adulte devient le plus souvent normale.
Diagnostic du syndrome de Turner : le caryotype • Initialement, le diagnostic cytogénétique de ce syndrome était basé sur l’absence de chromatine sexuelle (corpuscule de Barr) dans les noyaux cellulaires prélevés par frottis buccal. Cet examen a été remplacé par le caryotype (fiabilité insuffisante en raison des mosaïques). • Le caryotype (prélèvement de sang, culture des lymphocytes) montre typiquement une formule chromosomique 45,X0 dans 50 à 60 % des cas. En fait, si l’on multiplie le nombre de cellules examinées, si l’on étudie les fibroblastes en culture à partir d’un prélèvement cutané, la fréquence des mosaïques (45X0/46XX) augmente. Récemment, la biologie moléculaire du chromosome X a permis d’affirmer le diagnostic chez des filles ayant certains signes cliniques avec caryotype normal. Le syndrome de Turner est donc caractérisé soit par la perte d’un X, soit par une anomalie de sa structure. • Les différentes formules chromosomiques ont été indiquées sur le tableau I et la figure 2 : cette variété contraste avec l’aberration chromosomique plus monomorphe du syndrome de Klinefelter. Existe-t-il une relation entre phénotype et formule chromosomique ? Si certains pensent que la présence d’un chromosome en anneau favorise le retard mental, il n’est pas prouvé de relation entre la formule chromosomique et l’intensité du retard statural. Dans environ 5 % des cas, le caryotype révèle une mosaïque 45,X0/46,XY. On observe rarement un certain degré de masculinisation des organes génitaux externes. Les gonades dysgénétiques ont un pouvoir de multiplication cellulaire préservé sous l’influence de l’Y, expliquant la formation fréquente d’un gonadoblastome ; le potentiel métastatique de celui-ci est faible, mais le risque de germinome malin rend l’ablation chirurgicale des gonades indispensable dès la petite enfance.
TABLEAU I Principales anomalies chromosomiques rencontrées dans le syndrome de TurMonosomie haplo X Mosaïques
45,X0 45,X0/46XX (fréquentes) 45,X0/47,XXX 45,X0/46,XX/47,XXX
Isochromosome pour le bras long Chromosome X en anneau Délétions du bras court ou long de l’X À part : mosaïques
45,X0/46XY ou 45,X0/46,XX/46,XY
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pements pubertaires normaux. Ces images peuvent être asymétriques. Ensuite, l’utérus est mesuré : il est normal chez la petite fille. Si la puberté n’apparaît pas, son grand axe ne dépasse pas 32 mm en hauteur. Que les caractères sexuels secondaires apparaissent spontanément ou grâce aux œstrogènes, on peut suivre le développement utérin et l’apparition d’une ligne de vacuité.
Diagnostic hormonal Il était classique de dire que les gonadotrophines plasmatiques, principalement FSH (follicule stimulating hormone) s’élevaient anormalement avant l’âge physiologique de la puberté : cela est vrai s’il n’y a pas de structure ovarienne. Mais si les ovaires sont bien repérés à l’échographie, la montée de FSH, de LH (luteinizing hormone) et de l’œstradiol plasmatiques s’effectue normalement. Fréquemment, on observe un épuisement de la fonction ovarienne au cours ou au décours de la puberté, et les taux de FSH et de LH s’élèvent anormalement, comme on peut le voir à la ménopause. L’élévation de FSH précède celle de LH. La sécrétion d’hormone de croissance est normale dans le syndrome de Turner.
Diagnostic différentiel 2 Différentes anomalies de la structure du chromosome X dans le syndrome de Turner.
Signalons que les études de biologie moléculaire ont démontré que dans 80 % des cas c’est le chromosome X d’origine paternelle qui manque en cas de monosomie ; dans les mosaïques, son absence est à égalité d’origine paternelle ou maternelle. L’âge des parents à la conception n’influence pas la survenue du syndrome de Turner.
Diagnostic radiologique des organes génitaux internes Avant l’introduction de l’échographie pelvienne, la cœlioscopie était couramment utilisée pour obtenir un document anatomique et constater le plus souvent des bandelettes fibreuses dans les fossettes ovariennes. Depuis l’avènement de l’échographie, l’accès radiologique aux organes génitaux internes est facile : l’échographiste observe les régions ovariennes grâce à la réplétion vésicale. Tous les intermédiaires existent : absence de structures ovariennes, souvent remplacées par une bandelette fibreuse, image d’ovaires plus ou moins bien différenciés : ovaires de petite taille sans image folliculaire, ovaires d’aspect normal enfin, avec de nombreux follicules qui expliquent certains dévelop1014
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Le syndrome de Noonan représente la seule situation où la confusion est possible avec le syndrome de Turner. Mais certains traits distinctifs existent : hypertélorisme, ptosis palpébral, fentes palpébrales antimongoloïdes, hypoplasie malaire, pectus excavatum, présence d’ovaires, absence de coarctation de l’aorte : c’est la voie pulmonaire qui est au contraire parfois touchée dans le syndrome de Noonan, où le caryotype est normal. En fait, chez une fille de petite taille, le caryotype s’impose si son phénotype n’oriente pas à l’évidence vers une étiologie.
Points Forts à retenir • La description classique, initialement enseignée, ne représente pas la réalité du syndrome de Turner. • La richesse et la variabilité des symptômes expliquent les fréquentes erreurs de diagnostic par défaut. • Il faut demander le caryotype au moindre doute en cas de retard statural, d’autant que le traitement par l’hormone de croissance améliore le pronostic de taille. • La survenue spontanée de la puberté n’élimine en rien le syndrome de Turner.
Pédiatrie
Points Forts à comprendre • Le syndrome de Klinefelter représente la cause la plus fréquente de stérilité masculine. • Son incidence est plus élevée que celle du syndrome de Turner : 1/500 à 1/1 000 nouveau-nés de sexe masculin. • Il s’agit d’une dysgénésie touchant initialement le tissu exocrine des testicules, c’est-à-dire les tubules séminifères. La hyalinose, puis la fibrose vont enserrer progressivement les cellules de Leydig (testicule endocrine), expliquant la baisse progressive des concentrations de la testostérone circulante qu’il faudra suppléer à l’adolescence et à l’âge adulte. • Au moment où la testostérone s’abaisse, les gonadotrophines, d’abord FSH puis LH, s’élèvent à des valeurs supra-physiologiques, traduisant le rétrocontrôle négatif entre les sécrétions hormonales testiculaires et les gonadotrophines. • Généralement, cette évolution pathologique est observée au cours ou au décours de la puberté, expliquant la régression du volume testiculaire et la dureté des glandes à la palpation. • L’aberration chromosomique responsable est la présence d’un X surnuméraire (47, XXY) venant dans la moitié des cas du père et dans l’autre moitié de la mère. L’X surnuméraire est dû à une non-disjonction méiotique dans la plupart des cas. Quand l’X maternel est en cause, l’âge maternel avancé est un facteur favorisant. • Plus le nombre d’X augmente (48,XXXY, 49,XXXXY), plus le quotient intellectuel diminue et plus la taille est petite. • Il existe des mosaïques 46,XY/47,XXY qui préservent plus ou moins la virilisation et n’entraînent pas toujours d’azoospermie.
Syndrome de Klinefelter Diagnostic clinique 1. Diagnostic prénatal Le risque étant plus élevé lorsque l’X surnuméraire est d’origine maternelle, le caryotype réalisé sur les cellules du liquide amniotique est demandé en cas d’âge maternel avancé et peut révéler le syndrome de Klinefelter.
2. Nouveau-né Le syndrome doit être recherché de principe devant certaines anomalies des organes génitaux externes :
micropénis (taille < 3 cm), cryptorchidie bilatérale (nouveau-né à terme), hypospadias dans le cadre d’un pseudo-hermaphrodisme masculin. Il faut signaler un fait méconnu : la fréquence du poids et du périmètre crânien de naissance inférieurs à la moyenne.
3. Enfance Les enfants peuvent être normaux : organes génitaux externes, aspect général, performances scolaires. Dans d’autres cas, les signes suivants permettent d’orienter le diagnostic : 1. micropénis, volume testiculaire inférieur à la normale ; 2. grande taille, minceur, longues jambes (aspect macroskèle) avec diminution du rapport segment supérieur/segment inférieur ; 3. retard psychomoteur, difficultés scolaires, troubles du caractère, surtout s’ils sont associés aux signes précédents. Rarement une dysmorphie faciale existe : visage carré, rétrognathie, hypertélorisme, signes qui peuvent être plus évidents chez l’adolescent et l’adulte.
4. Adolescence et puberté Il n’existe pas de retard pubertaire, sauf en cas de micropénis ou d’ambiguïté sexuelle découverts à la naissance. Le déroulement de la puberté est variable ; la séquence la plus fréquente est caractérisée par l’augmentation du volume testiculaire, l’apparition de la pilosité pubienne vers 12 à 13 ans, suivies de la croissance de la verge. Souvent, les testicules atteignent 3 à 3,5 cm de longueur. Puis ils subissent un arrêt de développement, suivi d’une régression de leur volume vers 15 à 16 ans. Ce n’est que vers 18 à 20 ans que leur dureté et leur insensibilité sont très caractéristiques. Mais tous les intermédiaires peuvent être observés : arrêt plus précoce de l’évolution ou au contraire, régression plus tardive de l’involution des tubules séminifères. La gynécomastie du syndrome de Klinefelter est un signe fréquent, retrouvé dans 60 à 80 % des cas. Contrairement à la gynécomastie physiologique, qui apparaît vers 14 ans, en milieu de puberté et s’accompagne de testicules ayant atteint plus de 4 cm de longueur, celle du Klinefelter est souvent plus tardive, vers 16 à 17 ans, alors que les testicules sont petits. Le risque de cancer du sein est plus fréquent que chez les hommes normaux.
5. Adulte Lorsque la virilisation d’un adolescent a été normale et si la régression du volume testiculaire est incomplète, le diagnostic peut être porté lors d’une consultation pour stérilité ou impuissance. Certains hommes atteints de ce syndrome ont des testicules de 3,5 cm de long, plus ou moins durs et sensibles : il s’agit souvent de mosaïque 46,XY/47,XXY. C’est aussi en cas de mosaïque que la fertilité peut être préservée. On pourrait faire un parallèle avec le syndrome de Turner : dans les deux syndromes la stérilité est de règle, avec de rares exceptions. L’installation d’une obésité est possible à l’âge adulte, non ou insuffisamment corrigée par la testostérone.
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Croissance et anomalies squelettiques 1. Croissance Elle est variable ; elle n’est pas aussi bien connue et décrite que dans le syndrome de Turner. Cependant, ces garçons ont généralement une courbe de croissance au-dessus de la moyenne, mais on ne peut donner de fréquence exacte ; c’est la longueur excessive des jambes qui est la cause de cette grande taille ; elle ne dépend pas de la sécrétion de la testostérone puisqu’elle est observée avant la puberté, mais elle s’exagère à l’adolescence. À l’inverse, certains enfants ont une taille évoluant au-dessous de la moyenne. On retrouve ces variations dans l’évaluation de la taille finale : selon les séries, la moyenne varie de 1,75 m à 1,80 m avec des extrêmes de 1,63 m à 1,93 m. Il faut remarquer que les sujets ayant plus d’un seul X surnuméraire ont fréquemment une taille inférieure à la normale.
2. Anomalies squelettiques La plus connue est l’apparition d’une scoliose à l’adolescence. Les clichés osseux révèlent parfois des hémi-vertèbres, des blocs vertébraux, des pouces triphalangiens. Les anomalies dentaires sont peu connues mais intéressent les généticiens puisque la croissance des dents est influencée par le dimorphisme sexuel : l’épaisseur de l’émail et de la dentine est inférieure à celle des hommes normaux mais supérieure à celle des femmes.
3. Autres anomalies La prédisposition aux tumeurs et aux cancers est reconnue : tératomes médiastinaux responsables de signes de précocité pubertaire avec sécrétion exagérée d’hormone chorionique gonadotrophique (HCG), lymphomes, leucémies, adénome du foie. La fréquence du diabète sucré est plus élevée que dans la population générale. La bronchite chronique, les ulcères variqueux, l’ostéoporose sont décrits chez l’adulte.
Quotient intellectuel et comportement De grandes variations existent, mais le quotient intellectuel moyen (QI) se situe autour de 90-100 avec des scores parfois élevés (« intelligence supérieure ») ou plus faibles particulièrement si le nombre de chromosomes X augmente. Le QI est généralement supérieur aux performances verbales (troubles du langage). Les troubles du comportement sont très variables : calme, apathie, manque d’initiative contrastent avec des crises d’agressivité pouvant confiner, rarement, à de véritables comportements psychiatriques. Certains sujets, spécialement ceux qui ont plus de 2 chromosomes X, ont été dépistés dans les hôpitaux psychiatriques. 1016
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Ce tableau psychoaffectif variable invite donc à rechercher la cause des différences retrouvées et à approfondir l’évolution des performances de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, puisque les séries pédiatriques manquent de repères pour apprécier l’évolution chez l’adulte. Mais, il a été démontré que la prise en charge précoce de ces enfants avec des moyens pédagogiques et un soutien psychologique adaptés pouvait considérablement améliorer le retard mental et les troubles du comportement : on retrouverait ainsi dans ce syndrome la même évolution concernant la prétendue faiblesse intellectuelle chez les filles turnériennes.
Diagnostic hormonal Avant la puberté, les concentrations de base de FSH et de LH sont normales, mais leur réponse à l’injection de Gn-RH (ou LH-RH) peut être supérieure à la normale. Au début et au cours de la puberté, les valeurs basales de FSH sont anormalement élevées, de même que la réponse des gonadotrophines à la stimulation par la Gn-RH : cela traduit l’insuffisance de sécrétion progressive de la testostérone. Cependant, il existe des variations dans l’apparition de cette séquence pathologique hormonale : plus les testicules sont dysgénétiques, plus les altérations du rétrocontrôle entre testicules et hypophyse seront précoces. À l’inverse, la sécrétion de testostérone peut être longtemps préservée chez un adulte porteur d’une mosaïque 46,XY/47,XXY. La réponse de la testostérone plasmatique après injection d’HCG est normale avant la puberté, inférieure à la normale au cours ou au décours de la puberté. On pense que la gynécomastie est due à l’insuffisance de sécrétion de la testostérone associée à une élévation des protéines porteuses SHBG (sex hormone binding globulin), ce qui entraîne une baisse de la concentration de testostérone libre ; l’autre mécanisme est une augmentation du rapport œstradiol/testostérone. Des anomalies de la fonction thyroïdienne ont été signalées, la montée de la TSH étant parfois insuffisante après stimulation par la TRH (thyrotropin releasing hormone). Environ 10 % des adultes ont des taux élevés d’anticorps anti-thyroglobuline. Cependant, l’insuffisance thyroïdienne cliniquement décelable n’est pas la règle.
Diagnostic cytogénétique Le frottis buccal n’est plus utilisé à titre diagnostique : la chromatine sexuelle est positive et le nombre de corpuscules de Barr observés varie selon le nombre de chromosomes X (1 corpuscule pour 47,XXY, 2 corpuscules pour 48,XXXY). C’est le caryotype qui permet d’établir le diagnostic. la formule chromosomique 47,XXY est retrouvée dans plus de 90 % des cas. Sur le tableau II sont indiquées les diverses formes d’aberrations chromosomiques observées dans ce syndrome. Comme dans le syndrome de
Pédiatrie
TABLEAU II
POUR EN SAVOIR PLUS
Différentes variétés de formules chromosomiques dans le syndrome de Klinefelter
Syndrome de Turner Table ronde sur le syndrome de Turner. In : Journées parisiennes de pédiatrie. Paris : Flammarion Médecine-Sciences, 1998 : 49-83.
47,XXY phénotype typique ; intelligence normale; rarement QI i 48,XXXY taille moyenne inférieure à la normale, QI en règle i ou ii 49, XXXXY taille petite, dysmorphie, QI i i 46, XY/47XXY virilisation plus marquée, azoospermie inconstante 48,XXYY phénotype typique, grande taille, troubles graves du comportement
Turner, des mosaïques sont rapportées mais, faute d’études systématiques à partir de différents tissus, on ne peut évaluer leur fréquence. L’origine de l’aberration chromosomique vient de la non-disjonction des chromosomes sexuels durant la première ou la seconde division méiotiques, soit d’origine paternelle, soit d’origine maternelle. Plus rarement il s’agit d’une non-disjonction mitotique après la fertilisation. L’âge maternel avancé favorise le syndrome de Klinefelter, mais pas autant que dans la trisomie 21. ■
Syndrome de Klinefelter Battin J, Malpuech G, Nivelon JL et al. Le syndrome de Klinefelter en 1993. Ann Pediatr (Paris) 1993 ; 40 : 432-7.
Points Forts à retenir • Le syndrome de Klinefelter doit être évoqué de façon systématique à la naissance et dans l’enfance lorsqu’il existe des anomalies des organes génitaux externes. • Si des troubles du développement psychomoteur et du comportement sont associés, le caryotype s’impose d’autant plus. • Un diagnostic plus précoce permettrait une prise en charge psychologique adaptée pour améliorer ou prévenir les troubles psychoaffectifs. • Un arrêt du développement pubertaire doit faire penser au diagnostic, surtout si une gynécomastie s’associe à des testicules de faible volume et à une grande taille.
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Pédiatrie B268
Torsion du cordon spermatique Diagnostic, traitement d’urgence PR Didier AUBERT, DR Ioanis VALIOULIS Service de chirurgie pédiatrique, CHU Saint-Jacques, 25030 Besançon cedex.
Points Forts à comprendre • La torsion du cordon spermatique provoque une interruption brutale de la vascularisation du testicule. • Le testicule est très fragile à l’ischémie et la torsion des vaisseaux constitue donc une urgence chirurgicale. • Aucun examen complémentaire n’est parfaitement fiable pour le diagnostic qui est clinique. • Devant une «bourse aiguë» chez un enfant ou un adolescent, la torsion du cordon spermatique est le premier diagnostic à retenir. • La torsion du cordon spermatique peut survenir en période anténatale et dans ce cas, se traduire à la naissance par un gros testicule nécrosé indolore ou à l’inverse une anorchidie par atrophie complète.
(gubernaculum testis) ; en arrière et en dedans, toute la surface rétro-épididymaire dépourvue de vaginale. La torsion survient par défaut de ces fixations qui sont soit trop lâches soit trop rapprochées. Ce défaut anatomique est souvent bilatéral et explique le risque pour le testicule controlatéral. Il n’existe pas de causes déclenchantes précises. Ont été invoqués la contraction asymétrique des fibres musculaires crémastériennes créant un couple de torsion, la congestion des veines du cordon qui sont disposées en spirales et certains traumatismes externes comme la marche, le vélo, la masturbation...
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ifférentes pathologies peuvent se manifester sous forme d’une douleur testiculaire avec œdème scrotal, regroupées sous le nom de bourse aiguë ou syndrome orchite aiguë. La torsion du cordon spermatique est une urgence chirurgicale qui repose sur un diagnostic clinique. Cependant, méconnaître ce diagnostic conduit à la perte du testicule avec un fort risque d’incidence médicolégale.
Physiopathologie 1. Causes de la torsion Normalement, le testicule est fixé par 3 points anatomiques solides (fig. 1) qui sont suffisamment écartés pour empêcher le testicule d’être trop mobile : en haut, le cordon spermatique ; en bas le ligament scrotal
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Anatomie normale les 3 points de fixation du testicule : 1. cordon spermatique (vaisseaux et déférent); 2. surface rétro-épididymaire dépourvue de vaginale ; 3. ligament scrotal (gubernaculum testis).
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2. Types anatomiques de torsion du cordon spermatique (fig. 2)
PHYSIOPATHOLOGIE
• La torsion intravaginale est la forme la plus fréquente, en particulier à l’adolescence. La torsion se produit sur la portion intravaginale, juxtatesticulaire, du cordon spermatique. On en rapproche la rare torsion inter-épididymo-testiculaire. • La torsion supravaginale affecte plus particulièrement le nouveau-né et la période anténatale. Le testicule, né dans la région lombaire, et devant se fixer à la bourse, n’a pas toujours achevé sa migration. Il se trouve alors suspendu à son pôle supérieur par le cordon et par son pôle inférieur par un long ligament scrotal. La rotation entre ces deux points fixes entraîne à la fois le testicule et sa vaginale.
3. Conséquences La torsion provoque d’abord une occlusion veineuse réalisant un œdème et un infarctus veineux du testicule. L’obstruction artérielle provoque l’ischémie. Ces lésions vasculaires sont d’autant plus sévères que la torsion est serrée. En moyenne, le délai de 6 h est considéré comme la limite de réversibilité des lésions ischémiques. La lignée germinale est particulièrement sensible à l’ischémie. Selon certaines études encore controversées, la fertilité du testicule controlatéral pourrait être atteinte par des mécanismes auto-immuns provenant du testicule tordu. Pour d’autres, le testicule controlatéral comporterait non seulement les mêmes défauts anatomiques de fixation, mais également une dysgénésie congénitale du parenchyme, coexistante avec les anomalies de fixation. Ces théories permettraient d’expliquer la stérilité de certains patients ayant présenté un antécédent de torsion unilatérale.
Supravaginale
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Types anatomiques de torsion.
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• Défaut de fixation anatomique souvent bilatéral ; • Torsion supravaginale chez le très jeune enfant, torsion intravaginale chez l’adolescent ; • Ischémie rapide avec lésions très précoces de la fonction germinale.
Diagnostic Épidémiologie La fréquence est estimée à 1 pour 4 000 garçons de moins de 25 ans. La torsion peut survenir à tout âge mais avec 2 pics de fréquence : l’adolescence et la période néonatale.
Diagnostic clinique 1. Forme typique de l’adolescent • Une douleur violente au niveau d’une bourse avec irradiation vers la région inguinale ou même la fosse iliaque. • Des nausées et même parfois des vomissements peuvent accompagner la douleur. • La bourse est inflammatoire, très douloureuse, augmentée de volume, la peau scrotale est rouge et œdématiée avec effacement des plis. La palpation, gênée par la douleur vive, perçoit une ascension du testicule qui saille en avant (signe de Gouverneur). Le réflexe crémastérien est aboli du côté atteint. La palpation du testicule controlatéral est normale.
Intravaginale
Inter épididymotesticulaire
Pédiatrie
La température est normale ou légèrement élevée (38 ˚C). Il n’existe pas de symptomatologie urinaire. L’examen clinique général est normal.
2. Formes cliniques de l’adolescent Elles conduisent le plus souvent à des erreurs diagnostiques. • Formes subaiguës : elles sont fréquentes et trompeuses ; le début est plus progressif sur plusieurs heures voire plusieurs jours, les signes locaux sont moins intenses les spires de torsion étant moins serrées, mais le diagnostic de torsion ne doit surtout pas être écarté. • Torsion sur testicule ectopique : en ectopie abdominale droite, la torsion aiguë du cordon spermatique pourrait simuler une crise d’appendicite aiguë. En position inguinale, elle pourrait simuler une hernie étranglée ou une adénite aiguë. Il est donc de règle d’examiner les testicules au cours de tout syndrome abdominal aigu. • Torsion récidivante : l’enfant consulte pour des douleurs scrotales brutales résolues spontanément et pouvant correspondre à des épisodes de torsions récidivantes spontanément réduites.
3. Formes néonatales La torsion survient dans un délai variable avant la naissance ; chez le nouveau-né, elle peut se présenter sous deux aspects : • un gros testicule indolore : à la naissance, l’examen découvre une tuméfaction scrotale unilatérale, ferme, régulière, non douloureuse. La peau est rouge foncé ou bleuâtre et lisse sans pli. Cette forme correspond habituellement à un gros testicule infarci et momifié ; le diagnostic peut faire hésiter avec une tumeur (tératome en particulier) ; • une anorchidie : le nouveau-né présente une bourse vide. La palpation peut retrouver une discrète formation résiduelle. Le diagnostic clinique est difficile entre une cryptorchidie intra-abdominale et une anorchidie secondaire à une torsion anténatale avec résorption testiculaire. Dans ce cas, l’exploration chirurgicale ultérieure, habituellement pratiquée avant l’âge de 2 ans, permettra de retrouver un cordon spermatique se terminant par un minime résidu fibreux ou microcalcifié.
Examens complémentaires 1. Examen des urines Avec une bandelette réactive, c’est un geste de routine au cours même de l’examen clinique de l’enfant. Il confirme l’absence de nitrites ou de pyurie. L’acétone est fréquente si l’enfant est à jeun ou a vomi.
2. Échographie Elle peut permettre de visualiser directement les spires du cordon. L’échographie doppler couleur peut confirmer l’absence de flux sanguin au niveau testiculaire mais elle peut être prise en défaut en raison de l’hyperémie de la peau scrotale.
3. Scintigraphie au technétium 99 M Elle pourrait permettre de contrôler la vascularisation testiculaire mais sa disponibilité est aléatoire. CONDUITE À TENIR La torsion du cordon spermatique reste un diagnostic clinique d’urgence ne justifiant aucune perte de temps par des examens complémentaires dont aucun n’a une parfaite fiabilité. L’exploration chirurgicale d’urgence est une règle sans exception.
Complications évolutives Elles constituent la rançon de tout retard diagnostique ou thérapeutique et peuvent générer des incidences médico-légales.
1. Fonte purulente du testicule La bourse inflammatoire s’ulcère et le tissu testiculaire nécrosé s’élimine au sein d’une fongosité septique.
2. Atrophie testiculaire Elle peut être complète avec disparition du testicule en quelques mois ou provoquer un testicule hypoplasique et ne se développant pas à la puberté.
DIAGNOSTIC CLINIQUE • Bourse aiguë : torsion jusqu’à preuve (chirurgicale) du contraire ; • Examens complémentaires inutiles ; • Se méfier des formes subaiguës ; • Gros testicule indolore dans la forme du nouveau-né.
3. Stérilité Le tissu germinal est très sensible à l’ischémie. La stérilité constitue le risque majeur en cas de torsion sur testicule unique ou de torsion ultérieure d’un testicule controlatéral qui, à tort , n’a pas été fixé préventivement. Le risque de stérilité existe aussi dans le cas d’une simple torsion unilatérale (rôle invoqué de phénomènes auto-immuns, ou de lésions dysplasiques congénitales bilatérales).
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4. Insuffisance endocrine Elle correspond à des situations heureusement rares de perte d’un testicule unique ou des 2 testicules.
Organe de Giraldés Appendice de l’épididyme
Diagnostics différentiels La démarche doit être cliniquement logique en procédant par élimination (fig. 3) Hydatide de Morgagni
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Grosse bourse Hernie ?
Testicule normal Hydrocèle ?
Gros testicule
Froid = tumeur
Aigu = torsion
ou torsion du nouveau-né
jusqu’à preuve opératoire du contraire
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Démarche diagnostique simplifiée.
1. Grosses bourses aiguës Devant une bourse aiguë, les diagnostics différentiels sont opératoires. • La torsion d’une annexe épididymo-testiculaire (hydatide de Morgagni le plus souvent) (fig. 4), fréquente, comporte un tableau clinique moins intense qu’une torsion du cordon spermatique (mais celle-ci peut être aussi moins aiguë que dans sa forme typique).La palpation d’un nodule électivement douloureux au pôle supérieur d’un testicule paraissant normal et non rétracté, une lame d’hydrocèle, la visibilité en transillumination scrotale d’un nodule sombre au pôle supérieur du testicule sont des éléments évocateurs. Cependant l’absence de certitude absolue conduit habituellement à confirmer le diagnostic par l’exploration chirurgicale d’urgence permettant l’ablation simple de l’hydatide tordue et nécrosée et la disparition rapide de la douleur. 330
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Vas aberrans de Haller
Les annexes épididymo-testiculaires.
• Orchi-épididymite : fièvre et signes urinaires (dysurie, pollakiurie) s’ajoutent à la symptomatologie d’une bourse inflammatoire douloureuse. La recherche d’un contexte ourlien est systématique. Contrairement à la torsion, le soulèvement du testicule diminue la douleur (signe de Prehn). Mais en dehors de tels contextes cliniquement évidents, c’est là encore le plus souvent la vérification opératoire qui redressera le diagnostic. • Œdème idiopathique scrotal : d’origine allergique ou infectieuse, il se traduit par un aspect inflammatoire scrotal rapide particulier : rougeur diffuse étendue à tout le scrotum et pouvant déborder en ailes de papillon sur le pubis, la verge, le périnée et la racine des cuisses, non douloureuse et surtout avec palpation testiculaire normale. Sa résolution est spontanée en 24 ou 48 h sans séquelles. • Traumatisme testiculaire : le diagnostic différentiel est évoqué soit parce que la notion de traumatisme est dissimulée par l’enfant soit, à l’inverse, qu’un prétendu traumatisme soit invoqué dans la survenue de la bourse aiguë qui est pourtant une authentique torsion. Des signes cutanés de traumatismes et des signes échographiques d’hématome ou de rupture de l’albuginée permettent d’orienter le diagnostic. • La hernie inguino-scrotale étranglée ne constitue réellement un diagnostic différentiel que chez le nourrisson : prolongement inguinal d’une masse douloureuse, gargouillements ou rénitence digestive, vomissements sont des indicateurs cliniques précieux. Mais il faut se rappeler que la hernie étranglée du nourrisson provoque une compression extrinsèque des vaisseaux spermatiques avec une incidence rapide sur la vitalité du testicule. • Le purpura de Henoch Schönlein peut s’accompagner d’une vascularite testiculaire. Les signes cutanés associés guident le diagnostic. Mais une authentique torsion associée est toujours possible.
Pédiatrie
2. Grosse bourse froide
3. Surveillance ultérieure
Le diagnostic différentiel avec une torsion du cordon spermatique ne se pose en pratique que dans sa forme néonatale avec : • une tumeur testiculaire (tératome en particulier) ; • une hydrocèle sous tension (épanchement parfaitement transilluminable).
Le risque d’hypotrophie ou d’atrophie secondaire d’un testicule conservé après détorsion est au moins de 60 % et justifie d’en prévenir les parents et de revoir l’enfant 4 à 6 mois plus tard avec une mensuration échographique des testicules, particulièrement dans la période de croissance testiculaire pubertaire. ■
En pratique et contrairement à la situation d’une bourse aiguë, il n’existe pas d’urgence chirurgicale immédiate et les examens complémentaires (échographie, marqueurs biologiques) permettent de lever un éventuel doute. • La varicocèle de la prépuberté n’est qu’à citer, tant son aspect clinique est différent d’une torsion testiculaire.
Traitement Il est une extrême urgence. Il a 3 buts : – rétablir la vascularisation testiculaire ; – prévenir la récidive en fixant le testicule ; – prévenir une torsion controlatérale ultérieure en fixant le testicule opposé.
1. Détorsion manuelle Elle peut être tentée en salle d’examen. En principe, elle se fait vers l’extérieur par rapport au raphé médian (sens horaire pour le testicule gauche, anti-horaire pour le droit), et la manœuvre doit soulager, mais en pratique elle reste difficile en raison de la douleur et de l’ignorance du sens de la torsion et du nombre de tours de spires.
Points Forts à retenir • Toute bourse aiguë chez un enfant ou un adolescent doit d’abord être considérée comme une torsion du cordon spermatique et conduire à une exploration chirurgicale en urgence dans un délai de moins de 6 heures. • Les formes cliniquement subaiguës sont fréquentes et responsables de la majorité des retards diagnostiques. Dans le doute ne jamais s’abstenir. • Les examens complémentaires ne sont pas fiables et risquent de faire perdre du temps. • Le testicule controlatéral doit être fixé préventivement. • S’il n’a pas dû être enlevé d’emblée en raison d’une nécrose irréversible, le testicule détordu chirurgicalement doit être ultérieurement surveillé cliniquement et par échographie en raison du risque d’atrophie secondaire. • Chez un nouveau-né, un gros testicule sans signe inflammatoire doit faire évoquer une torsion anténatale ou une tumeur.
2. Exploration chirurgicale Elle est réalisée selon les habitudes par voie scrotale (orchidotomie) ou par voie inguinale. Elle permet de constater le type anatomique de la torsion, et la vitalité du testicule. La détorsion est accompagnée de l’application locale de sérum tiède, de l’infiltration du cordon par des vasodilatateurs (Xylocaïne) pour favoriser la revascularisation. Si le testicule peut être conservé, il est fixé par plusieurs points de fils non résorbables qui doivent être judicieusement placés (risque de lésions vasculaires au pôle inférieur). Le testicule opposé doit être fixé préventivement. Dans le cas particulier du nouveau-né, la torsion est habituellement ancienne et ne justifie pas la même urgence opératoire. Selon les équipes, la fixation préventive controlatérale peut être différée de quelques mois en raison de la grande fragilité du testicule à cet âge.
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B 260
Trisomie 21 Épidémiologie, diagnostic, évolution Dr Claire GAY Service de pédiatrie et génétique, CHU de Saint-Étienne, hôpital Nord, 42055 Saint-Étienne cedex 02
Points Forts à comprendre • La trisomie 21 est une anomalie du nombre de chromosomes ou aneuploïdie avec présence de 3 chromosomes 21 au lieu de 2. Il s’agit de la première aberration chromosomique décrite chez l’homme par Lejeune et collaborateurs en 1959. • Le diagnostic anténatal est possible aboutissant le plus souvent à une interruption thérapeutique de grossesse. • Les signes cliniques néonataux habituellement évocateurs doivent conduire à une confirmation du diagnostic par le caryotype, à une annonce précoce aux parents et à un dépistage des malformations associées. • L’évolution est marquée par le retard mental et de multiples complications.
Épidémiologie La trisomie 21 est la plus fréquente des anomalies chromosomiques. Elle est responsable de nombreuses fausses couches spontanées précoces. Sa fréquence est identique dans tous les groupes ethniques soit 1 pour 700 naissances avec un léger excès de garçons (sex ratio = 0,6) ; en France, 1 000 enfants atteints de trisomie 21 naissent chaque année. Le seul facteur de risque identifié est l’âge maternel.
Risque de trisomie 21 en fonction de l’âge maternel 20 ans
1/1 500
30 ans
1/1 000
35 ans
1/400
38 ans
1/200
40 ans
1/100
45 ans
1/30
Diagnostic Anténatal L’anomalie chromosomique peut être identifiée par caryotype fœtal réalisé en raison : d’un âge maternel supérieur ou égal à 38 ans ; de l’existence d’un remaniement chromosomique chez les parents ou d’une trisomie 21 dans la fratrie ; de l’existence de signes d’appel à l’échographie fœtale : augmentation de l’épaisseur de la clarté nucale (> 3 mm) à la 12e semaine d’aménorrhée ; malformation cardiaque, digestive ou urinaire, fémur court, dépistés à 20-22 semaines d’aménorrhée ; d’un risque supérieur à 1/250 calculé à partir du taux des marqueurs sériques maternels, β-hCG et α-fœtoprotéine et de l’âge maternel, dépistage proposé entre 15 et 17 semaines d’aménorrhée à toute femme enceinte. Le caryotype fœtal peut être réalisé sur cellules recueillies par amniocentèse pratiquée à partir de la 15-16e semaine d’aménorrhée (après datation par échographie) ou par biopsie de trophoblaste plus précoce (10-11e semaine d’aménorrhée), plus rarement par ponction du cordon in utéro dans des conditions de diagnostic prénatal plus tardives. Le diagnostic anténatal de trisomie 21 conduit le plus souvent à une interruption médicale de grossesse.
Néonatal 1. Diagnostic clinique • Les signes dysmorphiques sont souvent évidents mais non spécifiques, d’où la confirmation absolument nécessaire par le caryotype. Il existe une microcéphalie avec nuque plate, courte, avec excès de peau. La face est arrondie, « lunaire » et plate. Le nez est court à racine aplatie. Au niveau des yeux, il existe une obliquité des fentes palpébrales en haut et en dehors, un épicanthus, des taches punctiformes blanches de Brushfield à la périphérie de l’iris. Les oreilles sont petites, arrondies, à bord supérieur parfois horizontalisé, le conduit auditif externe est étroit. La bouche est petite avec des lèvres un peu épaisses, une langue assez volumineuse qui deviendra fendillée, et souvent extériorisée. L’abdomen est distendu du fait de l’hypotonie, une hernie ombilicale est fréquente. Les organes génitaux externes sont normaux ; une ectopie testiculaire est assez fréquente cependant. Les mains sont trapues avec des doigts courts, en particulier le pouce et l’auriculaire, hyperlaxes, avec clinodactylie (incurvation) fréquente du 5e doigt, pli palmaire transverse LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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unique, bilatéral dans 25 % des cas, unilatéral dans 15 % des cas. Les pieds sont petits et larges avec de façon caractéristique un espace élargi avec pli plantaire assez profond entre le 1er et le 2e orteil. La peau est sèche et présente un livédo.
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– malformations ostéoarticulaires : pied bot, syndactylie, scoliose, instabilité atlas-axis.
2. Diagnostic cytogénétique Le caryotype est indispensable pour préciser le type d’anomalie. • Trisomie 21 libre et homogène dans 92 % des cas, par nondisjonction des chromosomes lors de la première ou de la deuxième division méiotique, le plus souvent maternelle. • Trisomie 21 par translocation dans 5 % des cas : le chromosome 21 surnuméraire est transloqué sur un autre chromosome, le plus souvent chromosome acrocentrique par translocation robertsonienne avec un chromosome 13, 14 ou 15, translocation héritée d’un parent dans 1 cas sur 2, ou avec un chromosome 21 ou 22, translocation généralement de novo.
Trisomie 21. Pli palmaire unique.
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Trisomie 21. Pli plantaire entre le 1er et le 2e orteil.
• L’hypotonie musculaire et l’hyperlaxité ligamentaire sont constantes. • Les malformations sont fréquentes en association : – les malformations cardiaques, présentes dans 40 à 50 % des cas, doivent être dépistées par une échographie dans les premiers jours de vie, même en l’absence de signe clinique (souffle cardiaque, cyanose) : canal atrioventriculaire le plus fréquent, communication interventriculaire et interauriculaire, persistance du canal artériel, tétralogie de Fallot ; – les malformations digestives sont diagnostiquées à l’occasion de signes cliniques : atrésie duodénale la plus fréquente (syndrome occlusif haut précoce), atrésie de l’œsophage (dépistée à la naissance par le passage systématique d’une sonde gastrique), imperforation anale, maladie de Hirschsprung, sténose du pylore secondaire ; – malformations urinaires : hydronéphrose ou méga-uretère ; – malformations oculaires avec cataracte congénitale dans 3 à 4 % des cas à diagnostiquer de façon précoce pour un éventuel traitement chirurgical efficace ; 1000
Caryotype sanguin d’une trisomie 21 libre.
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Caryotype sanguin d’une trisomie 21 par translocation 21/21.
Pédiatrie • Trisomie 21 en mosaïque, rare (3 % des cas) par accident mitotique après la fécondation au cours des premières divisions du zygote, avec proportion variable de cellules normales et de cellules trisomiques 21 d’où une expression clinique, elle aussi très variable. • Trisomie 21 partielle, exceptionnelle, résultant parfois du déséquilibre d’une translocation réciproque parentale, le phénotype de la trisomie 21 étant lié à la présence en triple exemplaire du segment distal du bras long du chromosome 21. • Trisomie 21 associée avec une autre aneuploïdie : syndrome de Klinefelter (XXY), triploïdie X, plus rarement monosomie X, trisomie 18.
3. Autres anomalies biologiques • Hyperuricémie. • Diminution de la lobulation du noyau des polynucléaires neutrophiles. • Augmentation d’activité d’enzymes codées par des gènes localisés sur le chromosome 21 : superoxyde dismutase. Avec le résultat du caryotype, demandé en urgence et obtenu en quelques jours, il est important de faire une annonce du diagnostic précoce aux parents, moment délicat, par un pédiatre de préférence et, si possible, par celui qui suivra l’enfant ultérieurement. Avant le résultat du caryotype, on peut signaler l’hypotonie nécessitant la réalisation d’une prise de sang (voir : pour approfondir / 1)
motrices se font avec retard, la marche est en moyenne acquise à l’âge de 2 ans. Le retard de langage est souvent important. L’affectivité, la sociabilité sont en général préservées. Le quotient intellectuel moyen est de 50 à l’âge de 5 ans et de 38 à l’âge de 15 ans.
Complications 1. Cardiopathies En l’absence de cardiopathie congénitale, il peut se développer une insuffisance mitrale par prolapsus ou une insuffisance aortique. Un canal atrio-ventriculaire ou une communication interventriculaire peuvent bénéficier d’une chirurgie efficace avant l’âge de 1 an, mais le risque opératoire est important. Une défaillance cardiaque doit bénéficier d’un traitement médical adapté. Un syndrome d’Eisenmeger peut se développer rapidement. Il existe un risque classique d’endocardite infectieuse.
2. Sensibilité accrue aux infections Les infections ORL sont fréquentes mais aussi les infections bronchopulmonaires. Favorisées par un déficit immunitaire et par l’hypotonie.
3. Leucémie aiguë Le risque de leucémie myéloïde aiguë est multiplié par 20.
4. Vision et audition
Évolution Dysmorphie Elle se modifie avec l’âge, l’aplatissement de l’ensellure nasale et l’épicanthus s’atténuent, la protrusion de la langue peut parfaitement être rééduquée.
Croissance et puberté En général, la taille des enfants porteurs de trisomie 21 est assez nettement inférieure à la moyenne : taille adulte des filles à 145 cm (134 à 157), taille adulte des garçons à 155 (145 à 165). Au début de la vie, une mauvaise prise de poids peut être liée à une cardiopathie ou à des mauvaises tétées en raison de l’hypotonie. Ultérieurement, une prise de poids excessive pose souvent problème ; elle est en général liée à des erreurs alimentaires. La puberté est habituellement normale avec cependant, semble-t-il, une fréquence un peu plus élevée de puberté plus précoce. Les filles sont fécondes avec un risque de 50 % d’enfant trisomique.
Vieillissement Il est plus précoce. La durée de vie est actuellement en augmentation.
Retard mental Il est constant mais peut varier dans des limites assez larges selon les sujets, s’accentuant avec l’âge. Les acquisitions
• Outre la cataracte malformative, les troubles visuels sont fréquents : strabisme, astigmatisme, myopie ; une consultation régulière spécialisée est préconisée. • Un trouble de l’audition est assez fréquent, souvent difficile à dépister, en partie lié aux infections ORL, et risquant d’aggraver le retard des acquisitions.
5. Insuffisance thyroïde L’insuffisance est le plus souvent périphérique, initialement asymptomatique, d’où la proposition d’un dosage hormonal systématique une fois par an.
6. Complications orthopédiques L’hyperlaxité peut entraîner une luxation de l’épaule, de la rotule, une instabilité des hanches ; il y a un risque de luxation atloïdo-axoïdienne.
Prise en charge Une prise en charge adaptée est donc nécessaire : dépistage et traitement des affections médicales ; insertion familiale, à la crèche, à l’école maternelle puis en structure éducative spécialisée en partenariat avec des services de soins et de guidance (CAMSP: Centre d’action médico-sociale précoce ; SESSD : Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile ; groupes associatifs GEIST : Groupe d’étude et de recherche pour l’intégration des personnes porteuses d’une trisomie 21). ■ LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48
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POUR APPROFONDIR 1 / Conseil génétique Décret n° 95-559 du 6 mai 1995, article R. 162-16-7 : « Les analyses de cytogénétique ou de biologie destinées à établir un diagnostic prénatal doivent avoir été précédées d’une consultation médicale de conseil génétique *, antérieure aux prélèvements permettant : – d’évaluer le risque pour l’enfant à naître d’être atteint d’une maladie d’une particulière gravité, compte tenu des antécédents familiaux ou des constatations médicales effectuées au cours de la grossesse ; – d’informer la femme enceinte sur les caractéristiques de cette maladie, les moyens de la détecter, les possibilités thérapeutiques et sur les résultats susceptibles d’être obtenus au cours de l’analyse ; – d’informer la patiente sur les risques inhérents aux prélèvements, sur leurs contraintes et leurs éventuelles conséquences. Le médecin consulté délivre une attestation signée certifiant qu’il a apporté à la femme enceinte les informations définies ci-dessus. Cette attestation est remise au praticien effectuant les analyses. Elle doit être conservée par l’établissement public de santé ou le laboratoire d’analyses de biologie médicale dans les mêmes conditions que le compte rendu d’analyses. » * Cette consultation peut être assurée par un médecin quelle que soit sa spécialité.
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Points Forts à retenir • La suspicion clinique de trisomie 21 à la naissance doit être obligatoirement confirmée par le caryotype qui précise le type d’anomalie. • Le pronostic vital est amélioré par une meilleure prise en charge des malformations et complications fréquemment associées. • Une éducation précoce et adaptée est nécessaire pour la meilleure insertion possible. • Un diagnostic prénatal fiable est possible pour les femmes à risque.
POUR EN SAVOIR PLUS De Grouchy J, Turleau C. Trisomie 21. Atlas des maladies chromosomiques. Expansion scientifique française 1982 : 338-5. Céleste B, Lauras B. Le jeune enfant porteur de trisomie 21. FAC psychologie. Nathan Université, 1997. Ingrand J. Les marqueurs sériques maternels et l’évaluation du risque de trisomie 21 fœtale. Diagnostic et prise en charge des affections fœtales. Paris : Vigot, 1996 : 13-44.
Pédiatrie A 88
Tumeur abdominale de l'enfant Orientation diagnostique DR Rémi DUBOIS, PR Jean-Paul CHAPPUIS Service de chirurgie pédiatrique, hôpital Edouard Herriot,69437 LYON Cedex 03
Points Forts à comprendre • Quelles que soient leur origine et leur localisation, les tumeurs abdominales de l'enfant ont une traduction clinique essentiellement antérieure. • Elles se développent soit dans la cavité péritonéale, soit dans l'espace rétro-péritonéal, soit dans le pelvis. • La séméiologie de l'adulte est souvent prise en défaut : une tumeur hépatique peut donner un contact lombaire, une volumineuse tumeur rénale peut faire évoquer un gros foie, une tumeur pelvienne peut être à développement essentiellement abdominal. • Les 3 plus fréquentes sont, par ordre décroissant : le neuroblastome, le néphroblastome et le tératome. • Le diagnostic étiologique d'une tumeur abdominale doit être considéré comme une urgence. • La biopsie est rarement utile pour arriver au diagnostic précis ; elle est parfois dangeureuse.
L
es tumeurs abdominales représentent 15 à 20 % de l'ensemble des tumeurs de l'enfance. Elles sont développées dans un espace anatomique aux limites strictes : en avant du plan musculaire postérieur, en arrière du plan musculaire antérieur, en dessous du diaphragme et au-dessus du plancher des releveurs. En fait, seules les limites inférieures prêtent à discussion : on élimine par définition les tumeurs sacro-coccygiennes à développement externe, qui forment une entité particulière.
ou de troubles du transit, soit au cours d'une échographie faite devant un quelconque signe d'appel abdominal. La tumeur peut être découverte à l'occasion d'une complication aiguë chirurgicale : torsion d'une tumeur de l'ovaire, invagination intestinale aiguë sur lymphome, rupture d'une tumeur rénale. Exceptionnellement, des signes d'appel orientent vers une tumeur abdominale : hématurie, hypertension artérielle (HTA), aniridie, hémi-hypertrophie corporelle, syndrome endocrinien. Ce peuvent être également des signes évoquant une métastase: nodule cutané, tumeur orbitaire, douleur osseuse ou adénopathie superficielle.
Examen clinique Un seul examen clinique, complet et réalisé avec douceur en raison des risques de rupture d'une éventuelle tumeur rénale, appréciera la forme, le siège, le volume, la consistance et la mobilité de la tumeur. Le toucher rectal permet d'apprécier son développement endo-pelvien et de préciser si elle est pré ou rétro-rectale. Enfin, l'examen recherchera une hépatomégalie ou des adénopathies superficielles.
Examens paracliniques Ils doivent être entrepris rapidement de façon à raccourcir le plus possible le délai entre la découverte de la tumeur et le début de son traitement. Il faut limiter son choix aux seules techniques utiles et nécessaires et selon une méthodologie précise évitant délais et examens superflus. Ils permettent le plus souvent de faire le diagnostic étiologique.
1. Radiographie simple de l'abdomen De face et de profil, elle permet d'identifier des calcifications de nombre et de taille variables et d'apprécier le retentissement intestinal de la tumeur.
Circonstances de découverte 2. Échographie en première intention La découverte est généralement fortuite, soit par la maman qui constate une augmentation de volume de l'abdomen, soit par le médecin au cours d'un examen systématique ou à l'occasion de vagues douleurs abdominales
Elle est très utile, fiable et non invasive. Elle distingue immédiatement la nature solide, liquidienne ou hétérogène d'une tumeur, sa situation et ses rapports, la présence
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• L'urographie intraveineuse est rarement nécessaire actuellement : elle est progressivement remplacée par le scanner avec injection suivie d'un cliché simple des voies urinaires. Elle garde quelques indications dans les tumeurs et les malformations rénales. • L' imagerie par résonance magnétique est parfois un nécessaire complément du scanner dans les tumeurs médianes ou les tumeurs à prolongement intrarachidien. • La scintigraphie ou d'autres dosages biologiques seront faits secondairement en fonction des orientations diagnostiques données par les examens précédents. • L'artériographie n'a que d'exceptionnelles indications.
1
Image tomodensitométrique d’un neuroblastome susrénal gauche.
2
Reconstruction au scanner d’un neuroblastome refoulant les éléments vasculaires en avant.
d'adénopathies profondes ou de métastases hépatiques. Ces deux examens de débrouillage, faciles et rapides à obtenir, vont orienter le diagnostic et déclencher d'autres examens, le plus souvent réalisés en milieu hospitalier.
3. Tomodensitométrie abdominale Avec et sans injection, elle permet de préciser les caractéristiques de la tumeur, ses rapports précis, la présence d'adénopathies ou de métastases.
4. Dosages biologiques Ils sont systématiques à la recherche d'un neuroblastome (acide vanylmandélique (VMA), acide homovanilique (HVA) et dopamine urinaires), ou d'un tératome (alphafœto-protéine et gonadotrophines chorioniques sériques).
5. Autres examens paracliniques Ils pourront être pratiqués en fonction de la localisation ou de l'étiologie suspectée. 2058
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Diagnostic étiologique 1. Neuroblastome • Généralités : tumeur du système nerveux sympathique, le neuroblastome ou sympathoblastome se développe à partir des cellules primordiales du système sympathique, nées des crêtes neurales. Selon la localisation des cellules d'origine, on distingue les neuroblastomes médians et les neuroblastomes latéraux avec parfois des prolongements intrarachidiens par les trous de conjugaison réalisant des tumeurs en sablier. Ces tumeurs sont situées dans 60 % des cas dans le rétropéritoine, mais aussi dans le thorax (30 %), dans le pelvis (5 %) et dans le cou (5 %). La fréquence est de 1 pour 100 000 habitants, le neuroblastome est la plus fréquente des tumeurs abdominales de l'enfant. Il survient le plus souvent avant l'âge de 2 ans.
TABLEAU I Classification du neuroblastome À l'issue des examens, le stade évolutif du neuroblastome est établi selon la classification d'Evans : o Stade I : tumeur limitée à l'organe. o Stade II : tumeur ne dépassant pas la ligne médiane, avec ou sans ganglions unilatéraux. o Stade III : tumeur franchissant la ligne médiane, avec ou sans ganglions bilatéraux. o Stade IV : tumeur + métastases à distance. o Stade V : tumeur de stade I ou II + métastases non squelettiques. Un cas particulier rencontré chez le nouveau-né et le nourrisson est le stade IV-S (syndrome de Pepper) qui se traduit par une hépatomégalie métastatique. Cette forme est individualisable car elle a une tendance parfois remarquable à la guérison, spontanément ou avec une chimiothérapie légère ; dans d'autres cas, elle est gravissime en raison de l'importance de l'hépatomégalie qui entraîne une compression abdominale et thoracique.
Pédiatrie TABLEAU II Principes thérapeutiques du neuroblastome 1/ Les moyens thérapeutiques o Chimiothérapie : Endoxan, vincristine, adriamycine, cisplatine, melphalan, VP 16. Les doses, les associations et les séquences d'administration des différents produits sont importantes. o Chirurgie : concerne tout neuroblastome au cours de son évolution, le plus souvent après chimiothérapie. o Radiothérapie : bien que le neuroblastome soit radiosensible, elle est peu utilisée en raison des séquelles chez l'enfant (osseuses et musculaires). o Greffe de moelle : après une chimiothérapie massive et irradiation totale. 2/ Les indications o Stades I et II : chirurgie puis surveillance simple. Si exérèse incomplète ou ganglions envahis : chimiothérapie. o Stade III : 4 cures de chimiothérapie puis chirurgie puis chimiothérapie si résidus ± greffe de moelle. o Stades IV et V : 4 cures de chimiothérapie puis chirurgie puis chimiothérapie + greffe de moelle.
• Anatomopathologie : il est généralement volumineux, hypervascularisé, adhérent aux organes de voisinage et difficilement mobilisable. À la coupe, il est très hétérogène avec des zones kystiques et encéphaloïdes, des plages hémorragiques et nécrotiques. • L'évolution se fait rapidement vers la généralisation par voie lymphatique et hématogène avec des métastases osseuses et médullaires, hépatiques (syndrome de Pepper) ou pulmonaires. Le potentiel évolutif de ces tumeurs est cependant très surprenant : régression ou maturation spontanées ou sous l'effet du traitement, récidive après traitement. • Spécificités cliniques : hormis le syndrome tumoral, l'attention peut être attirée par une anémie, une diarrhée chronique, une HTA ou un syndrome opsomyoclonique (syndrome cérébelleux, mouvements involontaires, myoclonies oculaires) ou une complication (paraplégie d'un neuroblastome en sablier). Des métastases peuvent également être au premier plan ; 50 % des neuroblastomes sont en effet métastatiques lors du diagnostic: ganglions sus-claviculaires, douleurs osseuses, exophtalmie par métastase orbitaire (syndrome de Hutchinson). • Radiologie : l'abdomen sans préparation (ASP) peut montrer de fines calcifications disséminées intratumorales. L'échographie et le scanner précisent la taille et l'extension locale de la tumeur par rapport aux gros vaisseaux et aux organes voisins. La scintigraphie à la MIBG, méta-iodobenzylguanidine) permet d'affirmer le diagnostic puisque les cellules fixent électivement ce marqueur. Elle permet d'emblée un bilan d'extension et est très utile pour la surveillance de l'effet thérapeutique. La recherche des métastases nécessite : radiographie pulmonaire, échographie abdominale, scanner abdominothoracique, scintigraphie à la MIBG, biopsies osseuses et médullaires. • Biologie : le neuroblastome est capable de synthétiser des catécholamines dont les métabolites sont retrouvés dans les urines dans 95 % des cas. La tumeur est d'autant moins sécrétante qu'elle est plus mature. On retrouve ainsi dans les urines : VMA, HVA et dopamine. C'est cette présence de métabolites urinaires qui a permis des expériences de dépistage systématique du neuroblastome chez le nourrisson, en France dans le département du Rhône, au Canada ou au Japon. • La biopsie à l'aiguille ne trouve sa justification que dans les neuroblastomes non sécrétants et non fixants et pour étudier sur les cellules tumorales l'amplification de l'oncogène n-myc qui est un très bon facteur pronostique.
2. Néphroblastome ou tumeur de WILMS
3
Scintigraphie à la MIBG, syndrome de Pepper.
• Généralités : le néphroblastome représente plus de 90 % des tumeurs du rein de l'enfant. Environ 100 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année en France. Rare avant l'âge de 1 an, il se rencontre surtout entre 1 et 5 ans. Il siège plus volontiers à gauche (60 %), il est bilatéral dans 5 % des cas.
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TUMEURS ABDOMINALES DE L’ENFANT
4
Image d’IRM d’une volumineuse tumeur abdominale
• Anatomopathologie : le néphroblastome est une tumeur embryonnaire, reproduisant l'aspect du métanéphros, composée de tissus conjonctif, épithélial et blastémateux. Elle est volumineuse, hypervascularisée, hétérogène, sous tension et friable ce qui impose une palpation prudente et contre-indique formellement la biopsie.
TABLEAU III Principes thérapeutiques et classification du néphroblastome 1/ Succession initiale des thérapeutiques o Chimiothérapie : à base de vincristine, d'Oncovin et d'adriamycine, elle précède toujours la chirurgie, diminuant ainsi le volume tumoral et le risque de rupture. o Chirurgie : ce doit être une néphro-urétérectomie élargie emportant le rein, l'uretère, la graisse périrénale et les ganglions. Succédant toujours à la chimiothérapie, cette exérèse permet le diagnostic histologique exact et la classification. 2/ Classification o Stade I : tumeur limitée au rein, exérèse complète, capsule intacte. o Stade II : capsule franchie par la tumeur, exérèse complète ± ganglions envahis. o Stade III : tumeur étendue au-delà du rein, exérèse incomplète ou rupture tumorale, ganglions envahis. o Stade IV : métastases. o Stade V : tumeur bilatérale. 3/ Traitement postopératoire o Stade I : chimiothérapie pendant 6 mois à 1 an. o Stades II et III : chimiothérapie ± irradiation locale. o Stade IV : chimiothérapie + exérèse des métastases
pulmonaires ou irradiation pulmonaire. o Stade V : néphrectomie partielle bilatérale.
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• Spécificités cliniques : il peut s'agir de signes généraux : fièvre ou baisse de l'état général; de signes urinaires: hématurie présente dans 25 % des cas; d'une HTA; d'un syndrome abdominal aigu par hémorragie intratumorale ou rupture. Certaines malformations associées sont significativement plus fréquentes : aniridie, hémi-hypertrophie corporelle, syndrome de Widman-Beckwith, malformations rénales et délétion du chromosome 11 p. • Examens complémentaires : l'ASP montre l'ombre tumorale et des calcifications en «bulbe d'oignon». L'échographie confirme le siège rénal de cette tumeur solide et hétérogène. Elle élimine les tumeurs liquidiennes (kystes) ou les malformations pseudotumorales (hydronéphrose). L'urographie intraveineuse (UIV) montre des images caractéristiques de calices déformés, étirés, amputés et un refoulement de l'uretère en dedans. Le scanner et l'IRM visualisent les limites de la tumeur et ses rapports. Les dosages de VMA, HVA et dopamine urinaires, normaux, éliminent un neuroblastome. La recherche des métastases se fait par la radiographie pulmonaire et, si elle est normale, par le scanner thoracique (les métastases pulmonaires sont les plus fréquentes), l'échographie hépatique, les radiographies du squelette en fonction de la clinique.
3. Tératomes • Généralités : ce sont des tumeurs malformatives dérivées de cellules multipotentielles embryonnaires et provenant donc des trois feuillets de l'embryon. Dans la région sous-diaphragmatique, ils se développent au niveau du sacro-coccyx, dans l'espace rétro-péritonéal ou au niveau des ovaires. • Anatomopathologie : Les tératomes sont des tumeurs très hétérogènes avec des zones kystiques et solides. A la coupe, on retrouve des cheveux, des fragments osseux ou cartilagineux, des kystes sébacés ... Dans 80 % des cas, le tératome est mature et bénin avec des tissus bien différenciés : tissus nerveux, osseux ou cartilagineux, digestif ou respiratoire, sous réserve de l'examen de la totalité de la pièce. Dans 20 % des cas il est immature et malin, associant divers types histologiques : carcinome embryonnaire, tumeur du sac vitellin (sécrétant de l'alpha-fœto-protéine), choriocarcinome (sécrétant des gonadotrophines chorioniques). • Spécificités cliniques et de localisation : hormis les circonstances classiques de découverte d'une tumeur abdominale : - les tératomes rétro-péritonéaux sont volontiers volumineux, soit latéralisés (sus ou sous-rénaux), soit médians refoulant alors les éléments vasculaires, digestifs et urinaires et se traduisant donc fréquemment par des signes de compression ; - les tératomes de l'ovaire sont rares, responsables le plus souvent de signes tumoraux abdominaux, parfois de tableau aigu de torsion d'annexes imposant l'intervention chirurgicale, exceptionnellement de signes endocriniens : fausse puberté précoce par sécrétion de FSH ;
Pédiatrie TABLEAU IV Principes thérapeutiques des tératomes 1/ Moyens thérapeutiques : • Chirurgie : elle est toujours la première étape, l'exérèse doit être complète. • Chimiothérapie : à base de méthotrexate, actinomycine D, cyclophosphamide, adriamycine, cisplatine. Son efficacité est fonction du type histologique. • Radiothérapie. 2/ Indications : • Tératome mature : la chirurgie suffit. L'histologie doit cependant intéresser toute la tumeur pour dépister des îlots de lésion immature au sein d'une tumeur apparemment bénigne. • Tératome immature malin : le choix entre radiothérapie et chimiothérapie postopératoires se fait selon que le risque paraît local ou général.
- les tératomes sacro-coccygiens sont généralement développés à l'extérieur du nouveau-né dans la région fessière ou coccygienne mais ils peuvent être à développement uniquement endopelvien et abdominal dans 10 % des cas, responsables de compression rectale et vésicale. Ils sont maintenant souvent découverts par échographie fœtale. • Examens complémentaires : l'ASP montre l'ombre tumorale, le plus souvent parsemée de véritables calcifications organisées. L'échographie, le scanner ou l'imagerie par résonance magnétique retrouvent une tumeur hétérogène, précisent sa localisation et ses rapports. Les dosages biologiques peuvent retrouver des taux élevés d'α-fœto-protéine (tumeur du sac vitellin dans les formes matures ou immatures) et de gonadotrophines chorioniques (choriocarcinome dans les formes immatures). Les dosages de VMA, HVA et dopamine sont normaux.
4. Autres tumeurs rétropéritonéales Le bilan initial ayant éliminé les 3 principales tumeurs abdominales de l'enfant, une multitude d'autres lésions peuvent s'observer dans les mêmes limites anatomiques: rétropéritoine, cavité péritonéale et pelvis (cf. tableau). Hormis les lésions bénignes ou malignes, on définit les pseudo-tumeurs d'origine malformative, infectieuse ou traumatique comme des lésions non tissulaires. Les examens paracliniques sont orientés en fonction de la localisation de la masse. Soit le diagnostic est certain et le traitement sera médical ou chirurgical selon la nature de la tumeur, soit les examens complémentaires ne permettent pas de trancher et une exploration chirurgicale (ou une biopsie), s'impose pour permettre l'examen anatomopathologique. L'échographie, le scanner voire l'UIV retrouvent une masse située en arrière de la cavité péritonéale.
• Cette tumeur a les caractères du neuroblastome, mais elle est mieux limitée, plus homogène et les marqueurs sont normaux. Il peut s'agir d'un ganglioneurome, forme mature et bénigne du neuroblastome. Il peut comprimer les organes de voisinage mais seule son extension dans le trou de conjugaison est dangeureuse. • La tumeur a un point de départ rénal, c'est souvent l'analyse histologique qui fera le diagnostic d'une tumeur bénigne ou maligne (cf. tableau). En cas de lésion purement liquidienne, il faut s'orienter vers une malformation (hydronéphrose, méga-uretère, rein multikystique), en cas de tableau infectieux vers une pyonéphrose. • La tumeur a un point de départ surrénal, il s'agit alors le plus souvent d'une masse sécrétante. Le diagnostic lésionnel sera guidé par les signes cliniques (HTA et céphalées du phéochromocytome ou de l'adénome de Conn, obésité et hirsutisme du syndrome de Cushing, syndrome de virilisation ou de féminisation), ainsi que par les dosages biologiques correspondants. Chez le nouveau-né, l'hématome de la surrénale se traduit par une masse d'abord homogène puis devenant en quelques jours liquidienne, sans modification biologique. Il survient dans un contexte de stress obstétrical (traumatisme notamment). • D'autres tumeurs rétropéritonéales sont plus rares (tumeurs conjonctives ou lymphatiques, cf. tableau), leur diagnostic est le plus souvent fait par l'examen anatomopathologique de la pièce opératoire.
5. Autres tumeurs intrapéritonéales • Leur point de départ hépatique est généralement facile à mettre en évidence par l'échographie et le scanner. Elles sont le plus souvent révélées par une hépatomégalie, asymptomatique et anictérique. Ces tumeurs hépatiques sont plus fréquentes chez le nourrisson que chez l'enfant . Il est indispensable d'éliminer une tumeur maligne (hépatoblastome) par le dosage d' α-fœto-protéine qui a une valeur quasi pathognomonique et rend inutile la biopsie. Très rare en Europe et de pronostic très sombre, l'hépatoblastome survient le plus souvent chez le garçon de moins de 2 ans et sur des lésions préexistantes (cirrhose, hépatite, glycogénose). De même, le dosage de VMA, HVA et dopamine urinaires permet d'éliminer chez le nourrisson un syndrome de Pepper. Les autres métastases hépatiques sont plus rares et facilement reconnues (métastases d'un néphroblastome). Les tumeurs bénignes sont regroupées sous le terme d'hamartome ; ce sont des tumeurs développées à partir de cellules composant normalement l'organe atteint. Les plus fréquents sont les hémangiomes, ils se développent volontiers dans les premiers mois de la vie voire dès la naissance et entraînent une importante hépatomégalie avec des troubles de compression, une thrombopénie et une insuffisance cardiaque par shunt artério-veineux. Parmi les malformations pseudotumorales hépatobiliaires, les dilatations congénitales du cholédoque sont les plus caractéristiques : la dilatation peut être très
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TUMEURS ABDOMINALES DE L’ENFANT
TABLEAU V Étiologie des autres tumeurs abdominales de l’enfant Tumeurs bénignes
Système sympatique
o ganglioneurome
Rein
o o o o
Surrénale
o phéochromocytome o adénome de Conn
o phéochromocytome o corticosurrénalome
Conjonctif
o lipome o myome o fibrome
o liposarcome o myosarcome o fibrosarcome
Lymphatiques
o lymphangiome kystique o hémolymphangiome
o lymphosarcome
Foie
o hémangiome o lymphangiome kystique o hamartome hépatocytaire ou mésenchymateux
o hépatoblastome o métastases o sarcome voies biliaires
o abcès o kyste hydatique o dilatation congénitale du cholédoque
Rate
o hamartome splénique bénin o kyste dermoïde o kyste épidermoïde
o lymphosarcome o réticulosarcome o métastases
Pancréas
o kyste congénital à paroi propre o adénome hypoglycémiant
o adénocarcinome
Appareil digestif
o duplication o carcinoïde o angiome
o sarcome o adénocarcinome
o pseudokyste post-traumatique o abcès o kyste hydatique o pseudokyste post-traumatique o kyste hydatique o abcès appendiculaire
Lymphatiques
o lymphangiome kystique o lymphangiomatose
o lymphome
Ovaires
o kyste séreux fonctionnel
o séminome o T. du stroma ovarien o T. épithéliale
kyste multiloculaire adénome myome hamartome
o o o o
fibrosarcome rhabdomyosarcome cancer à cellules claires lymphome
Appareil génital
Sinus-uro-génital
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Pseudotumeurs malformatives inflammatoires ou traumatiques
Tumeurs malignes
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o o o o
hydronéphrose méga-uretère rein multikystique pyonéphrose
o hématome spontané
o hydrocolpos o hématocolpos o rhabdomyosarcome
Pédiatrie importante, elle siège en amont d'une sténose du bas cholédoque secondaire à un reflux de suc pancréatique dans les voies biliaires par anomalie du canal bilio-pancréatique. • Les tumeurs de la rate sont bien moins fréquentes que les splénomégalies secondaires à une hypertension portale, une infection ou une hémopathie. L'ASP montre le refoulement de l'estomac et du côlon. L'échographie fait la différence entre tumeur solide (hamartome splénique bénin ) et liquide (kyste dermoïde ou épidermoïde). • Les lésions pancréatiques sont en grande majorité des pseudokystes, collections sans paroi propre due à une interruption des canaux excréteurs, apparaissant progressivement en 15 à 20 jours après un traumatisme abdominal fermé qui a pu passer inaperçu. Elles s'accompagnent de douleurs abdominales et l'échographie découvre une masse purement liquidienne prépancréatique. Biologiquement, il existe une hyper-amylasémie. • Les tumeurs digestives peuvent être évoquées devant un accident occlusif, hémorragique ou infectieux. La plupart sont bénignes, de diagnostic souvent échographique. Les plus fréquentes sont les duplications digestives, malformations pseudotumorales creuses, sphériques ou tubulaires, pouvant siéger tout le long du tube digestif mais plus volontiers au niveau du duodénum et de la région iléo-cæcale. Elles sont intimement adhérentes au segment intestinal normal et de même structure histologique. Les sarcomes digestifs, exceptionnels chez l'enfant, se traduisent par une atteinte sévère de l'état général et des épisodes subocclusifs. Leur diagnostic est le plus souvent opératoire. • Les tumeurs du système lymphatique peuvent également se révéler par un épisode aigu d'occlusion ou d'invagination. Le lymphangiome kystique intra-abdominal se présente, comme tous les lymphangiomes kystiques, sous la forme d'une volumineuse grappe cloisonnée à contenu séreux ou chyleux, facilement identifiable à l'échographie et au scanner. La lymphangiomatose en est la forme disséminée. Le lymphome malin non hodgkinien ou lymphome de Burkitt est le plus fréquent des lymphomes de l'enfant et de très bon pronostic. Il s'accompagne le plus souvent d'adénopathies superficielles. C'est une tumeur d'évolution rapide, solide, enchâssée dans le mésentère et pouvant envahir la paroi intestinale. Le diagnostic peut être fait par ponction tumorale ou de liquide d'ascite ou par prélèvement d'un nodule tumoral superficiel. • Pour les tumeurs ovariennes, l'échographie est l'examen essentiel. Le kyste séreux fonctionnel est de loin la lésion la plus fréquente. Il est très facilement diagnostiqué grâce à des images parfaitement liquidiennes et homogènes. Le plus souvent responsable de douleurs pelviennes, il peut être de découverte opératoire ou révélé par un épisode aigu de torsion ou de nécrose (dans ce cas, l'aspect échographique est modifié et l'étude anatomopathologique peut être impossible). Les tumeurs malignes sont exceptionnelles (cf. tableau). On les évoquera sur un aspect hétérogène à l'échographie
avec des cloisons et des végétations intratumorales. Le bilan comprend les explorations endocriniennes en fonction de la symptomatologie clinique (puberté précoce ou virilisation), le dosage de l'antigène carcino-embryonnaire et du CA 125, celui de l'α-fœto-protéine et des gonadotrophines chorioniques afin d'éliminer un tératome.
6. Autres tumeurs pelviennes • Chez la fille, une malformation vaginale (imperforation hyménéale, atrésie vaginale ou hémi-vagin borgne) peut entraîner une dilatation d'amont suffisamment volumineuse pour apparaître comme une tumeur abdominale. Chez le nouveau-né, il s'agit d'un hydrocolpos correspondant à l'accumulation de sécrétions vaginales secondaires à la crise génitale néonatale. Chez la fille pubère, si la malformation vaginale a été méconnue pendant l'enfance, l'hématocolpos succède à l'accumulation du sang menstruel et est volontiers douloureux. Le diagnostic est fait par le toucher rectal qui retrouve cette masse en avant du rectum, par l'inspection périnéale qui montre l'absence d'orifice vaginal, et par l'échographie pelvienne. • Les tumeurs malignes du sinus urogénital sont des rhabdomyosarcomes ou sarcomes botryoïdes, tumeurs embryonnaires dont le point de départ peut être la vessie, la paroi vaginale, le col utérin ou la loge prostatique. Leur diagnostic peut être évoqué devant une hématurie, une infection urinaire, ou plus souvent des troubles de compression rectale et vésicale. Le toucher découvre une tumeur prérectale. Le diagnostic histologique est fait par biopsie chirurgicale ou endoscopique. Le pronostic reste sombre. ■
Points Forts à retenir • Il existe de très nombreuses étiologies des tumeurs abdominales de l'enfant. • La découverte d'une tumeur doit faire suspecter d'emblée une lésion maligne et tout doit être mis en œuvre pour affirmer ou infirmer ce diagnostic. • L'essentiel est de raccourcir le plus possible le délai entre : découverte – diagnostic étiologique – traitement. • La séquence des examens complémentaires doit être rigoureuse : radiographie simple, échographie, scanner, dosages biologiques, mais éventuellement adapté en fonction du diagnostic suspecté.
POUR EN SAVOIR PLUS • Schweisguth O. Tumeurs solides de l'enfant. Paris : Flammarion Médecine Science, 1979.
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Pédiatrie A 85
Vomissements du nourrisson Orientation diagnostique DR Bertrand ROQUELAURE, PR Jacques SARLES Service de pédiatrie multidisciplinaire, hôpital d’enfants de la Timone, 13385 Marseille cedex 5.
Points Forts à comprendre • Les vomissements sont fréquents chez le nourrisson. Leur signification diffère selon qu’ils apparaissent brutalement chez un enfant auparavant sans problème, ou qu’ils se répètent régulièrement. • De causes multiples mais le plus souvent bénignes, ils justifient une approche clinique méticuleuse afin d’en apprécier le retentissement, de ne pas méconnaître des causes curables, de préciser le plus judicieusement les examens paracliniques nécessaires et de proposer la thérapeutique la plus adaptée.
Définition Les vomissements se définissent comme des rejets, de tout ou partie du contenu gastrique ou intestinal, par la bouche. Ils sont à différencier des régurgitations banales qui accompagnent le rot immédiatement après la prise du biberon, et du méricysme, équivalent d’une rumination du contenu gastrique volontairement régurgité, dont l’étiologie d’ordre psychiatrique nécessite une prise en charge spécifique.
Démarche diagnostique générale Elle repose sur un interrogatoire de la mère qui donne déjà une orientation diagnostique irremplaçable et sur un examen clinique complet de l’enfant.
1. Interrogatoire Il faut systématiquement préciser : • les caractéristiques des vomissements : – leur date d’apparition : récents, aigus, ou au contraire plus anciens ( habituels, récidivants) ; – leur évolution : depuis la naissance ou après un intervalle libre ; – leur fréquence au cours de la journée : nocturnes, matinaux ;
– leur horaire par rapport aux repas : post-prandiaux, précoces ou tardifs, pendant le biberon ; – leur abondance : rejet en partie ou en totalité du contenu gastrique ; – leur aspect : alimentaire, bilieux, fécaloïdes, sanglants ; – leur caractère : actif en jet, voire « explosif » ou au contraire passif, simple écoulement le long des commissures labiales. • le contexte de survenue : – l’âge de l’enfant, ses antécédents néonatals ; – une enquête diététique doit toujours préciser de façon détaillée le régime (type d’alimentation, quantités proposées), le mode de préparation des repas (méthodes de reconstitution des laits artificiels…), l’âge d’introduction des aliments (protéines du lait de vache, gluten, etc.) ; – l’existence de signes associés : . digestifs : soif, anorexie ou appétit conservé, douleurs abdominales, diarrhée ou, au contraire, constipation, rectorragies, . extradigestifs : contexte infectieux [neurologiques, otorhino-laryngologique, pulmonaires]; – l’interrogatoire doit systématiquement préciser les traitements en cours et rechercher une éventuelle prise de produits toxiques.
2. Examen clinique • Le retentissement clinique des vomissements doit être apprécié : de par leur abondance et leur caractère aigu, ils peuvent entraîner des signes de déshydratation (le plus souvent extracellulaire, parfois intracellulaire plus grave), qui doivent systématiquement être recherchés. Leur répétition peut retentir sur l’état nutritionnel. Il faut donc rechercher une inflexion ou une cassure de la courbe pondérale, une fonte du pannicule adipeux et une diminution des masses musculaires. • L’examen clinique doit être complet. Il recherche : – une anomalie de l’examen abdominal : ventre plat ou météorisme, ondulations péristaltiques, défense, recherche d’un boudin d’invagination ou d’une olive pylorique, d’une hépatomégalie. L’étude des orifices herniaires est de règle. L’indication du toucher rectal est fonction du contexte ; LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1999, 49
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VOMISSEMENTS DU NOURRISSON
tions sont fonction des données cliniques (par exemple : scanner ou imagerie par résonance magnétique en cas de suspicion d’hypertension intracrânienne ou d’hématome sous-dural ; explorations métaboliques…) ; – la pH-métrie n’a pas sa place dans le bilan de vomissements patents ; – la fibroscopie œsogastrique est indiquée en cas de vomissements sanglants ou de signes évocateurs d’œsophagite.
– des signes neurologiques évocateurs d’une hypertension intracrânienne (augmentation du périmètre crânien, troubles du comportement) ou de méningite ; – une pathologie ORL : pharyngite, otite purulente ; – des signes généraux : fièvre, atteinte de l’état général. Au terme de cet examen, il est possible, dans la plupart des cas, d’intégrer le malade dans un des cadres nosologiques décrits plus bas, et de débuter un traitement adapté sans examens complémentaires. L’essentiel est de ne pas méconnaître une affection médicale ou chirurgicale nécessitant un traitement en urgence (méningite, occlusion, hernie étranglée) et d’évoquer systématiquement les causes les plus fréquentes : erreurs diététiques, infections communes du nourrisson, reflux gastro-œsophagien, sténose hypertrophique du pylore.
Démarche diagnostique étiologique En définitive, on distingue : les vomissements aigus ou occasionnels qui disparaîtront avec le traitement de la cause, et les vomissements récidivants ou chroniques qui évoluent depuis un temps variable.
Vomissements d’apparition récente
3. Examens complémentaires Le diagnostic étiologique des vomissements repose d’abord sur la clinique. Les examens complémentaires ne viennent qu’en deuxième intention, toujours orientés par le contexte sémiologique. Schématiquement : – les explorations radiologiques digestives – échographie abdominale, radiographie de l’abdomen sans préparation (ASP), transit œso-gastro-duodénal (TOGD) sont utiles lorsqu’une origine mécanique est suspectée (sténose du pylore, invagination intestinale ai-guë, malformations digestives hautes, malrotations intestinales) ; – l’examen bactériologique confirme une origine infectieuse lorsque celle-ci est évoquée [coproculture, examen cytobactériologique des urines (ECBU), examen du liquide céphalo-rachidien] ; – la recherche d’une hyperleucocytose, d’une élévation de la protéine C réactive peut aussi orienter vers une cause infectieuse ; – l’ionogramme sanguin couplé à la gazométrie capillaire permet d’évaluer la gravité de la déshydratation ou de s’orienter vers une sténose du pylore (alcalose métabolique avec hypochlorémie et hypochlorurie) ; – les autres types d’explora224
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Vomissements aigus Fièvre (+)
Fièvre (-)
Diarrhée (+)
Diarrhée (-)
Gastroentérite aiguë
Infection
ORL Urinaire
Examen ORL
Méningée
ECBU
PL
Évaluer : la déshydratation
Cause chirurgicale
Cause neurologique
II A Appendicite Occlusion
HSD HIC
ASP Pulmonaire Écho. abdo.
TDM FO EEG
Cause toxique médicamenteuse
Radio thorax
• Date de début • Type • Horaire • Mode
Vomissements chroniques Erreur de régime
Vomissements mécaniques
Intolérance alimentaire
Sténose du pylore Intolérance : RGO - PLV - gluten
Causes métaboliques
Évaluer : la dénutrition Gastrite Ulcère
Causes psychogènes
Galactosémie Aminoacidopathies Fructosémie…
TDM : tomodensitométrie ; ASP : abdomen sans préparation ; FO : fond d’œil ; EEG : électroencéphalogramme ; PL : ponction lombaire ; ECBU : examen cytobactériologique des urines ; HSD : hématome sous-dural ; RGO : reflux gastro-œsophagien ; HIC : hypertension intracrânienne ; IIA : invagination intestinale aiguë ; PLV : protéines du lait de vache.
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Orientation étiologique devant des vomissements du nourrisson.
Pédiatrie 1. En présence d’un syndrome infectieux évident Les vomissements ne sont qu’un élément « secondaire », mais qui doit être pris en compte dans le traitement de l’affection en cause (réhydratation par voie veineuse, correction des troubles électrolytiques…). – Dans le cas de gastro-entérites virales ou bactériennes, les vomissements peuvent précéder la diarrhée de plusieurs heures. L’abdomen est souvent distendu, parfois gargouillant. – Les infections ORL sont les plus fréquentes : otites, rhinopharyngites, angines, stomatites. – Les infections urinaires sont peu parlantes chez le nourrisson. Elles doivent être dépistées par une bandelette urinaire multiréactive (leucocytes, sang, nitrites), confirmées en cas de positivité par une uroculture. – Une méningite peut se révéler par des vomissements dans un contexte infectieux. Les signes méningés étant souvent peu spécifiques chez le petit nourrisson, une ponction lombaire doit être réalisée au moindre doute. – Les infections respiratoires sont fréquemment émétisantes, en particulier la coqueluche. La toux peut être à l’origine de vomissements. – Une hépatite peut aussi être révélée par des vomissements.
2. En l’absence de contexte infectieux patent • Chez le nouveau-né un tableau occlusif aigu, franc, avec douleurs, ballonnement abdominal d’intensité variable selon le niveau de l’obstruction, arrêt du transit et vomissements bilieux voire fécaloïdes, associé à un refus du biberon fait craindre : – une atrésie ou sténose duodénale, grêle ou colique ; – un iléus ou péritonite méconiale ; – une entérocolite ulcéronécrosante ; – un volvulus sur malrotation du mésentère ; – une maladie de Hirschsprung devant un tableau d’obstruction basse. • Chez le nourrisson, les causes les plus fréquentes sont les suivantes : – Urgences chirurgicales : la hernie étranglée (inguinale ou de l’ovaire) reconnue sur l’examen systématique des orifices herniaires ; le volvulus sur bride (cicatrice abdominale) chez un enfant déjà opéré ; le volvulus complet ou incomplet par malrotation intestinale. La vérification, par un transit œsophago-gastro-duodénal(TOGD), de la position de l’angle de Treitz reste plus fiable actuellement que le repérage échographique des vaisseaux mésentériques ; quelques malformations digestives hautes comme les duplications duodénales peuvent réaliser une compression extrinsèque ; les diaphragmes duodénaux peuvent rester longtemps asymptomatiques. Le transit œsophago-gastro-duodénal (TOGD) est le premier examen avant d’autres investigations plus poussées ; l’invagination intestinale aiguë peut aussi se révéler par un syndrome occlusif avec vomissements. Il existe souvent d’autres signes évocateurs : crises de pleurs intermittentes, malaise avec pâleur, refus du bibe-
ron, présence de sang dans les selles ou au toucher rectal. L’échographie confirmera le diagnostic. Le lavement à faible pression, aux hydrosolubles ou à l’air, permet de réduire l’invagination dans la majorité des cas ; l’abdomen douloureux « fébrile » de l’appendicite aiguë ou de la cholécystite ne s’accompagne pas toujours d’une défense localisée évocatrice. Il faut l’évoquer devant un tableau occlusif avec vomissements parfois bilieux témoignant de l’importance de l’iléus, secondaire à une collection intrapéritonéale. Ce symptôme est d’autant plus utile que le tableau est abâtardi par une antibiothérapie ; sténose du pylore au début. – Affections neurologiques : l’hématome sous-dural post-traumatique est à l’origine de vomissements volontiers matinaux, en jet, mais souvent banals. L’association à d’autres signes d’hypertension intracrânienne (tension de la fontanelle, augmentation du périmètre crânien, disjonction des sutures, yeux en coucher de soleil, troubles de la conscience) ou à des signes neurologiques (convulsion) doit faire pratiquer un scanner cérébral ; hématome extradural ; tumeur cérébrale et autres causes d’hypertension intracrânienne. – Causes toxiques : de très nombreux médicaments sont susceptibles de faire vomir. Parfois il s’agit d’une simple intolérance digestive qui apparaît dès la prise du médicament, même donné à dose correcte : vitamine D, vitamine A (pommade pour le siège), salicylés, théophylline, digitaliques, corticoïdes ; certains produits ménagers ou industriels peuvent aussi être à l’origine de vomissements.
Vomissements chroniques ou répétés 1. Erreurs diététiques Elles sont à éliminer en premier par l’interrogatoire alimentaire : type de lait, mode de préparation des biberons, dilution, excès de farine, fréquence des repas. On doit rechercher un forcing alimentaire qui va de pair avec une anxiété maternelle excessive, toute l’affectivité de la mère s’exerçant dans le domaine alimentaire.
2. Affections organiques ou fonctionnelles du tube digestif Les causes de vomissements chroniques du nourrisson sont largement dominées par le reflux gastro-œsophagien, ou passage intermittent de tout ou partie du contenu gastrique dans l’œsophage par dysfonctionnement du sphincter œsophagien inférieur. Les vomissements débutent précocement, dès la naissance le plus souvent. Ils sont volontiers postprandiaux plus ou moins tardifs, favorisés par les changements de position et le passage en décubitus. En cas de manifestations douloureuses, une œsophagite peptique doit être évoquée. Des manifestations extradigestives peuvent être présentes et sont parfois les seules manifestations cliniques du reflux gastro-œsophagien : symptomatologie pulmonaire (toux chronique, bronchopneumopathies récidivantes, asthme) ou ORL (laryngite, otite, rhinopharyngite), retard pondéral, malaises paroxystiques surtout LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1999, 49
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avant 3 mois. • La sténose du pylore est une hypertrophie des fibres musculaires lisses circulaires du pylore entraînant un rétrécissement du canal pylorique et une entrave à la vidange gastrique. Elle se voit surtout chez le garçon premier-né, survient après un intervalle libre de 15 jours à 8 semaines de vie. Le début est marqué par quelques vomissements occasionnels, mais après quelques jours, la symptomatologie devient caractéristique avec des vomissements en jet, explosifs, abondants survenant pendant la tétée ou en postprandial immédiat. L’appétit conservé contraste avec une cassure récente de la courbe de poids s’accompagnant parfois d’une dénutrition et d’une déshydratation avec alcalose hypochlorémique. Une constipation est souvent présente. L’examen clinique recherche les signes pathognomoniques que sont la palpation de l’olive pylorique et l’existence d’ondulations péristaltiques gastriques, surtout après ingestion de lait. L’échographie confirme la sténose hypertrophique du pylore. • Les rares syndromes de pseudo-obstruction intestinale chronique sont dus à une anomalie des fibres musculaires lisses intestinales et (ou) de leur innervation. Ils réalisent des tableaux d’occlusion fonctionnelle et peuvent se révéler de façon brutale (occlusion) ou s’installer progressivement, associant alors une altération de l’état général et des troubles du transit. Une gastrite ou un ulcère se manifestent souvent chez l’enfant par des vomissements associés à des douleurs abdominales, volontiers de siège épigastrique, parfois à une hématémèse. • Intolérances alimentaires : l’intolérance aux protéines du lait de vache dont la sémiologie peut être limitée aux vomissements sera essentiellement suspectée sur leur mode de déclenchement coïncidant avec un changement de régime et sur les signes associés (diarrhée chronique, anorexie avec perte de poids, rash cutané, prurit, dyspnée). La preuve diagnostique est apportée par la disparition des symptômes après éviction des protéines du lait de vache de l’alimentation. L’intolérance au gluten peut parfois s’accompagner de vomissements associés à une diarrhée chronique et à une cassure de la courbe pondérale. Elle est détectée par le dosage des « auto-anticorps de la maladie cœliaque ».
3. Causes organiques extradigestives • Affections viscérales : l’insuffisance cardiaque se révèle parfois par un refus de boire et par des vomissements ; les néphropathies sévères et les tubulopathies s’accompagnent volontiers de vomissements, d’anorexie, de polyuro-polydipsie et de constipation. Quelques examens simples (dosage de l’urémie, de la créatininémie, ionogrammes sanguin et urinaire) en feront la preuve. • Des affections métaboliques peuvent avoir des vomissements pour premier symptôme : – l’hyperplasie congénitale des surrénales ou plus rarement l’hypo-aldostéronisme congénital se manifestent, dès les premières semaines de vie, par des vomisse226
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ments qui, en raison de l’intervalle libre qui les sépare de la naissance, peuvent prêter à confusion avec une sténose du pylore ; – la galactosémie congénitale se traduit par des vomissements, un ictère précoce et prolongé, une hépatomégalie avec insuffisance hépatocellulaire et une tubulopathie proximale ; – la fructosémie dans sa forme typique se traduit par des vomissements succédant immédiatement à un repas contenant du fructose (en pratique à un repas sucré au saccharose). Une hépatomégalie est souvent présente ; – les anomalies du métabolisme des acides aminés ou du cycle de l’urée avec hyperammoniémie. • Les vomissements d’origine psychogène sont en règle isolés et expriment souvent un conflit mère-enfant. K
Points Forts à retenir • La survenue de vomissements aigus chez le nourrisson est toujours pathologique. Leur fréquente association à des pathologies infectieuses bénignes ne doit pas retarder la recherche de causes graves, curables (méningite, occlusion, hypertension intracrânienne). • Les vomissements chroniques sont le plus souvent dus à un reflux gastro-œsophagien qui peut être traité en première intention sans exploration particulière. La résistance au traitement médical doit rapidement faire poser la question d’une cause organique curable. • La pH-métrie n’a aucune place dans le bilan d’un enfant vomisseur. • Chez le nouveau-né, la survenue de vomissements est toujours pathologique : – elle est souvent la traduction d’une cause chirurgicale, – devant des vomissements de survenue brutale ou aiguë, la recherche d’une cause extradigestive est impérative, surtout dans un contexte infectieux. • Chez le nourrisson, la principale cause de vomissements répétés est le reflux gastroœsophagien.
POUR EN SAVOIR PLUS Bourrillon A. Vomissements du nourrisson. In : Bourrillon A et al. (eds). Pédiatrie pour le praticien. Paris : SIMEP, 1992 : 217-22. Navarro J. Vomissements et régurgitations. In : Navarro J, Schmitz initiale prénom ? (eds). Gastro-entérologie pédiatrique. Paris : Flammarion, 1986 : 417-21. Olives JP. Vomissements du nourrisson. Orientation diagnostique. Rev Prat (Paris) 1993 ; 43 : 95-8.