Patrick Modiano: Catherine Certitude
Patrick Modiano : Catherine Certitude dessins par Jean-Jacques Sempé
A
New York, New rk, il nei neiee au!o au!our urd" d"hu huii et !e rea reard rde, e, par par la #en$ #en$tr tree de mon mon e appartement de la %& rue, l"immeu'le l"immeu'le d"en #ace o( se trou)e l"école de danse que !e dirie* +errire la 'aie )itrée, les él)es en !ustaucorps ont cessé leurs pointes et leurs entrechats* Ma #ille, qui tra)aille a)ec moi comme assistante, leur montre, pour les détendre, détendre, un pas sur une musique de !a* .out / l"heure, !"irai les re!oindre* 0l 1 a parmi ces él)es, une petite #ille qui porte des lunettes* 2lles les a posées sur une chaise, a)ant de commencer le cours, comme !e le #aisais au m$me 3e che Madame +isma4lo)a* 5n ne danse pas a)ec des lunettes, !e me sou)iens qu"/ l"époque de Madame +isma4lo)a, +isma4lo)a, !e m"e6er7ais m"e6er7ais pendant la !ournée / ne plus porter mes lunettes* 8es contours des ens et des choses perdaient leur acuité , tout de)enait #lou , les sons eu6-m$mes étaient de plus en plus étou##és * 8e monde, quand !e le )o1ais sans lunettes, n"a)ait plus d"aspérités, il était aussi dou6 et aussi du)eteu6 qu"un ros oreiller contre lequel !"appu1ais ma !oue, et !e #inissais par m"endormir* - A quoi r$)es-tu, Catherine 9 me demandait papa* .u de)rais mettre tes lunettes* Je lui o'éissais et tout retrou)ait sa dureté et sa précision coutumires* A)ec mes lunettes, !e )o1ais le monde tel qu"il est* Je ne pou)ais plus r$)er* 0ci a New York, !"ai #ait partie d"une troupe de 'allets pendant quelques années* 2nsuite, !"ai dirié a)ec ma mre un cours de danse* Puis elle a pris sa retraite et !"ai continué sans elle* C"est maintenant a)ec ma #ille que !e tra)aille* Mon pre lui aussi de)rait prendre prendre sa retraite retraite mais il ne peut s"1 résoudre* résoudre* Sa retraite retraite de quoi, au !uste 9 Je n"ai !amais su quel est e6actement le métier de papa* 8ui et maman sont installés maintenant dans un petit appartement de reenwich ;illae* 2n somme, rien / dire sur nous* +es New-Yorkais New-Yorkais comme comme tant d"autres* d"autres* 8a seule chose chose un peu étrane étrane c"est ceci : a)a a)ant nt notre départ pour l"Amériq l"Amérique, ue, !"ai )écu mon en#ance en#ance / Pa Paris ris dans e le < arrondissement* ;oil/ presque trente ans de cela*
Nous ha'itions au-dessus d"une sorte de maasin dont papa 'aissait, chaque
soir, soir, / sept heures, heures, le rideau de #er * Cela ressem'lait ressem'lait au local des ares de pro)ince pro)ince o( l"on consine et o( l"on e6pédie les 'aaes* 'aaes* 0l 1 a)ait tou!ours tou!ours des caisses et des paquets empilés empilés les uns sur les autres* 2t une 'alance, dont le )aste plateau , au ras du sol , était #ait pour supporter des poids importants, puisque son cadran indiquait !usqu"/ trois cents kilos* Je n"ai !amais rien )u sur le plateau de cette 'alance* Sau# papa* Au6 rares moments o( Monsieur Casterade, son associé, était a'sent, papa se tenait immo'ile et silencieu6 au milieu du plateau de la 'alance, les mains dans les poches, le )isae incliné* 0l #i6ait d"un reard pensi# le cadran de la 'alance, dont l"aiuille marquait !e m"en sou)iens - soi6ante-sept kilos* =uelque#ois, il me disait : - .u )iens Catherine 9 2t !"allais le re!oindre re!oindre sur la 'alance* Nous restions l/, tous les deu6, les mains de papa sur mes épaules* Nous ne 'ouions pas* Nous a)ions l"air de prendre la pose de)ant l"o'!ecti# d"un photoraphe* J"a)ais >té mes lunettes, et papa a)ait >té les siennes* .out était dou6 et 'rumeu6 autour de nous* 8e temps s"était arr$té* Nous étions 'ien*
?n !our, Monsieur Casterade, l"associe de papa, nous a)ait surpris sur cette
'alance* - =u"est-ce que )ous #aites l/ 9 a)ait-il demandé* 8e charme était rompu* Nous a)ions remis nos lunettes, papa et moi* - ;ous )o1e 'ien que nous nous pesons, a)ait dit papa* Sans dainer nous répondre, il a)ait disparu d"un pas ner)eu6, tout au #ond, derrire la paroi )itrée, l/ o( deu6 ros 'ureau6 de no1er se #aisaient #ace a)ec leurs chaises pi)otantes: le 'ureau de papa et celui de Monsieur Casterade* 1
Patrick Modiano: Catherine Certitude
C"est aprs le départ de maman que Monsieur Casterade a commencé de tra)ailler a)ec papa* Maman est américaine* A )int ans, elle appartenait / une troupe de danseuses, )enues en tournée / Paris* 2lle a)ait #ait la connaissance de mon pre* 0ls s"étaient mariés, et maman a)ait continué de danser / Paris, dans les music-halls: 8"2mpire, 8e .a'arin, 8"Alham'ra *** J"ai ardé tous les prorammes* Mais elle a)ait le mal du pa1s* Au 'out de quelques années, elle a)ait décide de retourner en Amérique* Papa lui a)ait promis que nous irions la re!oindre l/-'as, ds qu"il aurait rélé ses @a##aires commerciales* ;oil/, du moins, les e6plications qu"il me donnait* Mais plus tard, !"ai compris qu"il 1 a)ait, au départ de maman, d"autres raisons* Chaque semaine, papa et moi nous rece)ions, l"un et l"autre, une lettre d"Amérique, dont l"en)eloppe était 'ordée de petites 'arres roues et 'leues* 8a lettre de maman #inissait tou!ours par : « Catherine, je t'embrasse très forte. Ta maman qui pense à toi.»
Maman #aisait quelque#ois une #aute d"orthoraphe*
=uand papa me parlait de son associé Ba1mond Casterade, il le surnommait:
@8e Crampon* - Ma petite Catherine, !e ne peu6 pas )enir te chercher cet aprs-midi / l"école*** Je dois tra)ailler toute la soirée a)ec @8e Crampon* Monsieur Casterade était un homme 'run au6 1eu6 noirs, au 'uste trs lon* Ce 'uste lon et raide cachait le mou)ement de ses !am'es et on aurait dit qu"il lissait sur des patins / roulettes ou m$me des patins / lace* J"ai su, plus tard, que papa l"a)ait d"a'ord enaé comme secrétaire* 0l )oulait un homme qui connt 'ien l"orthoraphe et Monsieur Casterade, dans sa !eunesse, a)ait prépare une licence s lettres* 2t puis @8e Crampon était de)enu son associé* 0l #aisait la morale pour un oui pour un non* 0l aimait aussi annoncer les catastrophes* 8e matin, il )enait s"asseoir / son 'ureau et dépliait lentement son !ournal* Papa était assis, en #ace, / l"autre 'ureau, et il a)ait >té ses lunettes* Alors Monsieur Casterade, a)ec son accent du Midi, lisait le compte rendu des catastrophes et des crimes* - ;ous ne m"écoute pas, eores, disait Monsieur Casterade / papa* ;ous $tes ailleurs*** ;ous n"a)e pas le courae de )oir le monde tel qu"il est*** ;ous de)rie remettre )os lunettes*** - 2st-ce 'ien nécessaire 9 disait papa* @ 8e Crampon a)ait une autre manie : celle de dicter des lettres, le 'uste cam'ré, le )er'e haut* Com'ien de #ois ai-!e )u papa taper / la machine des lettres d"a##aires sous la dictée de Monsieur Casterade, et cela sans oser lui dire - par délicatesse- que ces lettres ne ser)aient / rien*** Monsieur Casterade épelai les mots, indiquait la ponctuation et le moindre accent circon#le6e* +s que son associé tournait le dos, papa déchirait sou)ent la lettre*
A moi aussi, @8e Crampon )oulait dicter mes de)oirs et !"étais o'liée de le
laisser #aire* J"a)ais quelque#ois une 'onne note mais, en énéral, le pro#esseur écri)ait sur ma copie: @hors su!et* Alors, papa m"a)ait dit : - Si tu sens qu"il est @hors su!et, déchire le de)oir qu"il te dicte* 2t recommence-le toute seule* 2n son a'sence, papa l"imitait* - Point-)irule, ou)re les uillemets, )irule, deu6-points, ou)re la parenthse, / la line, #erme la parenthse et les uillemets*** 2t comme il prenait l"accent du Midi de Monsieur Casterade, !"a)ais une crise de #ou rire* - ?n peu de sérieu6, Mademoiselle, disait papa* N"ou'lie pas le tréma sur le u*** 2t remette )os lunettes pour )oir le monde tel qu"il est***
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?n aprs-midi que !e re)enais de l"école a)ec papa, Monsieur Casterade a)ait )oulu que !e lui montre mon 'ulletin* 0l le lisait en mordillant son #ume-ciarette* 0l m"a #i6ée de son Dil noir: - Mademoiselle, m"a-t-il dit, !e suis trs dé7u* Je m"attendais / de meilleurs résultats de )otre part, surtout en orthoraphe*** .out ce que !e constate, en lisant ce 'ulletin, c"est*** Mais !"a)ais >té mes lunettes et !e ne l"entendais plus* - .aise-)ous, Casterade, a dit papa* ;ous commence / me #atiuer* 8aisse cette petite tranquille* - .rs 'ien* Monsieur Casterade s"est le)é, le 'uste dédaineu6, et il a lissé !usqu"/ la porte du 'ureau* 0l a disparu, trs droit, trs dine sur ses patins / roulettes in)isi'les, et papa et moi, nous nous sommes reardes par-dessus nos lunettes*
Plus tard, en Amérique, le maasin de la rue d"Eaute)ille et Monsieur Casterade
nous sem'laient si lointains que nous #inissions par nous demander s"ils a)aient !amais e6isté* ?n soir, au cours d"une promenade / Central Park, !"ai demandé / papa pourquoi il a)ait permis / Monsieur Casterade de prendre une si rande importance dans sa )ie pro#essionnelle et notre )ie #amiliale au point de lui laisser dicter ses lettres, et d"écouter ses le7ons de morale sans oser l"interrompre* - Je ne pou)ais pas #aire autrement, m"a a)oué papa* Casterade m"a sau)é d"un 'ien mau)ais pas* 0l n"a !amais )oulu me donner d"autres détails* Mais, un !our que Monsieur Casterade était trs #3ché, !e l"a)ais entendu dire / papa : - ;ous de)rie )ous rappeler, eores, que les )rais amis sont ceu6 qui )ous sortent des ri##es de la Justice* =uand papa a)ait connu Casterade, celui-ci )enait d"a'andonner son poste de pro#esseur de #ran7ais dans un colle de la 'anlieue* 0l a)ait pro#ité du respect de papa / l"éard de ceu6 qui écri)ent des li)res : Monsieur Casterade a)ait pu'lié !adis plusieurs )olumes de )ers* J"ai ici, dans la 'i'liothque de mon appartement de New York, l"un de ses ou)raes, que mon pre a)ait sans doute #ourré dans sa )alise, / notre départ de France, pour arder une trace du passé* 8e li)re s"appelle : Cantilènes et il est édité che l"auteur, G%, rue de l"Aqueduc, / Paris < e* 5n lit une notice 'ioraphique au dos du )olume : @Ba1mond Casterade* 8auréat des !eu6 #lorau6 du 8anuedoc, des Mussetistes de Hordeau6 et de la Fédération littéraire ascone-A#rique du Nord*
Au-dessus de la #a7ade du maasin - une rande )itre dépolie qui découraeait
la curiosité des passants de la rue d"Eaute)ille - il était écrit en caractres 'leu marine : @CAS.2BA+2 I C2B.0.?+2 - 26p*-.rans* Certitude est notre nom de #amille, / mon pre et / moi* 0ci, en Amérique, on le prononce .cer-ti-tiou-de, a)ec di##iculté, mais / Paris, cela sonnait clair et #ran7ais* Papa m"a e6plique, plus tard, que notre )rai nom était 'eaucoup plus compliqué* =uelque chose comme : Tscerstistscekvade, ou Chertchetitudjvili. ?n aprs-midi d"été, !uste a)ant la uerre, quand papa était !eune, il a)ait eu 'esoin d"un e6trait d"acte de naissance et il s"était rendu / la mairie du 0< e arrondissement de Paris, l/ o( son pre / lui l"a)ait inscrit sous leur nom de Tscerstistscekvade ou Chertchetitudjvili. +ans le 'ureau désert et ensoleillé de l"état ci)il, un emplo1é se tenait, solitaire* Au moment de transcrire sur la #iche le nom si compliqué de mon pre, il a)ait poussé un soupir* +"un mou)ement machinal, il a)ait chassé un essaim d"a'eilles in)isi'les, des moustiques, des rillons, comme si ces Cer, ces Tser, ces Tits, et ces Tce du nom de mon pre lui a)aient é)oque le 'ourdonnement de centaines d"insectes autour de lui* - ;ous a)e un nom qui donne chaud, a)ait-il dit / papa en s"époneant le #ront* 2t si on le simpli#iait 9 a )ous irait*** Certitude 9 - Si )ous )oule, a)ait dit papa* - Alors, )a pour Certitude* 3
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8e maasin de la rue d"Eaute)ille portait donc pour enseine: @ CAS.2BA+2 I C2B.0.?+2 - 26p*-.rans* =ue sini#iait @ 26p*-.rans* 9 Mon pre est tou!ours resté discret et é)asi# l/-dessus* 26péditions 9 26portations 9 .ransit 9 .ransports 9 8e tra)ail se #aisait de nuit* Sou)ent, !"étais ré)eillée par des allers et )enues de camions qui s"arr$taient et laissaient tourner leur moteur* Par la #en$tre de ma cham're, !e )o1ais des hommes entrer et sortir du maasin en transportant des caisses* Papa et Monsieur Casterade, au milieu du trottoir, dirieaient ces acti)ités nocturnes de manutention* Papa tenait un reistre ou)ert / la main, et au #ur et / mesure que l"on déchareait les caisses d"un camion ou que l"on chareait un autre camion, il prenait des notes* J"ai retrou)é, dans de )ieu6 papiers, l"une des paes de ce reistre : 8e mot @ Friidaires est ra1é et remplacé par @ ré#riérateurs de l"écriture de Monsieur Casterade, et au 'as de la pae, !e reconnais la sinature illisi'le de papa* J"allais / l"école rue des Petits-E>tels, tout prs de notre domicile* Papa m"1 accompanait aprs a)oir le)é le rideau de #er du maasin* Chaque matin, sur notre chemin, nous croisions Monsieur Casterade qui descendait la rue d"Eaute)ille pour re!oindre son 'ureau de @ CAS.2BA+2 I C2B.0.?+2 - 26p*-.rans* * - A tout de suite, Ba1mond, disait mon pre* - A tout de suite, eores* 2t son lon 'uste continuait de lisser de plus en plus )ite, puisque la rue d"Eaute)ille est en pente*
Nous arri)ions de)ant l"école* Mon pre me tapotait l"épaule* Hon courae, Catherine*** 2t, cela n"a aucune importance si tu continues / #aire des #autes d"orthoraphe comme ton papa*** Maintenant, !e comprends qu"il ne disait pas cela parce qu"il était un pre indi##érent / l"éducation de sa #ille* Mais il sa)ait que Monsieur Casterade me #aisait peur a)ec ses perpétuelles le7ons de morale et d"orthoraphe et lui, papa, cherchait, au contraire, / me rassurer* Je restais deu6 #ois par semaine / la cantine de l"école, et les autres !ours !e dé!eunais a)ec papa dans un restaurant du quartier, rue de Cha'rol : @ 8e Picardie * Monsieur Casterade 1 dé!eunait lui aussi* Nous le uettions, au coin de la rue, et nous attendions une diaine de minutes aprs qu"il était entré dans le restaurant pour ne pas nous asseoir / la m$me ta'le que lui* Papa )oulait $tre seul a)ec moi et crainait que Casterade ne parl3t encore de catastrophes, de morale et d"orthoraphe* Je crois que papa s"était mis d"accord a)ec le patron du restaurant pour qu"il nous donn3t la ta'le la plus éloinée de celle de Casterade* A la porte du @Picardie, papa me disait : - 0l #aut que nous enle)ions nos lunettes, Catherine*** Comme 7a, nous aurons une e6cuse pour ne pas )oir Casterade*** Sou)ent, ceu6 a)ec qui il traitait des a##aires )enaient le retrou)er / la #in du repas et s"asse1aient / notre ta'le* Je les écoutais parler mais !e ne comprenais pas tout ce qu"ils disaient* +es hommes 'runs a)ec des moustaches et de )ieu6 pardessus* 0l 1 a)ait aussi, parmi eu6, un rou6 au6 lunettes / monture d"or, qui écoutait papa, 'ouche 'ée* Je me sou)iens que celui-l/ s"appelait Che)reau* ?n !our, papa lui a)ait dit : - Alors, Che)reau, 7a )ous intéresse, cinquante sies d"a)ion Constellation 9 Che)reau a)ait écarquillé les 1eu6* - +es sies de quoi 9 - +e Constellation* C"est un a)ion, comme )ous sa)e*** - =u"est-ce que )ous )oule que !"en #asse 9 - 2h 'ien, )ous pou)e, par e6emple, les trans#ormer en sies de cinéma* Che)reau considérait mon pre, 'ouche 'ée, comme / son ha'itude* 4
Patrick Modiano: Catherine Certitude
- Ah 7a, )ous a)e de l"imaination*** ;ous m"épate, Certitude*** 2h 'ien, d"accord*** Je les prends*** Je suis )raiment épaté*** Je lisais tant d"admiration pour papa dans les 1eu6 de Monsieur Che)reau que, moi aussi !"étais épatée* =uel pou)ait 'ien $tre le métier de papa 9 Je le lui ai demandé un aprs-midi : - Comment t"e6pliquer, ma chérie 9 Pour #aciliter le tra#ic des marchandises / tra)ers l"2urope, il e6iste dans chaque pa1s ce qu"on appelle des messaeries, et / leur t$te*** 2n#in, disons pour simpli#ier, que des ens m"en)oient des caisses et des paquets*** Je les arde dans le maasin*** Je les en)oie / d"autres ens*** Je re7ois d"autres paquets*** Ainsi de suite*** 0l a)ait aspiré une rande 'ou##ée de ciarette* - +isons que !e tra)aille dans les paquets*
A
partir du mois d"a)ril, les #ins d"aprs-midi, il m"accompanait dans le square, de)ant l"élise Saint-;incent-de-Paul* J"1 retrou)ais quelques-unes de mes camarades de classe et nous !ouions !usqu"/ si6 heures* Papa était assis sur un 'anc et me sur)eillait d"un Dil distrait tandis que des hommes 'runs / moustaches et au6 )ieu6 pardessus - les m$mes que ceu6 du restaurant - et Che)reau lui aussi prenaient place, / tour de r>le, sur le 'anc / c>té de lui* 0ls parlaient et papa écri)ait des notes sur un calepin* A la tom'ée du soir, nous descendions, main dans la main, la rue d"Eaute)ille* Papa me disait : - Casterade )a $tre de mau)aise humeur* 0l ne comprend pas que !e donne mes rende-)ous dans le square* C"est idiot*** A)ec ce 'eau temps, on tra)aille 'eaucoup mieu6 dehors*** 0l attendait papa, dans le #ond du maasin, assis / son 'ureau* 5ui, il était, en énéral, de trs mau)aise humeur* - ;ous a)e 'ien tra)aillé, Ba1mond 9 demandait papa* - 0l #aut 'ien que quelqu"un tra)aille ici* 0l raidissait le 'uste* - 2t )ous, Mademoiselle, me disait-il d"une )oi6 encore plus sche, quels potes #ran7ais a)e-)ous étudiés cet aprs-midi / l"école 9 - ;ictor Euo et ;erlaine* - .ou!ours les m$mes* Mais il n"1 a pas qu"eu6*** C"est trs )aste, la poésie*** Par e6emple*** 0l ne #allait pas le contrarier, / ce moment-l/* Papa s"asse1ait / son 'ureau* 2t moi, !e restais de'out les 'ras croisés* Monsieur Casterade sortait de la poche intérieure de sa )este l"un des recueils de pomes dont il était l"auteur* - Je )ais )ous donner un e6emple de métrique #ran7aise*** 8a )raie* Alors, il nous lisait ses pomes, d"une )oi6 monocorde, en 'attant d"une main la mesure* Je me sou)iens encore du dé'ut de l"un d"eu6, pour lequel il sem'lait éprou)er une tendresse particulire : !ett" au cou d'alb#tre et toi, $arie%&ose, (ouvene% vous toujours des serments chan)s, *à%bas, à Castelnaudar", les soirs d'automne...
Je m"asse1ais sur les enou6 de papa et !e #inissais par m"endormir* Hien plus tard, papa me ré)eillait* 8a nuit était tom'ée* - 0l est parti, disait papa d"un ton épuisé* .u peu6 remettre tes lunettes*** Alors, !e l"aidais / 'aisser le rideau de #er du maasin*
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Patrick Modiano: Catherine Certitude
8e matin, papa me ré)eillait* 0l a)ait préparé le petit dé!euner qui nous attendait
sur la ta'le du salon-salle / maner* 0l ou)rait les persiennes et !e le )o1ais de dos, dans l"em'rasure de la #en$tre* 0l contemplait le pa1sae : les toits et, tout l/-'as, la )errire de la are de l"2st* 2t il disait en nouant le nDud de sa cra)ate, sur un ton pensi# ou quelque#ois trs résolu: - A nous deu6, Madame la )ie*
=uand
il se rasait, nous respections un rituel tous les deu6 : il me poursui)ait a)ec son 'laireau / tra)ers tout l"appartement, en essa1ant de me 'ar'ouiller le )isae* Aprs quoi nous de)ions soineusement essu1er nos lunettes dont les )erres étaient maculés de sa)on / 'ar'e*
?n dimanche, nous prenions notre petit dé!euner quand nous a)ons entendu la
sonnerie du maasin* J"ai aidé papa / le)er le rideau de #er* ?n rand camion '3ché, qui portait des inscriptions en espanol, était aré de)ant le maasin et trois hommes commen7aient / le décharer en posant les caisses sur le trottoir* Papa leur a #ait transporter les caisses / l"intérieur et il a téléphoné / la pension de #amille o( ha'itait Monsieur Casterade* 8es trois hommes ont tendu un re7u / papa* 0l l"a siné et le camion est reparti dans un ron#lement de moteur*
Papa et Monsieur Casterade
ont ou)ert les caisses* 2lles contenaient des statuettes de danseuses classiques* +ans certaines caisses, les statuettes étaient 'risées et nous a)ons rané leurs morceau6 sur les étares du maasin* Puis mon pre a re#ermé les autres caisses et il a téléphoné* 0l parlait dans une lanue étranre* 0l a raccroché le com'iné du téléphone et Monsieur Casterade a dit : - Faites attention, eores : )ous )ous lance dans une a)enture périlleuse *** 8e re7u que )ous a)e siné ne peut pas $tre pris en considération par les douanes #ran7aises*** Bappele-)ous l"a##aire des mille aprs-ski autrichiens au6quels )ous a)e #ait #ranchir la douane* 0ls ont #ailli )ous entraKner trs loin, )os aprs-ski*** Sans moi, )ous aurie eu 'onne mine derrire les 'arreau6 *** Mais mon pre a)ait >té ses lunettes et ardait le silence* 8e soir, un autre camion est )enu prendre li)raison des caisses de danseuses* 0l ne restait plus que les statuettes 'risées* Chaque soir, nous nous amusions, papa et moi, / recoller leurs morceau6 et / les aliner au #ur et / mesure sur les étares* 2t nous contemplions toutes ces ranées de danseuses* - Ma petite Catherine, m"a dit papa, 7a te plairait d"$tre une danseuse toi aussi 9 Comme maman 9
Je me sou)iens de mon premier cours de danse* Papa en a)ait choisi un, dans le
quartier, rue de Mau'eue* Notre pro#esseur, Madame alma +isma4lo)a, s"est diriée )ers moi : - 0l #audra que tu danses sans lunettes* Au dé'ut, !"en)iais mes camarades qui ne portaient pas de lunettes* .out était simple pour elles* Mais / la ré#le6ion, !e me suis dit que !"a)ais un a)antae : )i)re dans deu6 mondes di##érents, selon que !e portais ou non mes lunettes* 2t le monde de la danse n"était pas la )ie réelle, mais un monde o( l"on sautait et o( l"on #aisait des entrechats au lieu de marcher simplement* 5ui, un monde de r$)e comme celui, #lou et tendre, que !e )o1ais sans mes lunettes* A la sortie de ce premier cours, !"ai dit / papa : - a ne me dérane pas du tout de danser sans mes lunettes* Papa sem'lait étonné du ton #erme que !"a)ais pris* - Si !e )o1ais normalement sans lunettes, !e danserais 'eaucoup moins 'ien* C"est un a)antae* - .u as raison, a dit papa* Ce sera comme moi quand !"étais !eune*** 8es autres te trou)eront dans le reard, quand tu ne porteras pas tes lunettes, une sorte de 'uée et de douceur*** Cela s"appelle le charme*** 6
Patrick Modiano: Catherine Certitude
8es cours a)aient lieu chaque !eudi soir et papa m"1 accompanait* 8a rande
'aie )itrée du studio de danse donnait sur la are du Nord* 8es mres des él)es étaient assises sur une lonue 'anquette de moleskine roue* Papa, le seul homme parmi toutes ces #emmes, se tenait au 'out de la 'anquette, / distance des autres, et reardait de temps en temps, par la 'aie )itrée derrire lui, la are du Nord, les lumires des quais, les trains qui s"en allaient pour de lointaines destinations - !usqu"en Bussie, m"a)ait-il dit - la Bussie qui était la patrie de notre pro#esseur, Madame +isma4lo)a* 2lle a)ait conser)é un trs #ort accent russe* 2lle me disait : - Catherrrine, Cerrr-tchi-tchoude*** Fondou*** .endou*** Pas de che)al*** Atti-tou-de*** 5u)rrre seconde*** Ferrrme cinquime*** Pied dans la main*** 2tende*** 5n chane de c>té***
?n !eudi soir, !"ai ou'lié mes lunettes au cours de danse et comme papa a)ait du
tra)ail, !e suis allée toute seule rue de Mau'eue pour les rechercher* J"ai #rappé / la porte mais personne ne répondait* J"ai sonné che la conciere, et elle m"a donné un dou'le de la clé du studio* =uand !e suis entrée, !"ai appu1é sur l"interrupteur* ?ne lumire de )eilleuse qui )enait de la lampe, sur le piano, laissait des ones de pénom're * Cela m"a #ait dr>le de )oir le rand studio désert, et le piano, tout au #ond, a)ec son ta'ouret )ide* Mes lunettes étaient posées sur la 'anquette* A tra)ers la 'aie )itrée, montait une lumire 'lanche, celle des quais de la are du Nord* Alors !"ai décidé de danser toute seule* 0l m"a su##i d"un peu d"imaination pour entendre dans le silence la musique du piano et la )oi6 de Madame +isma4lo)a : - 5u)rrre seconde *** Ferrrme cinquime *** Pied dans la main *** Fondou *** .endou *** Pas de che)al *** 2t puis !"ai arr$té de danser et le silence est re)enu* J"ai mis mes lunettes* A)ant de quitter le studio, !e suis restée un moment de)ant la rande 'aie )itrée / rearder les quais de la are du Nord*
J"ai retrou)é une photoraphie de cette époque, prise par Che)reau, le rou6 au6
lunettes d"or a)ec qui tra)aillait papa* C"était un !eudi aprs-midi, a)ant que nous partions pour le cours de danse* 5n m"1 )oit, de)ant le maasin, entre papa et Monsieur Casterade* Celui-ci était de 'onne humeur ce !our-l/, et il esquisse un pas de danse pour m"imiter* A droite de la photo, on distinue une #emme qui, peu / peu, a é)eillé che moi un )aue sou)enir* ?n soir, elle se trou)ait dans le 'ureau de papa, et !e l"a)ais entendue dire, en partant : - A trs 'ient>t, eores* J"a)ais demandé / papa qui elle était e6actement* Papa sem'lait em'arrassé* - 5h, rien*** C"est une h>tesse de l"air*** 2t )int ans aprs, quand !e lui ai montré cette photo et désiné la #emme / c>té de nous, il m"a répété, en le)ant les 1eu6 )ers le ciel : - 5h*** c"était une h>tesse de l"air***
Ma seule amie, / ce cours de danse, était une petite #ille qui )enait che Madame
+isma4lo)a chaque !eudi, toute seule, sans sa mre* 2lle a)ait enaé la con)ersation : - .u as de la chance de porter des lunettes* Moi, !"ai tou!ours )oulu porter des lunettes*** .u peu6 me les #aire essa1er 9 2lle a)ait mis les lunettes et s"était reardée dans la rande lace du cours, de)ant laquelle Madame +isma4lo)a nous #aisait corrier nos positions* A la #in du cours, elle nous demandait, / mon pre et / moi, de l"accompaner !usqu"/ la station de métro la plus proche, la station An)ers*
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Patrick Modiano: Catherine Certitude
?ne dame l"attendait / pro6imité de la 'ouche du métro, de)ant un kiosque /
!ournau6 du 'oule)ard Bochechouart* 2lle lisait des maaines* 2lle portait un imperméa'le, des chaussures / talons plats et elle a)ait un air sé)re* 2lle lui disait : - .ou!ours en retard, 5dile*** - 26cuse-moi, Mademoiselle Serent* 5dile m"a)ait e6pliqué que cette Mademoiselle Serent était sa ou)ernante* ?n soir, a)ant qu"elle ne prenne le métro a)ec Mademoiselle Serent, elle m"a tendu une en)eloppe* Celle-ci contenait un carton o( était ra)é en caractres 'leu ciel : $onsieur et $adame +alph%!. ncorena prient -eor)es et Catherine Certitude d'assister à un cocktail de printemps le vendredi avril à /euill", 0 boulevard de la (aussa"e à partir de cinq heures.
Nos noms, / papa et / moi, a)aient été écrits sur l"in)itation par 5dile elle-m$me et !e m"étonne que papa n"ait pas compris / l"époque qu"elle l"a)ait #ait / l"insu de ses parents* - 0l #aut leur répondre tout de suite pour accepter l"in)itation, a dit papa* ;endredi, c"est demain*** 0l a demandé conseil / Monsieur Casterade, qui lui a dit : - Je )ais )ous dicter une lettre*** Papa s"est assis / son 'ureau, de)ant sa machine / écrire et Monsieur Casterade, 'uste tendu, a commencé : « Chers amis, C'est avec )rand plaisir... que nous nous proposons... ma fille et moi... d'honorer votre... si courtoise invitation... /ous serons donc... demain... boulevard de la (aussa"e... et en attendant nous vous prions de croire en nos sentiments les plus respectueu1. -eor)es Certitude et fille. »
- 2t #ille 9 a dit papa, l"air surpris* - 2t #ille, a répété Monsieur Casterade d"un ton sans réplique* C"est une )ieille #ormule #ran7aise* - 0l #aut qu"ils re7oi)ent cette lettre ds ce soir, a dit papa* 0l a demandé par téléphone / Monsieur Che)reau de )enir au maasin* 0l s"aissait d"une a##aire urente* Che)reau est accouru* - Pourrie-)ous apporter cette lettre tout de suite / Neuill1, 'oule)ard de la Saussa1e 9 a dit papa* - .out de suite 9 a dit Che)reau* - 2t !"aimerais que demain, )ous )enie nous chercher ma #ille et moi pour nous emmener / la m$me adresse, dans )otre camionnette* - ;ous me prene / l"impro)iste, Certitude* - Lcoute, Che)reau, a dit papa* Je )ous cde les quatre premiers rans des sies de Constellation pour rien* Alors, )ous me rende ce ser)ice 9 - Si )ous )oule, a dit Monsieur Che)reau, impressionné* Papa était / la #ois trs an6ieu6 et trs impatient de se rendre au cocktail de printemps, che les parents d"5dile* - +es ens trs 'ien, ces Ancorena, me répétait-il d"un ton mondain que !e ne lui connaissais pas*
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Patrick Modiano: Catherine Certitude
Aprs le dé!euner, nous étions assis sur le 'anc du square Saint-;incent-de-Paul, et il #aisait des pro!ets d"a)enir* - .u sais, ma petite Catherine*** 0l #aut peu de choses pour que la )ie de)ienne plus aréa'le*** peu de choses*** C"est une question de milieu, d"entourae*** J"ai )raiment h3te de )oir ces Ancorena***
Papa a)ait re)$tu un costume marron / ra1ures, aprs 'ien des hésitations* 0l
a)ait d"a'ord essa1é son costume 'leu qu"il !uea trop strict pour ce cocktail de printemps* 0l portait / la main, son chapeau mou des dimanches* 2t des ants* Monsieur Che)reau nous attendait dans sa camionnette, de)ant le maasin* - A Neuill1, Che)reau* G 'oule)ard de la Saussa1e* 2t c"était comme s"il a)ait donné un ordre / son chau##eur* Monsieur Che)reau a conduit / petite )itesse !usqu"/ Neuill1, sa camionnette 'rinque'alante* A peine étions-nous enaés 'oule)ard de la Saussa1e, que papa a dit : - ;ous pou)e )ous arr$ter, Che)reau, et nous laisser ici* - Mais non*** Je )ous dépose au G*** - Je pré#re que )ous nous laissie ici* Nous #erons le reste du chemin / pied* Monsieur Che)reau ne cachait pas sa surprise* Nous sommes descendus de la camionnette* - Attende-nous ici* Pas de)ant le G* 0ci* ;ous a)e 'ien compris 9 Nous en a)ons pour une heure ou deu6* - Comme )ous )oule, Certitude, a dit Monsieur Che)reau*
Nous
a)ons marché !usqu"au numéro G* C"était un h>tel particulier que précédait un !ardin a)ec une pelouse taillée ras* A auche, dans une cour semée de ra)iers, des )oitures lu6ueuses stationnaient* 5dile nous attendait / l"entrée de la maison* - J"a)ais peur que )ous ne )enie pas*** 2lle m"a prise par le 'ras* - Je suis )raiment contente que tu sois )enue*** 2lle nous a uidés / tra)ers le rand hall et nous a précédés dans un ascenseur au6 parois de )elours roue* - .rs 'ien, cet ascenseur, a dit papa* 0l #audrait que !"installe le m$me entre mon 'ureau et mon appartement* 0l cr3nait mais !e )o1ais 'ien qu"il n"était pas rassuré* 0l recti#iait le nDud de sa cra)ate et tripotait son chapeau* Nous sommes arri)és sur la terrasse* +es ser)iteurs en )este 'lanche circulaient parmi les roupes a)ec des plateau6 de !us de #ruits et de cocktails* 8es #emmes portaient des ro'es trs #luides, les hommes a)aient tous une désin)olture sporti)e* Certains des in)ités étaient de'out, leur )erre / la main, d"autres assis sous des parasols* 0l 1 a)ait un soleil et une 'rise de printemps* 8"air était 'eaucoup plus léer qu"ailleurs* +ans cette #oule, nous étions les seuls en#ants, 5dile et moi* Papa, comme s"il était i)re, s"inclinait et serrait la main de tout le monde, en répétant ces mots: - eores Certitude* 2nchanté* eores Certitude* 2nchanté* Nous a)ons #ini par nous trou)er, au 'ord de la terrasse, parmi un roupe de #emmes et d"hommes trs éléants* - Lcoute-moi 'ien, Catherine, m"a chuchoté papa, en tripotant son chapeau* Ce monsieur 'lond et mince qui s"appuie / la 'alustrade, c"est un rand couturier*** 2t, / c>té de lui, le monsieur en culotte de che)al, un !oueur de polo de l"Kle de Saint-+ominue*** 0l doit re)enir d"un match / Haatelle*** 2t cette dame, qui a l"air si distinué , était la #emme de Sacha uitr1*** Bearde*** Ce monsieur qui lui parle possde une rande marque d"apériti#s*** 5n )oit son nom inscrit partout dans le métro : +?H5*** +?H5N*** +?H5NN2. *** Papa était de plus en plus aité et parlait de plus en plus )ite* 9
Patrick Modiano: Catherine Certitude
- 2t ce monsieur 'run, c"est le prince Ali han*** +u moins, il lui ressem'le*** C"est 'ien le prince Ali han, 5dile 9 - 2uh*** 5ui, monsieur, a dit 5dile, comme si elle ne )oulait pas le contrarier* Papa essa1ait de participer / leur con)ersation* Son costume marron tranchait sur les tenues claires et esti)ales de tous ces ens* - J"ai #ailli me tuer hier soir dans la .al'ot, a dit le couturier, en désinant une )oiture de rand lu6e, en 'as* 2t pourtant, !e arderai tou!ours un #ai'le pour les .al'ot* - 2t moi pour les +elaha1e, a dit le !oueur de polo* 2lles me plaisent parce qu"on n"est !amais sr de leurs #reins* Papa m"a serré trs #ort la main* Je de)inais qu"il )oulait se donner du courae* - Moi, a-t-il dit sur un ton qu"il s"e##or7ait de rendre 'adin, !e reste #idle / la .raction-A)ant * 2t il désinait une CitroOn arée en 'as, au coin d"une rue* Personne ne sem'lait a)oir entendu la remarque de papa* Sau# l"un des ser)iteurs / )este 'lanche qui circulaient a)ec des plateau6* - Mais on est en train de )ous la )oler, )otre )oiture, a-t-il dit / papa* 2n e##et, la .raction-A)ant démarrait et disparaissait au coin de la rue* - Pense-)ous, a dit papa* C"est le chau##eur qui )a chercher des ciarettes* Puis se tournant )ers le roupe de personnes éléantes, il est re)enu / la chare* - 8"a)antae des .raction-A)ant, c"est qu"elles ont un 'on moulin, a-t-il dit* Mais cette phrase comme la précédente est tom'ée dans l"indi##érence énérale* Papa a 'u plusieurs cocktails pour se détendre* 5dile se tenait tou!ours / c>té de nous* - J"aimerais 'ien que tu me présentes tes parents car !e n"ai pas encore #ait leur connaissance, a dit papa* 2lle a roui* - ;ous sa)e, a-t-elle dit, ils sont trs occupés* 5dile, l"air em'arrassé, nous a uidés / tra)ers les roupes des con)i)es, !usqu"/ l"autre 'out de la terrasse* ?ne #emme 'londe, qui portait des lunettes de soleil et une ro'e 'leu p3le, et un homme au6 che)eu6 noirs et so1eu6 étaient entourés par quelques personnes d"apparence aussi racieuse que celles dont papa m"a)ait ré)élé les noms tout / l"heure* 5dile, d"une petite )oi6, a dit / la #emme 'londe : - Maman, !e )oudrais )ous présenter Monsieur Certitude* - Pardon 9 a dit sa mre, distraitement* - 2nchanté de #aire )otre connaissance, a dit papa en inclinant la t$te* Mais elle le )o1ait / peine derrire ses lunettes de soleil* - Papa*** C"est Monsieur Certitude, a dit 5dile en essa1ant d"attirer l"attention de l"homme au6 che)eu6 'runs*** 2t Catherine Certitude*** ;ous sa)e*** mon amie du cours de danse*** - 2nchanté, Monsieur, a dit mon pre* - Hon!our, a dit le pre d"5dile en lui tendant une main nonchalante* 8ui et sa #emme reprenaient leur con)ersation a)ec leurs amis* Mon pre demeurait immo'ile et un peu désemparé, mais il n"a)ait pas perdu tout / #ait son élan* - Nous sommes )enus*** en*** traction a)ant, a-t-il déclaré* C"était l"une de ces phrases que l"on lance sans 'ien 1 ré#léchir, comme un appel de phares* Monsieur Ancorena a haussé lérement les sourcils* Madame Ancorena n"a rien entendu derrire ses lunettes de soleil*
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Patrick Modiano: Catherine Certitude
5dile a )oulu me montrer sa cham're et quand nous sommes re)enues sur la
terrasse, mon pre a)ait enaé la con)ersation a)ec un homme corpulent qui portait une moustache* 0ls parlaient tous les deu6 dans une lanue m1stérieuse que !e ne comprenais pas* Puis l"homme s"est éloiné en tournant de l"inde6 un cadran imainaire et en collant la paume de sa main / son oreille - este qui sini#ie qu"@ on se téléphonera * - =ui est ce monsieur 9 ai-!e demande / papa* - =uelqu"un de trs important qui )a pou)oir m"aider* Nous nous sommes retrou)és dehors, papa et moi* 0l a reardé la camionnette, l/-'as, au dé'ut du 'oule)ard* Monsieur Che)reau, par la )itre 'aissée de la portire, nous #aisait de rands sines du 'ras* Papa s"est retourné et a !eté un Dil #urti# )ers la terrasse de l"h>tel particulier d"o( nous par)enaient des éclats de )oi6 et de rire* - 0l a #allu !ouer serré, a dit papa* Nous marchions )ers la camionnette* 5dile, en courant, nous a rattrapés : - Pourquoi $tes-)ous partis sans me dire au re)oir 9 2lle a eu un sourire timide, comme si elle s"e6cusait* - ;ous ne )ous $tes pas trop ennu1és / ce cocktail 9 - Au contraire, a dit papa* J"1 ai #ait des rencontres trs importantes pour moi et !e te remercie de m"a)oir in)ité* Ma petite 5dile - son ton est de)enu plus ra)e -, !e crois que tu m"as mis le pied / l"étrier* Mes a##aires )ont prendre une autre dimension r3ce / ce cocktail*** 5dile a #roncé les sourcils, mais elle a paru encore plus étonnée quand nous nous sommes arr$tés de)ant la camionnette* - 2t )otre )oiture 9 - 5n )ient de nous la )oler, a dit papa trs sr de lui* 0l s"est penché )ers Monsieur Che)reau qui attendait au )olant: - Merci d"$tre )enu, mon 'ra)e* ;ous aure l"o'lieance de nous conduire au commissariat le plus proche pour que !e #asse une déclaration de )ol* 5dile a)ait écouté papa a)ec une e6tr$me attention et nos reards se sont croisés* 2lle a roui trs #ort*
8es semaines sui)antes, !e n"ai plus re)u mon amie au cours de danse* J"étais
trs triste et !"ai demandé / Madame +isma4lo)a si elle sa)ait les raisons de la disparition d"5dile* - .out ce que !e sais, m"a-t-elle répondu, c"est qu"ils me doi)ent un mois de le7ons*** Papa et moi, nous a)ons cherché son numéro de téléphone* +ans l"annuaire, nous n"a)ons pas trou)é un seul Ancorena et le G 'oule)ard de la Saussa1e n"était pas mentionné* 5n passait directement du G& au * Alors !"ai décidé de lui écrire* - +e toute #a7on, a dit papa, !e compte sur .a'élion pour m"indiquer leur numéro de téléphone* Ne sois pas triste, chérie*** Nous #inirons 'ien par !oindre .a'élion*** 2t tu retrou)eras 5dile* .a'élion*** 2ncore un nom qui résonne dans ma mémoire, et son écho pro)oque che moi une émotion* Ce .a'élion a)ait d 'eaucoup #rapper l"imaination de papa : trente ans plus tard, il arde encore sa carte de )isite dans son porte#euille* 0l me l"a montrée l"autre soir* 8e 'ristol était un peu !auni : Bené .a'élion S*2*F*0*C* G rue 8ord-H1ron QR e 28Y*R*%T* C"était le seul in)ité qui lui a)ait adressé la parole au cours du cocktail de printemps* - .u te sou)iens encore de .a'élion, Catherine 9 11
Patrick Modiano: Catherine Certitude
5ui, !e me sou)enais de cet homme rond a)ec une moustache, une chemise au col rand ou)ert et une ceinture de crocodile, a)ec qui mon pre parlait dans une lanue m1stérieuse* =uand nous étions re)enus de Neuill1 dans la camionnette de Che)reau, papa m"a)ait dit : - Je serai tou!ours reconnaissant / ton amie 5dile de nous a)oir in)ités* J"ai parlé lonuement a)ec un homme qui s"appelle .a'élion*** Betiens 'ien ce nom, Catherine*** .a'élion*** r3ce / lui, mes a##aires )ont reprendre de l"essor*** 2t, / partir de ce moment, !e l"ai )u sou)ent appeler Ll1sées R-%T* Mais personne ne répondait et papa, dé7u, raccrochait le com'iné du téléphone* 5u 'ien, !e l"entendais dire : - Pourrais-!e parler / Monsieur Bené .a'élion 9 +e la part de eores Certitude*** Ah*** 0l n"est pas l/ 9 +ites-lui qu"il me rappelle*** .a'élion n"a !amais rappelé* 2t pourtant, papa cro1ait en lui, d"une #oi iné'ranla'le* 0l répétait sou)ent / Monsieur Che)reau : - ;ous comprene, des ens comme .a'élion ne se contentent pas de sies de Constellation*** 0l leur #aut des escadrilles entires*** ;oil/ toute la di##érence*** Monsieur Casterade, d"un ton ironique, lui demandait : - Alors, )otre .a'élion 9 Pas de nou)elles 9 Papa haussait les épaules* - ;ous serie 'ien incapa'le de comprendre un homme de l"en)erure de .a'élion*
?n soir d"hi)er que nous re)enions du cours de danse / pied, en sui)ant la rue
de Mau'eue, papa m"a dit : - Catherine, mon pre a)ait raison* 0l est arri)é un !our, are du Nord, et il a décide de rester dans ce quartier* C"est lui qui a ou)ert notre maasin de la rue d"Eaute)ille* 0l pensait qu"il #allait ha'iter dans ce quartier parce que c"était un quartier de ares* 2t que si l"on )oulait partir, c"était plus pratique*** 2t si nous partions, Catherine 9 .u n"as pas en)ie de )o1aer, toi 9 +e )oir de nou)eau6 horions 9
8a dernire #ois que nous sommes allés au cours de danse, papa m"a dit : - Catherine, c"est dr>le*** J"ai connu dans le temps ton pro#esseur, Madame +isma4lo)a*** 2lle ne me reconnaKt pas car !e ne suis plus le !eune homme que !"étais alors*** 2lle aussi a 'ien chané* Je n"ai pas tou!ours tra)aillé dans le commerce*** 2n ce temps-l/, Catherine, !"étais un !eune homme asse 'ien de sa personne, et pour aner un peu d"arent de poche, !"a)ais )oulu #aire de la #iuration au Casino de Paris*** ?n soir, on m"a demande de remplacer l"un des porteurs*** 8es porteurs, ma petite Catherine, sont ceu6 qui doi)ent porter les danseuses de la re)ue*** 2t la danseuse que !e de)ais porter, c"était ta maman*** Nous ne nous connaissions pas encore*** Je l"ai prise dans mes 'ras de la #a7on que l"on m"a indiquée*** Je suis entré en scne a)ec elle en titu'ant , sans mes lunettes*** 2t patatrasU *** Je me suis cassé la #iure*** Nous sommes tom'és tous les deu6 par terre*** .a maman a)ait une crise de #ou rire*** 0l a #allu 'aisser le rideau*** 2lle m"a trou)e trs s1mpathique*** C"est au Casino de Paris que !"ai connu aussi ton pro#esseur, Madame +isma4lo)a*** 2lle #aisait partie de la re)ue***
2t papa, comme s"il a)ait peur que quelqu"un nous sui)e, rue de Mau'eue, et
entende notre con)ersation, a ralenti le pas et s"est penché )ers moi* - 2h 'ien, ma petite Catherine, a-t-il dit d"une )oi6 trs 'asse, presque un chuchotement, elle ne s"appelait pas alina +isma4lo)a / cette époque-l/, mais tout simplement 5dette Marchal*** 2t elle n"était pas russe mais oriinaire de Saint-Mandé o( ses parents, de trs 'ra)es ens, tenaient un petit ca#é-restaurant*** 2lle nous 1 in)itait sou)ent ta maman et moi, quand nous #aisions rel3che au Casino de Paris*** C"était une 'onne camarade*** 2lle n"a)ait pas du tout l"accent russe, mais pas du tout*** Papa s"est assis a)ec les mres des él)es sur la 'anquette de moleskine roue et le cours a commencé* 12
Patrick Modiano: Catherine Certitude
J"écoutais Madame +isma4lo)a, qui s"appelait 5dette Marchal, dire a)ec l"accent russe : Fondou*** .endou*** Pas de che)al*** Attitou-de*** 5u)rrre seconde*** Ferrrme cinquime *** 2t !"aurais 'ien )oulu connaKtre sa )raie )oi6* 8e cours de danse s"est ache)é )ers sept heures du soir* Madame +isma4lo)a nous a dit : - Au rrre)oir*** et / !eudi prrrochain, les en#ants*** +ans l"escalier, !"ai chuchoté : - .u aurais d lui parler et l"appeler par son )rai nom*** Papa a éclaté de rire* - .u crois que !"aurais d lui dire : 'on!our 5dette*** Comment )ont les amis de Saint-Mandé9 0l est resté un moment silencieu6* 2t puis il a a!outé : - Mais non*** Je ne pou)ais pas lui #aire 7a*** 0l #aut la laisser r$)er, elle et ses clients***
?n matin, !e suis allée chercher le courrier, comme d"ha'itude, pour le donner /
papa, car !"étais tou!ours impatiente de sa)oir si nous aurions nos deu6 lettres d"Amérique* Celle de papa était trs épaisse, et dans la mienne maman a)ait écrit : « $a chère Catherine, je crois que nous bient2t allons 3tre runis tous les trois. &e t'embrasse très affectueusement. Ta maman »
Papa lisait la lettre de maman, / son 'ureau, a)ec une rande attention* Sur le chemin de l"école, il m"a dit : - 8es nou)elles d"Amérique sont e6cellentes*
Ce m$me !our, Monsieur Casterade a)ait )oulu nous lire un pome et nous
l"écoutions dans le 'ureau* Sa )oi6 monotone et son este de la main pour 'attre la mesure me #aisaient l"e##et d"une 'erceuse* J"a)ais peine / arder les 1eu6 ou)erts* % ... « *à%bas, à Castelnaudar", les soirs d'automne... »
J"a)ais >té mes lunettes et !"étais sur le point de m"endormir* Papa tout / coup l"a interrompu : - 26cuse-moi, Ba1mond, mais il est sept heures et demie et !"emmne ma #ille dKner au restaurant Charlot, roi des Coquillaes* 8e 'uste de Monsieur Casterade s"est raidi, il nous a en)eloppés d"un reard méprisant, et il a re#ermé d"un este lent son recueil de pomes* - +r>le de monde, a-t-il dit, dr>le de monde o( Charlot, roi des Coquillaes, est plus important qu"un pote #ran7ais* 2t o( l"on pré#re une douaine d"huKtres / un 'el ale6andrin* 2h 'ien, !e )ous souhaite 'on appétit* Papa s"est raclé la ore* Puis il a déclaré d"une )oi6 solennelle : - Ba1mond, !"ai quelque chose de trs important / )ous dire* Nous allons partir en Amérique, ma #ille et moi* J"étais si stupé#aite de ce que )enait d"annoncer mon pre que !"ai mis aussit>t mes lunettes pour )oir si !e ne r$)ais pas* Monsieur Casterade se tenait #ié de)ant la porte du 'ureau* - 2n Amérique 9 ;ous alle partir en Amérique 9 - 5ui, Ba1mond* Monsieur Casterade s"est a##alé sur le #auteuil pi)otant de son 'ureau* - 2t moi 9 a-t-il demandé d"une )oi6 'lanche* 2st-ce que )ous a)e pense / moi 9 - J"ai pense / )ous, Ba1mond* C"est trs simple* Je )ous laisse le maasin* Nous en reparlerons demain / t$te reposée* 13
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Papa m"a pris le 'ras et nous sommes sortis du maasin, laissant Monsieur Casterade, assis / son 'ureau, qui répétait, machinalement, comme s"il n"1 cro1ait pas encore tout / #ait : - 2n Amérique*** 2n Amérique*** Mais pour qui se prennent-ils 9
Si !e t"ai in)itée ce soir au restaurant, m"a dit papa, c"est pour te parler de ce
)o1ae*** 2h 'ien, oui, ma petite Catherine, nous partons en Amérique*** 2n Amérique o( nous allons re!oindre ta maman*** Papa a appelé le ar7on du restaurant Charlot, roi des Coquillaes, et il a commandé, pour mon dessert, une p$che Mel'a* Puis il a allumé une ciarette : - ;ois-tu, Catherine, quand ta maman est retournée en Amérique, il 1 a trois ans, !"étais trs triste, mais elle )oulait )i)re l/-'as, dans son pa1s*** Je lui ai promis que nous la re!oindrions le plus t>t possi'le, une #ois que !"aurais rélé toutes mes a##aires commerciales, ici en France*** 8e moment est )enu*** Nous allons nous retrou)er tous les trois en Amérique*** +"ailleurs ta maman l"a)ait pré)u, ds que nous nous sommes rencontrés, 'ien a)ant ta naissance, quand elle était danseuse dans les 'allets de Miss Maekers*** 2lle me disait : Al'ert - !e m"appelais Al'ert en ce temps-l/ -, nous nous marierons, nous aurons une petite #ille et nous )i)rons en Amérique*** .a maman a)ait raison*** Mais que cela ne t"emp$che pas de maner ta p$che Mel'a*** 2lle )a #ondre *** .u )eu6 que !e te donne ta premire le7on d"anlais 9 2t papa, en articulant 'ien les s1lla'es, m"a dit : - 2n anlais, p$che Mel'a, c"est p$che Mel'a, mais a)ec l"accent*** 2t lace, c"est @ice-cream*** 0l #aisait encore !our / la sortie du restaurant* C"était l"été* 0l 1 a)ait, / cette époque, des auto'us / plate-#orme et des ta6is V noir et roue qui attendaient / la station, au milieu de la place de Clich1* 2t le aumont-Palace* 2t des marronniers* - Si nous rentrions / pied 9 a dit papa* 8"air est si dou6 que nous pourrions passer par la 'utte Montmartre*** Nous sui)ions la rue Caulaincourt et papa a)ait posé sa main sur mon épaule* - Je prends les 'illets de 'ateau pour le mois prochain, Catherine*** A New York, maman )iendra nous attendre sur le quai*** Je pensais / maman* J"étais heureuse de la re)oir aprs toutes ces années de séparation* - 8/-'as, / New York, tu iras dans une école o( tu apprendras l"anlais* 2t c"est maman elle-m$me qui te donnera tes cours de danse* .u sais, elle danse 'eaucoup mieu6 que Madame +isma4lo)a*** =uand !"ai connu maman, elle était dé!/ l"étoile des 'allets de Miss Maekers*** 2t moi, comme tu le sais, !"ai #ailli $tre porteur*** Nous a)ions descendu les escaliers de la 'utte Montmartre et papa m"a soule)ée dans ses 'ras et m"a portée le lon de l"a)enue .rudaine, comme il le #aisait !adis au Casino de Paris* - N"aie pas peur, Catherine, m"a-t-il dit* Je ne te laisserai pas tom'er*** J"ai #ait des prors depuis la dernire #ois***
Au
cours de la semaine sui)ante, papa, Monsieur Casterade et Monsieur Che)reau se réunirent sou)ent dans le maasin* Je les ai )us siner une rande quantité de papiers* Monsieur Casterade parlait d"une )oi6 de plus en plus autoritaire* - Sine ici, Che)reau*** 2t )ous, eores, c"est ici*** N"ou'lie pas d"écrire : @ Hon pour accord *** ?n soir qu"ils quittaient le maasin et que papa était resté au 'ureau, !"ai entendu Monsieur Casterade dire / Monsieur Che)reau : - 2t désormais, !e )eu6 que tout se passe au rand !our*** Plus d"em'rouilles *** Plus de com'inaisons / la petite semaine*** 8a stricte léalité*** ;ous a)e compris, Che)reau 9 A partir du moment o( nos éta'lissements ont pinon sur rue, il #aut )i)re dans la léalité*** - Cela )a sans dire * 14
Patrick Modiano: Catherine Certitude
2t Monsieur Che)reau hochait la t$te, l"air de reretter quelque chose* Papa était )enu me chercher / la sortie de l"école, comme d"ha'itude, et nous a)ions sui)i la rue d"Eaute)ille !usque che nous* A ma rande surprise, un ou)rier, sur une échelle, ache)ait de repeindre l"enseine du maasin* 0l n"était plus écrit en 'leu marine : @ CAS.2BA+2 I C2B.0.?+2 - 26p*-.rans* , mais @ CAS.2BA+2 I CE2;B2A?, successeur* 8es caractres roues de CAS.2BA+2 'rillaient au soleil et cachaient ceu6, minuscules, de Che)reau* Monsieur Casterade se tenait trs droit, de)ant la porte du maasin, les 'ras croisés et l"air satis#ait du propriétaire* - 0l aurait pu attendre un peu, a dit papa* C"est comme si nous étions dé!/ partis***
Monsieur Casterade a )oulu nous réunir pour un dKner d"adieu au restaurant
@ Picardie , rue de Cha'rol* Che)reau était présent* Au dé'ut du repas, Monsieur Casterade s"est le)é en tenant une #euille / la main* C"était un pome qu"il a)ait écrit, en l"honneur de notre départ* « la proue du bateau vo)uant vers l'mrique, (urtout n'oublie pas les amis de 4aris, Car si /e5 6ork est belle et !road5a" ferique, 7l ne faut pas renier notre parc $ontsouris. »
Nous a)ons applaudi, papa, Monsieur Che)reau et moi* J"étais trs émue* Pour la premire #ois de ma )ie, !"a)ais écouté un pome de Monsieur Casterade !usqu"au 'out* J"a)ais ardé mes lunettes* Aprs le dKner, nous a)ons marché, papa et moi, en direction de l"élise Saint-;incent-de-Paul* Nous nous sommes assis sur un 'anc du square* - .u )erras, Catherine*** Nous serons heureu6 en Amérique*** 0l a allumé une ciarette, il a ren)ersé la t$te et il a #ait un rond de #umée* - Hient>t nous serons dans le Nou)eau Monde*** .he New World*** Mais, comme le dit Casterade, il ne #aut pas ou'lier la France*** Sur le moment, !e n"ai pas pr$té rande attention / cette remarque* C"est au!ourd"hui, aprs toutes ces années, qu"il me sem'le l"entendre, distinctement, comme si !"étais encore l"en#ant de cet aprs-midi-l/, square Saint-;incent-de-Paul* Je pense sou)ent / mon école, rue des Petits-E>tels, au square o( !e !ouais a)ec mes camarades dans la poussire des aprs-midi d"été, / notre maasin et / la 'alance sur laquelle nous nous pesions, papa et moi* Je pense / Monsieur Casterade qui nous lisait ses Du)res* 2t aussi / Madame +isma4lo)a dont !e n"aurai !amais entendu la )raie )oi6* Nous restons tou!ours les m$mes, et ceu6 que nous a)ons été, dans le passé, continuent / )i)re !usqu"/ la #in des temps* Ainsi il 1 aura tou!ours une petite #ille nommée Catherine Certitude qui se promnera a)ec son pre dans les rues du < e arrondissement, / Paris*
Eier dimanche, a)ec ma #ille !"ai rendu )isite / mes parents, du c>té de
reenwich ;illae* 0ls se sont réunis une #ois pour toutes, 'ien que maman ait sou)ent menacé de s"en aller, car elle était lasse des @ com'ines de papa comme elle le disait a)ec son accent américain* Mr Smith, le nou)el associé de papa, qui est aussi tatillon que l"était Monsieur Casterade, partae entirement l"a)is de maman* 8e ta6i nous a déposées au pied du rand immeu'le de 'rique o( ils ha'itent* 8/-haut, / l"une des #en$tres de leur appartement, !"ai distinué la silhouette de papa* 0l m"a sem'le qu"il nouait sa cra)ate* Peut-$tre disait-il : - A nous deu6, Madame la )ie*
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