DU MÊME AUTEUR Chez iTauires éditeurs.
L e s p h i l o s o p h i e s p l u r a l i s t e s d ’A n g l e t e r r e e t d ’A m é r i q u e (1920). L e r ô l e d e l ’i n s t a n t DANS DANS LA PHILO PHILOSOP SOPHIE HIE DE D e SCARTES (1920). É t u d e s u r l e c p a r h é h i De » d e P l a t o n (2’ (2’’^ éd itio o , 1951). L e m a l h e u r d e l a c o n s c i e n c e d a n s l a p h i l o s o p h i e d e N e g e l (1951). V e r s l e c o n c r e t (1932). É t u d e s e ie i e e k b g a a r d i e n n e s [2°>^ édition, 1951). E x i s t e n c e h u m a i n e e t t r a n s c e n d a n c e (1944). P o è m e s (1951). T a b l e a u d e l a p h i l o s o p h i e f r a n ç a i s e (1946). P e t i t e h i s t o i r e d e l ’e x i s t e n t i a l i s m e (1950). T h e p h i l o s o p h e r s w a y (1948).' P o é s i e , p e n s é e , p e r c e p t i o n (1948). J u l e s L e q u i e r ; M o r c e a u x c h o i s i s (1948). En E n préparaUon préparaUon : iq u e . T r a i t é d e M é t a p h y s iq
BibUo Bib Uothè thèqtie qtie de P h ilo il o s o p h ie S cien ci entif tifiq iqu ue Directeur :
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GAULTIER, de l’Institut
JEAN WAHL Professeur à la Faculté des lettres de Paria
La pensée de l’existence r•
FLAMMARION, ÉDITEUR 26 ,
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R a c i n e , P a r i s , v i ®
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La p en sée, de l ’é x iste n c e
J
^ PREMIÈRE PARTIE KIERKEGAARD
Généralités sur la philosophie de l’existence. Les caractéristiqnes de l’existant chez Kierkegaard.
N’y N’y a-t-il a-t- il pas un pa parad radox oxee à t r a i t e r de ces philosophies philosophies de l’existence qui semblent réservées à la méditation solitaire ? Est-il possible d’exposer cette idée d’existence, cette philosophie de l’existence qui est née et a pris sa forme aiguë dans la pensée de Kierkegaard et dans son dialogue avec Dieu ? De plus cette philosophie est essentiellement une néga tion de l’idée d’essence, ce qui constitue un nouveau paradoxe para doxe : nous avons en effet eff et à chercher cher cher l’esse l’essenc ncee de la philosophie philosophie de. l’existence, l’existence, l’essen l’essence ce d’une d’une philosophie qui nie l’existence. Enfin les philosophies de l’existence sont très diffé rentes les unes des antres, et à vrai dire, Kierkegaard n’est pas un philosophe, ou s’il s’il l’es l’est,t, il l’es l’estt bien m â g ré lui. Il veut être avant tout un homme religieux, face à face avec Dieu. L’ L ’ex expr pres essi sion on « ph phililoso osophi phiee de l’ex exis iste tence nce > s’app s’appliopm liopm certainement mieux au philosophe allemand Jaspers. Mais déjà il sied mal d’appeler Heidegger un philosophe de l’exis l’existenc tence, e, car car Heidegger Heidegger nous di d it lui-même lui-même : « Ce qui m’intéresse, c’est la question de l’être et je ne parle de
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Pexistence, je ne passe par Texistence que pour arriver à rêtre. » La pensée de GaLriel Marcel est très proche de la pensée des pÛlosophes personnalistes. A Sartre et à ses amis, on ponirait réserver le terme d'existentialistes. Il ne convient à ancnn des autres que nous avons nommés plus haut. Jaspers dirait : n Je suis un philosophe de l'existence, mais je n'accepte pas le terme d’existentialiste. » £ t Heidegger s'est parfois posé en adversaire de l'existentialisme. C'est pourquoi nous résoudrons la question de termînolo^e en nous abstenant d'appeler^ ces philosophes, des existentialistes ; sauf Sartre I nous loi nommerons philo sophes de l'existence, et encore avec cette réserve que, ni Kierk^aeœd (non philosophe, pense-t-il lui-même}, ni Heidegger, pour une autre raison (philosophe de l’être}, ne sont vraiment des philosophes de l'existence. Nous laisserons de côté quelques philosophes importants comme Ghesiov, Berdiaeff, Buber, Ünamnno, un théoloÿen comme Karl Barth, des écrivains comme Camus, Bataille, et les a philosophes de l'esprit b tels que Lavelle ou Le Senne appe lés parfois existentialistes. De plus ces philosophies sont très diverses : la pensée de Kierkegaard est essentiellement religieuse, il est face à face avec Dieu ; la pensée de Sartre est essentiellement non religieuse. La pensée de Kierkegaard peut être nommée un anti-humanisme an sens où l'on prend ordinairement le mot humanisme. Sartre a intitulé un de ses livres Exis tentialisme est un humanisme. Kierkegaard dit que l'homme, tel qu’il le conçoit, doit être sérieux, doit vivre dans la caté^rie du sérieux. Or, à la fin de VÊtre et le Néants Sartre nous dit qu'il ne faut pas être sérieux. VoUù donc encore une nouvelle opposition. Enfin, nous verrons que pour Kierkegaard, suivant sa formule, la vérité est la subjectivité. Mais tournons-nous maintenant vers Hei degger, noue verrons que pour lui, la vérité est la révé lation des choses en elles-mêmes. Si nous nous cantonnions dans les termes de l'opposition classique, nous dirions que l'on est un subjeçtivfste et l'autre un objeçtiviste. Mais cela n'est pas tout à fait exact. Encore un point ; dans sa lutte contre l’hégélianisme, Kierkegaard a insisté très for tement sur ce fait qu’il y a des sentiments qui ne peuvent pas s’exprimer, qu’il y a des génies inconnus. Or, Sartre,
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influencé par rennemi de Kierkegaard, Hegel, nous dit qu’il n’y a pas de génie inconim, un homme est ce qu’il fait, ce sont ses œuvres qui montrent sa nature. Dirons-nous, après avoir vu toutes ces divergences, qu’il y a un eorps de doctrines qui serait malgré tout la pl^oso phie de l’existence ? Parlons plutôt d’une atmosphère, d’un climat que nous pourrons ressentir. 11 y a quelque chose qui est la philosophie de l’existence.
comme la philosophie de Bei^son, ne peuvent pas être dites philosophies de l’existence. C’est donc qu’il y a quelque chose qui caractérise vraiment les phUosopmes del’existenca, et ce ^elque chose, nous essayerons de le poursuivre sans,, je crois, jamais Tatteindre. Pour suivre la courbe de la pensée chez ces philosophes nous nous représenterons qu’ils partent de la méditation religieuse de Kierke^ard. Viennent après lui deux philo sophes, Heidegger et Jaspers, qui généralisent la pensée de Kierkeggard, lequel avait en quelque sorte philosophé pour lui-même. Ils essayent de réfléchir et cela est vrai particulièrement pour Jaspers, sur l’individualité et la pensée de Kierkegaard, et de généraliser les découvertes intérieures qu’avait faites Kierkegaard. Ce n’est pas tout, ils c complètent r la pensée de Kierke gaard sur deux ou trois points très importants : Kierkegaard avait considéré rindividu isolé, aPunique», comme on peut traduire le mot dont il s’est servi ; eux pensent qu’il faut rétablir une jonction entre nous et les autres, en un même moment de Phistoire, et ce sera l’idée de « communication » telle que l’a exposée Jaspers, entre nous et les autres, le long de l’histoire, ce sera l’idée d’historicité telle qu’elle est présente chez Heidegger et chez Jaspers. E t enfin, il faudra rétablir l’union entre nous e t le monde car «nous sommes dans le monde s dit Heidegger. Mais s’il est vrai qu’ils généralisent et complètent la pensée de Kierkegaard, il est vrai aussi qu’ils la limitent, c’està-dire coupent tout ce qui, chez Kierkegaard, était l’aspect religieux et Paspect transcendant de la doctrine. Ils limitent par la pensée de la mort, de notre finitude essen-
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tielle, tODtes les pensées qui 'émergeaient de l*esprit de Kierkegaard. A partir de ces deux penseurs, et en même temps à côté de ces deux penseurs, car la pensée de Gabriel Marcel s’est formée indépendamment des deux et indépendamment de Kierkegaard, la philosophie existentielle s’est développée dans deux directions contraires : l’existentialisme religieux ^e Gabriel Marcel, Fexistentialisme irréhgîeux de Sartre ; peut-être peut-on espérer que peu à peu des éléments, au moins dans la philosophie de Sartre, plus positifs que ceux qui y étaient d’abord, se feront jour dans l’avenir et c’est là par exemple l’oeuvre de Marleau-Ponty. Pouvons-nous caractériser les philosophies de l’exis tence? Dans un récent article publié en Amérique sur ces philosophies, il est dit : Les philosophies de l’existence se révoltent contre l’idéalisme absolu et le positivisme et prennent l’homme comme une totalité.» Mais cela peut s’appliquer jà d’autres philosophies, aussi bien à la philoso phie dé Beigson qu’à la philosophie de l’existence. Ija détinîtion n’est donc pas satisfaisante. Sartre dit a Nous entendons par existentialisme une doctrine qui rend la vie humaine possible», qui affîrme que «toute vérité et toute action impliquent un milieu et une subjectivité humaine». D’antres diront qu’ils rendent la vie humaine possible; certains diront que l’existentialisme la rend impossible. L’idée d’un milieu et d’une subjectivité humaine ne carac térise pas seulement l’existentialisme, mais il est certain que la formule de Sartre : « il faut partir de la subjectivité» serait agréée également par Kierkegaard. Donc de cette tentative de définition de Sartre, on peut conserver malgré tout l’idée du point de vue subjectif où se place la philoso phie de l’existence. En réalité, ces phUosophes se caractérisent par un climat, une atmosphère, des expériences particulières. L’angoisse chez Kierkegaard, la nausée chez Sartre, sont les points de départ subjectifs pour atteindre une vue du monde. Par où commencer une histoire de la philosophie de l’existence ? Je commencerai par Kierkegaard. D’autres diront qu’il vaudrait mieux commencer par Hegel, et par le Hegel de la phénoménologie qui a montré, mieux que tous ses prédécesseurs, comment la pensée humaine est le pro duit de l’individu humain concret. c
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Kierkegaard mot existence le sens qu^il a anjourd^nm on encore que plutôt à R ant qu'il faut remonter, car Schelling est tm suc cesseur de Rant et Kant dans sa critique de l’a i^ m e n t onto logique n*a-t-il pas montré l’irréductibilité de l’existence. ? N’est-ce pas Kant le premier philosophe de l’existence ? Si l’on continuait, on pourrait remonter à Pascal, à saint Augustin, à ce penseur de l’Ancien Testament —Job — auquel un philosophe de l’existence, Chestov^ a fait souvent allusion en l’appelant le penseur privé qui dialogue avec Dieu. On arriverait-peut-être finalement à cette parole de l’Ancien Testament : « Je suis celui qui suis. i Nous nous placerons d’abord en un moment de l’année 1848 et verrons la pensée de Kierkegaard en cette année. « Ce ne sont ps^ seulement mes écrits, a-t-il dit, c’est aussi ma vie, l’intimité bizarre de toute cette machinerie, qui sera le sujet d’innombrables études. » Car la pensée de Kierkegaard ne peut s’isoler de sa vie. On sait rbistoire très obscure de ses fiançailles et de son renoncement, bien qu’il aimât la jeune fille et que la jeune fille l’aimât. Mais on ne peut comprendre Kierkegaard sans se référer à cette rupture et au secret qu’il a toujours g a r ^ par devers lui et qui, pour lui, expliquait cette rupture. Il nous a dit lui-même : « Mon secret ne sera jiimais connu, j» Bien des expUcatîons ont été données ; mais l’explication véritable, je ne pense pas qu’on puisse jamais la connaître. En outre chaque événement de la vie d’un tel penseur est en lui-même le sujet d’un problème général : âoit-ü devenir pasteur ? Doit-il se marier P Cela ouvre pour lui des suites de réftexiou inouïe vers la nature du mariage qu’il étudie dans une de ses premières œuvres. Donc, d’un côté, jamais sa pensée n’est séparée de sa vie, mais, d’autre part, jamais sa vie n’est séparée de sa pensée, de ce dyna misme d’une réflexion incessante. Et cela déjà peut nous servir pour préciser ce que sera pour lui tm existant. En 1848, le 3 mai, Kierkegaard a 35 ans. Cette année 48 est spécialement importante, « c’est, dit-il, l’apogée de mon activité, c’est l’année la plus riche et la plus fructueuse que j’ai vécue ; elle m’a brisé en un sens, mais en un autre sens, elle a augmenté tous mes pouvoirs». C’est une année importante pour l’Europe, comme pour
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la vie même de Kierkegaard. Il est souffrant^ sa situation matérielle est critique et malgré tout, c'est dans cette jusqu^à ^à année qu'il prépaie trois grands ouvrages : Maladie jusqu moitf Exercice dans le christianiemcj Point de vue sitr mon aeUoité d*écrioain. Alors Alors ü voit vo it se dresser devant deva nt lui .la grande figure de Socrate, Socra te, « u n des premiers parm p armii les exis ex ista tant ntss », dit-il. dit -il. Mais ais bien bi en que Socrate soit u n exis ex ista tant nt,, Texistence la plus haut ha utee est l'existence religieuse, c’est l’existence devant Dieu. Et la catégorie du « devant Dieu» s’affirme devant son esprit. « Je ne suis vraiment moi que si je suis devant Dieu* plus je me sent se ntir irai ai deva de vant nt Dieu, plus plu s je serai ser ai moi, e t pms pm s je je serai moi, pins je me sentirai devant Dieu. » Ainsi, ü voit qu’il faut aller encore au delà, vers quelque chose qui dépasse ce qu’U appelle l’immanence et l’éternité socratique, vers la transcend trans cendance, ance, «r Mainte Ma intenan nant, t, dira-t-il, dira-t -il, je suis dans la croyance croy ance a u sens le plus profond prof ond.» .» C’est le temps tem ps où il pense qu’ qu ’i l est es t pardon par donné né.. 11 a toujo tou jour urss eu conscience d’être un pécheur, mais cette année-là, il sent qu’il y a une grâce qui vient sur lui. De même même que nous nous avons vu une un e sorte sor te d’ d ’opposition oppositio n entre entr e sa conscience de l’existence de Socrate et sa conscience de l’existence comme supérieure à toute déterminaton non reli^euse, de même nous voyons sur un autre point une duad duadité ité dans la pensée pensée de Kierkeg Ki erkegaard aard.. Une de ses méthodes favorites est ce qu’il appelle la communication indirecte. « Si je suis s uis chrétien chrétie n », d itii it iil, l, it je ne dois pas dire dir e aux a ux autr au tres es : devenez chrétiens. Us me croiront bien mieux si, par des moyens moyens détournés, détournés, en me plaçant dans leur position à eux, eux, îe leur montre le caractère insatisfaisant de leurs actes et de leurs pensées. » Donc, ne nous communiquons pas direc tement mais sous des pseudonymes — et en effet, ses ouvrages n’étaient pas signés ou étaient signés de pseudo nymes bizarres — s Amenons Amenons les gens d’une d’une façon détou dét our r née au cluistianisme ; c’est la seule façon de les mener vers cette vérité eu cette époque corrompue oà nous sommes.» E t pour po urtan tantt en cette même même année année 184 1848 sa natur na turee se ch a ire ir e , il sent que le sceau se brise, à cause de cette grâce et de ce pardo pa rdon n dont je parla p arlais is tô t ô u t à l’heur l’heure. e. « Il faut» f aut»,, dit-il, dit-i l, « que je parle.» Ainsi, il s’oriente s’oriente de la communicatio comm unication n indirecte indir ecte vers la communication directe. Maintenant jetons un regard en arrière sur la pensée de
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native à Pautre Très tôt, il avait eu conscience du péché, et particuliè rement après la révélation que lui avait faite son père, à savoir que lui, son père, \m jour, jou r, dans les les landes du Jutla Ju tlann d , avait maudit Dieu, se sentant solitaire et abandonné de tous ; c’est là le secret du père qui se fondrp dans le secret du fils, en ce sens que c’est une des explications de la rup ture tu re de ses ses fiançailles fiançailles : « Je ne pouvais pouvai s pas initi in itier er Ré|pne à ces ces secrets terrinl terri nles es.. » £n même temps, ces circonstances intérieures lui mon traient la fausseté de l’h^élianisme. I^ous avons fait allusion allusion à l’aff l’affirm irmati ation on de l’ l ’id iden entit titéé dé l’in l’intér térieu ieurr et e t ■de l’extérieur. Une pensée se révèle toujours. Une pensée n’est rien à pa p a rt de la parole qui qui l’exprime. l’exprime. Il n ’y a pas d’inex d’inex primé. Telle est es t la pensée hégélienne. Mais Kierkegaara se conçoit comme une réfutation vivante de la pensée hégélienne, car il sait très bien qu’en lui, il y a des multitudes de choses inexprimées. I]_est ^ac. i . lui-même l’aîfirmàtion de l’inadéquation eni^ l’inteme et reïtêrne. Il est lui-même la réponse à Hegel. .^ Voyo Voyons ns m ainten ain tenan antt comment se développ développee peu à peu . / son son idée de l ’existence. Très tô t ô t , en 1834 — il a 21 ans — ^ il dit : a Je dois dois vivre vivre pour une idée» idée» e t an a n an ap a p r ^ , il insiste sur cet élément de subjectivité, caractéristique générale des philosophies de l’existence, tl attire notre attention atten tion sur le fait fa it que ce ce qu’ qu ’il y a de plus objectif pour un chrétien — c’est-à-dire l’énoncé des dogmes — commence par pa r la première premiè re person p ersonne, ne, p ar le credo. L’ob L’objec jectif tif se di dit^ t^ se pense, pense, se sent se nt subject sub jective ivemen ment.t. « R fau fa u t donc donc,',' pense-t-il pense- t-il dès lors, résider toujonrs dans la chambre la plus secrète de l’homme, dans le Saint des saints. > « Il faut chercher une vérité qui n’est pas une vérité universelle mais tmê vérité pour po ur moi», moi», une un e idée pour po ur laquelle laq uelle il veut ve ut vi vivr vree e t mourir. Étud Ét udian iantt Fiohte, Fiohte, il voit en lui l ’affirmation affirmation du subjectif subjectif ; il crée crée un mot m ot pour p our dire l’ l’union profonde profonde de ce qui appàràR comme objectif avec quelque chose qui est sa racine et qui est subjectif :c le philosophe authentique est au plus haut degré degré « subsu b-ob objec jectif tif»» comme comme Fichte. Fic hte. Mais ais peu à peu la subjectivité de Fichte lui apparaît comme trop abstraite.
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Se maintenir dans cette cliambre la plus secrète de riionime, dans ce Saint des saints, c’est être dans la certi tud tu d e : < Toutx, Toutx , éerit-il en cette cet te même même année 1835 1835,, à 22 ans, ans, «doit «doit final finalement ement se fond fonder er sur sur im postulat postulat ; mais mais dte ^ ’on v i t en lui, il cess cessee d’êt d’être re postul pos tulat, at, x Le croy cr oyan antt ne v it pas sa doctrine comme une présupposition, une demande, un post po stul ulat at,, mais comme sa vie v ie elle-même. elle-même. Se re r e tou to u rna rn a n t vers toute sa pensée antérieure, il écrit un an plus tard : c Mort et enfer, je puis faire aibstraction de tout, mab non de moi-même, je ne puis pas m’oublier, même pendant mon sommeil. * C’est l’observation qu’il opposera aux vues et aux visées objectivistes de l’hé^ianisme. Le philosophe hégélien s’intéresse à rhistoire dn monde, voit l’idée comme le pro p rodu duit it d’un d’un déroulem déro ulement ent de l ’histoire histoi re du monde. Mais ais cela n’intéresse pas Kierkegaard. Ce qui rintéresse, au sens où il pren p rend d ce mot « inté in térê rêtt », c’est c’est lui-même et e t c’e c’e s t son salut ou sa damnation éternelle. Avant d’analyser- un peu plus l’idée d’existence chez Kierkegaard, nous avons à voir les sources de cette Idée. L’influence qu’il faut noter la première est sans doute celle de Luther Lu ther.. Plus tard tar d , il se tournera tourn era violemment violemment contre lui ; cependant il lui doit beaucoup de ses idées et beaucoup de ses sentiments. « Le pour pou r moi, dit-il, dit- il, c’est-àc’est-à-dire dire le fait fa it (jue (jue l’on l’on doit toujours se retourner vers soi*même, voilà ce qui est essentiel à la pensée de Luther dans son commentaire à l’Epitre aux Romains, a Nous prions pour nous {pro nobis). La grande découverte de Luther est que le rapport à Dieu ne réside pas dans une sphère rationnelle mais dans un rapport irrationnel, personnel, spirituel. Ainsi subjectivité et personnalité sont points de départ chez Luther comme chez Kierkegaard. De plus, Kierkegaard insistera fortement sur ce fait que la croyance n’est jamais chose certaine ; elle est toujours en lutte avec la non croyance ; nous retrouverons cette même pensée chez Jasper Jas pers. s. Personne Pers onne ne pe p e u t dire d ire q u 'un 'u n homme homm e a la foi, parce que c’est quelque chose d’essentiellement suh jectif. Seul, Seul, un homme peu p eutt à peine peine le dire sur lui-même, car la croyance est une chose inquiète, comme le disait Luther, constamment en lutte avec elle-même. Et pour arriver aux plus hautes sphères de la croyance,
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il faut passer par une sorte de tourment de la concience ; il y a une nécessité, nécessité, chez Luthe Lu ther, r, de la conscien conscience ce tort to rtur urée ée ; seul, le pécheur est justifié. Pour avoir conscience du devant Dieu, — nous verrons cela chez Kierkegaard — nous devons avoir conscience de notre pêché, car c’est là que, vraiment, pour la première fois, nons nous trouvons devant Dieu. Être devant Dieu c’est se sentir différent de Dieu, c’est se senti se ntirr pécheur, c’est c’est se sent s entir ir séparé de lui lu i par p ar un u n abîme. C’est un point sur lequel insistera la théologie dialectique de B arth. art h. Mais Kierkegaard reproche à Luther de n’être pas suffis somment dialecticien ; U trouve chez Luther ses idées de suhieetivité, ses idées de l’essence même de la croy^ce, de la place du péché, mais il lui reproche de n’avoir pas réflécm assez profondément, de n’avoir pas fait de tout cela une véritàle vie, une véritable expérience. Kierkegaard cite une ou deux fois fois Pascal Pascal et e t il i l est certain certa in que la meilleure façon de nous rendre compte de ce qu’est Kierkegaard, c’est de nous référer à Pasctd et à certains maüres de Pascal, par exemple Saint-Gyran, Si Kierke gaard n’a pas connu Sant-Cyran il y a néanmoins des res< semblances frappantes entre eux deux. Par exemple, Saint-Gyr Saint-Gyran an écrit écr it : c On ne sait, sa it, quelque quelque grande gran de que soit la croyance, cro yance, si on l ’a ou si on ne l’ l ’a pas. s Mêm Mêmee idée, idé e, on l’a l’a vu, chez chez Luth Lu ther. er. E t nous sommes sommes avec Saint-Gyran Saint-Gyran dans le domaine de l’incertitude comme chez Kierkegaard. SaintGyra Gyrann parle par le de ceux « qui navigu navi guen entt sur les hautes hau tes mers» (de (de la pensée pensée croyante e t religi religieu euse se). ). Il insiste sur la crainte et le tremblement. Il conviendrait de citer quelques noms du xvm^ siècle : Hamann, Jacob, Lavater. Ces trois penseurs, en opposition au siècle des lumières et à la phUosophie des lumières, insistent sur su r la réalité, l’être, l’être, et e t voient dans le sentiment et l ’intuition intui tion le moyen moyen d’accé d’accéder der à cette réalité. Hama Ha mann nn a été d’un grand secours pour Kierkegaard ; avec son insis tance sur la fmure de Socrate et avec son insistance sur le paradoxe paradox e a u - i ^ s n s de l a pensée soc s ocrat ratiq ique, ue, il semble une un e préfiguration préfig uration de Kierkegaard. Kierkegaard, après la rupture de scs fiançailles, a quitté le Danemark pour aller à Berlin entendre les enseignements de Schelling ; bien que déçu par la suite, quand il a entendu
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Scàelling prononcer le nom d’existence, il l’a reconnu comme son maître. Schelling édifiait alors ce qu’il a appelé la philosophie positive positi ve : ton to n te pMlosop pMlosophie hie rationnell ratio nnelle, e, est négative néga tive et ne peu p eutt pas pa s nous faire atte at tein indr dree le réel. La philosophie positive qui s’achèvera dans la philosophie de la révélation est aussi une philosophie individuelle, Tua res agüur (il s’a s’a ^ t de toi), dit d it Schell Schellin ing. g. Elle Elle est tout to utee orientée orientée vers vers l’exbtencé présente dans son rapport à Dieu ; elle part de l’existence, elle ne part pas de ressènce mais de la réalité de l’individu et de la réalité de Dieu, c L’existant, écrit Sehdling, est ce par quoi tout ce qui dérive de la pensée est ruiné (i).« . De Fichte et de Schelling, on pourrait remonter à Kant. La critique de l’argument ontcuogique, montre comment, d’aucune essence, on ne peut aller à l’existence réelle qui est pour Kant l’existence empirique. Nous Nous venons de voir que la pensée de Kierkeg Kie rkegaard aard s’explique d’une part, par tm courant religieux ; ici, nous ne sommes remontés qu’à. Luther, mais, on pourrait remonter à saint Augustin et*par un conrant proprement philosophique. philosophi que. L a pensée de l’être, en t a n t qu’ qu ’irrédu irr éducti ctible ble à' l’essence selon Kant, se retrouve aussi chez l’ami et adversaire de Kant que fut Hamann. Les mouvements religieux d’un saint Paul, d’un saint Augustin, d’nn Luther nous amèneront, non plus vers la îaetieité, mais vers le caractère d’émotivité de l’existence.' L’uni L’union on d e cette cette affirmation affirmation du fait e t de cette affirmation du sentiment expliquera la formation des philosophies de l’existence. l’existence. Déjà, nous trouv tro uvon onss la joncjonc tion de ces deux aspects chez certains penseurs comme Pascal, comme Hamann, comme Schelling ; la même jonction que chez Kierkegaard d’une négation de la rationalité en tant qu’eUe voudrait fonder l’être, et d’une affirmation ma tion du mouvement reli^ rel i^eu eux x intérieur à l’honime l’honime comm commee contenu de l’ésisténce. Une fois examinée brièvement cette question des origines, gines, nous allons voir se développer cét aspec as pectt de la l a pensée pensée (1) (1) Le Danois Poul P oul Moller Moller,, sous l ’inlluence inllu ence de Schelling, Schell ing, insista ins istait it sur les idées d’intérêt et de subjectivité d’une manière qui n’est pas sans rappeler d ’avance Kierkegaard. Kierkegaard. Noto N otons ns aussi auss i Feuerbach, que que Kierkegaard Kierkegaard a connu et critiqué. La passion, dit Feuerbach, est le seul critère de l’existence.
t>aiLOSÔt>HlE DE
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de Kierkegaard qui se rattache à la phÜodophie proprement (hte, c’est'-â-dire à raffirmation. de Pêlrei Dès 1834, il ^ rit : « Le Christ n’enseigne pas, il agit, il est. * Le Christ n’est pas essentiellement un maître, il est avant tout un être qui enseigne par sa vie même et par son être même. Remontons plus haut i Kierkegaard, en même temps fju’il se rattache à Kant, se rattache à un penseur hien plus ancien qui est Aristote. Kierkegaard nous dit : « L’existence correspond à l’individu qui, dans l’enseignement d’Aristote, est quelque chose qui est en dehors de la sphère du concept.» Et, en effet, si on joint deux des enseignements du pmlosôphe, à savoir que pour lui, le réel est l’individuel, et d’autre part, que l’individuel est, tout au moins icî-haS, l’ineffable, on pourrait voir dans Aristote un des ancêtres les plus authen tiques de la philosophie de l’existence, ce qui d’ailleurs se confirmeràîl par le fait que Schelling se réfère bien souvent à la pensée d’Aristote. Les penseurs abstraits ont beau démontrer l’existence par la pensée, ils ne font que démontrer par là iine chose, c’est qu’ils sont des penseurs abstraits. Dès que je parie idéalement de l’être, je ne parle pas de l’être mais de l’es^ sence et c’est pour cela que la preuve ontologique est ham tement insatisfaisante pour Kierkegaard, comme elle l’avait été pour Kant et pour saint Thomas. L’existence est un point de départ et ne peut jamais être un point d’arrivée de la pensée. C’est ce qui explique la faiblesse de l’argument ontologique : on ne petit pas démontrer qu’une pierré existe, mais seulement que Cette chose qui est là est ime pierre. Et cela n’est pas vrai scxdement pour la pierre, c’est également vrai pour Dieu. On ne peut pas démontrer l’existence de Dieti, mais on peut démontrer que cette expérience que je sens est Dieu, tela s’explique par le fait que l’existence li’est plus, pour Kant et pour Kierkegaard, ce qu’elle était avant Kant ; eUe n’est ni un prédicat, ni une perfection. Pour les jiassiques, que ce soit Platon, Desoartes, Leibniz ou Spi noza, plus une chose est parfaite, plus elle existe, par consé quent, Dieu existe plus que n’importe quoi. Si l’existence est une perfection, la plus grande perfection est en Dieu, mais si l’existence n’est pas un prédicat, si elle est simple-
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ment le fait que qu^que chose existe ou a ’existe pae, il nV a pas de degré d’existence. N’est-ce pas pour nous aujour d’hui une idée assez absurde, qu’il y ait des degrés d’exis tence? Une chose existe ou n’existe pas, une mouche existe ou n’existe pas et l’existence de la mouche et l’existence de Dieu sont quelque chose de semblable en ce sens que ni chez l’un m chez l’autre, l’existence n’est une perfection. Il s’agit de savoir si la mouche est et si Dieu est. Donc si l’existence n’est pas un prédicat, il n’y a plus de hiérarchie d’existence. Naturellement il y a bien des différences entre la pensée de Kant et celle de Kierkegaard, même sur ce sujet de l’existence, car pour. Kant, l’existence est seulement l’existence empirique. « Kant b, dit Kierkegaard, «pense il l’existence empirique qui ne passe pas dans le concept.i ^erkegaard pense aussi à une existence qui ne passe pas dans le concept, mais ce n’est pas forcément une existen(^ empirique. Dieu existe pour Kierkegaard, et nous verrons ce que cela signifie pour lui. Mais la critique que fait Kant de la preuve ontologique s’accentue et se complète chqz Kierkegaard par le fait que la preuve ontologique est une sorte d’impiété, et d’ailleurs que toutes les preuves de l’exxstence de Dieu le sont aussi, car prouver l’existence de quelqu’un qni est là, n’est-ce pas supposer qu’on peut ne pas le voir là ( Dieu lui-même noi& défend, dans la pensée de Kierkegaard, d’essayer de le prou ver : il est si manifestement là qne toute preuve est une injure, que toute preuve est ridicule et se retourne contre celni qui prouve. Tel est le premier élément de cette penséè de Kierkegaard, que j’ai appelé l’élémeut de facticité, de contingence de l’être-ou d’irréductibilité de l’être. Allons maintenant de l’idée d’être vers l’idée dé l’exi^ tence et définissons l’idée de l’existence. L’enstence, pour la philosophie classique, était une perfection, — cela % voit particulièrement bien chez Descartes. — Kant viem et déclare que l’existence n’est pas une perfection mais qu’il appelle une positidn ; affirmation tiis proche de de Kierkegaard, mais, si on examine la pensée de Kahf on est amené à voir que cette position signifie qu’une chose existe pourvu qu’elle s’insère dans le tissu de l’expérience. L’existence est donc, du moins dans la Critique de la Raison pure, l’existence empirique. Or, ici, Kierkegaard
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a’est plus d’accord apec Kaat; l’existence n’est pas perfec tion, comme le pensait la philosophie classique, eDe n’est pas position comme le pensait Kant, elle est, pourrons-nons dire, la palpitation d’une vie intense, la pointe aigue de la sobjectivité. ExistcTy c’est consister, s’asseoir hors de. Ainsi nous allons vers l’être de l’existence. 11 y a dans l’existence une sorte d’idée de séparation, dit Kierkegaard. Déjà nn phi losophe danois (Sibhem) avait dit : « 11 y a dans l’existence on élément sporadique.» Donc l’existence est toujours séparation et intervalle. C’est pourqpioi, ici, il n’y a pas de jonction, comme chez Hegel, entre la pensée et l’être. Le caractère même de l’existence est de séparer et de tenir séparés la pensée et l’être, de les maintenir disjoints. Ëtienne Gilson, écrit : «L’existence est un pouvoir ininter rompu d’actives séparations. » C’est par le péché que nous prenons consciencé d’être devant Dieu parce que le péché sépare ; par le péché, tonte possibilité de communication avec l’Etemel semble rompue ; c’est là une des oppositions du christianisme et de la phdosophie antiq[ue, et même de toute philosophie en tant qu’elle est toujours plus ou moins un platonisme. Pour Platon, nous sommes en com munication avec l’éternité par la réminiscence ; nous n’avons qu’à nous souvenir et nous serons en présence d’un nous-même éternel. Mais si l’homme est pécheur, nous ne pouvons plus retrouver notre éternité sans un acte qui, RieHcegaard, sera l’acte du repentir et qui s’explique Ïtour ui-même par un antre acte qui est l’acte d’incarnation. Par le péché, l’individu devient un autre que Dieu, par notre connaissance même, D ^ a toujours une distance entre la subjectivité et l’objectivité, entre la pensée et l’être, entre les différents êtres, entre les différentes pensées. Ainsi, existence et d is t^ ce deviennent presque f^ o nymes, l’existence est distance ; pourtant, nous aurons à‘ voir que cette existence peut finalement s’unir à Dieu ; ce sera là un des paradoxes de l’existence, et plus nous irons, et plus noos approfondirons les choses, pins nous verrons s u i ^ et se mmtiplier les paradoxes. L’existence est à la fois séparation et union ; brisure et cicatrisation. Ainsi donc chez Kierkegaard, l’existence précède l’es sence, et, de plus, l’existence est réellement l’essence. Heidegger, récemment, a opposé sa conception de la philo-
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Sophie à celle de Sso’tre ; Sartre d ît que rexistence précMe resaence, moi, dit Heidegger, Je dis que rexistence, c*est l’essence. Sartre se meut encore dans les termes de la philosophie classique ; quant à moi, je donne u n sens tout nouveau au mot existence. Ces plulosophes, et Kierkegaard le premier, ont choisi le mot existence de préférence à bien d’autres mots qui avaient cours auparavant en philosophie, comme les mots « vie a on « valeur» ou k âme». Ces mots ne satisfont pas un Hei degger ou un Jaspers «dors qu’ib satisfaisment les philo sophes précédents. Kierkegaard a cherché un mot pour signifier ce quelque chose qu’il veut mettre au premier plan ; dans sa Dissertation sur l’Irome, il a prononcé le mot de «personne », mais très tôt, c’est le mot d’« exis tence» qu’il choisit. « A force dé connaissances, écrit^il, on oublie ce que c’est qu’exister. On n’a pas oublié seulement ee que c’est qu’exister religieusement, mais ce qne c’est qu’exister humainement.» Ainsi donc on peut exister pour Kierkegaard non reli gieusement : l’existence la plus haute est l’existence reli gieuse, mais il y a d’autrés formes d’existence. De là un certain nombre de difficultés. Dirons-nous de celui qni se
Oui, il y a différentes sphères d’existence et le dilettante,^ le Don Jnan, pour prendre l’exemple de Kierkegaard, l’esthéticien, au sens qu’il donne à ce mot, sera un existant. Mais évidemment, cette existence discontinue n’est pas Ce qn’il recherche. II se tourne vers Socrate, ou même vers «les philosophes grecs moyens » ; il voit en eux une énergie de pensée que le monde moderne a perdue ; ainsi, ce qn'îl faudra recouvrer, c’est cette pensée de l’existence, et J>mtôt que penser cette existence elle-même^ il faut exister t a l’inqjortant est moins» dit-il, » d’avoir une pensée mûre et rénécMe que d’exister». Et c’est là le sens qu’il donne à son œuvre : « On ne peut mettre l’accent sur l’existencé avec pins de force qne je ne l'ai fait » ; sans doute aü déhuf de révolution de la pensée occidentale, il a fallu insister sur l’abstrait, et les philosophes grecs ont fait là une œuvre utile. Il s’agissait pour l’homme de sortir du concret, il fallait aller vers l’abstrait. Maintenant au contraire, il
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faut, puisque nous sommes habitués à vivre dans l’abstrait, le délaisser, pour nous remettre à nous mouvoir dans le ooncret. Or, Kierkegaard a fait 3a connaissance des secrets d’existcncc, des mystères d’existenoe. Devons-noua définir le concept d’existence? Kierkegaard voit dans le fait de s’en abstenir un tact philosophique très sûr, car on ne peut que difficilement faire entendre au moyen de mois ce que signifie existence. Mieux vaut tourner notre esprit vers certains « existants » tels Hamann, Jacobl, surtout vers Socrate. Sans définir l’ex^ence nons pourrons énumérer les caractères de l’homme existant. Nous trouvons chez Socrate le « connais-toi toi-même » comme première caractéristique. L’être existant connaît sa réalité propre. Toute connais sance éthique et étbico-religieuse c se rapporte au fait que le sujet existant existe». Nous faisons ici un deuxième pas : être existant, c’est être dans l’éthique, c’est-à-dire, c’est ne pas se considérer comme donné, mais comme devant être créé par soi-même. Je me fais par mes actes, c’est cela qui est ; être éthique, et cet être éthique doit se tourner vers son origine ou sa source, vers son authenticité, vers ce qu’on peut appeler en un sens sa primitivité. Il doit s’approfondir de façon à se tourner vers ses premiers, momente gui sont les moments les pins vrais. «D’une façon générale», dit Kierkegaard, «tout véri table développement est un retour en arrière qui noua fait aller vers nos origines, et les grands artistes avancent par cela même qu’ils retournent en arrière. » Donc se connaître en se retournant vers son origine, et se connaître dans le fait que l’on se tourne en même temps vers son avenir, par l’éthicité même de sa pensée, telles sont les premières caractéristiques de Texistant. Si certains philosophes ont choisi comme thème de leur méditation l’idée d’existence, c’est que les idées de vie, d’âme ou de valeur n’avaient pu les satisfaire et que, pour désigner cette essence à la poursuite de laquelle ils se mettaient, ils n ’avaient pas trouvé de terme mieux approprié que celui d’existence. Le premier d’entre eux, Kierkegaard, avait dit : «l’exis tence est une énergie de pensée». Pour être existant nous devons penser intensément. Voilà donc une première for-
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mnle qui nous montre que la philosophie de l'esistence ne s’oppose pas à la pensée, pourvu (^e cette pensée soit intense et passionnée. S’il est difficile de définir l’existence, comme l’a déclaré Kierkegaard pour lequel s’abstenir d’îine définition du concept d’existence est la marque d’un tact très sûr chez le philosophe, le mieux à faire est donc de ne point chercher une définition, mais de poursuivre l’énumération des carac tères de la pensée existentialiste. Nous continuons donc cette énumération en allant aussi loin rae possible dans la définition de l’idée d’existence sans faire d’abord intervenir l’idée proprement religieuse. Le problème qui se pose, en effet, est de savoir si l’on peut exister d’après I^rkegaard sans être religieux. E t Q semble bien que oui, puisqu’il nous dit que Socrate était un existant. Il dît aussi que le christianisme, est la plus haute détermination existentielle. Pour résoudre le pro blème qm consiste à savoir si on peut exister en dehors du christianisme, nous essayerons de faire abstraction du christianisme dans notre définition de l’existence, et nous, le réintroduirons ensuite. Qu’est-ce que c’est qu’uu existant, abstrection faite des déterminations chrétiennes de d’existence ? Si le premier existant est Socrate il est naturel que nous nous référions d’abord à Socrate, et la première caractéristique de l’exis tant que nous pourrons donner, c’est que l’existant a conscience de son existence, il se connaît lui-même, suivant le précepte socratique. Nous devons aller plus loin. Socrate était un moraliste, ^ se préoccupait de savoir ce que nous devons faire, (^est-à-dire au fond de notre relation avec l’avenir. IL n’y a d’existence, dans ce sens d’existence étbiipie, qne si cette existence est tournée vers l’avenir. Mais, ajoute aus sitôt Kierkegaard, nous ne pouvons jamais être séparés' de notre passé, nous devons retourner toujours vers nos o ri^ e s d’être aussi o ri^ e ls , au sens propre du mot^ aiusi primitifs, aussi authentiques qne possible. C’est là cît qu’il appelle l’approfondissement subjectif ne Texistenc^ Donc, nous aurons conscience que tout véritable dévelop~ peinent est en même temps retour en arrière, vers nos origines, retour vers ce qu’un autre philosophe de l’exis tence, Jaspers, appellera notre source et notre origine,
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Ufspmzig>. Si noc^ regardons les ^aiids artiste, nous verrous aussi, comme le note Kierkegaard, dès 1835, qu*uu grand artiste ne va de Pavant que parce qu*il retourne en arrière, vers les origines de Part, qui sont en même temps Pessence de l^art. Nous verrons aussi que, dans -notre vie propre, les premiers instants, les commencements, ont une valeur éminente. Ainsi, nous avions vu tout à Pheure que Pexistani se tourne vers Pavenir, mais en même temps il se retonrne vers le passé, il fait Punité de Pavenir et du passé. Gela signifie qu'en même temps qu'il existe, il réfléchit. J'ai dé}à dit que la pensée existentielle est réflexion. U n'est pas \rai que la réflexion étouffe l'originalité. An contraire, elle peut Paigniser. È t le but de Kierkegaard, ce sera d'nnir !a réflexiou et ce caractère authentique et originel de la pensée, de telle façon qu'on puisse réaliser une synthèse de ces deux choses ; par quoi il est possible d'atteindre ce qu'il appelle un sérieux immédiat, une primitivité acquise, une jeunesse sérieuse, ou encore une immédiateté mûrie. Cet existant, tourné vers son avenir et vers son passé, sera un individu irremplaçable, différent de tous les autres, et c'est à ^ o i Kierkegaard applique la catégorie de PUnique, ce sera P Unique. L’idée de solitude est donc très impor tante pour La définition de cet existant, il est seul dans son existence, et «seul dans la connaissance qu'il en a», suivant une formule que j'emprunte à M. Gilson. Dans ces régions de l'existence, l’individu ne peut entendre que sa propre parole, il n’y a pas pour lui de société à proprement parler avec d'autres êtres, et il emporte son secret dans la tombe. Mais U est très difficile d'exposer doctrinalement cette catégorie de PUnique. «La catégorie de PUnique», dit lUerkegaard, «ne peut être l’objet d’un exposé doctrinal, elle est un pouvoir, une tâche.» C’est encore dire que PUnique, Pidée de PUniqpie, est tout entière tournée vers Pavenir, elle est quelque chose qui doit être fait et non quelque chose qui doit être observé. Cette catégorie de PUnique caractérise l’homme. En effet, chez 1^ animaux, U'espèce est quelque chose de plus haut que l’individu, mais quand on ’snent à l’homme, le rapport se renverse, c'est l’individu qui est supérieur à l’espèce. Gela est carac téristique de l’espèce humaine et de l’individu humain. ic
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là, on voit que noua avons à renoncer à un certain nombre de formes de pensées, comme le système hégélien, comme le panthéisme, comme toute conception historique d'une évolution de l’humanité, puisque rimportant, cc n’est pas le système, c’est l’individu lui-même, ^erkegaard fait observer d’ailleurs qu’eu s’unissant les individus sc détériorent. Il y a une sorte d’individualisme anarchiste chez Kierkegaard. Si les hommes s’nnissent, par là même ils sont dans l’erreur, et c’est pour cela qu’aujourd’hui tout est pourri, car tout est politique, tout est le fait de la masse, du peuple, et il n’y a plus à proprement parler d’individu. Mais si Kierkegaard demande à l’individu d’être l’indi vidu, cela ne veut pas dire cependant qu’ü lui demande de pousser son originalité dans un sens absolument différent de celui de tous les autres. 11faut que nous soyons nous-mêmes, par là même nous serons hommes dans la nature même de L’homme. C’est là la différence entre une détermination morale et une détermination esthétique, comme celle du ^nie. 11 ne s’aÿt pas d’être un génie romantique, mais d’être une in div îd n^té morale. Exister, c’est donc être un individu. U est intéressant de noter les passages où Kier kegaard remarque que jamais nous ne sommes davantage dans la solitude, jamais nous ne sommes autant des indi vidus qu’en présence de notre pensée de la mort. . Noua en venons maintenant à une seconde série de déter minations de l’existant. Nous avons dit qu’être existant, c’est se connaître, c’est être dans le domaine de l’éthique, c’est être original et c’est être unique. Nous pouvons maintenant préciser qu’être existant, c’est être volontaire, c’est-à-dire choisir et se choisir. C’est en deuxième lieu être passionné, et de ces deux façons, par cette volonté et par cette passion, c’est être en constant devenir. D’ahord, exister, c’est choisir et se choisir. Noua avons dit qu’exister, c’est être un individu, c’est essentiellement faire une opération de choix, et par cette opération de choix et de décision, il y aura un rapport entre mpî et mot-même. Ce qui intéresse Kierkegaara, ce ue'sont pas ; tan t 1^ rapports de moi et des autres, c’est essentiellement | le rapport entre aoi et soi, et ce rapport c’est la libertéJ « La liberté, voilà ce qu’il y a de grand, voilà ce qu’il y a d’immense dans l’homme.» Exister, c’est être libre, et do plus être plein delà passion
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de la liberté. Dans toutes les œuvres de Kierkegaard noua rencontrons cette idée de décision à prendre^ de choix. Ce cpi’il nous présente» c’est toujours une sorte de dilemme : tout ou rien, ou de deux choses Tune. Un de sea prin cipaux ouvrages a été traduit sous le titre Uaiterïuüwe^ c’est-à-dire « De deux choses l’une». Et si l’on choisit, par là même on se choisit soi-même. Choisir tel ou tel act& c’est me choisir voulant tel ou tel acte. 11 y a des choses qui nous sont données ; en un sens, nous sommes donnés à nous-mêmes, nous ne nous formerons pas ex Aihüo^ il y a des qualités que nous recevons, il s’agit de nous les appro prier. II s’agit, par un acte qu’il appelle l’acte de la répé tition, de prendre sur soi, de répéter, de s’approprier ce que l’on est. Ainsi on vit dans le concret et le temps. 11 s’agit de se choisir comme produit et par là même de se produire. E t ce choix, qui est en même temps choix de soi-même, est si profond que souvent il ne nous apparaîtra pas comme choix. Quel est le moment où nous choisissons le plus véritablement? C’est le moment où nous avons conscience de ne pas pouvoir faire autrement, c’est-à-dire que nos choix les plus essentiels, les choix les plus intimes à nous-mêmes, ce sont ceux que nous'ne pouvons pas choisir parce que si nous choisissions autrement, nous ne serions pas nons-mêmes. «Ainsi, le fait qu’il n’y a |>as de choix est l’expression de la passion immense et de l’inten sité avec Laquelle on choisit.» Et toujours il s’agit de s’unifier, de se simplifier, car le simple est pins haut que le complexe. Les enfants ont une multitude d’idées, mais celui qui médite réellement n’a qu’une idée. Socrate n’a qu’une pensée qu’il développe tout au long de sa vie. Ainsi, ce que Kierkegaard appelle le mouvement de i’infinité, c’est : approfondir une seule idée. L’existence se présente d’abord comme dissémination, comme pluralité. 11 y a une multitude d’existants. Mais chacun d’eux a un bat, doit avoir un but, qui est de faire une unité, une simplicité avec toutes ses déterminations. Ainsi nous pourrions dire que de cette existence comme extension et dissémination, nous allons à l’existenoe comme tension. Reprenant certaines formules qu’on trouve chez les néoplatoniciens, chez Plotin en particulier, Kierkegaard
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nous dit que toute addition est en un sens une sonstraction. Nous ajouter des connaissances, c'est bien souvent nous diminuer nous-mêmes. Plus on ajoute, plus on retire ; dans ce domaine 1&plus est le moins. Cependant si Kierkegaard a insisté sur le simple et Tun, lui-même sait qu'il est fait de diversités et même de diver sités infinie. Il sait aussi que toute profonde indivi dualité est au moins double, et « le génie, dit-il, le carac tère véritable contient en hn deux hommes, est dualité». Il y a ainsrchez Kierkegaard un conflit entre cette volonté d'nnité et cette multiplicité presque infinie qu'il sent en lui et qui se traduit par les pseudonymes différents dont il signe ses ouvrages. Retenons qu'exister, c'est être volontaire, choisir et se choisir. 11 faut ajouter, qu'exister c'est être passionné. « Tu dois être inspiré, car c'est cela qui est le plus haut.» Les théories de Kierkegaard nous apparaissent ainsi comme une revandie et une réponse du romantisme. Ce qui explique cette passion, c'est la contradiction essentielle à la vie humaine. L’existence est une immense contradiction du fini et de l'infini, et nous verrons comment paradoxe et passion sont liés. De sorte qu'il n'y a point de modération à conserver. Il faut être excessif, excessif dans le sens de l'éthique, et, noua le dirons plus tard, dans le sens du reli^eux. Cette passion émane de l'inconscient. La vie inconsciente est en nous cece qu’il y a de plus puissant, de plus profond». Être volontaire et être passionné, nous sommes dans un devenir constant, produit de nos actes et de nos passions. Kierkegaard avait noté très tô t que chez lui il n'y avait pas de détermination stable : cChez moi tout est en mouvement. » D'une façon plus générale, à chaque moment de son exis tence, le penseur subjectif devient. Il s'agit donc non pas d’être ce que l'on est mais de devenir ce que l’on devient. La passion, la décision sont des mouvements. L'existence ne se laisse pas définir, mais si nous disons que l'existence est mouvement, nous la caractérisons Intimement, car nous la définissons par quelque chose qui lui-même ne se définit pas; Te mouvement ne se laisse pas plus définir que l’existence. L’existence sera donc temporalité, le moi est une tâche, le moi est le produit d'un effort. Et si nous vou lions relier cela aux philosophies antérieures, nous pour-
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rions nous souvenir de Tidée de Fichte qui a toujours insisté sur le devenir qui caractérise l’honnne moral. L’effort doit être continu. Et cet effort sera -un effort de rélexion. Sans doute à certains moments Kierkegaard dit, pour s’opposer. aux cartésiens : cPlus je pense, moins je suis, et plus je suis, moins je pense.» Mais il n’en est pas moins vrai qu’il n*y a de réelle existence que s’il y a réflexion de l’existence, que si en même temps je saisis ce mouvement de mon existence et le mouvement de ma pensée. Sans doute, ce sont deux termes antithétiques, et il y a en un certain sens une lutte é mort entre la pexisée et l’existence, mais cette lutte Ù mort constitue précisément l’existence. Kierkegaard s’opposera à Hegel, car i’hégélianisme a le tort de vouloir expliquer toutes choses. Les choses ne doivent pas être expliquées, dit Kîerk^aard, mais vécues. Aussi, au lieu de vouloir saisir ime vérité objective, universelle, nécessaire et totale, Kierkegaard dira que la vérité est subjective, particulière et partielle. II. ne peut y avoir de svatème de l’existence; ces deux mots sont contra dictoires. Si nous choisirons l’existence, nous devons abandonner toute idée d’un système du genre de celui de Hegel. En réalité, il y a une individualité pour laquelle lé monde peut être un système, d’après Kierkegaard : cette individualité, c’est Dieu, mais noiis ne pouvons pas voir par I r yeux de Dieu. La pensée objective, telle que celle de Hegel, d e système», ne peut jamais atteindre que l’existence passée, ou l’existence possible. Mais l’ejdstenee passée ou l’existence possible sont radicalement différentes de l’existence réelle. Socrate est un existant ; c’est sans doute pour cela, dit Kierkegaard, que nous savons si peu au sujet de Socrate ; notre ignorance au sujet de Socrate est la preuve qu’il y avait là quelque chose qui doit nécessairement échapper aux historiens, une sorte de lacune nécessaire'dans l’his toire de la philosophie, par laquelle se manifeste .que là ou il y a existence ü ne peut y avoir réeliemeut connais sance. Socrate est non seulement la protestation contre ce qui est établi, suivaTit le mot de Kierkegaard, c’est-à-dire contre l’État, contre les idées communes, mais il est rincommensurable, il est sans relation, sans prédicat. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas le connaître.
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Or il 7 a plus de vérité dans l’ignorance socratique que dans le système hégélien. Car la vérité objectivé telle que la conçoit Hegel est la mort de l’existence. Exister objecti vement, exister dans cette catégorie de l’objectif, ou plutôt être dans cette catégorie de l’objectif, ce n’est plus exister, c’est être distrait. Les philosophes hégéliens s’occupent d’une multitude de données lûstoriques, ils s’intéressent à rhistcire, mais, dit Kierkegaard, ce qui m’importe, c’est mon existence à moi-même, oe n’est rien de toutes ces données objectives, d’autant plus que ces données objec tives ne sont jamais que des données approchées. L’histo rien amasse une multitude de documente, mais posséderat-il jamais une certitude ? Ce qu’il me faut à moi, dit Kierkegaard, c’est une certitude; aucune certitude ne peut être acquise par l’histoire, mais seulement par les relations profondes avec moi-même et avec l’objet de ma croyaneer 11 faut donc abandonner l’idée d’une vérité systématique et Intemporelle. Il n’y aura que des. morceaux de vérité, des miettes de vérité, et des morceaux de vérité en devenir. 11 n’y aura que du partiel et du fini, . Sans doute le hégélien pourra dire : « Mais vous-même qui parlez ainsi, vous vous révoltez contre ma conception de l’histoire du monde, mais malgré vous, vous êtes un moment de l’histoire dn monde, et je vous qualifierai de moment de la négation, de moment de la protestation. Mais le moment de la protestation est encore un moment de l’histoire.s Kierkegaard, que ces considérations objec tives n’intéressent pas, se re^se à être ce qu’il appelle un paragraphe dans le Système. Il est Sœren Kierkegaard et ne peut être subsumé sons des considérations objectives. Nous devons donc non pas tendre vers l’objectivité mais vers la subjectivité. C’est ainsi qu’il atteint cette formule sur laquelle nous aurons à revenir : c La subjectivité est la vérité.» La vérité n’est pas une adéquation à quelque chrae d’çxtérieur, la vérité est mon rapport à (quelque chose). Je suis dans le vrai si je me donne corps et âme à ce que je crois, c’est-à-dire si je suis dans un rapport subjectif, intense, avec ce quelque chose que d’autres appellent l’objet, mais qui n’est pas en réalité un objet. Par conséquent, saisir la vérité, c’est se l’approprier, c’est la produire, et c’est en même temps avoir un intérêt
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infini pour elle. Ce qui domine^ Kieïlcegaard, c’est Pidée d’un soiici infini de soi. J e dois me sauver moi-même, je dois être en un rapport infini avec moi-même dans une sorte de savoir qpi est en même temps action. L’enten dement ne se mouvra jamais que dans le relatif. Ce qui se meut dans l’absolu, c’est la passion. Et dans la passion, le penseur subjectif réalise l’unité de F étemel et du temps. Il dévient un esprit existant infini, il devient un mystère par ce rapport profond à lui-même et à Fobjet de son affir mation. Alors, comment communiquer ce savoir aux autres, si on peut appeler cela savoir ? Nous ne pouvons pas commur niquer directement ce savoir, nous ne pouvons communi quer ici que par des biais, que par une sorte de dissimi lation, et c’est ce qu’a fait ^erkegaard, ne. disant pas aux autres : « faites ceci», mais les détournant par ses ouvrages de telle ou telle conception de la vie, de façon à les o séduire vers le vrai». Son maître sur ce point, c’est Socrate, qui procédait par interrogations, tpii trompait en q u e lle sorte les autres sur lui-même. Kierkegaard a essaye à son tour de tromper les antres sur lui-même, leur offrant une csurface riante», et gardant sa mélancolie au fond dé lui-même. L’esprit ne peut se révéler qu’indirectement, car rieti d’extérieur ne peut révéler complètement l’intérieur. Il restera toujours du secret. De plus il n’y a jamais là de certitude ; la> communication indirecte est seule à laisser la liberté à celui auquel quelque chose est commu niqué- Il s’agit de préserver la liberté du disciple. Il s’agit de refuser toute autorité, de laisser celui qui écoute faite sa vérité en 'quelque sorte lui-même, dans une tension pas sionnée. Grâce à la coïnmanicatîon indirecte, nous serons donc dans cette région dü subjectif où il y aura le je et le toi, et où il u’y aura jamais de hii, de il. Il n’y a plus ici de troisième personne, il y a des rapports entre une indivi dualité passionnée et d’autres individualités passionnées. L’incertitude est aussi un caractère que nous devons monter à notre énumération des ^^alités de l’existant. Dans cette dialectique qui caractériseraFbomme existant, il n’y aura rien de certain, et en fait, c’est cela qui explique cette passion dont nous sommes en quelque sorte la proie volontaire. Dans ce domaine de l’existence, nous ne nous
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passionnerons que pour quelque chose qui n’est pas tout à fait sûr, nous ne nous passionnerons jamais pour des certitudes, mais pour quelque chose qui est un risque. Dans ce domaine que nous essayons de définir, domaine de rexûtence, domaine du subjectif, nous sommes dans un danger constant, dans un risque perpétuel, nous sommes sur une mer orageuse et profonde. li n’y a ni preuves, ni démonstrations dans ce domaine. Socrate a essayé de-donnei des preuves de l’immortalité, mais à la fin dans une parole qu’aime citer Kierkegaard, il dit : a II reste un beau risque à courir.» Et, ajoute Kierkegaard, ce beau risque est beau coup plus une preuve de l’immortalité que toutes les preuves qui ont été données auparavant, car c’est là que se révèle l’existant, le penseur subjectif. Quand on aura comm le risque, on sera transformé, il n’y a pas de résultats au sens où la science donne des résultats, mais tout est transformé. Dans cette région de la subjectivité, de rincertitude, il n’y a pas de jugements. Nous ne devons pas juger les autres, nous ne pouvons pas nous juger nous-mêmes, et il y aura une angoisse constante puisque nous serons toujours en présence de problèmes, et de problèmes qne nous ne pour rons pas résoudre. Ainsi se constituera cette dialectique kierkegaardienne, opposée à la dialectique hégélienne, puisqu’elle sera indi viduelle, passionnée et discontinue, procédant par sauts soudains, par crises. Ici il n’y a pas de synthèse. Go que vent Kierkegaard, c’est la thèse et l’antithèse; il veut que les ileux soient maintenues, conservées, sans qn’elles passent en une synthèse qui, au fond, ne ferait que les annihiler. L’antithèse restera présente dans la thèse. C’est ainsi que même si je m’élève au-dessus de certaines de mes tendances, ces tendances restent en moi; seulement j’en triomphe. Mais dans le triomphe même elles restent. Ainsi il y a un maintien de l’antithèse dans la thèse. E t de même nous verrons que dans la croyance persiste l’incer titude; la croyance n^est pas une destruction complète de l’incertitude au sein de la croyance. Noua sommes amenés à dire que Pexistence est couira-i diction. C’est cela qui explique cette passion, c’est cela qo? explique ces incertitudes. Kierkegaard a écrit : « Socrate se réjouit des jeux de la lumière et de l’ombre. Il réunit comme dans Tunité d’une proposition disjonctive la nuit
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la plus sombre et le jour le plus clair, le temporel et l’absolu^ il les voit liés comme il voit liés au début du Phédon Tagréable et le déplaisant. » L'existant est un homme qui voit s’affronter en lui des tendances contraires, a L’homme, dit Kierkegaard, est une synthèse dont les oppositions extrêmes doivent être posées, s II s’g^ t de penser eu même temps les pbihls extrêmes, il s’agit d’unir en soi la jeunesse et l’âge mûr et la vieillesse, par ce qu’il appelle une contemporanéité existentielle. 11 s’agit d’unir la force et la douceur, la rési gnation et l’exaltation. 11 s’agit de faire du pathétique, du dialectique et du comique même une unité sup^ieure.
II Les déterminations religieuses de l’existence. 11 y a lieu maintenant de réintroduire les concepts reli gieux, qui vont nous montrer sous toutes les déterminations que nous avons énumérées quelque chose d’un peu diffé rent, qui est la vision religieuse de la subjectivité. L’existant doit se connaître lui-même, comme le dit Socrate. Mais se connaître soi-même, c’est se connaitre comme pécheur, c’est se connaître comme déficieut, c’est du premier coup savoir (me l’on est devant Dieu. Il ne suffit pas d’être (imisle domaine de l’éthique, il faut être dans le domaine de l’éthico-religieux. Le retour vers les origines, c’est pour Kierkegaard le retour à Jésus. C’est la volonté d’être, par l’acte paradoxal de la foi, contempo rain de Dieu. Nous avions parlé de cl’Unique» (pii doit nous apparaître essentiellement sous la forme de l’homme religieux. Deuoa les défîl^ de la croyan<ïe, le chemin s’onvre pour l’individu et se referme sur lui. Nous sommes toujours seuls dans ces défilés, jamais nous ne sommes plus seuls que dans cette confrontation de nous-mêmes avec l’idée de Dieu. Le chevalier de la croyance ne peut aider aucun autre cheva lier. C’est un domaine où chacun a à s’aider soi-même.
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LÀ PEKSEB DE L^EXISTÊNCË
L’Unique n’a paâ de rapports avec l’avenir. Il est une conclusion. Nous voyons donc maintenant les rapports de la caté gorie de rUnique, et de ce que Kierkegaard appelle la catégorie du Devant Dieu. L’existence, dit-il, alors est aeuiement devant Dieu. Nous avions insisté, en cherchant les origines de la pensée de Kierkegaard, sur la catégorie du «pour toi ». Mais la caté^ gôrie du «pour toi» n’existe que dans son rapport profond avec la catégorie du «devant Dieu ». Par la conscience du péché, nous nous isolons de tous les autres. Le péché est notre péché. Mais par la conscience du péché aussi nous savons que nous sommes présents en Dieu et que Dieu nous est pré sent. Nous sommes seuls devant Dieu. De même nous pouvons voir comment la volonté, la passion et le devenir se transforment au contact de la pensée religieuse. D’ahord la volonté, sur laquelle nous avions insisté, mais nous voyons maintenant qu’u faut vouloir une seule chose, qui est l’infini, il faut vouloir infiniment l’infini. Et d’après Kierkegaard, si nous voulons infiniment l’infini, l’infini nous est donné, notre effort crée l’infini. C’est notre teiùion vers quelque chose qui pour Kierkegaard fait Dieu, c’est en nous dédiant complétemept à quelque chose que ce quelque chose devient Dieu. H y a évidemment ici de nou^ veau un risque, mais Kierkegaard n’est pas effrayé par le ris^e. Peut-être n’esl-ce là qü’un procédé d’exposition; sans doute Kierkegaard maintient-il l’idée d’im Dieu différent dé notre effort vers Dieu. Il n’en est pas moins vtai que dans beaucoup de passages U insiste sur cette idée que nous mettons en lumière maintenEuit : c’est seulement par la tension infinie de notre effort que nous atteindrons l’infini, par l’absolu du rapport que nous atteindrons l’absolu. Do même pour la passion. Maintenant nous comprenons ce qu’est la passion. Elle naît de notre vision de la contradietion entre le fini et l’infini. Et nous voyons aussi maintenant que l’idée du devenir^ c’est l’idée du devenir chrétien. Comment devenir chré tien ? Gomment deviendrai-je chrétien ? En effet, dit Kierkegaard, on ne naît pas chrétien, on devient chrétien. Et même, ajoute-t-il, il est plus difficile de devenir chrétien
DETERMINATIONS RE LIGIEU SES -DE L EXISTENCE
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qaand on est né chrétien que quand on n’est pas né chrétien, rar il s’agit là d’une détermination qrd n’a rien de naturel, qui tout entière dépend de notre action. Ainsi l’idée de dialectique s’approfondit par le fait que c’est une dialectique de la loi, de rnnion de la certitude et de l’incertitude. Nous avons mentionné plus haut l’individualité de Socrate, mais il y en a une autre qui domine l’histoire lioiuame pour Kierkegaard, c’est l’individualité du Christ. «Le Christ est lin individu». Il veut signifier par là q w les hégéliens auront toujours tort de voir dans le Christ une soHe de symhole de rhum aiiité. Le Christ est un individu, qui est né à telle épo^e, mort en teUe année. Ce n’est pas on symhole de ce qn’u y a de divin dans l’hnmanité, comme fe veulent les hégéliens. Quand Jésus a dit : « Je suis la vérité», il a en somme défini la vérité par la subjectivité. Comment en effet Jésus iuirait-il pu répondre à ceux qui lui demandaient ce qu'est la vérité ? Demander ce qu’est la vérité, c’est chercher des caiactéristiques objectives de l’idée de vrai. Mais Jésus i-épond : la vérité, ce n’est rien d’objectif. Connaître la vérité objectivement, ce serait pour lui déchoir de son exis tence. Il est la vérité. Et ceci nous ramène à ce qne nous disions au sujet de la volonté et qui est le nœud de la méditation de Kierkegaard : vouloir infiniment, c’est vouloir l’infini. Antrement dit, ici il ne s’agit pas de définir l’objet qui serait riufm i et de voir comment on peut l’atteindre; c’est le comment qui est (inportant, c’est la façon dont j’atteins qui me donne le but que j’atteins. D n’y a rien ici qui soit détermination objec tive, c’est le rapport passionné avec quelque chose qm fait féscellence, la divinité de ce cruelque chose : a Si j’adore le viai Dieu avec modération, dit Kierkegaard je n’adore ^ u n e idole, et si j’adore une idole avec mtensité, j’adore K vrai Dieu. » ^ o ü s devons être subjectifs, mais surtout dans le domaine ^B^eux, Ici toute objectivité est impiété, et le christanisme est religion de la subjectivité. Expression qui se b u v a it déjà chez Hegel, et sans doute chez Hegel était-ce aussi une traduction en termes philosophiques d’une expérience qui avait été primitive et profonde dans sa jeunesse. Mais quand Kierkegaard dit : religion de la suhjec-
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tivilé, il veut dire autre chose que ce que dit Hegel. Ce ^u’il veut dire, c’est qu’ici il n’y a plus de données objectives, il y a seulement notre rapport à nous individu avec l’indi vidu existant, qui lui-même n’existe que dans sou inteuise rapport avec le sentiment qu’il a de Dieu. Dans ce domaine du subjectif, il y aura autre chose que l’individu à la première personne. Quelle que soit la solitude de Kierkegaard, il se livre à une sorte de dialogue passionné, il y a une deuxième personne, la personne à qui on s’adresse, et au-dessus de la première et de la deuxième personne, il y a Dieu, non pas conçu comme un lui, mais conçu de telle sorte que soient rendus possibles les rapports entre h premièré personne et la deuxième. Tout véritable amour, pour Kierkegaard, est fondé sur Tamour de Dieu. Nous comprenons ici la communication indirecte et comment Kierkegaard, ayant un message reli^eux, l’a exposé d’abord en se plaçant à un point de vue esthétique-, puis à un point de vue éthique. Celui qui veut amener vers la religion n’a pas à se faire d’emblée l’avocat de la religion. Il s’agit de prendre, pour y ramener, des chemins très détournés,'d’autant plus que c’est seulement ainsi que sera préservée la liberté, et qu’il n’y a pas de' doctrine à exposer, car le maître est au-dessus de la doctrine. Quand Platon expose une théorie, la théorie est en quelque sorte plus importante que Platon, mais quand Jésus donne des préceptes, Jésus est au-dessus de ses préceptes, caries préceptes ne s'expliquent que par leur source, qui est Jésus, i Il y a donc un rapport tout différent entre Platon et ses disciples et Jésus et ses disciples ; le rapport est renverse, parce qu’ici le maître est plus que ce qu’il enseigne. Aus^î toute communication directe est-elle ici impossible. Ce risque dont nous avons parlé, nous le trouvons au pins haut point dans le domaine religieux, puique nom sommes en présence de l’Autre absolu, inconnaissable Notre pensée est hantée par lui mais n’arrivera jamais à k défîmr. Dialectique constante de la certitude et de rincectitude qui caractérise la croyance de Kierkegaard et qiff caractérisait aussi la croyance de'Pascal quand U écrivait (t incertitude de la religion ». * Aussi, cet existant que nous tâchons de caractériser ne sera jamais sûr d’être ce que Kierkegaard appelle le che valier de la croyance.
DÉTEttMINATIOÎîS tiELiGlEUSES DE
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OUsuis-je simplement tenté ? Je n’eo sais rien, je ne dois rien savoir, je suis ici dans le ris<|ue absolu, n Et ce risque absolu nous apparait comme lié de nouveau à cette idée de contradiction qui est le centre de la pensée kierkegaardienno. L’existant est contradictoire en luimême puisqu’il se sent fini et infini. Mais de plus, quand aons abordons le domaine religieux, et « le domaine reli gieux paradoxal», l’existant ne sent plus seulement la contradiction en lui, mais se sent devant un nœud de contra dictions multiples, même en lui. D’abord, puisque c’est le péché qui nous fait entrer dans le domaine religieux, et puisque c’est le péché qui est la plus forte affirmation de l’existence, nous voyons que le péché à la fois est déficience et nous porte vers notre salut, devient entrée, voie d’accès vers ce qui sera notre salut. Il est le contraire de la valeur, mais il est en même temps l’accès aux plus hautes valeurs. C’est par le péché que nous entrons dans l’existence religieuse, car c’est par le péché que nous nous sentons devant IMeu. Et en allant plusjoin, nous verrons que toute existence est péché, étant séparation de Dien. Mais d’autre part, nous savons que l’existence est la plus haute valeur. Problème insoluble : l’existence est pêché, et l’existence est la plus haute valeur. C’est ici que nous sommes dans un domaÎDe où toute pensée échoucé Pour Kierkegaard, et plus tard pour Jasjpers^ le péché ne se laisse pas penser. Il est l’inconcevable, le secret dn monde, l’irrationnel ; aussi serons-nous pénétrés d’une sorte d’effroi devant notre existence pécheresse. L’existant se sentira infiniment éloigné de Dieu par cette conscience même du péché, mais c’est cet éloignement même de Dieu qui le rapprochera de Dieu, c’est sa plus grande humilité qui sera sa suprême grandeur. Voilà donc déjà quelques-unes de ces contradictions fondamentales devant lesquelles se trouve Kierkegaard, qui feront cette sorte de jmssion, de souffrance passionnée dé l’entendement, rasetrtielle à l’existence. Si la subjectivité est là vérité, si nous introduire nousmêmes dans la considération de Dieu, c’est introduire un élément d’erreur puisque nous sommes pécheurs, qu’ainsi la subjectivité est erreur, nous serons divisés entre deux affir mations contradictoires : la subjectivité est la vérité, la
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suiijectÎTité est l’erreur. Nous nous trouvons toujours devant ce paradoxe : la subjectivité est fausse, la subjec tivité est valeur suprême, et notre esprit est tendu, écar telé. Mais cela, c’est précisément l’entrée dans ce que Kier kegaard appelle la religiosité paradoxale, c’^ t rentrée dans cette sphère où le temps veut s’unir à l’éternité; le degré suprême, pour Kierkegaard, de l’existence.
III La pensée da paradoxe et son influence sur la pensée existentielle.
Kierkegaard dit : « Si je pense l’existence, je l’abolis ; ' I ne la pense donc p^s. Mais celui qui la pense existe. g onc l’existence se trouve posée en même temps que la
pens^. J)
Cette trouve abolit existence. Il y a dono là une sorte de dilemîne situé en lui-même. Penser l’existence c’est l’abolir, et pourtant il faut la penser, pour fonder la pensée existentielle. Dans d’autres passages, Kierkegaard dit : on ne peut ni concevoir l’existence, ni l’éliininer. Il faut voir que Kierkegaard ne conclut pas son exis tence de sa pensée, comme le fait Descartes, mais, dans sou existence, il §aisit sa pensée. Il se conçoit au fond comme existant avant de se concevoir comme penseur. La pensée se détache sur un fond d’existence. Comme le dit Gikon dans sem livre récent : < L’homme, est un existant tel que la pensée se trouve en lui comme dan» un milieu étranger, mais avec lequel elle ne cesse d’entre^ tenir des rapports. Et ces rapports sont nécessairement de" nature paradoxale.» Par conséquent, dans l’idée même de penseur existentiel, il y a un paradoxe. Nous comprenons comment le penseur existentiel est
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PARADOXE
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osé au penseur cartésien, et plus encore au penseur hégélien. Descartes saisit dans sa pensée la pensée univer selle, et ce qui rintéresse, ce n*est pas sou existence en taut que Descartes, mais son existence en tant que penseur pensant d'une façon universelle. Il se saisit comme eliose pensante, individuelle sans doute, mais dont la valeur réside dans le fait qu'elle pense TuniverseL Quant à H ^ l , la pensée, pour lui, c'est le sens même de Tctre, de l'être des choses aussi bien que de l’être de la raison. Et la pensée chez Hegel est une pemée historique, qui considère toute chose die l’extérieur, par là même qu'elle considère toute chose historiquement. A la pensée hégélienne, Kierkegaard oppose la passion. Jj& danger de la pensée hégélienne, dit-il, c’est de nous faire perdre la passion, qpû est ce qu’il y a de grand daiu l’homme, en même temps que la décision. Un homme qui se perd dans sa passion, dit Kierkegaard, a moins perdu (pie celui qui perd sa passion ; par conséq[uent, le roman tique allemand, perdu dans sa passion, a moins perdu que le hégélien qui perd la passion, parce qu’il lui préfère les considérations objectives. Le tort de .Hegel et des hégé liens, c’est d'explicpier tontes choses et en expliquant toutes choses, Os font tout disparaître, de telle façon (jne finalement il n 'y aura plus rien à exphtpier. Leur to rt également, c’est d’admettre toutes sortes de vérités, cha cune à sa place dans le temps. Selon les h^éliens, il ne faut jamais se donner complè tement à une idée. C'est du moins l'interprétation de Kier kegaard. U ne faut être passionné que jusqu’à un cer tain point. Mais n’être passionné que jusqu'à un certain point, c’est, dit Kierkegaard,n'être pas passionné. De plus il y a une contradiction entre le système de Hegel e t son ori gine même, c’est-à-dire le besoin qu’éprouve Hegel de penser Je monde comme totalité. Bien qu’il veuille nous montrer ane totalité tout entière raisonnable, cpii serait à la fin de révolution l’Idée, il y a un philosophe qui s'appelle Hegel, ([ui est né en telle année et qui vent cette vue totale du monde. Par conséquent, dit Kierkegaard, Hegel ne tient pas compte de l’individu Hegel, et il y a quelque chose de comique dans le fait qu’un individu veuille faire un sys tème qui finalement détruit l’individu, quoique ce soit l’individu l’origine du système. Et le système ne rend
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jamais raison de rindividn. Par là, on comprend que Kier kegaard ait toujours refusé d^être considéré comme un moment d^un système. Il n *^t pas le moment de la revanche romantique, il n'est pas le moment de Tirome, ü est Kierkegaard. Enfin, le hégélianisme considère toujours le philosophe comme expression de son temps, mais il y a des philosophes qui sont essentiellement opposition à leur temps. Tel était le nas de Socrate, tel est le cas de Kierkegaard. Toutes ces considérations nous mènent ou nous ramènent à ridée que la vérité est subjectivité, que la vérité est besoin de vérité et effort vers la vérité. Ce qui intéresse rhomme, c’est moins de posséder la vérité que de chercher à l’atteindre ; c’est cet élan sans cesse renouvelé vers la vérité. Or pr^Uément cet élan est réservé à l’homme. 11 ne possédera jamais toute la vérité, mais il peut aller vers rïie constamment. Tel est donc le penseur subjectif, unissant, dit Kierke gaard, l’éternel et le temps, union lui-même de l’étemel et du temps puisqu’il conçoit la vérité éternelle, mais la conçoit en un instant du temps. Il est donc lui-même paradoxal. La pensée existentielle est paradoxale en ce sens qu’eDe est à la fois pensée et existence. Elle est paradoxale aussi en cç sens qu’elle est à la fois éternité et temporalité, infinité et finitude. L’esprit existant infîni, c’est le mys tère même de l’univers, c’est le secret même de l’univers. Nous sommés donc arrivés à l’affirmation du penseur subjectif qui se ment dans ce domaine irréductible aux considérations objectives, domaine cependant où il y a d’autres individualités que la sienne, où il y a des toi qui ne se réduisent pas à des domaine de la communication effective et subjective. Et p ar le fait que le penseur subjectif ne possède pas une vérité universaUsable au sens rationnel du terme, il a tou jours la sensation d’être en danger, d’être sur un océan agité et très profond. Et c’est l’incertitude de son rapport avec ce qu’il' croit qui fera l’intensité de sa subjectivité. Kierkegaard recourt à l’exemple de Socrate. Il ne peut y avoir pour un mortel, par rapport à l’immortalité, qu’une relation passionnée, incertaine, subjective ; c’est pour cela que, plus que les preuves de l’immortalité, ce qui prouve
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rimmortalité dans le Pkédéon, c’eat raffirmation finale : i] y a un beau risque à courir. Si nous sommes sans cesse à la recherche de la vérité dans cette incertitude, dans ce danger et ce risque, il y aura une dialectique infinie, non pas dialectique au sens liégélien du mot, qui uniüerait la thèse et Tantithèse dans la synthèse, mais une dialectique qui n’empêche pas les contradictions, qui au contraire les aiguise. Kierkegaard s’adresse à FUnique ou à l’individu, L’Unique, c’est un philosophe tel que Socrate. Mais l’Unique par excelîencB c’est le chrétien, et c’est ainsi que, de la sphère de l’existence qui n’est pas nécessairement religieuse, nous passons à la sphère religieuse. L’Unique, c’est la conclusion, au même sens que Jésus pour le dirétien est à la fois le centre et la conclusion de Thistoire humaine. C’est ici aussi que nous saisissons le heu entre les deux idées essentielles à la philosophie de l’existence, l’existence et la transcendance, le m u t moi et le pour toi d’nne part, et le devant Dieu d’antre part. La transcendance n’existe que pour l’existeuce, dira Jsui pers. Cette formule résume la pensée même de Kierkegaard. Dieu n’est là que pour l’individu. Et d’autre part l’indi' vidu n’est Là que quand il a conscience d’être devant Dieu. Ainsi nous allons sans cesse de l’existence conçue d’abord comme dispersion dans le temps et l’espace, jusqu’à l’exis tence comme tension, et même nous pouvons psAser ce stade, et aller de l’existence comme tension à luxistence comme extase, au moment mystique. Il y a donc nue sorte d’échelle allant de l’existence extension à l’existence ten sion et à l’existence extase où l’esprit s’arrête. Or le christianisme est essenti^em ent la religion de la subjectivité. Religion, dit Kierkegaard, où le^ temple est détruit au moment où Dieu apparatt. Il est répauonissement de l’esprit en tant qu’irréductible à l’objectivité. Une telle religion ne peut s’exprimer directement. La pensée de Socrate s’exprime de façon indirecte. Jésus lise de moyeiu indirects, de paraboles, et bien plus, le monde entier est nne sorte de manière pour Dieu de se cacher en se révélant. Cette méthode indirecte, que Kierkegaard avait décou verte pour lui-même, il l’élargit, il en fait un moyen de communiquer toute vérité, il en fait même la manière dont
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Dieu se communique, dont Dieu se manifeste en se cachant dans le monde. Il se manifeste en se cachant, sans quoi la liberté de l’homme serait anéantie. Il faut donc que Diea ne se montre jamais complètement, il faut que Dieu se montre seulement d’une façon ambiguë, afin que l’homme puisse se révéler, puisse révéler b ’U est hon ou mauvais, par le choix même qu’il fera. Oipendant Kierkegaard, peu à peu, est allé vers un mode direct de communication. A la fin de sa vie, à partir du moment où il a dit :e Je dois parler», il a laissé de côté ses pseudonymes, et dans la dernière formulation de sa pensée, quand il s’est opposé à l’Église établie au Danemark, c’est sous son nom qu’il a parlé. Jusque-là 11 avait employé toutes sortes de moyens détournés pour faire aller vers lé christianisme. Il avait usé de la raison pour combattre la raison. Il ne voit pas là de contradiction. On a dit bien souvent qa’ü y a là un procédé, qu’on admet par là même la primauté de la raison. Tel n’est pas l’avis de Kierkegaard^ ni celui de Pascal. Si l’on montre rationnellement les fai blesses de la raison, il n’y a aucune contradiction : la raison ne sert alors que comme moyen et pour une fin différente d’elle. Étant dans le domaine du danger et dn risque, nous comprenons la place de ce sentiment essentiel à toutes les formes de phifosophie de l’existence qui est l’angoisse. Kierkegaard nous parle une première fois de l’angoisse dans l’ouvrage c^’il consacre précisément au concept d’angoisse eu relation avec le péché. Au moment où l’homme est tenté, il voit devant lui des possibles voleter et eda l’angoisse. C’est donc un lien entre l’angoisse et le possible que nous montre Kierkegaard. L’angoisse apparaît en deuxième lieu non plus dans l’âme de l’homme tenté, mais même dans l’âme du saint, du héros ou d’Abraham : quand Abraham se demande si ce qa’U accomplit est le mal ou le bien, lui seul peut le dire, lui seul peut affirmer que là voix qu’il entend est la voix de Dieu. Le choix revient toujours finalement à nous% mêmes. C’est un point sur lequel Sartre a repris l’ensei-' gnement de Kierkegaard. En troisième lieu, la vie chrétienne est toujours orientée vers l’être, vers l’être absolu, mais l’être absolu nous ne pouvons pas l’absorber, nous ne pouvons pas le comprendre
LA F E S S E E
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îiHTânt le sens que Descartes doniiait au mat, comprendre. K dépas épasse se de de toutes tou tes par p arts ts l'êtr l'ê tree fini, fini, et e t cepend cep endant ant l’ l ’être êt re fini n’a n’a de cesse cesse qu’ qu ’il ne considère considèr e l'êtr l'ê tree aî>so î>sold ld.. I l y a là là nDOtroisiè Otro isième me angoisse, angoisse angoisse métaphy métap hysiq sique ue,, essentielle, essentiell e, eOe aussi, à la pensée de Kierkegaa Kier kegaaru. ru. Nous sommes sommes tou to u jou jours, rs, quand quan d nous pensons pensons profondém prof ondément, ent, dmis dmis le risque risq ue absolu. Nous ne pouvons ne pas nous souvenir ici du pari dfi Pascal,. A l’idée d’angoisse se lie naturellement, comine nous Favions vu en parlant de la première forme d’angoisse, ridé ridéee de péché. péché. Le péché a un double rôle. Il a un rôle pour po ur Coûte conception de l'existence. D'après Kierkegaara il oy a rien de plus individuel, il n’y a rien qni m’enferme }4us en moi-même que le péché. C’est le péché qpii détruit lü conception hégélienne du monde, où il n'y a place que po poitr des diminut dim inution ionss du bien, pour po ur des absences de bien, bien , ear il n’y a pas de place en elle pour le péché. Le péché est discontinu, individuel, transcendant. Mais, en deuxième tien, le p^hé uous fait aller vers l'existence religieuse, pu puisq isque l’idée l’idée même de péché implique l’idée l’idée que je suis devant Dieu. Elle me mène donc devant Dieu. Exister c’est donc se connaître ; c’est être tendu éthi quem quemen entt vers son avenir, et e t c’ c’est aussi, aussi, par pa r la l a volonté d'êt d 'être re tourné vers l’origine, être tendu vers son passé. Exister c’est aussi devenir. Cette idée du devenir s’était précisée dans l’idée de choix et de décision d’une part et dans ridée de passion d’autre part. Le sujet de tous ces carac tères, celui qui se connaît éthiquement et originellement, )^elui qui devient par ses décisions et par sa passion, c’est rUnique, ou encore le penseur subjectif, toujours en rap port port avec lui-même, dans dan s un souci souci infini de lui-même. No Nous avions ajout ajo utéé à ces ces tra tr a its it s le risque ris que et le danger, danger , fioaiement la conscience du péché, qui nous fait passer devant Dieu. Et, dès lors, nous voyons que la contradiction du sujet sü double d’une contradiction de l’objet. Nous sommes au stade de ce que Kierkegaard appelle la religion parar dcxale, le, la religion religion B, comme comme il dit, di t, p a r opposition à la Tcrligion immanente qui sera la religion A. Ici, dans le christianisme, le penseur subjectif, lui-même antin antinom omiq ique ue et e t ' contradictoire, contradict oire, se trouve tro uve devant dev ant une antinomie qui est la pensée de Fincarnation, c’est-à-dire
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la pensée à la rigueur impensable que rétemel a commencé dans le temps^ que Jésus est né à un certain moment da l^stoire et en un certain point de l'espace. Mais Kierkegaard éprouve le besoin de penser le contradictoire. G^est qu'il excite en nous la plus haute passioTi Nous trouvons trouv ons jointes join tes les l es idées contrad cont radicto ictoires ires ;de ;de temps el d’éternité. Le penseur subjectif est lui-même jonction de temps et d’éternité, mais la jonction se fait aussi dans cf que nous pouvons appeler l’objet de la pensée du penseiif subjectif, qui est rincarnation. Et le paradoxe s’aggravai encore quand on réflécliit à l’idée même du penseur sub jectif, jec tif, qui à propr pro prem emen entt pa parle rlerr n ’est es t intéressé intér essé que pa parr san rapport avec l’objet de la pensée, et non pas par l’objei de sa pensée lui-même. La pensée de Kierkegaard est tournée vers le comment et non n on pas vers le ce que. C’est ainsi qu’il faut se comporter vis-à-vis de l’ l ’absolu car ca r c’est ce rapp ra ppor ortt qui nous n ous le donne. Si je suis devant le Dieu vrai, et si je ne me donne à lai que partiellement, il devient une idole ; et si je suis devant une idole et si je me donne complètement à elle, elle gé transforme tout à coup et devient le vrai Dieu. C’est h eommeni qui donne le ce que. Kierkegaard Kierkegaa rd ad adm m et le Christ Chris t est né à un moment da temps, n i a i est impos impossib sible le d’abando d’abandonner nner toute affi affirm rmat atio ionn objective. Des difficultés surgissent, mais les difficultés m sont pas dès obstacles. Si la tâche est difficile, raison ib plus plu s po pour ur l ’entrep ent repren rendr dre. e. Hegel Hegel a essayé de dépasser b principe prin cipe de con contra tradic dictio tion, n, Kierkega Kie rkegaard ard ma m a inti in tien entt la l a con contratraoiction et maintient aussi le principe de contradiction. Plus il y a représentation de Dieu, plus il y a de mcl et plus il y a de moi, plus il y a représentation de Dieu. Ainsi, c’est la grandeur de l’objet devant leqpiel jé trouverai — si nous employons pour un moment ce mol d’objet — qui fera ma propre dignité. Le critérium dît moi, c^est ce en face de quoi il se trouve et qui ne peut êti^ défini que que par pa r l’int l’intens ensité ité de l’effort l’effort de ce moi moi vers vers ce p face de quoi il se trouve. Ainsi, c’est toujours l’intensit^ la subjectivité à sou maximum qui nous fait atteindre#! que Kierkegaard appelle l’objectivité, qui est une objec-"^ tivité née de la subjectivité. Il y aura donc un rapport de l’individu avec cet objet que Kierkegaar Kierke gaardd appelle l’Au l’Autre tre absolu. E t nous savons
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i[iie rAutre absolu n’est donné qne dans mon rapport avee lui. Cette idée de Dieu, de l’Autre absolu, nous explique ce tpie Ivierkegaard entend par l’autorité. 11 y a un essai de Kierkegaard sur la différence entre le génie et le prophète. Le génie, c’est quelqu’un qui se meut et que l’on considère rtane les les catégories catégories esthéti esth étique ques, s, e t ü y a des génies plus plu s ou [Qcins grands, mais le prophète, c’est celui qui est coustb tué prophète par l’autoiité de Dieu, par la transcendance qui le fait, fait , s’expr s’exprime imer. r. E t îi n ’y a pas pa s de degrés chez che z les pro prop phètes ètes.. No Nous retrou ret rouvo vons ns ici le lien entr en tree existence existen ce e t transoentrans oentâ&oe. Dne existence de chrétien, dit Kierkegaard, est en •jontact avec l'être l'êt re.. Toute existence n’existe n’existe que par p ar rappo rap port rt Avcc quelqu quelquee chose chose qui la l a dépas dépasse se.. No Nous saisissons saisissons ainsi cett ce ttee pensée centra cen trale le qpoi est es t le par parad ado oxe, «la passion de l’eut l’euten enaem aemen entt », comme <üt Kierke K ierke gaard. Il insiste sur le lien entre passion et paradoxe. LV’ntendement ntendem ent v ent en t son scandal sca ndale, e, l’ l ’ente en tend ndem emen entt es e s t pasüioimé, et dans cette passion tend verssa destruction et sa fin. Le parado par adoxe xe est es t la passion de d e la pensée. Un penseur sans parado para doxe xe est es t comme un am ant an t sans passion. passi on. 11 n’y n’y a pa pas, dit-il, dans le monde deux deu x êtres, deux d eux aman am ants ts qui se 'onviennent aussi bien que la passioù et le paradoxe. Formules romantiques, romantiques , transférées dans le dim di m a t r e li^ li ^ e n i. Saules les grandes âmes sont faites pour la passion, comme li s grands penseurs penseu rs pour po ur le parado par adoxe. xe. Ainsi, à la l a synthèse b^ b^gélie lienne, il oppose le parad par adox oxee p ar lequel lequ el la thès th èsee et l'o l'outith tithèèse so n t confrontées confrontées sans êtr ê tree unies, uni es, sans sans être absorbées dans quelque chose de plus haut. Mais au fond, a- n’est pas seulement une sorte de bonne entente qu’il y a ?ntre la passion e t le paradoxe. para doxe. Chacun e st l’ l ’autre au tre.. L a pa passion est cause e t effet effe t du para pa rado doxe xe,, elle elle es e s t le parad pa radox oxee meme. No Nous atteign atte ignons ons loi loi ce que Kierkeg Ki erkegaard aard appelle le degré l(^plus haut de l’existence. L’effort de Kierkegaard, ne l£nd pas à diminuer le paradoxe, mais au contraire à I^gmenter, à aiguiser d’un côté l’existeaGd du sujet, ïï aiguiser de l’autre côté l’existence de l’objet, à présenter la vérité éternelle à une existence qui est essentiellement temporelle. La vérité éternelle se révèle paradoxalement à une existence toute tou te tempo te mporel relle le et elle-même elle-même parad par adox oxale ale..
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LA PENSÉE DS l ' e x i s t e n c e
hoil t Pour atteindré rétemité, nous avons d'abord à hoi enfoncer enfoncer d it Kierkegaard, Kierkegaard, dans P abîme abîme du temps. U vérité éterneDe est saisie dans le temps et produite dan^^ l^ temps. Aussi certains théologiens (Bohlin, Geismar), qui ojit étudié Kierkegaard, ont sans doute eu tort d'essayer ban b anni nirr de sa doctrine doct rine Tidée Tidée de parado par adoxe, xe, afin d ’en fairt' une doctrine plus rationnelle. Ils ont dit qu'affirmer h parado par adoxe, xe, c'es c' estt [enc [encor oree faire fa ire atte at ten n tion ti on à la raisonj quand ce ne serait que pour la scandaliser, que par conséqueai on doit pouvoir éliminer cet aspect de la pensée de Kier kegaard kega ard.. Mais ais il semble qu'élim qu' élimine inerr cet ce t aspect, aspe ct, ce sérail trahir cette pensée. Voici le moment où la pensée de l'existence, pour lüerkegaarà, devient essentiellement raffirmation du christia nisme. Il n'y a pas de vérité plus existentielle, dit-U, qi^ l a vérité vér ité chrétienne. c hrétienne. Le christianisme n’es n’estt pas une un e thé théorie, ie, c'est une détermination existentielle. Il mève à la plo» haute puissance la passion de la subjectivité. Eu effet daa> le christian chris tianism isme, e, ce n ’est es t pas pa s le dogme qui qu i est es t le pinimportant, c’est celui qui apporte le dogme, c’est Jésus 'ii n’y a rien de plus imporUmt que la personne même du maître ma ître,, à la différen différence ce a u platonisme où la vérité véri té est pluï importante que Platon. Dans cette sphère, la plus haute de l'existence, d o i s atteignons à la fois ime très' CTande intensité deSsouifraucf et une très grande intensité d’action. Nous ne pouvoiL pas pa s ne pas souffrir souf frir puisque puisqu e nous sommes sommes en face d 'un 'u n w. tère tè re qui nous nous accuse en quelque sorte, qui nous n ous fai f aitt pre preud udit it conscience de notre péché, pukque ce critère est l'infiE, lui-même. Mais préci^ment, c'est parce que ce critère infini infi ni q w ce critère est es t Dieu. Dieu. Nous n'avons n'av ons plus ii de théorie. De même que celui qui a la vraie idée de l'iin mortalité, ce n'est pas le philosophe qui prouve l'immoi ans unp. talité, mais celui qui se meut d ans np. pensé en séee immorieOt. immorieOt. de même ici i l s'a s' a g it d’êtr d’êtree dans da ns ce clima cli matt que qu e nous av avondéfini, défini, il s’ag s’agit it de s'efforcer s'efforcer lyriquem lyriq uement ent de sortir sor tir de sâ en se dépassant, et cela ne peut se faire par nous-mêm^. notre plus grand effort doit être ici de nous laisser aü^' à la volonté plus grande, de nous sentir comme contraint et constr con strui uits ts p ar autre au tre chose chose que nous, pa p a r ce ce qu quelqu lque chose chose qui s’appe s’appelle lle l’Au l’Autre tre absolu qui est es t Dieu. Dieu. j
QUELQUES QUESTIONS
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Par le défilé où oa ne peut passer qne son], par le défilé du la croyance, nous allons vers la hauteur qui domine tout. Chez Kierkegaard, il y a peu de moments mystiques ; il y en a cependant. cepen dant. Ma Mais is doit do it reste re sterr individuelle , même même ea présence de Dieu et ne se perd pas en Dieu. No Noos avons insisté sur su r Télément de souffrance. L*ex L*existe istenc ncee à son plus haut degré est souffrance, souffrance religieuse. Il n’en est pas moins vrai qu’à certains moments U existe tine sorte crunion mystique de nous-mêmes et de la divi nité, union célébrée < dans les chambres les pins secrètes dul’homme l’homme », à l’in l’inté téri riee ur du san s anctu ctuai aire re.. S’il S’il y a des moments momen ts de souffrance, il y a des moments de bonheur indicible. Mais c’est c’est le moment mom ent de nous retou re tourne rnerr vers la communi cation indirecte. Celui qui a l’expérience décrite par (üerkegaard ne devra pas, d’après lui, se distinguer des .\ntrcs. n devra vivre dans le monde sans être au monde, ul fair fairee effort eff ort pour po ur ne pas sembler semble r différe dif férent nt de ses ses sem bla blabbles les.
IV Quelques questions.
Il y aurait lieu de nous demander si l’existence se snffit à elle seule. Mais l’existence n’existe que par la transcen dance. Kierkegaard nous dit : l’existence engendre une dêiermination dêiermination infinime infin iment nt plus haut ha utee que qu e ce celle lle de l ’existence A. qui est la transcendance. Il y a une union du fini et de J'infini qui nous fait dépasser l’existence ; au plus haut po point' int' de l’existe l’existence, nce, noiu no iu atteig att eigno nons ns l’infin l’infinL L Cela n’est pas une objection. La philosophie de l’exislence ne réduit pas tout à l’existence. Être un philosophe ie l ’existence existence tel te l que l’est Jaspers, Jasp ers, ce n’est n’est pas p as dire : il n’ n ’y à-€o’existê existênG nGe. e. Jasp Ja sper erss nons non s d it bien bi en : il y a au-dessus Tjrl’existence quelque chose, et l’existence n’existe que pa par rapp ra ppor ortt à cet antre ant re chos chose. e. Cette idée idée est déjà chez chez lüerkegaard. Cette première observation ne montre donc pa pas de de contradic cont radiction tion.. D’ailleurs, D’ailleurs, nous nous avons vu que monmon-
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LA PENSÉE DE
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trer une contradiction dans la pensée de Kierkegaard m sersdt pas encore la réfuter^ Comment est-il possible de penser qfiie Texistence m. snprême valeur et en même temps péché ? Mais e^est encen le cas de rappeler (pi*une contradiction pour Kierkegaantl ne doit pas être rejetée en tant que contradiction. L’eiÎEtence est non la snprême valeur, puisque la suprême valeur ce serait Sans doute la transcendance, ce serait Dieu, mai' c'est une valeur, et en même temps, elle est péchëé ^Peut-on dire que Dieu existe ? Non. Kierkegaard nou^ dit : a Dieu n’existe pas, il est étemel, Dieu ne pense pa?. U crée. »Donc, en un sens, Dieu conçu sous son aspect absok n’existe pas. Il existe quand îl se présente sons l’aspect dr Christ. Mais il n’y a pas dans ces questions d’objection fonda mentale. Une difficulté plus grande naît quand on pose h q[nestion : peut-il y avoir nue existence en dehors du chm tîanisme ? L’esthéticien, le poète, le Don Juan, tel que le décci; Kierkegaard, existe-t-il aii sens kierkegaardien du mot : L’homme moral, celui qui s’enferme dans sa foncti&r. sociale, existe-t-il au sens kierkegaardien du mot ? Oui, et un sens, puisque Kierkegaard parle des sphères d’existence; non en un autre sens, si on réserve le mot existence poiu l’existence la plus tendue. *Une seconde observation, est soulevée par le passagï^ où Kierkegaard dit : Je ne suis pas im vrai chrétien, mab 'e sais ce (pie c’est qu’un vrai chrétien. Si on le prend à iettre, ceci veut dire : je ne suis pas véritablement Un pen seur existentiel, puisque, si je suis un penseur existentiel q>'u expose ïe christianisme, je dois être chrétien, mais savoir ce qn’est ni^ vrai chrétien, cela n’a aucune impor tance, parce qu’il s’agit d’être le vrai chrétien, et non pa^ de savoir ce que c’est. Mais nous avons à faire attention ici à la (mmmunicatioB indireetà, et à la modestie de Kierkegaard, (jui pense qu%i ne doit pas dire : je suis chrétien. Détermination troj haute pour qn’on puisse l’assumér. Kierkegaard ne pouvi^ dire, et personne ne peut dire : je suis un Anrai chrétien. De là une position très difficile, puisque l’homme qui dit: il ne s’agit pas de savoir ce qu’est le christianisme, U christianisme est détermination existentielle, nous dit à
q u e l q u e s
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certains moments ; moi, je ne suis pas un chrétien^ mais je ce que c'est qu'être chrétien. Ge qui est la né^tion- de propre attitude. Peut-être est-ce seulement si on tient compte de là iummunication. indirecte qu’on peut résoudre le problème* n n’en reste pas moins que certains commentateurs de Kierkegaard se sont demandé si vraiment il est chrétien, itB est croyant. On s’est posé quelquefois la même question piuir Pascal. On a parlé du scepticisme de Pascal, comme lia fond de la pensée de Pascal. Pascal se force, dira-t-on, à Être chrétien, Kierkegaard se force à être chrétien. Mais !« forcer à être chrétien, c’est n’être pas chrétien. Là ïiissi reste une difficulté. Une autre question porterait sur le rapport du subjectif rt de Fobjectif. Il s’agit, dira le kierkegaardien, de l’intenüité de notre rapport avec l’objet de la croyance et non de l’objet Ini-même,^ mais pourtant il faut bien que tout cela rattache à quelque chose ; c’est-à-dire au fait de la iiûissance et de la mort du Christ. Il y a là un savoir. Ce savoir, Kierkegaard pense le posséder ^ o e à l’Écriture. C’çst un savoir qui vient de la parole même de Dieu. Mais *mment savoir que c’est la parole de Dieu ? Ici Kierke^ard ne peut répondre. Je crois une chose, c’est cela même fa foi et il n’y a pas à discuter. Voüà ce qu’il répondra. Mettre en doute la parole de Dieu, c’est faire un acte de désobéissance, il n’y a qu’à accepter. Peut-on se rallier complètement à cette pensée qui se fonde sur une foi qni ne veut pas de preuve puisque même invoquer des preuves se serait mettre en doute la foi ? Une dernière question me ramène encore au livre de GHson. L’auteur montre qne Kierkegaard analyse extrê[uoment bien les catégories chrétiennes, les distingue rhacune des autres et les distingue de toute autre chose. Mais, dit-il, ces catégories, ce sont malgré tout des choses abstraites, et celui qui existe, c’est le pauvre croyant qui (toiifond les catégories. Par conséquent, Kierkegaard reste d'im certain point de vue un penseur abstrait, c’est l'homme ^ confond les cat^ories qui est peut-être de ce point de le penseur concret. pue conclure ? Kierkegaard a écrit : « La catégorie de rUnique est un art plus grand que tous les arts, l’existence est un art» et cet art en tout cas on ne peut pas le lui
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refuser. Les questions mêmes qn*on peut se poser au sujei de son attitude montrent qu^il a possédé cet art d’exister, ti de se poser comme problème, il est un homme probléma tique, un homme problème, comme le sera Nietzsche m peu plus ta rd .
Eiarkegaard et les phübsoplies de i'esdstence, Nietasche et Kierkegaard.
Pouvons-nous dire quelque chose de Tinfluence exerçë« par Kierkegaard sur les philosophes de l’existence? To b ces penseurs vont garder de lui l’idée de solitude, ridc^ de Pangoisse, de la subjectivité, celles du délaissemenl. du souci, de la mort. 11 n’y a pas une seule idée de la phdfr Sophie de l’existence dont on ne trouverait l’origine dasr la pensée kierkegàardienne. Cette pensée sera complétée, et jointe à l’idée du mon^ à l’idée de l’histoire, à l’idée de la communication avec ü antres hommes.
gaardienne d’aller vers l’origine, vers- la source, qtil nomme Ursprung. Heidegger tiendra de Kierkegaard son insistance l’élément de facticité, sur l’élément de fait. Nous somniê ici, nous sommes sur terre, c’^ t là le fait que nous avob à prendre sur nous. Et nous sommes limités par la mfo^. C’est devant la pensée de la m ort, ^ s a it Kierkegaard, noos prenons le plus intensément conscience de no^ individualité. Cette idée est an centre de la doctrine % Heid^ger, elle se joint en elle avec la pensée du néajâ Kierkejgaaîxl avait parlé du néant surtout au sujet possibles, quand il parlait de ce moment avant le p é(^ où nous voyons devant nous des êtres, demi-néant, demiêtre, qui sont les possibilités. L’idée de néant sera au centre de la philosophie de Heidegger et de Sartre.
KIERKEGA.ÀED ET LES PHILOSOPHES
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De Kierkegaard aasai, Heidegger tient sa critique du monde de tous les jours, du inonde moderne, de ce que Heidegger appelle le Man^ le on. 11 y a rinauthentique et rauthentique, c’est une division qae nous retrouverons dans toutes ces philosophies de l’existence. Or, l'authenlîgue c’est Kierkegaard qui l’ale premier analysé. Heidegger hii doit beaucoup. L’importance du danger et du risque reparaît chez Heide^er. Ce n’est plus le même risque, ce n’est phis un risque religieux, c’est nn risque ontologique. L’homme est défini par Heidegger comme l’être qui met en jeu son être ftt pensant sur l’être. U y va de son être. L’homme est Têtre métaphysique qui se met dans cette situation dan gereuse de mettre en question l’être et par là même son 11 y va de l’être dans son être. II y va de son être, quand U met en question l’être. La pensée de Kierkegaard se retrouve paiement dans relie de Sartre, malgré toute la différence qu’il peut y avoir entre eux. Kierkegaard dit que c’est à Abraham à décider que c’est la voix de Dieu qu’il entend. Cette affir jiiation est au centre de l’existentialisme de Sartre. C’est toujours l’individu qui décide en dernière analyse. Mais liadividn, qu’est-il pour ICierkegaard ? Il est essentielle ment ambigu ; Kierkegaard lui-même, s’analysant, a dit fLidque p s ^ qu’il était une sorte de zéro allant d’nn extrême à l’autre. On trouverait ici une origine de l’idée de liéant chez Sartre, quand il pense que le pour soi, la cons cience, peut se caractériser essentiellement par son ambi guïté. Kierk^aard dit : « Que valent mes actions, alors que ]c ne sais rien de ce que la prochaine peut être f Seul Dieu pourra juger, je ne suis que devant Dieu. » Ou pourrait dire que Sartre conserve l’idée de Kierkegaard, mais comnm il supprime Dieu, U ne reste que le néant que je suis. Ainsi dans toutes ces philosophies, l’existence se pré sentera comme ambiguë, limitée et dialectique. Cette cûdstence limitée et ambiguë, cette existence ddalecticpie, eUe que nous avons saisie d’abord chez Kierkegaard, irt c’est en se référant à Kierkegaard qui l’on peut com prendre l’idée de Heidegger : l’existence est l’essence de l’homme. L’essence de l’homme, dit Heidegger, c’est de se relier à autre chose. Seulement Heidegger n’a plus cette
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transcendance dont parlEÛt Kierkegaard de sorte que cc à quoi rhomme sera lié, c*est le inonde. Chez Jaspers comme chez Kierkegaard, il y a un domaine nous dépasse, le domaine de Têtre. Le prohlèmç deTiendra plus aigu avec Heide^^r et Sartre, qui main^ tiennent un lien avec la transcendance, mais la transcen dance sera définie par eux de tout autre façon, puisquhk nient la transcendance divine. Nous savons donc en quoi consiste la dialectique di> Kierkegaard qui va de notre existence à Têtre de Dieu paf une suite de crises et de paradoxes. Nous savons que l’exhtence est à la fois brisure et unité,
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christianisme intransigeant, Tantre sa croyance en la tolonté de puissance. Ces deux conceptions semblent au premier abord elles-mêmes opposées entre elles, mais c'est à cause de ces deux conceptions qu'ils sont des négaLeiiTS du système de Hegel, et de toute philosophie pureinent rationnelle. «Tous les deux mettent en question la raison du point de vue de la profondeur de l’existence » éei^t Jaspers. Tous deux ont été élevés dans le christiaflisme. Tous deux ont subi assez profondément l’influence de Schopenhauer, Tua au début de sa vie, l’autre à la fin de k sienne>Tous deux ont réfléchi longuement sur le cas de Socrate, d’une façon différente il est vrai, car Socrate est k grand maître pour Kierkegaard et le grand ennemi pour Nietzsche. Dans cette inimitié de Nietzsche pour Socrate, il y a néanmoins du respect, et c’est une observation g^érale que nous pourrons faire pour Nietzsche : ceux ^quels il s’oppose le plus sont en même temps ceux stfxquels il tient par des liens très profonds. Même on pour rait dire cela au sujet de son opposition au christianisme. Ihi de ses derniers messages a été celui par lequel il déclare naif en lui Christ et Dionysos. D y a à la lois chez lui du mépris et une certaine attirance jitlnr Socrate. La théorie des perspectives et de l’interprétation chez t^tzsche pourrait, dans une certaine mesnre, se compléter par une théorie de la vérité subjective, analogue à celle de ÎSèrkegaard. Nous savons qu’en Socrate, Kierkegaard révérait un g ^ d existant. L’existant est cêlm qui se connaît hnmsme et qui est essentiellement individualiste. Nietzsche l’apologie de ce qu’il appelle Je masque, Kierkegaard (Æîe de la dissimulation, afin de protéger l’individu contre ^ autres et contre la société. Çét individu qu’Us veulent développer est ambigu, et l^^uît, chez tous deux, des contradi^ions. Ds s’adressent f^indivîdu, au disciple, mais qui ne doit pas être à porler un disciple, puisqu’ils veulent que ^ c u n fasse sa propre éducation. Kierkegaard fnvoque rUnique, Nietzsche dresse la figure solitaire de Zarathous tra et de ceux qui veulent s’écarter de la foule. Tous deux sont des individus s’adressant à des individus, et des individus passionnés. Un des commentateurs allemands de
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Kierkegaard (Vetter) a écrit : « Le chrétien est pour Kierkegaard une idée passionnée comme le surhomme pour Nietzsche.» Bien que Tun soit chrétien, l’autre anti-chrétien, nous pouvons dire que tous deux sont de» critiques de ce q[ue Kierkegaard appelle la chrétienté en tant qu’opposée au christianisme. La critique que fait Kierkegaard de la chrétienté est fon dée sur son admiration profonde pour le christianisme. Au premier abord la comparaison entre les deux penseurs semble difficile et paradoxale, puisque Kierkegaard pense en présence de la divinité, devant Dieu, suivant sa catégorie fondamentale, et qu’au contraire, on pourrait dire que Nietzsche pense en présence de l’ahsence de la divinité,, si Ton peut dire^ chose plus terrible que de penser en présence de la divinité. Kierkegaard est devant Dieu ; on pourrait dire que Nietzsche se présente lui-même à luimême comme étant devant un Dieu mort, devant le cada vre décomposé de Dieu, et c’est alors qu’il atteint la pa& fsdte solitude. Mais son athéisme n’est pas un athéisme objectif comme l’athéisme du xvm^ siècle, il ne s’agit pas pour lui de constater qu’il n’y a pas de Dieu, il ne dit pas même « Ï1 n’y à pas de Dieu», il dit :•« Dieu est mort», ce qui esb malgré tout une sorte d’affirmation que Dieu a vécu, et ff. ^ t très difficile de dire que Dieu a vécu sans recohnalti# qu’il vit d’une certaine façon, * 11 ne faut pas voir là une coi^tatation, mais plutôt nn^ sorte de meurtre sacramehtel, de meurtre sacré : il fauî' tuer Dieu. C’est ce que Jaspers a appelé un athéisin| existentiel, c’est-à-dire une opposition existentielle # Dieu. f A la place du savoir objectif, Kierkegaard met la croyanc^ Nietzscme la volonté de puissance. Mais dans l’incroyan^de Nietzsche, il y a une croyance et peut-être dans ÿ croyance de Kierkegaard y a-t-il une incroyance, puisqi ^ Kierkegaard dit toujours que la croyance a à lutter cont rmcroyajiee, mais ne triomphe jamais d’elle, d’nne fa$ définitive. Une croyance qui serait complètement S£ incroyance en elle, sans une incroyance dont elle essaie de triompher, ne serait pas croyance tout à fait vivante. Ainsi l’opposition entre croyance et incroyance semble s’évanouir si la croyance, par sa dialectique, conserve en
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elle une incroyance, et rincrôyance implique une certaine croyance dont elle a sans cesse à triompher. ISieslzsche, certes, n’est pas classé ordinairement parmi les philosophes de l’existence, mais il a philosophé, il a écrit son œuvre, comme il le dit lui-même, avec tout son corps, avec toute sa vie. Les vérités qu’O met au jour, sont, suivant son expression, des vérités sanglantes, des vérités qui portent la marque de son sang. Donc tous deux sont des penseurs subjectifs et passionnés. E t cette passion rient de ce qu’ils sentent la lutte à mort entre la connais sance et la vie, et pourtant ont le besoin tons deux de maintenir une certaine connaissance, une connaissance aiguë et passionnée, en même temps que de laisser se conti nuer une vie intense.' L’existence pour Kierkegaard se meut essentiellement dans le devenir et le temps. Or, il en est de même chez Nietzsche, qui oppose à toute vision statique du monde le dynamisme de cet instinct de création, de cette volonté de puissance qui est au fond de l’imivers. L’idée de possibilité chez Kierkegaard; présente, n’est pas moins importante chez Nietzsche, et elle prend des valeurs et des nuances différentes snivani les domainea où il l’ap plique. Ainsi, le phUosophe pour Nietzsche devra être celui qui conçoit une multitude d’hypothèses, court une multi tude de risques, aborde de dangereux «peut-être». Kier kegaard nous avait dépeint l’âme croyantecomme en voyage sur des mers profondes. De même Nietzsche nous décrit le surhomme sur la m er de l’infini. Chez tous deux se trouvent ridée de dangereux «peut-être», l’idée de problème et même l’idée d’ chomme problématique».
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de rincamation, mais anssi instaiit dans chacune de nos vies, quand nous nous concevons nous-mêmes comme jonction du temporel et de rétemeî. Ces deux fonctions de l’instant, nous les trouvons également incarnées, symholisées dans ridée de l'Élernel Retour chez Nietzsche. Qu’est-ce que r Étemel Retour ? C’est en premier lieu quelque chose d’absurde, l’idée que nous nous retrouverons, que je dirai la même chose devant vous une infinité de fois. C’est quelque chose dont nous ne pouvons pas, dit Nietzsche, supporter même la pensée. Et c’est pourtant quelque chose qu’il pense prohahle, étant donné rinfinité du temps et de l’espace, n est peu probable qu’il ait réussi à prouver cela, mais l’important, c’est sa volonté de le prouver. Pourquoi cette volonté ? Parce que c’est une pensée absurde, et qui nous pensée ae metzscne la ipnction que accomplit dans celle de Kierkegaard. C’est une sorte de martyre pour l’entendement. Mais pour eenx qui peuvent et savent dire oui àTÉtemel Retour, c’est le fait que chaque instant a nne valeur infinie, puisqu’il se répète une infinité de fois ; ainsi réapparaît l’idée d’éternité. Les deux fonctions que l’Incarnation du Christ accomplit chez Kîerke^ard, no\is pourrions dire que l’Éternel Retour les accomplit chez Nietzsche. Chez Nietzsche, grâce à i’Éternel Retour tous les instants sont emplis d’éternité, comme chez Kierkegaard grâce à l’incamation du Christ, tout peut prendre ici-bas une valeur infinie. On pourrait dire que l’un, Kierkegaard, ae voulant le contemporain du Christ, insiste plutôt sur le passé du monde, et que l’autre, Nietzsche, insistant sur le surhomme, met en avant l’avenir. Mais cette distinction, est seulement appuente, car le fond de leur pensée est qu’U doit y avoir une identité du passé et de l’avenir dans l’instant réel. Le surhomme nietzschéen sera celui qui se rendra compte que tout passé est en même temps avenir, et qui, par là même, aura la force de dire oui au monde. De même que le chrétien, suivant Kierkegaard, sera celui qui aura l’idée que rincarnation et la résurrection sont un fait éter nel. L’acte par lequel nous disons oui à la vie,chez Nietzsche, est analogue à Pacte de la répétition chez Kierkegaard. Allons encore plus loin dans la pensée de Nietzsche, en
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meLtant eji rapport sea deux idées fondameutales, l’idée du surhomme et l’idée d’Éternel Retour. Le siulxonune est celui qui aura assez de force pour supporter la peusée de l’Êternel Retour. Or qu’est ce que le surhomme ? C’est celui qui dépasse l’humaiiité. Qu’est-ce que l’Étemel Retour ? C’est la pensée que lien ne peut être dépassé. Immense contradiction. Mais Nietzsche, pas plus que Kierkegaard, n'est effrayé par les contradictions. Le surhomme qui dépasse l’humanité sait en même temps que l’humanité ne peut pas être dépassée. Insistons encore sur un autre élément de l’idée de surhomme : le dépassement, que les philosophes contem porains appelleront du mot ancien de transcendance. «L’homme, dit Nietzsche, est quelque chose qui doit être dépassé.» Dans cette pensée, nous voyons la première esquisse de l’idée de transcendance, telle qu’elle sera com prise par Jaspers et Heidegger. A l’intérieur de l’homme se trouve un mouvement de tranBcendance. Mais la transcendance prend un autre sens quand on se rend compte qu’il y a quelqpië chose qui dépasse abso lument l’homme, qui écrase l’homme, et qui est précisément cet élément contradictoire qui se révèle par les contra dictions. Le mouvement de transcendanc#^ vient a!o]^ se rencontrer averc le terme transcendant quîestrË tem elponr Kierkegaard et qui est l’Étemel Retour pour Nietzsche. Sur ce fait Jaspers a médité quand il a construit sa philosophie, car, comme nous le verrons, la philosophie de Jaspers consiste à dire qpie l’existence au sens précis du mot prend place entre deux autres termes, un terme c^’il appelle le Dasein, qui est, au premier abord du moins, l'être en tant que donnée empirique, et la transcendance, dont nous ne pouvons rien dire que par symboles, par signes, et par signes contradictoiresr avec eux-mêmes, par des antimonies, par des cercles vicieux, par des définitions qui se nient elles-mêmes. Ainsi, jaspers pense que l’on doit prendre l’ensemble de la pensée de Kierkegaard et de Nietzsche moins comme quelque chose de donné et de statique comme u il signe, «un chiffre», de quelque chose qui noiis dépasse infi niment, qui est le Dieu inconnu, le Dieu inconnu des néo platoniciens et des gnostiques. Jaspers relève que Kierke gaard a insisté sur cette idée du Deus incognitiis et que
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Nietzsche a écrit dans sa jeunesse un poème adressé an Dieu inconnu. Diaprés Jaspers la méditation de IGerkegaard et celle de Nietzsche ont échoué en un certain sens. Échec néces saire, qui nous fait entrer par aTance dans la philosophie de Jaspers. Nécessité qui s’explique, parce que la pensée humaine échoue nécessairement devant la transcendance. Quelle est la signification de tout Tensemhle de ces deux pensées, celle de Kierkegaard et celle de Nietzsche? £n eux, dit Jaspers, le monde moderne prend conscience de son. échec. £n eux, la modernité se nie elle-même, elle veut revenir à la vision chrétienne chez Kierkegaard, à un idéal anté-socralique chez Nietzsche. C’est donc u ü ê façon pour le monde moderne de dire qu’il veut se débarras ser de lui-même, retrouver l’être. Ges deux philosophes, de deux façons différentes, nous ramènent, d’après Jasperé, à ia pensée et an sentiment de l’être. Ainsi, ils ont critiqué la raison, mais ce n’est pas dans l’intérêt du scepticisme, c’est pour éveiller une nouvelle attitude de pens^. On pourrait parcourir les oeuvres de Nietzsche du point de vue de l’histoire de la pensée existentielle, montrer comment J^pers peut trouver en elles l’exemple de ce qu’U appellera les sitnations limites, comme la souffrance la mort, l’idée de transcendance, la logique des contra dictoires, et enfin l’échec comme cluffre de ce qui noos dépasse infiniment. C’est an ce sens pârticuliërement que Jaspers voit dans les symboles conçus par Nietzsche signes aux significations infinies. Jaspers critique Nietzsche, qu’il montre oscillant entre une sorte d’empirisme et une sorte de romantisme. Nietzsche Yonlart trouver une preuve scientifique de l’idée de l’Ë t ^ nel Retour. Selon Jaspers c’est une erreur, parce que l’idle d’Éternel Retour se situe au delà de la sphère des choses qui peuvent être démontrées par la science. «Tantôt, dit J^Nietzsche est un penseur enfermé dans le fini (c’est-à§ers, ire qu’il veut se contenter de données scientifiques), tantôt c’est un penseur qui s’évanouit en quelqne sorte dans d^ horizons infinis par un romantisme sans fin ; mais jam ai^ n’aboutit à constituer quelque chose qui nous satisfa^^ complètement. « Nous pouvons nous demander, et c’est là une question que se pose Jaspers, si le mérite de ces philosophes ne tieul
LES CATEGORIES EXISTENTIELLES
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pas dans une certaine mesure à une sorte de défifiietfce de leur vie propre. Jaspers écrit : oVoüà finalement quelle est la question, la question paradoxale ; la condition du souci de l’existant au sujet de l’existence, chez Nietzsche et chez K ierke^ard, n’est-ce pas leur manque existentiel ? >Tous deux sans lien avec d’autres pei^onnes, célibataires, et solitaires qui ne vivent que pour une idée: De leur propre jugement ils constituent des exceptions et sont, disent-Ûs aussi, des héros du n^atif. Ainsi, la philosophie de l’existence, si elle se rattache à Kierkegaard et à Nietzsche, se rattache à deux grandes'exceptions. «t11faut, disait Nietzsche, être en faveur àe l’exception, pourvu qu’elle ne devienne pas la règle. > Nous trouvons ici un paradoxe. Jaspers lui-même n’est pas une exception. Professeur de philosophie comme lés autres professeurs de philosophie, mais qui philosophe, dit-il lui-même, à la lumière de ces deux exceptions. Son œuvre a été de penser, loi, non exception, à la lumière de deux grandes exceptions qui sont Kierkegaard et Nietzsche. Telle est sa situation dans la profondeur de l’histoire. Gomme le dit Jaspers, Kierkegaard et Nietzsche nous délivrent, sans nous placer devant des tâches définies par eux. On ne peut devenir que ce qu’on est destiné à être, lis sont des éducateurs, non pas des éducateurs dans une doctrine qu’lis nous exposeraient, nous imposeraient, mais dans notre propre devenir, mais dans notre propre être. Une fois que nous avons médité snr eux, nous ne ponvons plus continuer à vivre dans la continuité de la ^adition eoneeptuelle. Leurs ouvrages sont des signes d’une signifL cation infinie, des chiffres de la transcendance. VI Les catégories existentielles.
, Nous tenterons maintenant de donner une liste un peu scolastique ou un peu hégélienne des ' catégories de la philosophie de l’existence qui nous serN-ira, bien qu’elle soit un peu compliquée, pour nous débrouiller dans cette philosophie.
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LA PEKSEE DE L EXISTENCE
Cette liste de catégories a cette caractéristique (malheu reuse, dirait Kierkegaard) qu’elle procède hégéliennement plutôt qu’existentielleiiLent, par trinité de termes qui sont parfois des thèses, des antithèses et des synthèses (sans l’être toujours). Nous ayons yu les deux origines des philosophies de rexistence : l’idée de fait, de contingence ou de facticité» d’une part, c’est-à-dire l’idée qu’il y a un élément d’empi risme, un élément de donnée irréductible à la raison, et d’autre part l’idée d’émotivité. Nous avons vu en effet qu’elles sont à la jonction de deux courants, le courant que nous avons fait remonter à Kant, qu’on pourrait faire remonter plus haut que lui, qui montre riirêductihilité de l’exislecce à ressence, et fc courant religieux qui vient de Pascal, de Luther, de saint Augustin.^ Nous avons ainsi constitué notre première triade qui sera : facticité, émotivité, existence, qui eâ comme une sorte de synthèse des deux catégories précé dentes. L’eu soi de Sartre irait du côté de la facticité ; le pour soi du côté de l’émotivité. Nous en venons maintenant à la deuxième triade ; l’existence n’a d’existence que par rapport à l’être. L’exis tant est celui qui se pose la question de l’être absolu, la question de Dieu. Nous verrons cela dans Jaspers, nous verrons surtout cela dans Heidegger. Qu’est-ce que l’exis tant pour Heidegger ? L’existant, c’est chacun de nous en tant qu’il se pose la question de l’être. Le rapport entre l’existant et l’être, c’est ce que nous pouvons appeler la transcendance, la transcendance de l’existence vers l’ètre. Nous avons ainsi la seconde triade : existence, être, transcendance. 11 y aura à noter, au cours de l’histoire des philosophies de l’existence, le changement de sens du mot transcendance. philosophe fait que nous philosophons non pas dans l’étemel, mais en un ceitain lieu et à une certaine date. Jaspers parle de sa situation, de sa situation philosophique qui est de philo sopher comme nous l’avons vu, à la lumière de deux excep tions qui sont lüerkegaard et Nietzsche. Et, si nous prenons l’origine de la philosophie de l’exis-
LES CA.TEGORIES EXISTENTIELLES
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trench, Kierkegaard^ nous voyons qu’il philosophe à partir de sa situation psychologique, de ses relations avec sou père, de ses relations avec sa fiancée. Voilà donc une caractéristique de la philosophie de l’ezis-' tence, et voilà la troisième triade : existence dans le temps, possibilité, situation. Mais l’idée de temps peut se préciser à l’aide de la triade suivante. Nous avons insisté sur l’idée d’origine et de source. 11 faut toujours aller vers l’origine ; nous l’avons TU, en analysant la pensée de Kierkegaard. D’autre part, l’homme est toujours tourné vers l’avenir, faisant des projets, suivant le terme de Sartre. Donc tourné vers le passé, tourné vers le futur (nous avons vu *^la aussi dans la comparaison entre lüerkegaard et Nietzsche), et constituant le présent par une sorte de joncdon du passé et du futur. Nous avons ici la quatrième triade : origine, projet, instant. Et l’existant existe par rapport à soi, comme nous l’avons m à propos de Kierkegaard : un être existant c’est un èlre en rapport infini avec lui-même en même temps qu’il est transcendant par rapport à soi, qu’il accomplit un mouvement de transcendance. C’est ce que nous avons à préciser maintenant. L’existant choisit et se choisit. Et l’idée de choix, pour tvierkegaard, mais encore plus pour Heidegger et pour Sartre, implique l’idée de néant, implique l’idée de faire du fiêact quelque chose, et ce choix se fait par là même nécessairement dans l’angoisse. Nous avons donc là une [louvelle triade, la cinquième : choix, néant, angoisse. Nous en venons à l’idée de Liberté qui est au fond équi valente à l’acte de choix. Ici nous avons une difficulté paiti bUlière dans la constitution de notre triade, parce que cette liberté peut aboutir à deux choses différentes : soit à l’échec, ?oit à ce qu’on peut appeller le triomphe, et à ce que cea philosophes appeUent le répétition : c^est l ’acte par lequel oû prend sur soi ce qu’on est, c’est Pacte par lequel on rend nécessaire la donnée contingente (triomphe relatif pidaqu’il consiste au fond à appeler triomphe une sorte ns soumission à nous-mêmes en ta nt que donné à nousmêmes). Quoi qu’il en soit, la liberté va soit vers l’échec, eoit vers la répétition. Et comme résultat nous avons rauthenlicité. Ce sera la sixième triade.
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LA PSN SK S DE L EXISTENCE
Nom arrivons à la septième, qui concerne noos-mêmes et nos rapports avec l'autre, et qui sera constituée de façon plus classique dans son architecture par idées de l'U n i^ e , de Tautre et de la communication. Vouà l'ensemble des catégories de l'existence. Il se peut qu'il y en ait d'antres.
DEUXIÈME PARTIE JASFERS
I Jaspers et le problème de l'être. Les expériences fondamentales. La partie critique.
Veaons-en maintenant à Jaspers. Jaspers n'a pas été d’abord un philosophe, mais im psycho-pathologi^. R a été Tauteyr d’un traité reconna encore aujourd'hui comme fondamental : Allgemeine Psychopathologiej en 1913. Puis est venu un ouvrage très important pour la formation de la pensée de Jaspers, La psychpîagit des çisions da monde^ 6n 1919, et c'est là que se dévoile l'importance extrême de la pensée de Kierkegaaird pour lui. La méditation de Jaspers est une sorte de commentaire, d'approfondissement par fois, de généralisation de la pensée de Kierkegaard. Par exemple, quand Jaspers nous dit que dans l'existence, la profondeur est liée à l'étroitesse, c’est à Kierkegaard qra'il pensa. Quand il nous dit qu'il faut penser à partir de eitusrtions, c'est encore l'exemple de Kierkegaard qui est devant ses yeux. Il est vrai que d'autres philosophes ont joué un rôle dans le développement de la pensée de Jaspers; il part son#nt dans sa méditation d’idées proches de celles de Kant, et est influencé aussi par des auteurs panthéistes et mys tiques comme Nicolas de Guse, comme Giordano Bruno et comme Spinoza.
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LA PENSÉE DE
l
’ e XISTENCE
Il publie Philosophie en 1932. A partir de là, il déve loppe sa pensée, ou plutôt la concentre en deux opuscules. Tun La raison et Vexistence^ en 1935, et l’autre La philoso phie de Vexistenee, en 1938. 11 confronte d’autre peirt sa pensée avec celle de Nietzsche et avec celle de Descartes, qu’il juge et condamne comme infidèle à sa propre origine (Ursprung), suivant le vocabb iaspersien. La pensée de Jaspers est que Descartes a nm la- main pour ainsi dire sur de très grandes vérités, au moment du doute, au moment du cogito, mais bientôt a submergé'par une sorte de dogmatisme. La question que se pose Jaspers, est une question qui concerne l’être. C’est le problème de l’être qu’il formule au début de ce grand ouvrage en trois tomes qu’est La Philosophie. Je me pose des questions comme ceUes-ci, dit-il : Qu’eet-ce que l’être ? Pourquoi y a-t-il quelque chose ? Pourquoi n’est-œ pas le uéant qui est ? Qui suis-je ? Que veux-je authentiquement ? Tournures très personnélfes ; c’est qu’il n’y a pas d’êtrs en général. Ici l’ontologie de Jaspers, si on peut parler ^ u r bii d’ontologie, s’oppose à ceOe de Ss^re ou de Heidegger. 11 s’intéresse à la question dé l’être, mais il sait d’emblée m e nous ne pourrons pas avoir un système dé l’être, que l’être total nous échappera. C’est pour cela que Berdîaeff a dit qu’il n’y a pas d’ontologie chez Jaspers. Il y a néanmoins un désir d’ontologie. IT y a différentes sortes d’êtres, dont on ne peut faire l’unité. Il y a ce qu’il appelle l’être objet, l’être en soi, l’être pour soi. Ce sont les modes, les pôles de l’être, et je ne peux les réduire l’un à l’autre. Si je réduis tout à l’être en soi, j ’en fais im objet, je le transforme en être objet ; si je réduis tout à Têtre objet, je fais quelque chose de contradictoire, parce qu’il n’y a d’objet que pour un sujet, et je ne puis non plus réduire tout l’être à mon moi parce que mon moi est orienté vers autre chose que lui. Cette méfiance envers une ontologie unique, si elle n’e^ pas manifeste chez lès autres philosophes dits philosopli^ de Texîsténce, comme Heidegger et Sartre, est pourtanl^ implicite en eux, car pour Heidegger, il n’y aura pas un être sous lequel on puisse subsumer toutes les autres formes d’être. Il nous dira qu’ü y a cinq formes d’êtres très différentes les unes des autres. Pour Sartre, il y a deux
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et
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p r o b l è m e
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fûmes d’êlre, l’en soi et le pour soi, dont il ne semble pas nu’i! puisse faire Tumté. Par conséquent nous pouvons voir déjà que ces philo sophes qui se préoccupent essentieUement de la question dé l’être, puisque l’un, Heidegger, intitule son livre fonda mental U Être et le Temps ^ et que l’autre intitule son livre londamental L'Être et le Néants n’arrivent pas malgré tout à nous donner une solution du problème de l’être. Heidegger et Jaspers citent volontiers Aristote, disant : %lt n’y a en philosophie qu’un seul problème toujours dis cuté, c’est le problème de l’être.» Mais Heidegger n’arrive pas à nous en donner une solution, ni Sartre ni Js^pers. Jaspers a conscience qu’ü ne peut y avoir de solution ; çette absence de solution, est la condÜtion de notre liberté et de notre spontanéité. Si nous pouvions trouver ce qu’est rêire, il n’y aurait plus de place pour nos mouvements authentiques et spontanés. Sans doute, fait observer Jaspers, les Universités pré tendent nous donner une théorie de la connaissance, une métaphysique, une théorie des valeurs. Mais il constate là déception de la jeunesse deyant cette théorie de la {ÿnnaîssance, cette théorie des valeurs. La jenn^e dont 4 parle se détourne de la philosophie et va vers la science, ilsos d’autre part la science est devenue, à la fin du U# siècle, critique d’elle-même. Peut-être pour la première dans l’histoire, en tout cas plus nettement que jamais, k ^ence conçoit qu’elle a des limites, que ses principes mis en question, et que la connaissance se heurte à itasbomes iofranchissables. Tel est le début de la méditation de Jaspers. Il continue m montrant que le monde au premier abord se divise en siei et non-moi, le moi étant lié au non-moi sous ses deux fôrÿies de matière contre laqueUele moi a à lutter et dont é'^î^e part il se nourrit, et d’esprits avec lesquels il est yé,r;Jl y a une inséparabilité de moi et du monde. Mais lUgmi ne peut faire une unité complète. Il n’existe pas JMité subjective. Les sujets sont multiples, et chaque est hn-même. D’autre part, il n’exis^ pas d’unité ’i^cUve; chaque science voit le réel d’un point de vue diff'irent. Chaque science aussi, observe-t-il, a des données qui luisent fournies par la nature, ou elle est suspendue à des |irincipes. Nous n’avons nulle part une science qui se
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LA PEN SEE DE L EXISTENCE
suffise à eUe-même. La science dépend des faits, d*une part., des principes, diantre part, et elle n^arrive nas. à noa^ donner une unité. Ainsi Tunivers que nous aonnent ks sciences, car il faut dire les sciences, et non pas la scienoe, est nécessairement un univers brisé. G*est dire que le« philosophies qui essaient de nous montrer une unité dt Punivers, que ce soit le positivisme d^un côté, ou ridéalisme de Pautre, échouent nécessairement. Ët elles échouent pour la même raison, à savoir qu^eUe croient que tout est éncnir çable en termes objectifs, elles croient que le tout de Têtre est perméable à la pensée. Le positivisme dit (m’il n’y^ que des faits, l’idéalisme dit qu’il n’y a que des idé^: aucun des deux ne tient compte de cet élément que Kier kegaard nous a appris à sentir, qui est Tindividu snbjectif NL dans le positivisme, ni dans l’idéalisme de Hegel d n’y a de place poux l’existence, pour le dioîx, pour h volonté. Qn’est>ce donc que l’Individu ? C’est ici que la méditation de Jj^peis fait un nouveau pas. 11 y a derrière l’ensembh de nos déterminations Ibmques, il y a derrière notre esprit quelle chose qu’il appelle l’existence. ff Orientation dans le monde», « Existences,* Transcen dance », les titres des trois tomes de La Philosophie sigi^ fient dans le langa^ traditionnel : monde, âme et L’existence, ce n’est pas pour Jaspers la pensée imper-; sonnelle de Descartes, ni ceUe de Hegel ; c*est quelque chéai d’inexplicable, que je puis seulement, suivant le «mot Jaspers, éclaircir, erkeUen. Je ne peux jamais voir ce qu’«^ mon moi, je ne peux même jamais le réaliser. C’est pQu cela que toujours Jaspers parle de l’existence possibk. L’exktence se présente sous l’aspect de possibilité d’eîÉtence et comme tournée vers l’avenir. C’est dire que l’existence est essentiellement libéré et aussi, au début tout au moins, solitude dans la libei% au début, car peu à peu ces lîbeiiés que sont les exis^aiib s’unir dans une sorte d’eunour et, tout à la Sonrront e lutte, d’amour eu lutte pour la compréhension l’im^^ l’autre. C’est que ce moment de l’histoire de la philosophi^K l'existence, le moment de Jaspers, est celui où, à ridé: de Tunique, de la solitude, s’ajoute tout d’abord le nu , ment de la place de nous-mêmes dans l’histoire, sousk
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ilfux aspects de situatiou et d’hisLôîicité, puis le uiomeat de notre comnranication avec les autres moi, La philosophie de Jaspers a son o r i ^ e dans la pensée de Ivîerkegaard, mais elle l’exprime sous des formes plus «'cnceptuelles. Jaspers va essayer de montrer qpie Tezisicnec se place entre le domaine des faits observables et le doTnaine du transcendant dont nous ne pouvons rien dire td qui se rapproche de l’Autre absolu, du Dieu inconnu de Kierkegaard, et plus encore peut-être de P Unité de Parlo^ioide ou du principe suprême de la République. Il y aura au-dessus de nous-mêmes un domaine auquel cous sommes reliés de façon mystérieuse, le domaine des métaphysiques. Nous aurons à dépasser le domaine possibilités pour entrer dans un domaine de nécessité, tcais tout différent du domaine de la nécessité scientifique, l>msque ce sera la nécessité de la transcendancê. Après avoir esquissé les traits généraux de la philosophie ifi Jaspers et constaté ^ ’il était parti de la psycho-pathoiçgie, dont U sort, en 1919, avec la Psychologie des intuitims du monde^ nous tenterons de trouver les caractérisûques de sa pensée dans cet ouvrage. D’abord, dit-il, une intuition du monde, une Welians fhauungy est quelque chose qui caractérise celui qui la |iossède si profondément qu’aucun autre ne peut la pos séder, la comprendre pleinement. Chaque viision du monde ÈSl tout individuelle. Celui qui Pa, celui qui est en elle, la K>it absolue, celui (jui est hors d’elle ne peut pas Pacsv.pter ni même la comprendre. L’idéal serait de coïncider, pour prendre un mot bergÿciiien, d’aussi près que possible avec telle ou telle indivi dualité, suivant la vision du monde que noos voulons observer en nous. Fuis il montre que chacune de ces visions du monde est étroite, c’est-à-dire que chaque penseur, chaque écrivain, •ifin de voir le monde du pomt de vue particulier qui est ieûen, est empêché de voir le monde, et s’empêche de voir Amende d’iin autre point de vue que le sien. Ces visions ^ m o n d e sont donc toutes exclusives l’une de l’autre, et raaeune est partielle. Allant plus loin, et prenant la vision du monde d’un des penseurs qui aura la plus grande influence sur lui, Kierkegaard, il montre comment la profondeur de Kierkegaard est liée à l’étroitesse de sa vision du monde.
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LA PEN SÉE DE
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Nous retrouverons également, à sa place dans l’ensemljlc de sa philosophie, ridée des situations limites, dan situations où Pâme est tendue à Pextrême. Dans ces situa tions extrêmes, de combat, de douleur, de mort, nous prenons conscience à la {ois plus profondément de nous-mêmes ot des limites qui sont devant nous-mêmes, des limites auquelles nous nous heurtons. Ailleurs il étudie certaines personnalités telles qjio Strindbez^ et Van Gogh, des'hommes qui sont des malades, qui sont des schizophrènes ; l’humanité contemporaine avance, dit-il, vers les dernières sources de l’expé rience ; grâce à ces malades qui furent des génies, les fondements de l’être nous sont d’iiné certaine manière révélés. L’humanité est dans une situation problématique et dramatique, et c’est pourquoi les révélations contem poraines sont réservées à des hommes qui n’ont pas été dos hommes normaux. Grâce à eux, nous sommes placés devant les dernières questions, grâce à eux notre esprif est ouvert pour les choses les plus étranges. Deux expériences fondamentales vont dominer ensuite la pensée de Jaspers ; l’expérience de ce qn’on peut appeler la déchirure de l’être, et l’expérience de Pétroitessi des visions du monde. Déchirure de l’être ; en effet, le monde se présente à nous sous des aspects partiels et contradictoires. Nous ne pou vons pas avoir, comme l’avaient pensé par exemple Spinozit ou Hegel, ime vision totale du monde. Nous sommes devant un monde en ruines, un monde déchiré, un monde croulant, et s’écroulant en multiples morceaux. D’autre part, nous avons à choisir im des aspects du monde, et notre vue si elle veut être profonde, tend à être étroîk*. Nous examinerons maintenant la partie négative de l’oeuvre de Jaspers. Nous y trouvons line critiqpie de l’ob jectivité et de l’idée de totalité. Gomme chez Kierkegaard, il n’y a pas de possibilité d’une vue objective et totale de l’être. Au premier abord, nous sommes devant un monde qui nous paraît assuré, qui nous parait assez simple à com prendre. Les instants succèdent aux instants, les chosts visibles aux choses visibles. Mais si nous réfléchissons, nous nous trouvons en présence de ce fait que les instante s’évanouissent dans le passé, et que tout ce que nous
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cl'oyons représentaüble» la science nous montre que finaleluont cela se dissout en éléments qui dépassent notre repré sentation. Sans douteV dira-t-on, la science nous donne des faits ; mais, continuant ici rœuyre des critiques des sciences, vomme Poincaré, Duhem ou Milhaud, Jaspers nous fait observer que la mesure dépend des instruments de mesure, de la situation et de la constitution de Thomme, que tout' fait implique des théories, comme l’ont montré particu lièrement Milhaud et Le Roy, que les sciences dépendent de, certains principes qui ne peuvent pas être prouvés, qu’il y a des postulats, et que, si nous voulons voir le monde dans son ensemble, nous nous heurtons à des antinomies. Donc la science n’est pas, au sens fort du mot. Il n’y a que des sciences. Des sciences particulières, et non pas une science générale. De plus, la science ne nous explique pas les valeurs, et la science ne nous explique pas le sens de la science. Un savant ne peut pas expliquer scientifique ment ce désir en lui de savoir qui est à l’origine même de la science. Enfin, si nous regardons les résultats, nous voyons que le savant aujourd’hui nous présente une sorte de chaos de phénomènes, d’irrégularités multiples, se compensant les unes les autres, et nous donnant par là l’idée de régularité ; que d’autre part, comme nous le verrons peu à peu, la science laisse de côté quelque chose que Jaspers appelle l’enstant. et qui lui est irréductible. D’un côté, le chaos'irréauctible à la science, de l’autre rojdstant, irréductible aussi. Voilà les bornes que rintelligence connaît. Pour comprendre une chose, comme Pascal et d’autres l’avaient remarqué, ü faudrait comprendre tout l’univers. Donc, l’entendement scientifique se trouve devant une lâche infinie. ^Vinsi, Jaspers nous a éveillés à l’idée de la partialité des sciences, et au fait que chaque science implique des postulats. De plus, la science n’explique pas la valeur et elle n’explique pas le sens même de la science et l’élan du savant vers le vrai. Jaspers s’est donc attaqué spécialement à ces deux idées d’objectivité et de totalité. Si on peut montrer qpi’en effet la totalité ne peut pas être possédée par l’esprit, et que
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l’objectivité, si elle est atteinte, ne peut pas nous révéler le fond de l’univgrs, on aura par là même mis en doute la validité générale des explications scientifiques. Or ceci ne s’applique pas seulement à la afiip.np^„ mai.^à lanhilosophiej^parce que 7a plulosophie s’est bien souvent BuiDofïéïVnee" aux sciences, et a constitué une sorte de mélange de science et de philosophie. Prenant alors la philosophie en elle-même, Jaspers montre comment deux écoles ont dominé le xix^ siècle ; le positivisme et l’idéalisme, et que ces deux écoles ont un tort commun, qui est de penser que tout est intelligible, que nous pouvons avoir une vue totale de la réalité. Mais il n’en est pas aiosi, et le progrès même de la science montre le caractère caduc et du positivisme qui réduit tout à des faits bien constatés, et de l’idéalisme qui veut réduire tou t à l’esprit. Il y a de l’être qui est i^ êri a g ab le au savoir. Tel est le fësriitalrde'Ta’érîlique^lTdéaiisme et du pSBïtî^me chez J aspers. ' Du reste,^ dit-il, en reprenant une idée que nous avons déjà exposée, même si le savant parvenait à expliquer tout l’univers, U y a des chpses qu’il n’expliquerait pas, c’est le savant lui-même,, le savant comme existence, le savant comme élan vers la vérité. En ce sens, l’existence duposi^ tivisme réfute le positivisme. Ce qui nous montre q[ue ni le positivisme, ni l’idéalisme, par exemple l’idéalisme de Hegel, n’est acceptable. Nou.'? retrouvons ici certaines des critiques de Kierkegaard contre Hegel. «La dialectique, dit Jasperç, permet d’inté grer au système toutes les propositions qui semblent le contredire mais la contradiction elle-même, en tant que contradiction, ne peut jamais être intégrée.» Ces critiques nous montrent aussi qu’il n’y a pas une vue totale du monde possible pour nous, et qu’u n’y a pas non lus une image totale du monde que nous puissions avoir evant nos yeux. Si nous prenons d’ailleurs les efforts qu’ont fait les philosophes qui se fondent sur les sciences, pour réduire la réalité à la matière, par exemple, ou à îâ vie, ou même à l’esprit, nous voyons que toutes ces teit tatives doivent échouer, parce que c’est tenter de réduire la réalité à un seul de ses aspects. Daus la réalité, il y a matière, il y a vie, il y a esprit, mais rien ne nous dit que la réalité est suspendue à une seule de ces trois choses, ou
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lÂSPERS ET LE PEOBLÈUE DE L^ÊTRE
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(!o ees quatre choses, si on y ajoute encore l’âme t*nce). Nous concluons donc que la recherche de l’objectivité ot de la totalité échoue. Reprenons la même critique sur le plan métaphysique, on nous plaçant devant la recherche de l’idée d’être. Puisqu’il n’y a pas de totalité de rêtrej,il n’y a pas de point de vue total. La Psychologie des visions da monde nous a montré que tout point de vue est, par là même qu’il fist point de vue, un point de vue particulier. L’être que je connais n’est pas l’être en soi, et n’est pas non plus l ’être ^[iie je suis. Car il y a trois sortes d’être. Il y a l’être que je connais, il y a l’être en soi, il y a l’être que je suis. Et aucune de ces trois sortes d’être n’est réductible à l’autre. L’être en soi est inconnu, par définition, l’être que je connais n’est pas l'être que je suis. Et inversement. «En vain tenterai-je de les réduire l’un à l’autre, car je ne puis réduire tout à l’être en soi sans en faire un objet, ni tout à l’être objet sans en faire un objet pour moi, ni tout à l’être pour soi, car il est toujours tendu vers un en soi. En fait l’être objet est multiple, -l’être pour soi n’est eonnaissable que s’il se transforme en objet, et l’être en soi est inconnaissable.» Donc, aucun être que nous connaissions ne peut être l’être. L’être n’est donc pas connaissable. Soit que nous disions <|ue c’est l’être immédiat qui est l’être vrai, soit que nous disions que c’est l’être médiat, l’être nous échappera, parce que l’être médiat ne peut être éprouvé par lui-même, et parce que l’être immédiatement éprouvé est une apparence qui se dirige et nons dirige vers quelque chose d’autre que ilii. Poim Heidegger, il y a cinq sortes d’être, pour Sartre, il y en a deux, l’en soi et le pour soi. Pour Jaspers il y en a îrois. Mais, dit-il, aucun n’est le tout de l’être, aucun ne peut, être l’autre, chacun est un être dans l’être. Quant à la totalité de l’être nous ne pouvons pas la trouver. Et pourtant, il faut de chacun de ces êtres passer à l’autre, parce qu’aucun être n’est férmé en soi et sur soi. Donc impossibilité d’avoir une totalité de l’être, mais impossibilité aussi d’avoir un être particulier, à moins qu’il ne soit référé, pour ainsi dire, à un être plus vaste.
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LA PENSÉE NE L*EÎISTENCB
C’est, dit-il, comme si l’être reculait devant notre volonu; de savoir, et ne nous laissait entre les mains, sous la'forniti de l’objectivité, que des résidus et des traces de lui-mênie. Pourtant, il reste que la question fondamentale de notre pensée, c’est : qu’est l’être ? Pourquoi y a-t-il de l’être ? Mais nous allons voir que cette question peut être posée de façon plus personnelle, peut être posée sous la forme de ; que suis-je ? Que veux-je d’une façon authentique ? En posant ces questions, nous sommes dirigés vers un être qui est notre être. Pour Jaspers comme pour Heidegger, l’essentiel sera de considérer, pour examiner l’être eri général, l’être de nous-mêmes. Cette question de l’être total est devenue la question de notre être individuel. La question : qpi’est-ce q[ue l’être ? s’est transformée en la question : comment puis-je et dois-je penser l’être, et parti culièrement mon être ? « La question s’est recourbé s&r .0 Question qui ne peut satisfaire le questionneur que s’il y reconnaît son propre être, que si, étant existence possîhL, il ressent en lui cette passion de penser dont parle Kierke gaard. Cette recherche de l’être me définit moi-même. Comùiê Heide^er le dira d’autre part, l’homme est l’être qui par son être même met en question l’être. C’est par cette recherche de l’être que j’arriverai à accomplir ce que Jaspers appelle le Phihsopkieren, l’act
C’est ce qui nous fait comprendre ce qu’est la philoso phie, car si nous avons en un certain sens échoué dam notre recherche de l’être, si nous avons vu qu’il ne peut y
L*ACTE DE PHILOSOPHER
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jnoir de système to tal de Têtre objectif (et nous verrons ijiril n’y a pas de système totsd des existences, et encore iitoins de système total de ce qui nous transcende), nous prendrons conscience par là même qu’il y a quelque chose f]in est réel, qui est cette recherche même tendue -vers 1être, qui est notre propre interrogation. C’est cependant une ontologie que veut constituer Jasp ers, mais non pas une ontologie en ta nt que métaphy?i(pie : ime ontologie en tant qpie théorie des catégorbs. L’ûntologie nous fait connaître u^mTêtre^ais les modes (lerpêtre qui viennent à la pensée;''eüé rend la^BïêTBBH? 3>crffrfàSBrffiUïeë d« sou
II L’acte de philosopher.
La tâche de la philosophie est de libérer l’homme de ce qui est pensable conceptuellement, dit Jaspers. Et par conséquent, ce que nous avons vu jusqu’ici, à savoir que la réalité ne peut être pensable, c’est précisément ce qui per met à la philosophie telle que l’entend Jaspers de se consti tuer. Loin de nier l’impensable, il faut, suivant la tradition de Kierkegaard, l’affirmer, il faut renforcer de plus en plus cette affirmation. Tel est l’acte de philosopher, da philosopher à parti? de l’existence possible, qui risque d’ailleurs toujours de tomber dans le néant et le désespoir. Il faudra à tout moment que nous choisissions entre le néant et l’être. Le philosophe se trouve devant une sorte de dilemme qui se pose sans cessé à luiAinsi s’exprime l’intérêt de l’homme pour une vérité inconditionnée, se fait jour un dialogue de personne à personne. Ce qui caractérise la philosophie, ce qui est 4-essence de la philosophie, de Ja inétaphysique, c’est que nous questionnons sur la totalité sans l’atteindre jamais et que nous questionnons sur le questionneur, c’est-à-dire sur nous-mêmes. Une question métaphysique, comme le
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LA PENSÉE DE L'EXISTENCE
dira Heidegger, comine le dit Jaspers également, c’est uno question qui nous met en jeu nous-mêmes. C’est dire en même temps que Pacte de philosopher est identique à ce que Jaspers appelle Pacte de transcendftr. d’aller au delà des données particulières vers ce qu’il y en nous d’authentique, vers un transsubjectif, qui dépasse la pure subjectivité sans être objectif au sens ordinaire du mot, Jaspers insiste sur le fait que la philosophie est liée à sou histoire d’une tout autre façon que les autres disciplinos sont liées à la leur. Comme l’a (üt Hegel, la philosophie est réellement l’histoire de la philosophie. Le philosophe a à s’approprier, suivant les mots Merkegaardiens et persiens, les pensées des philosophes précédents, à rendh présent ce qui est passé. E t ceci nous amène à dire encore quelques mots de ceux dont Jaspers se considère comme l’authentique successeur. De Kant d’abord, qui a montré que si nous voulons penser le monde en général, nous nous heurtons à des antinomies. Et, comme Jaspers, de ses antinomies, il passe à Paffirmatioa de la liberté. « J’ai limité, dit-il, le savoir pour faire place à la foi. s Jaspers aurait pu en dire autan!. 11 7 aura lieu également de comparer la transcendance de Kant, quand il parle des idées transcendantales, et la transcendance ches Jaspers. Et on pourrait faire allusion à l’enseignement d’hommes tels que. Plotin et Proclus, saint Augustin, Eckart, Bœhme et Nicolas de Guse et Giordans Bruno, jusqu’à Leibnitz et Spinoza, Goethe., Fichte, Schellii^ et Hegel. Jaspers ne pense pas accomplir une révolution en philo sophie, ü pense être dans la véritable tradition philoso pmque. a Le nom de philosophie existentielle, écrit-il, est trompeur, dans la mesure ou il est restrictif. La philosophie ne peut jamais vouloir être que l’antique philosophie éternelle. » Son acte de philosophe, c’est un acte de foi dans la philosophie occidentale, au besoin élargie par d’autres traditions venues de plus loin. Il se place dans sa propre situation de philosopheoccidental, à la limite de la pensée, à l’extrême pointe de la pensée occidentale, après Kierkegaard et après Nietzsche. E t il faut que l’antique philosophie paraisse sous une forme
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floiivelle, car précisément, c*est. cela, revivre Tantiqne pliüosophie, Timique, très ancienne philosophie, c’est la ïransformer en notre appropriation, telle que cette source uriginelle de la philosophie doit chaque fois jaillir d’une façon nouvellement ori^nelle. Le terme unique doit être ^^uis cesse interprété de façon originelle. Nous ne pouvons pas simplement redire ce qui a été dit. L'ancienne philosopMe en ce sens ne peut pas, telle qu’elle l iait, être la_ nôtre, et nous devons revivifier au contact do nouvelles expériences les antiques affirmations des phiîo^ophes. De là l’effort qu’il nous faudra faire pour ressaiiit, derrière les superstructures intellectuelles et substanlialistes et dogmatistes, ce qu’il y a d’originel chez nn Do.^cartes ou chez un Kant. Il y aurait lieu de dire quelques mots des rapports delà [ihilosophie avec la religion, avec la science et avec l’art. ri y a une sorte de lutte, dit J asp ers, entre la philoso])bie et la religion, mais une lutte féconde pour toutes deux ; aucune ne peut comprendre l’autre, mais chacune peut voir que l’autre est nécessaire à l’homme, et est néces saire à sa propre existence. Il en est de même de l’art et de la science. Nous insisterons sur ce dernier point. I] y a une lu tte entre la science et la philosophie, mais il n’en reste pas moins que la sciepce trouve son impulsion dans un instant qui est essentiellement philosophique, puisque c’est la volonté de savoir, et que la philosophie procède d’une sorte de vouloir scientifique, d’espoir de pouvoir constater le monde, tel qu’il est. La lutte qui a lieu entre elles est donc une lutte fraternelle. Chacune est utile à l’autre, chacune est même nécessaire à l’autre, car >»nne peut philosopher qu’après avoir passé par les disci plines scientifiques. Il y a une sorte d’unité, par leur racine, de Ja science et de la philosophie. Nous avons dit tout à l’heure qu’il y a l’être en soi, (u’.il y a l’être connu et qu’il y a l’être que je suis. L'ètre en soi, nous serons forcés pour le moment de le iaisser de côté. C’est Dieu, c’est la trancendance ; nous le prendrons seulement après les autres formes d’être. E t t-est aussi en un certain sens le monde. L’être connn, Otant insuffisant, reste donc l’être qui est nous-mêmes. Or l’être qui est nous-mêmes est multiple. D’après Jaspers il a différents niveaux. 11 y a notre moi tel qu’il se trouve
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dans la vie, notre tooi qui désire; qui veut telle chos^ déterminée, qu’il appelle le Dasein. Il y a, au-dessus, ce que Jaspers appelle la consciencf: en général. C’est la conscience telle que l’entend Descaries C’est ce qu’il y a d’universellement raisoimal)le en nous. C’est l’intelligence telle que la conçoit la philosophie clas sique. Au-dessus enfin, l’esprit, tel que le conçoit Hegel, c’esià-dire le sens des totalités gouvernées par les idées. Nous voyons qu’il y a d’une part l’être qui n’est pa> nous : nous avons dit que c’est Dieu, mais nous pouvons ajouter un autre aspect moins élevé : cet être qui n’est pas nous, c’est le monde. Il y a donc deux sortes d’êtres qui ne sont pas nous. !■ monde et Dieu, ou la transcendance. Et puis, il y a rêtii qui est nous, qui jusqu’ici est composé de Dasein (le moi est à peu près intraduisible), d’être là, puis la conscien*. en général, et l’esprit. Au-dessus ou au-dessous de cela suivant la représentation qu’on voudra adopter, il y a l’existence. En face des deux êtres qui ne spnt pas nous, le mondé et la transcendance, il y a quatre sortes d’êtres qui s’étagent en nous, depuis le Dasein jusqu’à l’existence. La Philosophie de Jasers étudie le monde, l’existenci^ la trancendance ; en langage classique, le monde, l’âme. Dieu. Ou, si l’on veut, l’objet, le sujet, l’en-soi. L’objci c’est-à-dire l’être connu ; — le sujet, l’être.connaissant ; — l’en-soi, ni connu, ni connaissant à la manière humainé. qui est Dieu. III L'être qui est nous-mêmes. L'esistence. Historicité. Liberté. Communication.
Nous entrons maintenant dans l’étude complexe di. Dasein, étymologiquement, «rl’être-là», étude de nou:mêmes en tant que nous vivons dans le monde. Le Dasein, tel que le conçoit Jaspers est donc quelque chose qui se place dans l’espace, dans le temps, C’est le
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I.^ÊTR& QDI EST KOÇS-HÉlfSS
du mot Dasein. Là dans respace, à cm tel moment ,l;îiis le temps. Mais de plus, c^est une conscience, dans :’, s[>uce et dans le temps, et peu à peu l’auteur réintroduit i|;tns ridée de Dasein des éléments de vie et d’activité qui piochent le Dasein tel qu’il le conçoit du Dasein tel fito le conçoit Heidegger. Le mot Dasein chez celui-ci a un :^r:ns tout' différent de celui de Jaspera, et signifie nousDM'^nies en tant (m’irréductibles au tenms et à l’espace i(iinaires. Mais de plus en plus, chez Jaspers, le Dasein /ivarle d’une donnée empirique pour devenir une vie, üa-!^"action vivante et réelle. Chez Jaspers comme chez Heidegger le Dasein est liée I ridée d’être dans le monde ; Jaspers et Heidegger i!h.-
le Dasein et l'hi?toricité profonde, Heidegger a écrit des choses es.sentielles. » sut
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LA PENSÉE DE- L^EXISTENCE
amtiguë et indéterminée. D’une part je suis responsahJf- d, ce que je suis, mais d’autre part je suis donné à moi-raôirM mon moi à la fois m’est donné et il est créé par moi. une de ces antinomies auxquelles nous nous heurtons rintérieur même de notre moi. Nous ne pouvons pas resti r dans la considération de ce moi, de ce Daseîn. Cet être ):, enferme en lui un acte par lequel nous passons au delà de lui Pour passer au delà de lui, nous pourrons nous réfuyi? r dans cel^e conscience en général qui est le fondement et Ir présupposition des philosophes classiques. Mais naturel lement Jaspers ne voudra pas s’arrêter à cette consciemv. en général qui nous est nécessaire, qui est fondement de science, mais qui pour lui est quel<^e chose d’ahstrait, df ponctuel. Nous pourrions recourir à l’identité de la philosoplii.et de l’histoire de la philosophie. S’il est vrai que ce qui constitue le monde, c’est l’esprit, l’histoire de la phüosopLi. sera l’histoire même de ce qu’est la réalité. L’esprit sera mouvement temporel qui nous fera saisir les totalités Mais cela encore ne nous satisfait pas. De plus en plus avons le sentiment que la conscience en général et l’esprit laissent échapper ce qui est essentiel. De plus en plus nous avons le sentiment qu’il y a quelqur chose d’infiniment précieux qui s’évanouit par le fait mêmf que nous le contemplons du poiut de vue, soit de h conscience en général, soit de l’esprit. Le monde n’épuis pas tout, ni le Dasein, ni la conscience en général, ni l’esprit. Il y a quelque chose qui est le fondement de tout cela, qui n’est pas objet, qui s’évanouit si on l’observe, qui ne sf révèle qu’à ce qui lui est analogue ; nous nous trouvons maintenant en face de l’existence. Je ne suis épuisé ni par le Dasein, ni par la conscieDéf' en général, ni par l’esprit. Je suis autre chose, et si je mi contente de l’un des trois ou même des trois, je disparais moi-même devant mon regard. Donc il s’agit de transcen der les trois par un saut qpii est tout différent des sauls précédents, qui allaient de l’une à l’autre de ces trois catégories, il faut faire le saut transcendant qui nous mène de ces trois termes à l’existence. Ce n’est pas que l’existencê soit sans lien avec notre être empirique, elle est liée à lui, elle lutte contre lui à la fois et s’unit à lui, elle est la source du sérieux de notre être empirique.
L ETB E QUI EST lüODS-HÊlirES
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Mais il faudra que nous acceptions notre être empirique, Dasein par cet acte qui est Pacte de la répétition tel Pavait conçu Kierkegaard. L’existence doit saisir cet ,;fre déterminé, cet être tel et tel, doit l’accueillir, doit le l«rtHdre sur elle, sa famille, sa terre, toute sa tradition, répondant, l’existence ne doit pas se contenter du pur
pasirâ.
De même il y aura un lien entre l’existence etla conscience ,11 général. L’existence a besoin de la science fondée par la , ntscience en général pour éclairer son milieu. ' JI n’en reste pas moins, que sans existence, tout ce que tiiiiif! avons vu jusqu’ici est sans Consistance, sans fon,li‘tiir3iit ferme et sans profondeur. Or cette existence ne |iiut être étudiée scientifiquement. Une science de l’art i;i‘ nous donnera jamais ce qu’est l’art, une science des ri ligions nous mettra en dehors des reliions, une science itt‘ Texistence serait une négation de l’existence. Derrière nous-mêmes comme ensemble de déterminations -iiqûriques, comme pensée universelle et conscience en ;, i!éral, comme esprit, nous apercevons quelque chose, ,;ito nous ne pourrons pas connaître de la même façon [110 les autres choses, quelque chose dont nous ne pourrons |i is même être assurés. Car je puis toujours douter de mon \jstonce en ce sens que je puis sans cesse tomher dans un jilan qui est plus has que celui de rëxistence ; alors que II- [mis être assuré de l’acte de ma pensée comme Descartes ivtait, je ne puis jamais dire que je suis un existant authen;iquc : le doiite sur l’existence est essentiel à l’existence. Il faut donc trouver un moyen différent de tous les •imycns objectifs et scientifiques pour atteindre l’existence. |j] réalité, elle ne sera pas connue, et elle se révélera vrilcment comme sujet de l’évocation ou de l’invocation, iJi’ l’appel, suivant un autre mot de Jaspers. Je puis en jppcler à l’existence, appeler les autres à l’existence, je ne puis pas exposer ce que je suis. Le mot d’existence, nous le savons déjà, est emprunté à Ivierkegaard et à Schelüng. Kierkegaard, dit Jaspers dans ^•>nouvrage intitulé La raison et l'existence^ a élevé le mot i existence dans une sphère nouvelle, et l’a approfondi d’une façon incomparable à celle des autres philosophes. Il y a une intimité de nous-mêmes qui est le fondement de la pensée, le sanctuaire à partir duquel je m’avance vers
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LA PBSSÉE DE
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’ e XESTENGE
moi librement. C’est cela que nous appellerons l’existenn.. Nous ne pourrons ici opérer que par des mots en quelcjij, sorte incantatoires. Par exemple, Jaspers dit : l’existence est origine, Ur? prung, ce qui signifie en allemand, d’après rétymologi>.. saut fondamental. Exister, nous l’avons vu à propos d Kierkegaard, c’est retourner vers son origine. Exister c'csi aussi d’autre part décider. Nous avons vu que nous somnji., donnés à nous-mêmes, mais nous pouvons en même temp. nous former nous-mêmes. L’existence, c’est ce que je setai et non pas exactement ce que je suis. Ainsi mon existen< est toujours tendue vers le futur. C’est moi qui décide ce qu. je serai, je suis ce que je choisis d’être, plus que je ne sui ce que je suis. Par rapport à toutes les autres déterminations que nou: avons vues, l’existence est transcendante, et nous auroft à voir qu’elle est dépassée elle-même par la trancendani C’est encore un point sur lequel Jaspers commenteiîi. approfondira peut-être, en tout cas généralisera la pens^ de Kierkegaard. 11 n’y a de transcendance, il n’y a de Dits, que pour l’existence ; du point de vue du Dasein, du poijii de vue de la conscience en général nous ne trouvons pas i;, transcendance, c’est seiilement si nous passons par tence que nous la trouvons, et d’autre part, c’est parce qii. l’existence se sent devant la transcendance qu’elle o^r existence, c’est-à-dire que s’il n’y avait pas ce qu’ordinai rement, classiquement, on a appelé Dieu, il n’y aurait ce moi, cette personnalité, cette existence dont parle J aspî!r> après Kierkegaard. Tout au cours du xix® siècle, les philosophes avaieiii cherché des mots pour qualifier ce quelque chose d’irré duotible à l’entendement scientifique, et ç’avait été çh« certains le mot vie, chez d’autres le mot conscience auqiwi! on avait eu recours. Chez Kierkegaard, chez Jaspers, cLz Heidegger, c’est le mot existence qui se trouve. Ici on in se pose plus le problème théorique des rapports de rânr et du corps, on se place au centre de soi-même, en deçà di.' distinctions, pour voir ce que l’on est. L’existence ne se montre pas au savoir immanent, elt n’a rien d’établi, elle se montre seulement à l’existence elle-même, ouverte à l’autre existence. Dire que l’existence est ouverte à l’autre existence, c’esl
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TRE q u i e s t NOUS-MEMES
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nti'oduire l’idée de communication. Heidegger et Jaspers ajoutaient à Klerk^aard l’idée de l’être dans le monde et lui ajoutent aussi l’idée de communication de l’existence à j existence. Nous sommes dans un domaine où seules seront |;r<$sibles l’action et la communication de l’existence à ;existence. Chacun dans ce domaine est unique» suivant lo mot de Kierkegaard, et irremplaçable, On peut être remplacé par un. autre dans l’observation d’un fait scieni.iïique, mais quand il s’agit de l’individualité existentielle, Pkucun de noua ne peut être remplacé. Pourra-t-on dire qu’il y a ici compréhension ? Jaspers ^tuploie un mot particulier pour l’existence, c’est le mot èi'àellea », éclabcir. L’existence ne peut être comprise, elle jiî>peut qpi’être éclaircie. Nous serons dans ce domaine de l’existence quand nous . j>iQuverons tel ou tel sentiment, quand par exemple nous ■.tmerons et ne saurons pas pourquoi, quand nous nous Ivai^ouirons en quelque sorte devant nous-mêmes, quand ruius échapperons à notre propre vue, comme le Dieu de l'iûljn échappe au regard de Plotin. Ici il n’y a plus de |i.u'î?onnages, de rôles ou de masques. Nous sommes le ^ujet, et le sujet indescriptible en termes d’objets. Aussi îHudra-t-il d’après Jaspers des modes nouveaux d’expres sion pour nous faire comprendre ce que c’est que l’existence, i] faudra des passages à la limite, des cercles et des contraüdions, il faudra employer ce nOn-savoir dont parlent les i:\posants de la théologie négative. Aussi on peut opposer sur ce point Jaspers et Kant, et ;â-même Jaspers l’a fait. Nous avons vu les rapproche ments entre ces deux philosophes, mais d’autre part nous t'ims ous voir les oppositions. Ivant parle des règles, mais ici nous sommes dans un iliimaine où il n’y a pas de règles, Kant parle de causalité, liiab nous sommes dans le domaine de la liberté. A vrai lin?, il faudrait faire une réserve, car Kant parle aussi de liMcrté, mais Jaspers s’oppose au Kant de la Crüiqae de < ' ( Raison pure (et surtout au Kant des antithèses). Kant parle d’une substance permanente dont la pensée est nécessaire à la science ; mais ici nous voyons l’existence s’évanouir devant la pensée conceptuelle. 11 n’y a plus de causalité réciproque, il y a commimication. Il n’y a plus le réseau kantien de l’expérience, mais l’inconditionnalité
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LA. PE N SE E D E L EXISTE NCE
de l’instant décisif. Il ne s’aritplus de possibilité objecüv» mais de choix, ü ne s’agit ^ n s de continuité de la natim ' mais de saut. Pour Kant, la science demande qu’il u\ ait pas de saut, qu’il n’y ait pas de contingence, qu’il n’y ai( pas de destin. Le monde de Jaspers est précisément nu monde fait de discontinuité, de contingence, un monde di. destin. E t derrière ce monde, nous découvrons, et il décoijvr.. ce qu’il appelle la transcendance, dont les apparences notre monde ne sont que des signes et des symboles. O r i^ e , liberté, authenticité, tels sont les caractèrfj essentiels de l’existence, auxquels il faudra ajouter h communication et l’historicité. De ce point de vue, et dan^ ce domaine, nous la voyons s’avancer vers nous-même, en tant qpie possible, car l’existence n’est jamais passée, r;i l’existence n’est jamais tout à fait dans le domaine du réel, c’est plutôt vers l’existence à venir que nous devouv nous tourner si nous voulons saisir l’existence, c’est pour cela que Jaspers parle toujours de l’existence ; possibt d’autant plus qu’à chaque moment, nous pouvons tomber de l’existence dans l’inauthentique et la non existence Ce qui nous est réservé, c’est donc la possibilité d’exisler. Des trois volumes composant La Phüosopkie de pers, le premier est consacré au monde, le deuxième ^ rexistence, le troisième à la transcendance, c’est-à-dire .i Dieu. Chacun d’eux répond à une demande : le premipr, doit-on connaître le monde? le deuxième, qu’est-ce qui m’incombe? le troisième, puis-je chercher Dieu? Rappelons-nous les questions de Kant : Que puLs-jt savoir? Que dois-je faire ? Que puis-je espérer ? La difficulté d’une philosophie comme celle de Jasper^ vient de ce qu’il pense que de l’existence on ne peut rici dire sauf d’une façon indirecte, que c’est quelque chosqui ne peut être atteint directement par notre raison, ui même par nos paroles, et que pourtant il écrit sur l’exis tence. . Est-il possible de philosopher en ce domaine qui n ’accepli' pas la pensée ? Le grand danger serait'de faire im systènu de l’existence alors qu’il y a une contradiction entre rûKc de l’existence et l’idée de système. — Il se peut qu’au cours de sa carrière philosophique Jaspers se soit trouvé de plus en plus exposé à ce danger, et que, dans le dernier volume qui vient de paraître sur
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l;i vérité, il aoua donne réellement ce qu’il ne voudrait pas (iiMiner, c’est-à-dire un système de Pexislence, C’est du liit'iits ce que nous aurons à examiner. Une pensée de Jaspers a pris de plus en plus de place ,[;tns sa philosophie. C’est celle qu’il appelle en alleinand rUmgreifend, c’est-à-dire l’englobant, suivant la tra,la-'tion française de Hans Pollnov. Ce terme qui n’est |)(iit-être pas tout à fait satisfaisant, nous donne l’idéë
apliie de Jaspers, et ils ont été accompagnés par Gabriel Marcel et quelques autres comme le Père de Tonquédec. Puis est venue plus récemment l’œuvre de Dufresne et de liicceur consacrée à Jaspers. Qu’est-ee que cette idée de l’englobant ? Il y a toujours autour d’uue de nos idées, autour d’uu de nos sentiments, autour d’une de nos perceptions, quelque chose de beauM*vip plus vaste, il y a toujours un horizon plus vaste qui ► •ntoure notre paysage intellectuel ou affectif déterminé de Ici ou tel moment. Or il doit y avoir quelque chose qui . iitoiire tous ces horizons, un horizon des horizons, c’est 5'limgreifend, l’englobant, c’est l’être à partir duquel
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LA PElïSéE DE L*EXISTE7lC£
en soi Tine aisurdité puiaq^n’il dépasse infiniment nolr^ pensée, car tonte proposition pr&ente les choses sou, forme d'objets et oet englobant c'est ce qui ne peut ^ aucun prix, par aucun moyen, être objet. Or il y a différents aspects de cet englobant. Le mornj est quelque chose d'infini, un englobant. Nous somnu nous-mêmes un englobant, c’est-à-dire que notre moi quelque chose d’infini. E t même puisque nous avons vt; la dernière fois qu’on peut le concevoir de différetUi façons, comme moi dans le monde et la vie, comme moi r[Ui est conscience intelleciueUe, comme moi qui est espiii nous dirons que ces trois termes, ce sont encore trois eii;K]' hauts, trois conditions de notre moi pris sous chacua <1 ses aspects. Ceoi nous permet de passer au tableau général du mond que nous offre Jaspers. 11 y a donc deux englobants qui ne sont pas nou.mêmes. C'est le monde et c'est la transcendance. Disur d'abord un mot du monde. Le monde n’était pas présent à la pensée de Kierkegaaw, qui pensait que nous sommes liés à quelque chose d’autr que nous, mais cette chose autre que nous, c’est Dieu. <• que Jaspers appelle la transcendance, non pas le moed^ A ce terme de la transcendance,(^e Jaspers acceplhérite de Kierkegaard, il ajoute im autre terme qui n'its nous, qui est au-dessous de la transcendance et qui {>as e monde. Voir le monde, c’est voir l’autre auquel je $«> lié, car je ne suis pas lié seulement à cet absolument autr* je suis lié aussi à l’antre qui est le monde. Qu'est-ee don' que le monde ? Souvent, pour Jaspers, le monde, c’est seulement I: totalité des choses empiriques. Mais nous parlons du monJ comme englobant, comme infini, et alors, ce que non devons avoir dans notre esprit, c’est l'idée du monde pas comme un objet, mais réellement comme une idée : sens kantien du mot, comme une totalité que nous essayoi de saisir et que nous n’arrivons pas à saisir, puisque, conim Rant l'a montré, si nous essayons de saisir le monde, noi.' sommes devant des antinomies. — Donc, le monde est le fondement à partir de quoi je voi= tous les phénomènes, il n’est pas lui-même un phénomène. 11 serait intéressant de comparer la théorie du mooè'
L BTRE QUI EST « OCS-M SME S
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A\('Z Jaspers à la théorie du monde chez Heidegger. Ib s Hit d’accord, nous pouvons le noter dès mamtenant, sur ridée que le monde ne se réduit pas à un ensemble de (•liéiiomènes, que le monde est lié à rexiatence, comme dira Heidegger, que s’il n’y avait pas d’existence, il n’y .inr;ût pas de monde. îS'ous venons donc de voir les deux infinis, ou englobante, ijui ne sont pas nous. D’un côté le monde, de l’autre la Iransoendanoe, dont nous nous réaervona de parler plus i.ard. II 7 a d’autre part l’infini que nous sommes, et de cet iutini que nous sommes nous pouvons voir trois aspects successifs, avant de voir le dernier, qui sera l’existence. Rappelons-le : nous sommes d’aJjord Dasein, c’est-àdire nous-mêmes dans le monde. Nous sommes ensuite <'ibnce, la conscience en général qui nous mettra en. préde lui. Alais il faut aller plus loin. Ce que Jaspers appelle Uà^in, c’est ce qui a commencement et fin, ce qui se meut le monde envirounmit, ce qui combat, ce qui se fat^ ue qui lutte, c’est ce qui est angoisse et espérance, n’est pas seulement l’empirique et le déterminé, c’est afthe moi tel qu’il est étudié par la biologie, par ^ psyordinaire, noire moi particulièrement tel que le fûn^vent les philosophes pragmatistes, c’est-à-dire un moi qui a à lutter, à faire effort dans un monde, et c’est tio moi q[ui est conscience. En approfondissant cette idée de Dasein, nous voyons
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la pensée de Jaspera sc rapprocher de plus en plus de |;, pensée de Heidegger. Je suis là. Tel est le sens du mot Dasein, cela veut dirr que je suis à ime place du monde et ouvert au monde, h: fait que je suis là est rindîcation que je suis une cons cience ouverte au monde, et illuminant, éclairant le mond; par sa présence même. Le fait que l’être humain peut ?.. dire ici ou là est le fait que quelque part dans lé mond» s’ouvre une conscience, elle s’ouvre au monde et e!lv éclaire le monde. Donc, le Dasein, comme englobant, c’est cet infini êl^ vivant qui est dans la réalité, qui s’ouvre à la réalité, et «i quelque sorte, ouvre la réalité. C’est l’être dans son monde. C’est la pré^entialité d’un tout qui s’ouvre. C’est le fonde ment non spatial et non temporel d’un être qui est, lui, dans le temps et dans l’espace et qui est l’homme, en ta»; qu’il est l’individu empirique et déterminé. C’est ce Dasein infini, englobant, qui est le fondenieur de tout ce que nous sommes, c’est-à-dire de nous en lani que corps, de nous en tant que conscience et même ei: tant qu’ezistence. Toujours ambigu et double ; il peut être aoit dans peine, soit dans la joie, ü ne peut être défini d’ime sewf. façon, et ce qui peut le mieux le définir, o’est sa contii^ gence, c’est-à-dire que chacun d’entre nous pourrait n pas être. Il faut que nous sentions que ce fait que nou= sommes là est un fait contingent, et que cette luniièp que nous projetons sur le monde est ime lumière qui po^c rait ne pas se projeter. En même temps d’ailleurs que nou prenons conscience de cette contingence, il faut que nou prenions conscience que nous ne pouvons pas rester dâii' ce Dasein, qu’il faut toujours que nous allions plus foir que hii. Ce Dasein n’existe que parce qu’il peut être monté, que parce qu’il peut lui-même aller plus kiii: Ainsi, nous voyons que de nous-mêmes entant que Dasêri. il n’y a pas véritablement de connaissance. A plus fôri raison de l’existence, il n’y a pas de connaissalice. | En tout cas, c’est une. erreur de caractériser l’homme piirJ quoi que ce soit d’empirique et de déterminé. C’est pW* cela que toute théorie qui réduirait l’homme soit à defonctions physiologiques, soit à la r a c e , soit à des dérations économiques, ne tient pas compte de ce qui poa codsi
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JaspetB est l’essence de l’homme, et même de l’essence (le ce premier stade de l’homme cpii est le Dasein. Ce Dasein est ambigu. En effet d’une part, j’ai consience qu’il m’est donné, d’autre part, j’ai conscience que je suis pour quelque chose dans sa formation. Je ne peux rien dire de net à son sujet. Au contraire, quand nous allons au stade qui vient ensuite, quand nous allons vers la conscience en général, la conscience intellectuelle, nous trouvons là des choses bien définies. C’est elle qui est l’origine de la science- La omscience en général, suivant la définition de Jaspers, e’ost ma conscience en tant qu’elle est remplaçable par n’importe quelle autre conscience ; et elle l’est en effet devant nn fait scientifique, car il n’est pas nécessaire que 1.0 soit tel savant qui observe un fait scientifique ; ce savant pourra être remplacé par un autre qui, dans les taièines conditions, pourra observer le même fait. Au-dessus de cette conscience en général, il y a ce que Hegel appelle l’esprit, c’est-à-dire le sens de la totalité, en latii que gouvernée, en tâmt que pénétrée par les idées. L’esprit, eXest le mouvement temporel par lequel se réa lisent les idées. Mais aucun dé ces stades, aucune de ces eooches que nous venons d’examiner ne peut nous satis faire. L’homme ne se réduit à aucune d’entre elles et tùutes n’existent que parce qu’il existe autre chose qui est l’existenife. Il y avait certainement une sorte de saltus onire chacune de oes couches, mais le saut, qui va d’elles trois à l’existence, est un saut beaucoup plus radical. Il y a un saut par lequel ou va du monde à Dieu, dans la considération de cet infini qui n’est pas nous. Dans la considération de l’infini qui est nous, il y a un saut par lequel on va du Dasein, de la conscience en général, de Tosprit, qui sont des déterminations immanentes, à Pexisicnce. On trouvera donc au plus haut degré de l’être, audessus du monde, d’un côté la transcendance, et au-dessus (les trois déterminations immanentes de nous-mêmes, de l’autre côté, l’existence. L’existence et la transcendance seront en face Time de l’autre, ou, pour prendre des termes plus classiques, qui sont en même temps des termes kierkegaardiens, l’âme et Dieu seront face à face. Le monde n’épuise pas tout, donc nous avons à aller vers la transcendance, Les trois déterminations de l’homme l
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LA PBWâiE DE
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que BOUS avons Tues, Dasein, conscience en général H esprit, n’épuisent pas l’homme. Il a quelque chose .-m delà de ce qui s’impose à nous physiquement, au delà ce qui s’impose à nous par la force de la logique, et a'.j delà de ce qui s’impose'à noua par la force de la totalité, quelque chose donc qui nous fait passer au delà de l’empi risme, au delà de l’idéalisme classique, au delà de l’idéa lisme hégélien. Il faut que nous allions vers l’existence. Donc, nous ne sommes épuisés par aucune de ces déterminatioDS que nous avons vues, nous sommes insatisfaits devant chacune des trois, et insatisfaits devant leui ensemble. D’une façon générale, nous avons le sentimeni qu’aucune connaissance objective et théorique ne pourra nous donner la réalité effective de nous-mêmes, on de l’art., ou de la religion ; aucune science ne pourra s’appliquer a de tels objets. La science de l’art laisse quelque chose côté, qui est probablement ce qu’il y a de sp^ifique dajiÿ l’art, la science des reliions laisse de côté ce qu’u y a dV spécifique dans les religions. De. même pour toute sciencè. Essayons de caractériser maintenant l’existence. La ptémière caractéristique de l’existence, c’est qu’elle n’est pas définissable, c’est qu’elle n’est pas non plus connaissable Objectivement. L’existence n’est jamais quelque chose qiii puisse devenir objet, elle est quelque chose sur quoi je ne puis m’expliquer. Ce n’est aucunement un objet, et ce que nous en dirons ne Sera pas une connaissance. Nous ne pouvons parler de l’existence passée ou de l’existence rendue objet, ncirî ne |)ouvons pas réellement parler de l’existence. Elle s’éva nouit si on l’observe, elle n’est apparition, Erscbeinuii^. que pour elle et pour les autres existences, elle ne se§« jamais visible d’on point de vue qui ne soit pas son propn: point de vue. Je suis existence, en tant que je ne puis pas être tin objet pour moi-même, et naturellement aucun jugemeni et aucun critère ne pourra se produire dans cette sphèï<‘ de l’existence • je ne pourrai la connaître que par une sort]' de non-connaître, comme dans la théologie négative, ihv a un non-savoir de Dieu. Si je tâche de la rendre objectiviê] je la perds. Donc, je ne posséderai jamais à son sujet une véritable connaissance, je ne posséderai jamais ce que je suis. Si
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'y le savais, je ne serais plus. H y a comme chez Kierke^'aiird une lutte à mort entre la connaissance et l’existence. Ce que je suis reste toujours en question, et pourtant L -est cela qui supporte tout. S'il y a une sorte de connaissance qui ait sa place ici, (0 sera celle qui est appelée croyance. L’immédiateté de l’existence, dit Jaspers, c’est la (joyance. Cette croyance, c’est une décision, puisqu’il n’y a pas de preuves de ce que je puis croire, c’est une décision après une mise en question radicale. La croyance, c’est liiistoricité profonde de l’existence. Il ne s’agit pas d’établir la croyance d’après les critères lie l’immanence. Elle est sans contenu valable objective ment, mais elle est féconde existentiellement. Toute exis tence croit en quelque chose. Ce n’est pas nécessairement une croyance religieuse au sens ordinaire du mot. Mais ’est ce que Jaspers appelle la vérité inconditionnée, valable absolument dans l’ici et le maintenant de cette existence. Ainsi chaque existence a son monde de croyance que les Hiitres existences peuvent bien sentir, mais qu’elles ne peuvent se représenter. E t comment ces croyances sonttücs diverses ? Comment admettre que chaque existence se voue absolument à l’objet de sa croyance, et en môme (iinps conçoit qu’une autre existence se voue inconditionnéUement à l’objet de sa croyance à elle, qui n’est pas le même ? Gomment d’un point de vue existentiel admettre pluralité de points de vue ? Gomment admettre à la illis que c’est le rapport de mon existence à son objet qui est VIai inconditionnellement, et que malgré tout, il y a d’autres vistoos du monde et d’autres points de vue "possibles ? Antinomie essentielle à la philosophie de l’existence. Peur en revenir à la croyance, qûi est le mode de « conîmissance» de l’existence, nous voyons qu’elle est essenliellement subjectivité. Nous retrouvtms l’idée kierkegaardienne : « Le subjectif, voilà la vérité. » La croyance appa raît quand précisément nous avons dépassé la' sphère de k vérité pragmatique (celle du Dasein) ; la sphère de la véiité lo ^que, celle de la conscience en général ; et la -sphère hégélienne qui est celle de l’esprit ; pour un hégé lien, l’important, c’est d’arriver à une sorte de complétude, de totalité ; pour un disciple de Jaspers, l’important, c’est d’exister, c’est-à-dire d’être authentique, d’être soi-même, l
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LA PEHSÊE DE L^EXISTENCE
d’être irremplaçable. Car c’est bien ce domaine de l’irrem plaçable dans lequel nous sommes entrés, par là même qu*nous sommes entrés dans le domaine de l’existence. Daris Ja conscience eu général, un autre individu peut prend fiï; ma place, comme nous le Usions, devant un fait scientifique, mais ici aucun autre ne peut prendre ma place. Seul je puis jouer mon rôle, il n’est plus question d’entendement, il est question d’être. Le mot d’existence n’est qu’un signe, destiné, dit Jas pers, à me diriger vers cette certitude qiii n’est pas une certitude intellectuelle, qui n’est connaissance objectmment pour personne ; vers cette existence que personne ne peut affirmer ni à soii propre sujet, ni au sujet d’un autre. Par conséquent, s’il faut en croire Jaspers, le philo sophe et même l’existant ne doit pas s’appeler existentia liste ni existant, puisque je ne puis jamais affirmer que j’existe, puisque je dois mettre en doute ma propre exis tence, puisque j’existe plus par un doute sur mon exis tence qne par une affirmation dogmatique qui serait en réalité la destruction de mon existence. Là réside la difficulté, d’établir une philosophie de l’exis tence ou un discours sur l’existence. «Nous disons : e:içistemîe, écrit encore Jaspem, nou.s parlons de l’être, de cette réalité qu’est l’existence, mais l’existence n’est pEis un concept, eUe est seulement un signe.» Le mot existence, est seulement un signe qui oriente vers un au delà de toute objectivité. Si nous cherchons l’existence, nous ne la trouvons pas. Nous sommes dans une sorte d’impasse. Nous ne ponvons pas parler directement de l’existence, et en ce sens, ce que je fais ici, et ce qpi’a fait Jaspers paraît extrêmement illogique. Nous ne pouvons parler qu’indirectement de l’existence, en m ontrant ce qui n’est pas l’existence, Mais nous ne la connaissons pas au sens ordinaire du iriul connaître. Elle ne peut être touchée qu’indireotement, el c’est seulement si nous étudions les autres modes de connaissance que nous dirons : « Mais il y a im mode de connaissance différent d’eux», et c’est ce mode-là que nous appellerons existence. Tel est le premier caractère de l’existence, sa non objec tivité- Le second sera ce que Jaspers laisse entendre par le terme de Ursprung, « originellité», et authenticité.
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U s’£^t de retrouver notre authenticité profonde. Il kilt philosopher et décider à partir de l’origine. Il ne faut jias nous prendre nous-mêmes comme un cas de quelque rltose de plus général, ou comme un effet, mais comme lUM?origine d’actes et de jîensées. Dans le terme Ursprung, il y a le mot saut, et on sait que c’est par un saut que nous jlions à l’existence et à la transcendance. il faut atteindre ce fond sombre, cette origine sombre, mitre être authentique, par opposition à la transparence artésienne, à la clarté hégélienne. Voilà ce que Jaspers présente comme notre origine, nne sorte de fond liMiébrenx analogue à celui de certains mystiques.Le troisième caractère de l’existence, mséparahle des lïiires, est essentiellement possibilité et par là même liberté. En disant Ursprung, nons nous tournions plutôt vers le passé et l’origine de l’existence ; en disant possibilité, üçnis nous tournons vers ce qui est avenir. J’ai nne certitude au sujet de mon existence (certitude que je ne peux pas connaître complètement), quand je me ^lensc à partir de ma possibilité, quand je sois «existence [lossible». Expression qui revient très souvent chez Jasfwrs. Être existence possible, cela veut dire que j’ai sans (vsse à décider si je suis existant ou non. Le moi en tant i|ü’existence possible a le privilège décisif de rompre le icrfle de l’être objet et de l’être sujet. Il s’agit de tenter Dijtre conscience par des possibilités, non pas seulement les possibilités de mal que Kierkegaard avait montrées oirnue causes de l’angoisse, mais aussi nos autres possibi lités, les possibilités les plus hautes, et Kierkegaard savait qu’à côté des possibilités qui causent l’angoisse, il y en a il'autres qui peuvent être au point de départ du salut. Or ccni'aetère d’être possible, c’est cela qui définit l’existence. Et l’acte de philosopher, c’est un acte par lequel je flicrche cette possibilité d’existence. Je suis quelque chose qui peut être et qui doit être, mais je ne suis pas à propreim?rit parler quelque chose cpii est. Cela explique d’ailleups •ijtte incognoscibÙilé objective de moi-même : je ne pour rais me connaître que si j’étais à ce moment-ci quelque tkese. Mais comment puis-je me connaître puisque j’ai à être plutôt que je ne suis ? De cette idée de possibilité, nous passons à l’idée de décision. L’existence arrive à soi-même dans une décision,
LA PETîSÉE DE L*EEISTEIÿCS
J ’ai toujours à risquer, et nous pouvons nous rappelvi comment le risque dont avait parlé Platon à la fin du Phé don est caractéristique de l’existence. J’ai à tout moment à décider si je me perds dans le néant ou si je m’identiÜH avec moi-même en m’affirmant moi-même. Je suis sansr cesse dans le choix d’être l’être ou le non-être. Tout ici repose sur moi seul, dit Jaspers. Dans la clarté d’une cer titude qui ne me donne aucun savoir proprement dit, maiqui fonde mon être propre, je décide ce que je suis, û caractère est lié à l’idée d’authenticité, à l’idée d’Ursprung. Donc, je ne suis jamais quelque chose qui est décidé,, je suis toujours quelque chose qui a à se décider, qui va décider. J’ai à décider si je suis identique à moi-même, si je suis fidèle à moi-même, ou si je m’abandonne moi-mêinç, Par là, j’ai à décider si je suis profondément historiqué, an sens que Jaspers donne à ce mot, ou si je me.déraciiK de ma propre histoire. L’acte de décision est un acte par lequel je ne me tente d’aucun point de vue extérieur, mais par lequel j»; coïncide avec mon point de vue qui cesse d’être vn point de vue. De là, nous allons facilement aux idées ér: fidélité et de personnalité. Mais que devons-nous faire de notre moi et de noti>; personnalité ? Comme Kierkegaard, Jaspers parle de sinr plifier, de limiter. Ici, ce ne sont pas les paroles de K%^ kegaard qui l’influencent, mais c’est plutôt sa propre observation du cas de Kierkegaard. Pourquoi Kiêtkegaard est-il une telle personnalité ? C’est parce qu’il-, rétréci ses limites. C’est que Kierkegaard n’a pas voûlâ être une conscience en général, un esprit hégmien. If^il voulu être tel individu. C’est son étroitesse qui a étéJt" condition de sa profondeur. On voit en quoi une tel).' conception s’opposerait par exemple à celle d’un Gœtfei, C’est parce que Kierkegaard ne veut pas considérerki. | monde comme im cosmos qu’il voudrait embrasser en ent^ qu’il est Kierkegaard. Cette étroitesse de l’existence, c’est_le fait même ;|;^‘ lequel mon Dasein et mon existence s’unissent. Donc néuavons à opposer l’idée de l’étroitesse de l’existence^ l’idée de totalité hégélienne ou gœthéenne, et nous avom à prendre conscience que par cette idée de l’étroitesse df l’existence nous arrivons à l’idée de ce que Jaspers appellf co r
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profonde. C’est dans le ternes que le Dasein et l'.'xistencé s’unissent, en luttant d’ailleurs l’un contre l'iiiitre; c’est cette limitation qui va nous faire comprendre nous avons une place dans l’histoire et occupons un ion dans l’espace. Cela nous donne nne nouvelle définition. L’existence est 1-1 concrétion profondément historique, qui chaque fois ne passe qu’une fois, d’un Unique. En résumé l’existence est inconnaissable objectivement, tle est origine, possibilité et décision, elle est personnalité ; ubiientique et fidèle à soi, et profondément historique. L’existence est personnaJité. Kierkegaard avait déjà l^arlé du rapport infini de notre moi avec lui-même. Une existence est en rapport infini avec soi, dit Jaspeis. Elle Il'ftt^scende vers soi, en même temps qu’elle a souci de soi. I existence est donc l’être personnel qui se rapporte à soL ’ijmue. En tant que j’existe, je m’engendre comine moi, t ou même temps j’ai le sentiment que je suis donné à ut'ii-même épandu devant moi-même, par une force qui iiV.st pas la force de mon moi. Nous savons par ce qui a été dît du Dasein que nous itvoris le double sentiment de nous former nous-mêmes, i;t tl’être donnés d’une certaine façon à nous-mêmes. II y a 1110 tension entre ces deux aperceptions qui sont en même i.^mps deux sentiments, et nous arrivons par là à un nou■Iou caractère de l’existence : l’existence est toujours en lon^ion. 11 y a toujours des antinomies dans la pensée \islentielle. C’est que je n’ai pas seulement rapport à moi, mais rapport à la transcendance dans laquelle j’ai mon fonde'iii-Eit. Ainsi l’existence n’est pas seulement l’être personnel mi se rapporte à soi, mais encore qui se rapporte à la i;;iiiscendance par laquelle elle se sait épandue et donnée :i
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D’après. Jaspers, nous avons à décider non pas si nom serons éternels dans une vie future, mais si notre instanr; sera éternel par la valeur même que nous lui conféroni;, L’existence est décision, elle est cette décision qu, consiste à faire naître dans le temps même l’éternité. L’etn^ qui n’est pas, mais qui peut et doit être, et qui temporellr^. ment décide qu’il est éternel, cet être je le suis moi-mêrrncomme existence. Ainsi, nous décidons, dans le temps, de l’éternité, rorm ce n’est pas l’éternité telle que se la représentait Kierlio. gaard, c’est une éternité qui est ici réellement, et non seu lement décidée par un acte temporel, puisqu’elle n’est paautre chose que le temps vu sous son aspect d’éternité. Ces considérations sur l’existence, ces essais de. définitio.'i de l’existence se termineront par l’idée que nous avons à nous prendre nous-mêmes sur nous-mêmes, à effectuer cette répétition qui est un acte d’affirmation et de réatfirmation. Voilà donc les caractères que J aspers reconnaît à l’exis tence, caractères étroitement liés les nns aux autres, cg! par exemple, si l’existence est mconnaissable, c’est préd sèment parce qu’elle est toujours possibilité et décision, parce qu’elle est rapport avec la transcendance, qui eitmême est mconnaissable. Nous voyons l’opposition de l’être empirique et d. l’existence. L’être empirique est déterminé, l’exislence eslibre. Il y a une solidarité des êtres empiriques, l’exis tence est seule. Le Dasein meurt ; l’existence connaît se lement élan et retombée. L’être empirique est temporel L’existence est dans le temps plus que le temps. L’èk» empirique est fini, mais l’existence est finie et infime, d. même qu’elle est temporelle et dans le temps se fait étiu Belle. Sans doute nous semblons parler de quelque elios d’universel dans un domaine qui ne souffre pas l’univér sel. Les mots dont nous nous servons doivent seulemeni servir de signes ou d’appels. Il y a non pas une connaissance de l’existence, mais: éclairement, Erhellung, de l’existence, une parole— l’unique à l’unique, un appel où Tun parle à l’autre d» telle façon que l’autre sente qu’il s’agit de lui. Afin qui soit rendu sensible l’inconditionné par opposition au rela-
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lif. la liberté par opposition au généred, l’infinité de l’exisMu e possible par opposition à la finitude de l’être empiriipie et déterminé. Pour caractériser ce domaine, Jaspers pense qu’il faut préférer à tous les termes qu’on avait employés, aux termes de vie, de réalité, le mot existence. « Existence est un des synonymes du mot réalité», mais, dit-U, «grâce à l'accent mis par Kierkegaard, il a pris un aspect nouveau
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bien qu'elle soit plus le Dasein. C'est elle qm d'aui;, part donne de la consistance et du sérieux au Dasein. i ^ même temps qu’elle montre son évanouissement. C’est e([. qui doit déchiffrer la signification des chiffres. « L’exitence se réalise dans le Dasein, s’éclaire dans la conscien.. en général, révèle son contenu dans l’esprit», dit Jasprr> Parfois d’ailleurs, il faut signaler que c’est une sorte <]. déficience dans le Dasein, tel le cas de Kierkegaard, penf. être celui de Nietzsche, qui fait l’existence même de (s, penseurs : c’est peut-être parce qu’au sens du Dasein, ai; sens de l’être empirique, ils sont déficients, ils sont c’est peut-être pour cela qu’ils sont tant au sens de Texi:; tence. L’existence est liée à un minimum de Dasein, mai peut être forte dans la faiblesse du Dasein. Ainsi il faocii.: toujours se demander si on est en présence par exemple ü. vitalité audacieuse ou d’existence courageuse. De façon plus générale encore, l’existence est liée monde. Ce qui est en nous, ce qui est nous, est lié à {• qui n’est |>as nous. Liée au monde de telle sorte que une tâche infinie de les séparer, une tâche dans laqueUc !• monde se définit en même temps que l’existence se fait. Il y aura toujours lutte entre l’être comme monde etTêli: comme liberté. Mais il faut que l’un soit poux que l’autrsoit possible. De même il y aura des rapports en même temps que di oppositions entre l’existence et l’esprit. Elle est ce qui brise les considérations hé^liennes, ce qui brise l’espril : néanmoins elle est à l’intérieur de ces totalités que coosi dèrent les hégéliens ; ils trouveront l’existence comme leu; racine. L’existence enferme un incompréhensible qoi pourra être sans cesse éclairci, mais sans jamais être claii Enfin, de même tme l’esprit se fonde, sur l’existettoi.. l’existence serait vide, si l’esprit ne lui fournissait pas d> structures. Donc c’est l’existence qui porte toujours ces autros déterminations, bien qu’elle ne soit pas définissable ; cli( les anime toutes, elle est le fondement obscur de toutes. Toute autre vérité a sa racine profonde dans l’existencc: Elle donne à tout fondement et profondeur. Nous voyons tout ce que la méditation de J asp ers doil à celle de Kierkegaard. Quand il nous dit : le particulier est au-dessus du général, quand il nous parle de l’incon-
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.liitormalité de l’instant décisif, quand il nous dit que nul ,utlre ne peut se mettre ici, à notre place, quand Ù nous (lit encore que l’existence décide dans le temps de son éterqu’elle est le paradoxe de l’unité de la temporalité et .i--' l'éternité, quand U nous la montre devant la transcen dance et définit la croyance comme l’immédiateté de l’exisi«>nce, et aussi quand il nous fait voir que dans les moments Ina plus existentiels nous avons le doiible sentiment d’être p.issifs vis-à-vis d’une force supérieure et d’être extrêmeii'.pnt actifs, et que nous avons aussi le troisième sentiment i|iic tonte cette activité n’est rien, comparée à cette force srijiérieure, tout cela nous rappelle Kierkegaard. l/idee de la subjectivité, celle de la faute, l’idée des :,iiiiations limites, les antinomies, et même la théorie des symboles et des chiffres, tout cela vient de la méditation de .taspei*s sur Kierkegaard, mais répétée, c’est-à-dire affir:iicc et réaffirmée en lui.
IV La
Les situations-limites. conscience absolue. L’escception et l'autorité, à la transcendance.
Après avoir défini l’existence, nous avons vu que l’exisInrit. n’a pas d’assurance objective, mais que c’est précisé ment parce qu’il n’a pas d’assurance objective qp!*!! a vraiment à décider. 0 L’assurance, dît Jaspers, lui est versée d’une façon ’.ih oncevable, à partir de rorigine, quand il prend le risque vivre, sans être assuré par des garanties objectives.» I.Vxpression « à partir de l’origine^ hors de l’origine» nous rappelle ce qui a été dit sur l’importance de cette idée d'origine. C’est notre source fondamentale. Noos agissons JTpartir de l’origine, en délaissant toute considération objective, et ne prenons comme guide que notre inspiration éthique. C’est dire que dès lors nous agissons par croyance. La
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LA PEN SEE DE L EXISTENCE
croyaDce est un mouvement de l’existence. C’est « la cr: titude d’être de l’amour». Les définitions possibles Nous pourrions dire qu!il y a une lutte de l’existant poi; Texistence. Il y a une lutte pour l’existence, c’est-à-dire que sait cesse il faut tâcher de nous maintenir dans cet élan, dar. ce risque, dans cette direction vers l’avenir. Sans cess., nous avons à lutter contre nos propres tendances à glisst hors de l’e'xistence, à nous laisser aller vers le plan ê l’observation, ou, ce qui est plus grave encore, vers ]. plan de l’inauthentique. Il y a même des hommes qi. n’arrivent pas à ce niveau de l’existence, et qui restent ai. niveau du pur Dasein. Us sont alors pure nature. Ils i sont pas réelle possibilité. L’existence est naturellement historique. Jaspers fa: une différence, comme Heidegger d’ailleurs, entre deusortes d’histoire, Thisloire qu’il appelle Historié^ qui tj simplement la narration des faits, et l’histoire GuckiaUe, qui est un effort pour coïncider avec les élans qu. sont à l’origine des faits. L’histoire, au premier sens d. mot est quelqim chose qui reste dans le domaine de l’obsc; vation, Thistoire au second sens, Geschkhie^ est caracli ristique de l’existence. Qu’est-ce que ce caractère profondément historique* Nous traduisons en effet Gesckicfülichkeit par historicii profonde ou existentielle. C’est l’unité de notre Dasein t de l’existence. C’est-à-dire que nous nous trouvons ave certaines propriétés, avec certaines qualités, nous faisoir partie d’un État, nous faisons partie d’une tradition, noui sommes à un moment de T histoire.-11 faut que nous preniom cela sur nous, par le mouvement même, par l’affirmatiot
LES SiTTJATIONS-UUITSS
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:iK-nie de notre existence. Donc, Thistorique, ie jprofondé(iit ni historique, c^est l^upion du Dasein et de l’existence, et l’union de la liberté et de la nécessité. Mais cela ne -ùffil pas. Si ce qui est extérieurement détermination apparaît ..lume le fait de l’être authentique, c’est qu’il y a aussi l^iutre part un lien de l’existence et de l’éternité. Le temps en tant qu’avenir est possibilité, en tant que pa?sé, fidélité, en tant que présent, décision. Et alors il est apparition de l’existence. Mais le temps est alors dépassé, l^iant'dans le temps, je suis au-dessus du temps. Dans le Iliornent profondément historique, l’homme atteint quelque liose d’éternel. Il passe au delà du temps. Par le temps iii-jnême, il se saisit d’une sorte d’éternité. Paradoxe de i union du temps et de l’éternité, analogue, sur im plan Il êvis religieux, à ce que disait Kierkegaard : il s’^ t , ,i;siit-il, dans le temps, de décider de notre éternité. L’acte consacre le présent par une sorte de lumière qu’il ;
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ridée de limitation. Nous ne devons pas aimer rhumaiiii, en général, nous ne serons profondément historiques ru,., si nous aimons une ou plusieurs personnes déterminêu^ Ce serait une négation de toute morale kantienne, •< c’est aussi la négation de cet effort pour aller vers quolqu chose de plus vaste que les individus ou les paya parlièn. liers ; et n’y aurait-il pas là une infirmité de la doctrine j, Jaspers ? Un autre caractère de l’existant, c’est la liberté, carfn . tëre qui se marque déjà par le fait que pour Jaspers, l'exi... tence, c’est toujours l’existence possible, c’est-à-dire rexitence tournée vers l’avenir, et qui décide elle-même elle existe ou si elle n’existe pas. La liberté se trouve don le domaine de l'existence et dans ce domaine uniqueinec; Nous n’avons pas à la chercher dans le domaine des falinous n’avons pas à la chercher non plus dans le domai).> que nous étudierons ensuite, qui est le domaine de 1 transcendance. Elle s’explique parce que nous manquonde connaissances sur ce que nous devons faire. C’est sence de connaissances objectives qui est la condilic! de notre liberté. C’est parce que je ne sais pa^ que je doi vouloir. En effet, nous ne pouvons pas nous décider p;:i des considérations objectives ; nous devons choisir, par<> que nous ne savons pas, dans ce domaine du pratiqui. ; nous ne pouvons pas savoir, et même ne devons pi savoir. • C’est parce qfue je ne peux jamais devenir un objet pai:: moi-même que la liberté est possible. Donc, la liberté ne sera visible .que pour la liberté. > nous nous plaçons dans d’autres domaines que ceux de 1: liberté, nous ne la verrons pas. C’est seulement pour Tcxi tence que la liberté est visible, et cela nous montre ^ e tout les démonstrations objectives en faveur de la liberté li! seront aussi funestes, et même davantage, que les démon< trations objectives contre elle. Nous ne pouvons rationne.* | lement ni l’affirmer, ni la réfuter. Kant l’avait vu, la liben- ! est en dehors du domaine de la démonstration. E t j seulement à partir de ma possibilité d’être libre que j.j pourrai mettre en question ma liberté, et c’est en mefïüir en question ma liberté que Je pourrai l’affirmer. Mais pour l’entendement, elle restera toujours inconcevable. Comment la définir? Nous savons déjà'q ue nous iiv-j
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piiirroDs pas la définir d’ime façon satisfaisante. Elle ti'cst pas connaissance» elle n*est pas complètement libre arbiire, elle n’est pas loi, bien qu’elle enfenne en elle tous iy»s caractères. Elle est une unité de la connaissance, du libre arbitre, et de la loi. En elle intervient aussi l’Idée, (le la façon dont l’interprétait Hegel. Mais tout cela ne pas naturellement pour nous dire ce qu’elle est. bille est le passage du «je veux b au «je dois» et au e je Elle est un choix d’un contenu infini dans le rapport de l'action avec l’apereeption d’une nécessité. Elle est une itnilé contradictoire de libre arbitre et de nécessité. 'Je veux parce que je dois. Je me lie dans mon acte et en porte !,r, conséquences. Et les idées d’historicité profonde et J'i)rigme, Ursprung, seront d’autres manières d’appeler là til>crté. Cette liberté n’est pas une liberté inconditionnée >u du moins, eUe l’est seulement en ce sens qu’eUe se pose ime fin indépendante de tonte condition, mais elle n’est inconditionnée en ce sens qu’elle doit tenir compte de vLsituation dans le monde, du fait qu’elle est environnée iIl' îiéocssité. Nous vivons dans l’antithèse. Il n’y a liberté que parce lu? nous sommes environnés de non-liberté. Nous vivons ]i situation. Nous vivons dans la nature, nous vivons dans ,:i société. Et sans cette lutte que nous avons à soutenir iiiRtre les déterminations sociales et naturelles, il n’y 'lirait pas de liberté. Par conséquent, la liberté implique qu’il y ait des choses uatraires à la liberté, et contre Jestpielles nous devons JïLtb r. La liberté est lutte et elle est libération. Elle n’est i»as liberté donnée une fois pour to utes; il n’y a jamais iiiicrté donnée une fois pour toutes. It y aura donc un combat en nous-mêmes ; il y a un ■iractère inconditionnel de la liberté, elle nous enjoint juclque chose sans tenir compte des conditions, mais r.'-us vivons dans les conditions. Ceci expliquera son échec nooessaire. Puisque la liberté se fait toujours par et contre l^nature, elle est destinée à l’échec, destinée à disparaître soit comme liberté soit comme Dasein, mais elle doit être maintenue dans cet échec même. Il faut risquer sans cesse notre liberté, et c’est ce risque qui fait la valeur de notre vie.
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La théorie de la liberté doit se compléter par la théorie de la traneendance. Non seuiement notre liberté se heiute à la nature, mais elle se heurte à ce quelque chose par quoi nous sommes donnés à nous-mêmes ; car comme nous ayons le sentiment de ne pas nous être créés, elle s’évanouît finalement devant la transcendance. Nous voyons donc que la liberté a une sorte de caraclèrc évanouissant. Ëlle est l’apparence évanouissante de h transcendance et ne peut se maintenir devant elle. L’être de la liberté existe seulement quand il se conquiert lui-même; dès qu’elle est en contact avec la transcendance, avec Dieu, la liberté se transforme en autre chose, elle devient la grâce. Ainsi la liberté cède la ^lace finalemenî à la nécessité. Notre liberté ne peut être maintenue s’il n’y a pas à côU* de nous la liberté des autres. Comme Sartre le fera, Jaspei> insite sur ce fait que la liberté de l’unique, la liberté ii> l’individu dépend de la liberté de tous. Mon choix doit s’accompagner du choix hbj^ des autres. La liberté ne peut être que par la transcendance et awr la transcendance. Et ici-bas, elle est évanouissante, ellv se révèle par éclaira, comme toute apparition profonde di^ l’existence (qiû est en même temps apparition de la transcendance), puis disparaît ; ce qui a le plus de valeur est qui disparaît le plus vite, et la liberté, comme l’existence, est sans cesse en danger de s'oublier elle-même, de su perdre dans rinauthentique et dans le non-libre. Quand nous parlions d’historicité, nous voyions qun Jaspers ajoute à la doctrine de Kierkegaard ^elque chosi qui est le sentiment que nous prenons place dans rhistoir>. profonde. Avec Kierkegaard nous étions devant Dieu, nonétions contemporains du moment où Dieu s’est incaruc. Il fallait supprimer par la pensée les vingt siècles qui nous séparent du passage sur terre du Christ, mais poim J asperil faut réintroduire Thistoire. De là une profonde différententre Kierkegaard et Jaspers. Une autre différence vient maintenant se montrer: l'individu n’est pas isolé devant Dieu, devant la transcerc dance, il est en communication avec les autres individu^ Ainsi, par les deux idées d’historicité et de commuai cation, Jaspers, et les philosophes de l’existence qui k suivent complètent la pensée de Kierkegaard.
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La commuiiication ou la conununion, c’est quelque Iliose qui, de même que l’historicité profonde, n’existe que, dans le domaine de l’existence, bien qu’il arrive à Jasperé de parler de la communication dans la sphère du Dasein, dans celle de la concience en général, dans celle des esprits, n faut entrer dans le domaine de l’existence pour qu’il y hit vraiment passage d’esprit à esprit, ce que Jaspers appelle la communication. Communication qui est une (Création réciproque d’une existence par une autre, au cours d’une sorte de combat, de lutte pour l’amour, dans laquelle chaque personne s’efforce d’ouvrir la conscience de l’autre à la vérité profonde qu’elle sent. Mais cette communication n’est possible que sur un fond de solitude.; il y a donc une tension entre la solitude nt la communicaiion. II faut que je sois un je, et il faut en même temps que je me sente avec un autre. Si ce sentiment de soEtude préalable est détruit, la véritable communioation cesse aussitôt. Inexistant a donc à devenir im moi, et à faire devenir un toi, dans cette communication existentielle, dans cette transparence, qui naîtra de cet effort mutuel de compréiiension. Et la vérité ne deviendra véritablement vraie que dans la communication. C’est d’un sentiment analogue que Platon avait peutêtre conscience d’être animé, quand il ne voyait pas d’autre forme que celle du dialogue pour communiquer la vérité qu’il avait découverte, quand il pensait qu’il fallait consul ter ses écrits seulement en second lieu, que l’important, •^omme il le dit dans une de ses lettres, c’est la flamme qui naît dans l’âme par la parole d’une au|re âme. Maintenant nous avons à considérer l’idée de ce que Jaspers appelle les situations-limites. Ce qui nous per mettra de voir ce qu’il appelle la conscience absolue et les actions inconditionnelles. Nous nous trouvons toujours dans des situations. Mais il y a certaines situations qui, à la différence des autres, restent devant nous d’une façon permanente. C’est la caractéristique générale de l’être humain d’être en situation. situations-limites sont celles dans lesquelles nous tou chons nos bornes. Elles sont immanentes, mais elles nous indiquent la transcendance. Elles font que nous avons conscience d’une sorte de mur devant lequel nous
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échouons, et d’un élan qui persiste en nous. Elles nous mettent en présence, plus que toute autre situation, notre condition. On ne peut pas les décrire, on ne peut pn? non plus les détruire ; ce que l’on peut faire, c’est les amener à la clarté. Ordinairement, nous fermons les yeux à ces situations-limites. L’une d’entre elles sera la situation d’étre mortel, ce sera la mort. Il faut que l’existant ait les ycu\ ouverts sur elle. Au fond, exister et se découvrir soi-mèrni dans ces conditions-limites, c’est une seule et même chose. Car alors, nous avons conscience de notre impuissancr comme Dasein et de notre réalité comme existant et comm. être. là même, il n’y a jamais que des points de vue sur l’nnivers. Nous n’aurons Jamais de connaissance totale, et même, il n’y a pas de connaissance totale possible. II y a donc une étroitesse de l’existence, et ce sera la seconde situation, dont Jaspers s’est rendu compte en étudiant Kierkegaard, dont il voit l’étroitesse, mais dont il montre aussi la profondeur, liée à l’étroitesse. En réfléchissant sur la mort, on arrive à voir le caractère précaire de l’existence. L’existence et l’histori cité profonde ne peuvent pas se maintenir. La mort c.st une sorte de signe, de symbole du caractère précaire de l’existence. Mais en même temps, elle fait que chaque moment de cette existence est infiniment précieux. Ainsi elle condamne l’existence à la précarité, mais elle permet la VEiieur infinie de l’existence même. Les autres situations-limites, ce sont celles de la souf france, du combat, de la faute ou du péché. La souffrance et le combat sont liés au fait que nous sommes limités. De même, que l’existence soit faute, c’est une âutre façon de dire que nous ne pouvons pas accueillir le tout du réel^ que nous devons forcément nous fermer à certains aspect dn réel, pour nous ouvrir à d’autres. Ces situations-limites nous donnent, si nous prenons conscience d’elles complètement, ou aussi complètement que nous le pouvons, ime sorte de vertige. Si nous nous interrogeons sur elles d’une façon profonde nons voyons le sol se dérober sous nos pas, et il nous faut comprendre qu’il ne peut y avoir aucune complétude de l’être humain. Elles nous font mettre en question notre être même. Elles nous montrent qu’il y a une structure antinomique
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.1.' notre être. En effet, tout ce qui a une valeur est lié à ilchoses qui n’ont pas de valeur. Par exemple nous \ eiioas de voir qu’il n’y a liberté que parce qu’il y a noniberLé. Nous venons de voir aussi qu’û n’y a eommunicalion que parce qu’il y a solitude. Il n’y a connaissance |i[Oiondément historique que parce q[ue nous avçns .onscienee qu’il y a d’autres connaissances que la nôtre. Eu sorte que si je fais disparaître complètement la Kunliberté, je fais disparaître aussi la liberté. Si je fais .lisparaître la solitude, je fais disparaître la communication. je ne veux qu’un côté de l’antinomie, je fais disparaître vmiie rantinomie. L’antinomie de l’existence est encore iine situation limite. Mais ces antinomies et les autres antinomies que nous pouvons trouver sont nécessaires à l’existence. ^ il n’y a pas d’antinomies, il n’y a pas d’existence, et s’il n’y a pas (Pexistence il n’y a pas de transcendance. Il n’y a d’être pour nous que si le Dasein, si l’être empirii|ne est, mais le Dasein n’est pas l’être. Et voilà encore ii!io des situations devant lesquelles nous nous trouvons, li’osl une autre façon de dire que notre être est piofondé jiumt historique. Si tout ce qui a valeur est antinomie, nous ne nous . bumerons pas que ce qui a valeur ne soit pas stable. Ce i|iii est stable, c’est plutôt ce qui a peu de valeur; mais ce i|ut a valeur s’évanouit, est xme apparition évanouissante, il c'est encore une façon de dire que ce qu’il y a de plus haut dans notre être est profondément historique. L'historicité est donc une apparition qui se détruit elle-même puisqu’elle est profondément temporelle. J ’ai une place dans le temps, et l’apparition même de la trans•enctance ne pourra se faire que dans des moments exirêijienient fnmtîfs. Ce qui est stable, ce sont les propositions ijjipersonnelles ; l’existence est quelque chose d’essentiel bniient précaire. L’être est l’historicité profonde du Dasein. La relativisation du Dasein, son évanouissement est l'apparition de l’être. Des situations-limites on en arrive à ce que Jaspers appelle la conscience absolue, qui est tout à fait différente de la conscience en général, de la conscience telle qu’un liant ou un Descartes se la sont représentée. Nous sommes ici dans un domaine difficile à explorer.
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puisqu’il est essentiellement non objectif, et dont on rtr peut donner une idée que par des sortes de cercles vicieuv, de paradoxes, de non-savoir, comme disent les théologiens de la théologie négative. Devant cette conscience absoluçnous sommes pris d’une sorte d’angoisse et d’un vertigo. C’est de là que pourra naître de la façon la plus réelle 1 :^ croyance, et c’est à partir de là que se développeront « les actions inconditionnées ». Il y aura sans cesse une tension entre notre affirmation de la valeur de nos actions et l’idée que malgré tout no:actions ne sont rien. Ces actions inconditionnées sont les actions qui naissent de cet Ursçrunng, de cette source dont nous avons parlé. Ici les considérations objectives n’entrent plus en jeu, no«N avons en quelque sorte quitté le monde pour la voix de le conscience et la réalisation d’une apparition de l’être. L’action religieuse, telle que Kierkegaard l’a conçue, k sacrifice de soi-même, est une de ces actions inconditionnéc.v li y en a d’autres, comme le suicide, comme l’action inté rieure, comme l’action sur le monde pour amener à la réalité un idéal, ou comme l’acte même de philosopher. Nous arrivons alors à l’antinomie finale de l’un et du multiple sur le plan existentiel. Ces actions inconditionnées, cette conscience absolue, chacune est vraie pour l’existant et pourtant, il sait qu’il y a d’autres existants qui accom plissent d’autres actions inconditionnées, et qui o t U d’autres modes de conscience absolue. Ce problème san^ solution nous permettra de passer à l’idée de transcendance. Sans cesse, l’être humain éprouve le danger soit de se perdre dans le subjectif, soit de se perdre dans l’objeclil. Il y a un mauvais subjectif et un mauvais objectif, et l’existence est toujoura menacée d’aller vers l’un ou vers l’autre, car elle enferme en soi à la fois subjectivité et objec tivité. De là une tension nécessaire pour préserver ces deux idées. Ce qu’il faut encore ici, c’est ne pas détruire rantinomie, ne pas dire : « Je veux me cantonner dans l’objec tif, ou dans le subjectif»; celui qui fait l’un ou l’autre de ces choix détruit les deux termes, car chacun des deux ne peut vivre que par sa relation à l’autre. C’est dire que l’existence ne sera jamais parfaite et accomplie, mais tou jours tendue, écartelée entre le subjectif et l’objectif^
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Donc, l’existence échoue nécessairement à s’exprimer li’nne seule façon. Mais il faut vivre dans cette tension toujours irrésolue entre le subjectif et l’objectif, se sentir toujours en voie d’accomplissement, jamais accompli, sauf en des instants précaires, La dernière antinomie est l’antinoniie de la vérité. Il a différentes sortes de vérité : la vérité du Dasein, la t êrité rationnelle de la conscience en général, la vérité de lexistence. C’est celle-là qui nous intéresse,. bien qu’elle ne puisse pas être complètement séparée des autres, et qu’il ne faille pas nier la valeur des autres. II y a une valeur de la science, une valeur du Dasein, mais l’existence est seule à supporter toutes ces valeurs. Et la vérité pour t’existeuce, c’est la croyance. L’existence éprouve la vérité dans la croyance. Quand l’entendement ne peut plus rien dire, quand il n’y a plus de totalité hégélienne, alors se révêle l’existence. Mais il y a plusieurs vérités existentielles. Quand je suis à l’intérieur de ma vision du monde, je pense et j’ai’ à penser que ma vérité est la vérité. Elle est vérité incondilionnée, profondément historique. Mais je sais d’autre paît que cette vérité n’est pas valable pour tous. Sans quoi, elle ne serait qu’une vérité objective. Les vérités ne sont pas l’une à coté de l’autre, mais pour ainsi dire l’une avec l’autre. Cependant il n’y a pas de vérité qui embrasse toiit, qm ?oit omni-conipréhensive. Si je suis une vérité, je ne le suis qu’avec la vérité des autres existants. Les vérités, se (oatredisent, et je ne dois pas sacrifier les vérités des autres aux miennes. D’ailleurs, je ne peux jamais connaître complètement ma vérité. Voici donc le dilemme, un dilemme négatif, si je puis dire. Nous ne pourrons dire ni qu’il y a plusieurs vérités, ni qu’il n’y a qu’une vérité. Comment choisir notre vérité? En fait la question ne âé pose pas. En réalité je suis ma vérité, la vérité est quelque chose d’existentiel. Il n’y a pas de choix de la vérité qui soit autre que le choix de l’existence. C’est le paradoxe de !a--vérité existentielle, que la vérité soit unique, et soit pourtant en rapport avec d’autres vérités. La vérité est ce à quoi il faut que je me dévoue incondi tionnellement, mais il faut que je le sache et que je sacho
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aussi (pie d’autres se dérouent mconditionnellemeDt ^ d’autres vérités, non pas seulement comme un fait ol>s(^>rvable objectivement, mais comme ce qu’on pourrait appeler un fait existentiel. La vérité n’est donc ni une ni irni]. tiple. Il faut nous dégager ici de la catégorie de quantité. En réalité, les existences ne peuvent pas se compter^ cl. par conséqpient les vérités des existences ne peuvent pas s/ compter non plus. Il n’y a pas une totalité qui comprendrait toutes nos existences. 11 n’y a pas de totalité, et je ne puis jamais sortir de mon existence. 11 y a donc une opposition entre l’être conçu comme univeKalité et l’être conçu comme existence, une opposi tion entre la totalité et l’originel, entre les considérations objectives et l’existence. C’est un fait fondamental de l’existence qu’en même temps que moi, avec moi, il y a d’autres existences. Ei c’est un fait que nous ne pouvons pas comprendre complè tement. C’est par là même la possibilité pour nous de voir que si l’existence échoue en ce sens, elle est dépassée par la transcendance. S’il y a ainsi des vérités dont nous ne pou. vons pas dire qu’elles sont multiples ni cpi’elles sont une. c’est que tout ce domaine de l’existence que nous avon^ essayé d’étudier est une manifestation d’un autre domaine, celui dé la transcendance qm nous échappe, mais dont les rayons nous parviennent ; et ce (fue nous appelons exis tence, ce sont précisément des parcelles de réel illuminéei^ ' par lés rayons de la transcendance. 11 fandra donc compléter la théorie de l’existence, par la théorie de la transcen dance. Avant d’en arriver là, nous pouvons examiner la ques tion de savoir quelle est la valeur relative de ce qne Jaspers appelle l’exception et de ce qu’il appelle rautorilé. Jaspers nomme Kierkegaard et Nietzsche deux grandes exceptions. D’autre part il, y a des Églises, U y a des aulôrites. Quel est le rapport de l’exception et de l’autorité ? Elles ont certains points communs, car chacune a conscieiliçi' de s’appuyer sur une transcendance. Kierkegaard d’unr façon plus orthodoxe et à l’intérieur d’une Église fait appef à la transcendance. Mais d’abord qu’est-ce que l’exceptiojiiL?. Objectivement, dit Jaspers, l’exception, c’est quelque chose qui s’écarte du normal. Existentiellement, c’est ce qpii est le plus près de l’être. Ainsi l’exception se sépan?|
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p.fiir s’unir à la transcendance. L’homme qui est l’exception iuHe entre sa volonté d’être lui-même, et sa volonté d’être J'iiniversel ou le général. Kierkegaard se sait en dehors de la communauté luimaine, et cependant se présente comme l’exemple de ! h))inme dans sa réalité profonde. Il y a là une antinomie de l’exception qui n’a rien J‘étrange, car l’existence elle-même est antinomie. Naturellement on ne peut pas suivre l’exception. Ce ÿnrait absurde, puisque l’exception ne peut qu’éveiller et i>rieuter. Kierkegaard et Nietzsche ne voudront pas de ilisciples, ils éveillent l’esprit, sans vouloir qu’on les suive I iinme des hommes qui exposent un dogme. La question est de savoir quelle sera notre relation avec Fi ïception d’une part, avec l’autorité d’autre part. Mais les autorités sont diverses, et le philosophe ne pourra pas se rallier à une des manifestations de l’autorité. Il y a (IN'crses Églises ; peut-être peut-il après tout se rallier à i’une d’elles, mais en voyant alors dans celle-ci le symbole de la nécessité pour l’esprit de se référer à un tel ensemble f'n général. JVous ne pourrons donc nous contenter ni de l’exception, la (le l’autorité. Jaspers essaie d’éclaircir cette situation difficile, et il arrive finalement à cette idée d’ime catholicité D?[alive, c’est-à-dire qu’on ne trouvera jamais une autorité sera l’autorité pour tout le genre humain. Il faudra (ibiic là aussi choisir librement, existentiellement. Ces dernières difficultés, ces dernières antinomies, nous «engagent d’une part à prçndre conscience du fait que Idiomme est mouvement perpétuel, parce qu’il est antino mie en lui-même, et du fait qu’il faut maintenir les deux (ôtés de la contradiction, mais d’autre part nous engagent Ialler au delà de l’existence vers la transcendance. Aller vc‘rs la transcendance, ce n’est pas-constituer une métaphyM([ue ou nne ontologie. Les ontologies, les métaphysiques imident à rester sur. le plan de l’objectif. Ainsi, il faut autre chose que des conceptions purement rlïéOriques, quelque chose (pji soit un appel à l’existence ijersJa transcendance. Juscpi’icî, nous nous sommes trouvés derant ce que nous pourrions appeler de l’être brisé. Puisqu’il n’y a pas une science unique, mais des sciences dont chacune ne donne qu’un aspect de l’univers, nous
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avons un univers brisé, ou, comme on Pa dit, un ûiorir', Les existences, elles aussi, ne nous présentent qu’i;] monde brisé. li faut donc voir si l’existence n’est pas dirig, ’ vers quelque chose d'autre. Tout ce qui est esprit est dirigé vers des objets de l’espri* Ainsi la conscience en général est dirigée vers les lois ,|, la nature. Mais il faut d’abord qu’il y ait quelque chi>.. qui soit l'objet de l’existence, qui soit ce vers quoi ttu i Texistence, c’est la transcendance. En réalité, on ne peuséparer existence et transcendance. Comme existence, j. me sens versé à moi-même,, épandu à moi-même, grâce la transcendance ; je n’ai jamais le sentiment qpie je n.. crée, mais plutôt que je me trouve. - D ne serait donc pas exact de dire que la philosophie i] l’existence réduise toute chose à l’existence. Bien a> contraire, pour elle l’existence prend place dans un vasf ensetoble. Un des grands dangers des philosophies de l’existence, i serait d’absolutiser l’existence, mais elles ne le font pas. ] n’y a existence que parce qu’il y a autre chose que l’exiteîice, l’existence ne se ferme pas sur soi, elle est ouverlur à la transcendance. Ainsi an delà de tous les domaines déjà étudiés nous tnx; vons un autre domaine. L’existence est limitée par faits d’un côté, et par la force inouïe de la transceridarn de l’autre. Quand on dit que l’être humain transcende, on signifi par là qu’il peut accomplir un mouvement de dépassemcB! 11 y a quelque chose qui est la transcendance, qui est vers quoi rêtre humain finalement va. Il est utile l distinguer le mouvement de transcendance, et le tenr transcendant vers lequel on va. Chez Kierkegaard il ij dépasse* Chez Jaspers, il y a dualité d’emploi du mottraücendance. Il prend le mot à la fois dans le sens
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Késmnons d’abord, avant d’entrer dans le domaine de ;ktranscendance, ce «}ui a été d it an sujet du problème de kvérité, de l’exception et de l’autorité. La vérité, telle que l’entend Jaspers est profondément ji^toriqne, et bien qu’inconditionnée, elle n’est pas valable ,,.ur tous. De plus nous sommes toujours en relation avec Tautres. En même temps que j ’ai ma vérité, je sais que i alitres ont leur vérité. C’est là ce que Jaspers appelle le .aradoxe de la vérité existentielle. La vérité est unique, et , iiirtant elle est en relation avec d’antres vérités. Elle est iiiiciue, et pourtant il ne peut y avoir de vérité Tinique. ;[:»A'érité contredit celle de l’autre. Mais penser ma vérité, .!i sens existentiel du mot, c’est savoir qu’elle est la vraie (irité et la seule. Et chacun reste en sa vérité, aucon ne i 'ut sortir d’elle. Comment sortir, nous, de cette difficulté ? Il faudra nier problème, dire que c’est une erreur de se représenter les .vrités les unes à côté des autres. C'est seulement en refusant d’admettre le problème ■]ue nous pourrons aller plus loin. Plus tard nous pourrons lOiis représenter, quand nous saurons ce que peut être la iranscendance, cette unité de différentes vérités. Chacun a seulement un rayon de vérité. Le Dieu unique IPpeut être une transcendance qui serait la même pour ' US. Il est chaque fois et pour chacun la pulsation de l’Un, ii'ur l’existence qui transcende dans l’Un. Kcsumons encore ce qui a été dit précédemment au njet de l’exception et de l’autorité. Il y a des hommes !pjs que Kierkegaard, tels que Nietzsche ou encore, en iwiontant plus haut, tels que Socrate, qui sont des eiceptions, c’est-à-dire que du point de vue de l’huma nité ordinaire, ils sont des anormaux et manquent leur vie, mais qu’existentiellement leur expérience et leur existence est une voie vers l’être et même une voie dans l’être.
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L’exception, c’èst qnelqpie chose qui ne ressemble i, aucune autre chose, qui n’est pas un cas à propreinesit parier, qui ne se passe qu’une fois. Un Socrate, un Kieriegaard se placent hors àe la continuité de ce qui est général, et, dans l’éclat d’une dialectique infinie, par leur propn' ruine, révèlent dans le négatif le sens du général lui-mêm... l’essence et le maintien de l’universel. C’est qu’en efLi^ un Socrate, un Kierkegaard, veut révéler le général. Ils ni veulent pas être des exceptions. Ils représentent mieiije l’humanité en général que beaucoup d’autres huniains ordinaires. Au fond, en allant plus loin, on verrait que chacun dt:: humains est à la fois l’exception et le général. £ t l’exce]. tion proprement dite ne fait que porter à la limite ce <|n; est en chacun de nous. Kierkegaard l’avait dit ; H e?t également vrai que tout homme représente l’humain en général et est une exception. Donc ces exceptions portent à la limite ce qu’il 7 a de particulier en eux, mais en même temps* nous rendent pré sente l’humanité en général. D’autre part, il y a l’autorité. Et en effet, une sociél’ doit se fonder sur une autorité, et même la science impliqu l’autorité du savant. Il y a certains traits de ressemblance entre l’exception et l’autorité, car toutes deux sont en relation avec la Irancendance, et cependant eEes sont en lutte l’une avec l’aulro. On ne peut pas se rallier naturellement, à l’exception puisque l’exception elle-même ne demande pas à êlrsuivie. D’autre part, ou ne peut pas se rallier à rauloriL-, car étant une subjectivité, elle tend toujours à se mal>rialiser dans des iustitutions qui diminuent la spontaiiéiti de l’effort de l’esprit. E t puis il y a bien des autorités : l’autorité de la sciem e l’autorité de la religion, ou plutôt des religions. II y ; donc toujours dans l’autorité ce défaut d’être multipli', et ce danger d’arrêter la course de la raison. Kierkegaard en appelle au fondateur de l’autorité de l’É^lse, à Jésus. Mais en le faisant, il fait abstrac%» volontairement de la suite des siècles et de l’Église ellemême. Il ne tient pas compte du fait que le Christianisme est une relation à Dieu à travers les siècles et il veut nous rendre les contemporains de Jésus, par delà les siècles
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n'est développée PËglise, en quoi il revient au point de vue de l’exception. Nous savons que les systèmes se contredisent, et que ;>uitc théologie implique des paradoxes. Ainsi, de même que l’exception nous offre des difficultés, rautorité aussi nous offre des difficultés. Que faudra-t-il faire ? Prendre parti pour la raison, dira Jaspers, car la raison est toujours menacée de disparaître. Il faut donner une chance, non pas à la raison intellectuelle, comme on rciAend d’ordinaire, mais à cette raison qui pour Jaspers > lo lien de toutes les déterminations de l’existence. La raison par les autorités se protégera. ][ faudra être dans un état de tension entre ces deux exi.-euces, l’exigence de l’exception et l’exigence de rautorité. Ces deux problèmes nous mettent, chacun à leur façon, .'Rface de la transcendance. Nous avons dit que les situations-limites, situations de iat, de souffrance, de mort, nous font approcher de la fianscendance. Mais plus que ces situations, le problème tl>; l’unité et de la multiplicité de la vérité est un premier iRoyen de passer des considérations relatives à l’existence i iix: considérations relatives à la transcendance. S'il y a cette multiplicité de vérités, nous avons le senl oucnt que c’est parce qu’il y a quelque chose que Jaspers, siprês Ivierkegaard, appelle le complètement autre, l’absolument autre, qui se révèle à chacun de nous. Nous sommes saisis d’une sorte de vertige devant cette n'oessité d’affirmer à la fois l’onilé et la multiplicité ; du :RoiHs nous pouvons nous dire qu’il y a une sorte de centre ruconnu, de soleil analogue à celui que concevait Platon >[ui envoie ses rayons, dont chacun de nous ne recevra [ii'un seul. Ensuite, pour passer à la considération de la transcenIriuoc, nous avons à nous rappeler que l’être tel que nous l avons vu est brisé, que [nous étions devant un monde >a$sé qm ne peut pas finir à Ini-même. Si nous nous <<>ntentions de ce monde, nous nous contenterions, dît hspers, d’un pur non-sens, nous nous abîmerions dans le non-sens. Enfin nous voyons que nous ne sommes jamais sans lien avec d’autres choses, les idées, la liberté, la transcendance. Nous savons que l’existence est une intentionnalité, > 11
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LA. PEKSéE DE L^EXISTENCE
qu’elle se d iri^ veis quelque chose et que, de même fjn,. la conscience intellectuelle se dirige vers le monde, Texi.s. tence se dirige vers la transcendance. En ta nt qu’existence. je n’existe que par mon rapport à la transcendance. J ’ai aussi la sensation profonde que je ne me crée pa: moi-même, que je suis donné à moi-même, que quelqu>^ chose qui est la transcendance m’a offert à moi-mème. E t enfin, j ’ai conscience de l’imperfection du moi, du péché, du moins sous cette forme que l’idée de péché premi chez Jaspers, à savoir que je ne possède pas tous les rayons d" la vérité, que j’ai à me limiter, que je ne peux posséder dvérité cpie limitée'. Ainsi, de ces multiples façons, je sui> amené à, voir qpie l’existence ne se suffit pas à elle-mèrui. que nous ne pouvons pas en rester aux considération^ d’existence. L’antinomie de la vérité, l’insuffisance de mon élii. l’intentionnalité de l’existence, le tait que je suis donné moi-même, et enfin de me sentir limité et par là rnèiiM pécheur, me font passer à l’idée de quelque chose devaui qiü je suis, ce quelque chose que Kierkegaard appelait Dieu, et que Jaspers appelle transcendance. La conscience existentielle elle-même nous dit que rexî.stence n’est pas l’ahsolu. La philosophie de l’existence est aussi éloignée du so]i|jsisme que de l’athéisme. L’existence est commnnicalioji avec les autres et avec la transcendance.
et passe dans la transcendance. Il n’y a d’existence qui s’il y a lien de l’existence avec h transcendance. Cependant, dans son livre sur la Vériti (p. 631^, Jaspers écrit : il est possible que l’existence, dann un minimum de rapports à la transcendance, s’accomplisse en s’appuyant sur elle-même dans la simple mconditionnalité. Mais, dans les existences les plus puissantes, ü reste que l’existence est en rapport avec la transcendance ou n’est pas. Et d’autre part, il n’y a transcendance que pour l’existence, et non pour le simple être empirique, « La transcendance n’est rien en tant que tout est pour nous Daseirty elle est tout, eu tant que le Dasein n’a de réalité qu’en tant qu’il est rapporté à elle.»
LA
t r a î ^s c e k d a k c e
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IV'ui Télan que je sens en moi pour aller au delà de l’être I;ii|>ii‘icpie se fonde sur quelque chose qui est au delà de iiiôi, sur une force par laquelle je suis vraiment moi-mêmeI/e xistence a une autre généalogie que le Dasein. Et alors, ,laii3 ime sorte d’incompréhension, je sens que je me tiens
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LA PENSÉE DE
l
’BXISTENCE
Mais remploi du mot est quelquefois assez éqpiivor|i,^ dans l’œuvre même de Jaspers. Parfois il dit même qu'il y une transcendance de l’esprit. 11 y a là quelque danger 0=^ confusion. « La .transcendance, dit Jasper, est l’être qui n’est p;, l’être déterminé ou Dasein, qui n’est pas conscience i général et qui n’est pas l’esdstence, mais qui les transcer»!. tous.» Ici on voit que la transcendance elle-mêinc ; l’air d’accomplir cet acte de transcender qu’ordinij rement Js^pers réserve à l’existence. De plus, au moment où nous transcendons vers la iiari cendance, en réalité nous sommes dans la transcendai^^.. Mais comment ponvons-nous aller vers la transcendani: et qu’est-ce que Jaspers appelle l’acte formel de Iran; cender? Nous al)OFdons ici des considérations métaphy.si(jii. assez difficiles. II faut aller du pensable au non pensai)] il faut aller de l’unité et de la dualité à quelque chose q: les dépasse. 11 faut aller au delà de toutes les détermina: lions intellectuelles, et tenter d’éprouver cette réalité tp, est incendie et calme voix, repos de l’être surabonda:] Il faut accomplir l’acte de transcender du pensable .s non pensable. Cet être absolu que je sens être en face ■; moi, je ne peux ni le penser ni m’empêcher de le penser,^ pourtant Q faut transcender vers Ini, dans une pensée,xli Jaspers, qui est non pensée. La pensée se pose une limite qu’elle ne peut dépas>;i.r et cependant à l’intérieur de cette limite, et par là mem qu’elle la pense, elle va vers le dépassement de la litnit Gela ne peut se faire que par des négations, comme l néo-platoniciens l’avaient dit, comme la théologie négaii-. l’a affirmé après eux. La transcendance ne peut être affirmée par aucun pr dicat, ni représentée par aucune représentation, et si " i emploie les catégories ordinaires de la pensée, c’est afin > les nier. Nous emploierons les catégories de quantité,
LA TRAMSCESDANGE
il'
d 3 vue de 1^entendement ou de la raison, ce sera très mïjulTisant, mais ce qui est insuffisant pour rentendement' [lOiuTa être force pour l’existence. Ici, il n’y aura pas de Dieu personnel, dans sa grâce ou ilaiifi sa colère, il n’y aura pas même de prière possible, il ii'y aura aucune vision, il y aura cette pensée qui est une tion-pensée, qui ne pense pas quelque chose, et pourtant ne pas rien, en pensant la transcendance. C’est une diaLtique qui se nie elle-même. Pour l’exposer dans un lannon pas compréhensible, mais au moins évocateur, on raira par exemple à parler d’une nécessité qui n’est analôL'uc à aucune des nécessités que nous connaissons, d’une riécossité qui ne sera ni nécessité causale ni nécessité logique, ou bien on pariera du dernier fondement des Ihases, d’un fondement qui ne peut être fondé, ou encore •■Il emploiera ides formules contradictoires, comme : le néant l'ôtre ou encore des formules tautologiques, comme : lovrai est le vrai. On essaiera comme Nicolas de Guse de f.iire coïncider les opposés. Ou bien on appliquera à une •aiégorie cette catégorie elle-même, par exemple on par: ra, comme Descartes, de la cause de soi, ôu de l’être de ['(•(Te. Ce sont autant de façons de nous faire prendre consience de 'Cette impossibilité de formuler intellectuellerïicnt cette transcendance par laquelle existe l’existence. II faut accomplir ce saut où cesse la pensée, et par lequel unus saurons qu’il y a quelque chose, sans savoir ce que /est. (ci, les néo-platoniciens, Plotin et l’Ancien Testament d’accord. Il y a quelqu’un qui ne peut être défini que ;iar son langage propre, quand il dit «Je suis celui qpii suis. » Nous aurons à passer à quelque chose, qui est au-dessus iJe (a distinction du sujet et de l’objet. Cei absolu ne sera pas le tout de l’être, parce que l’idée J'un tout de l’être est l’idée d’une somme qui n’est jamais
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LA PENSÉE DE l ’ e x i s t e n c e
objets. Ce qni se pose soi-même ne peut être détenniné. (j.. qui est libre n’est pas saisîssable. Ce qui est objet n’est ]><;>: ce qu’il était comme pouvant être objet. Ensuite nous devons aller au delà de l’être et du néani. tout, en affirmant en un sens que cet absolu, ce transcejidant, ce dieu que nous cherchons est néant. Cette formul.l’absolu est le néant, peut avoir deux sens. Ce peut ê i i e 1 néant en tant que plénitude, en tant que surabondanc< en tant que sur-être, si Ton peut dire, et ce peut être t néant comme non-être absolu. La pensée ici ne pense p»; rien, mais pense le rien, le néant qui est soit le sur-étasii. soit le néant proprement dit. Tout cela est encore façop de signifier la transcendance, soit la transcendance conuii. plénitude infinie, soit la transcendance comme négalii infinie. Et c’est d’ailleurs entre le sur-étant et le non-étant qtiv se placera tout le règne que nous connaissons de rétant. Règne eimbigu, qui a son regard tourné vers la transcen dance, vers le sur-être, mais qui sent au-dessous de le;: l’abîme béant du non-être. Enfin, nous devons dépasser les idées d’unité et dualité. L’idée d’unité ne peut pas nous satisfaire pour caractériser l’absolu. En effet, nous ne pouvons janial penser l’unité sans penser un autre. L’unité elle-mêime ne si définit que par rapport à un autre. D’ailleurs, avant l’unilê comme l’ont dit des philosophes tels que Bœhme, il faudrait placer le pouvoir-être ; avant Dieu, comme l’a dit SeÛej^ îing, la nature de Dieu, L’idée d’unité implique sa possildKté. De toute façon, nous ne pouvons pas placer l’absolument un en principe. L’un pur n ’est pas. L’être est toujours danl’autre ou pour l’autre. Il n’y a pas de pure unité. Et danma conscience même, en même temps que je me sens oa. je me sens séparé dumoi-même, en tant que j’ai conscies) ' de moi-même. Ici encore nous saisissons Tunité de la dira lité et de Tunité. Ce ne sont pas seulement ces catégories d’être et d’oùit qu’il faut transcender, mais toutes les autres, forçif'. matière, possibilité, relativité, nécessité, généralité et pàL ticularité, sens — et nous arrivons par exemple à Vidée d’une identité du sens et du non-sens. II faut, en effet, se représenter l’absolu comme visible pu
LA TRAIISCE ND ANGE
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(les symlioles qui unissent en eux le général et le particulier. ]l ft\udra de même aller du delà du temps (vers Téternité , t non Pintemporalité), de Tespace, de toutes les catégories jiossibles, en ayant conscience aussi que ce n'est pas Tunion de ces catégories qui pourra nous satisfaire, et (m'il faudrait . Ijaque fois que “nous mentionnons l'une d'entre elles, (jiic nous y fassions aussi entrer son contraire. Par exemple, si nous disons : l’absolu est substance, il faudra ajouter : mais il est aussi les modifications de subs,;ince. Si nous disons : l’absolu est vie, il faudra ajouter : mais il est également mort. Si nous disons qn’il est imscience, il faudra aussi dire qu’il est inconscience. Aucune des catégories ne se suffit. Si la vie est isolée de la mort ou la mort de la vie, il n’y a plus de transcendance. De même pour le temps. Il y a le temps. Mais il y a posMlvilité pour nous, par l’absolu, d’atteindre quelque chose <|ue Jaspers appelle l’éternité. Donc, il faut joindre temps , t éternité. Il faut aller de l’espace ordinaire à l’idée de monde en iiit sens particulier, comme ensemble, et à l’idée de spatiaiilé. Ma décision est non seulement un instant mais im inonde. De même encore, nous devons aller au delà des catégories r<^iatives à la liberté, car si l’existence est liberté, nous l'avons dit, la transcendance est au delà de la liberté. Il faudra essayer de penser une identité de la liberté et de là nature. Il faudra, vivre dans une sorte de tension entre la liberté et la nature, que nous voulons penser comme idêntiques sans y arriver. Il faudra vivre l’identité de la jMïssibüité, de la nécessité, et de la réalité. Voilà le résumé de ce premier effort pour entrer en contact iôec la transcendance. C’est tout cet ensemble que Jaspers apj^elle l’acte de transcender formel. Par notre échec, nous Saisissons l’être. Mais en nous rappelant que la transcendance n’existe que. par ses rapports avec nous-mêmes, que dans ses rapliftcts avec nous-mêmes, nous avons à ajouter ce que nous jiQuvons appeler les rapports existentiels à la transcendance. CTsera là «l’éclaircissement transcendant de l’existencen en tant que constituant une partie de la métaphysique. En effet, la transcendance se révéle dans les modes dans lesquels nous sommes en rapport avec elle. L’absolu
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LA PENSÉE DS L*EXISTBMCB
n’existe queparla façon dont noas nous consacrons à lui, d inr nous nous vouons à lui. Je ne saisis l’être absolu que pai iaÇon dont je deviens moi-même en agissant inlérieurernc ru C’est donc par nos attitudes vis-à-"\ûs de la transcendaiK v que nous pourrons maintenant voir ce qu’elle est. Cr. attitudes, nous ne pouvons pas évidemment les évoquer, les ordonner en nous-mêmes, elles ne sont pas soumises u un acte volontaire, nous ne pouvons que les observer. La première chose à voir, c’est qpie nous sommes cesse dans un élan vers la transcendance ou dans un. retombée à partir de la transcendance. Il y a là un diletnni. perpétuel devant lequel nous sommes. Je monte ver$ • II. ou je descends loin d’elle. Et chaque fois dans ce mouvi ment nous risquons quelque chose; c’est un mouveîisoi; dangereux. En tant que j’accomplis ces mouvements, jerneconsid. rerai comme guidé par une sorte de génie ou de démon. J’aurai le sentiment, si je m’avance vers moi-même en lam que je suis, que je puis parler et m’entendre, que je ne sid pas seul, qu’une communication s’établit entre moi et moi Toute existence est une communication eu lutte, iïk ' ui avec elle-même. Je puis avoir aussi le sentiment qu’une totalité de ma vl. est une sorte de démon qui tente de me ruiner. Le génie le démon, ce sont deux façons de se représenter celttotalité qui est mon moi dans ses rapports avec la tram cendance. Et si j’ai la sensation profonde que je suis dansunaetn d’élan, que je monte vers la transcendance, j’aurai non p»; la preuve, mais le sentiment de mon immortalité. L’immor talité ne subsiste pas, mais j’entre en elle comme existoni. Je ne peux pas la démontrer, mais dans l’élan j'ii conscience de l’immortalité. Dans les hauts instants de m vie, je suis immortel. De même que je ne puis donner une solution théoriqii. mais seulement cette solution existentielle au problème dt l’immortalité, de même je ne puis donner nue solution thoi. rique au problème de Dieu. Mais il y a mon rapport profond avec Dieu, rapport qui d’ailleurs peut être un rapporl négatif parfois, car la négation de Dieu est une expression négative d’un certain rapporl avec la transcendance. Chez Nietzsche par exemple, la négation de Dieu esl
LA TRAHSCEWBANCB
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rniiïgp^ tout une certaine attitude envers Dieu, un mode du svislssement par Dieu, et qui peut être plus proche de la v»‘ritable transcendance que telle affirmation toute thôoet non existentielle de Dieu. C’est le rapport à la transcendance qui rendra possible je! sacrifice et ces actions absolues dont il a été question plus haut. Nous sommes dans un élan ou dans une retombée. D'une iiifon générale, nous devons aller plus loin que ces opposi tions, ou montrer comment nous devons les unir en nous. Par exemple, il faudra que nous soyons à la fois pleins d'un reprit de décision audacieuse et d’une sorte de timidité. Il iimira, comme chez Kierkegaard, une union des contraires. Ici nous arrivons devant un des chapitres les plus intéi^^ssants de cette partie de l'œuvre de Jaspera, celui qu'il iiilLluIe « La loi du jour et la passion de la nuit», ou a la |.assion vers la nuit». Ici, le négatif devient en quelque sorte positif. Jaspers parle de la défiance, en tant qu’opposée à l’abandon. Il y 1abandon à Dieu ou défiance, il y a élan ou retombée. Mais ijùiis pouvons aller plus loin. Ce qu’il y a derrière la défiance, i;l même parfois derrière la retombée, c’est ce quelque chose [lie Jaspers appelle la passion vers la nuit. Jl y a d’une part la loi du jour. C’est ce qui met de l’ordre dans l’univers, dans la société, c’est ce qui exige la clarté, ’h\ tolérance, la totalité, ce qpii nous relie à la raison et à L'idce. Mais il y a aussi en nous, et peut-être dans l'univers, la passion vers la nuit, c'est à-dire ce qui brise tout ordre, ro qui précipite dans l'abîme intemporel du néant. Â la [tassion de la nuit, tout ce qui est construit dans le temps . t par le temps paraît illusion et précarité. Si l'on obéit à çlle passion, on se ruine dans le monde pour s'accomplir dans la profondeur de l'absence du monde. De là deux façons d’atteindre l'absolu : l'atteindre dans [ç jour, ou l'atteindre dans la nuit. Dans le jour, on se révèle ; dans la nuit, on reste enfermé en soi-même, mais dans ces deux modes on peut accéder à quelque chose ijtii est la transcendance. Naturellement, il y a de grands dangers dans cette pas sion vers la nuit, qui.s’apparente au démon, comme la loi du jour s'apparente au génie. Et néanmoins cette affirma tion de la nuit nous fait comprendre quelque chose d’essen-
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LA PENSÉE DE L’ EXISTENCE
Uel : rien de ce qui existe ne peut être maintenu, tout ce qi,; est et tout ce qui sera doit être détruit. L’échec dont nous fait prendre conscience la passion \>î , la nuit nous met encore une fois en présence de la trany. cendance. Certains mystiques ont voulu mettre cette pas.ÿ4>;i vers la nuit en Dieu lui-même, ils ont parlé de la colère 4 Dieu. Ce sont là des sortes de mythes, mais qni signifi,*rti cette réalité qui est la passion vers la destruction de ce qu, est, parce qu’on a le sentiment d’un sur-être. Par là même que nous sommes devant ce dilemme de la du jour et de la passion vers la nuit, par là même qüe rtoij: avons vu aussi que jamais nous ne pourrons posséder l’absolu dans sa totalité, nous avons conscience d’être Hiüités, c’est-à-dire d’être pécheurs. L’existence est conscience de son péché, qui consiste on ce fait qu’ü lui faut choisir, soit la loi du jour, soit la passion vers la nuit, par exemple, et que la synthèse ne peut .s’aooomplir. Les deux modes sont en polarité, et jamais nou^ ne pouvons posséder les deux. Mais si le péché est de choisir, c’est encore un péché plus grand de ne pas choisir, d’éviter la réalité, de ne pas alloi vers l’inconditionné. C’est là un des sentiments les plus profonds qni sont à l’arrière-plan de la métaphysique de Jaspers. Mais un second sentiment vient s’ajouter à' celui-là. c’est qu’il faut être dans un état de tension. Nous ne pou vons pas ne pas choisir, mais nous pouvons malgré tcul essayer de faire en nous une sorte d’union des contraclirtoires, sans que nous possédions les deux contraires par nôtre intelligence. Le contradictoire devient existentieUyment possible, sans qu’il y ait de savoir de cette unité. Telle sera notre attitude vis-à-vis de la transcendance Nous devons choisir le mode dans lequel elle se présenteici à nous, ou plutôt, nous sommes ce mode lui-même. Nous devons aussi être sans cesse tendus entre contraires, et sans cesse, nous devons être l’existeivcf tendue vers la transcendance qui en un sens la sublimisr. et en on autre sens la nie. Mais il y a un danger devant lequel nous sommes tou jours, c’est que la transcendance cesse d’être transcendance, c’est-à-dire se matérialise, devienne par exemple supers tition, ou bien s’objective en des dogmes.
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Il y a donc une série de dé^adations de la transcendance. La superstition et le positivisme, dit Jaspers, sont deux .1,! tes dégradations. Le positivisme lutte contre la magie ! la superstition. Il est vainqueur. Mais le positivisme, et ■.a racine elle-même, la science, a néanmoins des faicar il reste toujours des choses en dehors de la ience, la science a des présuppositions, et différents points I vue, à rintérieur même de la science, luttent entre eux. Mais ce ne sont pas là les seules matérialisations et J , î/radations de la transcendance. Quand Hegel nous trace i iiUtoire de l’esprit humain, et pense par cette histoire I -its mettre en possession de la vérité universelle, c’est dégradation de la transcendance. Quand nous nous lorut'ons un Dieu trop personnel et trop proche de nous, VM encore une dégradation de la transcendance : c’est dégradation de Dieu lui-méme. Et dans chacune de ces iiiatériSisations et dégradations, c’est la recherche du Mtnlieur qui nous attire vers le bas. Ainsi, tout isolement d’un mode de l’infini fait dispardlre la transcendance elle-même. Et vouloir d’autre part la transcendance en eUe-même et par elle-même, Ast non seulement faire disparaître tout le reste, tout ce !ui n’est pas la transcendance, mais encore cette transceniaiioe même. Tl y aura toujours ce danger de resserrement de matériade la transcendance. Il faudra donc toujours aller II' ce qui semble enfermé, enclos, vers la transcendance . lli;-üiême pour l’élargir. Et la plus haute transcendance sans cesse les formes particulières où elle semble ^incarner. Elle fera exploser toutes les formes, et néaniiaiiis, il faut que nous vénérions ces formes. Donc, de nou veau, nous sommes ici en présence d’une tension entre cette .•ilonté.de voir la transcendance comme présente dans les iïO?es et cette volonté également nécessaire de voir ju'aucune chose ne peut rincamer complètement. A vrai liire le mot volonté est impropre ; dans ce domaine il le faut pas vouloir, mais s’offrir et s’ouvrir. Pourtant cette tension est précisément caractéristique de l’existence. C’est le tourment essentiel à l’existence qui se manifeste en elle.
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LA FESSÉE DE
l
’ EXISTEWCE
VI
La philosophie et Tontologie. La tragédie. La transcendance, c’est-à-dire cet inconnu qui nous domine, et que traditionnellement on a appelé Dieu, sp réfléchit ordinairement, ou semble s’incarner en des Irtiditions, en des paroles, en des mythologies, en des doginos. Ainsi la représentation de la transcendance se ressen: dans certaines formules ou dans certaines institutdoT:?. Puis elle s’élargit, en brisant ces formules et ces insii tutions ou en leur donnant un sens nouyeau. Dès que la transcendance se présente comme isolée spatialem ent et temporellement, comme quelque chose de par ticulier, elle devient statique et objective, un culte, nu rite, un dogme. La transcendance ne peut pas être exprimée direcU ment. De même que chez Kierkergaad, il y aura rexpr* < sion indirecte de ce qui est le plus haut, et c’est sons riii. pulsion de la transcendance elle-même que les formes par ticulières et relativement stables de ' la transcendance seront brisées. L’existant sera toujours devant elle en état de tension. Cette tension de l’existence dans ses rapports à la tran^ cendance est sa vie, la vie dans laquelle elle cherche, elli accueille, elle voit la vérité dans les questions qn’elle pose. Et. pourtant la vérité lui reste cachée dans son essene»-. Cette tension, c’est en elle qu’apparaît la personnalité et c’est en même temps le tourment de la personnalité. Nous retrouverons partout cette tension entré t^an^cendance et présence, entre le fait qne nous nous considv rons comme donnés à nous-mêmes et le fait que nous noii' donnons à nous-mêmes par la liberté, et entre ces visio!i< dont nous venons de parler et leur représentation incarnéi. L’homme ne sera que dans cette tension. Un second point que nous avons à mentionner et à étudier, c’est le rôle de la philosophie et de l’ontologie poBr Jaspers.
LA
PHILOSOPHIE
ET
l
’ONTOLOGIE
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La philosophie peut être conçue de diverses façons. EDe pont être une sorte de recherche de notre être propre» elle pont être une sorte de recherche de l’être en général. Elle jionb insister sur la totalité; sur la multiplicité. Si eDe insiste sur la totalité, elle pourra prendre deux formes rfi^entielies, celle de l’idéalisme, celle du réalisme. Si eüe insiste sur la multiplicité; nous aurons soit la monadologie» ;iiit le pluralisme. Mais tout cela ne satisfera pas un philosophe tel que Jaspers, ou ne le satisfera (jue si c’est profondément rema nié. Ces systèmes sont toujours des sortes de constatations» ji s études du monde, mais ne constituent pas cet appel à l’iiidindu que Jaspers recherche et désire. Dans le pluralisme de James ou dans la monadologie de l eibnitz, il y a, comme dans l’idéalisme de Hegel, ou , anme dsms le réalisme, l’idée de quelque chose d’ohjectif f[nal faut que nous représentions. D’une façon générale, la philosophie, depuis Aristote, I été définie comme recherche de l’être, ontologie. Que iiait-il dire de l’ontologie du point de vue de la philosophie ,t.! l’existence ? Il faut nier l’ontologie en tant tpie ce serait in philosophie de l’être unique. En effet, si nous étudions h monde, nous ne voyons que des points de vue différents» sies sciences différentes. Si nous étudions lès catégories» i ons voyons qu’il y a des catégories diverses. Si nous étu dions les individus» nous nous heurtons à une diversité lundamentale. Et si nous étudions la transcendance, nous oe pouvons avoir que des figures, et des figures diverses. Nous pouvons donc conclure que les philosophes cherchent i’i-lre, mais qu’ils ne le trouvent pas, car l’être est toujours liédiiré. Sans doute, dans tout ceci U ne s’agit pas de la irauscendance» il s’agit de l’existence, mais la transcenilance n’est abordable qu’à partir de l’existence. Il ne faudra pas, pour aller à l’être, partir de considé rations extérieures, il faudra partir de notre moi. C’est l>.ir le moi, c’est en"étant et en devenant moi qpie je gagner;(i l’être. Mais l’être est un être qui n’est pas décidé de 1 >ute éternité» qui se décidera par ma décision même. Par conséquent, ce n’est pas un être unique, et ce ta’est à pro prement parler une ontologie que nous trouverons. Puis qu’il s’agit de liberté, il ne peut s’agir d’ontologie. Au lieu de l’être de l’ontologie, nous trouverons notre être, notre
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LA PESSÉE DE
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être propre, toujours profondémeat historique, jamais universel, et toujours en tension par rapport à la t r a n s cendance. Par conséquent, il faudra transformer Foutologie en uiu; étude des modes différents de l’être ; il n’y aura pas d’on tologie, tout au plus y aura-t-il des ontologies ou si nouadoptons le mot que crée Jaspers pour qualifier Tétud r des différents «englobants», une périéchontologie. L’ontologie comme savoir, l’ontologie comme forrn. conceptuelle cesse pour faire place à la liberté de rexitence et à ses rapports avec la transcendance. Si on arrivait à constituer une ontologie, par la mênif on nierait la liberté, puisqn’il n’y aurait plus qu’é. c o n s tater ce qui est, et on empêcherait la réelle oommunicA tipn entre les êtres, puisque cette réelle communicalioji inéplique la liberté. C’est ce qui nous permet de comprendre la formule ilJaspers : la liberté demande la séparation et par la sépa ration cesse l’objectivité du système. Ce n’est {>as seulement dans la philosophie de Jaspers qiu l’on peut distinguer ces trois parties qui sont : l’étude iIm monde, l’étude de l’existence ou de l’âme et l’étude Dieu. Toute philosophie contient quelque chose qui ^ rapport à l’être du m o n d e to u te philosophie contieni aussi quelque chose qui a rapport à nous-mêmes et Le appel à notre liberté, et quelque chose qui a rapport à transcendance. Si nous prenons par exemple le système iL Kant, nous'aurons à distinguer le monde d’après Kaiil. puis l ’appel fait à la liberté, et enfiu l’exigence de la traescendance, Que sont donc les systèmes ? Ce sont des sortes de syn boles, de signes, et déjà nous pouvons dire de chiffriv valables pour cbacun de ceux qui les forment, valabk< pour ceux gui les vivent profondément, mais non jW' valables universellement. tJn système est un chiffre . l’aide duquel on essaie de déchiffrer l’univers, et tout sys tème, s’il est pris comme autre chose qu’un chiffre, doi’ échouer. Ordinairement, on n’a pas fait assez attention dans lej systèmes à ce qu’ils contiennent d’appel à la liberté. Par exemple, une philosophie comme celle de Plotin est un appel à l’âme pour qu’elle se rende vers Dieu. Il y a ton!
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lin système qui est bâti autour, mais resseutiel, c^est cette iü^Vcation à Pâme. Or les grandes pensées des métaphysiciens, dit Jaspers, nrit. été privées de leur caractère sacré, et nous pouvons iHi-c de leur caractère tragique, par là même qfu'elles ont ,in trop logicisées. Il faut les remplir d’une persoimalité ?j*‘uve, et c’est alors seulement qu’on pourra ressentir ce ,pii primitivement avait été signifié, et voir ce qui a été à jt-Hi- origine, la vision primitive qui fut à leur naissance. Toute philosophie donne au sujet du Dasein un savoir ffut veut être convaincant, fait appel à des auditeurs, trans, onde à partir du monde vers son fondement, étsdslit un .liiffre. Donc il faudra dans chacune des grandes philosophies distinguer l’étude du Dasein, l’étude des catégories, l’éclair cissement de l’existence accompagné de l’appel à l’exis tence et le chiffre final par lequel on essaie de découvrir la transcendance. C’est à cette condition seulement que nous verrons d’une [tart le chiffre, d’autre part, donnée en même temps que !iii, la véritable personnalité du philosophe. Et naturelJiment chacun de ces systèmes sera insatisfaisant du point il:- vue conceptuel, car tout ce qu’il isole est en réalité lié. Du nioina aurons-nous entendu la voix d ’un existant expri-nant ce qu’il a éprouvé de la transcendance. Cest seulement l’entendement et la volonté de vivre qui nous attachent à l’ontologie. Y a-t-il im ordre dans Timivers ? Est-ce un cdiaos ? Toute piiilosophie qui dit qu’il n’y a que l’ordre échouera, comme loule philosophie qui dit qu’il n’y a que chaos. Peut-être vâut-il mieux insister sur l’idée d’ordre. Mais néanmoins il faut aussi voir qu’il faut finalement briser l’idée d’ordre, que le problème dernier ne trouve pas de réponse et qu’il y a, comme nous l’avons dit, une multiplicité de vérités inconditionneUes en lutte les unes contre les autres, et les [>roblèmes insolubles de la théodicée. Tout ordre est tem poraire, èt tout chaos l’est également. 11 y a un élément êtérnel de construction et un étemel de destructioB. Ils £Ê_mettent réciproquement en échec. Nous avons déjà vu à propos de la lutte entre l’excep tion et l’autorité ce problème dramatique de la vérité dont OQdoit dire à la fois qu’elle est une et qu’elle est multiple.
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LA. PE N SE E
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L EXISTE NCE
Or il faudra conserver oette difficulté du problème. <, caractère problématique de la réalité, et ce qu’il iauiJn. faire, c’est reprendre la métaphysique traditionnelle, mùi. en l’appropriant, en la transformant au contact de revis, tence. Alors, la vertu de la pensée métaphysique, ce .s<' phie. Nous devons savoir qu’il n’y a pas de bonheur (jn. nous puissions posséder pleinement, que tout bonhoi. porte en soi le germe de' sa destruction. Néanmoins, il faut aller au delà de l’une comme de Tautre des deux aiij tudes. Il faut aller vers la métaphysique conçue comin théorie des symboles ou des chiffres, et transformer la subs tance de la métaphysique traditionnelle au contact de cett: nouvelle idée. 11 faut opposer par là même à un système comme colir de Hegel, l’idée qu’il y a de l’imprévisible, l’idée qn't n’y a pas de progrès linéaire, pas de début et pas de fin. car c’est en maintenant cette négation que nous préserva rons notre liberté, et il faudra ne pas cacher les difficultô.^ les abîmes, les antinomies, il faudra voir la transcenda ru■dans son caractère questionnable, dans son caractère pro blématique. Ainsi, tandis que l’ontolo^e est le maintien de Tctn dans un savoir de l’être, pour cette philosophie du chiffit que Jaspers essaie de constituer, l’expérience de l’être sera maintenue dans un caractère dubitatif, problématique, dra matique, dans une oscillation et une vibration. 11 y aurait lieu de traiter ici de la tragédie, car dans
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PHILOSOPHIE
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s-m ou ouvra vrage ge sur su r la Vérité, Jaspers Jasp ers insiste insiste beaucoup sur i'ex i'expérie rience tragi tragique. que. E t eu effet, on pour po urra rait it d’ d’une une cercerlaitio façon qualifier sa philosophie de philosophie du tra.rique, avec cette réserve cependant qu’il fait lui-même, qiio le tragique ne peut pas être ^elque chose de définitif, .|üo le tragique ne peut pas s’appliquer à la transcendance, [j’ tragique n’est pas absolu, il est prélünmaire, ü est Jaos l’existence. Dire que la transcendance elle-même ,.■ =1tragique, ce serait absurde. Ce serait faire ce que Jas[irrs appelle un unee mauvaise mauv aise «absolut «abso lutisa isatio tion» n»,, et e t élever à i ubsolu une catégorie qui ne peut pas être élevée à l’absolu. 11 note qu’il y a certains moments dans Phistoire de l’hu;iianité qui sont spécialement des moments où naît la pen.ioo tragique. Par exemple le moment d’Eschyle, de Gaudermi et de Shakesp Shak espear eare, e, ou celui de Nietzsche Nietzsc he ou de Kier Kie r kegaard. Or ces moments sont des moments de passage, r.'est au moment où on passe passe du mond mondee m y t h i ^ e monde mon de réfléchi que na nait it la pensée de Sopho Sophocle, cle, d’ d ’Es•iivle, d’Euripide. C’est dans une situation de passage, i|ia est par là même une situation tragique, que l’éléiMcnt trag tr agiique de la l a conscience vie v ient nt à la la conscience, l.a ti agédie agédie grecque est e st en entre tre le myt m ythe he et une sotte sot te de jil jilii iilo lossophie des lumières do dont nt Socrate est es t l ’initia ini tiate teur ur,, i.o mystique allemand Eokart se place entre le Moyen Aire et la Renaissance, et Kierkeg Kie rkegaar aardd et e t Nietzsche son s ontt jr jrissi à des sortes de to touu rn rnan ants ts de la pensée philoso philoso phhique. E t a v a n t eux, la philosophie de l’idéalisme p l’idéalisme .alle.allemàrd, c’est-à-dire Kant, Fichte, Schelling, Hegel, est itiispi entre deux mondes, le monde de l’ancien régime et k monde du nouveau, le monde de la chrétienté et le monde de l’athéisme où il semble à certains moments que Dfou soit mort. C’est donc entre ent re ce «n «nee plus» et ce «p «pas as encore» que
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LA. PE N SÉ E D S
L EXISTENC E
combe, Thomme voit la vérité et la réalité de Tinfir; devant lequel le fini échoue. Or c’est cela que nous mohlf^. la tragédie, le fait que l’homme succombe. Et pourquin succombe-t-il ? Parce qu’il est non pas entre la vérité et fausseté, non pas entre le bon et le mauvais, mais ejitrdiverses vérités, entre diveraes valeurs. C’est cette hosiî lité des valeurs les unes aux autres, cette collision tir valeurs exclusives, c’est le fait qu’il a à choisir entre tli. choses qui ont également une valeur, qui fait le tragique dans dan s la tragédie tragé die classiqu classique. e. La vérité vérit é affronte affro nte non non ]i ]ia l ’erreur, erre ur, mais une autre au tre vérité, vér ité, et e t cela est signe do ]. finitud fin itudee de l ’homme, e t en mêmeême- temps tem ps signe signe qu’i qu’il y . quelque chose chose d’infini. d’infini. L ’homme a t tein te in t alors une un e gràn deur de ur héroïque e t son pêché acquier acqu iertt une un e inno innoce ceiu iu nécessité. L’homme lui-même dans la tragédie coopère à sa périt: de même que la pensée doit se détruire poux laisser plao à ce quelq que lque ue chose de plus h a u t que la pensée. pensée . C’est C’est là I. sacrifice de l’individu à l’être. Au sein du plus haut accorc. plissem plis sement, ent, l’éch l’échec ec nous regarde rega rde ; au sein du honhcir était contenu le germe de la corruption. Ainsi, ü n’y a pas de tragique sans transcendance, i de réelle trans tr anscen cendan dance ce sans tra t ragi giqu que. e. Même Même dans ]. défiance vis-à-vis de Dieu ou vis-à-v^ du destin, il y a u acte par lequel l’individu transcende vers l’être et far l’épreuve de l’être dans le fait même qu’il succombe. GV donc par p arce ce que les l es cré c réat atur ures es tempor tem porelle elless ne peuven peu vent, t, p?. -atteindre l’Un et veulent l’atteindre que le tragique app;; raît, et que dans le tragique, dans l’échec, l’être apparài-. Le tragique tragiqu e laiss laissee trans tra nspa para raître ître l’être. l’être. • Le monde selon Jas Ja s p e is se cons co nstit titue ue d ’abor ab ord d d’jiii couche couche qui qu i s’appelle s’appelle le Dasein, l’être par p arti ticu culi lier er,, puis puis d l’existence, de la transcendance. Mais, entre la ^ansçeii danc da ncee e t l ’existe exis tence nce doit do it s’étab s’éta b lir li r un u n lieu lieu ; ce ce sera ser a le db dbmaiDi^ le royaume de ce que- Jaspers appelle les chidfres eu V symboles, chiffres au sens où on l’entend quand on pt! d’im écrit qui est chiffré et qu’il s’agit de déchiffrer. 1mot chiffre signifiera donc quelque chose comme sigt _ _ ou symbole. La nature et Thistoire sont la parole de Dieu. Ici Jaspei repr re pren end d l’ l ’idée du penseu pen seurr alleman a llemand d Hama Ha mann nn qui a eu ég» lement une grande influence sur Kierkegaard. Tout ce qi
LA PHILOSOPHIE ET L^OMTOLOGIE
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langage, o h du moins, nous devons le voir comme langage, comme chiffre. Qu’estrce qu’un-chiffre ou symin>Jc, ou signe ? C’est, dit Jaspers, l’objectivité métaphy sique; c’es c’estt le langage langa ge de. la trans tra nsce cend ndan ance ce,, c’es c’estt l ’être êt re comme parole parol e de la transcend transc endanc ance. e. P a r conséquent, conséquent , la iranscendance nous parle dans un langage chiffré. Dans Inexpérience ordinaire, dans la conscience en général, c’est ] expé expérie rienc ncee qm q m médiatise méd iatise le suj s ujet et e t l’ l ’objet. obje t. Mais ce ce qui médiati iatisse l’existence et e t la transce tran scenda ndance nce,, ce n ’est es t pas pa s r?.xpérience, c’est le chiffre. Le chiffre, c’est l’être qui apporte rte la trans tra nsce cend ndan ance ce à l ’existence. 11 fau fa u t qu’il qu’il y ait a it Lin lien entre ent re immanenc imm anencee et transc tra nscend endanc ance. e. Ce n ’est es t pas dans un au-delà que nous découvrirons l’être. C’est ici-bas que nous pourrons lire les chiffres; le chiffre sera donc nue immanence transcendante, ou une transcendance immanente. No Nous nierons nieron s ime doctrin doc trinee qui nie la transce tran scenda ndance, nce, lOinme le panthéi pan théism sme, e, e t une doctrine doct rine mysti my stique que qui qu i sépa rerait complètement la transcendance et le monde. Ce sont là des doctrines iutellectuelles, des glissements, des dégéuéfesoences et qui nous cachent la vérité qui est union de [à transcendance et de l’immanence, transfiguration du monde quand on y entend le langage de la transcendance. Jaspers se représente lui-même marchant le long de la mér du Nord e t épro ép rouv uvan antt un sent s entim iment ent qui lui rappelle tel tableau de Rembrandt ou tel vers de Shakespeare. Alors, ü y a une révélation de l’être. Cette révélation, !>L
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LA PENSÉE DE l ’ e XISTENCE
gence et la particularité, et de l’autre l’iiniyersaliti: pu puiaq iaqpie l’œuvre l’œuvre du vérita vér itable ble philosophe e t aussi du vét* table artiste sera de voir l’une dans l’autre. Or l’humanité a commencé par entendre cette voix dla transcendance, sans méthode évidemment. Ce sont mythes. Et ensuite on a réfléchi sur les mythes, on ios distingués, on les a exprimés consciemment, etenfin,àcaijs. de cette séparation même, on est arrivé à les nier* C’est cette union de la transcendance et de Pimmaneiir. qui est le chiffre d’abord reconnu par l’humanité,'ensuit, mis en question, et rejeté par là même qu’il a été mis question. Et pourtant les grandes œnvres des artistes, les grandsystèmes des philosophes ne sont qu’ime façon de se réan prop pr oprie rier, r, de se rendre ren dre présentes présen tes ces ces images du début déb ut dl ’humanité hum anité.. Des Des artistes artis tes tels que Van Gogh ogh et Cézanne Cézanne m\:les font fo nt saisir, saisir , d’apr d’après ès Jaspe Jas pers rs,, sans même nous prés préseu euU U: d’images qui soient spécialement consacrées à la transenndance, nous font saisir la transcenda trans cendance nce dans un u n paysag paysagee d Prov Pr oven ence ce,, dans un coup de vent ven t dans da ns les lignes d ’une un e ni nior,tagne du Midi. Et pourtant la transcendance, même si oll est visible de cette façon, restera cachée. Là encore, noi.> retrouverons l’idée de communication indirecte. Notre Notr e monde ne j)ourra j)ourr a jamais jam ais être déchiffré ela elair ireenien nienii et pour parler mythiquement, le chiffre du diable est aus^i visibl visiblee en lui que celui de la divinit divi nité. é. Le monde n^es n^estt ppien effet une révélation directe, mais seulement un langa^i qui sera perçu chaque fois d’une façon particulière pjir i’existence. Ainsi la transcendance se montre comme cacln:-. ou se cache en se révélant, reste toujours étrangère, resl l’absolument autre, selon le mot de Kierkegaard. Elle proche, mais en même m ême temps tem ps elle elle est e st lointaine. loin taine. Elle parle rle;; l’existence de près, mais en même temps de loin. I l y a des des tentati tent ative vess d ’interpr inte rpréta étatio tions ns intellectuelles intellectuelles e< exclusives des différentes œuvres de l’homme et de tout; l’histoire de l’humanité, interprétation hégélienne, inter prét pr étaa tion ti on psycho-analytiqu psycho-an alytique, e, inte in terp rpré réta tati tio o n p a r le pht haut, par le Logos, ou par des choses qu’on peut regarder comme inférieures. Toutes ces interprétations sont \Taie' en un certain sens, ou plutôt ne sont ni vraies ni fausses, et ne sont rien ri en comme connaissance. La vale va leu u r qu’ qu ’elles peuven peu ventt avoir avo ir dépend non pas de l’observation l’observat ion ou de l’e l’en-
LA PHILOSOPHIE ÈT l ’ONTOLOGIE
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Iflulement, mais de ce qiie je suis ou de ce que je veux^ i>lie? ne nous nous donn do nnen entt pas p as de lumiè lumières, res, sauf sauf sur su r nous nous-mêmes, sur notre existence. Par conséquent, la question, au sujet des langages chiflïês sera non pas de savoir s’ils sont vrais ou faux, mais iitutôt de savoir s’ils nous exaltent, ou nous diminuent, il nous ruinent.. La La lecture du chiffre, la possibilité de lire le chiffre, j’a j’allu llume e t s’exa s’exalte lte quan qu and d il y a un savoir qui qu i n ’est pas pa s un savoir au sens ordinaire du mot. Ce qui est compré* ’iie iieiis iisible ible n’es t pa pas chi chiff ffre re.. Si on ren rend d la la chose chose compréhe compréhen^ n^ ^ible, on détruit le chiffre. Et cependant, il ne faudra pas nier la nécessité des ùtndes scientifi^es, on devra les pousser aussi loin que prissible.
Mais les recherches scientifiques ne nons dévoileront ja jamais la natu na ture re des choses, e t c’es c’estt pour po ur cela que les ^’ticses sero se ront nt touj to ujou ours rs suscept su sceptible ibless de nous no us a p p ara ar a ître ît re i.imrae chiffres. JI ne peut pe ut pas y avoir de hiérarchie hiérar chie,, de système des des chiffres chiffres.. A ce propos Jasp Ja sper erss rapp r appell ellee un mot m ot de Goethe Goethe : « P a r lais. en voyant la nature, je suis polythéiste, parfois je uijs panthéiste, et d’autres fois en pensant à la loi morale, pe pense à un Dieu Dieu peraonnel». peraonnel». C’est que tout système de pensée peut être pris comme ihîffre, mais ce qui ne peut pas arriver, c’est qu’ü y ait un •vstème des chiffres, un système qui épuiserait les chiffres. De ce point de vue, nous voyons comment nous pouvons iiDUS compor com porte terr dev d evan antt les les questi que stions ons métap mé taphys hysiqu iques. es. Pa Par ■ïtemple, si on demande : crois-tu à l’immortalité? ou : Tois-tu réellement à ton génie? crois-tu à la transcenlânce? que répondrons-nous? demande Jaspers. Si on m’interroge du point de vue de ce qU’on appelle ;>conscience en général, c’est-à-dire de la pure intelligence, Vdîfm qu’il n’y a pas quelque chose qui soit mon génie, luiii n’y a pas d’immortalité, qpi’il n’y a pas de transcenli^Êïcé-.
Mais si la question est posée du point de vue de l’exist«nce, à partir de l’existence, et s’adresse à moi comme ixis ixista tan nt possible, je ne puis plus p lus répondr rép ondree p ar des des pro pr o po positions générales, générales, mais seulement dans le mouvem mou vement ent lie la communication existentielle.
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LA PEN SE E DE L EXISTENCE
C'est pourquoi la vraie réponse à ces questions, seulement : Je ne sais pas si je crois à l’immortalité. Jcru sais pas si je crois à mon génie. Je ne sais pas si je crois à transcendance. Car, du point de vue objectif, réellement je ne le sais pas. Ceci nous amène à voir la relation profonde entre t. chiffre et l’existence. Dans la lecture de l’écrit chiffré, dit Jaspers, je saisis si peu un être indépendant de moi cette lecture n’est possible que parce que je deviens pro fondément moi. La vision de la transcendance et du cbîf&e comme expression de la transcendance n’est po^ sible que par et pour l’existence. Si mon existence se perd, si je deviens un être inautben tique, un simple Dasein, la transcendance par là niêmv se perd pour moi. Nous sommes devant quelque chose qui, dans le lan gage de Jaspers, est profondément historique, c’est-à-dir. tient à la personne et ne peut pas être transféré dans J. langage de la généralité. L’être de l’ontologie, l’être stable n’existe pas, msice qui existe c’est une apparition évanouissante de Ta] solu dans cette profonde historicité qui se défiait par fait même qu’il existe pour moi au moment où jo I pense. Et c’est au moment où on atteint les pins fortes valeurs, où on atteint l’être authentique, qu’il y a le plus de pr*oarité, que nous voyons la chose à la fois apparaissai,! et s’évanouissant. Le stable n’existe que pour la con> oience en général ; pour l’existence, ce qui existe ce son; ces sortes d’éclairs qui nous dévoUent le monde, mais ii:. instant seulement. Il y a ime nécessité de l’évanouissement de tout objm métaphysique, qui s’explique par l’historicité profonde 'I l’existence. Mais en même temps, j’ai bien l’idée, et j'af firme bien dans ma vie même que la transcendance indépendante de moi. Par conséquent, elle dépend de rin tensité de mon rapport à elle, mais dans l’intensîté mcni< de mon rapport à eUe, je l’affirme comme indépendant de moi. Je saisis ma transcendance, mais non pas comme sen lement mienne. Elle est plus qu’elle n’est pour moi. Il faut donc tenir à la fois dans mon esprit ces deux vérités;|
LA PH ILO SO PH IE ET L ONTOLOGIE
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l'onime dans la pensée de Kierkegaard, c’est mon rapport à la transcendance qni fait exister la transcendance, et pourtant dans ce rapport à la transcendance, j’affirme i|ne la transcendance est autre que ce rapport même. C’est là le paradoxe de la transcendance. Il s’agit de saisir de façon profondément historiée quelque chose qui PP peut pas être pensé comme seulement profondément historique. C’est une autre façon de se représenter ce ,(ii’cst l’incarnation pour l’homme religieux. Il s’agit pour !Îii en effet de se représenter historiquement t^uelque chose jiii est l’apparition de ce qui dépasse rhûtoire. C’est cela que Jaspers prend comme chiffre du fait (irindépendamment de toute religion particulière, iudé[leudamment de la religion révélée, l’homme se caractérise par le fait qu’il peut penser historiquement quelque chose
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LA P1SI7SÉE DE l ’ e x i s t e n c e
action interne, qui même dans l’échec continue à affinuer cet être insaisissable. De môme pour le problème de l’un et du niultiple; noiji ne trouvons .pas l’unité intellectuelle, et nous avons vu ^ e le monde est déchiré.- Mais il y a une inconditionnalité de l’âme, et par là une unité absolue de l’âme. Gela, ce n’est plus général, ce n’est plus communicable, au sens ordinaire du mot, à l’humanité en général, doit rester, d’après Jaspers, dans des cercles restreints. Mais il y a un élan vers l’Un, vers un Un qui a cessé d ’être l^Un intellectuel. Que dirons mous de la transcendance et des preuves J m l’existence de Dieu? A proprement parler, les preuves de l’existence de Dieu ne peuvent pas nous satisfaire. Il îu; peut pas y avoir de preuves empiriques, il ne peut pas y avoir de preuves complètement rationnellas. L’être de lit transcendance sera atteint dans notre acte de tianscandei-. S’il n’y a pas de transcendance en général, de transcen. dance dont nous puissions dire qu’elle est pour tous les hommes du point de vue intellectuel, du moins par la voit^ des négations et de la montée et de la prière, nous pourroni accéder à quelque chose qui nous dépasse. Les arguments ne nous satisfont pas. En tout cas ih doiveut être profondément transformés. Prenons par exemple l’argument ontologique. On nom dit (c’est la forme que lui donne saint Anselme) qu’ü y h quelque chose de plus haut, de plus grand que tous êtres et que ce qumque chose est Dieu. Mais qui nous dit que la pensée ne puisse pas continuer indéfiniment, et qu> par conséquent, il n’y ait pas de terme ultime qui soit b plus haut de tous? Je ne puis pas posséder réellement cette idée de quelque chose qui est plus grand que tout, et cependant j’ai en moi un élan vers ce quelque chose qui dépasse tout. 11 y a là quelque chose d’autheutique, bieü que la forme soit fausse et peu satisfaisante.. De même pour la preuve, chez Descartes, par l’idée de l’infini. Il y a là encore une affirmation valable, bien qui' la forme ne soit pas satisfaisante. 11 en est de même de tous les autres arguments.* Leur forme rationnelle n’est que le milieu dans lequel se déroule la démonstration, qui commence réellement à partir de la présence de l’insatisfaction existentielle.
LA PHILOSOPHIE ET l ’ONTOLOQIB
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La force des arguments réside dans ce que Jaspers appelle leur contenu existentiel, dans le fait que nous ne pouvons pas nous contenter de l’être qui nous est donné Liupîriquement, que nous avons le sentiment de la pré' seuce d^im autre être. C’est du doute qu’U faut partir, comme l’avait vu Desartes. Mais le doute, c’est précisément ime sorte de défiience existentielle, et dans le doute même il y a quelque liose d’atsolu qui est posé, Puisque nous ne nous conten tons de rien de fini, c’est que nous avons une exigence, et c’est cette exigence qui est le fond de la preuve, et en môme temps la manifestation de notre liberté. Nous voyons la façon dont Jaspers répond à la question ; y a-t-il une transcendance? Il répond : il y a une trans cendance, mais qui ne peut être prouvée, elle peut être seulement éprouvée, dans l’élan vers elle- Il y a chiffre, ëI à vrai dire c’est la même obose, puisque la. transcenJance ne peut se présenter que sous l a forme du chiffre. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas seulement l’être absolu, mais qu’il y ait cet être empirique dans lequel nous pourrons trouver le chiffre, que nous pourrons transfiguier en chiffre? Comment'se fait-il qu’U y ait im être absolu i?t qu’un être relatif se soit produit ou ait été créé? C’est à cela qu’on s’efforce de répondre par des sortes de mythes, comme celui d’une nécessité pour l’absolu de se révéler ou comme celui d’une chute, mais prendre l’une ou l’autre de ces explications, c’est supposer gu’on peut connaître la transcendance, et expliquer l’origine du monde à partir d’elle. Or ces pensées n’ont de valeur que comme appel à notre acte de transcender. Il est possible seulement d’af firmer que nous ne pouvons jamais saisir un être qui serait délié de l’être empirique et déterminé. Noua ne pouvons :-aisir un être absolu, parce que toujours nous le verrons dans un être particulier; mais c’est cela précisément qui légitime notre effort pour voir dans l’être particulier le reflet de l’image et finalement la présence même de l’être absolu. Nous ne pouvons pas répondre à la question : comment l'etre devient-il être particulier? Mais nous pouvons monter de l’être particulier à cet être par l’acte de transcender que nous avons déjà caractérisé. Par conséquent, dire qu’il y a des chiffres, c’est dire la même chose que de dire qu’il y
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LA PENSÉE DE L’EXESTENCB
a transcendance, puisque le chiffre, c'est le seul moyen pour nous d'atteindre la transcendance. Pourquoi y a-t-il chiffre? C’est parce que l'existenci n’existe que par la transcendance et que la transcendance ne se révèle à elle que sous la forme du chiffre. Ainsi le chiffre, — nous en arrivons à une nouvelle définition — c'est l’être particulier et empirique en tant qu'il a à êtiv reconnu par nous, et par lequel Je puis devenir la vérili', de ce que je suis. Je prends conscience par le chiffre d>< ma possibiHté d’être. Que pourrons-nous dire de la présence des chiffres, et comment les représenter devant notre esprit? 11 faudr
VII Les chiffres ; leur significatioxL. Rapport du chiffre e t du temps. Valeur des chiffres : leurs effets. Classification des chiffres. L'échec, le silence.
Dans nos rapports avec la transcendance, nous n’avons plus de connaissance objective comme celle que nous avions quand nous regardions le monde extérieur, et jious n’avons plus à proprement parler même de ces connais sances intérieures que nous avions quand nous nous adres sions à l’existence. Nous découvrons alors le monde objectif d’un point de vue qui n’est plus objectif et qui fait que tout ce qui nous apparaît est mystère. Ce monde des chiffres n’est donc pas un domaine nouveau. C’est celui que nous connaissons, et dans la vie de tous les jours et dans la philosophie et
LE MONDE DES CHIFFRES
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dans Part, mais vu d’om nouveau point de vue et dans une présence intensifiée. ïl n’est point de niveau de l’être, même de niveau inférléitr, qui ne soit chiffre et ne reçoive de la divinité, de la transcendance, un éclat. C’est ce que peut signifier la for mule scolastique : «tout être est bon ». Toute chose peut donc être chiffre, quand je m’attarde îiir elle et quand je la vois dans le rayon qui part du fond d&l’être ponr l’éclairer. Elle devient alors miracle. Ainsi on peut dire que c’est à l’amour que se montre II}chiffre. C’est au moment où on saisit la beauté d’une construction mathématique, la beauté du cosmos ou d’un iHre vivant, qu’ils peuvent apparaître comme chiffres. Nous voyons déjà aussi que, pour saisir la beauté, il faut saisir la totalité. L’idée de chiffre sera donc liée à ridée de totalité, et également à Pidée d’infinité. Le sym bole, le signe, le chiffre, ce sera'une infinité qui ne peut jamais être résolue en savoir. Or cette « science s des symboles, c’est une chose preiiière, préliminaire à toute connaissance, et c’est à partir relie que la pensée philosophique se développe et c’est ,efs eUe aussi qu’eUe s’efforce. Quels sont les caractères généraux des chiffres ? Quels ;oiit les rapports des chiffres et du temps? des chiffres et liel’existence? Quels sont les rapports des chiffres et de l'objectivité? Il faut répondre à ces questions et faire une lassification des chiffres. Caractère des chiffres. Par leur définition même, ils sont langage infini et qui nous représente l’être dans sa pléniüdé. Mais ici on ne peut pas séparer le symbole et ee qui est symbolisé, ce qui signifie et ce qui e ^ signifié. On peut liré que c’est là une signification qui ne signifie rien j'âütre qu’elle-même. C’est ainsi que d’une œuvre d’art, nous ne pouvons pas lire qu’elle signifie quelques idéaux, quelques sentiments, lie; se signifie elle-même, mais se signifiant elle-même, par àelle signifie l’absolu. À
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LA PEM3BB P B L EXISTENC E
poms et de les supprimer, Ce que signifie roeuvre, c’est l’être lui-même. De ce point de vue, on ne dira pas qu’il y a une hiérar chie des chiffres. Nous savons que nous pouvons aller vers l’absolu par l’acte de transcendance formelle, c’est-à-dire quand nous arrivons à dire qu’il y a quelque chose qui est au delà de l’être- C’est là un mouvement de pensée dans lequel s’éva nouissent toutes nos catégories. Mais c’est une transcendance matérielle, une transcen dance pleine de contenu, qui se fait par le chiffre, et alors ce n’est plus au moyen des idées abstraites comme Tun ou l’être, et au delà d’elles, mais c’est par les objets eux-mêmes, qui sont à la fois supprimés et maintenus, supprimés en tant qu’ohjets particuliers et maintenus en tant qu’objch signifiant l’infini, et au delà d’eux, que l’être se révèle. L’objet prend un sens infini, il est transfiguré, il devient transparent. Il faut noter que cette idée même de chiffres ou de sym boles est forcément insuffisante, parce que l’idée dechiffre elle-même est un chiffre, et l’idée de symbole est un sym bole de quelque chose qui peut être très difficilement dési gné par des mots. On transfère cette relation du symbo lisant et du symbolisé à quelque chose qui est au delà
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inconditionnel, un acte par lequel ou nous concevons Tabsolu comme absolu, ou nous nous dévouons complète ment à lui. Nous sommes dans un {irésent transparent, [jui enferme en lui le passé et l’avenir, qui est porté par le passé, éclairé par l ’avenir et qui est l’union des deux. L’être transcendant vient alors à ma rencontre à partir d’im avenir, qui est en même temps conçu comme passé, Nous avons le sentiment de nous souvenir par avance de rêtre. Du présent, nous pouvons donc passer à l’idée d’éternité. L’être ne peut exister que dans ce présent rempli, qui est réteruité elle-même, qui à ?hommq ne se présente que sous un aspect évanouissant, car tout ce qui est suprême, [out ce ^ est le plus haut est précaire pour l’homme. Ainsi l’être à la fois se présente à nous et se détruit, et nous ne pouvons le saisir dans son apparition évanouies üante qu’èn nous attachant à lui dans ces instants remplis par l’amour, par le risque et rinconditiounalité, Quels sont les rapports des chiffres avec l’existence ? J1 îaut en effet qu’un homme « existe» pour que les chosea ¥0 révèlent à. lui. Même la vision ou l’audition d’un chiffre n’aura heu que par le fait que l’homme sera transformé à partir de o© •hiffre. De là nous pouvons aussi tirer cette conséquence i]üe l’ahsoln s’offrira à moi suivant ma nature, Ir’absQlu a une infinité d’aspects et dépasse tous ces aspects. Mais télui qui s’offrira à moi s’offrira et s’ouvrira à moi parce ijue ma nature est telle. C’est donc à une existence déter’minée que s’ouvrira tel aspect de l’absolu. La transcepdatice n’est pas en général, mais dans un chiffre existent iiêitement historique. Et voilà qui nous donnera aussi une Sfltte de critérium de la valeur des chiffres. Un chiffre peut nous élever ou nous abaisser. Il peut y avoir des chiffras mîérieurs. .C’est ainsi que d’après Jaspers les explications psycïjaosîytiques, nous faisant perdre la valeur du chiffre exiS' l^tiel, doivent être rejetées. J ’aurai donc à me demander devant les chiffres s’ils jhminuent mon être, s’ils ne me font voir que ce qui est au-dessous de moi, ou s’ils me permettent de voir ce qui eat au-dessus de moi. Dans le premier cas, ce sera le réalisme, le matérialisme,
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le positivisme et même ridéalisme. Je me verrai comme le plus haut poiut de l’évolution, mais je n’arriverai plus, dit Jaspers, à comprendre ce qu’est la pensée réelle de l’homme et l’amour réel de l’homme. C’est seulement daû.s le deuxième cas, si je porte mon regard au-dessus de moi, que je pourrai vraiment savoir ou plutôt sentir .ce qu’est l’homme. II peut y avoir une dégénérescence des chiffres qui prendra beaucoup de formes, par exemple la forme de la superstition, ou de l’allégorie, ou de la pure connaissance esthétique, de la métaphysique dogmatique, ou de la magie. Chaque fois le chiffre tombera dans un domaine inférieuT, deviendra, quelqhe chose de trop matériel, dans la super stition, ou qpielque chose de trop abstrait dans l’allégorie ou quelque chose d’indifférent à notre profonde nature dans l’esthétisme ou quelque chose de sec et de purement schématique dans la métaphysique dogmatique, ou bien nous essaierons de nous saisir des chiffres et de domiùeî par eux la nature dans la magie. Il y a donc un lien eiftre le chiffre et la subjectivité. lÆais ü faut qu’il y ait aussi lien avec l’objectivité. Sans doute, toute objectivité exclu sive et prédominante est une chaîne mais, le manque absob d’objectivité n’aboutirait qu’au vide. Il faut une polarité du sujet et de l’objet. C’est dire que le chiffre a un aspect sensible, un aspeei. sensuel pourrions-nous dire. Le chiffre est un ici et un maintenant. Si le sensible est déprécié, il n’y aura, pas de supra-sensible. 11 faut un minimum de sensibfe. On peut très bien avoir un élan d’imagination après un minirntini de données sensibles, mais ce minimum s’impose et il nécessaire que la pensée pure ne soit pas seule à opérer. Dans cette considération de l’objet, l’objet lui-mêm^* deviendra quelque chose qui s’évanouira comme objet, qui prendra un nouvel aspect, qui sera sublimé. Par le chiffre, par le signe nous pourrons voir quelle es notre place dans l’univers, puisque nous aurons à now considérer nous-mêmes d’une certaine façon comme tin chiffre. Nous aurons à nous reconnaître comme ayant pari d’une certaine façon à l’absolu, et à "prendre sur nous netn; existence sensible comme signifiant quelque chose d’autre u’elle. Nous prendrons conscience alors de notre situation, l e notre possibilité d’être dans ce lieu et dans ce moment.
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* * Avant d’aLorder la classification des clüffres, nous pour rions nous demander, question qui au fônd restera sans réponse, pourquoi il y a chiffres. Le transcendant ne peut se révéler à nous que par des lignes. Par conséquent, la question : pourquoi y a-t-il des chiffres? s’identifie avec la-questien : y a-t-il du transcen dant ? S’il y a du transcendant, il ne peut se révéler que par des chiffres. Pourquoi y a-t-il des chiffres? Nous pouvons monter de notre existence particulière et sensible vers les chiffres, làais nous ne pouvons pas partir de la transcendance pour déduire en quelque sorte les chiffres. Cela nous est inter dit par notre nature même. Notons que si on fait du chiffre un mythe ou une philo sophie, on échoue. Aucun des mythes n’est satisfaisant, chacun laisse quelque chose d’inexpliqué. S’il s’agit de lapparition d’un monde, on parlera d’un besoin de Dieu Je se révéler, ou d’une erreur de Dieu, ou d’une chute ou dé Faction d’un ange. Ou bien, on partira d’un principe, rie, esprit, ou évolution. Mais des difficultés se présentent, '>a absolutise un principe qui u’est qu’un princme païmi d^aiiires, et de plus, tous les mythes, les mots, les philo sophies ont comme présupposition que tout est concevable. Mais la concevabilité est un phénomène à l’intérieur du mande, eUe ne peut être appliquée à la formation même du laopde. Nous pouvons maintenant nous dem,ander comment on peut classer les chiffres. Il y a différents modes de classiiii^tion. Il y aura des signes universels et des signes histo riques. Il y aura des signes comme offerts à nous par la nature et d'autres qui sont produits par l’homme. On pourra distinguer les mythes et les spécmations philosophiques. [| y a des signes plus ou moins abstraits ; par exemple l éifernel féminin serait un signe abstrait et Béatrice serait lift signe concret. Ou l’hommé en général sera un signe :i|slrait, François d'Assise sera un signe concret. —Il y aura les structures, les idéaux. Il y aura des chiffres fournie celui de la Trinité qui ne devient faux que si on le file en dogme alors qu’il est une sorte d’intense marmotte ment de la pensée en face du mystère.
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Il faudra d’aiord partir évidemment des signes qui nrms sont offerts par l’histoire, les mythes et les révélation^., qui ne sont pas créés par tel ou tel homme, mais plutôt par le génie de l’humanité et c’est notre réflexion sur eus nous révélera l’absolu, en tant que signifié. Il faudra aussi partir de la nature. Tels spectacles nalnrels ; couchers de soleil, poussière du chemin, paysage médi terranéen, gouttes de pluie et de rosée, éclat de la lumièn*. lacs, mer ou nuages, nous donnent l’idée de l’infini. Mais les signes de la nature ne seront jamais oomplètemem satisfaisants : je me sens interpellé par la nature, si je l’in terroge, elle reste muette. L’amour de la nature est un rem plaçant, un substitut de la véritable communication, est toujours accompagné d’une sorte de mélancolie. Nous pourrons aussi recourir à Thistoire, qui prendra si valeur existentielle, si à travers elle nous sentons la voi.v des grandes personnalités, des grandes existences. Puis l’homme dans son ensemble pourra être signe dans ses multiples couches, son être particulier, sa conscienc*:'. son esprit et enfin son existence. L’homme ne se connait jamais lui-même puisque sa con naissance le transforme. L’homme est l’être qui n’est pa< ce qu’il est \ puisque le savoir lui apporte sans cesse de non^ velles possibilités, il devient un autre. L’homme n’est pas ce qu’il sait de lui. D’autre part.il est en quelque sorte Ucentre et le nœud de tout être dans l’univera, ü est I p terme moyen entre tous les êtres, où ce qu’ü y a de pins éloigné se rencontre, et en particulier l’existence et la transcendance. Il est toujours plus que ce qu’il sent de Inimême, il n’est jamais assez pour lui-même. On ne peut donc fixer ontologiquement le statut
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l>xisf.ôûoé temporelle et la mystique intemporelle^ Il y uira deux: conceptions de l’art, il y aura un art des visions transcendantes (Part des primitifs italiens) et un art de la iranscendance immanentej celui d’un Van Gogh. Un \lichel-Ange, un Shakespeare, un Rembrandt, sont entre deux formes d’art, empruntent à la tradition de grandes images et leur font signifier des choses nouvelles. Les mythes parlent encore une fois à haute voix à iliomme et le font participer à des forces qui le dépassent^ t Van Gogh est le peintre qui a été le plus loin dans la' otïsfcitution d’une sorte de m3^hologie propre à lui-même : iiLpeut dire que sa transcendance en un sens est pins ,>a«vre que celle d’un Michel-Ange ou d’un Rembrandt, ï.ais elle est authentique et vraie, pour notre temps. Les tragiques grecs, Dante, Shakespeare, Michel-Ange, ilombrandt, ce sont autant de chiffres. Qn pourrait voir dans chaque art un signe d’un aspect i>' la transcendance et un aspect de nous-mêmes : la miisique étant la temporalité comme chiffre, Parchiteciire, la spatialité et les arts plastiques la corporalité, et \ peinture et la poésie étant des arts plus dégagés que les :irécédents de la matière et offrant également leur signe. *
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Venons-en maintenant à la philosophie. Si Pon étudie ij: anté-socratiques, on voit que le philosophe est parti iidbord de chiffres comme Peau ou Pair, qui ont des mulIIndes de significations, et que plus tard les philosophes ■>serviront de concepts dont chacun semble n’avoir :iiune signification. Nous pouvons remarquer que la philosophie est i^Durs dès le début liée à la recherche de PUn. 11 y a ;tilgphilosophie étemelle à laquelle participent toutes les mtides philosophies et qu’aucune ne possède en propre. Il faut maintenir à la fois dans notre esprit l’idée qu’il . acte et Pidée ^ e cet acte un se diversifie d’après ^-^poques, puisque chaque fois il se présente d’nne façon mvelle, d’une façon profondément et existentiellement liitorique. Jèspers tente de trouver une philosophie qui soit dis'incte de la science et de la religion, liée à une pensée non
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scieatifiqiie, à une foi non religieuse, une philosophie au delà de ces deux activités, mais qui unisse ce qui en elle; est le plus haut. On ne peut se contenter ni du positi visme, ni de l’idéalisme, malgré la valeur qu’il faut recon naître à ces deux doctrines. L’une ne nous donne q^udu mécanisme, l’autre néglige tout ce qpii pourrait trou bler l’harmonie vers laqueUe elle veut aller. Bien qiKj les motifs de l’idéalisme soient très profonds et valables, à savoir la pensée que le monde est un tout, qu’il faut eu nous une volonté de réconciliation, il ne peut nous satijfaire et en voulant nous apporter la satisfaction et le bon heur, il nous laisse insatisfaits. Selon Jaspers, les preuves de l’existence de Dieu ne soni valables que pour nous inciter à élever notre esprit vers Dieu comme appel et acte de transcender, et aussi parc; qu’en elles et surtout dans la preuve ontologique çui lc^^ fonderait toutes, il y a l’affirmation de l’imion de l’existenô; et de la transcendance. S’il y a un être tel que l’homme, il faut que la transcen dance existe, il faut qu’il y ait, invisible en réalité pour nous, une union de l’essence et de la réalité. La percep.tion intellectuelle de l’être ne fait qu’un avec la pensée. ne puis pas comme existence ne pas transcender, to ut au plus nier par ma liberté cet acte de transcender, Et par là l’accomplir encore. Les preuves de l’existence de Dieu ne seront donc pa> valables comme preuves rationnelles, car au fond chacun>' suppose une sorte de cercle, ou de tautologie, ou d’objet impossible, mais par elles, je deviens moi-même. Si je cruidans leur valeur d’intuition, je deviens moi-même chiffre 4 la divinité, elles éclairent et renforcent mon existence. j< dois exister en elles, me faire moi-même chiffre. Affirmer Dieu, 'ce sera un acte et non pas une pensé Le résultat de la philosophie n’est pas quelque chose qii: puisse être dit, mais l’accomplissement d’un acte da» lequel notre être se transforme. ^Nous ne pourrons pa attribuer à Dieu un concept comme celui d’unité, noir ne pouvons pas aller à lui par l’idée d’une vérité ime oupa.' l’idée d’un monde un, puisque nous savons qu’il n’y de vérité une et de monde un. Nous ne dirons pas qu’il est un, un absolument séparé du multiple, car même dira cela, c’est supposer le multiple. Nous ne dirons pas noi
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plus qu’il est une union de l’unité et du multiple. Nous ne dirons pas non plus qu’Ü a Tunité d’une personne, car c’est là l’unité de l’existence et non de la transcendance. Nous dirons seulement qu’il est la transcendance en tant qu’elle se présente à moi, qu’il n’est pas une généralité^ mais qu’il n’est pas non plus une incommunicabilité, qu’il n'est Dieu qu’en tant qu’il est mon Dieu, c’est-à-dire se présentant à l’existant. Pour J àspers toute métaphysique rationnelle échoue ; ce qu’il y a de valable en eUe, c’est le fond irrationnel dont elle part. Nous pouvons aller à Dieu, çar la négation, l’ascension spirituelle, la prière. Il ne s’agit pas de déduire, il s’agit tic saisir en nous la liberté, et par la liberté une vérité qui n’est jamais notre possession. Aussi, tous les grands philosophes, quand ils veulent siotis présenter un système se contredisent-ils. Par exemple, liant nous dit que les catégories ne peuvent pas s’applitpjer au noumène, et pourtant il saisit en nous-mêmes .;iielque chose qui est le je transcendantal dont il dit que 'est une unité. Kant nous dit à la fois qu’il ne faut pas penser le noumène à l’aide des catégories, et nous invite, >»f ce point tout au moins, à le penser avec leur aide. Il nous luvite à nous représenter objectivement quelque chose qui iJest pas objectif. Cercle vicieux, contradiction, que nous trouvons dans toute grande philosophie. Ne disons pas que les décou.fir, c’est mettre en échec ces philosophies. Il faut com pn^ndre qpi’-il y a là une nécessité, puisque dans toute philo^<^iiie, il y a quelque chose qui, étant origine, ürsprung, le peut rien avoir hors de soi. Toute philosophie suppose ]uçlque chose au sujet de quoi-elle ne peut rien dire ; ce l’être, le fondement de l’objectivité chez Kant, ou idée d’existence chez Jaspers. Une critique de la philo<)^ie ne doit jamais tenter de supprimer ces cercles et ces >^lradictions, mais se demander, si ces cercles sont pleins f^icontenn, si ces contradictions sont signifiantes ou si elles sont pas. ^ous pouvons prendre les grandes philosophies comme (hiffres. Cependant deux philosophes, Kierkegaard et Nietzsche, wat venus à la fin du xix*^ siècle, nous donner delà philosoio
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phie Dne conception nouvelle, et au heu de cette sorte d.' repos que nous donne Spinoza ou Parménide, ils nnns laissent une inquiétude. Les deux aspects doivent êtri gardés : la sécurité de Spinoza comme l’inquiétude de Kier kegaard. On peut parler d’une lutte entre la religion et la pliilcisophie. Il ne faut toutefois les comparer qu’en les prenant ,i leur plus haut niveau. Le danger est que Dieu soit rendu trop lointain, ou proche. S’il est trop lointain, les hommes seront invités r-n quelque sorte à se délivrer de la pensée de Dieu, l’entenAment et l’expérience sensible seront amenés à le nier. Miiir s’il est trop proche, si l’on insiste trop sur sa personnalit. et ses rapports avec nous, et sur la recherche du bonWnr qui vient de ces relations, alors on fait de la religion quelque chose qui n’a plus éette sublimité qu’elle devrait avriîr. quelque chose de trop rapproché de nous, dans notre pru ticularité, et de dégradé. La théologie n’est vraie que eUe conserve la tension. Si d’autre part, on pense qu’une des grandes reliions c.-^la religion vraie, il y a danger de ne pas tenir compte tlice qu’on pourrait appeler la pluralité des révélations, li y aurait là une usurpation de la vérité. Sans doute, la transcendance a parlé de façon profondé ment historique aux hommes, mais il ne faut pas roèkr les chiffres à l’être lui-même, et il ne faut pas penser qui telle apparition de -la transcendance est toute la transcen dance. 11 n’y aurait là qu’une sorte d’orgueil qui prendrai!; parfois le masque de l’humilité, mais qui serait senhment finalement la prétention d’avoir la transeendaso en soi et pour soi. Par exemple, si l ’on prend le christianisme, Jésus, du Jaspers, sera pour nous le chiffre du fait que rhomm. peut monter vers la divinité, un des plus hauts ohiffref, un 9es plus hauts mythes qui indiquent à l’homme k possibilité de se rapporter à Dieu et à la transcendancè. l n’est pas Dieu dans le monde, mais une médiation cMflié: entre Dieu et l’homme. Par lui, le Dieu lointain parle les chiffres du monde et de l’homme. - — La philosophie se lie d’une part à la religion tout ci s’opposant à elle, et d’autre part, se lie à l’effort de l’in croyance. Le philosophe est à la fois touché par la religion
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rt par la liitta contre la religion, mais il faudra qu’il prenne chaque fois sous leur plus naute forme et la religion et la lutte contre la religion, qu’il s’inspire de Saint-Augustin et rie Nietzsche. •
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Nous en venons maintenant à la dernière question : le chiffre de Jaspers, qui est l’échec. Le chiffre final, dit-il, c’est l’échec. Mais cet échec nous jévèle d’une certaine façon l’être et par conséquent n’amène pas au pessimisme. Par l’échec, nous trouverons l’être. Mais qu’est-ce que cet échec? Nous savons déjà que le uionde des sciences est déchiré, nous avons vu les antiliumies et les relativités de la philosophie, les difficultés ipféprouve la philosophie de l’existence où l’on ne peut pas se saisir du Je, et, dans nos rapports avec la transcen(tance, la passion vers la nuit. Ainsi, échec de l’être partiKttlier, de la connaissance, de l’action. L’échec est le chiffre Ktlime. jaspers se dit que si une technique fantasticjue pouvait rfaeomplir des miracles — et cette hypothèse se vérifie à fiOtre époque — elle pourrait aussi par là même détruire ifüiie façon terrible. 11 n’y a pas de chose bonne qui n’ait !iTi' aspect mauvais. Le positif est toujours lié au négatif, :a vie à la mort, la vérité à la fausseté, le bonheur à là ijiAüeur, et le gain de l’être au risque et à la perte. Partout donc des éléments destructeurs, partout des mliînomies ; partout, nous ne pouvons prendre qu’tm *?|iect de l’être. Et c’est là ce que Jaspers appeUe notre néïhé. Nous devons pour exister fortement fermer les ieûx à certaines choses, ne les ouvrir qu’à certaines autres. \Ssi être fini, être partiel, c’est notre péché. Mais la question de savoir si cet échec sera un échec complètement ruineux ■y'âestructeur, ou si parlai nous pofuvons aller vers F être, .^êélieô, demande Jaspers, est-il destruction, ou de l’être 4 j^vèle-t-il dans l’échec même ? Wéchec, en effet, pourrait être final, et nous sombrerions : 1j»s dans im pessimisme : les considérations objectives féJilent que tout se conserve, qu’il y ait un progrès indélini, une cohérence logique, mais nous voyons le flux de Il vie, et rien n’est permanent. Du moins, l’échec peut être authentique. Nous risquons
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réeliec, noDs n’avoas pas à le vouloir ; précisément poî>r qu’il soit authentique, il faut qu’il ne soit pas voulu, mais risqué. ■ Il ne faut pas prendre les devants, il faut se protéger contre l’échec ; l’échec authentique ne viendra que si noiis avons fait tout pour l’éviter, car si nous voulions allfr vers lui, il ne serait plus authentique, ce serait une sorti, d’immobilisation de l’échec, qui perdrait sa valeur A; signe. Donc l’idée de l’échec ne doit pas nous mener a l’idée de le vouloir, ni non plus à l’idée de ne rien faiix*. puisque c’est seulement si nous nous protégeons contr-' l’échec que l’échec en venant sera chiffre authentique. Elle ne doit pas nous mener non plus à l’idée de l’aventure, car ce serait là encore absolutiser l’échec, donc le dénaturer. Pour voir cette authenticité de l’échèc, considérons com ment il est lié à l’être même. D est lié à l’être sous son aspect de l’existence. Car l’existence par elle-même veut aller au delà de la mesure. Il y a forcément un échec de l’être en soi dans l’être parti culier, parce que l’être particulier est particulier, ê! comme je tends versl’êtreensoi,jedois apporter un élémerii de trouble dans l’ensemble des êtres particuliers, je dots méconnaître la mesure. C’est ce qu’on voit encore en con sidérant un Kierkegaard. Il oppose l’exigence de rincoiiditionnalité à l’éthique de la mesure. Nous voulons l’im possible, nous voulons briser la finitude, et de là, l’échec. E t de plus l’échec est nécessaire parce que l’existence est liberté ; or liberté signifie lutte avec la nature, s’il n’v avait pas de nature contre laquelle lutter, il n’y aurait p i de' liberté. La liberté n’est possible que par la nature par la lutte contre la nature ; donc elle doit échouer, car je m’unis à la nature, je fais disparaître l’existence comniiliberté, et si je me heurte à la nature, je fais disparaîtr> l’existence comme nature. Ainsi, la liberté est quelqui chose qui disparaît forcément, soit parce que je cède à b nature, soit parce que la nature me fait céder. L’être comni: liberté est en tant qu’il se conquiert, et cesse, s’éteint dè qu’il peut devenir stable. La liberté est quelque chose d’ùi termédiaire, quelque chose qui concerne l’existence et qa se brise devant la transcendance. Nous savons que tout ce qui a valeur est précaire, temporaire ; c’est là encore une raison de l’échec.
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Si en effet c’était ce qui est dural>le, sous l’aspect de jH'iisée non contradictoire, ou de donnée empirique, qui foit valeur, une sorte de mort s’étendrait sur l’univers. C'est seulement parce que la valeur est essentiellement fugitive et disparaît, qu’il y a une vie et une existence. Donc ce qui est apparition de l’être tend vers sa propre ifeparition afin que sa vérité par là même soit dégagée. Ce qui est authentique nous apparaît presque toujours fo^me quelque chose qui n’est pas encore ou qui n’est pins. L’instant est tout et cependant n’est rien. Il y a donc îin échec de la plus haute valeur, l’être ; la transcendance ne peut apparaître qu’en disparaissant. D’une façon générale, dit Jaspers, c’est ce qui est le plus mauvais qui est le plus durable. La matière est plus durable que la vie, la vie plus ipie l’esprit, la masse plus que l’individu dans son historicité existentielle. «Ceux qui aiment le Dieu meurent jeunes.» Ainsi, nous voyons une sorte de mine devant nous de tontes les choses suprêmes, et le dernier chiffre, qui est le fondement de tous les chiffres, est le chiffre de l’échec. De là une angoisse, mais nous ne devons pas nous arrêter à ^>Qc. L’angoisse doit aller au repos, et le mouvement de la pensée de Jaspers suit encore le mouvement de la pensée lie Kierkegaard. Si l’angoisse se reposait en elle*même, elle Jéyiendrait quelque chose de statique et ne serait plus tLUthentique. Il faut donc accomplir le saut le plus immense )[oi va de l’angoisse au repos et qui nous permet alors de vi«r la réalité du monde transfiguré. X)n doit quitter le monde pour revenir au inonde dans son liçlat et son ambiguïté, et, de même quenoiis étions allés de de chiffre à l’idée d’éch.ec, nous pourrons revenir # l’idée d’échec à l’idée de chiffre, puisque c’est après ^^ir vécu l’angoisse que nous pourrons voir le monde i^ns tout son éclat. De là une sorte de patience, une active {i|tience qui voit l’échec, mais persévère ; ce ne sera pas un abandon, mais une action, par laquelle nous saisirons le langage ambigu de la transcendance dans le simple fait lire nous sommes et qu’il y a de l’être. Que l’être soit, assez. -^S’est alors que nous éprouverons l’être dans l’échec, et tel est le but de toute la philosophie de Jaspers ; nous arri verons au moment de silence qui est comme la borne mise ï la réflexion philosophique.
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L’échec n’est que le dernier moi. Le terme ultime e^t silence. La philosophie, entendue d’une certaine façon, éloignt de la réalité, mais, entendue d’une autre façon, elle nouf: rapproche de la réalité et s’achève dans cette communica tion qui est silence. Nous arrivons à la vision de l’accom plissement dans l’instant évanouissant, à runion di l’amour et de la raison. « La philosophie éveille, rend attentif, montre des voies, fait faire même un bout de chemin, prépare, fait mûrir, afin que l’homme puisse éprouver le plus intense et l’ertrême. s Nous avons parcouru cet espace spirituel qui va de oi qui est offert dans le monde des corps à ce qui est à pcmt éprouvable dans le monde de l’esprit.
VIII Coup d’œil d'ensemble sur la philosophie de Jaspers. Gomment peut-on la juger?
On peut sans doute prendre la philosophie de Jaspercomme une sorte de réflexion sur le cas de Kierkegaard, uii.généralisation et sur certains points une généralisaiioti profonde, de la pensée kierkegaardiehne. L’image de Kier kegaard préside en quelque sorte à la réflexion de Jasper;!, l’image de l’homme Kierkegaard en tant qu’il se tient à l’écart de la société, en tant qu’il se sent une excey; tion, et en tant que par son étroitesse même il atteint , plus de profondeur que d’autres philosophes. Ensuite c’est l’homme tel que le décrit Kierkegaar'; qui alimente la pensée de Jaspers, c’est-à-dire l’existarr solitaire qui «ne jette l’ancre que pour lui-même suri:, mer de l’infini», qui vit dans le rïsqpie, qui a le sentimenr de lui-même devant la transcendance, et par là même se seul pécheur. Par ce sentiment du péché, qui chez Jaspers n’esl pas l’idée d’un péché moral, mais plutôt de ce péché qai
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consiste en ceci que nous ne pouvons voir que certains Aspects de la réalité en nous fermant à d’autres» cet existant pêclieur se sent devant Dieu et est en relation avec la iranscendanceOr c’est cette relation avec la transcendance qui fonde j etre même '.de la transcendance. « La transcendance :i/cst que par la réalité de mon inconditionnalité. » iVest bien là une pensée qui traduit une des vues les plus jrrofondes de Kierkegaard. C’est par mon rapport à elle lijiie la transcendance» en un sens au moins» est. A cette iranscendance» nous nous sacrifions dans des actions absolues, dans ces situationsdîmites dont l’idée se trouve kbssî chez Kierkegaard. Et nous nous sentons constam* liient en des sortes d’antinomies, dans une tension» par .temple entre une action très intense sur nous-mêmes et iidée que cette action n’est rien. Si nous ne sommes pas aidés par autre chose que nous, nous sommes dans l’angoisse» nais il faut accomplir le saut qui va de l’angoisse an repos, ce saut, nous l’accomplissons si nous voyons que par temps nous nous saisissons de l’éternité. Cela est encore la traduction d ’une idée kierkegaardienne. Ce qui est éternel naît de notre décision, dit Jaspers» j)ïame Kierkegaard disait : c’est par ma décision que je iécide de mon éternité. Mais tout cela, nous ne pouvons pas le communiquer iiïectement ; la croyance qui est la vérité telle qu’elle est vécue par l’existant, ne peut pas être exprimée objectiveiient. C’est pourquoi l’existant ne sait plus s’il croit. De même, Dieu, l’Autre, absolu, le complètement Autre, :iimme le définissent Kierkegaard et Jaspers, ne peut se .immuniquer qu’indirectement. Le Dieu de Kierkegaard t'de Jaspers est un Dieu caché. Nous ne pouvons pas ne tas penser à lui ; nous ne pouvons ni le penser réel lement, ni être sans penser à lui. E t nous le découvrons !ans ce langage indirect qui est le langage chiffré. Cette comparaison entre Jaspers et ICierkegaard nous :nyite à nous poser une question : certaines des idées de lîierkegaard, qui étaient liées à sa conception religieuse, it--sa croyance, peuvent-elles conserver leur vitalité dans me pensée qui se meut en dehors d’une croyance, en dehors ea tout cas des religions révélées, alors que pour Kierke gaard elles étaient liées à l’idée même de religion révélée ?
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Faut-il laisser la pensée de P existence dans ce climat reli gieux qui est celui de Kierkegaard, ou est-il légitim,. d’essayer de voir si on peut, avec l’enseignement de Kicrkegaard, faire quelque chose que Kierkegaard eût désa voué, formuler un sentiment de l’existence qui pourrai» être aussi bien dans les hommes non religieux que dans les hommes religieux? D’ailleurs, il ne faut pas voir uniquement la pensée Jaspers comme un commentaire à celles de Kierkegaard. Elle est aussi réflexion sur d’autres philosophes commrKant (‘), Fiehte (®), Schelling(3) ou Nicolas de Guse auxqueh il se réfère si volontiers. Il y a certainement une très grand*; opposition entre Jaspers et Hegel, mais il y a aussi df-s liens entre eux. Sans doute Jaspers refuse le système dt> Hegel, ne voit en lui qu’une sorte de mythe ] il rejette cettr* idée que la considération historique doit être maîtresse d-, tout- Cependant par l’importance qu’il donne à l’idée de totalité, Jaspers se rapproche de Hegel, et quand il partdes chiffres et de la sublimation des objets dans les chifiros. il y a encore là quelque chose tpii n’est pas loin de l’idée cli> la suppression qui est sublimation dans Hegel {Aufhebun«l On pourrait poursuivre, la comparaison entre Hegel 0 Jaspers tous deux affirment l’historicité profonde de l’homme et en même temps exigent l’unité. Seulement, chez Hegel, c’est l’exigence d’unité qui est première, et qui mène à cette affirmation de l’importance de l’historicilô. tandis qae chez Jaspers c’est l’histobe existentielle qui est première. Ainsi on pourrait dire que l’uu, Hegel, absolutise l’ensemble de l’histoire, et que l’autre absolutise chacun de:< individus. Chez l’un, chez H^el, il 7 a une présence chacun des individus, dans l’unité; chez l’autre, c’est plutôt l’inverse, c’est l’im qui est présent à chacun de noni;. Ainsi de façon différente, les deux philosophes, djt (1} H serait trop long de souligner ici tout ce que Jaspers doit k K»nl. U ne interprêtatiop des pen sées kan tiennes fo nda m entales pour nviliv époque, voilà ime des définitions possibles (êvideinménl non satistibsanté) de la pensée de Jaspers. (2) Fiehte est pour Jaspers le philosophe qui voit Phomme conira? chiffre de la divinité et d’autre part met en lumière le hiatus irrationntl autre l’existence et la transcendance. (3) Schelling est le philosophe qui a vu dans le rationalisme une philosoplüe négative, qui a insisté sur l'historicité profonde,
LÀ PHILOSOPHIE DS JASPERS
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pai’eyson, essaient de concilier l’affirmation du caractère jirofondément historilace qpi’elles n’avaient pas d’abord, t'n de ses livres est appelé « Existence et Raison», et ce li'est pas sans 'doute la raison an sens classique du mot, mais c’est une raison qui se fait sans cesse, et néanmoins liai éclaircit les données de l’existence. ' Quant à l’idée d’englobant, on dirait en langage de philoÿrtphie classique, l’idée de l’infini, c’est une idée qu’ü •xpose dans son livre sur la philosophie de l’existence et ;nissi dans son ouvrage sur la raison de l’existence. G’èst i’idée que ou de l’être empirique, sphère de la conscience en :^(i[iéral, sphère de l’esprit, sphère de l’existence, sont cha cune un aspect de l’infini, et même sont chacune un infini. «
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Voyons les caractères généraux de la philosophie de Jaspers. Nous savons qu’eUe est un effort pour constituer une pensée en dehors de la philosophie classique et de la soience, et pour penser une foi en dehors de la religion. Ce qui importe donc à Jaspers, c’est de garder les idées Je pensée et de croyance, mais en les délivrant de ce qu’elles |joiirraient conserver d’une science trop schématique ou ilxine religion trop fermée sur elle-même. Le monde est un monde déchiré : tel il nous est présenté par la science, mais de plus, nous-mêmes, chacun de nous, ninstltue quelque chose d’absolument différent des autres. Pas de point de vue universel. Même dans la conscience eirgénéral, les catégories sont diverses. De là diversité des valeurs, diversité des individus, diversité des domaines de laréalité. Mâ^is cette division même et ce déchirement sont la
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LA PENSéE DE L^EEISTEECE
condition de notre action inconditionnée. Nous pouvons nous créer une unité, par là même que nous saerifieroTss toutes les autres valeurs à cette valeur. E t nous verrons une sorte de tension entre des contraires, analogue à celle qui existe entre le déchirement et l’inconditionnalité. nous nous rendons compte que notre Uberié est fondée sur notre ignorance. Nous ne connnaissons pas la totalité du monde, mais si nous connaissions la totalité du mond^. nous ne pourrions pas être libres, nous aurions à consulli-i cette totalité, ce que nous dit Thistoire, e t son déroulement. Si on croit à une totalité sur laquelle l’homme peut diiv le dernier mot, il n’y a pas de véritable liberté individuello. C’est parce que la totalité nous est cachée, parce que ne savons pas tout, que nous sommes libres, c’est de nolrv ignorance qne vient notre liberté. Dans son ouvrage Existence et raison, Jaspers écrit ; « Je ne suis lié à la profondeur de mon être que parce que ji m’avance dans l’étroitesse de cet être pàrticidier que ].■ suis. Je ne suis en communication que parce que je me tien.s seul devant la transcendance. Je n’effectue vraimeni quelque chose que parce que je prends conscience de l’échec. Je ne suis raisonnable que quand je fonde la raison sur In non-raison, et je ne crois qu’en ta n t que je doute si je crois.^ Ainsi, nous voyons que le contraire est lié au contrain*. la communication à la solitude, Tbistoricité profonde f; l’étroitesse, l’action à la conscience de l’échec, et la raisoii à la non-raison. Il faut ajouter que ce n’est pas là un motif pour vouloil’étroitesse ou la solitude ou la non-raison ou le doul. L’introduction de la volonté dans ce domsune contribueraik à détruire l’authenticité originelle de nos actions et de ru.sentiments. L’étroitesse est une condition de l’ouverture, de la lar geur de l’ouverture pour l’expression de la transcendance. Là encore, nous voyons la tension, l’antinomie, le passag du contraire au contraire. C’est en nous fermant à un cer tain nombre de choses que nous pourrons nous ouvrir pluï largement à la transcendance. L’absolu, l’éternel ne se présente que sous la forme du précaire. Ce qui est grand ne dure pas. Ce qui a valeur se développe avec une rapidité soudaine et se transforme en formes "Nudes dès qu’on croit à son caractère durable,
LiL PEILOSOPJBIS
JA 6P SB S
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Déchirement de l’être, ambiguïté des chiffres» -indé* .(■rminabilité de transcendance et de l’existence» lout ce qui vaut, to^ut ce qui est se fonde, est étroit et prélaire, et par là même précieux dans son instantanée jii:é sen ce.
Çes réflexions sont issues de la méditation sur la pensée ;iprkegaardienne. Il faut mentionner cependant que Jasajoute à la pensée de Kierkegaard les deux idées de «mniiunication et d’historicité, fait prendre conscience à homme qu’il n’est pas aussi isolé que le disait Kierkegaard, Tmet dans la suite historique des hommes et le représente inime pouvant parler aux autres hommes. L’absolu ne se présente pins aujourd’hui d’après Jaslüj'S, comme pour un Platon ou un Descartes. Nous ne Miiuvons plus le sentir et le vivre qu’en nous rendant Inclusifs, et le stade où la pensée pouvait s’élargir à la iâçon dont Descartes et Platon l’élargissaient est un stade ju passé.
Comment juger cette philosophie? D’abord, nous écar tons certains reproches qui ne nous paraîtraient pas :ïacts» par exemple, que la philosophie de Jaspeis est ■lodée essentieUement sur l’échec, ou d ’elle élève à l’absolu ; idée d’existence. C’est bien en un sens une philosophie de l’échec» mais :n$|)crs pense que l’échec est le seul moyen poiu* un indiiidu fini d’arriver à l’être. Après le dernier mot qui est êdiec vient la silencieuse révélation de l’être. Ce n’est pas ^otiec qui est le vrai, dit Jaspers dans son dernier livre» Iab c’est l’être qui se révèle dans l’échec et qui dans l’échec ioiit à soi. Ce qui est ruineux, précaire» partiel se transIjrme en l’être même. Et que le positif soit lié au négatif ircmpêche pas le positif d’être positif. D’être lié à la doideur l'empêche pas la joie d’être la joie- D’être liée à la mort j'empêche pas la vie d’être la vie. Il n’en reste pas moins •jue la souffrance apparat souvent comme une voie, et une fuie privilégiée, vers l’être. En deuxième lieu, il serait faux de dire que c’est une philosophie qui ne garde de tous les concepts que le concept d’existence, car nous avons vu la place du Dasein au-
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LA PENSIVE DS L^EXISTENCE
dessous^e la place de Pezistence, et celle de la transcendanr. au-dessus. E t comme le philosophe le dit lui-même/ce smy. une étroitesse de la pensée de P existence fausse et mauvai ■ que de s’enfermer dans le moi. Mais d’abord la terminologie de Jaspers ne semble pa^: i rabri des critiques, particulièrement ce qui concerne |. Dosefn, l’être particulier. Le Dasein parfois paraît être l’être particulier et cmiM rique; ailleurs Jaspers lui attribue un caractère d’infinii, qui va assez mal avec ce qu’il entend ordinairement par : être empirique. En tant que Dasein, nous sommes un eng)> bant. Il parle d’un éclaircissement du Dasein, employanl !! même mot pour le Dasein que pour l’existence. Au fon>i nous ne sommes que rarement d’après lui-même dan le pur Dasein : l’existence fait que notre être particulier s dépasse lui-même. On trouve aussi des difficultés au sujet des rapports d. la conscience en général (^) el de l’existence, de l’esprit (■ de l’existence. Et d’autres surgissent avec les termes d’immanence { de transcendance ; ainsi parfois la conscience en général (•’ conçue comme dans la pure immanence, et parfois Jasper emploie à son propos le mot transcendance (^). De pins, l’existence aussi bien que la transcendance son‘ l’une et l’autre définies comme non-objectivité. Exislerni comme transcendance, c’est ce qui n’est plus objectif exclut la recherche du général. Sans doute ü y a lieu de distinguer l’absence de gcncTr lité qui est celle de l’existence, et l’autre absence de géni ralité qui est celle de la transcendance. Il convient cep=: • généra l un caractère po nc tuel. C’e st l a seule de s sph ères pour laquelK; i. so it si particulièremen t sév ère. Mais là encore 0 y a des excep lions, •. elle est aussi conçue comme un englobant. (2) T ou t ce (|ui est au-d essou s de l’ex isten ce est pa rfois app elé Imnn nence (particulièrement dans le livre intitulé : L a p h ilo s o p h ie de l ’Exittence) ; mais d ans le livre sur la V érité, le m ot de transcend anc e estappà qué dans ce domaine.
LA PHILOSOPHIE D H JASPERS
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à vouloir parler d’existence. Si l’existence est ,|iK'!qiie chose de secret, qui nous est si particulier que ce communicaHe qu’indirectement, comment pouvonsnous en faire l’objet d’un discours? Comment peut-on Huisacrer un livre à cette existence dont au fond on ne J,eut parler? Jaspers voit lui-même la difficulté. Il écrit dans son [ivre La raison et Vexistence : eOn ne peut parler objectiuinent du non-objectif si ce n’est dans des formes qui se suppriment comme objectives.» Transcender la pensée .,l)jective au moyen de la pensée objective elle-même, c’est tenter l’impossible. En deuxième lieu, Jaspers dit : sans être l’exception, nous philosophons à la lumière de l’exception. Que signifie .0 : à la lumière de? La philosophie de l’existence nous dit [u'il faut être profondément sa pensée. Or la pensée de Kierkegaard est partie intégrante de la personnalité de Kierkegaard, en tant qu’exception,-mais Jaspei^ se rend lion compte que lui-même n’est pas cette exception, n’est ]ins cet homme qui dit non à la société, qui dit non à la (unction, qui se retire dans une solitude absolue. Il est celui pii philosophe, n’étant pas exception, à la lumière de foxeeption; et n’y a-t-il pas là une sorte de contradiction ivec la pensée de l’existence elle-même ? Jaspers voit bien cite difficulté de sa situation philosophique. Allons plus loin, Jaspers dit lui-même très bien que les nucepts de l’éclaircissement de l’exislence peuvent devenir i::i moyen de perdre plus que de gagner le caractère exislontiel. Il y a danger à exprimer de façon objective ces ^ractères qui doivent rester secrets et essentiellement ■libjectifs. Je puis, dit-il, par mon-discours et mes concepts carter l’existentiel, même quand je parle de l’existentiel. Je puis parler avec justesse et être cependant dans le nonrai, si je parle abstraitement. La vérité des propositions xislentielles peut se transformer dans son contraire Ihaque fois que leur contenu est rendu conscient ou volonirire. On est toujours en danger de tomber dans une sorte Je logicisation fausse dans une rationalisation de l’irraîtonnel. Et quand Jaspers dresse des tableaux des fonctions Immaines, et même de l’ensemble de l’univers, il semble qu’il rende sa philosophie trop systématique, du moins
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LA f^ïElÜSÉS
L^SXtS'T EflCB
pour une philosophie existentielle. De même, quand ii fait une sorte de tableau des différents chiffres, comme si chüfres pouvaient être classés, comme si chacun ne devait pas être vécu dans son unité irrednctible. Dè? que nous parlons sur les symboles, dit Jaspers loimôme, nous accomplissons cette transformation du s yt t i bole en quelque chose d’autre. La pensée existentielle n. peut donc, si elle veut devenir philosophique, rester comjilM. tement existentielle. Ceci nous amène à une autre question. Jaspers nous di‘ qu’il faut choisir. Il faut choisir tel chiffre ou tel autrrvoir l’absolu dans telle œuvre d’art, ou dans la nature, r.D dans tel paysage ou dans teUe personne. Si je suis philo sophe, je me rallierai à tel système ou à tel autre, comm ■ étant' l’absolu. Mais la condition essentielle, c’est qu. chaque fois, je choisisse un système à part des autres c’est-à*dire que je ferme mes yeux à la valeur des aulrosystèmes pour vivre vraiment à rintérieur de l’un d’eux. Mais que fait Jaspers? Il nous présente tous ces .sys tèmes comme des expressions de la transcendance. Quand il nous parle de la loi du jour et de la passion vers la nui), il parle des deux et ne semble pas choisir entre les deux. a II faut choisir.» Mais précisément le fait qu’il dit r i! faut choisir, montre que lui-même ne choisit pas ; si M-aiment il avait choisi, il dirait ; il faut choisir la loi du jour, ou bien il peut choisir la passion vers la nuit. Mais le fait qu’il dit : U faut choisir l’une ou l’antre montre qu’ü uou' présente la possibilité et le devoir du choix, non le clioi.v. Cependant être existentiel, d’après lui, c’est choisir. De ]:^ une grande difficulté du système de Jaspers. Nouvelle difficulté : après avoir lu le livre de Jaspera, nous nous dirons : il faut vivre dans un état de tension entre ces différents termes en lutte les uns avec les autres. Jaspers nous donne donc des conseils. Mais il dit aus‘^i que si nous voulons conserver le caractère originel ei authentique, il ne.faut pas faire intervenir la volonté Par conï^quent, Jaspers nous conseille certaines choses, mais il nous conseille aussi de laisser les attitudes existen tielles se développer en nous indépendamment des conseils: «L’existence, dit-il, n’est pas affaire de volonté. Si oa veut devenir une personnalité, on n’en sera pas une. Os devient personnalité seulement si on a le souci des choses
LA PHILOSOPHIE DE JABPE&S
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.ittxqnelles on se dévoue. Donc, on peut vouloir à partir i(r la personnalité, mais on ne peut pas vouloir la person nalité. « Peut-être n’avons-nous fait qu’une seule critique, idenliqxie sous ses différents aspects, à savoir qu’il y a une con■raiiiction entre l’existence telle qu’eUe est entendue par ivierkegaard et Jaspers et les autres philosophes de l’exis•once, et la philosophie telle qu’on l’entend ordinairement. De là le caractère paradoxal de cette œnvre. Mais le mot in-même nous laisse deviner la réponse que Jaspers peut ilve à ces critiques, car il faut vivre dans cet état de tenMjn, et si l’œuvre que j ’accomplis est impossible, ce n’est Iüs une raison pour que je n ’essaie pas de Paccomplir, La ^tuation de Thomme, de l’existant, devant la transcendance, •i[. une situation toujours très difficile, et si on me montre os difficultés, même les impossibilités que j’ai à parler de existence, ce n’est pas une raison pour que je n’entrepreune la tâche que je me suis fixée. D’autant plus que tout ce r,ie l’homme entreprend, échoue, et si vous me montrex échec, je puis voir de mon côté dans l’échec la clef de la îanscendance, qui m’ouvrira la voie vers l’être. L’idée d’échec nous amène encore à une autre question. F,t ici, ce n’est pas le manque de choix que nous reprochems à Jaspers, c’est plutôt le choix. Il insiste sur le chiffre s l’échec comme étant le chiffre fondamental (‘). Mais est-ce légitime? Certains peuvent se réaliser par Apensée de l’échec, d ’autres, comme un Hegel ou un Spi* ir>za, peuvent se réaliser par des pensées toutes différentes, iiçpers ne confond-il pas une de ses tâches qui est de lire sa philosophie propre, et cette autre tâche de faire ne méthodolo^e générale de la philosophie? 11 y a là •’ut être une,confusion du chiffre en général et du chiffre ropre à J aspers. (^ant au chiffre jaspersien lui-même, nous avons déjà :ét allusion à une autre criti
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précaire, cette éternité qu’il voit par éclairs dans immoments intenses, a-t-on le droit de l’appeler encore élf rnité? Le mot a-t-il un sens en dehors de la religion ou h , dehors de la métaphysique classique ? Nous avons de même à poser une question pour l’idée transcendance. Le complètement autre, ce qui nous limite, ce qui par fois nous écrase, et qui en même temps nous crée, nou~ donne à nous-mêmes et fait notre valeur, comment pour rait-pn le prouver? Cet acte de foi, comment Jaspers peut-.: le légitimer? La philosophie de Jaspers s’oppose à la philosophie sique. Mais peut-être pourrait-on justement voir que ceU. opposition n’est pas si fondamentale, du moins sur r point.^ Car comment savons-nous que nous ne pouvons pa. rester dans ce qu’il appelle l’immanence, si déchirée qu’eü. soit? Gomment savons-nous, pour Jaspers, ou plus exacte ment comment croyons-nous qu’il y a une transcendant; Il nous dit dans son dernier livre : la pure 'immanen> ■ s’écroule dans l’absolu non-sens. Et c’est à cause de non-satisfaction de toute vérité particulière que nocsommes forcés d’en appeler à la transcendance. Ainsi, comme moteur et postulat de la pensée de Jasper , nous trouvons cette idée rien de ce qui est particulier s »eut nous suffire, et qu’il faut donc quelque chose qui e. i ’être, qui est la vérité elle-même, qui est la transcendann Mais il ne semble pas avoir prouvé que la transcendance cf( Mentionnons aussi que la méfiance vis-à-vis du kantisun et de l’idée d’imiversalité en morale peut avoir des rcsui ta ts discutables. « Celui qui aime l’humanité n’aime pas écrit Jaspers ; aime seulement celui qui aime une personiK déterminée.» Un kantisme authentique n’est-il pas sup» rieur à cet anti-kantisme, même lorsque, comme chez Ja pers, celui-ci est authentique? (ce qui ne fut pas toujours! cas chez d’autres). Dans le même ordre de la moralii^ faut-il se contenter de cette résignation, il est vrai résigna tion active, que nous présente Jaspers? Nous voyons toujours quelle réponse pourra nous faijJaspers à l’aide des deux idées de la tension et deréchec.iû^; tâche, dira-t-il, était difficile, mais la tâche valait d’êtiv tentée, dans la tension et l’antinomie, quitte à risquer I l’échec.
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LÀ PHILOSOPHIE DE JASPEES
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Telle est cette philosophie, une des plus intelligentes que l’on puisse concevoir à Theure actuelle, joignant un sens profond de Tindividualité à l’affirmation de la transcendance, consciente du fait qu’elle est une réflexion sur la réflexion, consciente aussi de l’échec des grandes philoso phies classiques, sauf en ceci qu’elles peuvent toujours être conçues comme de profondes lucarnes qui peuvent découper un pan du ciel immense de la transcendance, consciente enfin du fait que la philosophie doit renoncer plus que jamais à la possession de la sagesse (^), pour devenir un effort vers la sagesse, pénétrante et vigoureuse perception, riche commentaire des activités humaines dans leur rapport avec l’Inconnu. ^ (I) «IS ’il a été po ssible à la pe nsée ph ilosoph ique originelle de posséder là fois profondeur et ampleur, oela n’est plus possible aujourd’hui. Notre force est la séparation. Nous avons perdu la naïveté, »
TROISIÈME PARTIE
Jaspers et Kierkegaard
L’étude de rinfluence de Kierkegaard sur Jaspers (^) va nous permettre de dégager plus facilement certaines idées t ssentielles de Kierkegaard. La pkilosophie de Jaspers est une philosophie de Texis* icnce. Jaspers nous dit lui-même que, « dans la pensée pliilosophicpie, il n’y avait qu’un pressentiment de ce qui, j^'îâce à Kierkegaard, devint le contenu obligatoire, du point de vue historique profond, du mot «existences (!, p. 15). Kierkegaard a choisi inconditionnellement sa vérité. 11 a choisi la vérité qui, pour le philosophe, est incompréhensible (I, p. 301). Jaspers a été frappé particulièrement de l’union intime, chez Kierkegaard, de l’étroitesse et de la profondeur. C’est sans doute en pensant à Kierkegaard qu’il écrit : « La déter mination quiapparaissait d’abord comme étroitesse devient jne profondeur impénétrable de l’apparition de l’exia!ênce» (II, pp. 213, 214). Cette union de l’étroitesse et de la profondeur s’explique par la tension existentielle. « J e ne puis vivre que dans la îension qui cherche l’élan» (II, p . M8). H naît de la philosophie de l’existence une tendance à allêr vers les hommes qui ont choisi leur existence et leur ’éirité avec un sérieux inconditionné, vers les hérétiques et les Uniques (II, p. 392). Et, en effet, si Kierkegaard a saisi l'Eômme en tant qu’existence, comme aucun autre ne rayait fait avant lui, tout en n’abandonnant pas la croyance (1] P hil 4)s ophie , 3 vol., Springer, 1932.
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LA PENSÉE DE
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'EXISTENCE
en Jésus, c’est parce qn’il a fait de Jésus l’absurdité du paradoxe et qu’il a, en même temps, abandonné le chiL-, tianisme de fait et l’Église (I, p. 317). Nous allons voir comment Jaspers transpose, interprète, applique les idées de Kierkegaard et parfois les explique, oî parfois même les approfondit. Il continuera la lutte de Kierkegaard contre l’esthétique et la philosophie, contre la religion entendue comme confor misme, contre le social. Gomme Kierkegaard, il montre le triomphe du sérieix;; sur la fausse généralité philosophique d’une part, et, d’autr>. part, sur l’est^hétique entendue comme art de la jouissance, don Juanisme, multiplicité des expériences particulièr.v (II, p. 219). Dans le domaine érotiqpie, la surprise est exigée. On veut des instants qui se produisent une fois, et une seule. Qi, veut la multiplicité, le changement, les beaux moment., disjoints. Celui qui vit dans cette sphère est infidèle e.. insatiable (I, p. 257). On cherche à s’approcher le plus pos sible de l’immédiat. On vit dans un présent sans consistance, dans cette pensée purement musicale, contre laquelle om lutté Platon et saint Augustin, les calvinistes et Kierke gaard. On essaie de se plonger le plus possible dans l’immé diat, mais on n’y arrive pas ; on cherche la disponibilité, on ne vit que dans la possibilité : k au lieu de me décider, je m’imagine ce qui pourrait êtres. Je me partage alors en deux moi : l’un que je livre au chaos, l’autre que je voue , la contemplation, à la jouissance d’une clarté lointaine pourtant éclatante ; je perds rinconditionnalité et runîi>: (I, P- 337 ; II p. 377 ; III, p. 122). La répétition m’est impo?. sible (I, p. 337 ; III, p. 1^). Le particulier est ici un îit Jhfini ; il ne se referme pas sur soi, il ne se contracte pas sn: soi (II, pp. 20, 228). Mais si nous ne pouvons nous contenter de ce domaltii esthétique, le domaine conceptuel et philosophique ne pçii< pas nous satisfaire. Ce que Jaspers reproche à Hegol
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Hegel aboutit à un monde fermé et arrondi où il n’y a plus ae problème et de danger, où il n’y a plus de possibilité et lie création, où il n’y a plus devoir, mais seulement savoir p. 103). L’hégélianisme est une encyclopédie comme le positivisme, et plus que lui. C’est un cercle de cercles où l'esprit séduit se repose, loin de la lutte (II, p. 8). Toutes les oppositions sont supprimées ; nous n’avons plus à choiiir et nous devenons les miroirs où se peint l’image complète 4 objective du monde (II, p. 161). Tout secret s’est évaüâré, la pudeur s’est abolie, tout est public. En fait, cet idéal ne peut être atteint ; il est contradicloire. Le savoir par lequel nous pensions atteindre l’absolu ne peut nous le donner. «Le savob est soumis au doute fitique, dans un progrès indéfini.» En outre, Hegel, en [.roclamant ce qu’ü appelle l’impuissance de la nature, a avoué en réalité l’impuissance de la pensée qui ne peut réduire la nature à ses règles. Et enfin le savoir reste •oujours relié à celui qui sait. «Les porteurs de telles pensées .'oublient comme existences possibles» (I, p. 230 ; !l, p. 161). Ainsi le progrès du savoir, l’iaexbaustibilité de l’objet de ce savoir et la profondeur de subjectivité du sujet s’opposent fgaleraent à un système de l’existence. "î^ous pouvons voir par là qu’ime philosophie de l’exislenee ne peut jamais revêtir la forme d’un système fermé •Utout a son lieu préparé dans un schéma tracé d’avance l. p. 279). .En fait, le tout n’est ]^as objet de savoir ; et en même t«iaps la personnalité existentielle se réyolte contre l’idée •[â’elle pourrait être ordonnée à l’intérieur d’une loi connue I^vance (II, p. 401). L’hégélianisme est trahison de i^jistence an profit de l’objectivité (II, p. 347). Il y a ici :rç*P d’objectivation, trop de détermination, e t ces deux aifactères nous montrent qu’il y a là une déchéance de la lissée, une perte de sa vivacité originelle (III, p. 214). il’est que l’existence réside toujours dans un état d’op> iiâ^ion et de tension, et si toutes les oppositions s’éva^ pissent, l’existence elle-même s’évapore dana le néant 195). En fait, la polarité du subjectif et de l’ob jeotif ne pourra être résolue par ime tota lité du subjectif Hde l’objectif, mais par un saut vers la transcendance ill, p. 338),
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Il y a donc opposition entre les deux idées d’existence de totalité (II, p. 195). La pliilosophie ne sera donc pas une doctrine ; ce qu’eUe cherche, c’est une pensée transformante, un éveil qui est invocation et prière, une croyance. Eu précisément, s’il y a un fait dont l’hégélianisme ne nou< décrit pas le caractère d’une façon satisfaisante, c’est hien la croyance. Pour la compréhension de la croyance, je ne puis qu’appeler celui qui est sur la même voie, en sachanl que je ne puis l’appeler qu’aûtant qu’il saisit ce qu’il est par lui-même comme possibilité (I, p. vu). Il n’y a pas ici de situation générale, mais seulement des situations placées dans une histoire profonde et qui sont par là même irren plaçables. La véritable philosophie se reprendra chaque fois hors des systèmes, luttera avec eux, les brisera. En fait, elle ne pourra avoir avec la transcendance que des rapports ambigus, antinomiques, dans le doute et la foi, dans le désespoir et dans l’espoir. 11 ne s’agit pas de communication originelle là où h vérité et la divinité se révèlent immédiatement et comme publiquement. C’est la divinité cachée, le deus abscondiim qui est à l’origine des communications existentiélles de la croyance (III, p. 218), Mais ce n’est pas seulement contre l’hégélianisme ou même contre l’idéalisme que Jaspers entre en lutte. Comme nous devons dépasser l’idéalisme, nous devons dépasser ei briser le positivisme. Tous deux, par le fait qu’ils conçoivent la réalité comme donnée, suppriment la morale. L’éthique idéaliste conçoit la morale à partir du tout, l’éthique posi tiviste à partir de la vie sociale ; en réalité, toutes deur la nient (1, p. 231). Quant au philosophe de l’existence, il devra dépasser toute généralité. Ceci nous montre qu’à la lutte contre l’esthétique et la philosophie va succéder la lutte contre le social. «Lasociétf a tendance à m’exclure. Luttant po\ir la communicatiOR pour la communication existentielle, je dois brisée {lossible, a communication sociale» (II, p. 98). Toute mon existence: en tant qu’être sincère, en tant qpi’affirmation de moi, m’écarte des autres, m’isole, en même temps qu’elle-mé fait passer aux yeux des autres pour prétentieux et égoïste. Je dois me tenir à l’écart de la politique, car «saisir la réalité politique, c’est descendre dans le milieu de la
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lîon-vérité» (II, p. 102). « La société, c’est la foule, c’est la masse anonyme, c’est le voile de l’objectivité, c’est la barrière de l’objectivité, c’est le nivellement» (ÎI, pp. 387) (1). C’est la vérité constituée {Vernanft^ p. 67), l’analogue de ce que fut pour Kierkegaard, à la fin de sa vie, l’Église constituée. Une fois délivrés de la philosophie conceptuelle et de l’esthétique, et du social, nous pouvons atteindre la Geschi ç f tt lic h k e it t ce caractère profondément historique de l’être existentiel que Jaspers cherche à décrire. Cette Geschichtüchkeit est union de la personnalité, (() Il 7 aurait ici à tenir compte de la criti^e que Jaspers fait de la rdigioD. Sa couception de la reli^ou est toute inspirée de celle de Eierke^'3ard. Par exemple, p. 297 : «Tandis que pour la croyance religieuse, jjbéissance va de soi, même devant l’absurdité qui consiste en ce qu'un 'ait historique fini est une condition du bonheur de tous les hommes...». .La religion est en conflit avec le monde d’ici-bas ; elle est sa négation.» Il a montré ce que c’est que prendre au sérieux l’iini•Mtcn du Christ» (II, p. 274). Mais il veut dépasser l’action reli|pease, telle que souvent t’a définie Eviërkegaard : « Je veux, sans monde et sans communication, amplement én rapport avec la transcendance, nier tout, pour la tTanscenmamoe... > Or Kierke^ard lui-même î profondément vu qu’il faut s’élever au-dessus de l’attitude reU^euse idlè que parfois, d’une façon alors trop étroite, U l’a définie. La résolu tion positive va vers le D asein ^ conquiert son monde propre, la résolution négative se maintient constamment dans l’oscillation. « Cette résolution négative ne fait aucun pas en avant et n’amène rien à son adièvement iéfinitif. Elle ne peut s’avancer à son aise dans ce monde, ni s’avancer i son aise dans l’autre. Elle est comme un analogue du suicide. A la limite lie ce qui est possible pour rhomme se tiennent les héros du ué^tif et ils sacrifient. Dans leur isolement terrible, iis montrent ce que signifie en le inonde une réalité qui étouffe dans son germe fout repos satisfait de Eh [ i I » . pp. 319, 320). C’est qu’eu réalité, on s’est décidé contre l’entenilémenl, en restant sur le même plan que lui. On ne l’a pas dépassé, c C’est lEiilement (quand des contenus de croyance ont été exprimé sous forme il« jugements que ce conflit avec l’entendement est possible» [I, p. 306). Ainsi, définition kierkegaardienne de la religion, critique de cette dMinition (d’un point de vue philosophique, puis religieux), reconnaisnnce de sa valeur se suivent et se mêlent dans le livre de Jaspers.
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de l’être fini, Dasein, Il s’agira donc d’éditer de rester Imiipiement dans le Dasein, car, dans ce cas. l’individu devient hasard et arbitraire et s’évanouit. Et il faudra également éviter de rester uniquement dans U Selbstsein^ car il deviendrait alors personnalité rebelle aux conditions empiriques et finalement pure négation (II, p. 142). D’une façon plus générale, en considérant l’existence dans son rapport avec le temps, nous pourroTu dire qu’elle doit éviter le danger du souvenir, recherche stérile du temps perdu, où la contemplation remplace la décision, b danger du pressentiment, rêverie romantique et également stérile, et enfin le danger du présent esthétique, instant sans cesse évanouissant. Dans l’une et l’autre de ces façons de prendre le monde, le temps disparaît. L’isolement du passé, l’isolement du futur, l’isolement de l’instant sont trois sortes de déchéance de ce que Jaspers appelle le chiffre du temps : le présent apparaît comme ce qui n’est plus ou ce qui n’est pas encore, — il n’est pas réellement (III, pp. 211-212). * « Un premier stade au-dessus de ces modes de vie que nous venons de critiquer sera constitué par l’irouie. L’ironie est conscience de l’inadéquation de l’objectif, du général (II, pp. 285, 286). Puis elle s’élève pour se transformer en humour (II, p. 286), et c’est peut-être seulement après que l’on aura traversé l’ironie et l’humour que pourra naître h sérieux véritable. On est maintenant au-dessus de l’art. « La réalité est plus que l’art, car elle est la présence cor porelle de l’existence dans le sérieux de sa décision .i (III, p, 194). On est au-dessus des concepts philosophiques, et on atteint peu à peu un sérieux où la liberté est présente (II, p. 286). Mais ici, de nouveau, vont apparaître devant nous des écueils. Ou bien nous foncerons sur l’écueil de la subjecti vité et nous nous enfermerons dans notre solitude, comme le Richard III de Shakespeare, dans une domination titaDÎque de nous-mêmes, ou bien nous nous perdons dans, l’objectivité (II, pp. 346, 347, 348). Dans le premier cas, je m’enferme dans mon moi, je me sépare violemment du tout (III, pp. 72, 73). Je suis l’intériorité qui ne peut
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communiquer avec Textériorité (II, p. 76). L'angoisse, comme une barrière, m’empêche de me livrer à autrui (II, p. 83). Je sens ma solitude irrémédiable (II, p. 346) ; \t yeux être le plus possible moi et, en même temps, je veux être un autre. Je veux m’identifier avec tout ce c|iii est noble, je veux être plus noble que tout ; je veux ^ire Dieu, ét, en même temps, je pourrai aller jusq[u’à un emportement blasphématoire. « En haine de mon Dasein propre, je porte un défi au fait du Daseiiiy je ne veux pas le prendre sur moi comme mien, je me révolte contre mon ■rigine. Je rends, dans un acte de colère, ce qui m’a été ■ioimé msL^é ma volonté, je le rends dans w i acte de défi par la possibilité du suicide» (III, p. 72). Nous sommes ici dans le domaine de la rage contre le Dasein^ de la révolte jrbitraire, du ressentiment et de la volonté de nuire JII, p. 80). Faute de pouvoir lire le chiffre et d’avoir l’idée le la transcendance (III, p. 206), je crois éternellement qtfe edois me nier éternellement (II, p. 42). C’est là, et en pariculier dans cette fermeture de moi sur moi, que j’atteins iVssence du mal. « Le mal est une négation de la commulications (II, p. 171). Alors, «dans une volonté passionlée par laquelle je ne me hais pas moins que tout lé reste» If, p. 172), « je me tends dans une attitude de défi contre ;»ute rév^ation de moi. C’est ainsi que la passion de la mil ne peut pas se révéler, même si elle le voulait», lil, p. 104). Le mal est impensable, k II ne peut pas être exposé •ééilement ; ni être saisi en pensées (II, p, 173). Tout ce que *puis faire, c’est déclarer en le liant à la pensée du néant : le mal, c’est vouloir le néant» (II, p. 171). Et, en effet* !-tie distance entre moi et les autres, qu’est-ce, sinon un -éant? Mais ce néant a en soi une force positive, ou peutUe plutôt négative, par laquelle il s’augmente sans cesse [1, p. 265), et il a ce caractère d’être sans commencement, i« sorte qn’il ne fait qu’augmenter sans avoir Jamais de ^hnt (II, p. 196), et qu’il est essentiellement soudain !l;p. 173). le mal est essentiel au bien. D’abord, « le mal est ians son échec comme la caricature incompréhensible de échec authentique de l’existence possible»... Sa décision désespérée est une contrefaçon de la décision existentielle, ‘in contentement de soi est la contrefaçon de l’amour de
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soi qu’a l’être plein de noblesse (II, p- 174). De sorte qu’il y a une analogie entre les profondeurs du mal et les som mets du bien. « Ce qui, dans le Dasein, est pour l’esistcncv l’expression du mal : Je suis moi seul, s’appliquerait à un être qui serait sans relation» (III, p. 65). En deuxième lieu, le mal est le chemin vers le bien. Ldéfi est l’origine de l’existence, et l’analogie que nous venons de signaler nous le fait comprendre : le défi a dôjii en lui l’inconditionnalité et la possibilité de l’existence; dans le défi croit la tension à partir de laquelle l’existeiuv sera saisie (III, p. 74). En fait, dès le début, le défi est dirij^v vers Dieu. « Le refus de Dieu est l’expression négative du rapport avec la transcendance.» Le défi peut être quelqtnchose de plus profond qu’une croyance, quand celle-c: n’arrive pas à mettre son objet en question (III, p. 79). Dans la victoire que je remporterai sur le monde, le mal subsistera. Sans doute, si je crois le mal définitif, je ne puL pas atteindre au bien, mais je ne puis pas y atteindre noi; plus si je crois avoir triomphé définitivement du mal. « La victoire n’est jamais qpi’une victoire momentanée ; si je h crois parfaite, c’est que je retombe sur les pentes du maL (II, p. 173). C’est dire — puisque le mal ne peut pas êtnanéanti et que le bien ne peut être réel que dans son combai contre lui — qu’il ne peut y avoir pour l’être temporel, pour la volonté, de satisfaction complète (II, p. 173). C’est diiaussi que la conscience du mal augmente avec la conscien<>< du bien. « Le mal est dans la conscience d’autant plus présent que la volonté est meilleure» (II, p. 173). Ne pa? avoir conscience du mal, c’est s’éloigner du bien, c’est resti:r dans l’indifférenciation et l’ambiguïté. Pour que je hk détOTime du mal, il faut que je sois en tension avec lui, il faut qu’il soit en moi. De là le lien entre le péché et l’existence : s Je suis moimême, mais en tan t que coupable » (II, p. 248). L’existenoidoit risquer et réaliser dans le Dflscml’impureté, pour entrê prendre, dans un sentiment de culpabilité, la réalisatioit de la pureté comme une tâche infinie (II, p. ^ 7 ). Il nes’agit plus d’être innocent, mais d’éviter le péché évitable, afin d’arriver au péché authentique, profond, inévitable, sain trouver d’ailleurs ici non plus le repos (II, p. 249). C’est que l’existence en tant que telle a conscience du péché (ïll, p. IIIL
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« * Nous étant constitués par delà les sphères du philoso> nliique, de Testhétique et du social, par delà les dangers du hasard et de la révolte, dans le mal uni à Teffort vers le bien, nous aurons à nous demander comment nous pouvons sorîir du péché. Ce sera par la communication. « La volonté de oir, la communication, la volonté de se révéler sont déjà par elles-mêmes des voies vers le bien» (II, p. 172). Je suis délivré si je me commimique (II, p. 311). Quand nous serons au fond du désespoir et du péché, nous serons tout près de la lumière. C’est là le tournant de cette dialectique existentielle. « L’extrême de la possibilité par rapport à l’abîme devient le point originaire de la réalité xistentielle» (II, p. 265). « Dans la décision du défi, il y a a possibilité du retour... La personnalité se presse vers lardon avec ce à quoi elle paraît s’opposer» (III, p. 175). Qu’est-ce donc au juste que cette angoisse que nous trouvons au tournant de la dialectique? « C’est Id vertige ïLle frisson de .la liberté qui se tient devant le choix» |1J, p. 265) et devant le néant (II, p. 266) ; une angoisse destructrice où je me sens toujours sur le point de me perdre rAtant que coupable {ibid.). Quand il n’y a plus de voie vers le salut, quand je me tiens devant le fait inévitable et choix ultime, alors se produit l’angoisse (III, p. 235). Êt, en effet, l’angoisse est le souci de soi-même poussé au point le plus haut. Or je suis avant tout l’être qui se soucie le soi, et toute philosophie existentielle est essentiellement ;e souci de soi (I, p. 270 ; II, pp. 24-35). Déjà nous voyons l’existence se caractériser par le fait qu’elle est option et dilemme, oscillation et rythme ; double .iltemative nous imposant im choix entre deux attitudes, t:l dans l’attitude que nous adoptons nous faisant passer d'un sentiment au sentiment contraire. L’existence nous limite par le choix et nous enrichit par le rythme à l’inté jiéur du choix. Ce double caractère, c’est celui que Jaspera marque quand il écrit : « Dans le Dasein, U n’y a de choix qu-’éntre une absorption sans tension et une réalisation pleine de tension et jamais définitive de l’existence» (II, p. 349). Donc, je dois choisir : ou bien il y a des décisions *,accen4c
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tuation de l’instant ; pas de retour possible ; je n’ai qu’uno fois la possibilité ; l’un décide ; il n’y a qu’un Dieu ; il n’v a pas de métempsychose, mais immortalité et mort ; où bien... {Il, p. 96), C’est dire qu’il s’agit de savoir que mto: décisions ont une valeur historique éternelle ; je m’éloigne du polythéisme pour entrer dans une vision profondémenl historique du monde, dans une vision tragique où tout ne se passe qu’une fois, où le temps décide de l’éternité. Je dois choisir et, par là, je dois risquer (III, p. 130). C’est ce choix même qui fait naître le bien et le mal. La volonté ne choisit pas entre le bien et le mal, mais, par son choix même, elle devient boime ou mauvaise (II, p. 171) (i). Ce choix se fera dans l’instant. Le temps existentiel sera le temps de rinstant. Je saisis le temps par la décision, et la décision a lieu dans l’instant. La volonté est la présence de l’éternel dans l’insteint (II, p, 162 ; III, pp. 55-61). La liberté de la volonté consiste en ce qu’elle se veut elle-même (II, p. 149). Vouloir, c’est choisir. Mais le lieuiL oe choix ne peut être connu objectivement ; on ne peut savoir objectivement où on doit décider et où on ne le doit pas. La volonté de la décision est existentielle (III, p. 9S). Il s’agit de me risquer à être moi-même, par là même que je choisis et décide (I, p. 3). Je prends sur moi ce risque (I. pp. 290, 113 ; II, p. 270 ; Vernunft, p. 69), Je décide te que je suis (1, pp, 15, 16), Je suis l’être qui, dans sa façon d’agir, décide de ce qu’il est (II, p, 35). Mon être est ainsi parce que je veux ainsi, et nous verrons plus tard eommeni cette volonté implique une transcendance qui en moi est donnée (111, p. 155). L’idée de ce choix absolu se relie à l’idée de l’inconditionnalité de l’existant (I, p. 25). C’est par la passion de l’in condi tionné que le Dasein devient existence (III, p. 190). L’exis tence se réalise comme inconditionnalité du vouloir dans le choix absolu (II, p. 160) et la vérité qui est présente pour moi est telle parce que je la vis inconditionnellement. La grande volonté est passionnée, mais non pas passionnée seulement par un but fini, passionnée, même quand elle (1) Cf. ce que dit K ie r x e g a a r d dans le C o n c e p t d ' a n g o i s s e :
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poursuit ce but fini, par l’idée qui ne peut pas être rendue àtisolument objective (II, p. 159). La décision existentielle se choisit de façon inconditionnée, du fait qu’elle se choisit elle-même à tout prix (II, p. 270). De même, la croyance est toujours croyance à l’inconditionné (I, p. 246). L’existant sera celui qui s’intéresse infiniment à lui-même ►'F! tant qu’existence (II, pp. 176, 206). II est rempli d’un intérêt existentiel pour l’être (II, pp. 424 ; III, p. 43). Et en quoi consiste le véritable sérieux existentiel IÜl,p. 33), et aussi la passion de l’existence dans ses décisions |I1. p. 291), une passion de Pâme désireuse de s’ouvrir, de se (Oiumuniquer ; désireuse d’acquérir l’iuconditionualité pro(.indément historique (I, p. 327). Poser la question de la liberté d’une façon existentielle, — et c’est d’ailleurs la seule façon dont elle puisse être posée, — c’est s’interroger à son sujet avec passion, en sentant qu’il s’agit là de l’être jiii-raême (II, p. 166). La passion, c’est le sérieux 03Î. Vernunft, p. 102). Aussi y a-t-il communication de moi avec moi. Je suis en rapport avec moi. « Je me parle et je m’entends ; dans ma <:olîtude, je ne suis pas seul ; une autre communication ^accomplit. » Je dois remonter sans cesse à mon moi le plus autbendque, à mon moi originaire. L’idée d’inconditionnalité est liée à l’idée d’origine (II, p- 124^ C’est en remontant vers mon origine que je me sens dans l’inconditionné. Il y a f!ômoi un élan vers l’origine (I, pp. 245, 246 ; II, çp. 276, 419). Et cette idée est liée par là à l’idée de bmitation, car on remonte à l’unité d’une décision qui vient de l’origine de la personnalité (II, p. 40). D’une façon générale, l’incondilionné est unité (11, p. 296). Je m’unifie en me vouant à i3Ré seule chose (U, p. 333 ; III, p. 116), en saisissant une 'Cille chose. L’existant sert exclusivement son Dieu (Lp. 261 ; II, p. 247). Il va vers la simplicité primitive et authentique (I, p. 266). En tant que j’agis dans le monde d’uiie façon incondiUàhüée, que j’aime d’ime façon inconditionnée, l’éternité t^gi dans le temps (I, p. 17). E t ma volonté ne reconnaît pour son Dieu que ce qu’elle connaît dans l’accomplissement de ce qui est pour elle inconditionné. Après avoir vu l’existence comme dilemme et choix iaconditionné, nous pouvons la voir en deuxième lieu
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comme mouvement perpétuel fait d’échecs et de victoire;'. Ses réalisations sont liées à ses défaites (II, p. 17). Je .suis sans cesse en retombée et en élan (III, p. 70). L’élan esl li.. à la chute et inversement. Je n’éprouve existentiellemeni l’un qu’à travers l’autre (lîl, p. 83). Mon salut sera hé à Taugoisse. Je n’irai au repos que par l’angoisse (III, pp. 237), à l’abandon que par le défi, à la croyance que par le scandale (III, pp. 79-80). Celui qui ne connaît pas h terreur et l’épreuve ne connaît pas la confiance (III, p. $2). Sans cesse, nous retrouvons ce même rythme: «Lemouvi,.ment de la conscience absolue fait sortir du négatif le posi tif... dans le non-savoir, dans l’évanouissement, dans Tangoissev (II, pp. 261, 267 ] cf. Vernunft^ p. 68 : la pensi-isaisit la transcendance à partir de l’échec). Cette angoisse n’est d’aiUeurs pas quelque chose de tem poraire. Nous prenons alors conscience de l’angoisse, en tan t qu’elle est liée essentiellement à l’existence. Noiir: arrivons ici au troisième caractère de ce mouvement existentiel. « De même que dans l’abandon nous ne trou vons pins l’aveugle bonheur du Dasein, mais un booheur saisi à partir du défi surmonté, un bonheur sur lequel flotl*; encore le voile de la maladie possible et prochaine, de menm il y a là ime douleur qui a la même profondeur que le défi surmonté, douleur où se révèle l’éclat du bonheur possible. (III, p. 75). La douleur ne disparaîtra pas an sein du bonheur, ni le bonheur au sein de la douleur. Il y a là un effet du rythme dont nous parlions, par lequel les élément? de ce rythme se conservent l’un dans l’autre. Cé n’est qup dans le triomphe sur l’angoisse que la décision de la conscience absolue peut être atteinte (llï, p. 265), mais l’angoisse subsistera dans le triomphe sur l’angoissi' (II, p. 266) ; le triomphe sur l’angoisse n’est pas sa sup pression. Dès lors, je m’élève au-dessus des considérations pure ment particulières de l’esthétique et des considérations purement générales de la philosophie conceptuelle. Au delà des régions desséchées où ne palpite pas le souffle de la liberté et qui sont gouvernées par le hasard ou la nécessité, j ’atteins le pays où souffle la vérité profondément histo rique (III, p. 82). La liberté me fait respirer dans les possi bilités de l’avenir (I, p. 3), en même temps qu’elle me relie au passé. Il n’y a de véritables inconditionnalités que dam
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ce domaine de la profonde historicité concrète (il, p. 330). K J'atteins la conscience absolue grâce à un acte par lequel je transcende le général pour retourner à la temporalité» (II. p. 256). Le moi cesse d’apparaitre comme un cas, un exemple de quelque chose de plus général, ou comme une partie existant en fonction d’un tout ; il est au delà de la sphère des devoirs ; « il sent un devoir-être plus profond, qui peut se tourner contre un devoir-être fixé clans une formule trop générale» (II, ç, 330). Les catégories ont ici changé leur sens ; le particulier devient supérieur au géné ral ; ce qui est relatif pour la connaissance simplement tiistorique devient forme de l’absolu (I, p. 47). Un renver sement des valeurs se produit. Nous quittons le jour de la loi pour entrer dans l’abime de la nuit. L’Un lui-même se dresse contre la clarté de l’universel et devient illégalité (III, p. 103). 0 Pour l’existence, la loi est l’obstacle dont elle triomphe afin de se trouver elle-même comme inconditionnalité dans Tordre qui la dépasse. » L’existence ne reconnaît la spéciIkité des différentes sphères de l’activité humaine cjue d'une façon relative, elle ne traite le relatif comme relatif que pour atteindre l’absolu comme absolu (cf. I, p. 261). La vérité existentielle est située au delà du général et est irréductible à la pensée. 11 y a opposition entre l’universel el l’existentiel (II, p. 427). Ici,ily a vérité authentians être moi-même placé dans cette catégorie (iàûf., p. 87). ITÿ a des actions vraies, existentielles, qui ne peuvent pas •Hiè saisies à partir d’une loi générale (II, pp. 355, 357). Nptis sommes dans le domaine de l’exception, du risque et Jirsecret. L’existence est naturellement dans le danger et danger. * Elle ne peut venir à soi que dans le péril i^DStant de l’indéfini de sa réflexion et dans le caractère problématique de tout» (II, p. 47). L’exception est ce qui Qepeut pas être fondé, c’est pourquoi elle est non seule ment incertaine objectivement, mais absolument sujette à
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discussion. L’exception doit se risquer. Et de même qu’ellr est liée à l’idée de risque, elle est liée à l’idée de péchf^ « Puisqu’elle ne peut pas se justifier objectivement, ellr éprouve en soi le péché. » E t elle est liée à l ’absence di:' communication. Son action se produit sans modèle et sans généralité. Elle est en butte aux incompréhensions, aux railleries, aux punitions les plus dures (II, p, 360). « UUniqpjes seront exclus et réduits au silence par tous 1«serviteurs d’une tradition objective, les Eglises, les partis, les écoles de philosophie dogmatique et rationnelle, par l’opinion commune» (lïl, p. 28). Ici, il n’y aura jamais accomplissement et perfectiou, mais seulement mouvement en avant, élan. Il n’y aurH jamais vérité morte, mais appropriation de la vérit(III, p. 22). Le philosophe reste en mouvement (I, p, 4): ü est seulement en devenir, sans que son accomplissemei.’ puisse jamais se trouver à un moment déterminé (II, p. 414}. Dans le temps, il ne peut y avoir accomplissement de ce qu. est rU nique (I, p. 261). L’inconditionnalité ne peut se réxv1er que dans un devenir infini. La pensée existentielle donc sans cesse en mouvement ; bien qu’elle soit dans uor constante présence, elle n’est jamais accomplie. L’existen<-f est toujoiirs sur le chemin ; dès qu’elle croit être arrivé au but, eUe est perdue (I, pp. 267, 275). Du reste, elle n-, fait ainsi qu’être l’expression du Dasein dans son ensembip. il n’est jamais achevé (II, p. 250). La vérité est en devenir {Vemunft^ p. 65). Ce devenir, cette dialectique seront devenir et dialectique discontinus, faits de bonds, de sauts. Soudain, je me trouvi devant la décision (II, p. ^ 5 ) ; en me fondant sur des rai sonnements, je n’arriverais qu’à des probabilités ; Pinçonditionnalité exige le saut (II, p. 81), saut au delà des objec tivités, par lequel je me rencontre moi-même (I, p. 316 : II, pp. 5, 35, 40, 177, 453, 419), saut qui ne peut èlrl’objet d’aucune description, d’aucune prescription, d'au cune généralisation (I, pp. 55, 324). C’est par un saut que; me place devant les situations fondamentales (II, pp. 204 207) et c’est un saut qui me fera aller au delà encioiv. vers l’endroit où la pensée cesse, vers la transcendance (II, p. 338 ; III, p. 67). L’existence sera une incessante mise eu question et un* incessante transformation de soi. Elle traverse des crisni
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pinstantes (I, p. 267). C’êst qu’eû effet toiat doit rester eïi r^estioa^ que ce soit dans le désespoir ou Tespérance, dans le bonheur ou l’échec, dans Tabsénce de sens ou la signifi^ation (III, p. 83). De là la tension antinomique de l’existant : c Nous .'.ppelons antinomies des .impossibilités de s’unir, des refus ije s’unir qui restent invincibles, des contradictions qui im résolvent pas, mais qui s’approfondissent par la pensée toire, des oppositions qui ne peuvent être intégrées, mais restent des blessures irrémédiables» (II, p. 250). Et, en •Ifet, c’est cela <îue nous trouvons et an fond du Dasem, et ali fond de l’existence : la liberté liée à la dépendance, la rAinmnnication liée à la solitude (II, p. 256), l’inexlricaibîiité des contraires. Il s’agit pour l’existant de maintenir contraires sans les atténuer (II, p. 209). Ce n’est que dans la tension des antinomies qfue réside la vraie appâri>ion de l’existence dans ses rapports avec la transcendance HT, p. 71). Par exemple, je serai dans une tension consiaMe entre le défi et l’abandon, entre le scandale et la rroyance, et le scandale reste dans la croyance, et le défi déiiviné reste dans l’abandon {III, pp. 70, 80, 82). L’exis■act refusant à la fois la mystique et le positivismé ,U, p. 208) sera au-delà du monde et pourtant n’existera ijii’en tant qu’il sera dans le monde. Tout lui apparaîtra comme relatif il relativisera to ut le mais en même temps le saisira comme un enjeu pour ii^qael on risqué tout. Le fait qu’il relativise ne réndra pàs >:^féél indifférent, mais en maintiendra toute l’importance, j’i r a i comme si le Dasein était absolu, et j ’aurai en même ipîfl^s conscience qu’il n’est rien ; c’est là la tension qùî aractérise la vérité de l’action inconditionnée en cem O i^ 295). Je donne une valeur infinie au Dasein et, en niètâe temps, je le relativise en tant que Dasein. «Le Dàseiâ •amexistentiellement est pour l’individu infiniment imporet pourtant il est devant la transcendance comme ntiiv» Il est infiniment important en tant qiie mu persons’en saisit, en tant que, par décision, je lui donné !MÏ^oids absolu en lui-même il h’est rien. Se tenir dans tetfe tension, c’est ce que Jaspers nomme la conscience profondément historique (II, p. 122) (*). Il y a donc une (1} Cf, K ie r
k e g a a r d , C o n c e p t d ’a n g o i s s e : Une
conscience éthique assez woerète et comportant par suite un moment historique.
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tension incessante entre Pattention passionnée et rindilf^;. rence- a Tout dans le monde est indifférent etj en mèiinj temps, tout peut être d’une importance décisive. La pa^ sion de l’action se lie à la conscience de la vanité de tout, mais de telle façon que le sérieux de l’action est par 1., approfondi (II, p. 209). C’est cet ensemble d’idées que J as pers résume dans cette formule pleine de signification ; î’inconditionnalité d ^ s l’iustoricité profonde est la nob1ess< de l’être (II, p. 171). Plus tard, nous verrons de même 1;^ tension de la décision coexister avec l’abandon et produir. ainsi une nouvelle tension (III, p. 97). L’existant, l’Unique est possibilité, et d’abord en ce sonque nous voulons seulement l’évoquer et non pas à p^lv prement parler l’affirmer (I, p. 320). E t il est possibilité en ce sens plus profond qu’il n’est jamais que projection, hypothèse existentielle, élan, liberté (I, p. 46 ; III, p. 229). Par opposition à tout ce qni de moi est devenu, je resiv ■possibilité (II, p. 35). Nous sommes ici dans la région de la solitude ; la pensée existentielle est une pensée solitaire. Ainsi la pensée de ta mort où l’existant prend conscience de son unicité. Chacun meurt tout seul (p. 221). D’une façon générale, dans !• domaine existentiel, je commets une erreur si je penne qu’on aurait pu me faciliter les choses et si je veux faciliter pour les autres par des règles (II, p. 163), « Seul
et devant eUe-même (II, p. 288). L’existence est résolution silencieuse (H, p. 311). Elle est unité de l’être et de la cen:munication ( Vernunft, p. 65). Aussi arrivons-nous à l’idée que l’intérieur, que l’incon ditionné ne peut se révéler (II, pp. 290, 298). « L’absolue ' sincérité de l’existence n’est, pas caractérisable objective ment, c’est-à-dire qu’elle ne peut se traduire par des actiorii extérieures» (II, p. 358), De là l’idée de la communicatinr indirecte ; l’essence de l’existence est Indirektkeü. Tandis que la communication d’un fait ne peut se fairque d’une façon claire, l’éclaircissement de l’existence^r^ peut se faire que d’une façon ambiguë et qui prête aui malentendus (I, pp. 27, 31, 46, 77, 319; II, pp. 23, 163,j 209 ; Vernunft, pp. 63, 79, 84, 88). Ce qui est mon origiruj
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ol ma vie ne peut être exprimé que d’une façon défectueuse, no peut être révélé que d’une façon indirecte. C’est ce qui SCvoit, par exemple, si on consulte l’histoire ; car celle-ci est essentiellement ambiguë : toute montée peut être inter prétée comme une descente {III, p. 100). Et cela vaut éga lement pour la métaphysiqpie. Bien d’objectif ne peut déciiler ( Vernunfty p. 84). Les réponses de l’existence restent à moitié comprises, comme une sorte de secret (I, p. 261). 1; existence possible doit sans cesse risqpier le malentendu p. 77). Par le malentendu possible, je risque dans la révélation de moi-même des situations humiliantes, je veux parler et ma parole reste sans écho ; mes paroles et lues actions ne servent qu’à me faire mépriser, moquer. L’éclaircissement de l’existence sera le langage de l’Unique s’adressant à l’Unique, il sera appel à l’Unique (I, pp. 31, 3 3 235, 240). Il n’y aura pas indication objective d’une voie, ruais tout au plus orientation, qui est au fond invocation. Née de la liberté, l’existence n’est compréhensible qu’à parLûrde la liherté'(I, p. 319). L’existence doit faire appel non ail savoir de l’autre, mais à sa croyance, Eifin que le moi soit lié au moi, afin qu’il y ait appel de TUnique à l’Unique (l, PP. 321 ; II, p. 77 ; III, p. 28). L’existence ne peut pas se pré<^2uter comme affirmation de l’existence ni prétendre être reconnue par les autres ; ni se prendre eUe-même comme but (II, p. 288). Ily a une pudeur de l’existence (II, p. 290). ‘ La pimosophie est le moyen de communiquer avec rUnique qui est pure possibilité, qui est inconnu de nous tl, p. 320). La communication n’existe qu’entre des Iniques (I, p. 313). ■Et ces Uniques ne se compareront pas les uns aux autres, ot il n’y aura entre eux aucune hiérarchie : ce n’est pas par une plus grande quantité de don naturel, de puissance rrtàlrice, de beauté ou de vouloir, qu’un Unique se distin^çra des autres, mais il sera l’Unique que chacun peut dre. Et il n’y aura pas plus égalité qu’inégalité entre les Uniques, car l’une aussi bien que l’autre est comparaison [Mrnunp, p. 106). 'Aussi l’Unique extérieurement ne se distinguera pas des aûCfes hommes. «Tout (dans TUnique en tant qu’il s’ex prime) doit continuer à apparaître allant de soi, tout natu rellement et sans surprise» (II, p. 290). Le sage d’aujour d’hui sera invisible (II, p. 407). ,
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La divinité parle-t-eDe directement? L’idée de commumcation indirecte est vraie pour Dieu comme pour moi. L;i divinité a fait l’homme indépendant (I, p. 62) ; e]li> m’enlèverait la liberté et la responsabilité si elle se montrait à moi {II, pp. 272, 273 ; III, p. 79). Elle ne veut pas l’abaudon aveugle," mais la liberté capable de défi et capal>i( aussi à partir du défi d’atteindre le véritable abandon (III, p. 79). La divinité me parle par la possibilité de h liberté- La théorie de la communication indirecte s’expliqUhr par les idées de liberté, d’existence et de transcendano-f c’est-à-dire par l’idée de la distance entre l’existence et h transcendance. La divinité transcendante parle sans parler, se révèle en restant cachée (II, p. 328). Plus on s’élèvera vers la trans cendance, moins on pourra s’exprimer directement (II!, pp. 22, 58, 67,165). La transcendance est toujours ambigin;, problématique (III,-p. 67). Son langage n’est pas compli.tement déchiffrable (III, p. 164). Elle ne parle qu’en chiffiv et son chiffre est essenti^em ent ambigu. « On peut dir . en parlant mythiquement, que le chiffre du diable est nu>,. visible que celui de la divinité. Le monde n’est pas une révélation directe. » Dieu restera pour le philosophe le caché, dont on ne peut approcher directement^III, pp. 152 156). Son chiffre sera le vide absolu ou la plénitude définitiv. (III, p. 235). Ce caractère indirect est marqué par h tension des contradictions (II, p. 209) et par îe rythni. par l’alternative du défi et de l’abandon (III, p. 70) (\, enfin par le non-savoir. Notre pensée sera d’aut:+r.: moins susceptible de former un tout accompli qu’elL s’approchera de l’origine. Ici tout est exposé au malenterd et il ne reste pour le simple savoir que de purs noms, qn nomment ce qui pour lui n’est pas (II, p. 276). Garaetèr. indirect et caractère négatif sont liés. Maintenant je pourrai me sentir en face de la transceii dance, a La transcendance se révèle dans mon attitude vi> à-vis d’elle. Je saisis son être seulement grâce à la façon (1) Nulle part, mieux que chez Kierkegaard, ne se voit, d'après Jaspen ce qu’il appelle la résolution négative qui maintient Tesprit eu une sort' d’oscillation (II, pp. 319-320).
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dont, par mon acte intérieur, je deviens moi-même» (lîl, p. 68). « Dans la transcendance, je n’atteins que ce que je deviens moi-même. Si je me diminue, m’efface et m’éteins jUsqu’à devenir une conscience en général, elle s'évanouit. Si je la saisis, elle est pour moi l’être qui est pour moi le^ veul être» (III, p- 150). « L’Un est l’être par rapport auquel je me comporte quand je me comporte envers moi-même comme envers mon moi authentique» (III, p. 122). Je ne saisis donc le transcendant qu’en m’enfonçant dans l’intensiié de mon immanence. Aussi la force des démonstrations de l’existence de Dieu réside dans leur intensité, non dans une preuve objective. •rSi les démonstrations de l’existence de Dieu laissent se [létrir dans la pensée ce à partir de quoi on démontre, les énonciations perdent tout contenu. La force des démons trations ne réside que dans le contenu, existentiellement rempli, de la présence de l’être» (III, p. 203). Les démons trations sont des chiffres, qui, suivant le langage de Jaspers, doivent être remplis d’une signification historique profonde (iùid.). A la rigueur, la transcendance ne se démontre pas plus qu’elle ne se montre (cf. Vernunfty p. 96). Comment saisirai-je la transcendance ? Par le risque et le danger, a Aucune autorité ne peut maîtriser et médiatiser ecl être. Seul est vis-à-vis de lui l’être qui s’approche de lui dans le risque.» Je dois risquer l’échec pour posséder la transcendance (III, p. 223). C’est en accueillant en moi le intiment de l’échec que j’atteindrai le transcendant (III, p. 220). De plus l’existence ne peut s’accomplir en restant uniipiement sous l’influence du pôle de la subjectivité. L’exisliUice ne peut s’accomplir complètement ni d’une façon ••l)jective, ni d’une façon subjective. Il y a \me inadéqualioR insurmontable entre l’objectivité et la subjectivité, l’existence doit aller de l’extrême de l’une à l’extrême de l'autre (II, p. 348). Aussi de même que Kierkegaard avait dit : La subjectivité CiStla vérité, et : La subjectivité est l’erreur, Jaspers écrit : ■'iUi conscience de sa liberté, qui est pour l’existant la SBTîIe vérité de son existence possible et qui n’est pourtant pas le vrai absolu, le rend coupable d’une façon incom préhensible» (III, p. 73). Et encore : «L’exception éprouve les deux choses ; la personnalité comme vérité et, en tant
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que ne pouvant pas se justifier objectivement, le péché i. (II, p. 366), _ Cette théorie de la subjectivité nous amène à celle de la croyance. La croyance est liée à la personne ; d’abord à la personne de celui qui croit ; Si la croyance est transformée en pur contenu intellectuel, elle devient objective et s’éva nouit (II, p. 279). Dieu n’est jamais Dieu que pour une existence individuelle (I, p. 258). Ensuite, à la personnalité de ce à quoi il croit, à la personnification de valeurs imper sonnelles : OElle est croyance en un Dasein présent, en ta nt qu’apparition d’ime existence et d’une idée». «La croyance en un homme en ta nt qu’existence est la condition préalable sans laquelle la croyance aux idées perd tout fondement. C’est seulement là où les idées sont réelles darxï^ les hommes en tan t qu’existence, qu’il y a croyance n (il, pp. 279-280). En ce sens, on peut dire qu’il n’y a de croyance que s’il y a un Dieu incarné. La personne qui croit sera aôtive dans sa croyance : tt Ce <][ue je crois, je le vis par ma personnalité, non pas objectivement, non pas passivement, mais comme mon essence, pour laquelle je me reconnais responsable i (II, p. 281). Et, d’autre part, cette action consistera dans un acte d’obéissance. Sans que Jaspers aille dans cette voie aussi loin que Kierkegaard, du moins peut-on noter l’inflnenci; de formules kierkegaardiennes lorsqu’il écrit : « Il n’y a pas réfutation de mon doute, mais seulement une action contre mon doute» (III, p. 204). La croyance est quelque chose d’originaire. Elle ne peut être fondée, elle est un non-savoir (III, p. 236). teLà où je sais par un savoir fondé rationnellement, je ne cicis pas. Reconnaître quelque chose qui est valable objective ment, cela n’exige aucun être de l’existence. Il y a donc non-vérité de la croyance quand elle se donne comme obje
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renonce à Tassurance de rapparitioii''dans le Dasem, elle s’en tient à la possibilité, car ne connaît dans le monde ni la certitude, ni l’impossibilité (II, pp. 281, 282). La croyance n’est pas voulue plus qu’elle n’est prouvée, îe veux à partir d’elle (II, p. 279). Elle n’est donc fondée ni sur, mon entendement, ni sur ma volonté (II, p. 281). Apres avoir dégagé cette absence de fondement rationnel ou volontaire dsins la croyance, nous sommes amenés à dire 00 qu’elle est. La croyance est profondément liée au doute. -Si l'on est sûr d’une sûreté comme quotidienne de la proximité de Dieu, la relation à Dieu est privée de sa pro fondeur qu]elle acquiert dans le doute.»«Le caractère caché Je la divinité, son retrait, veulent que l’homme se torture dans les doutes et les exigences (III, p. 127). Seule est authentiquement croyance la croyance qui s’affirme dans !e doute. Bien plus, il n’y a croyance que si il y a en même temps non-croyance (I, p. 147), que si la croyance sim porte, éprouve, connaît profondément!’incroyance (I, p. 253). Est réelle seulement la croyance qui peut voir la noncroyance dé telle-façon que celle-ci soit pour elle une possibilité, une possibilité qu’elle enferme eu soi. Il y a donc une tension entre la croyance et la non-croyance présente à l’intérieur d’elle et dont ^Ue a sans cesse à triompher {ibidSj. Il y aura non seulement doute dans la croyance, mais en même temps doute sur la croyance. « Objectivement, je ne sais pas si je viens à moi ou non» (II, p. aS). Je ne saàs pas si ma croyance est réellement croyance, si elle n’est pas illusion, et c’est le doute le plus terrible, mais aussi le ^us nécessaire à l’essence même de la croyance. Je ne crois que lorsque je doute si je crois ( Vernunfty p. 85). Je ne puis pas examiner ma croyance. Elle ne peut rési der que dans le mouvement de la communication existentieUe (III, p. 156). Mais quelle est la relation la plus profonde, la communi cation la plus essentielle entre les personnes, sinon la confiance (II, p. 281) et, finalement, l’amour qui fonde la confiance? La croyance est la certitude de l’amour en tant qu’être (II, p. 279). La croyance est liée à l’idée d’une volonté inconditionnée, d’une action inconditionnée (II, p. 279). Mais si elle tend vers l’inconditionné, elle reste néanmoins liée à ce monde, à
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ma présence dans ce monde. monde . « Au lieu d’ab d’aband andonn onner er monde pour uu au-delà, la croyance reste dans ce mondo à rintérleur duquel elle perçoit ce à quoi eUe doit croine dans le rapport avec la transcendance > (ibid). > C’est dire qu’elle n’est jamais située que dans la tensioij entre en tre l’immanence l’immanence et e t la transcen tran scendanc dance. e. « L à où, m ’ab aban an donnant moi-même et le monde, je m’unis à la divinité, devenant moi-même Dieu, je ne crois plus ; la croyance est étrangère à l’union mystique, car celle-ci ne croit plus, dit possède. possède. L a croyance est l’assurance de l’êtr l’êtree dans l’app l’appa a rition..., elle est la certitude dans un lointain simultané’ (II, p. 280). La croyance est-donc Uée à une sorte de théologie négative. Elle est le fait que l’on est préparé à tout supportée (II, p. 281). Telle est sa signification morale. Mais elle a une autre signification qui atteint le méta physique phys ique e t le métam mét amora orall ; e t Jasp Ja sper erss rappeUe rappeUe le mot de Kierkegaard : la croyance est être. L’existence est liée au choix, et ce choix devra être finalement le choix de moi-même. La croyance, en tan( qu’elle est affirmation à l’intérieur du monde, me permettra de me choisir choisi r moi-même. moi-mê me. « J e deviens ce que je suis com comme possibilité» (I, p. 27 270) 0).. Je m ’ado adopte pte,, je me charge de moimême (II, p. 183). «A partir de ma liberté, je deviens de toutes mes forces ce que je suis et ce que je peux» (III, p. 206). Il s’agit de prendre sur soi tout son caractère concret concr et (II (I I , p. 183) (^), de s’id s’iden entif tifie ierr avec avec sa réalit réa litéé profon profon dément Ùstor Ùs toriqu iquee (II, (I I, p. 28 288). tfli tf linn e iau ia u t donc pas me rep replie lier sur su r le passé, mais l’éveiller l’éveiller en e n quelque quel que sor s orte, te, m’éveil m’éveiller ler à mo mon prés pr ésen entt et à mon av aveni enir, r, pa parr là même que j ’éveille éveille mon passé e t me l’app l’appropr roprie ie (11, p. 126 126)... )... J ’attei at teins ns alors la véritable continuité. L’instant m’apparait comme appar tenant à une continuité d’apparition, à iine suite profon dément historique» (II, p. 127). Jaspers pagrle d’ime résignation active (II, p. 141), il nous montre l’existence possible comme se dmtinguant du monde, afin d’entrer authentiquement dans le monde. Elle se se détache du monde pou pourr conqu conquérir érir dan danss sa saisi saisiee du [1| Cf. KiERKBGiLXRD, Concept d’angoisse : c Les bizarreries, bizarre ries, le l es hasar hasards, ds, les détours de la vie ne s'effaceront pas pour celui qui en fait une partie intégrante de son âme .
j a s p e b s
et
e ie r e e g a a r d
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monde plus le monde ne peut pe ut être (II, (I I, pp. 4-6) 4-6).. Pour sentir tir la réalité dans toute tout e sa réalité, je dois dois être passé par pa r la possibilité. possibilité. « Je suis par pa r rap ra p p o rt au monde comme comme un èlre indépendant, lié à une réalité que j’ai amenée à l’exis ten tence à pa p a r tir ti r de ma sortie sor tie possible to r s d’ d ’elle elle »(I, pp. 35-3 35-36) 6).. C’est donc seulement après m’être écarté du inonde pour me joindre à la transcen tra nscendance dance que je pourr po urrai ai rejoindre rejoindr e le monde (II, p. 205). L’existant doit avoir d’abord délaissé le monde comme possibilité, afin de revenir ensuite à lui po pour le posséder positive posi tivemen ment, t, comme comme monde (I ( I I I , pp. 226, 226, 295). Il devient alors indiciblement beau dans sa richesse. Nou Nouss avons trouv tro uvéé ici un équiv éq uivale alent nt de cett ce ttee répéti rép étitio tion n religieuse que cherche Kierkegaard, grâce à laquelle le monde même prendra une valeur accrue par suite de son cont contac actt avec la transcendance. transcend ance. « La répéti rép étitio tion n est renfoifoi-ccement profondément profondé ment histori his torique que d’un d’un conten con tenu u existe exi stenti ntiel el ; t‘lle est la durée comme apparition de l’être profondément historique» historique» (II (I I, p. 130). 130). Elle est la fidélit fidé litéé (II, (I I, pp. pp . 136, 136, 137 ; III, p. p. 218 218) ; elle elle est es t amour am our;; l’amo l’amour ur est répétit rép étition ion (II, p. 17 178). C/est ainsi seulement que la fidélité est plénitude infinie, ple plein inee m a turi tu rité té ; son infini infin i n’es n’estt pas un infini infin i de m ort or t ; cette tte m atur at urité ité,, loin loin d’êtr d’êtree un accomplisse accomplissement ment définitif, est le le débu dé butt d’ d ’un mouvement mouvem ent ; il y a u n e jeimesse jeimesse éternelle de la décision (II, p. 270). L’existence revient au Dasein et à sa communication comme à la seule place où puisse être préservé ce qu’elle a éprouvé dans la transcendance (II, p. 168). Une fois qu’elle a acquis son fondement transcendantal (III, p. 236), pa par cette acti ac tion on de l ’incond inc onditio itionna nnalité lité qui est actio act ion n reli?icose (II, p. 321), la temporalité, sans cesser d’être empi rique, prend dans son inconditionnalité un nouveau caractère (II, p. 256), ou plutôt sa réalité empirique même >e transforme transf orme,, car ca r « la présence sensible, sensible, objectiv obje ctivee e t moi toi que j’étais ne sommes pas susceptibles de répétition» {II, p. 278). Je transcende en retournant dans le temps. No Nous sommes sommes m aint ai nten enan antt dans da ns la région du nouvel imm im m é diat, iat, de l’imm l’immédi édiat at médiatisé média tisé (II, (I I, p. 270 270 ; I I I , p. 130 130 ; 11, p. 256) 256).. Je me sens sens en ta n t que posé p a r la trans tra nsce cend ndan ance ce ( Vernanft^ p. 48). Tout en acceptant le sensible et l’empirique, nous les avoua dépassés ; nous avons été au delà de l’action éthique, nous avons atteint l’action religieuse (II, p. 321). Mais cette
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aetion religieuse a pour but chez Jaspers, beaucoup plus nettement que chez Kierkegaard, la conquête de Pobjcttivité {II, p. 337). L’idée de répétition va s’approfondir jusqu’à deve nir ridée d’éternité. Le passé reste au sein de l’éternité et le futur impossible devient possibilité transcendanU> (II, p. 141). Les trois aspects du temps suscitent chacun une attitude de l’existence. Le premier, le passé, suscite ]ji fidélité, fidél ité, le second, l ’avenir ave nir,, la possibilit possi bilité, é, ■le troisième, In prése pré sent, nt, la décision décision (I, p. 16 16). ). Mais ais ces ces tro tr o is attit at titud udes es rtn peuvent-elles peuvent-e lles s ’un unir? ir? En t a n t que la décision décision est es t temp
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ijii noa-savoir dans l’inconditioimalité de sa liberté ([I I, p. 229). De ce point de vue, il s’agit avant tout de ne l»as réaliser. « Ne pas réalis réa liser er devien dev ientt réalit réa litéé esis es iste tenti ntiel elle le lorsque la destinée est telle que toute réalisation serait déchéance.» Oo échappe à tout compromis, mais en même temps, on s’enferme dans la souffrance d’une possibilité «ans réalité. Cette existence sans réalité vit dans un tour* ment solitaire qui ne cesse pas ; elle se sent toute entourée l’incompréhensible et toute pénétrée par la conscience du péché péché.. « Cett Ce ttee existe exi stence nce ne se comprend compr end pas pa s elle-même elle-même et ne veut pas être connue ; elle vit une vie sans solution, a partir d’un héroïsme inconscient, dans la réalité du négalifet du possible» (III, p. 231 ; II, p. 2). Dans ces traits, ne reconnaissons-nous pas ime description d’une attitude kierkegaardienne ? La profondeur du Dasein est atteinte ici, rem plus par la répétition, mais par la non-réalisation [ibiil).
En effet, ce qui se rapporte à la transcendance ne peut •Mic saisi saisi d’une une façon façon adé ad équate à son s on essence si on le conser con serve ve l Utant que finitude, et ne peut, d'autre part, être préservé 4.1us son son insatisfacti insatis faction on si on le prend pre nd en ta t a n t qu’inlin qu’inlinité. ité. L'existence ne peut exprimer au sujet de soi ni l’infinité, ni )a finitud fini tudee ; elle elle est l’ l ’insatisf insa tisfacti action on invincible (I ( I I I , p. 6). I.'liomme est dans une position insupportable : il ne peut ni se livrer complètement au Dasein, ni lui échapper ti»mplètement'(ll, p. 297). Il est union difficilement pen sable de possibilité et de réalité (III, p. 152). No Nous voyons donc ici deux tendan te ndances ces en lutt lu ttee : l ’une vers lu répétition, l’autre vers la non-réalisation. Elles se trouvent cher Jaspers comme elle se trouvaient chez Kierkegaard. L’idéal réside évidemment dans la répétition, mais l’échec reste toujours possible, et même parfois la jien-ré jien-réali alisa satio tion n est inéxdta inéxdtable. ble. Dans l’un et l’autre cas, d’ailleurs, l’éthique à laquelle ils arrivent est celle de l’exception. Et, en ce sens, son caractère absolu est lui-même relatif (III, p. 229). L’action de l’exception sera action inconditionnée. Elle •^■i^seraît de l’être si l’homme se perdait dans le monde. Poser comme absolus des buts qui sont dans le monde, c’est la perte de l’inconditionnalité (II, p. 295). Tout Dasein doit vivre dans le relatif, à partir de compromis (III, p. 298), mais l’homme est perdu s’il ne gagne pas l’inconditionné
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{II, p. 299). La possibilité du mal réside dans le manquri d’incondilionnalité (II, p. 172). Cette inconditionnalité avec le risque qu’elle comporh . ce sera l’immortalité elle-même : l’immortalité ne sid)sisl. pas, mais j ’entr en tree en elle elle en ta t a n t qu’ qu ’existence. existen ce. La perso rsomtatalité qui acquie acq uiert rt l’élan l’élan s’assur s’assure, e, grâce à lui, l ’immortalité, immo rtalité, tt non pas par une perception claire. L’immortalité ne peut pas être êt re démontr dém ontrée, ée, car ca r tou to u tes te s les démon dém onstra stratio tions ns gé généralo-» ne peu p euve vent nt serv se rvir ir qu’ qu ’à la réfu ré fute terr (I ( I I I , p. 92). 92). Nous noH> souvenons de ce que disai d isaitt Kierkegaard Kierk egaard au suje su jett de Socra Socrato to : plus plu s que les preuves, preuves , c’est c’est le beau be au risque qui est preuvr-. L’Unique est l’inconditionné apparaissant dans le temp.^ rique et suprahistorique. L’historicité profonde et le carart tère originaire dont nous avons parlé (Ursprünglickkeiti seront unis (I, p. 310). L’existant, Mstoriquemeni, dans le temps, saisit Tètr.; (I, p. vu). Ce qui est relatif pour la connaissance simplement historique devient forme de l’absolu (I, p. 47). L’existant est dans le temps au-dessus du temps ; il décide dans le temps de son éternité (I, p. 16). Il décide temporollement s’il est éternel (II, p. 1): Je dois dois atta at tacc h e r une impo impor r tance absolue à la décision et à la réalisation dans le teni|K (II, p. 220). La volonté est la présence de l’éternel dan. l’instant (II, p. 162). Ce qui est éternel doit venir à i-ei comme être, dans le temps, par la décision (III, p. 102j. En tant que j’agis dans le temps d’ime façon incondition née, que j’aime d’une façon inconditionnée, l’éternité ei^t dans le temps. Il y a là un mystère, mon entendement ne [. comprend pas, mais dans l’instant je le saisis (I, p.‘17). Ji suis donc existentiellement intemporel, par là même que reste absolument temporel (II, p. 209). L’éternité est pisente dans le chiffre temporel lui-même (III, p. 218). Pas de pathétique plus haut que ce pathétique de h tem te m poral po ralité ité : « Rien ne peut peu t être êt re rétrosp rétr ospecti ectivem vement ent repri.' car le temps signifie décision éternelle» (II, p. 245). J ’atte at tein inss le plus ha h a u t inst in staa n t. « Quand Qua nd l’existe l’existence nce op opère sa trouée à travers l’immanence de la conscience, elle triomphe du temps.» Elle a définitivement dépassé l’ins tant «comme atome temporel qui ne fait que passer» ; elle
J A SP E R S Ë f K ÎE R K E 6A A R B
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filteint l’instant de l’éternité (III, p. 56), la plénitude de l'existant (II, p. ^ 9 ) . L’instant et l’éternel s’unissent, de même que s’unissent la tension de la décision et l’abandon qui vient du fait que Texistenee se sent comme apparition de l’être étemel. Le contradictoire devient existentiellement possible » (fil, P- 97). Nous atteignons ici le plus haut degré de ces leQsions dont nous avons parlé. Le paradoxe, qui était pour Kierkegaard, au moins au premier abord, essentielle ment le dogme de rincamation devient la vie même de l'existant par le fait du rapport entre Fexistence et la transcendance. C’est ce que Jaspers appelle le paradoxe de la conscience profondément historique de l’existence : 1 le temps évanouissant » enferme en soi l’être de l’étemité. Dès lors, l’existant « éprouve vis-à-vis de la transcen dance au point de vue le plus décisif cette nécessité qui le place complètement entre les mains de son Dieu». Il a conscience de sa liberté comme de l’apparition temporelle (}tji enferme en elle l’impulsion vers son propre anéantisstanent (II, p. 199). Se reposant en soi, il se livre en même liMups à son Dieu. C’est par l’inconditionnalité de l’existence que j’arriverai â la Iranscendance. Mais avant de le montrer, Jaspers éta blit fortement la différence entre la transcendance et l’exislence : « La réalité de la transcendance n’est pas traduisible on possibilité ; elle n’a pas de possibilité à partir de laquelle elle soit réelle, car cette séparation de la possibilité et de là réalité est la marque qui caractérise la réalité empirique. Celle-ci a toujours un autre au-delà de soi» (III, p. 9). L’existence est donc absolument séparée de la transcen dance, mais elle n’existerait pas sans la transcendance, et la transcendance n’existerait pas sans cette incondition* nalité à laquelle l’existant se voue. « C’est seulement en faut que je fais dans le Dasein quelque chose d’une façon inconditionnée que se révèle pour moi la transcendance» (lî, p. 123). Je dois d’abord transcender vers l’Un de mon fixjstence pom transcender vers l’ün de la transcendance f-tmversement, c’est parce que, au fond, j’ai saisi l’Un de la transcendance que je réalise l’Un dans mon existence (III, p. 121).
C’est seulement par ce risque absolu que j’arriverai à atteindre la transcendance : « Seul, le rapport à la trans-
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LA ï*El
oendance rend possible le fait que rhomme, dans le cn%d.. conflit, peut se risquer» (III, p. 98). C’est donc par la tran^^cendance que je suis comme existence possible, c’est-à-dirQ comme liberté, dans le Dasein temporel (II, p. 199). Et c’est par elle aussi que, lorsque mon existence a volé on éclats, je trouve mon fondement éternel (III, p. 223), D’autre part, c’est seulement pour ma personnalité q«ü y a transcendance (III, p. 120). Dès lors, je me place devant la transcendance (Kierke gaard disait : devant Dieu) (III, p. 5), je saisis ma liberté authentique dans sa dépendance transcendante (I, p. 26). C’est ici que nous atteignons le fond du paradoxe. Co qui est absolument historique, d’une historicité profond.^ ce n’est pas seulement l’existence, c’est son fondemeîjt. c’est la transcendance. Nous atteignons le mystère, Jh silence : « Quand cette transcendance est objectivée on expression et en forme, eUe est encore moins générale qur tout ce qui peut être dit dans l’éclaircissement de l’existence. Elle est quelque chose d’absolument incomparable et d’absolument tustorique dans l’historicité profonde, de telle façon que chacun de ses aspects est inadéquat, non seule ment ambigu, mais positivement trompeurs (II, p. 14?). Ainsi le mystère de rincamation devient le mystère dç toute incarnation et de la mienne propre, le mystère di mon être profondément historiqueGe que je saisis en moi, c’est ce qui est hors de moi ; ce qui est absolument historique dans Thistoricité profonde, c’eni ce qui dépasse l’histoire. « Le paradoxe de la transcendantr réside en ceci qu’elle ne peut être saisie qu’historiquement (dans rhistoricité profonde), mais qu’^ e ne peut pa>; être pensée adéquatement elle-même comme historique ^ (ÏII, p. 23). J’accomplis alors le saut vers la transcendance, le saut où la pensée cesse (III, p. 67). Je le fais dans l’échec et par l’échec (III, p. 233). Car la transcendance est la faillite do toute pensée (III, p. 54). La pensée ne peut faire sa dernière démarche que dans un acte de suppression d’eUe-même, cik' saisit la pensée qu’il est pensable qu’il y ait quelque chose qui ne soit pas pensable (III, p. 38). Mais dans cet échec même, je triomphe de l’échec, car « le saut de l’angoisse vers le repos est le plus immense que l’on puisse faire. Sa réussite est due au transcendant,
JASPBRS ET KIERKEGAARD
m
à re qui est au delà de l’existence de la personnalité a (lil, p. 235). C’est dans l’échec que j’atteins la plénitude existentielle ; l’échec de l’entendement est i’éveU de l’exis terice (III, pp. 54, 56). E t par l’existence même, j’atteins la transcendance. Ici apparaît ce que Kierkegaard appellerait la grâce : je suis resté devant le problème terrible « dont la solution est impossible jusqu’à ce que cette solution soit accordée » (II, p. 267).
les caractères indirects et négatifs
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LA PENSÉE SÈ L^EXtSTÊNCE
Senlj le silence peut répondre à ce silèncé (III, p. 233 Si on parle de la divinité, on en fait une objectiviL-. (I, p. 302). La solution des problèmes ne peut donc pas ctr*> ici atteinte consciemment ; elle réside dans la transcen dance inabordable (III, p. 223). La théologie négative est donc étroitement liée à h théologie de l’existence en tant que celle-ci est subjectivilp, liberté et communication. Chaque existence doit être pour toute autre existence l’origine inépuisable d’enriohissemem-nouveaux et la source unique de ces richesses réside dan? l’être caché (I, p. 275). Mais malgré ce lien qu’il y a entre la théorie de l’exis tence et la théorie de la transcendance, iï n’en est pas moins vrai qu’il y a différence absolue entre les deux. L’existence, dit Jaspers, n’existe qu’en tant qu’il y a communication ; mais la transcendance est ce qui est soimême, sans rien d’autre. Aussi la formule qui serait pour l’existence l’expression du mal : Je suis moi seul, peut ètr prîse comme expression de la transcendance (III, p. fô), Ce transcendant, c’est l’Un. « C’est l’Un, qui ne peut jamais être exprimé d’une façon complète» (I, p. 261). Et. en même temps, je puis dire que ce transcendant, c'e^i l’Autre. Car l’Un, considéré comme limite de ma penséi\ c’est l’être que je ne suis en aucune façon (III, p. 122). Il est ce qui est «tout à fait autre, incomparable» (lU. p. 164). De même que cet Un est en même temps ce qui est pour moi l’autre, je puis dire qu’il est à la fois l’objectif et qii îJ est l’être que je ne puis atteindre que par ma plus profond^^ subjectivité, et même par rapport auquel seul je ptviatteindre cette subjectivité (III, p. 122), Il est donc vrai à la fois de dire que dans l’Un de la transcendance je tromr ma propre personnalité et que ma personnalité se dissooi devant la transcendance (III, p. 121). Partout, ici, nous retrouvons le paradoxe ; la profondeur est liée à l’étroitesse ; la communication à la solitude. U paradoxe est partout l’expression indirecte de la vérité {V&"nunft, p. 84). Je deviens moi-même en tant que je me livre à Dieu, que je m’abandonne à lui (III, p. 75), supportant les pires dou leurs, m’en faisant encore un bonheur et me détruisant. Toute idée de mérite a disparu (II, p. 59 ; III, p. 82). Mais, ),
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rti même temps, je ne puis être complètement absorbé par la transcendance : d'une part, la divinité maintient sa transcendance, son caractère caché, lointain, étranger (III, p. 168), et, d'autre part, l’existence, mon existence, pst la réalité qui maintient la distance entre elle et lui et ► Varie d’elle l’identification avec la transcendance. C’est Jaiis cette plus ^ande proximité que se révèle le plus clai rement le lointain absolu (III, p. 65). Déjà, dans la consrieiice morale, bien que je me dirige vers la transcendance, je reste posé sur moi, posé en moi, et de même, dans la conscience religieuse, il y a une dualité qui se maintient tou jmirs, « C’est pourquoi je ne puis jamais être, dans le Dasein icmporel, auprès de la transcendance, mais seulement iti’approcher d’elle ou reculer loin d’elle, monter on tomiier... Si j’étais auprès de la transcendance, le mouvement losserait ; il n’y aurait plus de temps» (III, p. 102). L’exiskmee se sait en face de la divinité et non pas identique à rlle ; une unité définitive est impossible dans le Dasein temporel (III, p. 79). Et pourtant, cette transcendance qui n’est miUe part en même temps partout ; il y a une omniprésence de la •ranscendance (III, p. 61). Mais, par une nouvelle contradiction, nous dirons que ce rpii d’abord nous apparaissait comme n’étant nulle part, puis comme étant partout, est quelque part. Cet être caché dans une certaine mesure abordaitle dans ce que Jaspers appelle le chiffre. Qu’est-ce que le chiffre ? Il joue chez jaspers un rôle assez analogue, semble-t-il, à celui que joue i’idée du Christ chez Kierkegaard, k Le chiffre est la parole de la transcendance par laquelle elle s’approche de l’homme, loais non pas en tant qu’elle-même.» La trai^cendance est lointaine, vient d’un être lointain ; elle vient comme une force étrangère dans le monde et parle à l’existence. EUe s'avance près de l’existence, sans jamais lui montrer plus Hu’nn chiffre (III, p. 164). Dans cet «ici» et ce «mainiertànt» du chiffre, ne reconnaissons-nous pas l’apparition # Dieu ? « Comme chiffre, la réalité est le miracle, c’estA-dire ce qui arrive ici et maintenant, en tant que cela n’est pasTesoluble en quelque chose de général et en tant que cela est pourtant d’une importance décisive, puisqu’ici se révèle l’être dans le Dasein pour l’existence, qui accomplit le mouvement vers la transcendance» (III, p. 172). is
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LA PEGlSÉE DE
l
’ e XISTEKCE
Et la détresse du Christ an Mont des Oliviers, ne pour rait-on pas dire qu’elle symbolise «l’existence dans son objectivité en tant qu’elle a sans cesse un sentiment de sa faiblesse» ? (Il, p. 2^ ) . En suivant encore la théorie du chiffre de Jaspers, nous pourrons dire que la transcendance, en tant précisément qu’elle vient jse révéler à nous, en se sacrifiant elle-mêoif, est amour. « L’amour est la réalité la plus incompréhen sible de la conscience absolue, parce qu’il est sa réalité la plus évidente. Là est l’origine de toute richesse. Là est l’accomplissement de toute recherche... L’amour est infini ; il ne sait pas objectivement ce qu’il aime et pourquoi ij aime... C’est à partir de lui-même qu’il fonde ce qui est essentiel, il ne se fonde pas.» L’amour est clairvoyant ; devant lui se révèle ce qui est. L’amour est la confianc»? absolue, l’amour est ce qui ne peut être perdu (1 1 , pp. 277, 278). En même temps qu’elle peut être appelée amour, In transcendance peut être appelée liberté et créatrice liberté. Cet être libre m’a créé, moi, autre être libro (II, p. 49). Le moi a conscience de dépendre d’une transcen dance qui a voulu l’extrême de ce qui est possible, qui a voulu une personnalité libre, capable d’être son origine à ellemême (II, p. 49). La divinité me laisse venir à moi à partir de ma liberté (III, pp. 75,168), et c’est en me refusant les objectivités, en m’accordant les subjectivités, c’èst eîi refusant à moi comme certitude et en s’ouvrant à iiirn comme croyance, que la transcendance préserve ma liberté (II, p. 322). « L’existence se conquiert dans l’obscurité de la transcendance » (ibid.\ et dans cette obscurité de la transcendance, eUe conquiert la transcendance elle-mênte. « L’existence n’éprouve de la divinité, indirectement, que ce qui devient réel pour elle à partir de sa propre bberté i (II, p. 227). A la conscience de cette liberté en moi et dans la trans cendance vient se joindre la conscience de la grâce que mo fmt la transcendance. Si on prend isolément soit la cons cience de la grâce, soit la conscience de la liberté, on ne peu': rendre compte que d’un aspect de la réalité. Mais «Tlà tension de ces deux pensées est l’expression, pour la conscience, de l’expérience qu’elle fait, dfe l’impuissance de la volonté» et de la puissance de sa liberté (II, p. 198).
JASPBB S 2 T Et EREEGAJLR D
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Et l’extrême du possible, le miracle, devient possible. Il L’action inconditionnée montre que ce qui paraissait Être loi n’était pas loi ; elle montre par la réalité ce qui est possible.» Grâce à l’inconditionnalité, une rupture du Dasein s’est réalisée (II, p. 296). Sur plusieurs points importants, la pensée de Jaspers se distingue de celle de Kierkegaardi Jaspers fait remar(mer que «la communication de moi à moi est affaiblie si la transcendance en tant qu’elle est un toi est trop rapprochée du moi et par là dégradée » (III, p. 167). De ce passage on pourrait peut-être conclure que pour lui le Dieu de Kierkegaard n’est pas une divi nité assez transcendante. D’autre part et par un reproche contraire, il critique, semble-t-il, la transcendance Merkegaardienne comme étant trop détachée du monde. « L’amour pour la transcen dance ne peut être réel que comme transfiguration du monde, transfiguration pleine d’amour» (III, p. 167). Il s'agit d’unir la transcendance et l’affirmation du monde (111, pp. 138,139,151). Et, en effet, le paradoxe de la cons cience profondément lustorique de l’existence, à savoir que le temps évanouissant enferme en soi l’être de l’éternité, ne signifie pas que l’éternité soit ailleurs que là où elle appalâît temporellement (II, p. 129). L’abandon à la divinité S'accomplit dans le monde, sans la médiation duquel aucune voie ne conduit à la transcendance (III, p. 75). Aussi Jaspers critiquera-t-il l’ascétisme. L’ascétisme détruit le caractère profondément historique de l’existant. 6^st une spiritualité qui s’éloigne de la terre, qui retombe ââos la nuit {III, p. 108). ii^inalement ü pense que Kierkegaard a, au moins parfois, manqué d’audace, c (Juand je m’attache à ma possibilité, jçrme refuse à entrer dans le grand Jour de mon destin. La #ïnte devant toute fixation dans un métier, dans le nSriage, dans un contrat, devant tout lien irrévocable, éptpêche ma réalisation.» On arrive à une existence dans JtTiide (III, p. 111). Au secret kierkegaardien, Jaspeis^en Vient à opposer et finalement, semble-t-ü, à préférer l’idenmé hégélienne de l’interne et de l’externe (III, p. 112). Il criticme le culte de la non-réalisation qu’il y a chez Kier kegaard (III, p. 231), et auquel,. d’ailleurs, lui-même semble parfois dans son livre avoir sacrifié. L’individu
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LA PEK SE E DE L EXISTENCE
kierkegaardien reste sans monde et sans communication (II, p. 319). Autrement dit, il faut compléter les enseigne ments de Kierkegaard. « Je ne suis rien si je ne fais qu’être ; la personnalité est l’unité de ces deux choses : l’indépen dance et l’acte de se livrer au monde et à la transcendance j (II, p. 48). 11 faut remarquer, en outre, qu’il y a un appel à l’autorité dans les conceptions de Kierkegaard que Jaspers ne peut accepter (II, p. 273). On risquerait ainsi d’être amené à une matérialisation de la transcendance. «Je prends une réalité qui reste sensible, si spiritualisée qu’elle puisse être (autorité d’un prophète, d’une église, d’un prêtre), pour la transcendance» (II, p. 322). Aussi pour lui, plus encore que pour Kierkegaard, l’exis tence se conquiert dans l’obscurité de la transcendaacc\ sans exigence et réponse objectivement certaine de celle-oi: {ibid.) (^). L’existant doit maintenir contre tout, contrf' toutes ses formes propres, et contre la divinité elle-même, son propre droit, que la divinité transcendante, de son cii?l lointain, lui donne. Dieu veut comme transcendance que je sois moi-même (III, p. 168). Et enfin, Kierkegaard a peut-être trop séparé les diverses activités humaines, et on pourrait peut-être lui appliquer ce que Jaspers dit au sujet de la conception esthétique : a Les directions de l’être humain qui sont représentées comme accomplies dans les idéaux du saint, du héros, du poète, du sage, sont tellement liées entre elles que leur séparation empêche que l’on découvre la racine de l’être humain» (II, p, 410). Il n’en reste pas moins que Kierkegaard a été pour Jaspers source de réflexions à la fois par son être et par s^i pensée. Par son être, car il est l’exemple d’une méditation va à la profondeur par sa limitation et son étroitesse ; il est l’exemple aussi d’une méditation où l’échec a un rôlo essentiel ; et enfin il montre ce qu’est une philosophie liéià une expérience historique. Par sa pensée, et, en effet, il a pris conscience d’une façon générale, ou plutôt d’urw^ façon qui unit généralité et particularité, du rôle de h (1) Mais il reconnaît que la ■ personnalité en tant que telle, sans objec tivité, existe par son entrée dans le général... C’est son devenir qui consiste à grandir dans les objectivités» (II, p. 353). Ici encore, il .semble vouloii tenir compte des conceptions d’un Hegel.
JASPERS ET KIERKEGAARD
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limitation, de Phistoire, de l’échec pour toute pensée. Mais, û \Tai dire, la distinction que nous venons de faire n’est |[)récisénient pas valable pour Kierkegaard, ta nt sa vie et sa pensée sont unies l’une à l’autre, et, c’est là la raison pour laquelle il a pu servir de modèle à la pensée de Jaspers, en lui montrant comment réflexion et vie s’unissent dans l’existence. .\insi, au risque de paraître diminuer sa valeur propre, nous avons suivi la pensée de Jaspers en nous attachant julucipalement à ce qui en elle dérive de Kierkegaard. Ce f[ue nous avons surtout voulu voir en elle, c’est l’effort qui la constitue et qui nous permet de distinguer ce qui, dans les méthodes de pensée de Kierkegaard, est susceptible d’être généralisé, d’être appliqué à tout individu, en tant qu’il veut être lui-même En même temps, nous avons vu ccmiment Jaspers exprime d’une façon philosophique cette idée d’un lien entre l’existence et la transcendance qui est au fond de la pensée kierkegaardienne. Grâce à la médita tion de Jaspers, on peut saisir plus facilement ce qui, dans l'espérience infiniment personnelle de Kierkegaard, peut être mis à profit pour d’autres expériences, elles aussi individuelles (*). Tout en ayant conscience de ses liens avec la religion traditionnelle d’une part, et avec l’incroyance moderne de Pautre, le philosophe ne sera ni un croyant au sens ordi naire du mot, un adepte d’une religion déterminée, ni un incroyant. Pour le croyant, nous dit Jaspers, il sera un athée, pour l’incroyant, un prêtre sécularisé. Il est celui ([ui questionne, et sa question, bien qu’il ne sache pas à qui il s’adresse sinon à lui-même, a une intensité au moins aussi grande que celle d’une prière. Relativisme, dira-t-on, mais ce serait là faire évanouir la volonté d’intensité qu’il y a dans cette philosophie, ample à l’extrême parce qu’elle veut embrasser en un sens fl) Pour cela, ü n’est pas de meilleure voie que celle qui est indiquée pr Jaspers lui-même et qui a été suivie par lui ; étudier en même temps Nietzsche et Kierkegaard et les interpréter l’un par l’autre, c L’essentiel, dil-il, c’est ce qui leur est commun» { V e r n u n f t , m 112). f2) Jaspers a extrêmement bien montré comment Kierkegaard etNietzsche échappent aux classirications ordinaires ; sont-ils poètes, philosophes, pro phète, saints on génies ? Ils constituent un nouveau type de réalité siunaine [ V e m u n f t , p. 17). Leur vocation est d’être «exception» ; la fin qatjemble leur être assignée est d’échouer (téûl.).
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LA. PSNSÉE DE l 'BXISTEKGE
toutes les expériences, mais étroite à l’extrême parce qii’oll' veut que chacun s’enferme dans son expérience propi.•. Philosophie de l'affirmation et philosophie du problèrne de l’énigme ; d’une énigme dont il n’y a pas de mot. Chaqiu passant prend pour soi la forme du Sphinx, et le Sphinx dépouille toute forme.
II Le problème du clioisc, resistence et la transcendance dans la philosophie de Jaspers
La philosophie de Jaspers est à la fois négation de tout système et affirmation qu’un système est nécessaire ù l’intensité de la vie de l’esprit. Elle est faite de deux propo sitions qui se heurtent l’une l’autre (quoique la pre mière, fonde, d’après lui, la seconde). (lomme le monde qu’elle décrit, elle est une philosophie ossentieUement déchirée. Et, de même encore, elle est appel à la considt'ration de l’existence, mais affirmation aussi que cetttexistence n’est possible que par une transoendanoeinconuu.^ Deux fois, de façon d’ailleurs différente, elle est en quelque s o ^ négation d’elle-même. L’existence n’est possible que par l’objectivité qu’elle nie et par la transcendance qui b nie ; elle prend place entre les deux, et sa valeur vient de cette place. Ainsi cette philosophie, telle que je la présenterai ici, seru avant tout réflexion sur le choix et réflexion sur là traiis cendance. I. —
Le
monde
déchiré
jaspers nous dit : « Si je pense un être, c’est toujours m être déterminé, et non pas l’etre» (I, p. 19 : III, p. 2). L’ètrten tant qu’unité se réduit à la vague détermination déJa copule, comme fonction ambiguë et indéterminée d’expres sion (III, p. 2). Mais ce ne sont encore là que des proposition) bien générales. D’une façon plus précise» il noua dit que l’être,
LE PROBLEME D ü CHOIX
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c’ést soit l’être cofiune objet, soit l’être comme moi) soit l’être en soi. «Aucun n’est l’être aisolument, et aucun n’est sans l’autre, et chacun est un être dans l’être». Mais, ajoutet-il, la totalité de l’être, nous ne la trouvons pas. Ce n’est ni le caractère commun, ni l’origmc do tous ces êtres. Ils sê repoussent et s’appellent l’un l’autre sans que- nous puissions les enfermer dans un genre. Bien plus, chacun de ces mondes est lui-même déchiré, ne se voit qu’en perspectives partielles et discontinues ; ni le inonde scientiliquê (I, pp. 19, 276), ni le monde des valeurs, ne peuvent être unifiés. Le monde acientifiqQie n’est visible (m’en fragments séparés (I, pp. 19, 276). Le monde des valeurs, o’est*à-dire des conceptions du monde se font les existences, est multiple. « La brisure de toute l’authenticité en croyance religieuse et en croyance philosophique, et de celles-ci à leur tour dans la multi plicité' ées croyances qm se trouvent des deux côtés, est notre situation dans l’ici-bas» (I, p. 316). Quant au monde des existences, fondement des deux autres mondes, ü est irréductiblement hétérogène à sûi-même. « Si j ’obtiens une assurance croissante de l’existence, c’est toujours de la mienne propre et de celles qm sont en communication avec moi. Nous sommes chaque fois un irremplaçable et non pas un exemple d’un genre qui serait l’eidstence (^).» «Le mot, l’idée d’existence n’est qu’un signe pour nous indi« <{Qer de quel côté il faut chercher cette s^surance person« iielle croissante d’un être qui n’est objectivement ni pen sable, ni valable » (I, pp. 19, 26). Il n’y a donc pas de généralité de l’être; «l’êtren^est pas fermé en soi et sur soi comme un objet» (II, pp. 109, 1^)« Il n’est pas objet de pensée, de système ou de spectacle (11, pp. 19, 206). Il n’y a pas de système de l’existence (*) (I, p. 276). Il n’y a pas d’homme en général ni de divinité en général (I, p. 316). Le Dieu unique né peut pas devenir (1) Cf. H a h o b l , J o u rr u d M éta p h y s iq u e , pp. 42, 64, 98, 418. Je ine suis efforcé, dans oes notes, d’indiquer les points où la tentative de Gabriel 'Slarcel vient rencontrer celle de Jaspers. (J’ai également noté les rappro chements entre Jaspers et Kierkegaard, qui, ceux-ci, s’expliquent par une Joduence directe.) G. Marcel a en le sentiment de ces rencontres, Cf. Recherches philosophiques, 1933, pp. 322, 325 (article reproduit dans Ilu Refus à rinweaiion), auquel je renvoie chaque fois qu’il traite d’une des questions touchées icL (2j Cl. des formules analogues dans Kierkegaard^
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LA PEN SEE
DE
L EXISTENCE
une transcendance objective pour tous (ÎIÏ, pp. 118, 123). Le contenu métaphysique ne peut pas être saisi comme une acquisition intemporelle qui ferait irruption ici et là- II n’est pas objet de savoir : car il n’est pas transcendance universelle, mais chaque fois transcendance pour une exis tence (III, p. 22). Plus le monde est vu d’une façon vraie, plus il est vu d’une façon déchirée (II, p. 253). Jaspers met d’abord en lumière la déchirure essentielle du monde Partout on se heurte à des échecs ; de ce qui est pensé, on ne peut déduire la pensée ; de l’individuel, on ne déduira pas le tout ; de la raison, on ne déduira pas l’irrationnel ; et les opérations inverses ne seront pas davantage possibles. Mais ce mot, cette idée de déchirure simplifie peut-être trop la situation. Si, en effet, j’étudie les rapports de l’être en soi et de l’être en moi, je vois que dans le rapport de ces mondes réside une ambiguité : le monde apparaîtra tantôt comme donné, tantôt comme produit par moi. « S’il était tout à fait l’un ou l’autre, il ne serait plus monde ^ (I, p. 77). Il se caractérise par cette double façon dont je puis le voir, par la dualité des interprétations que je puis toujours en donner. Ce n’est pas tout encore- En même temps qu’il y a déchirure de ces aspects de la réalité, il y a — si difficile que cette affirmation paraisse à admettre si on admet la précédente — empiètement des uns sur les autres. Nulle part ceci ne se révèle mieux que dans l’oeuvre d’un artiste génial, d’un artiste existentiel : car celui-ci veut autre chose que la conformité aux lois esthétiques (I, p. 260). Ce qui se voit dans l’art peut se voir partout ; et c’est ce qui explique qu’à l’intérieur de chaque sphère il y ait lutte entre le contenu et la forme, le contenu tendant sans cesse et devant tendre à briser la forme. Il y a lutte entre la philosophie et la forme du système ; eue se reprend tou jours hors du système et le brise (I, p. 271). Et c’est préci sément parce que la philosophie de Hegel nous donne le sentiment d’un triomphe total sur les déficiences de l’expé rience qu’elle ne peut nous satisfaire (I, p. 276). Aussi la philosophie consiste-t-elle dans une tension permanente, comme l’art, comme toutes les grandes activités humainesi (1) Cf.
Ma r c e l ,
article cité, pp. 344, 347.
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LE PROBLEME Dü CHOIX
IL —
L ’e x i s t e n c e
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c h o ix
Si ce que nous avons dit sur cette irréductibilité et sur cet empiètement des sphères est vrai, c’est donc que la ques tion de l’être restera sans réponse, — à moins qu’on lui donne une réponse existentielle, fondée sur la plénitude même de l’existencce (III, p. 37). Car les négations aux quelles nous avons été réduits vont amener une affirmalion : l’absence de toute solution rationnelle, l’absence de toute solution à l’aide du simple savoir va permettre, va exiger l’activité de ma liberté (III, p. 78). Il n’y a d’exis tence et, au sens où Jaspers prend le^ot, de communica tion possible que parce qu’il y a autre chose que des objets (^). « S’il n’y avait rien d’indéterminé, il n’y aurait pas pour moi d’existence» (II, p. 123). «Je dois vouloir parce que je ne sais pas ; le non-savoir est l’origine du devoir-vouloir» (II, p. 191). De même pour la communica tion : « Il n ’y a de communication que lorsque fait défaut le refuge de ces objectivités non-personnelles, autorité d’im lîtat et d’une Église, d’une métaphysique objective, d’un ordre moral définitif, d’nn savoir ontologique» (II, p. 166). Pour faire place à la croyance, il a fallu détruire le savoir. C’est que l’existence sera l’acte de briser la réalité donnée fil, p. 8). Je devrai donc partir de l’existence, de mon existence. « Sans elle, la pensée et la vie se perdent dans ce qui est sans fin et sans essence.» « L’assurance insaisâtssable de rinconditionnalité de l’existant est ce qui va donner substance et plénitude» (I, p. 25). C’est ce nonobjectivable qui est le centre de notre être (®). On comprend que de ce royaume de l’existence et de la communication on ne puisse se faire ni une idée objective [tiiUAe idée totale. «Jamais le cercle des expériences exis tentielles ne devient une totalité. La pensée d’un royaume des existences, comme d’une totalité dont je serais membre, hsI, en tant que pensée distincte, dénuée de fondement» (il, p. 420). Même les différences entre existences ne sont pas pensables par la pensée proprement dite : car, pour jpie ce fût possible, il faudrait qu’une existence se déta il) Cf. M a r c e l , Journal Métaphysique, toc. cit. e t art. cit., 1933. (2j Id„ ibid., pp. 147, 278.
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LA PENSÉB OE L*EEIST£]!fC£
chât de soi-même (Ibid., p. 422). Ansst une philosophie des existences,ne peut ^ présenter sous formé d’une moiia^ dologie. « Une monadologie qui voudrait constituer un savoir de l’être dans ses formes multiples confondrait la conscience en général et l’existence» {Ibid.^ p. 432), Les existences ne sont jamais visibles d’un point de vue qui serait situé hors d’elles (I, p. 276). Mais il faut aller plus loin. L’exutence peut-elle, à pro prement parler, être pensée philosophiquement ? La pÙlosophie ne peut s’appliquer qu’à l’existence passée ou à l’existence à venir ; jamais elle ne s’applique à l’existence en ta nt que présent. « La philosophie vient toujours aven un retard, afio de pel'mettre à une réalité qui n’est plus de se connaître soi-même et de la conserver dans l’être par h souvenir. Hegel la compare au hibou de Minerve qui prend son vol dans le crépuscule ; Nietzsche la nomme l’étincelle qui allume de nouveaux feux.» Elle est en retard ou en avance (I, p. 268), au delà ou en deçà (II, p. 423). Mon entendement ne peut pas saisir cet instant éternel, qui est celui de mon existence. «Cela ne s’éclaire que dan» l’instant et ensuite dans un souvenir plein de doute. L ne possède jamais cela comme une possession extérieure^ (I, p. 17) (1). L’existence est donc insaisissable, parce qu i! y a tou jours une séparation, une distance entre la réalité existen tielle et la pensée (1, p. 47). La proposition : je suis une existence, n’a pas de signification, car l’être de l’existence n’est pas une catégorie objective sous laquelle je puisse me ranger. L’existence est ce je suis, non ce que je pub voir on savoir (II, pp. 16, 22). Je ne verrai jamais que de? aspects de mon mol, non
LE PROBLÈME DU CHOIX
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L*existence sera perpétuellement dialectique, au sens où Kierkegaard prend ce mot ; elle sera passage de pensée à pensée* C’est en ce sens cpi’elle est liée à la raison. L’exis tence veut se comprendre elle-même et ne se comprend jamais complètement. Aussi n’y a-t-il pas une attitude, vis-à-vis de la mort, par exemple, dont on puisse dire qu’elle est juste. Bien plutôt, mon attitude vis-à-vis d’elle transforme par bonds successifs qui marquent chaque fois une conquête, to ut au long de la vie. «La mort se transforme avec moi» (II, p. 229). La Weltanschaimiig, à l’intérieur de laquelle je me tiens, je ne puis jamais en avoir une vue complète ni une vue achevée (II, p. 2 ^ ) . c Tout ce que nous en avons atteint est mort ; rien de ce que nous avons accompli ne peut vivre. Comme spectacle pour les antres, une vie peut avoir ce caractère de quelque chose d'absolu ; eu elle-même, en tant que réelle, elle ne peut j'avoir» (II, p. 22S). Car elle sera dans un élan incessant ; sêtre en élan, tel est un des caractères essentiels de l’existéuce» (III, p. 125) (1), Il s’agira donc d’une conquête, et d’une conquête qui ne doit jamais détruire les éléments dont elle triomphe. Celui qui espère doit conserver en lui, dominé, mais non détruit, «ou désespoir. Oublier ce désespoir, oe serait aussi néfaste que de se perdre en lui (II, p. 1^7). L’existence est donc vis-à-vis de la transcendance en des relations oonstamxnent antinomiques, dans le défi et l'abandon, la retombée' et la montée, dans la loi du jour et la passion de la nuit (III, p. 120). Je vais sans cesse de l’un à l’atitre de ces contraires. Bien plus, vis-à-vis d’elle-même, la conscience existen tielle sera toujours en tension antinomique. Ainsi, elle sera tension entre la subjectivité et l’objectivité (I, pp. 47, 57; 111, p. 71), non pas union des deux, mais passage de l’une à l’autre. L’existence ne pourra s’accomplir ni dans l’une ni dans l’autre ; ce serait pour elle se détruire (II, p. 348) ; elle cherohe sa voie tour à tour dans chacune ; elle doit toujours aller de l’extrême de Tune à l’extrême de l’autre «t inversement (II, p. 337). Et la coïncidence de l’objectif é t du subjectif ne sera jamais parfaite. 11 subsistera toujours (1) Sur les rapports profonds entre Tidée de possible et l’idée d’existence chez Jaspers, voir M a r c e l , a n . c it., p. â21.
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LA PEN SEE DE L EXISTENCE
entre eux une inadéquation, née de la brisure primitive. De même on voudrait penser une synthèse du monde du jour et du monde de la nuit, Vun qui est le monde des tâches virilement acceptées, l’autre qni esi celui du sacrifice pas sionné ; mais cette synthèse ne peut être accomplie en aucune existence ; chacun de ces deux mondes est un incon ditionné ; une synthèse des deux n’irait pas sans une tra hison de l’un et de l’autre (II, p. 113) (^). Surtout, l’existant vit dans une antinomie constante, parce qu’il doit relativiser tout ce qui apparaît, et pour tant être identique avec une de ces apparitions dont il sait la relativité (II, p. 124) ; il se saisit donc à la fois comme absolu et comme relatif, et la tension entre la conscience du moi comme absolu et la conscience du moi comme relatif, c’est ce que Jaspers appelle le caractère de l’être historique (Gesckichtlickkeü ; II, p. 122). C’est ici que va se poser le pro blème que j’ai appelé le problème du choix. On ne peut se contenter d’aucun point de vue comme valable objecti vement, et, pourtant, on doit, à chaque instant, s’en tenir à un point de vue (II, p. 124). Objectivement, tout est relatif ; existentiellement, je suis dans l’absqlu (II, p, 419). Dans la conscience historique, j’ai conscience à la fois du passage comme apparition et de l’être étemel ; et j ’ai cons cience des deux en un ; l’éternité est liée absolument à cet instant (II, p. 126). Ën tant que j’agis dans le temps d’uno façon inconditionnée, que j’aime d’une façon incondition née, l’éternité est dans le temps. Ce qui est évanouissanl dans l’instant est pourtant éternel, et c’est là l’existence (I, p. 17). Une autre façon de formuler ce fait que je suis toujours dans une union de l’éternel et des circonstances, c’est de dire que je me trouve toujours dans une situation. Je ne puis jamais sortir d’une situation sans entrer dans une autre (II, p. 203), Je n’insisterai pas ici sur la théorie générale des situations. Ce que j’en veux retenir, c’est que je ne puis jamais prendre conscience complètement de ma situation. Idée qui est reliée à celle de l’insaississabilité de l’existence, et à cette autre idée de Jaspers, suivant laquelle il n’y a de clarté véritable que si cette clarté se Cf. M a r c e l , a rt . cil., p. 345. Je n ’ai accès à m oi-mêm e qu e dans la (1) situation-limite des aotinomieSi
LE PROBLEME DU CHOIX
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Jétaclie sur un fond obscur. La conscience que l’on a des règles change la situation et ces règles : le fait que je suis dans des situations n’est donc pas un fait que je puisse considérer de l’extérieur \ ce n’est à aucun degré un objet de spectacle (II, pp. 203, 206). Par là même que j ’existe, je suis lié à des circonstances ; et je fais de choses qui me sont étrangères ma substance même ; ce qui est hétérogène est lié à moi d ’une façon indissoluble (III, p. 47). Ces choses me sont données par ma place même dans le courant historique du réel. De là, par exemple, le rapport profond entre la vision du monde d’un penseur donné et l’histoire des visions du monde, le rap port entre la philosophie et Thistoire de la philosophie. Ce que je suis, je le suis dans une union intime avec ce qui m’éveille historiquement à l’existence (‘). Je suis quelque chose qui ne se produit qu’ime fois (I, p. 283). Mon caractère d’être historique naît précisément de la pen sée de ce to ut, où je prends place, et de la pensée de cet Un que je suis. Le tout a-t-il d’autre moyen pour s’expri mer que de s’unir avec des « uns» différents ? {Ibid.). Mais, à côté de ces situations changeantes, et changeantes les unes dans les autres, il en existe d’autres. 11 existe des situations fondamentales (c’est ainsi que, pour le moment, nous traduirons le mot de Grenzsiiuationy situation-limite), liors desquelles je ne puis sortir (®). « Les situations comme çelles-ci : a Je suis toujours dans des situations, je ne puis ri\Te sans lutte et sans douleur, je prends sur moi inévita blement le péché, je dois mourir», je les appelle des situa tions fondamentales. Elles sont comme le mur auquel nous nous heurtons, l’écueü devant lequel nous échouons. Nous ne pouvons les changer, mais seulement les amener à plus de clarté, sans les expliquer ou les dériver à partir d’autre ebose. Elles ne font qu’un avec le Dasein lui-même» (II, p. 203). Plus que toute autre, ces situations échappent à toute vision objective, et c’est ce que Jaspers exprime eu disant qü’elles ne sont pas des situations pour la conscience en ^néral (II, p. 203). On ne peut que les sentir, s’enfoncer (1) Cf. K i e r k e g a a r d . J o u r n a l, k juillet 1840 : SurTunilé du contingent
el de réternel. (2) Voir, SUT la théorie des situatîons-limitos chez Jaspers, les belles pages de Ma r c e l , a rt. cit., pp. 336-344.
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LA P É ils é s S B L^SXtSTEHCE
eû elles.
attendri tout, je dois agir (II, pp. 180, 185) (*), Il y a, comme le diü G. Marcel dans son ^ ic le sur Jaspers, des options radt cales (p. 320). La question que je dois me poser serait donc : De quelle façon dois-je être pour être moi ? ou, comme dît Jasper.<; : Qu’est-ce qui m’unifie ? Où l’Un se trouve-t-il pour moi ? (II, p. 334) (^). Je dois choisir entre des possibilités d’exis tence. Les unités sont infiniment multiples ; elles se com battent, mais ce n’est pas celui qui les connaît toutes qui (1] Cf. le i^Ie de l’idée de péché dacs le senUment kierkegaardien l'existence. Siir le rapport des situations-lüniles et de Texistence, voir M a r c e l , art. cü., p. 317, 330, 332. (2} Cf. Psychologie der Welianschauungen, pp. 2/8-280 : 6e décider, agir, c’est se limiter. (3) a. ridée de runificalion de soi chez Kierkegaard.
LE PAOSLÈMÉ DU CHOIX
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participe à elles ; c’est celui qui s’identifie avec l’une d’elles, []iit s’enfonce passionnément dans la contemplation d’tin aspect des choses, qui se home passionnément à une pen-^ sée. « S’il n’y avait que la lutte de l’être contre le non-être, dn vrai contre le faux, du bien contre le mal, U y aurait un mouvement unique dans le Dasein. Mais de la multiplicité des existences naît nne situation pathétique : l’existence ne lutte pas contre une absence d’existence, mais contre reïistence ; et cette autre existence a sa propre profon deur» (II, p. 437). On voit ici plus fortement que jamais que ni l’idéalisme liégélien ni le positivisme ne sont satisfaisants ; ce sont deux philosophies qui se mettent an service de la généra lité et détruisent l’individu (II, p. 231). Il faut les dépasser tous deux pour voir ce que sera valablement une WeUan^ srhaimng \ eDe est une vue sur le monde, mais une vue de i’iDdividu sur le monde, d’un individu qui choisit cette nie ; ou plutôt il ne la choisit pas parmi d’autres vues posî^iWee ; il ne la voit pas comme un possible entre d’autres possibles ; car ce serait la rendre relative et nier par là .son essence même. « Quand je connais nn point de vue en tant que point de vue, il n’est plus ma WeUânsclumun%,Ji Aussi, désigner une Welianschauung par un nom, c’est la l'iâsser parmi d’autres et donc la dénaturer. Toute étiquette falsifie, toute spécification abstraite détruit la spécificité [II, p. 243). Puisque je ne puis pas sortir de la vérité qui ost la possibilité de mon existence pour la regarder, Je ne puis dire qu’Üy a plusieurs vérités (II, p. 477). Des Weüant^chauungen, au pluriel, ne sont plus des Welta?is€/tauangen authentiques. Elles se sont transformées en pures poteniialités-(ri, p; 242). Il est impossible de connaître comme plusieurs des vérités qui s’excluent dans leur incondition jialitc (II, p. 417), pas plus que je peux comparer mon 'ïistence avec d’autres existences, placer des existences à-eôté l’une de l’autre (II, p. 420). Les existences ne sont ]iâs les parties on les membres d’un tout connaissable (l, p. 265) ; il n’y a donc pas de point de vue général à partir duquel une Welianschauung deviendrsdt visible (I, p. 245). b’Iiomme se tient dès le début à l’intérieur d’une Weltantckauung déterminée (1, p. 242 ; II, p. 422), plus exacteinent encore, il est elle-même (I, p. 244). «De cette vérité je ne puis sortir ; je ne puis pas la regarder et je ne puis
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LA PENSÉE DE l ’ e XISTBKCE
pas la connaître ; si je sortais d’elle, je tomberais dans Je vide» (II, p. 417), La relation que j’ai avec elle doit être line relation de fidélité (^). On ne peut donc pas, à proprement parler, dire qu’il y a là un choix (®). Par exemple, la religion et la philosopiiir ne sont pas deux possibilités placées sur la même ligne ei. entre lesquelles je puisse choisir. «Je n’ai conscience de la décision que lorsque j’ai déjà choisi un parti, lorsque je njft tiens déjà de l’un des deux côtés, » La religion ne peut pas être vue du point de vue de la philosophie, ni la philosophie du point de vue de la religion. Le philosophe ne pourra voir dans le respect de l’autorité religieuse qu’une absur dité ; et, en même temps, il aura conscience qu’il comme! ainsi un contresens (I, p, 308). Par exemple encore, il aurn à se soumettre soit à la loi du jour, soit à la passion de la nuit. Chacune est inconditionnée ; on ne peut en faire uae syi\thèse ; il faut prendre l’une ou l’autre des deux, inccuiditionneUement. « On ne peut pas savoir en même temps la vie du jour et la profondeur de la nuit» (II, p. 113) (^). Par là même que l’on est fidèle à son propre point de vur, on voit mal ce que l’autre, placé à l’autre point de vuii. voit bien. « Celui qui s’est décidé ne voit plus l’autre côf tel qu’il est» (I, p. 308). Il n’y a donc jamais devant moi. en tant qu’existence, deux voies que je pourrais reconnaîtra et entre lesquelles je choisirais. Se représenter ainsi l(^ choses, c’est faire tomber dans la sphère de l’objectivi^ankylosée ce qui est vie existentielle (III, pp. 114,138) (*). Il s’agit donc, non pas de choisir, mais de prendre .s k i soi ce qu’on est. Le choix consiste dans le fait que l’on voîi qui l’on est, que l’on se reconnaît (I, p. 300). Tout choix suppose une sorte d’a priori qui est moi-même dans inoA fond. Le but-dernier dont nous avons conscience n’e$! (1) Cf. G. M a r c e l , a r t. e ü ,, p. 334. (2) Cf. K i e r k e g a a r d , Pap., X*, A 428. « Le fait qu’U n’y a pas de est l’expression de la passion, de l ’intensité immense avec laquellc«; choisit. B (3) Cf. la théorie du dilemme chez Kierkeg^aard. (4) Nous voyons là l’erreur du polythéisme et de toutes les doctrine philosophiques qui lui sont analogues. « Les dieux multiples donnent son à tout ce que je puis être. L’un monnayé dans la petite monnaie
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jamais le but ultime. La Tolonté rencontre partout des ))c>rnes ; elle est encastrée, sa clarté est entourée d’une zone sombre d’où la volonté tire sa puissance. « Si ce fond qui la porte succombe, si la fin finie est prise pour absolue, alors intervient la mécanisation» (I, p. 158). Nous ne pou vons pas prendre une conscience de ce fond absolu, par rapport auq[uel nous voulons. « Le vouloir qui se.veut soimème n’a ni plan ni moyen ; il est sans fondement, sans fin : U est l’être de l’existence» (II, p. 162). Gomment choi sir entre des inconditionnés, sinon par ce que nous sommes ? (b p. 258). Peut-être paraîtra-t-il y avoir une dualité entre mon moi essentiel et mon moi tel que le font les circonstances histo jirpies. Et, en effet, jl est nécessaire de penser cette dua lité (II, p. 122). « Dans une contemplation pensante, je pénètre jusqu’au point arithmétique d’où je vois et je sais oe qui est. Dans une indépendance étonnante, bien que vide, je m’oppose même à mon propre Dasein comme à quelque chose d’étranger» (II, p. 204). Mais cette contem plation, dont Gabriel Marcel a marqué les rapports avec relie de Valéry, ne peut être pour Jaspers, comme Gabriel Marcel l’a noté également, qu’un moment. Il faut que cette pensée soit détruite. « La dualité paradoxale de ma conslîence historique n’existe que pour la pensée ; il s’agit de quelque chose
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LÀ PÉ N sé^ ü i L’kXiSTËSCfi
je îie reste pas ^our inoi üh autre vis-à-Sris ’dé iîitù;)tions dans lèsqiuelles je ne serais arrivé que de rexterieui ; ce {jpié je serais sans eÜes n’est pïüs (^^’uiie replréséhtaliï.u vidé ; je Suis inoi-mêine en elïeà» (ièw.) (*). Dé mêïUé que la WeÜàhs^^uung pour être profonde doit être ètroit'e, de mêmé la comnidnication. Jaàpets enlx-ri'] par ià que je détruis la comtarüiîcati'bh. qùaü'd je veux l’établit avec le plus d’êtres possible. « Si Je Veut êtr* juste fenvers tous ceux qüe jé réhcontre, je remplis m(i3i être dé superficialités, et, à caùse d’ime possibilité uni verselle qui est imaginaire, je renonce à la pOssibüili de rêtre historicpie qui est unique dans sa limitation (il, p. 60). «Celui qui dit qu’il Ué faut paè trop se dévouer à un nomme ou à une cailse déterminés, mais donner à sor. action une large base par l’amour pour beaucoup d’homùirfet beaucoup de choses, celui-là n’est pas toüfené par rUr et prend pour l’absolu la positivité du Dasein milltipli? (Il, p. lis). J’existe d'une façon d’autant plus dêôisivie, d'au tant piuà intense, que jé m’intègre à ma situation dari> to ut son caractère hi^oriqueirréductible (II, p. 213). Coiüiiiv le dit Jaspérs, rinconditionnalitê dans l'historicité est 1h noblesse de Fexistence. « Ce qui pouvait être pensé comine là limitation dé mon être fini est la possibUité dé sa plénitude... Ce qui paraissait être objectivôment limitation, rétrécissètnént, étrOiiesS'X devîeilt là profondeur inménétrablfe, dévient l’être toênu, dévient Funique réalité de l’existence» (II, pp. 122, 21Tt> 2lÔ). Là profondeur dé l’être, éé révèle pâr l’exclttsivHf': l’unitë éxistëUtiëlIe est d’abord limitation (III, j>. 177). D caractère objectivement et qUantitatiVe'meilt fini de Fe.wtehcfe est, emstentieliement, qualitâlivéinent, son ‘câfartèPé infiûi (®). Ce nous avons dît ne noiis iUoûtré-t-il pas que l’Cxi.'tence, ne disons pas pour choisir, mais pour être, doit fermer à certaines possibilités, sé limiter, et par là Uiêlm<< • (1) Œ; Ma h c c l ; là i. cît-. , p;
3S5. (2) Il Teste cependant qu’il y a là une diffiiiaUé ; car Jaspers Ubusdi; que si je ne fais que penser ïe déterminé par une limitation de. ce plus général, je reste dans des considérations objêctiv'ès. < Là réaÜfê'^fli& ne s’appelle le déterminé qtie du point de vue au général.... C’est seulr ment du fait de notre situation fondamentale que notre caractère apparaii comme une caractérisation de quelque chose de plus général que lsi> (11, p. 210).
Lé PtoBLiAis
ô t t:É6l±
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eil état üe jtédië ? L^èxistëBcè Vit daïiB le dâemlB'é, dans Paltemative. Par là elle ést liée àu péché. *Üne des erigines de la théoVie de jaspéirs se trouve sans iotite dans la méditation des Weltà^Mchcmwigen passionnées, en particulier de celle d'iin Kierkegaard, dont Jaspeïé ne peut affirmer la vérité, mais dont il peut affirtner rîSrterisité et l’authenticité. La méditation sur le cas de Kierkegaard a ïnèné Ja!spérs à cétie idée que la profondeur d’une doctrine est limitation ; ui la méditation sur le péché, née également sans doute en l>artie de la réflexion sur Kierkegaard, l’amène à dîife que "te ])ébhé est la limitation, La 'profondeur est limitation, et la limitation est péché (*■). S’approfondir en se limitant pas sionnément, s’approfondir en prenant conscience dn péché, ro sont presque deux façdns différentes d’exprimer une iaènie vérité, ce sont deux des enselCTements essentiels que Ja^érs a pulsés dans Kieikegaard et qu’il a eu l’art de lüfiüre en une seule et même idée. Le négatif est condition du positif, la lîmitàtion condition dè rinconditionnalité ; de même qnë l’ahsence de système riait condition de la valeur e t de la volonté (*). Nous ne sbmmes pas en. présence d’une théodicée ; on plutôt ’côtte théodicée se présente sous forme d’alhéodicée. C*e^ l’ahsçûçe d’une unité, d’une vérité, d’un bien univei*‘el. qtti êst la condition de la vàleut du monde. On pourrait dire, ¥■« TiUsens, qu’il n’y a de cro'yance que pour l’athée (^. La bleSsnre originelle est l’origine de ma plus haute pbsifiibiîi'té. Si Ton faft du naturel le critérium Ife plus hUldr, ôn ijL G. HtAficsL écrit { d rt . ê ü . , p. €48] : « GeÙe faute jadéracinable et ^ iMUs-cst coesseiitlelle, comment ne pas voir .^ e c'est la trace ou le rfêiuu du pêbrhé originel?>Il semblecepenâüit quel'oq nepedt pas, sttr pbin't, adiréssér le même reproCbe à la philosophie dë Jo^eiis qn’à ^ jënosophîe de H eid ^ er. Si ce que noos aivoas dit est exact, ne pourrait* même soutenir qu’il a réossi 4 dégager la làdne métaphysique de l'iléè du péché, ce qu'on pouïrait appeler là m a te rià p r i m a (àh 'sens leibi^ é n du mot) spmitirelle des mofaades? Il'reste tependantquë lë moi de fait pent-ê&e retomber jàspers dàns âne conception 'qâl! >a pulsqn’U ÜDfdtqtae que ne pas péeher, ce sëtâit s'ouvrir à wutes
^ipoi^ibilités.
ilÏA.'ncSL, oH . e tt., p. 335 : ëxpérimeiïfer rêtrë dans ce qiii, objecitrement, ne saurait être que limitation, et, p. 346 ; l’échec de la théodicée » mue en un appel à l’activité libre. [üj Cette formule ne se trouve pas chez Jaspers, mais me paraît bien aprimer (ou prolonger) une de ses tendances.
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LA. PENSÉE DE L^EXISTENCE
peut dire que rhomme est une maladie de la naturr. par laquelle la nature se dépasse elle-même (II, p. 29S). L’homme est toujours a fragmentaire » et en rupture avc( le Dasein. Il ne peut pas s’achever en une totalité harmiinieuse. Ses buts ne sont jamais atteints. Il est dans urio situation essentiellement contradictoire ; il ne peut ni accueillir complètement le Dasein, ni le laisser complète ment échapper. Son monde est brisé, et lui-même est casi?é. Et c’est ce caractère, ce fait que l’homme est un être cassô, qui rend possible l’inconditionnalité, le dévouement à dts buts posés librement comme absolus (I, p. 296). Nous ne choisissons pas notre place dans le combat ; car nous sommes cette place même ; et nous ne savons pa^ la signifîcation du combat. « Personne ne sait finalemen; de quoi il s’agit dans cette lutte» (II, p. 403). Nous nf savons pas ce qui résultera dans le cas du triomphe et ch qui résultera dans le cas de l’échec ; nous ne savons pa^ quand le combat est un mal et quand il est un bien (II, p. 374). Même si nous choisissons le jour, nous choisissons dans la nuit ; même quand nous combattons pour le jour, nous combattons dans la nuit. Aussi Tultime vérité est-elle la pudeur, respectueuse dr l’attitude qui n’est pas la sienne, respectueuse de l’autre, et la douleur du péché (III, p, 113). Dans ce domaine de la communion, chaque existant aura conscience de ce qui est vérité pour les autres tout en n’étant pas vérité pour lui, et il ne devra ni transformîT ces vérités en des vérités purement objectives, — car ellc.> deviendraient par là même immédiatement des erreurs, — ni abandonner sa propre vérité, mais la vivre intensément dans son étroitesse même, et par là dans sa profondeur. Il devra être lui-même, sans même se dire ni semblablo aux autres, ni différent des autres, car ce serait, dans Ipf deux cas, se comparer et ainsi se perdre. C’est dire que, dans ce domaine, il n’y a pas explication, mais plutôt invocation, appel d’une existence à une au(i.. existence. Il ne s’agit plus d’une communication intellcctueUe entre individus qui peuvent échanger leurs place(la pensée de Jaspers rencontre ici celle de Marcel), _nij d’une lutte pour l’existence au sens ordinaire du mol, ni d’une harmonie, mais d’une communauté, d’une comniu I nion entre « Uniques» insubstituables, de lutte pour l’eih' |
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p r o b l :è h e
du choix
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(once au sens le plus élevé du mot, lutte où toute pro|Tiess!on de l’un est une progression de l’autre, et d’une brisure de tout l’être devant la transcendance. III. —
La
t r a n s c e n d a x c k
lo Transcendance et immanence. — L’existence est bien liée à l’être pour Jaspers comme pour Heidegger ; mais, rétre qu’elle cherche ne peut être qu’un être perdu, un être disjoint (cf, III, p. 2). L’existence est ontologique, niais son ontologie commence par un échec. Et c’est cet échec de l’ontologie qui me permet d’accéder à l’existence, à mon existence. « Le désir d’une ontologie disparait pour ÿo transformer en désir de conquérir par ma personnalité rétre que je ne puis jamais acquérir par le savoir* ; — c’est par l’existence que j’irai vers la transcendance (III, p. 60). Pour avoir perdu l’être, l’être faux, je trouve l’être vrai, l’existence qui mène à la transcendance. L’existence mène à la transcendance en ce sens, d’abord, que je sais que je ne me suis pas donné l’être à moimême, Je suis donné à moi-même (III, p. 4). «Quand je me retourne vers moi-même, vers mon moi authentique, dans robscurité de mon vouloir originel, alors m’est révélé que là où je suis moi-même tout entier, je ne suis pas seu lement moi-même. » Ce que je suis me surprend moi-même |[T, p. 199). Ainsi, quand je philosophe, je reste en un état do suspens entre la tension de ma possibilité et ce caractère (letre donné qui est ma réalité (III, p. 152). La clarté philosophique qu’il s’agit de chercher est une darté qui implique des profondeurs obscures, un fond sombre sur lequel elle se détache (I, p. 322) (i) ; la clarté ivest pas construite sur le néant ; elle ne se soutient pas par elle-même ; elle est «la révélation de l’incompréhensible authentique, parce que permanent» (I, p. 324). Et, dans rétude de la transcendance, nous retrouverons ce lien outre clarté et obscurité : «L’être de la transcendance ^’est pas seulement l’être, mais l’être et son autre ; l’autre eit l’obscurité, le fondement, la matière, le néant.» L’existence n’est donc pas l’être absolu puisqu’elle ne se (1) CT. Ma r c e Lp, art .
c it., p.
332,
2iâ
LA ^E NS ÉB I>B
suflit à eUe-XE^ine. « Uexi&teiice me fait sentir ellemêçae qn’elle n^est pas l’absolu ; car,' à cette question de savoir si elle est l’absolu, elle répond ou par Tangoisse, dans la conscience de son caractère incomplet et non fermé, de même que dans son rapport avec le fond sombre que nous appelons l’autre, ou bien par une attitude de défi eu tant qu’elle nie ce qui n’est pas elle» (T, p. 26)) (^). Dire que l’existence n’est pas fermée sur soi (1, p. 27), c’est dire qu’elle est intentionnalité, comme disent les phénqméDoilogaes. Elle se dirige vers l’autre et vers soi. Elle sj> d iri^ vers soi en saisissant du Dasein (ibîd.). Car, okaqi|e fois que je me comporte comme un existant, je me rap. porte à un être que je ne suis en aucune façon, je me rap p o r t à un autre (ef. IIÏ, p. 122). Lepaoi est essentiellemeïit en liaison ayec l’hétérpgène. Dans le moi, « quelque chose d’étranger dans sa signification est pris dans un système spirituei)) (III, p. 47). L’existence n^existe qu’en tant «me se rapportant à une autre existence ou à la transcendancé (II, p. 2). Elle se dirige vers la transcendance ; car « elle nous entraîne infatigablement vers une ouverture plus profonde^ Son être authentique consiste dans la recherche de la trai^cendance» (I, p. 27). «Le raisonnable ne peut pas êtr« pmisé sans l’autre, sans le non-raisonnabla... Ce qi^ erabrape à la fois mes déterminations particiilières, la pea-, sée universelle et l’esprit, désigne un autre que moi. Aucpa être qui est objet de savoir n’est l’être. A l’instant où jfe transforme l’être en savoir, la transcendance m’échappe^., La transcendsmee est l’horixon absolu, qui est inexor^^^ ment et qpi n’est ni visible ni connaissable.» Saisissant l’autre en moi, en tant que je suis donné..â[ moi-niême et en tant que toute ma clarté se dé^tache un fond obscur, et tous mes «choix» sur une invin oi^ donnsa, saisissant l’autre en face de moi par mon activjfê dans le monde, saisissant l’autre au-dessus de moi en ta ^ que je me diiiga vers la transcendance, je suis toujouy^ rapport avec lui. Quand je pense profondément, je s ^ toujours à la limite de moi-même. v ^ Le lieu de la transcendance, ce sera la limite {III, pp. 16, 17, 110), la limite du non-objet, et de l’objet et le (1) Cf, L a
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{lassage de Pun à l’autre (I, p. 4)|, Ift liipite dp iopr et de % voit l’autre saps le posséder (î» p. 39). A eeite limî-Çe, l’existepce se sent ep contact ayec quelque chose qui n’est pour elle rien d’autre que limite ; la diyinité n’existe (ju’en tant que limite (III, p. 122). Nous ppmprenons ainsi plus profondément l’idée de siiuationTlimite.. Si Jaspers appelle les. situations fondamentales situationslijuîtes, c’ést qu’elles siguifiept qu’it y a au delù d’elles une âiitre réalité, inais que cette autre réalité n’est pas le Pesem pour la çonaoience. t^es situationsdimites iqdiqaept ta trîùisceudanoe (II, pp. 203, 204). Jamais nous ne pourrops dqiic saisir la trauseeudant, coinipo s’il rassemblait les êtres en un tout op était la série de leurs aspects. Bu effet, il u’y a pas dç passage de la conception d’une existence k cefle d’une autre, existencç.. >.Les existences ne sont jaipais qu’elles-mêmes, et ne sont jiunais des images pour d’autres j elles ne deyieunént pas aspects/C’est popr elles qu’il y a des aspects» (I,jp.441) ^ cette séparatipn des existences rend impossible l’i d ^ qpe la transcendance soit union, du moins union ration nelle des existences. de Iq sorte, à l’idée d^oue sdpara~ Nqu s sQinmes lion absolue eptre l’existeaçe et la transcendance, « L’exia-r t«î»ce est la réalité qui, essentiellement, conserve lu tauce et refuse l’identification avec la trauscenduoce, îci^ dans cette plus, grande pro,^mité, se révèle de la façon lu plus claire le Ipintain absolu» (III, p. 65). Bt, de son dans celte même proximité, au moment le plus proche Àe là jonction, la divinité maintient la distunee a.hspjue ; elle ft’est jamais identique à moi.(îlïi p* 122). jUnsi» roxisr' tence se trouve tout près de la divinité, uj^s, face d’elle (^). Il y a là uùe dualité essentielle., invincible 4 rêtre tempnrel (I, p. 20). C’est qu’il y a opposition entre existence et trànscendaiice. Le domaine de rimmanence, c’est celui du multiple ; dî-transcendance est au contraire, l’être-un que je" puis (IJ Cf. Kierkegaard, où l’iadmdu se trouve » devant Pieu*, plutôt qu'il n’est en Dieo.
214
LA PENSÉE DE l ’ e XISTENCE
appeler aussi sur-être et non-être (III, p. 37). Le domaine de l’existence, c ’est celui de la limite et du conditionné (III, p. 65) ; la transcendance est illimitée et incon ditionnée. Le domaine de l’existence, c’est celui de la communication ; la transcendance est ce qui est soi-même indépendamment de tout le reste (III, p. 65). L’existence est présente à soi ; la transcendance est inabordable (I, p. 20). L’existence nous était apparue, d’abord, comme le domaine de la possibilité (^) ; mais il y a un domaine oti cesse la possibilité ; et c’est ainsi que nous pouvons définir la transcendance. Dans la transcendance, aucune opposi tion ne peut se maintenir (III, p. 115). Il y a là une réalité sans possibilité au sujet de laquelle je ne puis plus interro ger. « Pour la réalité de la transcendance, il n’y a pas pos sibilité d’être retraduite en possibilité. C’est pourquoi elle n’est pas réalité empirique. Si elle n’a pas de possibilité, ce n’est pas par manque, mais parce que cette séparatioa entre la possibilité et la réalité est le mancpie qui carac térise la réalité empirique, celle-ci ayant toujours un autre hors de soi. » Mais elle n ’est pas existence plus qu’elle n’esi réalité empirique ; car, dans la transcendance, il n’y a plus de décision, « Là où je me heurte à la réalité sans qu’il y ait transformation possible en possibilité, là j’atteins la transcendance ; j’atteins l’être» (III, pp. 9, 51). Ici, plus de possibilité autre que ce qui est ; le problème du choix sé détruit dans la transcendance (III, p. 51) (®). L’Un comme limite, l’unité transcendante est donc l’Ün. que je ne suis en aucune façon ; et, pourtant, c’est l’être par rapport auquel je me comporte quand je me comporte envers moi-même comme envers mon moi authentique (III, p. 122). Je me produis par la façon dont je m’aperçois de la transcendance {^). L’existence et la transcendance sont hétérogènes, mais elles se rapportent l’une à l’autre. L’homme est l’être qui s’efforce au-dessus de soi ; il n’est pas assez pour soi. « L’homme, bien qu’il fascine l’homme; n’est pourtant pas la chose suprême. Il s’amt pour l’homme (1) Mlle H e h s c h , dans son livre d’un si grand intérêt, L ’Il l u s io n p k i ! ^ so p h iq u e (Alcan, 1936), explique très bien le sens de cette idée de possi bilité, p. 154. (2) Cf. M a r c e l , art . c i t., p. 328. (3) Cf. le lien entre la subjectivité et l’objectivité, l’immaneqce et U transcendance chez Kierkegaard,
LE PROBLEME DU CHOIX
215
Je lui-même, mais précisément parce qu’il s’agit pour lui Je quelque chose d’autre... Il ne trouve pas de repos en lui-même, mais seulement auprès de rêlje de la transcenJance» (III, p. 165). L’existence est en rapport avec la li*anscendance, ou bien elle n’est pas du tout (III, p. 6). On pourrait dire qu’elle n’est présente en elle-même que [lans sa tension vers quelque chose qui est absent d’elle ([, p, 31). Et, d’autre part, c’est parce que je suis l’être i[ue je suis que je puis être certain de la transcendance {ill, p. 123). 11 ne faudrait pas dire, d’ailleiu*s, que la transcendance dépende de moi. Le caractère historique que possède mon rixistence ne produit pas la transcendance. « Bien qu’elle ne soit réelle que pour l’existence, l’existence ne peut pas se comporter vis-à-vis de la transcendance comme vis-à-vis d'un être qui n’est réel que pour elle *.(1 1 1 , p. 22). n reste que la conscience de l’existence et la conscience de la transcendance sont liées. « Par le fait (pie je suis donné à )i)oi-même, j ’ai conscience à la fois de ma liberté dans l’existçnee et de ma nécessité dans la transcendance » (II, p. 199), En fait, puisque nous avons vu que, même dans le domaine de l’existence, le choix suppose un non-choix, le multiple une unité, un inconditionné, une illimitation, nous pourrions compléter les indications de Jaspers en suggérant que les deux domaines se continuent l’un dans 1‘aïitre, que ce ne sont que leurs schèmes, en quelque sorte, i]ai sont séparés, et qu’en eux-mêmes ils sont unis plus inlimement encore (jue ne le dit Jaspers. Finalement, ks distinctions que l’on a faites entre eux semblent presque ^évanouir, sans que pour cela disparaisse l’idée (pie l’exîs
LA
l
' e ü ^ISTEKQE
yé^té ^emelli^ que nous comumiiiqueroms Iç^s uns avec l^s a'fttres. y Tenir pour la véritable divinité ce <^Tii peut lier Tuuverçellenient rbpmanité) c^est là une banalisation c(e la transcendiance. 3 « C’est perdre la transcendançe que v^vre dans l’universalité abstraite» (III, p. 123>). Chaque individu n’arrivera à la transcendance qu’en s’enfoncaiu dans ce que sa vision dn monda a de pins personnel. Il n’y a vraiment communication existentielle que lors qu’il y a éveil réciproque, contact, liaison de vérités irré ductibles les unes aux autres. C’est parce que la divinité reste cachée qno les existences se tendent las mains c*t s’appuient les unes sur les autres (III, p. 218). biois pas plus que la transcendance ne sera la vérité, elle ne sera la beauté. Car la beauté laisse en dehors d’elle cet élément destructeur peut caractériser parfois la trans cendance ; il détruit l’unité et se saisit de moi, pour rue détruire, et m^epfonçer dans mon néant (111 , p, 120). |ln réalité, l’Un ne peut être exprimé ; car toute expres sion le particularise et l’extériorise (III, p. 118). La divU nitè reste au delà de tous ses aspects, et le polythéisme e;&( essentiellement erreur. La divinité unique existe en tant que limite ; elle reste absolument inconnue (ÏIl, p. 122). Nous nous mouvons donc, ici daps la région du non; savoir. A ce non-savoir est liée un® pude.nr, qui est l’exi!tepce en tant qu’elle ne peut s’exprimer complètement (II, p. !^7) (^)* Et ü y aune passion de ce non-savoir. Jaspex> insiste spr l’effort de la. conscience pour s’anéanUf. (in , p. 51), SUT la passion dé la pensée qui tend vers sa destruction {III, p. 218), sur ce mquveinont de la pensée qpi® supprime eÙe-même (III, p. 137) (®). Sa lucidité est grande pour qu’elle soit elle-même avide de son échac^ C’est dans ce non-savoir que la personnalité antbeniiqitM se saisit dans son rapport avec la transcendance. L’asp/ rance croissante que cette personnalité a d’elle-ipémo él que nous avons étudiée sous le nom d’existence s’aUum^i la flamme du non-savoir. 11 y a un incomprébenslbla qiU^ eaebe. à moi dans la lumière la plus vive comme d ^ l’abîme le plus sombre ; dans ce non-savoir apparàljt^^ (1) Cf. ridée du secret ches Kierke^ard et l’idée du secret, d’aiUem très différente de ceUe de Kierkegaard, chez Marcel. (2) On trouve, chez Kierkegaard, cette même idée de la tendance delt pensée vers la destruction de soi.
DU GE93(X
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transcçi^da^çe (11,^ p- 263), B ep oD ç^ t à la eopna^sapcB^
jo me fie, m me Ûvre, je me lie aa fojadenie^i Dfiênie de btie {III, p. 78) (1). Ce n’est pas à dife qu’il n’y ait pas ici <1® La cp.ns^iience ne cède pas lâchemept au:^ foqces dp sentiment, elle se tend à l’extrême pouï poyyoir peqaer aveoi la plus afaede clarté possible {(bid.) ; îa pensée n.a se yend, pas, nuisqu’elle transcende (III, p. 38), Car, s’il p’y a pas de Feprésentâtion et de pensée, la divinité ne peut e;:âst^ jiouF nutre non-savoir {III, p, 124). C’inçompréhensiiie . st tout enrichi par la compréhension qui lui est antéjlenPé tt même, en un sens^ intérieure ; tout n^li'n savoir egt oisentiei é notre non-^voir (III, p. 169) ; nous ne pouvons atteindre le non-savoir qu’en amassant le plus d® ^lossible ; cehn-çi ne prend sa yaleup que par tout la «pi’il suppose et qa’U nie (lï, p. 261). Son contenu est là fensée de l’échec, mais d*3m éçheo précédé d’*m^ tôfio de yictoires, Je ne puis donc ni penseç cet êt)re absolu lû renoncer à le penser (lIl, p. 38), et la pensée reste d^M m état diailecti^e où eonstannnent la uon-pensée se diV^ vers la pensée, Ce n’est à proprement parler ni une p e n ^ do queltjue chose ni une pensée de rien {1.1 1 , p. ^ ) . 11 ÿ ^ là dos représentations et des pensées, maiS' évanouis* saQtes (III, p. 124). On arrive à une pensée par laquelle on s’elforce de penser l'impensable et même de le représenter par des pensées lli, p. 383 ; III, p. 38), Il y a une non-p.ensée pensant^ jtar laquelle j’entre en contact avec l’Autre (II, p. 263^ iii4'f pensée qui est remplie par de la non-pensée (n, p. il). Toiles sont quelques-unes des formules par lesqueiles ^as jh^rs essaie d® Upus faire saisir cette modification radiçél^ ^ notre vision, cette obscure lumière dans laquqllê nonS) pénétrons. L’être de la transcendance, c’est ce qui est pensé dans ■eiMe-Pas-Pouvoir-Penser, comme ce qui est soi-même et ► ^iqni n’est pas pour moi (HI, p. 323). '^m m ent arriverai-je à cette pensée de non-rpensée ? l^ii^ord par le symbole. Le symbole métapt^^iqu'é qst jstfivation de quelque chose qpû ne peut pas être objectif. Il ne hudra donc pas considérer le symbole comme pouvant avoir (1) Cf.
M a r c e l , art. çU.,
p . 346.
218
LA PENS EE DE L EXISTENCE
un. contenu intellectuel, mais comme une image qui est en un»* relation informulable avec quelque chose de transcendant, comme étant à la fois soi-même et cette autre chose (III, p. 16). Puis dans l’écroulement du logique. On recourra a d ^ pensées abstraites qui se suppriment dans leur emploi même (II, p. 12) ; on usera d’expressions qui se contre disent, indiquant par là au delà d’elles-mêmes l’intuition qu’elles veulent exprimer et empêchant une fixation et une définition objective de l’existence ; ainsi dans le moi l’unité et la dualité, dans l’existence le temps et l’éternité, la communication et l’existence se liaient déjà de façon paradoxale (II, pp. 11, 12, 13). A plus forte raison en serat-il ainsi dans le domaine de la transcendance. L’écroule ment du logique se produira quand la pensée prendra cons cience du cercle où elle se meut, de la tautologie qu’elle émet, de ses paroles qui, à proprement parler, ne disent rien (III, pp. 15, 233), ou encore de sa contradiction interne. On montrera comment chacune des catégories appelle la catégorie contraire, et ainsi se détruit, comni^ Platon l’a fait dsms le Parmênide (III, p. 46). Et par celte conscience de sa contradiction, la pensée assurera la deàIniction de sa propre objectivité (III, p. 16). Ainsi, j’atteindrai la transcendance en brisant mes rai sonnements ordinaires, au moyen de paralogismes, dtsophismes, de coïncidences des opposés, de cercles vicieus. On atteint alors une sorte de contact avec ce qui est pm prement incompréhensible dans la substance de l’être ; l’exis tence se heurte à cet incompréhensible, qui est l’être par lequel et avec lequel elle est authentiquement (III, p-154). Cette conscience de l’échec, de la non-raison, de l’incer titude, et en même temps cet accueil fait à l’autre, c’est h, conscience même que je prends de ma détermination tem porelle, historique, devant la transcendance.
30 Les apparitions de nin : Unité — Multiplicité, Pas sage — Êtêrâité. — Dans ce domaine de la transcendanc*;,
on ne peut plus poser que des questions transcendantes, qui ne comportent aucune réponse. Le réel est alors amen» jusqu’à sa pleine présence existentielle ; il n’y a plusse possibilité ni d’objectivité. Nous sommes en présence d’un «ceci est ainsi» (III, p. 134) ; nous sommes en présent de ce que d’autres appellent le mystère.
LE PROBLEME DU CHOIX
219
Nous le verrons en particulier pour le problème de Tun ot du multiple, forme dernière de ce que nous avons nommé d’abord le problème du choix. Chacun est en rapport avec Tunité telle qu’elle lui apparaît. Mais quels sont les rapports entre ces unités, entre les aspects différents, opposés, de Tunité que nous n’avons peut-être même pas le droit d’appeler aspects sans les falsifier ? Quel est le rapport entre TUn et les Uns ? «Cet Un, dit Jaspers, est un Un Multiple, en tant que chacun d’entre nous, hétéro gène par rapport aux autres, est l’inconditionné dans l’exisïeiice», c’est-à-dire que, pour chacun de nous, l’un est dif féremment incarné ; chaque fois absolu, il est chaque fois un absolu différent. E t Jaspers continue : « Dans c h a ^ e situation essentielle, on peut parler de Tunique nécessaire, mais il n’est pas quelque chose qui est susceptible de deve nir Tobjet d’un savoir universel, dont le présent est un cas particulier ; il est ce dans quoi chaque existence se réalise. » Gliacun de ces Uns est intense, et interne par rapport à une existence ; il a ce caractère d’être historique sur lequel insiste Jaspers (II, p. 334). En sorte que la transcendance n’est pas quelque chose de plus général que l’existence, bien au contraire. « La transcendance est incomparable et absolument historique. Ici Thistorique atteint son degré suprême d’historicité. » Il n’y a pas une vérité unique dont nous connaîtrions les divers aspects ; U y a une union impen sable d’unicité et de généralité qui s’affirme en formes inconciliables et opposées (III, p. 25). Chacun ne voit de Timique divinité que Tunique rayon qui vient vers lui (III, p. 118). « Le Dieu unique est chaque fois mon Dieu. Ce n’est que comme Un exclusif qu’il est proche de moi. Je ne le possède pas en commun avec d’autres» (III, p. 121). Comment peut-on unir ces deux idées d’une existence qui se dévoue à Tunité, vil dans Tunité d’une façon incon ditionnée, et qui sait pourtant que cette unité n’est que son unité ? (^) Pour Tentendement, il y a dans Tidée de vérité existentielle un paradoxe fondamental. « La vérité est unique et pourtant elle est en rapport avec d’autres (1) Cl. M a r c e l , art. c û . s N e somm es-noiis pas dans un dom aine où la catégorie de l'un et du multiple est d'emblée transcendée, en sorte que c'est le discours lui-mêm e qm de vien t im possible ?
Li
ï»fe I?fexiS^ESCE
vlérités ; ü isedlfele y avoir niultilnSie He vérités, et jJtiTirWnt il n’y à iqpi’4ne vèHtiét t ïî, p. 410). ijiie !e pr'ôblèïÜé de l’Ün tet dn Mdltî^lè né pètit ê’(ft; rèsoin éû teÿmes pnirement intéllecluels. Ét si noüs déiais^ iis 5è doin'âine, nous potitrons téoiivett dérrière îés difîéitenéés intellèctlTélIéà, dés sehtimènts d’idehtité ; eil î6H ^ûé, sons ses nonibre'ui masques, Péxisteücè reste ton ptmS îâ éiêtne (If, p. 424). Bien que ses fortnês soient inîiiÜffieüt diVèTseé, là vérité dé i’ékistencé h’est pâS multiplè lîj, p. 417). Car lé diï^ê, efe Serait là contempler du dehors. Im, On aiteini iihe unîte impensable. Et entre les forniet flfe cétté iinilê impensable, il y à communication. « Tout ièi ^ u t être Tin, non pas 'cOmine quelque chose d’iiélùédîàtenaent pos^dé, mais comme lé parcours complet et îhéOmïnunicàble d’unfe voie, là Voie qué suit l’esistencè d'o obnééH aveé l’eiislencre» (I, p, 278). Èl,-'én effet, bien 'qû^éb im setis la trànscend^ce soit hors de là commnnicatiton "(ï, p. 278), il y a entre ces Üns différents ét parfois Opp'oàés n é s fcomtounicatiôûS : «L’Ün loint^âin,ab5omnién) inâ&brflable, me lorce à chercher l'a commubÎGati'on dans *fés'chO^eè les pïuà ëloi^éeS» ; là flamme dé mon éxisteu
fitj fcfroi± s6n totii* Vi^ainken^ c^é si iroiis régarld^ôtis le r^îyçü vénu jüsqiié verS nous comme la ^tésenOe de toute la ItlSüièié. JàSperS fait lui ej^^ort, i^ ’à bertàins moiuehtà un juger désespéré, pbiir niamténir à la fois ï’ünité dé l’Un ét ?à brisure en Visions existentielles bètérôjgèneà. «ïl’est dé rorguéil què de tenir inoU Dieu pour un Hdeu üniqué.J» 0L’éiristence Teiit, dans là lutte riiêine^ voir la liaisod dé l'autre en Dieu. Dieu est mon Dieu eOUittié il est lé Diéb dé, mon ehnèmi. » « La toléràilce devient )pOsitivê aaiàs uiie volonté de èommunicàtîon sàns limite, et lors du r’ënoncéiuént à cetté communication, dans la conscience ^ e l l é à'du caractère fatal de la lutte. » Je sais à la fois tjiié, uâiiS rabsolU, tout coïncide ét lju’ü doit y avoir unte décision, ici, en faveur d’uU de ses aspects et feôatré un autre d’entrè éûx Çm, p. 122). Dieu est à la fois proche et lointain. Jè ne dois pas, f i^ n t mes yetix sur le Dieu prêche, j^èidré dé vue le Dieu lointàm; « Ce n’est que par délà les aspects des fOi’Üiés dont les forces luttent dans lé monde d’ici-bas qùê Poti peut trouver le Dieu xmique»
y^m^i'galîgèThêin), l’uUité
iiUpénsabîé du particulier et dtt ^nërai (III, p. 23). « Lé paradoiré Üe là transcéndahèé Pidè en ceci, i^ti’éUé né peut être sâjSîé qU’histoÿiqUemênt, iiïtds qu’élle iie peut être pensée adéquâtéiUéht commé êfàiit eUè-même historique» (III, p. 23j; Elle n’est pas l’îdiWétsel cohciret du hégélî'aUisme, pàs plus ùû’éîle n^èsl là-généralité abstraite ou la particularité ; elle n’ést ni ç^préhension ni extension, mais intensité. Elle est liée à ÎSiSitldU existant avec son double- caractère d’être Vioabstiait du tout, et d’êlré inteUSémènt feônbfét en Soi. (l) Voir M a
r c e l
,
art. c it ., p p . 322 et 343.
222
LA PENSÉE DE
l
’ e XISTENCE
L’Un pour l’homme est essentiellement déchiré ; c’o;,i dire qu’U ne lui est visible que par des rayons dont chaoin ne peut être vu que si l’on est aveugle pour les autrf>. Nous apercevrons, en outre, que l’Ün est essentiellemeni fugitif. Chacun de ces rayons est comme évanouissant. Par ces deux caractères de la déchirure et de révanooissemeni de rUn, la philosophie de Jaspers s’oppose à celle de Hegel. Il n’admet pas que ce qui a été acquis reste acquis, et qur les vérités fassent en quelc[ue sorte boule de neige. Bittsi plutôt, elles sont des neiges qui fondent sans cesse. « C’eÿi une question de savoir, dans la grande aventure de l’huma nité, si et dans quel sens et dans quelle mesure le vrai peut durer» (III, p. 373). Le bien n’a pas de consistanc. (II, p. 273 ; III, pp. 19,67). En fait, c’est seulement le relalii qui est pour nous consistant et stable ; l’être absolu es* pour nous à l’état évanouissant (I, p. 253). 11 y a là un renversement qui est essentiel à notre situation. « Ce qui est stable est néant, et ce qui est évanouissant est appa rition de l’être» (ibid.). Mais ce fait même, ce n’est pas autre chose que ce qm nous avons appelé jusqu’ici le caraclèr,e historique de l’êtr(I, p. 253 - III, p. 19). C’est cette historicité profonde qui à la fois la cause et l’effet de déchirure et de révançcence de l’existence. Non seulement l’existence ne vient soi que dans l’évanouissement de ce qui est simplemeni donné (III, pp. 15, 51) ; mais on peut cure qu’elle ne vieiu à soi que dans l’évanouissement de soi-même. C’est là ce qu’il y a de plus profond dans ce que Jasper> appelle la passion de la nuit, opposée à la loi du jour qui est la loi de la durée et de la consistance. « La nuit nou^ apprend que tout ce qui est donné doit être ruiné. Ricu d’authentique ne peut durer comme acquisition perma nente. Ce qui est accompli est aussi ce qui s’évanouit. Pour l’être temporel, la dernière possibilité, c’est de devenir réel, puis d’échouer. Il est sorti de la nuit et s’y reploago (III, p. 110). Le monde des chiffres, Péchec, l’instant, le miracle. — Nous ne verrons donc jeimais la transcendance en ellemême, mais seulement dans ses traces, traces contradic toires et évanouissantes, qui peuvent à peine s’inscrire dans l’espace et durer dans le temps. Nous ne la verrons 40
LÈ PROBLEME DO CHOIX
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pas comme une certitude xmiverseÜe, mais comoie une croyance amtiguë (III, p. 67), EUe réside en quelque sorte, dans révanouissement de l’objet et dans révanouissement d’elle-même. De là vient qu’elle ne peut se révéler comme objet, mais seulement comme posée de biais, pour ainsi dire, sur l’existence (III, p. 138). Elle se présente sous forme de symboles, de m;^bes (notre pensée sur le mal ne peut être exprimée que par des mythes, III, p. 73), dans un langage i^ffré, dont les chiffres eux-mêmes sont éva nouissants en ce sens qu’ils n’ont pour la conscience aucune stabilité en tant qu’objets (III, p. 15). C’est ce que Jaspers appelle l’immanence transcendante, une immanence dont ['iiumanence s’évanouit, une transcendance dont la trans cendance tend à s’évanouir (III, p. 136). Là où est atteint l'être authentique est atteint le maximum de l’oscillation de la pensée ; car il ne peut être atteint que de la façon la plus évanouissante (III, p. 162), Ce monde des chiffres n’est pas plus un que les autres mondes ; pas plus qu’eux, il n’est un système. Dans chacun lies chiffres se révèle la totalité et l’nnité (III, p. 138). J aurai donc à choisir la façon dont'je lirai l’univers; et nous retrouvons l’idée déjà exposée au sujet des différentes coTiceptions du monde : comme toute vision du monde, hi lecture de l’écrit chiffré reste toujours historique et concrète (III, p. 215), choisie, c’est-à-dire, au fond, ilictée. «La question est de savoir si j’accepte la lecture psychanalytique ou la lecture logico-dialectiqpie de Hegel, et non plus de savoir si l’une ou l’autre est exacte ; car eU.es ne sont ni exactes, ni fausses ; ce n’est pas par rcritendement ou par l’observation empirique que je suis lui convaincu, mais par ce que je suis, La question est de savoir quel est le langage chiffré qui est le plus vrai exisliüntiellement et quel est le plus ruineux existentieUement » (III, p. 148). 11 s’agit d’élimioer les significations plates, pour aller vers le^ significations profondes. « Dans la transcêTidance je n’atteins que ce que je deviens moi-même. Si je m’atténue et m’éteins jusqu’à devenir la conscience en général dont parle l’idéalisme, la transcendance s’évanouit. Si je la saisis, elle reste pour moi l’être qui est le seul être cl qui reste sans moi ce qu’il est» (III, p. 150). C’est seu lement si j ’existe profondément que j’atteins un au-delà de moi. Ainsi Jaspers unit les deux idées de transcendance 15
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LA PEKSÉE DE L^EEISTENGE
et d'existence) et suit la voie tracée par lüerkegaard. On dégagerait peut-être de la philosophie de Heidegger im effort et un résultat semblables. Les grands systèmes deviennent des chiffres (^), expres sions de l’élan de l’existence ; ils sont des mythes. L’er reur des métaphysiciens est de substantifier cet élan vers la transcendance, d’en faire des êtres (de là des dogmes, comme ceux de la chute et de la création, III, p. 205). C’est aussi de croire que l’on peut redescendre à partir de l’être de la transcendance vers le chiffre, au lieu de s’cn tenir à lui, de se tenir en lui (III, p. 206). Nous pouvons seulement monter, et non pas descendre. La dialectique? descendante est impossible. Pour la philosophie existen tielle, il restera toujours cette déchirure de l’être que nous avons constatée au début (III, p. 217). Ce que l’être est., abstraction faite du Daseiu, est inabordable pour nou^ {II, pp, 214, 215). Ce qu’il y a de vrai dans les chiffres, c’est leur façon d’exprimer nos propres sentiments d’expansion et de déchéance, c’est l’existênce eu tant que façon d’expri mer la transcend^ce (III, p. 206). Aussi, lorsque je suis interrogé ou que je m’interrogi sur r la transcendance du point de vue d’ime conscience en général, je ne puis que répondre négativement. Si la ques tion est posée du pomt de vue de l’existence, alors je puis répondre ; mais cette réponse ne consistera pas en préo ositions générales ; eüe résidera dans le mouvement même S e la communication existentieUe, dans ma façon de rae comporter (III, p. 156). C’est pourquoi, si on m’interroge sur ma croyance, je ne puis que répondre : « J e ne sais pas si je crois (^). a Nous voyons dès lors se construire tout un monde 9f chiffres, d’abord le chiffre de la nature, de la terre,. * laquelle je suis si profondément uni (Die ErdgebujidenMc meines Daseins^ die Nâhe der Natur) et qui est en même temps ce qui m’est absolument étranger ; car la natuijç est à la fois ce qui est proche de moi et ce qui est en ïÊn Cf. V a l é r y , L é o n a rd et le s p h il o so p h e s, qui recourt à la même i3ët^ de chiffre. Cf. encore Cl a u d e l , A n p o é tiq u e , p. 164. (2) Cf. la théorie de la croyance chez Kierkegaard et également chei Miguel de Unamuno ; cf. aussi la théorie de la croyance dans le Jau rn J M é ta p h y s iq u e de Gabriel M a r c e l .
LE PaOBLEME DU CHOIX
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sens Télément inapprochable, l’élément d’altérité qui est élevé au-dessus de toutes les possibilités de l’homme (III,p. 175) (^) ; et ici encore nous voyons l’existence mener à la transcendance. « C’est notre personnalité la plus déci sive qui est la racine de notre amour le plus pur pour la nature. » La nature étant l’autre de l’existence, l’élément d’altérité, elle est le chiffre par lequel je puis saisir l'origine toujours surplonJjante à partir duquel je suis. Si la philoi^nphie existentielle s’enfermait dans le domaine de la pers«>Dnalité, ce serait de sa part une faiblesse. 11 y a un abandon auquel je me livre et dois me livrer par là même que je prête l’oreille à ce qui est pour l’existence l’autre, rirréductible (III, p. 228). Et il y a le chiffre de. l’homme, ou plutôt ses chiffres, car on peut l’interpréter en idéaliste, comme conscience en général, en anthropologue, en sociologue, en théoricien de Ja spiritualité. Toutes ces façons d’étudier l’homme doivent être unies, mais toutes sont dépassées par lui, en tant iiicme qu’il sait, et est toujours plus que ce qu’il sait au sujet de soi j car, du fait qu’il se saisit, il devient un autre. Il est l’être qui se saisit, et par là, il est l’être qui s’échappe à soi-même (cf, III, ]>. 186). C’est dans l’humanité que se noue le Daseîn ] car l’homme «5t nature, conscience, histoire, existence. Il est le moyen lerme oh les extrêmes se rencontrent ; « monde et trans cendance s’absorbent l’un l’autre en lui», ou encore on peut dire qu’il se tient à la limite de l’un et de l’autre. Et pourtant, nous le savons, l’homme ne se suffit pas. Il indique une transcendance. Ainsi on ne pent jamais fixer ontologiquement ce qu’est rhomme ; il est pour lui-même chiffre, pour lui-même myslère (III, p. 187). Et, plus profondément, au-delà de ces chiffres qui restent malgré tout particuliers, chiffre de la nature, chiffre de rhomme, nous atteignons le chiffre de l’échec. Déjà ce que Jaspers nous rappelle sur le caractère inattingible du bonheur (II, p. 367), sur l’instinct de mort (ce qui lui est le plus étranger, le plus hostile, voilà çe qui attire le moi ; îHe cherche, pour éprouver quel il est, et comment il se sent dans cet élément étranger, II, p. 44), sur l’immense (1) On trouverait ici la meme dualité de sentiments vis-à-vis de la naturo que chez D.-H. Lawrence.
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LÀ.
P-BUSÈIÊ Uti
L^SSfSÎEÎfGE
arenitire que constitué Plmméûité ét qui sè tefminei'a fata^ lemént par une falUitè (II, p, 36S), nous orienté vers ce chiffre. Le chiffré ultime, ce sera le chiffre de l’échec (^) ; échec de la logique, antinomies, écroulement de la pensée : échec de l’examen objectif du monde, par suite de la déchi rure essentielle de l’être ; échec de l’action qui ne peiif atteindre aucun idéal consistant et se heurte aux désé quilibres et aux injustices ; échec visible dans les situa tions fondamentales. Et, en effet, ces deux idées d’échèc et de situations fondamentales sont liées. « S’il y avait solution-claire de la question de l’origine du péché, de la lutte, du mal en général, la situation fondamentale serait supprimée» (III, p. 78)> Notre situation fondamentale est une situation d’échec (®) : d’abord parce qu’elle échappe à notre connaissance ; car c’est en tant que nous ne pouvons résoudre les problèmes essentiels que nous existons le ptiii: réellement. Et, ensuite, et d’une façon plus générale et pins profonde, eUe est, en elle-même, échec parce qu’eUe consiste en ceci que tout positif est lié à im négatif : ir n n’y a pas de bien sans un mal possible ou réel, pas vérité sans fausseté, pas de vie sans mort. Le bonheui- est lié à la douleur, la réalisation au risque et à la perte ; la profondeur humaine est Uéè à un élément destructeur, maladif ou extravagant (^). Dans tout Dasein, je puis voir cette structure antinomique» (III, p. 22i) (*). Au-dessûs dé cet échec du Dasein, je découvre l ’échec de l’existence; car, ici non plus, il n’y a pas univeraalité et harmonie, maij: partout antinomie ét dilemme (111, p. 227).
(1) Gf. A b a g o u , U n e v a g u e d e r ê v e s . Sans doute que Traimcnt nou^ interrogeons Tabîme ; mais c’est ce grand échec om se perpétue. (2) Cf. M a r c e l , a r t. v it., p. 346. — G. Marcel, P. Landsbo^, au ccim d’une discussion sur la philosophie de Jaspers, ont fait remsffquer tMlustement que le mot échec n’évoque peut-être pas assez l’activité (téijir tion au sujet) et l’objectivité (relation ayec l’écU(^) compris dans le' Se/teüerrt. Ce serait plutôt l’éohouage, le fait d'échouer, le natifrs^e. (3) Gf. G . B a t a i l l e , La notion de dépense, dans Critique sveiede, V i vier 1933. (4) Cf. Ma r c e l , a rt. e ü ., p. S45. La valeur se trouve liée à des conditiani qui la nient. Les opposés son t si inlimement liés entre eux que je ne pim me débarrasser de ce que je combats... sans que je perde cela même que je
voulais sauvegarder comme réalité.
LS
PROBLEME SD CSOIX
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parition» (III, ji. 221). De sorte que toutes les valeurs auxquelles je m^denti^e quand je suis le plus moi*mênie, s o n t partielles et éphémères ; ü n’y a même liberté que parce qu’il y a ces brisures dans la valeur et la durée (III, p- 227). L’apparition de l’être doit donc « prendre ici la forme d’un mouvement vers l’échec’». « Quand l’être comme appari tion dans le Dasein atteint un dp ses points les pins mevés, celui-ci n’est qu’un point qui se renverse pour disparaître, afin de manifester la vérité de son élévation ; car eüe se dissiperait s’il persistait. Toute perfection se perd sans cesse ; ce qui est authentique n’est pas encore ou n’est plus. On ne peut le trouver que sous la forme d’une limite éTanouîssante entre la voie qui monte vers lui et la voie qui descend à partir de lui. 11 est impossible de s’attarder dans la perfection ; et l’esdstence ne fait que croiser autour de ce point évanouissant. L’instant comme tel est tout, et pourtant il n’est qu’instant» (111, p. 227). En ces li^ e s que nous avons tenu h citer se fait jour le sentiment de celui qui suit les démarches de la pensée ou de l’art vers une acmé, qui apprécie chacune de ces démarches, mais voit iMi même temps, au cours de ce progrès, s’évaporer, par une sorte de décadence jointe subtilement au progrès, ce qui faisait le charme des premiers essais. L’imperfection contenait les germes de la vie de la perfection ] mais, dans la perfection, ce qui tendait vers elle trouve sa propre mort. Le chef-d’œuvre une fois accompli, cette authenti cité qui se voyait dans le mouvement vers le chef-d’œuvre est détruite ; et la décadence commence avec le triomphe. Les communions, les révélations ne peuvent être qu’éva nouissantes, Elles ne durent qu’un instant ; ce qu’il y a de plus haut dans l’être est ce <|u’il y a de plus bref et de plus fragile. Les dieux enlèvent vite au monde les êtres qui leur ^nt les plus chers. Ce qui est durable, c’est ce qui est infé rieur. Tout ce qpii a consistance se dissipe (^). C’est que l’existence comme liberté ne peut jamais acquérir la subsistance dans le Dasein. Elle existe en tant .qu’elle tente de la conquérir ; mais, si che l’avait conquise, jcUe cesserait d’être. S’accomplir, poiu elle, c’est se perdre. réaliser, c’est s’éteindre. La matnrité est en même temps neillissement. (l)^G(. Ma r
c el
, ort. cit., ppi 33G, 338, 346, 347.
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LA. PEKStE DE
l 'SXISTENCE
Cet anéantissement de la valeur dans la durée est tiéo à la possibilité même de la liberté. La disparition du Daseiii est l’apparition de l’être de la transcendance. L’esprit est dans l’instant (III^ pp. 227, 223), dans ce qui n’a aucune permanence. Et, en effet, la liberté, qui n’existe que par la nature, n’existe en même temps que contre nature. Il n’y a liberté que s’il y a résistance. En nous-mefiies nous sentons une nature obscure, un fond irrationnel, étranger, avec lequel le moi doit lutter et qui parfois, comme dans les maladies mentales, rompt toutes les barrières, et tend à me détruire. Ce fond sombre, qpie je dompte, que je maîtrise, subsiste cependant ; il est à la fois menace et source d’énergie ; il est ce qui me donne ma force. Ainsi ma liberté se heurte à la nature dont elle sort. Si elle se refuse à ce hemt, elle disparaît comme liberté. Si elle consent à lui, elle disparaît en tant que Dasein. Elle est de toutes parts menacée, en elle-même menacée (III, pp. 228, 229). Telle est l’antino mie de la liberté. La liberté est donc vouée à l’échec. Les situations-limites où se trouve l’existence deviennent elles-mêmes chiffres de la faillite de l’existence. La mort signifie, en effet, que la disparition est comme constitutive de l’idée de l’existence ; la souffrance et la lutte, que le est lié au négatif ; le péché, que toute existence se Jiositif imite et est limitée. Puisque je suis pour moi-même une doimée et que ce que Jaspers appelle l’éclaircissement de l’existence échoue, je dois faire appel à la transcendance. Mais je n’échappc pas pour autant à la fatalité de l’échec ; et je suis en face de l’échec du chiffre, essentiellement ambigu, essentiellement instable, comme nous l’avons vu, et de l’échec de la trans cendance même, puisque la^ transcendance est indétermi nation, et que la volonté de transcendane se manifestera sous la forme de la passion de la nuit (III,' pp. 215, 220, 221). Nous avons donc eu beau monter vers la transcen dance, nous courons toujours vers l’écbee. Ce n’est pas à dire que je doive renoncer à l’effort. Bien au contraire, pour que le chiffre de l’échec ait sa significa tion, il faut que je me sois violemment, de toutes mes forces, efforcé d’échapper à l’échec. Sinon, ma pensée de l’échec resterait pensée abstraite {III, p. 225). Il faut qu’elle se remplisse à l’aide de mes efforts et de mes victoires annihi-
LE PROBLÈME Dü CHOIX
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lés, comme le non-savoir s’enrichit de tous les progrès et de toutes les défaites du savoir. Ce qui doit être le résultat de la lutte existentielle ne peut être anticipé, «t Ce n’est i|ue par la voie de la douleur, face à face avec le visa^ inexorable du Weüdasein et dans rincommunicabUité de la communication existentielle, que l’existence peut atteindre ce qui ne saurait être jamais sans absurdité objet de plans et de souhaits : dans l’échec éprouver l’être» (III, p. 237). Et, pourtant, ces caractères d’échec et de passage éphémère vont pouvoir être transformés en quelque chose île réel, de positif (^) ; et on va voir ici un effort assez ana logue à celui de Heidegger, quand il parlé de l’être-pour-lamoi't et de la décision, un effort sans doute inspiré, comme oelui de Heidegger, d’une méditation sur la pensée kierkegaardienne de la répétition, et pour les mêmes raisons peut-être également critiquable. « La destruction et la perte de soi deviennent ellesmêmes «tre, quand elles sont suivies librement. L’échec qui n’était saisi, en tant qu’échec de mon Dasein, que comme qpielque chose de contingent, devient échec authen tique» (III, p. 222). Ici, je me trouve au delà de mon être vital qui veut durer et saisir ce qui est durable. Je prends snr moi ce qui m’arrive ; j’accueille l’échec et la perte du moi. l ’ai conscience que tout ce qui a ime valeur est éphémère ; je puis saisir ce ne subsiste pas ; je puis le saisir dans sa perte même, e Je puis éprouver, dans un acte de patience clairvoyante, que ce qui est plénitude de presence n’est pas perdu» (III, pp. 223, 225). Je deviens libre, en prenant conscience de la nécessité de l’échec. Moi-même je me brise comme Dasein, je disparais comme existence. En même temps, par une sorte de renversement du pour et du contre, ce qui était obstacle devient signification (II, p. 373) (^. La volonté d’éternisation, au lieu de rejeter l’échec, semble trouver son but dans l’échec lioii-même (III, p. 222). C’est sur cette idée d’éternité que nous pouvons insister maintenant. Nous avions vu que l’échec sé transforme en liberté ; nous allons voir l’éphémère se transformer en éter nel. Pour cela, U faut d’abord se rendre compte q(ue tout présent est souvenir et anticipation. Toute perception pro(1) Cf. M a b c e l , arl. c it ., p. 346. |2) C’est ici qu’apparaît, sous l’échec (le naufrage), la présence de l’écueil, de l’autre, qui cause le naufrage.
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L A P p r r E E E D S L’EXJ&TE ï (GS
fonde apparaît comme un souvenir ; toute déeision pro fonde est un acte dans lequel je me rappelle à moi-même ce que je suis, c Le souvenir devient chiffre, révélation de Pêtre. Je reste devant le réel, mais le saisis comme ayant été ; le souvenir est la conscience de la profondeur du pré sent et de la profondeur du passé» (lll, p. 208), de la profondeur du présent en tan t que passé, pourrait-on dire, et du passé en tant que présent. DWtre part, je suis tou jours tendu vers mon avenir, active possibilité de cct avenir, pressentiment. Mais il faut se rendre compte, en deuxième lieu, que pris séparément, le souvenir et la pré vision tendent à effacer le présent. Le souvenir nous met en face d’un temps subsistant dans lequel U n ’y a plus do décision ; dès lors, le présent est privé de son être ; U n’est plus qu’un passage entre passé et avenir ; il n’apparaît que comme ce qui n’est plus ou ce qui n’est pas encore, — nous sommes devant un présent déchu (^). Or, c’est parce que. par une défaiUance dans la lecture du chiffre, le passé et l’avenir ont été isolés, que le présent a perdu sa valeur (III, pp. 211, 212). Le souvenir ne va vraiment s’approfon dir, et des phénomènes comme ceux du déjà vu prendre tout leur sens, que lorsqu’il y aura union du souvenir et du pressentiment (III, p. 209). Alors, ce dont on se souvient est en même temps possibilité susceptible d’être conquise dans le pressentiment et la prévision {III, p. 207). Je décide, en quelque sorte, du passé ; le passé est une matière qui peut être modelée et dont les possibilités ne sont jamais épuisées (III, p. 208). J ’ai donc le sentiy a une saisie de l'avenir par le souvenir (^ p. 268). « L’élan vers l’être dans la saisie de ce qui vient vers moi à partir de l’avenir est unification de cet avenir comme être avec lequel j’étais lié depuis toujours et pour toujours. Nous avons le sentiment à la fois d’une nouveauté absolue dont nous n’avons aucune image et aucune représentation, et le sentiment de quelque chose de tout à fait aucien ; car cela était en moi depuis toujours,» Quand il y a un tel souvenir pénétré de prévision et de décision, quand il y a (I) Cf. la théorie du présent déchu, ch eï Heidegger. Sur les rapports entre Heidegger et Jaspers, Toir, entre autres. Gerhard L e h k a n m , Die OnloIogU der G e g e n w a r t , p. 22.
LE
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CHOIX
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une telle union du présent et du passé, le présent ne reste 1> 1 ji3 simple présence ; il devient étemelle présence illl, p. 207), Il se formera alors un système vécu de l’être qui S!' ferme sur soi, à condition d’exclure de la silification du jiiot système toute idée d’un savoir, à condition aussi de ne pas détacher du temps cette vision de l’intemporel ; car il ne peut être vu qu’à partir du temps (III, p. 212). L^éter^ikd est posé, pour ainsi dire, de biais sur la temporalité ; Lt il n’est présent que comme chiffre ambigu, que nous ne pouvons épeler qu’à partir de notre existence temporelle, à partir de la décbion et de la fidélité (III, p. 218). Nous âvions TU que l’existence est, pour le philosophe, toujours quelque chose de passé ou d'avenir (I, p. 268), que la sagesse est soit le hibou de Minerve, soit la colombe pro* phétique. Mais, au-dessus, embrassant dans un seiü acte les différents moments, ü y a le tournoiement de l’aigle. Derrière la théorie de Jaspers, nous voyons se profiler à la fois le souvenir décrit par Novalis dans Heinrick von Oiterdingeny déjà vu et appel vers l’avenir ancien et nouveau, le temps perdu et retrouvé de Pl*oust, l’étemel retour de Nietzsche, la répétition de Kierkegaard^ et ce passé à venir dont parle Heidegger. C’est alors que nous arriverons, sans doute, à comprendre « deuxième langage o dont nous entretient parteîs Jaspers ; car pour lui comme pour Heidegger, et même> en un certain sens, pour Kierkegaard, aies voies de réclair» (.■iisement de Texist^nce nous mènent vers la réalité». La. léalité elle-même va devenir mythique : toute transfigurée, foute pénétrée de transcendance. C’est ce dont les toiles il'an Van Gogh nous donnent un exemple en leur réalisme lyrique (III, p. 197). Dès lors, nous sommes devant.le fait; k le fait se dévoile et se vode à la fois dans son caractère ie mystère. Nous sommes en présence d’un nouveau sentitaent ; la possibilité du réel, la réalité du^ossîble. «Le Dasein tel que ceci est possible, et l’être est tel que le Dasein est possible.» ((Dans l’étonnement, dans la haine, dans le ifisson et le désespoir, dans l’amour et dans l’élan, on voit que : cela est ainsi» (III, p. 134). Le Dasein. comme chiffre j^présence absolue et l^toricité absolue. Nous sommes îu delà du savoir. « La solution n’est pas objet de savoir ; elle est dans l’être qui reste caché. Cet être regarde en face dui qui, à son propre risqpie, s’approche de lui» (III, p, 223).
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LA PENSÉE DE
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Nous sommes en présence de ce qui se passe ici et mainte nant ^en tant qu’il ne peut être résolu en quelque chose de général (III, p. 172) ; car il y a deux façons de comprendre le réel ; ou bien il sera susceptible d’être connu, expliqué par des causes et des lois, et il faut reconnaître que cette expli cation par les causes et les lois peut être poussée aussi loin que l’on voudra ; ou bien il est vu dans sa révélation immé diate, comme un chiffre, comme miracle {ibid.). Ici se continue et s’achève le mouvement par lequel nous avon$ dit que la pensée se supprime elle-même (III, p. 137). Nous sommes devant le monde comme fait. « On ne peut pa<; saisir pourquoi le monde est. Peut-être peut-on réprouver dans l’échec ; mais on ne peut plus alors le dire... Seul, k silence est possible» (III, p^ 254). L’assurance croissante de la transcendance peut, au point le plus sombre, renoncer au lan^ge de la transcendance et s’en tenir à l’être (III, p. 2w). En deçà de la dialectique descendante, qui est impossible, et même en deçà de la dialectique ascendante, nous découvrons le réel. C’est à ce moment que prennent toutes leurs significalions les méthodes de l’ontologie négative par lesquelles la pensée s’annihîle ou parle pour ne rien dire. On atteint la conscience simple de l’être, l’assurance de l’être, on éprouve l’être ; et cela ne peut s’exprimer que par cette énonciation vide de contenu : Gela est (III, p. 233). « Aucune des for mules que l’on peut employer ici ne disent rien ; ioutoa disent la même chose ; et c’est comme si elles ne disaient rien ; car elles sont des niptures du silence, qui n’arrivent pas à le briser» (III, pp. 234, 236, 237). Nous sommes au delà de l’angoisse. « La simple angoisse comme le simple repos recouvre la réalité d’un voile. C’est le fait fondamental de notre existence dans le Dasein que la réalité ne peut être vue dans sou authenticité sans qu'il y ait angoisse, mais aussi sans qu’il y ait pacage de Tangoisse au repos », sans ce processus infini qui sans cesse va de l’un à l’autre (III, p. 235). Le chiffre de l’échec et le chiffre du miracle viennent compléter (^). L’échec de toute pensée, pour Jaspers, qui transpose ici la vision d’un Kierkegaard, nous met en pré(1) gaardi
Ils se complètent d'une façon analogue dans la pensée de Eierke-
LE PROBLÈME B ü CHOIX
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?eiice du miracle. Le chiffre ultime reste celui de l’échec :
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LA Pensés B S
l ^e s i s t e ;î C£
il y a là une vision du moi, à la limite du moi, au bord de la transcendance, au bord de Tautre. En même temps qu'à son rapport avec cet autre infini, la valeur de Texistence est liéfî à sa propre finitnde *, et il y a, chez Jaspers, un effojl pour constituer une sorte de logique de la qualité où l’acuité d’un sentiment profond est préférée à l’ampleur des considérations les plus vastes, où l’addition n’a plus de sens, où le moins est le plus. Les mêmes efforts sont conti nués et approfondis dans la théorie de la transcendance, où le choix est de plus en pins transmué dans le non-choix, et où miroite cette idée impensable de l’un absolument un et cependant multiple, à la poursuite de laepielle nous sommes lancés par là même que nous existons., La théorie de l’échec, de réphém^e étemel et du miracle, autant de points de jonction entre la théorie de Jaspers et nos préoccupations métaphysiques ; autant d’idées où une certaine forme de l’esprit çoniemporain se recpunaJt en lui, avec ses découragements, son désir d’in tensité, son besoin de trouver des succédanés à l’absoln son aspiration vers une réalité aussi belle qu’un mythe et qu’il se créerait à lui-même, cette ontologie négative qui lui est comme une ivresse. On pourrait dire que la réflesion de Jaspers se situe eu mn lieu où résident quelques-uns des problèmes philosophiques les plus éternels, bien que tous les philosophes n’aient pas pris conscience d’eux, e t les plus actueB.^ Mais, précisément après avoir noté ta n t de points sur le3^ quels nous tendons à être d’accord avec Jaspers, tant de motifs pour nous intéresser à sa philosophie, n’en venonsnous pas à éprouver quelque méfiance à l’égard de çet intérêt même ? Ne découvrons-nous pas en elle l’adoration ^ eeitames idoles que nous nous plaisons à nous forger ? Cette de l’instant, cette idée de l’union du présent et du passé dans un instant éternel, c’est bien un mythe sui van t le mot que Jaspers emploie, mais un mythe auquel nous ne croyons
LE PBOE l ÉME d u
c h o is
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rêtîe sans doute ; mais ne deTrait-on pas le dire plus nette* ment ? Et comment cette transcendance est-elle caracté risée ? D’elle nous ne pouvons rien dire, sauf qu’en elle !a possibilité et le choix n’existent pas(^). Dès lors, nous sommes devant cette ontologie négative, abîme plein d’attrait, abîme vertigineux, mais en même temps refuge si commode^ On peut aussi se demander si l’idée de la transcéudance n’est pas le produit d’une de ces objectivations, de ces fixations que Jaspers dénonce. Quant à l’idée du monde des chiffres, elle demeure, malgré tout, assez vague. Elle consiste au fond, à dire que l’on est devant le fait du monde comme représentant une transcendance qu’on n’a pas prouvée et qui reste inaccessible, et tout cet effort de Jaspers a pour résultat de nous dire qu’ü faut prendre le monde comme un fait, comme il nous avait déjà dit qu’il faut être ce qu’on est. Ce n’est pas que cela ne soit légitime. Mais le poète, l'homme qui aime, l’homme qui croit, s’installent d’emblée dans cette vision vers laqueUo Jaspers nous indique un chemin difficile. Sans'doute par là même que le philosophe n’atteint à cette vision qu’en partant d’un point qui est situé hors d’elle, ceUe-ei acquiert-elle un mérite plus grand. Mais en est-elle intensifiée ? C’est ce qu’on peut se deman der. Un Pascal, un Nietzsche, un Kierkegaard atteignent à dés profondeurs plus tragiques. Ils apparaissent, si on veut encore employer ce mot, bien plus existentiels qiie ne peut l’être un ph^osophe de l’existence. Et le pathétique meme qui vient de la dialectique ne leur est pas refusé : car là dialectique ne perd jamais ses droits, et sa flamme se rallume chez de tels penseurs à la flamme même de leurs troyance, et, pour ainsi dire, au vacillement même de cette flamme. Là n’ést peut-être pas encore le défaut le plus grave de cette belle tentative. Il est peut être dans l’idée même de la philosophie de l’existence. Une philosophie de l’existence Ùu entrent tant de données diverses, où joue une intelli{1} D'aiileius, peut-elle être pensée sans contradiction ? La franscen~?aoce est ce qui est soi-tnëme sans un autre (III, p. 15) ; et, en même temps, la transcendance. Dieu, n’est pas sans l’homme (III, pp. 124,164). Il est vrai qu'il n’y a rien en cette contradiction que de raisonnable en quelque sorte : sur la transcendance, nous ne pouvons nous exprimer sans contradiction.
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LA PÊÎTSÉE DE L’ e XISTENCB
gence si large, est négation de la pensée existentielle (^) ; car la pensée existentielle est étroitesse, intensité fondée sur une étroitesse. 11 3^a donc peut être dans l’idée même de philosophie de l’existence une contradiction. On le sent particulièrement dans certains passagos. Lorsc^e Jaspers pense que le combat est susceptible d’une signification, d’ailleurs pour nous inattingible (II, pp. 3744w), lorsqu’il nous récommande une attitude de toléraoce respectueuse (111, p. 113), lorsqu’il fait ses efforts pour rendre aussMarge, aussi peu étroite que possible, la philo sophie de l’existence (llî, p. 228), on peut se demander s'il ne se replace pas sur un plan intellectuel qu’il aTait en réalité dépassé. De même, lorsqu’il nous parle de l’idée péché, du péché de limitation, comme si, pour échapper au péché, il fallait se maintenir dans le plan de l’universalité (^), ne pourrait-on pas dire qu’il n’a pas suivi l’élan de cette dialectique qui, devant le problème du choix, l’a amené à voir s’évanouir l’idée de choix, et que, de même ici, elle l’aurait conduit à voir disparaître l’idée du péché (®), pour ne plus voir subsister que l’idée de limitation ? Encore celle-ci n’a-t-elle peut-être de sens que par rapport à l’idée (1) Quand Jaspers nous dit qu'il ne faut pas trahir; son pays, ses parents, son amour, que ce serait se trahir soi-même [Il p. 245), il v a là une tendance très profonde de la pensée de Jaspers, acceptaltij!i du moi, et du moi en tant que concret, avec les données dont je dériv? et que j'unifîe en quelque sorte avec moi. Mais il y a chez lui uiit tendance également profonde à prendre parti pour les hérétiques. Fl Poiyhe et saint Paul (II, p. 402), qui ont remé un l’hellénisme, l’autr^ le judaïsme, ont-ils fait preuve de ndêlité au sens oh d’abord on définis sait le mot? Que répondre à la qnesUou : Puis-je me tFansformer ou dois-j)m’aocepter? (Cf. II, p. 125). Ainsi partagé entre les deux lendaiK
LE PR0BL:ÈME DD CEOIX
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(l'une universalité abstraite ci disparaitrait-elle finalement à son tour. Ainsi tout l’effort de cette inteUigenee agile, experte, pénétrante, parfois profonde, avide de se porter vers les ohoses qui lui échappent, assez large pour se nier et voir b zone de nuit qui l’euveloppe, désireuse de ne rien laisser éiliapper du tragique qu’elle pense être celui de rexistenoe, lùirrive pas cependant à nous satisfaire. Cette apologie si i'ielseitig de VEirtseUigkeü ne peut contenter ni la VielseiligkeU du düettante ni VEinseüigheü de l’enthousiaste. Peut-être est-ce là le destin que le philosophe a à « prendre sur soi». Peut-être est-ce là un écnec qui vérifie encore la philosophie de l’échec. Mais peut-être aussi est-ce que le [and obscur sur lequel on veut porter la lumière tout en re.^peetant son obscurité refuse même ce faible rayon de lumière. Ou plutôt encore est-ce que cette lumière est trop :aible ou trop calme et que l’existence ne se laisse pas voir i»la lueur de la lampe de l’amour, et à plus forte raison à la liipiir de la lampe tenue par l’intelligence, mais à celle de J’cclair, à celle d’une pensée semblable à la pensée, exis^mtielle celle-ci, de Kierkegaard ou de Nietzsche et à celle lie quelques poètes. Mais ce jugement sur la philosophie de Jaspers n’est assurément pas une condamnation de l’intoi;ion de l’existence qtii est à son origine, qui est son intuition riçinaire.
QUATRIÈME PARTIE La théoiie de la vérité dans la philosophie de Jaspers
Jaspers â publié, en 1947, son ouvrage De la Qêriié. Il constitue le premier tome de sa Logique pküosopkiqaé. C'est ce texte qui sera la matière de nos réflexions. * Un problème philosophique, d’après Jaspers comme d’après Heidegger, peut se définir comme un problème rjui met en jeu la totalité de tout ce que nous pouvons penser et sentir. Et dans cette totalité, nous sommes nousmêmes compris. Par conséquent, un problème philoso phique, c’est celui par lequel nous sommes en relation avec le tout, et où nous nous sentons en relation avec nous-mêmes. Ainsi, nous faisons de l’existence des choses et de notre propre existence un problème. Il y â là un danger, un risque, et en ce sens le philosophe se risque hii-même, se met en jeu lui-même, suivant l’expression de Heide^er, et de Jaspers. Nous faisons de nous-mêmes un problème ; par ià même nous risqpions de sentir à chaqne moment le sol se dérober sous nos pas, dit Jaspers, et de nous sentir par nos {(uestions mêmes précipités dans le vide. Â certains moments de son livre sur la vérité, il parlera du veriige qui saisit le philosophe^ Avant d’aborder ce problème de la vérité, nous dirons 4 }ueïques mots de la philosophie de Jaspers en général. Elle est d’abord une critique des formes ordinaires dn savoir. Jaspers nous montre comment, si nous rcfléchisspns, nous devons aller des événements particuliers situés dans l’espace et dans le temps, qui s’évanouissent en Une sorte de poussière, vers autre chose. Cet autre chose, ce sera d’ahord l’ensemble des faits scientifiques. Mais nous nous rendrons compte aisément qu’ils font partie de domaines 16
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LA PENSÉE I»E L*EX1STENCB
variés, c’est dire que la science n’est pas une. De plus daii? chacxm de ces domaines, il y a un certain nombre d’hypo thèses et de postulats, de présuppositions. Nous ne pouvons donc pas en rester au monde scientifique, nous devons aller au delà, vers Vesprit, faire un certain effort pour pen.ser les totafités, et nous verrons que nous devons aller enconj au delà, vers ce que jaspers appelle l’existence, l’existence dont nous ne pouvons jamais prendre à proprement parler connaissance et qui échappe par son infinité à l ’analyse, Si nous voulons chercher quelque chose de sûr objecti vement, nous avons vu que nous ne saisissons pas le véri table être. C’est comme si l’être reculait devant notre volonté de savoir, et ne nous laissait entre les mains, sous la forme de l’objectivité, que des résidus et des traces de loi-même. n faut donc que nous allions an delà des faits partieuhers, au delà de la raison et de l’esprit, vers quelque chose d’autre qui est l’existence, ou ce que Jaspers appelle la croyance, décision radicale par laquelle nous choisissons ce à quoi nous croyons, historicité profonde, c’est-à-dire jonc tion de l’instant et de quelque chose d’éternel. Par la croyance nous sommes amenés à voir qu’ü y a quelque chose qui est au delà de nous-mêmes ; par la croyance l’existence se met en rapport avec la transcendance, elle sent que «l’assurance lui est versées, d’une façon qu’elle ne peut pas concevoir, à partir de ce qui est sa source, à partir de l’origine. Le problème de la vérité, pense Jaspers, a aujourd'hui une importance plus grande que jamais, car en ce moment où le nihilisme est poussé jusqu’à son point extrême, sous l’influence de philosophes comme Nietzsche, il s’agit de nous assurer à nouveau de sla vérité éternelle». De Gorgias à Nietzsche, on peut suivre les assauts du scepti cisme contre l’idée de vérité. Toujours l’idée de vérité a eu à lu tter contre la négation de la vérité, et c’e^t dans cette lutte qu’elle croît et se développe. Mais nous assistons à un phénomène particulier dans l’^oque con temporaine. Une foule de disciplines se sont développées, qui essaient de dériver historiquement la valeur de vérité^l par là même l’annihilent. C’est le cas des disciplines sociologiques, des théories économiques, des théories anthro pologiques, des théories psychanalytiques.
Lii THEORIE DE LA VERITE
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Jaspers admet que dans quelques-unes de leurs analyses, Mars et Freud apportent des lumières. 11 n’en est pas moins vrai que par certaines de leurs tendances ils contrit buent à détruire la vérité. Si nous regardons l’effort des philosophes, tout au long de rhistoiie de la philosophie, nous verrons que bien sou vent il a consisté à réduire l’ensemble de l’être à un mode de l’être, par exemple à la matière ou à la vie. Mais cette entreprise de réduction de l’ensemble de l’être à une forme particulière de l’être est pour Jaspers impossible et condamnable. Nous avons vu que le scepticisme est un des dangers qui menacent les philosophes, mais le dogmatisme, le fanatisme, ce que Jaspers appelle la catholicité absolue, ne sont pas moins néfastes que le scepticisme. La vérité ne doit jamais être conçue comme quelque chose de possédé cl elle n’est pas non plus quelque chose d’intemporel comme SCle figurent ordinairement les dogmatistes. Trop souvent l'intemporel a été pris comme le signe de l’étemel, La vérité est pleine de contenu ; non pas intemporelle, mais à la fois, d’après Jaspers, temporelle et éternelle. Nous pouvons, en abordant la théorie de la vérité chez Jaspers, constater qu’il se trouvera d’accord avec la phi losophie classique sur certains points. La vérité, dit-il, n’existe que là où la fausseté est pos sible aussi. Donc elle n’existe, du moins au premier abord, que dans le domaine des propositions et des jugements. En deuxième lieu la recherche de la vérité ne peut com mencer que par la reconnaissance que nous ne sommes pas dans la vérité, que nous sommes en quelque sorte pris dans Terreur. C’est l’erreur, puis la conscience de l’erreur, qui sont à l’origine de notre recherche de la vérité. En troisième lieu, la vérité se présente comme accord, accord entre la proposition et son objet, accord du sujet de la proposition avec son prédicat, accord de mon jugement avec les autres ju^ments. Mais en réfléchusant, nous voyons que l’accord suppose au fond une séparation préalable. Il n’y a d’accord entre la proposition et son objet que parce qu’il y a une certaine séparation entre la proposition et son objet. Donc il n’y a de vérité que dans le domaine de la séparation. Pourtant, après avoir insisté sur le fait que la vérité se
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PEKS^B
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présente d’abord comme séparation, il nous faut dire qu’elb est en réalité identité avec l’^re. La vérité, identité ave voilées, et qu’il faut un effort pour découvrir la vérité. C’est dire que nous avons à partir de l’erreur pour trouver la vérité. On voit par là même que cette vérité-révélation, ne se conquiert pas sans peine ; peu à peu nous arrivons à elfe, parce que nous sommes, pour H eid ei^ r et aussi peur Jaspers, dans le domaine de la non-vérité, dans ce qne Heidegger définit comme nne sorte de domaine de la chute. Si la vérité est antérieure à l’entendement, c’est ou’elle
LA THéORIS DE LA YÉBITÉ
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n'en dépeDd pas, et qu’il peut y avoir un rôle du sentiment, La vérité se développe et croît dans un processus d’inclusion de tout l’homme. 3ans doute, le sentiment, pour Jaspers, n anra toute sa valeur que quand il ^ ra éclairci par la raison. Mais ce sur quoi nous voulons insister, c’est sur le fait que la théorie ontologique par laquelle vérité et être s'identifient, et la théorie existentielle de la vérité par laquelle la vérité est affaire de sentiment autant que de raison, sont liées, ici comme chez Heidegger. Nous avons dit que la vérité est liée à l’être. Chaque fois qu’il y aura une forme de vérité, nous verrons corres pond à elle une forme d’être. Chatjue fois, dit Jaspers, la découverte de nous-mêmes que nous accomplissons se lie avec les traces de l’être de l’autre grâce auquel je suis. Autrement dit, je suis toujours en rapport avec autre chose que moi, que cet «autre chose » soit la vie non réfléchie, üii une sorte d’intelligence universelle, dans le cas de la ecinnaissance intellectuelle, ou que ce soit les idées, dans le cas de l’esprit, on que ce soit la transcendance, dans le cas de l’existence. Il y a lé une sorte de réalisme de Jaspers, d’après lequel la vérité se définit toujours d’après l’être auquel elle se rapporte et conformément à lui. On pourrait dire qu’ici, les influences si diverses dans leur nature, de Kierkegaard et de Husserl coïncident. L’être n’est pas produit par nous, n’est pas simple interprétation j c’est plutôt lui-même, en un certain sens, qui, par son propre choc, produit notre interprétation, nos jugements. Ik n’ont leur sens et leur contenu, que grâce à quelle chose d’autre, grâce à un autre, duquel ils se remplissent, dont ils vieiment, et vers lequel ils vont. 11 y a différents modes d’être, et par conséquent la vérité ne sera pas quelque chose d’uniforme, elle sera mullidimensionnelle. II y a la vérité de notre être particuEer, ce que Jaspers appeUe le Dasein, la vérité de ce qu’il appelle la conscience ép général, la vérité du monde, celle de l’esprit, de l’exis-^ feiice, et enfin, en un certain sens au moins, une vérité de ta transcendance, bien que la transcendance dépasse la vérité. De ces six espèces de vérités, quatre concernent l’être que nous sommes, car c’est nous-mêmes qui sommes àjq
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LA PENSEE DE L EXISTENCE
fois être particiilier vivant, conscience intelIectuoHo, esprit et existence. Et il y a deux de ces modes qui concernent Tautre avec lequel nous sommes en rapport, d^nne part le monde, et d’autre part la transcendance. Certaines des choses que nous ne sommes pas sont liées à notre être lui-même, et par exemple, un des aspects au moins de l’idée du monde, l’aspect scientifîqpie de l’Idéi^ du monde, n’existera que parce qpi’il y a en nous une intel ligence, « une conscience en général ». Nous étudierons d’abord la vérité du Daseîn. Le mot Dasein signifie être là, et on le traduit souvenf par l’être empirique, mais cette traduction présente dr-$ difficultés. Jaspers nous dit que cette vérité du Dasein s’exprimp dans l’empirisme, mais surtout dans le pragmatisme. Pour l’être particulier que nous sommes, le vrai, c’est ce qui sert à l’indiyidn pour se maintenir ou pour s’épandre : c’est ce par quoi il pense assurer son bonheur. Le vrai, dit Jaspers, en reprenant la formule de Wyiiam James, est ime fonction. Et comme à chaque vérité, correspond ce que Jaspm appelle un mode de communication, la communication dans ce domaine du Dasein sera fondée sur l’intérêt. La théorie du Dasein, la définition même du* Dasein, pose beaucoup de questions, dont nous dirons un mot avant de passer à la seconde sorte d’être et à la seconde sorte de vérité. Le Dasein se présente d’abord comme l’individu parti culier et déterminé, ce qui est déterminé dans l’espace e dans le temps, ce qui a commencement et fin, ce qui est là Ce sont autant de définitions que J aspers donne du Dasein Mais si nous regardons la notion dé plus près, non voyons qu’elle tend à s’élargir, à devenir plus dynamique c’est pour cela que Jaspers dit : la doctrine philosopliiqin qui correspond au Dasein, ce n’est pas proprement l’empi risme, c’est bien plutôt le pragmatisme. Et d’abord nous devons faire observer que cet être par ticulier et détei:mmé que nous sommes a conscience de luimême et qu’ainsi il sera ambigu et indéterminé, puisque la conscience rend des transformations de lui-même par lui-même possibles. Donc, en tant que Dasein, je suis toujours plus que ce que je^sais de moi et plus que ce que je puis savoir de moi.
LA THEORIE DE LA VÉRITÉ
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Tout ce qpie je puis à projirement parler savoir de moi, mon pays, l’époque où je vis, ne sont que des détermina(ions pour la connaissance qui les dépasse. Nietzsche a bien vu que ïe Dasein à une tendance à aller au delà de luimême. D’autre part, Jaspers admet qu’à certains moments ce Dasein, qui tend, naturellement à s’êpandre, se restrein dra, se limitera; c’est à ce moment-là qu’il se réduira à être ce pur être particulier que je suis. Il sîbandonnera alors ses possibilités de dépassement. Il sera Dasein pur et simple. Mais dans l’ensemble, nous pouvons conserver cette idée qu’il tend sans cesse à se dépasser. Puis, s’il est éclaircissement de lui-même, c’est que ce pasein est une sorte de point lumineux qui dans l’obscurité du doute sans fond, s’apporte lui-même à lui-même, et par là même aussi apporte le monde à l’apparition. De nouveau on pourrait comparer ici la théorie de Jas pers avec celle de Heidegger. L’être, dit Jaspers, n’est d’abord pour nous que dans l’apparition de ce point lumiueux que nous sommes. Cette lumière elle-même est une lumière énigmatique, car nous prenons conscience de notre contingence. Je pourrais ne pas être, mais je suis. C’est là,.dit Jaspers, une pensée limite, qui nous rend sensible le Dasein dans le caractère éni^atic^e du pur fait qu’U est. L’affirmation de l’être est intensifiée quand nous devenons conscients de la contingence de notre propre Dasein. Un autre caractère du ÎJasein snr lequel nous avons à insister, c’est que d’après Jaspers, il y a dans le pur fait que nous sommes, dans le pur fait du Dasein, nue sorte de joie, une jubilation fondamentale du Dasein. Le Dasein en tant qfue tel est bonheur, dit-U. Mais eu même temps, par la conscience de la temporabté, il peut être plongé dans le malheur. En tout cas, ces deux sentiments fondamentaux, ce bonheur, qui est le plus fondamental des deux, et ce malheur, ne sont possibles que parce que le Dasein peut se dépasser, et peut aussi s’éclaircir, étant lumière. “ Cette analyse de l’idée de Dasein nous montre comment il y a une sorte de glissement du sens primitif du mot Dasein, du pur être là, à quelque chose de beaucoup plus complexe, et qui se rappoche assez à certains moments du
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L4. PEIÎSES SE l 'E^ISTEKC^
Dasein tel que reatend HeidBgger, c’estrà-dire de l’exlstence. Pe là, une oeFtaine ambigiüié dans la théorie du Daseirt cheE Jaspens. Si le Daseîn est naturellement et essentiel lement au delà de lui-même, il n’est plus immanence, ii e?t d’ores et déjà transcendance au premier sens du mol, c’est-à-dire acte de transcendance. Mais, d’autre part, il lui arrive de se restreindre, de passer dans une soyte d’invi sibilité, de rester pur et simple Dasein, finalement de s’évanouir. On voit toute l’ambiguïté de cette notion qui est toujours au delà pu en deçà d’elle-même. Maintenant abordons le second mode d’être et le second mode de vérité. C’est la conscience en général, la sphère de l’évidence dans le jugement, telle que l’a étudiée Descartes, Le Dasein s’exprimait dans l’empirisme et daps le prag matisme, la conscience en général s’exprimera dans le rationalisme classique (bien qu’elle s’exprime aussi parfois dans certaines formes de l’empirisme). La- conscience en général a lui privilège sur les autres modes de notre être, car c’est en elle que tout peut s’éclmrcir, c’est elle seule qui peut se penser elle-même. Mais, d’autre part, elle a un défaut par rapport à tous les autres modes, c’est qu’elle découpe les choses, elle analyse, elle est, suivant le mot de Jaspexs, ponctuelle. Il y aura chez Jaspers une certaine sévérité pour ce cajactère ponctuel, ou une certaine indulgence, et même parfois un certain lyrisme quand il nous montrera que c’est seulement par elle que nous pouvons éclaircir les choses. Nous voyons là des problèmes se poser, et une certaine ambiguité analogue à celle que nous voyons pour le Dasein, se former devant nous. Malgré les éloges qu’il décerne parfois à la conscience en général, il nous dit : la vérité de la conscience en général, ce qu’on entend ordinairement par raison, n’est pas la vérité dans tous les cas, n’est pas toute la vérité. Elle n’esi valable que sous les déterminations et les présuppositions dé lu pensée. Ce sont seulement les vérités «déliahles », par ticulières, relatives, qui valent universellement pour la conscience en général. La «vérité» demeure toujours au delà d’eUes. La conscience en général est le milieu dans lequel s’éclaircit la vérité, mais la vérité a toujours une autre source que la conscience en général. C’est dans ce
Li. THÊORIS DE LA VÉRITé
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milieu comme tpanspa?ent que tout peut être euteii 4 u, mais chacuoe dee ch.oses euteodues a sa ^urce soit daiie [ç Dasein, soit daus F esprit, soit dans l’existence. Donc la vérité croît et se développe à partir de ce qui îfest pas la conscience en général pour s’éclaircir comme ijiilieu dans la conscience en général. Il reste que c’est seu? leinent dans la conscience en général qu’il y aura vérité au s(Mis ordinaire du mot, et vérité contraignante. Ainsi, nécessité de l’éclaircissement de toute vérité par la conscience en général, et affirmation que la vérité a sa source dans les autres modes de révélation de l’être, telles sont les deux affirmations qu’U faut retenir. Mais le rôle que Jaspers donne à la conscience en général ne nous fera-t-il pas perdre à certains moments l’existentialité de la vérité ? Pourra-t-on garder complètement, tout en restant un philosophe de l’existence, cette théorie de la conscience en général ? En tout cas, nous devons nous ver au-dessus d’elle, car toute vérité qui est vérité pour lu çonsoience en général n’est pas en un sens absolument vraie; ce qui est valable univeVseUement n’est pas ce ip}i est le plus profond. Nous devons donc nous tourner vers autre chose que le rationalisme classique, et cet autre chose, qui sera une théorie de l’esprit, du Geist, ce sera ce qu’on peut appeler te rationalisme de Hegel. Disons d’abord un mot de l’objet de la conscience en général, qpii est le monde scientifique, hlous trouvons ici l’idée de monde. Mais il faut faire une distinction, 11 y a deux idées possibles du monde. Il y a ce que nous pourrions appeler le monde senti, le monde dans son ensemble, non pas le monde, mais le fondement du monde. Ce monde ne peut jamais être expliqué dans le langage d’aucun de ses éléments, que ce soit le Daseîn ou l’esprit, la matière ou ridée, 11 n’est jamais connu. (Il ne peut pas plus être saisi dans un savoir que l’infini compréhensif que nous sommes Bous-mêmes), et on ne peut en donner que des images liguralives et mythiques sauf parfois eu partant de nous-mêmes, ppisque nous sommes du monde, et pouvons par l’obser vation de nous-mêmes arriver à une vérité sur le monde. Mais il faut nous dire que cette première sorte de monde se révèle surtout comme l’autre dans son énormité, sui vant l’expression de Jaspers. Il s’agit ici du fondement de
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Têtre et d’une totalité irréductible à ses parties qui ne peut jamais être expliquée dans le langage d’aucune d’entre eUés» que ce soit le Dasein ou l’esprit, que ce soit la matière ou l’idée. Donc, ce monde, au premier sens du mot, ne peut pas être plus saisi d’une façon transparente, d’une façon abor dable par la conscience en général que nous-mêmes, que notre existence. Mais il y a une seconde sorte de monde, c’est-à-dire les perspectives, les aspects du monde qui nous sont connus, ceux avec lesquels nous met en relation la science, sans que d’ailleurs on puisse jamais s’arrêter définitivement û l’une de ces perspectives ou à l’un de ces aspects. Le monde alors sera la structure qui est ^ordable pour nous par la conscience en général. Mais même en ce second sens, le monde n’est pas complètement connu, et c’est ce que nous montre la physique moderne, en mettant en valeur le principe d’indétermination. Un monde qui est ce ce qu’il est, et qui serait connaissable, est une création de l’ima^natîon. Ayant vu la conscience en général et ce monde scienti fique qui lui correspond, nous pouvons monter au-dessus d’elle vers ce que Jaspers appelle l’esprit* et la vérité de l’esprit. Donc, à l’empirisme, au p ra^ ati sm e , au ratio nalisme classiq%, nous voyons succéder maintenant l’idéa lisme hégélien. L’esprit, tel que le conçoit Hegel, apparaît dans la conscience en général, mais il est différent d’elle, il est tota lité infinie, il n’y a pins ici savoir de l’idée, mais participa tion à l’idée. Cependant cet idéalisme absolu ne nous satisfera pas plus que les autres systèmes. Et lui-même reconnaît en quelque sorte sa défaite, quand Hegel parle d’une sorte d’împnissance de la nature à rejoindre complètement la raison. Il n’y a pas de totalité absolue. Cette totalité abso lue vers laquelle tendait Hegel et les idées hégéliennes ellesmêmes, se brise. Nous passerons donc de ces quatres modes de vérités que nous avons vus, le Dasein, la conscience en général, le monde et l’esprit, à un mode plus profond, Toute vérité, n’est vérité qu’en tant qu’elle vaut pour la conscience en général. Mais valoir pour la conscience en
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général, c’est rester dans une forme de vérité superfi cielle, séparée et déliée. Il faut aller vers les o rî^ e s de ces vérités qui s’éclaircissent dans le milieu de la cons cience en général, et nous avons dit que que 1(mes-unea de ces origines se trouvent dans le Dasein ou le Geist. Mais U y a une source encore plus originaire de ce qui s’éclaircit dans le milieu de la conscience en général, c’est ce que Jaspers appelle l’existence. En effet, la vérité de l’existence est supposée par tontes les autres. La vérité de n’importe quel autre des modes de vérité croit à partir de la vérité de l’existence. Il s’agit donc de savoir ce que Jaspers entend par existence. Notre existence, dit-il, est notre pouvoir-être le plus profond. C’est ce qui en nous repose sur soi dans son inconditionnalité, dans son vouloir de savoir. Dans toutes les visibilités, il y a quelque chose d’invisible, et c’est notre existence. C’est elle qui porte tout, mais c’est d’elle qu’on ne peut avoir une vue qui nous permette de la surplomber. L’exis tence, c’est ce que, plus classiquement on appelle la per sonnalité, et en tant que personnalité je ne suis pas un objet susceptible d’être connu par un savoir, je ne puis que me gagner ou me perdre, l’existence est objet de risque et non de connaissance. On sait que l’existence est liée à la croyance. Â la média tion du savoir s’oppose, chez Jaspers comme chez Kierke gaard, l’immédiation de la croy^ce. La,croyance est là où je suis authentiquement, où j’aime et je vis, et où je ne connais plus les pourquoi. Il y a un moment où le point de vue a disparu, un moment où je coïncide absolument avec tout ce que je peux penser, un moment où bien plus, je ne suis plus en face de moi-même, où je ne suis plus visible pour moi, et c’est là le moment de l’existence. Cette région de l’existence, qni est aussi, la région de la croyance, est aussi celle du choix et du danger, puisque nous avons à nous risquer nous-mêmes. A partir d’ici, nous comprenons bien l’essence de la pMiosophie. Pas d’autorité, pas de garantie, pas de dernier mot. La philosophie indique, elle est sur la voie, elle est la voie elle-même. (Mais il faut savoir aussi que la vérité philosophique n’est pas la seule vérité).
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Cependant Iss oroye^ces sont multiples et înconciliaibles. Nous sommes dans la région des croyances en lutte, eai* nous éprouvons Pimpossibilité d’une union, au sujet dn vrai, malgré une volonté intransigeante de clarté et d’ou verture, L’idée d’existence n’est pas nne idée qui inclut d’une façon hégélienne, tontes les existences. Et pourtant, la région de l’existence est aussi celle où nous communiquons profondément les uns avec les autres. 11 n’y a de vérité de mon existence qu’avec des vérités des autres existences, et Kierkegaard avait déjà insisté sur cette nécessité de la révélation. Pour lui, un être clos sur soi est un être mauvais et il n’y a de vérité que dans l’ouverture. On pourrait, dans une certaine mesure, comparer cela à certaines idées de Bergson, Mais, par le fait même de la multiplicité des croyances, nous ne devons jamais considérer la c^m unic ation comme achevée, elle est toujours en devenir-^’existence s’efforce toujours vers elle, et ne la possède jamais àla manière d’une chose. . Si ce que Jaspers a dit est vrai, si la conscience en géné^ ral n’est qu’un müieu dans lequel se développe et de^ûent transparent quelque chose de différent d’elle et qui a sa racine dans l’existence, nous comprenons le travail de Jaspers quand il étudie des philosophes aussi différents que Descartes, et Nietzsche. Il s’agit de découvrirlewcroyance, leur existence fondamentale, qu’ils déforment bien souvent par leur doctrine. Il s’agit de discerner leur caractère ori ginaire, qui est absolu, et de le distinguer de leur caractère explicité, expreæif, extériorisé, qui est relatif. Nous pouvons voir la différence entre la conception de la vérité qu’on se fera en partant de la conscience en général, et la conception de la vérité qu’on se fera en par tant de l’existence. Prenons par exemple le cas de Galilée et le cas de Giordano Bruno. L’un, Giordano Bruno, est mort à cause de la vérité qu’il exprimait, parce qu’il ne pouvait pas se disjoindre de cette vérité, Giordano Bruno était en ce sens un existant exprimant sa vérité. Galilée exprime aussi une vérité : la terre tourne, mais il ne se sacri-^ fie pas pour elle, paurce qu’il sait «m’elle est en quelque sorte indépendante de lui. La vérité découverte par Galilée est conçue par lui comme indépendante de lui, et c’est ce qui
La
THjéORlS D’B LA VÉRitB
Jai permet de dire à la fois que la terre oe tourue pas et de dire: «pourtant, elle tourne». 11 y a donc une certaine séparation entre Galilée et la xéiité qu’il étaWit. Dans l’autre cas, il n’y à pas de sépa ration. Et nous pouvons dire que ce qui est démontralile de façon contraignante, à la façon des théorèmes mathéma tiques, n’est pas une vérité pour laquelle la mort de celui qui la soutient aurait ime signification. Donc, Galilée avait raison de penser que sa mort ne serait en rieuntüe pour la pro pagation de sa vérité ; mais nous comprenons Giordano Bruno qui est mort pour sa vérité (^). De là un problème. La vérité existentielle, est unité, nous sommes ati delà de la sphère de la séparation. 11 y a là une intimité réciproque de la pensée et de la vie. Mais la vérité dans la conscience en général,* implique une séparation. S'il y a deux conceptions de la vérité qui s’affrontent, jiourra-t-oii les appeler toutes deux du même nom de vérité ? Mais tout d’abord nous devrons étudier les rapports dé Texistence avec le Dasem et la conscience en général et les rapports de l’existence avec l’esprit. Nous pouvons dire que si nous regardons les rapports de l’existence et du Dasein, l’existence est une sorte de prise de conscience du Dasein. Nous sommes dans un moment limité de l’espace et du temps. Nous avons .à prendre conscience de celte limitation. L’existence même apparaît comme limitation et étroitesse, et c’est parce que nous Sommes dans un lieu et dans un temps déterminés que nous pouvons atteindre la profondeur. E t cette union de l’étroi tesse et de la profondeur, Jaspers la désigne du terme d’his toricité profonde, Geschicktlickkeit, par opposition à l’his toire au sens ordinaire du mot. Dans cette historicité profonde, le Dasein et l’existence s’unissent dans une lutte réciproque qui est essentielle à leur vie. Si le Dasein se dépasse naturellement lui-même, il ne se dépasse que parce qu’il est mû en quelque sorte de l’intérieur, parce qu’il est animé par l’existence, par cet autre que lui qui est en lui et qui tend sans cesse à l’élever. Donc l’existence a à prendre sur eBe-même le caractère {1) D'après Jaspers. les croyances en des propositions religieuses dog matiques et en des actes de personnes, ne sont pas du genre des vérités existentielles.
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LA PEIsSEE DE L EXISTENCE
donné du Dasein qui lui est lié. Elle a à s’unir à son origine, à son terme, à sa famille, à sa nation, elle a à éprouver en un certain sens à la fois cette jubilation et cette douleur dont nous avons parlé au sujet du Dasein. C’est ainsi qu’elk arrivera à prendre le Dasein comme symbole, comme chiffre, suivant le mot de Jaspers, de quelque chose qui Je dépasse. La théorie de la vérité chez Jaspers implique, avons-nous dit, la connaissance des modes d’être qu’il distingue. Or, il y a en effet en nous-mêmes différents modes d’être. Nous sommes des individus particuliers, détèrminé.s. ayant des projets tels que les étudient le pragmatbme et l’utilitarisme. Et cela, c’est ce que Jaspers appelle le Dasein. Mais nous sommes aussi des êtres qui possédons la raison, teUe qu’elle a été définie par les philosophes classiques, par on Descartes particnlièrement, et c’est ce que Jaspers appelle Bewusstsein üherhaupt la conscience en général. Ce n’est pas tout. Nous sommes encore des êtres qui essayons de constituer toujours des totalités de plus en plus vastes, des êtres qui sommes en communication avec les idées au sens hégélien du mot. C’est donc qu’au-dessus de la sphère empiriste, pragmatiste et utilitaire, au-dessus de la sphère rationnelle, il y a autre chose. Il y a l’esprit au sens hégélien du mot, le Geist, la sphère spirituelle. Et au delà de toutes ces sphères, nous voyons que nous sommes quelque chose d’autre encore et qui est l’existence propre ment dite, KExisienz.» Il y a assurément une union naturelle et profonde de l’existence et de cét être particulier que nous sommes, et c’est cela que Jaspers appelle la Gesckichtlichkeity c’est-àdire l’historicité profonde. Nés à un certain moment, étant dans nn certain pays, de ce contingent, nous avons à faire quelque chose'de profondément essentiel à nous-mêmes : cette prise sur nous-mêmes, en nous-mêmes, des particu larités de notre Dasein, c’est ce qu’U appelle l’historicité profonde. Liés à notre origine, à notre famüle, à notre terre, dans des conditions particulières, déterminées, finies, nous nous sentons dans une certaine mesure coupables. Gulpa-_ bilité et limitation sont fortement liées l’une à l’autre, chez Jaspers comme chez Heidegger. La conséquence de cette liaison sera cette joie et ce
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sentimeDt de malheur qui caractériseub le Dasein. En tant que nous sommes Dasein, nous éprouvons une certaine joie à être et nous éprouvons aussi un malheur. Ainsi, l’existence apparaît comme limitation et étroitesse, puisqu’au lieu de rester indéterminée elle se détermine par sa jonction avec le Dasein, acquiert ainsi sa profondeur. En effet, le Dasein lui-même se dépasse. C’est sa nature de se dépasser. Il se dépasse parce que toujours animé par Texistence. Cette sorte de joie, de jubilation qui lui est essentielle, vient du fait qu^il est animé par l’existence, et c'est cette existence qui tend sans cesse à Télever, qui le rend à la fois sérieux et transparent. Le Dasein et Texis(ence s’unissent dans une lutte qui est essentielle à leur vie. Nous avons à choisir entre une sorte de Dasein déchu et qui reste dans sa particularité, et un Dasein qui s’élève au-dessus de lui-même et qui se dépasse. Notre existence aura donc toujours à essayer dé se lier au Dasein, mais d’autre part à le dépasser jusqu’au moment où elle se livre à la transcendance. Quels sont les rapports entre l’existence et l’esprit, tel que le conçoit Hegel ? L’esprit est défini par Hegel, comme volonté de totalité. Et- natureUement, l’homme ne peut pas dans le temps s’accomplir lui-même en tant qpie totalité. Et d’autre part, i'esistence est définie par Jaspers comme volonté d’authen ticité, mais naturellement aussi l’homme ne peut pas arri ver à une possession assurée de son être. On ne peut pas arriver à la totalité complète précisément parce que ron est homme, et on ne peut pas arriver peut-être non plus à l’authenticité complète (^). Ainsi, l’existence a dans son fondement quelque chose ^ est incompréhensible. Il y a en elle quelque chose qui doit être « éclaircis mais qui n’arrive jamais à être complèlement éclairci, car il n’y a jamais un pur spectacle objectif dans le domaine que nous étudions, mais c’est toujours quelque chose d’originaire et en devenir que nous ne pou vons saisir. - Par là, on voit qu’il y aura une différence complète (1) RappeloDS que la réponse au même double problème de l'authentU até et de la totalité est louriü à Heid^ger par l’étre-pour-la-mort.
La ÏP'BKSÉÈ
d e L^EXlSrERCt:
eïïtxe « riristôficité de reiistence» et « Phistoricité d.* Fesprit», Hegel essaie d^airiver à Dne fusion du temps ot de l’éternité par rintelligence, an sein de l’Idée. Dans le domaine de l’existence, il n’y aura pas fusion, mais une sorte de contact entre le temps et l’éternité, et qpii se fait dans l’instant. a ainsi une opposition entre l ’existence et l ’espi ii défini â la façon hégélienne. L’existence est ce qtd hrisi; toute totalité, toute considération du genre des considéra tions hégéliennes, elle est ce qpii brise l’esprit. Mais^ iî est impossible de séparer l’esprit et l’existence. Orientés l’un vers l’autre, l’esprit cherche l’existenec ; l’existence, l’esprit.
suffire, on voit que cette immanence n’est peut-être qti’ap parence. 11 â finalement sa substance, son fondement dan> l’existence qui le porte. Sans elle, il deviendrait spectral et sans consritance, et aussi sans profondeur. Ainsi, dans ces trois états préalables, dans ces trois: moments préalables de nous-mêmes, qui sont le Dasein, l’exis tence en général et l’esprit, nons nous assurons de nctusmêmes comme existence^ et ces trois moments sont néces saires pour que nous arrivions à l’existence. L’existenec resterait vide ou se corromprait, si l’esprit ne créait pas en elle les formes dans lesquelles elle s’assure de sa pré sence. « L’homme, dit Jaspers, ne parvient à la clarté de Fèlr^ qu’au moyen d’une objectivité qu’il pense, an moyen d’une activité finie qu’il accomplit, au moyen d’nn monde déter miné, incamé et articulé, dans lequel il vit.» Ce qui nondonne une définition du rôle de l’esprit, et nous permet du mettre en himière l’influence de Hegel sur Jaspers. Gomnu. chez Hegelj le processus spi^Uel est nn processus de sépa ration et de réunion, de rupture et dé retour, d’auto-arEicnlâtion. Lâ raison, entendue évidemment dans un sens large et conçue comme le lien des différents infinis com préhensifs qui constituent la personne prend une place dé plus en plus grande. La tension entre l’existence et la raison caractérise l’existence elle-même. Nous revenons an problème de la vérité tel qu’il se pose
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à ce moment de notre recherche. La vérité Burtout telle qu’elle se présente dans la conscience en général implique séparation, parce qu'elle implique jugement. Mais dans le domaine de resistence, elle se présente comme union, union du sujet et de Pobjet, qui nous fait même passer au delà de ]a distinction entre le sujet et Tobjet. On pourrait ici comparer, la philosophie de Jaspers à celle de Kant, dont Jaspers s’inspire assez souvent, et dire qu’il J a d’un côté la vérité phénoménale, qui implique séparation, et de l’autre une vérité nouménale, qui est c ^ e de l’existence, et qui est unité. Donc le concept de la vérité se renverse en quelqpie sorte si l’on passe de la conscience en général à la sphère de l’existence. Jaspers nous dit que vérité implique séparation, tension entre des oppositions. 11 dit aussi : « Il n’y a vérité que là où la fausseté est possible aussi s. Mais maintenant il nous dit : tda vérité dans laquelle nous vivons et la vérité avec laquelle nous sommes identiques, c’est la vérité de l’existence, il n’y a plus de séparation entre le sujet et l’objet». La vérité à p artir de laquelle je vis n’est (jueparce que je deviens identique avec elle. Dans un autre ouvrage La croyance philosophigae, Jae^ pers a donné un résumé de sa théorie de la vérité. Bans le Dasein, dit-il, la vérité réside comme Lmmédiation du sen siblement présent en ta n t qu’utilité vitale, instinct, en ta nt que pratique et opportun. Dans la conscience en général, la vérité réside comme absence de contradiction et comme objectivité dans les catégories universelles, dans les vérités rationnelles. Dans le Geist, nous avons le passage à la persuasion des idées, et dans l’existence la vérité existe comme croyance proprement dite. La croyance est la croyance de l’existence dans son rapport avec la transcen dance. Retenons qu’il y a deux conceptions très différentes de la vérité suivant que l’on se place dans la conscience en général ou dans l’existence. \ 11 y aura une lutte constante à poursuivre pour rester dans la vérité existentielle, car à chaque moment nous ten dons à déchoir en quelque sorte de notre existence, nous tendons à fixer la vérité alors qu’elle doit être vue dans sa mobilité, dans son historicité et dans son unité profonde. De là une tendance de la vérité à se transformer en nonvérité. 17
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LA PENSSB DB L^EZISTEBCE
. n y a lieu ici d’étudier im mot qu’emploie J s ^ e rs et qui suppose toute une conception» toute une philosophie et que Jaspers applique à chacune des sphères que nous avons étudiées» aussi bien au Dasein qu’à la conscience en général, qu’au Geist et à l’existence. C’est le mot Umgreifendj qui veut dire l’embrassant» l’englobant. Je proposerais de tra duire ce mot par l’infini compréhensif (^}. Ghacxm de ces domaines que nous avons étudiés constitue ce que Jaspers appelle l’infini compréhensif. 11 s’agit de savoir ce qu’il veut dire par là. Chacun des modes de vérité est un englobant ou un infini compréhensif. C’est qu’un Dasein, un individu parti culier n’existe que dans ses rapports avec cet infini com préhensif qui est le monde des individus particuliers. Une vérité générale n’existe que par rapport à cet infini compréhensif qui est la conscience en général. L’esprit» l’existence» ce sont autant d’infinis compréhensifs. Mais est-il tout à fait légitime d’employer le même mot pour quelque chose qui est malgré tout particulier et déter miné comme le Dasein (surtout quand il est réduit à son aêtre-là»), et qui est dans une sphère objective, et pour quelque chose qui est l’existence même avec son inunédiation» la croyance» et son mode de vérité» la vérité-union qui la caractérise. Ce qui nous importe surtout ici, c’est que Jaspers nom dit que la vérité se rapporte toujours à ses sources pro fondes qm sont suivant les domaines le Dasein, le Geist, l’existence, et ^ ’à partir de ces sources, elle passe dans un milieu qui est la conscience en générsd. Ce que nous appelons l’infini compréhensif» dit Jaspers dans La croyance philosophique, c’est l’être qui n’est ni seulement sujet, ni seulement objet, mais plutôt qui dans 11 séparation sujet-objet est des deux côtés, l’être qui arii^^, .à se manifester dans la totalité de cette séparation. La philosophie de Jsispers est l’affirmation qu’il n’yjâ pas un seul infini compréhensif ; il y en a une pluralité! 11 faut en compter quatre, puiscpi’aux deux mentionnés iéi il faut ajouter deux infinis compréhensifs, objets de cé quatre modes : d’une part le monde, et d’autre p art la transcendance. (1] La traduction que James Collins propose : l’inclusif, est bonne éga lement.
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La philosophie de Jasx>er8 n’eat pas à propremeat parler une ontologie- Elle n’arrive pas à trouver l’être qui serait fondement de tout être. Du mot grec icepieuox (^), l’auteur crée le derme de périechontologie, désignant la doctrine de l’englobant, ou, mieux des englobants, car leur multipli cité est nécessaire pour permettre à la liberté de s’exercer.
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aisser ses modes se détmire dans une hostilité où ils se présenteraient comme exclusifs les uns des autres, mais les laisser aller vers leur plénitude dans une tension réciproqpie. On peut interpréter tout Tunivers du point de vue de chacune de ces modes, on peut voir tout Tunivers comme ensemble de Dasein, ou bien on peut être un rationaliste à la façon classique, ou un hégélien, ou im philosophe existen tiel. Chaque fois nous atteindrons d’une certame façon le tout, mais il faut que nous sachions que d’autres modes d’atteindre le to ut sont possibles. Nous ne pourrons jamais gagner un point de vue qui nous permettrait de voir enfer-^ més en lui, tous les horizons. Du moins pouvons-nous avoir ridée, au sens kantien du mot, qu’ü y n un horizon des horizons. Ainsi, cette théorie de l’infini compréhensif est l’affirma tion que toutes les données ne valent que par des ensembles dans lesquels elles se placent, qu’il s’agisse du Dasein ou de l’existence : ces ensembles sont des ensembles mouvants, des horizons mobiles, et en communication les uns avec les autres. Cette théorie permet à Jaspers de conserver èusa philoso phie sou caractère de mobilité, de mouvance. Mais elle pose une multitude de ,problèmes. Le mot : infini com préhensif peut-il s’appliquer à la ponctualité de la conscience en général, ou au Dasein quand il se réduit jusqu’à être son degré inférieur ? En particulier, ne de^rrait-on pas admettre qu’il y a un infini compréhensif plus infini compréhensif que (1) Employé par Héradlta pour qualifier Taction du Logos.
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les autres, Kun horizon des horizons 9, qui serait éminem ment Tinfini compréhensif ? Mais alors, si on l’admet, peut-on préserver les autres ? En tout cas, l’acte philosophique pour Jaspers sera l’acte par lequel, dépassant tout être déterminé, tout hori zon déterminé, nous allons vers l’infini compréhensif dans lequel nous sommes et que nous sommes. 11 est le fondement total de l’être. Mais la difficulté de l’acte philosophiqpje consistera pré cisément dans ce fait que nous aurons à parler de quelque chose dont nous ne pouvons pas parler en termes objectifs. Mais parce qu’on peut parler d’une façon autre qu’objec tive, la philosophie de l’existence est possible. Ayant parcouru les différents domaines qpii ne sont pas transcendance, nous sommes forcément amenés à un domaine différent de tous les domaines précédents, et qui est précisément la transcendance. Jaspers a insisté sur ce fait que les philosophies de l’existence ne sont pas des phi losophies qui réduisent tout à l’existence. L’existence ellemême n’existe que par quelqpie chose de différent d’elle, qui est la transcendance. Ainsi, quelle que soit la place de l’existence dans la pensée de Jaspers, et même si cette place est centrale, elle n’est elle-même qu’une transition, si du moins on peut être « transition versa quand le quelque chose vers quoi on est transition vers, ne peut exister sans la transition. Le centre de la vérité réside dans l’existence qui saisit la vérité des idées (de l’esprit) et qui se livre à la vérité de la transcen dance. En effet, nous devons dépasser l’existence, nous la dépasserons forcément (tout en ne la dépassant pas, car il n’y a de transcendance que pour l’existence). D’abord, nous devons croire absolument à ce à quoi nous croyons. Mais nous devons en même temps savoir que les vérités auxquelles nous croyons ne sont pas les vérités qui sont reconnues par tous. Toute vérité est vérité d’un point de vue donné. Donc la vérité est en un sens multiple. Le monde est déchiré. Toute vérité se heurte à sa limite, échoue, et est en un sens supprimée et sublimée (au/gehoben).
Il s’agira donc de savoir comment constituer l’unité de l’idée de vérité, et de la constatation de la multiplicité
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des vérités. Or cela nous fera passer dans une sphère pliu haute que celle dans laquelle nous nous étions mûs jusqu’ici. Il reste toujours ce paradoxe, dit Jaspers : la vérité une, nous ne la possédons pas et ne la posséderons pas, et cependant la vérité ne peut être qu’une. Je ne puis pas dire, si je pense vraiment la vérité, qa’il y a des vérités multiples, car elles ne sont pas les unes à côté des autres, elles sont les unes avec les autres, et pourtant ne forment pas un tout. Ma vérité n’est vérité que si je sais qu’il y a la vérité des autres, elles n’est ma vérité qu’avec la vérité des autres. Puis nous avons l’idée que tous les modes de l’être doivent être présents d’une certaine façon en même temps. Il doit y avoir présence simultanée de tons les modes de l’être, mais cette présence ne peut pas être donnée dans le temps, et par conséquent nous sommes forcés encore une fois de transcender vers la transcendance, vers Tunité qui est la transcendance même. C’est dans la transition entre l’existence et la transcen dance que nous comprendrons qu’elle est la portée et le rôle de l’idée de tra^que. Il y a xme vérité du tra^que, mais la transcendance permettra d’aUer.^ plus loin, plus haut que le tragique de la vérité. Le caractère divisé, profondément séparé, de la vérité, la non-unité de la vérité, est une découverte fondamentale du savoir tragique. Cette tragédie de la conscience, elle se voit chez les auteurs tragiques et elle les mène à la trans cendance : RII y a plus de choses sm* la terre et dans le ciel que dans toute la philosophie », c’est là une affirmation de la transcendance tout comme les tourments de la cons cience d’Œdipe, ou le mot de Shakespeare : « Le reste est silence . Donc, la vérité cause le tourment. Et c’est cela qui est incarné dans des existences telles que l’Empédocle de Hôlderlin, l’Hamlet et l’Œdipe, Nietzsche ou lüerkegaard. Ces existences nous fcfreent à nous interroger : l’homme doit-il mourir pour la vérité ? Elles nous-mènent à une situation limite, et nous font passer au delà, du côté de la transcendance. Car à côté de l’être que nous sommes, ou plutôt encore au-dessus de cet être, il y a l’être ; on ne peut pas réduire, comme l’a voulu Nietzsche, l’existence à un système d’interprétation. Notre interprétation n’engendre b
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pas le monde, le monde est antre chose qn’ime série dë nos perspectives, et à plus forte raison la transcendance estelle différente des perspectives que nous prenons sur elle. Dans nos interprétations, l’être se fait sentir comme ce qui est indépendant de nous. Â la limite de la plus vaste conscience, nous voyons opérer cet être ce dont nous n’avons pas complètement conscience. Nous nous heurtons aux faits, d’un côté, à cet ensemble qm est le monde de l’autre, et nous nous heurtons à la transcendance. Et en un sens, devant le monde et devant la transcendance, Tinfini compréhensif que nous sommes, c’est-à-dire l’existence, semble s’évanouir. Nous contemplons le monde dans sa plénitude illimitée, la transcendance dans son caractère de fondement universel, mais précisément le moment où nous semblons nous évanouir devant le monde ou devant la transcendance, est aussi celui où nous existons le plus fortement. Donc la transcendance est l’antre an contact duquel je m’arrête, et c’est bien aû^i que Kierkegaard avait défini l’absolu, le Dieu auquel sa pensée se rapportait sans cesse. La trai^cendance est la limite, mais Je prends conscience de cette limite au moment où je suis vraiment moi-même, car alors j’ai conscience de n’être pas moi-même par moimême. Je ne me suis pas créé, Heidegger et Jaspers ont un sentiment semblable mais avec des nuances profondément -différentes. Tous deux insistent sur le fait que nous sommes en quelque sorte donnés à nous-mêmes, Jaspers dit : versés à nous-mêmes, épandus devant nous-mêmes ; nous sommes un cadeau pour nous-mêmes. Heidegger parle de notre délaissement, du fait que nous sommes là, mais que nous savons que nous ne sommes pas créés. Là où je suis authenti quement, dit Jaspers, j’ai été donné à moi-même. Et plus je prends conscience d’une façon décisive de ma liberté, plus je prends conscience en même temps de la transcendance par laquelle je suis ; je ne suis pas par ma liberté ; ma liberté n’est pas par ma liberté, mais par quelque chose d’autre qu’elle. Je ne suis donc existant qu’en unité avec le savoir que j’ai de la transcendance comme de la paissance par laquelle je suis moi-même. Ici, au lieu de comprendre et d’embrasser, c’est nous qui sommes compris et embrassés par cette chose, si le mot chose était exact, qui nous contient. Ce dans quoi et par
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quoi nous sommes nous-mêmes, et par quoi nous sommes libres, c’est la transcendance, c’ert ce complément Autre, suivant le terme kierkegaardien par leqpiel J aspers le désigne. Nous éprouvons existentieHement la transcendance comme quelque chose qui se donne, qui se verse à nous-mêmes tout en restant antre que nous. L^idée même de transcendance pose quelques problèmes, car il faut distinguer très nettement d’abord l’acte de transcender, qui est le propre de l’existence, et la transcen dance vers laqueUe l’existence transcende. On pourrait à partir de là reprendre en un sens toute l’histoire des phi losophies de l’existence. La transcendance, chez Kierkegaard, c’est essentielle ment le terme vers lequel nous transcendons. La transcen dance, chez Heidegger on chez Sartre, c’est l’acte par lequel nous sortons de'nous-mêmes, mais nous ne sortons pas de nous-mêmes pour aller trouver une transcendance qui serait quelque chose de divin, puisqu’on a supprimé la place de la divinité dans l’univers. Jaspers retient à la fois les deux interprétations de la transcendance. La transcen dance, c’est l’autre absolu vers lequel nous allons, mais U il y a l’acte de transcendance qui est le mouvement par leqiml nous nous dépassons nous-mêmes. Nous avons à distinguer l’acte de traïucender et la transcendance. Mais cette distinction ne suffit pas encore. Car il faut faire des distinctions entre les différents actes de transcen der. Dans chaque sphère de l’infini compréhensif, U y a Taoie de transcender depuis l’objet déterminé jusqu’à' rinfini compréhensif qui l’enveloppe.- Puis, différent des actes par lesquels on transcende vers le Dasein ou la conscience en ^ n éral ou l’esprit, il y a l’acte de transcender vers l’existence. Enfin vient l’acte de transcender vers la transcendance. EnHn il y a des distinctions à faire dans la transcendanoe. Eu im sens, tout mode de l’infini compréhensif est trans cendance. Mais, il y a l’infini compréhensif absolu, l’être qui n’est pas Dasein, ni conscience en général, ni existence, mais qui les transcende tous et qui comprend ainsi toutes - les autres transcendances. D’autre part peut-on faire une différence radicale entre la pure immanence et la transcendance ? Parfois la cons cience en général est conçue comme dans la pure imma^
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nence, et parfois Jaspers emploie à son propos le mot de transcendance. Tout ce qui est au-dessous de l’existence est parfois appelé immanence et parfois il lui reconnaît un caractère de transcendance. En tout cas, les aspects imma nents eux-mêmes sont animés par l’existence qui est liée à la transcendance. De l’existence dirons-nous qu’elle est du côté de l’immanence ou du côté de la transcendance ? Il s’agit maintenant de savoir pourquoi nous avons à aller de l’immanence à la transcendance. Comment savonsnous que nous ne pouvons pas rester dans l’immanence, si déchirée qu’elle soit. Jaspers nous dit : «la pure immanence s’écroule dans Tabsolu non-sens». C’est à cause de la nonsatisfaction de toute vérité particulière que nous sommes forcés d’aUer vers la transcendance. Ainsi comme moteur et postnlat de la pensée de Jaspers, nous trouvons cette idée que rien de ce qui est particulier ne peut nous suffire. Mais cet argument très classique, tiré de l’insatisfaction où nous sommes devant ce qui n’est pas la transcendance, peut-U nous prouver que la transcendance existe ? L’insuf fisance de l’immanent suffit-il pour prouver qu’D y a un terme suffisant ? Nous savons qu’au delà du monde du Dasein, de l’oh jectivité scientifique, de l’esprit et de l’objectivité hégélienne, nous avons l’existence qui est en rapport avec la transcen dance (^). Nous avons vu qu’il n’y a d’existence que par rapport à la transcendance ; et cependant Jaspers écrit {p. 631) : « Il se peut que l’existence, avec un minimum de rapports à la transcendance et se reposant sur soi dans la simple inconditionnalité certaine de son être, s’accomplisse plei nement. C’est précisément dans les plus puissantes exis tences qu’est visible pour nous cette parcimonie par laquelle on renonce à l’éclaircissement.» Ainsi se poserait ici le problème de savoir si existence et transcendance sont aussi nécessairement liées que Jaspers l’affirme ordinaire ment. Quoi qu’il en soit, notre subjectivité est chaque fois en rapport avec quelque chose d’autre qu’elle,'et c’est pour cela que nous avons dit que la conscience en général est rapport avec le monde. Ici l’existence se définit aussi par (1) Observons aussi que parfois l’existence est appelée immanence et parfois transcendance.
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un autre vers le ^ e l elle est tournée, et cet autre, c’est la transcendance. On pourrait dire que c’est là une sorte d’application de quelques données de la phénoménologie qui nous montre que toujours le cogito est en rapport avec le co^tatum. On ne peut les isoler. C’est pour cela que la conscience en général ne peut pas être isolée du monde et c’est pourquoi l’existence ne peut pas être isolée de la transcendance. Ici, nous atteignons quelque chose de supérieur à la vérité définie comme accord et comme séparation. Nous attei gnons l’im, l’un qui nous délivre, ^elque chose d’incondi tionné pour nous-mêmes, d’inconditionné pour chacun et non pour tous et qui ne peut être possédé. La transceudance est la vérité qui subsiste pour moi en tant que je suis existence, en tant que je crois en elle d’une façon incondi tionnée. L’acte par lequel nous atteignons l’un est dans le temj)S en un certain sens et non en un autre sens ; il nous fait dépasser, le temps et détruit le temps. Il s’agit dans le temps de saisir quelqpie chose qui le dépasse et le détruit. La vérité ne peut exister, suivant ime expression chère à Jaspers que «de biais, au travers du temps». Nous attei gnons alors ce que Jaspers appelle l’absolue vérité : l’abso lue vérité dans l’absolue transcendance i'). Gomment exprimer cette idée de transcendance ? En fait, ou ne peut l’exprimer que par des contradictions dialectiques, des cercles et des tautologies. C’est ce qu’ont yxL des penseurs comme Nicolas de ( ^ e , et Hegel. Elle n’est pas abordable par ime expression directe. Nous pourrons cependant amonceler indéfiniment les uns sur les antres les termes par lesquels nous essayons de qualifier la transcendance, : être, réalité, divinité, Dieu. Ce sont là, dit Jaspers, des vocables indéterminés, mais qui grâce à la tradition sont devenus pleins de solennité et $n même temps de contenu ; ils nous indiquent vers quoi noTis devons nous tourner. Nous ' nommons la transcendance être en tant que nous la pensons comme l’infini compréhen sif ; en tant que quelque chose parle en elle pour exiger et commander, elle est divinité. En tant que nous noua connaissons comme personnellement atteints par elle, (1] Et d’autre part, où la transcendance apparaît comme achevée, elle n’est plus.
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elle est Dieu. Mais nous ne pouyons dire d^elle an fond, comme Platon le disait du bien, que ceci : qu’elle est le bien, ou qu’elle est le yrai. Nous pouvons dire avec Kier> kegaard qu’elle est l’amour. Cette conscience absolue dont nous parlions, qui détruit le temps, c’est l’amour, et l’amour n’est pas autre chose dans son fond que la volonté de vérité. Le dernier mot n’est jamais la séparation de l’être. Même Kant, le grand séparateur, cherche l’unité. Nous atteignons cette transcendance par un sentiment qui transcende le sentiment et cpii amène à la parole mon ^us profond pouvoir-être. Mais tout cela n’est que le der nier mot, et pour Jaspers, il y a quelque chose qui vient après le dernier mot, c’est le silence. « Le reste est silence » (Shakespeare). La communication possible est dans le mot et dans le silence, mais la commnnication serait irréalisable si la transcendance n’était pas amonr. Il y a donc nne imité ici de la communication et du silence, un silence dans lequel je trouve inon repos. Nous voyons ici qu’au delà de toutes les vérités par tielles, il y a mielque chose d’autre, qui n’a pas à propre ment parler de visage et qui est cette transcendance. Bien qu’eUe réside dans mon rapport inconditionné avec elle, je ne crée pas la transcendance, elle est pour moi, par moi. Je viens à moi par elle, en m’abandonnant à eUc. Mais il reste à savoir si nous pouvons dire qu’il y a ici vérité ; Jaspers a dit à certains moments que la vérité implique la possibilité de la fausseté, mais ici nous sommes au delà du vrai et du faux parce qu’au delà de la séparation. Jaspers parle de vraie transcendance, mais l’idée de vérité encore ici s’appliquer? Il y a une' vérité du savoir 5eut-elle e la transcendance (peut-être), il n’y a pas de vérité de la transcendance. 11 y a une théorie de la vérité chez Jaspers, mais aux moments les plus profonds de sa philosophie ; l’existence, la transcendance, le mot de vérité, l’idée de vérité penvent-üs encore s’appliquer ? Selon le mot de Jeanne Hersch,.nous pouvons nous dire que nous sommes devant le «sur-vrai», fondement du vrai (^). Étant arrivés à la transcendance il n’y aurait plus rien (1) N’est-ce pas, fait encore observer Jeanne Hersch, ce qui arrive aux moments les plus hauts des pMlosophies d’un Platon, d'un Descaries, d’un Kant?
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à dire ; il faut pourtant redescendre, comme dans la dialec tique descendante de Platon, vers notre monde. Mais la descente ne peut se faire que grâce aux idées de participa tion ou d'âme ou de schème ou de jugement, grâce à la médiation religieuse. La descente ne peut se faire comme chez Platon, que grâce à des mythes ou à des symboles. Et c'est ce que Jaspers appelle le langage chiffré et symbo lique par lequel nous pouvons exprimer la transcendance. Les mythes sauf quand ils sont conscients d’eux-mêmes sont la plus profonde vérité. La philosophie s’achèvera ainsi dans l’amour et dans le chiffre ou le mythe. Nons ne sommes plus ici dans la région de la contingence historique, ni dans celle valable en général, de la conscience en général. 11 y a révélation profon dément historique d’une vérité qui est étemelle. En Jetant un coup d’œil sur l’ensemble, nous voyons que la vérité a été chaque fois définie comme notre plus haut moment, que ce soit dans l’action du Dasein, dans la conscience en général, en tant qu’activité qui raisonne et qui voit les choses d’une façon transparente, dans la par ticipation à un tout, c’est ainsi qne nons avons vu l’esprit, dans l’intuition du fondement originaire et de l’amour, c’est ainsi que nous avons vu l’existence et la transcen dance. Au sein du conflit même des vérités, il y a un ordre de CM vérités, il y a un ordre de ces ordres : ordre vital du Dasein, ordre intellectuel, ordre existentiel, et chacun de ces ordres se rapporte à l’antre, et les rapports de chacun de ces ordres à rautre, c’est ce qui est constitué par la raison. De plus en plus, Jaspers donne une importance à la raison entendue comme faculté de liaison entre les différents modes de « l’infini compréhensif ». Mais nous voyons qu’il n’y a pas correspondance absolue entre chacun de ces ordres, et même parfois, ce qui est le plus.faible dans un ordre est ce qui est le plus profond dans l’autre. Ce qui est le plus faible dans l’ordre du Dasein est souvent le plus fort dans l’ordre de l’existence. C’est ainsi que les fai blesses mêmes d’un Kierkegaard du point de vue delà vie ordinaire, ses défauts physiques ou psychologiques euxmêmes sont la cause de son mcomparahle prééminence dans l’ordre de l’existence (*). (1) Cest cet ordre de l’existence qui fonde tous les autres.
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D’autre p art il y a chez Jaspers une volonté de com préhension, et chaque vérité doit se montrer dans chacune des sphères différentes de vérité, doit donc s’incarner dans le Dasem, se réfléter dans la conscience en général s’intégrer dans l’esprit et s’unifier dans l’eiistence et la transcendance. Mais il est essentiel, selon Jaspers, que cette philosophie ne puisse donner de satisfaction absolue. L’échec est un des chiffres de l’univers, l’ayant reconnu, nous devons le transformer en triomphe. Partout, nous avons rencontré des limites, obscurité à la limite de la clarté, paradoxe à la limite de la justesse inteUéctuelle, chaos à la limite de l’idée, multiplicité des vérités à celle de la vie existentielle, ambiguité à l’instanl où s’exprime la transcendance. Partout la fausseté se mêle à la vérité, l’alternative du vrai et du non-vrai reparaît à to u t moment et toujours se poursuit le conflit des différents modes de l’être. Il faut néanmoins maintenir notre volonté de vérité et d’unité. La vérité est l’infini compréhensif. Le vrai est identique au bien et à l’être comme le disaient les scolastiques. Sans doute en tant que le contenu de la vérité naît des autres infinis compréhensifs, la vérité n’est pas une, n’est pas possession d’un royaume fermé sur soi, n’est pas sur un plan unique. La vérité n’est jamais achevée, mais cependant c’est elle qui soutient tous les modes de l’être, qm est la garantie de l’authenticité. Et c’est l’unité de la vérité que nous devons-partout poursuivre. En dehors de la vérité, il n’y a pas d’autres infinis compréhensifs. Nous voyons donc que le vrai est une idée que nous pourrions appeler analogique puisqu’elle se présente sous des modes différents suivant, que nous étudions la cons cience en général ou l’existence. Dans l’une ü est sépara tion, dans l’autre, unité ; mais néanmoins nons le recon naissons ; un des aspects du vrai est chaque fois le reflet ou la condition de l’autre, ou le milieu dans lequel se développe l’autre. Aucune des différentes formes de vérité n’est sans l’autre. Nous parlions d’une analogie de la vérité. Nous voyons qu’elle recouvre une dysanSogie, puisque d’un côté le vrai est pluralité, d’un antre côté il est unité. Il est plura lité puisque, il y a toujours jugement, s’il y a vérité ;
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niais il est unité, parce que la véritable vérité se place au delà des jugements. Il y a là un problème fondamental qu’on pourrait tenter d'éclaircir en distinguant des formes de vérités ; il y a la vérité de la transcendance, qui est analogue à ce qu’on pourrait appeler la vérité du bien, et de laquelle on ne peut véritablement rien dire (sauf avec Max Weber qu’eUe est vraie, et encore...). Il y a d’autre part les sources de vérité : le Dasein, l’esprit et l’existence. Chaque fois la vérité vient d’une de ces trois sources. Mais ü y a aussi le lieu d’expression où elle se développe, et s’éclaire ; et c’est ia conscience en général pour laquelle la vérité est accord, donc implique séparation. Par conséquent, le philosophe est celui qui tient compte de ces deux faits que toujours la vérité a sa source dans quelque chose de différent de la conscience en général, mais qu’elle ne peut s’exprimer que dans la conscience en général, le lieu de la vérité. Mais cette distinction ne résoud pas le problème. Y a-t-il unité entre la vérité-unité (celle de la transcendance et de l’existence) et la vérité-distance (celle de la conscience en général) ? Le problème nous est livré par Jaspers, plutgt qu’il n’est résolu, et sans doute Jaspers ne refuserait pas d’accepter cette qualification de sa philosophie, car le phi losophe ne se vante ps^ de résoudre les problèmes, mais seulement de les poser et de les livrer. Jaspers nous enseigne la voie vers l’acquisition de la vérité, une voie longue et difficile, et nous montre l’erreur de la plupart des théories dogmatiques et des théories fantaisistes comme la démonologie et la divinisation de l’homme. Le scepticisme et le nihilisme qui les contredisent commettent l’erreur de croire qu’on peut saisir ou qu’on devrait saisir le vrai vite et facilement. La conscience de la vérité, dit Jaspers est peut-être elle-même la vérité allant dans le temps son chemin, illuminé parfois d’nn regard bref qui voit tout. Si nous cherchions les présuppositions de la théorie de Jaspers, nous verrions que l’existence, impbque le temps, est profondément dans le temps ; par là même elle est en mouvement continuel. Mais, d^autre part, la transcendance est repos. Le problème est de joindre mouvement et repos comme dans le Sophiste de Platon, Jaspers tente de le résoudre et de les joindre de deux façons. La volonté de
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vérité trouve sou repos, dit-ü, non pas dans le temps, mais dans l’articulation de rinstant de la conscience profonde et absolue tjm est destructeur du temps (p. 597, 643, 635). L’instant joue pour lui le même rôle que chez lüerkegaard et est jonction du temps et de l’éternité. D’autre part, dans la transcendance même, nous trouvons, du moins d’après certains passages, à la fois repos et mouvement, bien qu’en elle le repos domine le mouvement. Nous sommes toujoius sur la voie, et tout accomplissement est en même temps un échec. C’est donc de la conscience de l’échec qu’il faut faire un accomplissement. Dans la déchirure nous trouve rons le lien ; dans la dispersion nous trouverons ce qui con centre ; dans le multiple, l’un ; dans le relatif, l’absolu. La volonté inconditionnée de savoir et cette prise de soi-même sur soi est dans son échec même une vérité. Dans cet échec se manifeste notre volonté d’être transcendance, et même là présentation de la transcendance à nous-mêmes. Il resterait maintenant, avant d’entreprendre une cri tique de la théorie de Jaspers, à voir les liens entre sa théorie et celle de Heidegger. Et en effet nous trouverons des points communs entre cette théorie de la vérité et celle que Heidegger a exposée. Les deux philosophes tentent de chercher la vérité au delà de la sphère du jugement, et disent que la vérité csl quelque chose qui se révèle à nous plutôt que quelque
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par le Ziihanden, c'est-à-dire les ustensiles et les instru ments, les outils, que nous est donnée d'al)ord l'entente du monde. L'entente scîentifiqpie du monde se fait quand nous transformons le Zuhanden en Vorhanden, et cela noTK permet d’aller de la sphère cpie Jaspers appelait la sphère du Dasein à la sphère de la conscience en général. Le Vorh anden est encore dans la sphère du Dasein jaspeisien, mais il nous permet d’arriver à la sphère de la conscience en géné ral.’ Cette sphère est aussi celle des vérités mathématiques. La sphère oe la conscience en général telle que la définit Jaspers se référé au Vorhanden et à la subsistance des vérités mathématiques, H e id e ^ r met au-dessus de tout cela ce qu’U appelle la vie, et dans une certaine mesure on pourrait faire correspondre la vie à ce que Jaspers appelle l’esprit. Heidegger et J aspers s’accordent d’abord sur des points qui sont classiques. Par exemple, ils pensent qu’U n’y a de vérité que s’il y a possibilité de non-vérité, que c’est à par tir de la non-vérité, de l’eiTenr, qu’on peut aller vers la vérité et que le fait de la non-vérité doit dériver de l’es sence de la vérité. La vérité et la non-vérité s’appartiennent réciproquement, dit Heidegger, le Dasein est à la fois dans la vérité et la non-vérité. Mais ils s’accordent sur des points qui sont plus fonda mentaux, où ils se distinguent des théories classiques. Tous deux insistent sur le fait que la vérité des Jugements, des propositions, est fondée sur ce qu’ils appellent une vérité antérieure à cette vérité, la vérité de l’être lui-même, 11 y a de plus im aspect existentiel de la vérité, car pour tous deux la vérité n’est pas avant tout qpielque chose d’intel lectuel. S’ils sont d’accord sur le fait que nous partons de la nonvérité pour aller à la vérité, c’est encore parce qu’ils ont en commun l’idée que la totalité de ce que Heidegger appelle « l’étant» nous est inconnaissable, indéterminée et indéterminahle, qu’il y a là un mystère, et que s’ü y a des vérités partielles, c’est en un sens parce que la vérité de l’étant en. général nous est inconn|dssabie. La conception de la vérité comme conformité à quelque chose est, dit Heidegger, quelque chose de postérieur. La vérité n’a pas sa résidence originaire dans nos jugements. On voit l’opposition de cette conception à celle d’Aristote,
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et même à celle de Platon diaprés lesquels c^est dans le jugement que réside la vérité. Non, dit Heidegger, la résidence primitive de la vérité est dans quelque chose d’antérieur au jugement. La chose surgit en tant qu’objet, par là même qu’il y a ce que Heidegger appelle Dasein, et qui est tou t différent du Dasein de Jaspers. Par là même cpi’il y a l’existence humaine, il y a quelque chose qui lui est ouvert, quelque chose avec quoi elle est en communication et qui est le monde. Une lumière se projette par la même qu’il y a des existants tels que nous. Nous sommes sans doute des êtres délaissés, geworfen, jetés sur la terre sans qu’on sache pourquoi, mais il y a en noiis un projet; les êtres jetés ou déjetés que nous sommes sont des projets, vont vers l’avenir. L’existence est dans la vérité, dans le monde, c’est sa première définition, pourrait-on dire ; elle est en quelque sorte hors d’eUe dans l’être. Exister, c’est être hors de soi, se tenir hors de soi dans la vérité de l’être, donc être dans le monde, on plus exactement encore, être dans la vérité. C’est la définition même de l’existence. L’homme, dit encore Heidegger, est jeté par l’être même dans la vérité, ü protège la vérité de l’être. Cette vérité de l’être, c’est, nous dit-il dans son ouvrage intitulé De Vessence de la vérité^ ce qu’ü y a de plus proche de nous, et en même temps ce qu’ü y a de plus lointain. Il ne s’agit pas d’une vérité conceptuelle. Il existe, dit H eide^ er, une pensée plus rigoureuse que la pensée concep tuelle. Cette vérité serait donc consubstantielle à l’être, l’être même. Le tort de Platon, dit-ü, c’est d’avoir placé l’idée au-dessus de la vérité. On interprète dans le platonisme le réel d’après les idées et le monde d’après des valeurs. Mais c’est le contraire qu’ü faut faire. Il faut poser dès l’abord que la vérité est dans le monde, et ce n’est qu’ainsi que l’on pourra comprendre le surgissement des valeurs et des idées. La vérité se manifeste donc — et ici Heidegger retrouve Platon — par sa plénitude d’essence, elle est identique au Beau. Sans doute la thèse de Heidegger est très forte dans la par tie négative. Il montre les difficultés de la théorie classique, quand ceUe-ci dit que le vrai est ce qui répond au réel ;
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elle ne peut définir le réel qu^en disant : c^est ce qui est dans la vérité : il y a là une sorte de cercle vicieux du phi losoplie classique. La vérité n’est ni dans les choses, ni dans les proposi tions en ta nt qu’elles sont complètement séparées des choses. EUe doit être dans un certain rapport entre les choses et les propositions. Mais finalement, Heidegger abandonne cette idée pour mettre la vérité en quelque sorte dans les choses, dans la réalité elle-même, et là sa théorie devient plus dis cutable. Autre problème : l’étant, dans sa totalité, nous est caché. Mystère de l’étant, de lui vient que toute vérité est erreur, qu’il n’y a pas de vérité qui soit pleinement vérité. Nous ne sommes jamais qu’en présence d’un mélange d’erreur et de vérité. C’est ce que nous indique le titre du dernier ouvrage de Heidegger : Holzwege. Si l’homme est sans cesse dans la vérité et dans la non-vérité, comment l’idée de vérité peutelle ne pas s’évanouir ? Un troisième problème est celui de savoir quels sont les rapports, dans la théorie de Heidegger, des idées de vérité et de liberté. L’essence de la vérité, dit-il, est dans la liberté, et il y a im fondement humain de la vérité. Mais qu'est-ce que la liberté ? Pour Heidegger finalement, la liberté consiste en un acte par lequel on laisse l’éta nt être ce qu’ü est. Nous nous exposons à l’étant, à l’étant comme tel. Donc la liberté apparaît comme un acte d’abandon au dévoilement de l’étant. Ainsi, nous avons vu que l’essence de la vérité est dans la liberté, mais maintenant on peut dire que l’es sence de la liberté est dans la vérité. Et nous ne savons pas laquelle de ces deux formules il faut préférer ; nous voyons qu’il y a là im dualisme, une ambiguïté dans la pensée de Heidegger, et que nous pou vons la voir soit comme un idéalisme qui fonde tout sur la liberté, soit comme un, réalisme qui définit la liberté comme l’acte par lequel on laisse l’étant être ce qu’il est. Nous pen sons d’alQeurs que l’auteur ne refuserait pas de reconnaître cette ambiguïté essentieUe à la condition de l’homme. Qu'est-ce qui est plus originel en nous, le dévoilement de la vérité, ou bien le voilement, l’errance, le fait que nous sommes dans la non-vérité ? Voici encore une de ces sortes 18
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de jeux heideggerîenâ qui montrent l’amLig^té fondamen tale de sa piiilosdpMe, mais l’a m t i ^ t é qui répond peutêtre à une ambiguité fondamentale dans les problèmes humains. Heidegger donne un caractère universel à l’idée de vérité. Il pense qu’on a jusqu’ici beaucoup trop limité la vérité au domaine des jugements. Mais une action créatrice, une grande œuvre d’art, la présence de la divinité (le plus étant des étants), ou le sacrifice, ou l’acte même de l’interrogation métaphysique, nous mettent en présence de vérités. La science n’est donc qu’une vérité parmi d’autres vérités, et ce n’est pas une des vérités supérieures, car la vérité scientifique n’est jamais que l’élaboration d’un domaine d’ores et déjà ouvert à nous ; et cette élaboration a pour critère la justesse dans le jugement, qui n’est pas le critère fondamental et originaire. D’ailleurs on pourrait suivre le développement de la pensée philosophique et scientifique et montrer que diffé^ rentes formes de vérités se sont succédé : vérité hellénique, par laquelle on voit le monde conformé d’après des idées, vérité médiévale suivant laquelle ces idées sont les idées d’un Dieu créateur, vérité cartésienne où tout est nombré, où tout peut être objet de la science mathématique. De ces deux théories l’une est beaucoup plus objective
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contre une théorie purement conceptuelle de la vérité, et tendent <^cun de son côté à la rejeter. .Noue pouvons maintenant dégager quelques notions clas siques que nous retrouverons chez les deux philosophes, d^ahord l’affirmation d’un rapport profond entre l’erreur et la vérité, et depuis Parménide, on sait qu’il faut com mencer par le chant de l’erreur et de l’apparence. Puis la théorie de la vérité est unie avec la théorie de l’être. Il y a une union entre la vérité et l’être, affirmation qui existait chez Platon. Mais la théorie classique de l’identité de la vérité et de l’être prend chez Jaspers et surtout chez Heideg^r un aspect qu’elle n’avait pas chez Platon, car ce n’est pas une identité conceptuelle, mais préconcep tuelle, ou supraconceptuelle, ou peut-être înfraconceptuelle. D’apr^ eux la théorie classique a tort de lier, la vérité au jugement. Il y a la vérité pré-prédicative et c’est ceUë-là, qui coïncide avec l’être. Cependant cette théorie ontologique de la vérité échoue finalement chez l’un et l’autre de ces philosophes. Il n’est pas étonnant qu’elle échoue chez Jaspers, puisque sa théorie est une philosophie de l’échec. U y a là ime sorte d’échec avoué, élevé à la hauteur du système, et ü s’agira de faire de cet échec un triomphe en en prenant conscience et en le reliant à la présence de la transcendance. L’échec nous montre qu’ü y a quelque chose qui est absolument trans cendant, qui est réel, et que nous ne ponvons pas saisir. Mais n’y a-t-U pas aussi un échec chez Heidegger ? car Heidegger dit bien : o II y a identité entre vérité et révéla tion de l’être». Mais comment l’être peut-il être défini ? En fait, il n’arrive guère à nous dire de l’être que ceci, à savoir que nous en sommes les gardiens. Mais de quoi l’homme est-il réellement le gardien, quand on dit qu’il est le gardien de l’être ou le gardien de la vérité ? Heidegger ne nous le dit pas, et peut-être ne peut-il pas nous le dire. E t peut-être ne veut-U pas nous le dire, sachant (me la qfuestion de l’être, question fondamentale et unique de la philosophie suivant lui, doit toujours rester à l’état de question. Revenons maintenant à la théorie de Jaspers. Une première difficulté, résolue en un sens par Jaspers lui-même, nous amène à l’idée de la transcendance. Néan moins, il faut noter cet embarras, cette aporie, pour prendre le terme platonicien, qui consiste dans le fait que
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la vérité une dans son essence, est cependant multiple en tant que vécue par des existences différentes. Mon Dasein, dît Jaspers, et l’autre Dasein ne connaissent pas la vérité comme identique, même si tous les deux sont dirigés vers la vérité une et universelle. Donc, il y a un effort vers cette vérité une ; et pourtant chaque fois, à chacun de nous, la vérité une offre im visage différent. Par opposition au monde des vérités universellement valables, vérités rationnelles, l’existence est valable d’une façon jprofondément historique. Il s’agit pour l’existant de se tenir à ime vérité qu’il sent une et absolue, tout en sachant qu’U y a d’autres véri tés qui sont pensées par leurs tenants chacune comme une et absolue. Ce problème amène Jaspers à la question des rapports entre a l’exception b , par exemple, Socrate, Kierkegaard, et «l’autorité». Or, dit-ü, nous ne pouvons nous contenter ni de l’exception, ni de l’autorité. Du reste, l’exception ellemême se présente comme autorité. D’autre part, on ne trou vera jamais une autorité pour tout le genre humain. 11 y a une multiplicité d’autorités. Nous ne pourrons jamais arriver à une catholicité absolue, suivant le vocabulaire de Jaspers, mais seulement à une catholicité relative. Il faudra donc être dans un état de tension entre l’exigence de l’exception et l’exigence de l’autorité, et ü faudra refuser l’idée de catholicité absolue. Jaspers, dans la définition de l’existence attache \me grande impoitance à l’idée de com munication de nous avec les autres. Dams la communica tion, nous reconnaissons la vérité de l’autre, sans nous approprier cette vérité. Nous savons que c’est celle de l’autre. Mais reconnaître des diversités de vérités, n’est-ce pas faire cesser la communication profonde ? 11 y a donc là une tâche difficile, infinie qui ne pourra trouver de termi naison que dans la transcendance. Le problème ne peut trouver sa réponse de nous affirmée, de nous inconnue que dans la transcendance. Jaspers trouve dans cette difficulté la justification et la preuve de la transcendance. Mais ü y a une difficulté plus grande : différents modes d’être vrai subsistent les uns à côté des autres. La vérité essentielle pour nous commence là où cesse le caractère
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contraignant de la conscience en général. A la limite des vérités de la conscience en général, c^est-à-dire des vérités rationnelles, commence un antre mode de vérité. Donc il 7 a deux modes de vérité au moins pour Jaspers, et très différents l’un de l’autre. Il y a un mode de vérité, caractérisé par la séparation. Si c’est seulement là où la fausseté est possible que la vérité est possible, c’est aussi où il y a une séparation, dans laquelle je me rapporte à moi-même en me rapportant aux objets, que ces relations peuvent être vraies parce qu’ü est possible qu’elles soient non vraies. Un être qui ne serait qu’en soi ne serait ni vrai, ni faux. Donc, to ut être vrai, « Wahrsein», est dans la séparation de la subjectivité et de l’objectivité. L’idée du critère de la vérité qui se trouverait dans l’accord suppose cette séparation préalable. « L’existence ne devient claire pour elle-même que dans le milieu de la séparation sujet-objet (brillants). » C’est seule ment quand il y a séparation du suj et et de l’objet qu’il peut y avoir clarté et vérité. Et cette séparation conserve un rôle même quand il s’agit de l’existence. Jaspers nous dit sans doute que ce qu’il refuse, c’est la séparation sujet-objet, telle qu’^ e est conçue par la cons> cience en général, qu’il admet un accomplissement réel de la communication, où il pourra y avoir une certaine sépa ration du sujet et de l’objet, sans que pourtant il y ait une vérité objective au sens ordinaire du terme. Est-ce une solution ? La vérité est liée à la séparation. D’autre part, il y a une vérité avec laquelle nous sommes identiques. (Juand Jésus dit : «Je suis la vérité», quand Kierkegaard écrit « La vérité est subjectivité », quand un Bruno meurt pour sa vérité, ils savent qu’il y a une identité de nous-mêmes et de notre vérité. Jaspers veut établir que la véritable vérité, est celle de l’existence, mais, et c’est là qu’est la grande difficulté, il reconnaît qu’on ne peut appliquer à l’existence l’idée de vérité que dans un sens métapboriqfue, ou, pourrait-on dire, anaphorique. Dans l’infini compréhensif, dans rUmgreifend, que nous sommes, la vérité n’a qu’un sens métaphorique ; eUe est là, dans la persuasion et la croyance, qui n’est pas savoir au sens ordinaire du mot. La vérité réside ici dans le savoir du non-savoir, à partir de quelque chose d’originaire, à partir
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de ce que Jaspera appelle une origine qm ne se réduit à rien de particulier. Est-ü donc» possible lorsqu’on se meut dans le domaine de l’existence où l’on pensait trouver la vérital)le vérité, de parler encore de vérité, en conservant au mot de vérité son sens traditionnel et rationnel ? On pourrait essayer de résoudre la difficulté en admettant qu’U y a une dialectique ^ s vérités depuis la vérité séparation et la vérité accord, jusqu’à la vérité qui dépasse séparation et accord et qui est unité. Il faudrait ajouter que toute vérité existentielle, en tant qu’elle se traduit dans la conscience en général a en eUe ce double caractère, intellectuellement contradictoire. Il faut bien voir, en tous cas, que cette vérité de l’exis tence n’est plus justiciable des règles ordinaires de la vérité, celles de la conscience en général. Nous retrouvons r ' Lsont Cla difficulté dans laquelle nous étions. Tout est fondé sur la vérité de l’existence, dit Jaspers. Mais l’existence ne peut avoir de vérité au sens ordinaire du mot. Il y a, quelque chose qui est au-dessus de l’existence et avec quoi l’existence est en rapport, - L’essence de l’existence, c’est de saisir la vérité de la transcendance, dans laquelle elle se trouve pour la pre mière fois authentiquement elle-même. Donc la vérité de l’existence est fondée sur la vérité de la transcendance, mais la transcendance encore moins que l’existence, ne avoir de vérité au sens ordinaire du mot, parce que là Seut ne peut pas y avoir de fausseté possible. Dès que nous sommes dans ce domaine, il n’y a plus de dilemme, il n’y a plus d’alternative, il n’y a plus de possibilité. Donc, on ne peut parler que figurativement de vérité au sujet de la transcendance. Nous parlions, quand nous cherchions la solution du problème, d’une possibilité d’une dialectique des vérités, et nous avions vu que nous n’obtenions pas une solution complètement satisfaisante. On pourrait aussi, nous l’avons dit, essayer de distinguer la source ultime de la vérité, qui est une transcendance dont nous ne pouvons rien dire, analogue au Bien de Platon, à l’Un de la première hypo thèse du Parménide, et distinguer d’autre part les diffé rentes sources de vérité, comme le Dasein ou l’existence, et enfin le milieu de la vérité, qui est la conscience en général.
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Il ne semble pas <^e Jaspers ait développé cette solution, et nous sommes toujours en présence des deus vérités, la Vérité dans le domaine de la séparation, la vérité dans le domaine de Tunité. Cette anaJome du vrai recouvre ce qu’on pourrait appeler une dysandogie du vraL II n’y a pas de correspondance entre les deux modes de vérité. Plus que l’existence de diverses vérités, c’est là ce qm crée l’embarras essentiel dans lequel nous nous trouvons quand nous étudions la théorie de Jaspers. Nous ajouterons encore deux observations. La transcen dance, d’une part, c’est ce qui est absolument séparé du reste, mais, d’autre part, c’est une sorte d’absolu qui englobe tout le reste. Dazis la transcendance, sont unis les différents modes de la vérité. Comment cela est-il pos sible, surtout étant donnée cette différence absolue entre les deux modes que nous avons étudiés. Ce que la vérité est dans l’ensemble, nous rie le savons pas, reconnaît Jaspers, même si nous le recherchons sans limites et dans une passion infinie. L’unique vérité réside au delà de la vérité abordable pour nous et est dans la transcendance. Le néo-hégélien Bradley professe que tout ce que nous savons est quelque chose de relatif, et donc de faux, et l’absolu qui est la réalité même nous ne pourrons jamais le posséder. Nous sommes assez près de la doctrine de Jaspers, mais c’est moins de Bradley que souvent J aspers se‘ rapproche que de Hegel. En partant de cette comparaison possible entre Jaspers et Hegel, nous arriverons à voir que Jaspers tend parfois à abandonner certains traits fondamentaux de sa pensée, qu’U réintroduit une sorte de système, une sorte d’ensemble, redonne une place à la raison, et an lieu de nous présenter des dilemmes, des alternatives il nous montre ùn système qui essaie d’englober tous les dilemmes et toutes les alternatives. L’importance que donnent les deux philosophes à certains mots comme le mot aufgehoben, sur lequel Hegel a fondé une partie de sa philosophie et qui a cette propriété remarquable de signifier à la fois conservé et supprimé est assez révélatrice. Nous trouvons l’idée que l’on peut conserver en suppri mant, que l’on peut supprimer en conservant, dans la philosophie de Jaspers. De même, il nous parlera d’une immédiation médiate
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LA PENSEE DE L EXISTENCE
de- la raison, d’une relativisation qui nous permettra d’atteindre Tabsolu. Ët un commentateur italien de Jaspers (Pareyson) dit en termes heureux que dans ce livre sur la vérité, Ton assiste à un retour de Jaspera vers Hegel, à une re-hé^lianisation de Kierkegaard. C’est encore de Hegel que d’ailleurs Jaspers se rap prochait, quand il insistait sur l’indispensable expression de l’esprit dans ses actes et dans ses œuvres. L’homme, disait-U, ne parvient à la clarté de l’être qu’au moyen d’une objectivité qu’il pense, au moyen d’une activité finie qu’il acconmlit, au moyen d’un monde déterminé, incarné et articulé dans lequel il vit. Ainsi Jaspers semble se détacher de Kierkegaard pour se rattacher à Hegel, en tant qu’il affirme la nécessité de s’objectiver soi-même, qu’il nie*par là même l’idée du secret sur laquelle ailleurs il insiste. Comme chez Hegel, le processus spirituel devient un processus de sépara.tion et de réunion, d’auto-articulation et d’unité, de rupture et de retour. *Et en même temps, Jaspers insiste de plus en plus sur le rôle de la raison. Sans doute, cette raison n’est pas la raison classicme, et n’est pas non plus la raison hégélienne. Néanmoins, les différent modes de l’être, Dasein, cons cience en général, existence doivent être unis par un lien qui est la raison entendue au sens large, qui fait l’unité des différents éléments de la personne. Le lien de tous les infi nis compréhensifs, dit-U, est l’infini compréhensif qui se nomme la raison. Ainsi, il y a une activité, l’activité de la raison, qui englobe en quelle sorte les Jantres activités, qui fait leur union. Et c’est ce qui explique le refus que Jaspers oppose à l’appellation d’irrationaliste. IrrationaJisme comme rationalisme se placent au même niveau, et se réfutent l’nn, l’autre. Il y a donc un effort chez Jaspers pour faire place dans sa conception du monde à tout ce qu’il considère comme important dans les systèmes oppqsés au sien. 11 tente de voir chacun des systèmes comme expression d’un infini compréhensif, d’un Umgreifend. Or ne faudrait-il pas choisir entre l’affirmation de l’existence comme infini compréhensif et l’affirmation que les autres aspects de nous-mêmes sont aussi des infinis compréhensifs ? Sans
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doute il nous dira quUls ne sont des infinis compréhensifs que par l’existence qui est en eux. Il nous dira qu’il y a différenl» degrés d’infinis compréhensifs. Mais peut-on mettre à côté les uns des autres ces aspects ? N’y a t-U pas ime lutte, comme le disait Kierkegaard, entre l’existence et la pensée ? Ne faut-il pas choisir l’une des deux ? Peut-on les inclure toutes les deux dans un vaste ensemble qui for cément d’aüleurs deviendra une sorte de système et par là même deviendra très différent de la pensée kierkegaardienne dont d’abord Jaspers s’était inspiré ? Dans cette philosophie de choix, un choix ne devait-il pas s’imposer entre raffirmation existentielle et la systématique des infinis compréhensifs (^)? Et en effet il y a une sorte de lutte chez Jaspers entre l’affirmation existentielle dans sa pureté et une volonté de système cpii tendrait à intégrer l’empirisme, Descartes, Hegel dans une synthèse omni-compréhensive. Il reconnaît d’âuleurs lui-même qpie sa pensée devient une sorte de système ou du moins comme il dit de systé matique. Il y a bien des voies diverses, et c’est l’ensemble de ces voies qui nous mènera vers ce qui serait la vérité totale. L’existence doit être esprit, conscience, en général, Dasein. « Le mouvement de l’autorévélation se fait par l’entrée dans le monde de l’objectif et du pensable, dans la réalisa tion du Dasein, dans le devenir existentiel. » Or ü semble qu’il y ait une partie de la pensée de Jaspers qui n’accepterait qpie ce dernier terme : le devenir exis tentiel, comme voie vers la vérité. Mais ici, un autre Jas pers, pourrait-on dire, se fait jour, qui accepte l’idée de l’entrée dans le monde de l’objectif et du pensable, qui accepte la réalisation dans le monde du Dasein, qui donc essaie d’intégrer des pensées très différentes de la sienne, hostiles à la sienne, dans son propre système. II affirme qu’on va vers l’un à travers des voies très dif férentes. Il y a la clarté de la pensée objective, déterminée qui recherche dans tout ce qui peut être objet de recherche le monde un et qui atteint un Un toujours différent. Sans doute ce monde un ne peut pas être atteint comme cosmos (1) Et il reste toujours aussi la question de savoir si le Dasein réduit à lui-même, la conscience en général peuvent constituer des infinis compréhensifs.
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LA PENSEE DE L’SXISTENCE
fermé, monde total, qui serait objet d’étude et de science, mais 3 est cependant réel. D’autre part, nous avons à clierclier la participation aux idées de respiit (et ceci est une alludon au hégélianisme) et à projeter leur construction, même si ces idées ne sont que des schèmes. Sans doute nous ne pouvons pas édifier un système, mais ce que Jaspers appelle un s^atématique. Les idées finalement en tant que Sytème, voleront peut-être en éclats au contact de l’exis tence. Nous irons vers Thistoricité profonde de Texistence. Nous aurons aussi à suivre l’impulsion de la raison vers la mise en relation universelle de to ut ce qui est. Ainsi, an heu de nous enfermer dansl’existenee, comme le fait Kierke gaard, ü nous invite — resterait à savoir si c’est un mérité ou une déficience — il nous invite à é l a i ^ le plus possible le cercle de mos considérations. Il verra une vérité même dans les erreurs les plus profondes, dans ce qu’il appelle la démonologie, la divinisation de l’homme, dans le nihi lisme. Tout cela contient une vérité, et là encore, nous voyons la différence profonde entre Jaspers et Kierkegaard, qui aurait dit qu’3 n’y a là qu’erreur. Pour nous, écrit-il, aucun système de philosophie pre mière n’est vrai ; ce qui est vrai, c’est, la systématique de l’infini compréhensif tel qu’il nous est présent, et cette systématique reste ouverte pour nous dans son mouve ment ; car il ne faut pas arrêter le mouvement de l’esprit, il ne faut pas figer les termes de système, LLfaut faire imc systématique en mouvement. Telle est la réponse qu’il peut faire à la critique que nous lui adressons. Cependant un danger menace la pensée de Jaspers, le danger du système, qui nous apparaît particulièrement quand Jaspers trace au début de son livre sur la Vérité des tableaux de l’être, des arbres généalogiques de l’être où il nous montre lés modes d’être différents que nous ne sommes pas, et qui sont deux, le monde et la transcendance, les modes d’être que nous sommes, qui sont quatre, le Dasein, la conscience en général, l’esprit et l’existence. n est vrai que ces tableaux ne coïncident pas toujours les uns avec les autres, et cela pourra apparaître soit comme un allègement, soit comme une aggravation du reproche ; l’existence parfois est regardée non pas comme un mode de notre être (d’ailleurs profondément différent des trois pré cédents en tant qpi’elle est trancendante) mais comme le
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fondement des ^fférents modes de notre être* Mais cette différence ne fait pas que nous ne voyions là une sorte de philosophie systématique. L^id^ de choix occupe une très grande place dans la APhilosophie B. L’existant est avant to ut quelqu’un mû choisit, et il n’y a pas d’existence sans ce choix absolu, par exemple entre'le romantisme de la passion vers la nuit, comme dit Jaspers, et le classicisme de la loi du jour. Mais comment alors concevoir qu’on puisse faire im système des choix ? Ne risque-t-on pas, en nous présentant un système des différents choix possibles, de détruire pour soi-même la possibilité de choisir ? N’y a-t-il pas contradiction entre l’idée d’ensemble et de systématique vers laquelle tend en quelque sorte contre la volonté que nous pouvions lui attribuer d’abord la philo sophie de Jaspers, et l’idée de choix ? Jaspers écrit : «On demande à ime philosophie quel point de vne elle soutient, ce qu’elle vent et signifie authentiquement, quel est son domaine ; mais nne philosophie de rinfini compréhensif rejette cette question, elle cherche tous les pointe de vue possibles, est capable de se placer à chacun d’eux, s’intro duit dans toutes les formes, sous tous les masques, dans tous les mondes. Le caractère'indirect du savoir de l’être se manifeste dans la mobilité universelle des points de vue ». Mais alors, ne doit-on pas dire que le philosophe exis tentiel ue peut pas faire une plûlosophie du genre de celle que Jaspers nous présente, puisque cette philosophie est une philosophie de tous les points de vue, un catalogue de tous les points de vue possibles, un large éventail d’alter natives ? L’homme existentiel s’identifie avec un point de vue, de telle façon qu’on ne peut même plus parler de point de vùe. Jaspers parle parfois du sérieux existentiel, du caractère décisif de la vérité, de la puissance violente d’exclusion, de la colère sainte du sérieux existentiel. Dans l’ensemble que conçoit Jaspers, on doit induré tous les choix possibles. Nous sommes toujours ramenés à cette question : n’y a-t-il pas une antinomie dans l’idée même de philosophie de l’existence, et sons l’effet de cette antinomie, ne voyonsnous pas cette idée éclater en deux idées qui ne peuvent pas véritablement s’associer, philosophie d’un côté, exis tence de l’autre ?
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Sans doute, on pourrait faire observer comme l’a fait Jeanne après Jean HerscH : im dés meilleurs pen seurs qui aient étudié et commenté Jaspers, qu’en Jaspers existant, mais cela ne fait que présenter sous une forme encore plus aiguë notre difficulté. D’autre part, Jaspers oppose à NietzscLe la difficulté qu’il 7 a dans sa théorie à distinguer la valeur de vérité des différentes interprétations, et même à séparer la vérité d’une façon absolue des mensonges. Nietzsche, dit-il, laisse tomber les simples formes de l’exactitude, les formes universelles de la conscience en général, et cependant, en tant que penseur qui s’adresse à d’autres penseurs, il doit s’y maintenir. Jaspers voit là une sorte de contradiction. Mais on pourrait peut-être lui adresser des reproches semblables. Pourrons-nous distinguer, si l’on choisit la théorie de Jaspers, le mensonge de la vérité ? Ne laisse-t-on pas tomber la vérité au sens ordinaire du mot, et en un autre sens, ne la garde-t-on pas ? N’y a-t-il pas même dans cette théorie un danger pour notre sens même de la vérité ? Qn nous dit que faire de la vérité un absolu, c’est fanatisme. Sans doute Jaspers veut condamner quelque chose qui se présente sous forme de concept, et le zèle pour la vérité qu’il rejette, c’est le zèle pour une vérité subsistant à la façon des choses ; ce dont il ne veut pas, c’est l’idée d’une vérité objective, d’une séparation profonde entre la vérité et l’erreur. Mais malgré la souplesse, la complexité et souvent la grandeur de sa pensée, le problème subsiste. L’ultime fondement, dit-il, de toute réflexion philoso phique, de toute pensée, c’est ; « ma volonté est le vrai ». E t Jaspers cherche l’unique vrai : « qu’U y ait une vérité, cela satisfait profondément». La vérité est un indestruc tible lié à l’être. Mais l’unique vrai ne peut être atteint ; s’il y a différentes voies vers l’un, l’un même au fond n’est pas un, en un certain sens. E t à partir de là, il semble qu’une nouvelle logique serait nécessaire, vers laq[uelle Platon tendait, qn’il n’a pas réalisée, et que Jaspers n’a pas réalisé non. plus. Ainsi, ü a le mérite de faire revenir plus existen tiellement, vers le problème, l’antiqpie problème de l’un et du multiple, tel que Platon l’avait posé (^). (1) Nous laissons au second plan des observations de portée plus res treinte, par exemple au sujet de la vérité qui ne change pas Tobjet et de la vérité qui le change, cette dernière sorte de vérité, semblant être
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Mais Jasper lui-même nous enseigne comment il faut étudier les systèmes, et indique peut-être par là les défauts dp mes critiques. Car il faut aller, dit-ü, à l’origine, à la source. Un système, dit Jaspers, c’est un appel de la liberté à la liberté, un appel de l’existence à l’existence ; c’est dire qu’ü faut moins s’arrêter à l’aspect extérieur du système (^e remonter à son inspiration, ou comme il dit, à sa source originaire. Donc, ce qu’il faut entendre à travers les systèmes, c’est la voix d’un existant. C’est une invocation, comme il dit encore, de l’âme à l’âme. Chaque système est bâti autour d’une telle invocation. Et, en effet, c’est ce qu’il s’est efforcé de faire qpiand ü a étudié non seulement des philosophes comme Kierkegaard et Nietzsche, mais même des philosophes comme Des cartes. D’après lui, le tort de Descartes, car il le juge sévè rement, c’est de ne pas avoir été fidèle à sa source, à son origine, d’avoir traduit l’expérience du cogito dans un langage trop substantialiste. Donc, ce qu’il faut découvrir toujours derrière les systèmes, c’est l’existence. Que fait un existant quand U philosophe ? Il se place d’abord devant le monde, et c’est en effet ce qu’ont fait et Platon, et Descartes, et tous les autres. Et sur ce point, les philosophes en général veulent être convaincants, veulent apporter des certitudes. Mais par là même que le système part de l’existant, il y a autre chose dans le système. Derrière la théorie du monde de Descartes, ü y a le jaillissement du cogito. Mais cela même n’est pas suffisant. Le u Je pense» n’existe que par référence à quelque chose qui dépasse le «Je pense», et nous avons vu que c’est ce que Jaspers appelle la transcendance. Finalement, le philosophe se place devant Dieu, devant la transcendance. Il transcende à partir du monde et de Ini-même, vers son fondement. Ainsi le système de Descartes n’est pas seulement nne réservée finalement à la vérité psychologique. Il faut répondre parla négative, dit Jaspers, à la question de savoir si je ne change pas l'objet que je vois. Observation secondaire, importante cependant, puisqu'elle nous montre un conflit (ce qu'on pourrait appeler le conflit Husserl-Heisenberg) à rintérieur de la pensée de Jaspers.
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théorie du monde, n’est pas seulement le Goglto, c’est ausri l’affirmation de Dieu. Il ne faut d’ailleurs pas séparer les différentes parties d’un système. On peut considérer le système dans son ensemble, et un système est comme une œuvre d’art. C’est un «chiffré», à l’aide duquel on essaie de lire l’univers. Il faudra donc pour chacun des ^ands philosophes distinguer l’étude du Dasein, « l’orientation dans le monde », puis l’éclaircissement de l’existence, accompagné d’un appel à l’existence ; et enfin le chiffre final par let^el on essaie de découvrir la transcendance. C’est ainsi qu’il faut interpréter la philosophie de Jaspers lui-même : orien tation dans le monde, invocation à l’âme et déchiffrement des signes de Dieu., Ce serait une erreur, ajoute-t-il, de vouloir insister à tout prix sur roriginalité d’une philosophie. Une philoso phie n’est jamais nouvelle qu’en apparence. Le pMlosopho a conscience de découvrir une vérité qui est antique, originaire. En philosophie, la nouveauté est plutôt un argu ment contre la vérité. Heidegger pense cra’il faut revenir aux spéculations des Grecs ; le gi'and pronlème reste tou jours le problème de l’être tel qu’ü a été posé par Platon, Aristote et au delà d’eux par les anté-socratiques. Au contraire de Jaspers, Heidegger veut, malgré tout, opérer une rupture avec ceriaines philosophies précédentes, pour rémonter à l’origine de la philosophie, pour remonter aux anté-soçratiques. Jaspers veut être l’héritier de toute la tradition de la philosophie occidentale. 1/a systématique (il préfère ce terme au mot de système) est, ou veut être la conclusion de la pensée occidentale, ramassant tout ce qu’il y a eu de vrai dans son développement, et préservant le caract^e sacré des découvertes précédentes. Chaque philosophe, à son tour, doit remplir les étemelles vérités d’une personnalité neuve et c’est au contact avec la personnalité nouvelle q[ue l’on pourra vraiment ressentir ce qui primitivement avait été signifié. Pour remonter aux origines de chaque grand système, et aux origines de la philosophie elle-même, il faut savoir être soi-même originaire, il faut savoir soi-même être une origine. C’est alors qu’on pourra avoir à nouveau ce qui a été à l’origine : la vision primitive qui fut à la naissance des systèmes.
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On voit donc que la vérité ne pourra se trouver d’une façon explicite ni dans l’orientation dans le monde, ni dans le domaine de la conscience en général, et quant à l’éclair cissement de l’existence et au déchiffrement des signes de la transcendance, ils ne peuvent que nous faire approcher de ce que nous voulons atteindre, car l’existence ne peut pas s’exprimer ; il y a des apories de la philosophie de l’existence. Et quant à la transcendance, nous avons vu qu’on né peut l’exprimer qpie par des sortes de contradic tions, d’antithèses et de cerclés vicieux. En ce sens, on peut dire qu’il y a un échec de la philosophie de Jaspers. Sa phUosophie est une philosophie de l’échec. Il est donc normal qu’en un sens eUe échoue. La philosophie de Jaspers est jusqu’à un cextain point une philosophie du tragique. Le tragique est dans l’exis tence, mais nous avons conscience que la transcendance dépasse le domaine du tragique. Le trag^ipie ne s’applique pas à la transcendance, mais seulement à son apparition dans le temps et à sa relation avec l’existence. Donc le tragique reste préliminaire, et nous devons aussi le dépasser. Dans l’échec et dans le tragiqpie, quelque chose apparaît par cet échec et par ce tragique, c’est l’être. Le tragique et l’échec laissent l’être apparaître. Donc, par eux s’exprime quelque chose qui les dépasse. Par le tra gique s’exprime un autre qui n’est plus tragique. Ce n’est donc pas l’échec qui est le chiffre final et qui est le vrai, mais ce qui paraît échouer, et ce qui dans l’échec vient à soi, c’est-à-dire à la transcendance. Revenons maintenant au problème de la vérité. Nous savons que pour Heidegger l’homme est gardien de la vérité, il habite auprès de l’être, mais nous n’avons pas découvert de définition de l’être. Jaspers nous dit que l’être ne peut pas être atteint dans son ensemble. L’homme ne peut Jamais saisir que des vérités disjointes. Comme ü y a deux espèces de vérité, une vérité de la conscience en géné ral qui est séparation, une vérité existentielle, qui est union, et malgré la nécessité réciproque de chacune de ces vérités pour l’autre, on peut se demander comment le même mot peut convenir à des concepts de vérité aussi différents f^). (1) Que le lecteur et que Jaspers lui-même veuillent bien nous per m e tte de citer une lettre cpie celui-ci nous a adressée en réponse à quelques questions : ■ Vous avez raison ; un dialogue parménidien sur le thème —
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Si le vrai est unité absolue, ÎL ne peut plus même être dit vrai, car qui se distinraera de lui pour le dire unité absolue sans devenir par là même non vrai ? Mais si le vrai d'autre part est unité de deux choses séparées, on ne pourra jamais atteindre une véritable unité. Donc nous avons toujours à choisir entre unité absolue et unité de dualité, et chaque fois nous courons à un échec. De plus, nous avons vu que dans une théorie comme celle de Jaspers, on arrive à dire que toute vérité particulière est fausse, en tout qu'elle est une abstraction, et nous risquons de perdre la possibilité d’affirmer des vérités. Nous pourrions nous demander si ces deux philosophes, Jaspers et Heidegger, ont eu raison de chercher la vérité avant ou après ce qu’on appelle ordinairement les vérités, car la vérité est q u e lle chose qui est du domaine des juge ments et des propositions. Il n’y a de vérité que s’il y a jugement. Il n’y a pas d’erreur, et par conséqpient pas de vérité dans le domaine, par exemple, de la sensation. Heidegger et Jaspers veulent nous persuader qu’il y a quelque chose d’antérieur à la vérité du jugement, qui serait une sorte de vérité de l’être. Il y aurait une vérité anté-prédicative. Et sur ce point, ils continuent certaines tendances de la phénoménologie de Husserl. Mais ce qu’ils déclarent à savoir qu’il y a vérité avant le jugement, signifie bien plutôt qu’il y a avant la vérité quelque chose dans quoi la vérité doit se fonder, et à quoi il me semble qu’il vaudrait mieux ne pas donner le nom de vérité, car peut-être faut-ü maintenir la thèse classique que c’est le jugement qui est le lieu de la vérité. Jaspers ajoute que non«seulement la vérité est avant ce que nous appelons ordinairement vérité, mais qu’elle est aussi après, en ce sens qu’elle serait l’onion, d’ailleurs impossible, des différents modes de l’être. Mais il vaut peut^tre mieux, dai^ l’intérêt de la clarté, la vérité est unité — la vérité est séparation serait riche de sens. Quant au mot S p a l t u n g ^ U faudrait le tradnire, d’après le conteste soit par scission, ce qni me paraît plus fort, soit par séparation. J’évite avec grand soin une trop grande précision terminologique. La clarté se fait par le mouvement de la pensée, non par la définition des concepts. Quant à la tension, elle me paraît, comme à vous, non pas l’origine, mais une apparition qui se mauifeste comme conséquence du phénomène i (8 novembre 1949).
LA
THEORIE
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VERITE
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dire que la vérité implique séparation du sujet et de Tobjet, un sujet jugeant au sujet d’un objet. Par conséquent, à partir des thèses ontologiques de la vérité chez Heidejgger et Jaspers, nous pourrions revenir à ce qu’on pourrait appeler les thèses logiques, c’est-à-dire les thèses qui disent que la vérité est dans le logos. Il n’y a de vérité que dans le logos en tant qu’expression exprimée, c’est-à-dire dans la proposition et dans le juge ment, d’après ce que Jaspers et Heidegger appellent la vérité secondaire, vérité des jugements et des propositions et qui est la vraie vérité, (ÿ iant à « la vérité primaire », il vaudrait mieux l’appeler réalité, pour la distinguer de la vérité, puisqu’on réserverait celle-ci au jugement. Ce serait donc un retour à l’antique théorie, à l’antique tradition platonicienne, aristotélicienne : il n’y a de vérité que dans la sphère de ce qui est exprimable en jugements, que ces jugements soient des jugements de prédication ou de perception. Il faut sans doute conserver l’idée de Heidegger et de Jaspers qu’il y a quelque chose dont nous partons quand nous disons que quelque chose est vrai. Car nous ne pouvons, si nous disons par exemple qu’un jugement de per ception est vrai, que nous référer finalement à la per ception elle-même, qui est en deçà du jugement. Mais cet en deçà du jugement ne peut que difficilement être appelé vérité. Ainsi, la vérité se situe dans une région en quelque sorte construite par l’homme, où on définit la correspon dance de façon à pouvoir parler de la correspondance entre nos idées et les choses. Il y a cependant un point de la théorie classique qui semble orienter la réflexion vers celles de Heidegger et de Jaspers, à savoir qu’il y a un lien entre la vérité et l’être. Tendance ontologiqfue, tjui se voit chez Platon et Aristote, et qu’a amené Heidegger et J aspers à chercher un être qui serait vérité et qui serait antérieur au jugement. Nous avons parlé des deux tendances .différentes et pourtant liées qpii s’expriment chez ces deux philosophes, tendance plutôt ohjectivlste chez Heidegger, tendance plutôt subjectiviste chez Jaspers, tendance chez Heidegger à identifier la vérité à ce qu’ordinaixement on appellerait l’objet, tendance chez Jaspers à identifier la vérité à ce qu’ordinairement on appellerait le sujet. 19
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LA PEN SEE
DE
L E X I ST E N C E
Ces deux tendances se mêlent
TABLE DES MATIÈRES P r e m iè r e
P a r t ie
KIERKEGAARD
Géaéiralités 'sur la pMlosophie de l’exîsteace. Les caractéristiques de résistantchez Kierkegaard. 5 IL — Les détenniaations relig^eiiËes del’esîstence..... 29 [IL — La pensée du paradoxe et son inflaence sur la pensée existentielle..................................................... 34 [V. — Quelques qpiestions..................................... 43 V. — Kierlægaard et les philosophes de l’existence. Nietzsche et Kierkegaard................. ............... 46 Les catégories existentielles......................... 55 / l . I. —
—
D e u x iè m e
P a r t ie
JASRERS I. —
Jaspers et le problème de l'être. Les expériences fondamentales. La partie critique......... ........
IL — L’acte de philosopher ......... .............. III. — L’être qui est nous-mêmes. L’existence. Histori cité. Liberté. Communication........................ IV. — Les situations-limites. -La conscience absolue. L’exception et l’autorité. Passage à la transcen dance ................................ V. La transcendance............................................. VL La philosophie et l’onlologie. Latragédie..........
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69 72
‘.KJ
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LA PENSÉE DE
l
' e XISTENCE
VII. — Les chiffres; leur signification. Rapport du chiffre et du temps. Valeur des chiffres ; leurs effets. Qassification des chiffres. L’échec, le silence................. 13^ VIII. — Coup d’ceil d’ensemble sur la philosophie de Jaspers. Comment peut-on la juger ?............ 145 T r o is iè m e P a r t ie
I. — Jaspers et Kierkegaard....................................... 161 II. — Le problème duchoix, l’existence et la transcendance dans la plülosophie de Jaspers .......................... 195 Q u a t r iè me
P a r t ie
La théorie de la vérité dans la philc^phie de Jaspers.......
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