M E S S AG AG E S Q U I S S E D E P I E R R E B O U L E Z
COLLECTION � L’ACADÉMIE EN POCHE � Xavier Luffi Luf fin, n, Religion et littérature littératu re arabe contemporaine contemporaine (���� (����)) François De Smet, Vers Vers une laïcité dynamique. dyna mique. Réflexion Réf lexion sur la nature de la l a pensée religieuse (���� ����)) Richard Miller, Liberté et libéralisme ? Introduction philosophique à l’humanisme l’ humanisme libéral libéra l (���� (����)) Véronique Dehant, Habiter sur Mars ? (����) Jean Mawhin, Les L es histoires belges d’Henri d’Henr i Poincaré (���� (����)) Baudouin Baudo uin Decharneu Decharneux, x, La religion reli gion existe-t exis te-t-elle -elle ? (���� ����)) Jacques Siroul, La musique du son, ce précieux présent. De Pythagore aux technologies numériques (����) numériques (����)
COLLECTION COLLECTIO N � MÉMOIRE S � Musique et sciences de l’esprit. Actes de colloque (����) L’idéologie du progrès dans la tourmente du postmodernisme. post modernisme. Actes de colloque (����)
www.academie-editions.be
JEAN�MARIE RENS
MESSAGESQUISSE DE PIERR PIER R E BOUL BOULEZ EZ Lorsque matériau, temps et formes s’harmonisent
������� �� ������ �����������
Vous pouvez écouter les extraits ext raits sonores s onores mentionnés mentionnés dans da ns l’ l ’ouvrage en vous rendant sur la page suivante suiv ante : http:/ htt p://bit.ly/���Z��R /bit.ly/���Z��R
Publié en collaboration avec
Académie royale de Belgique
Crédits
rue Ducale, � ���� Bruxelles, Belgique www.academie-editions.be www.academieroyale.be
Photo de couvert couverture ure : Paul Klee, Rhythmisches Rhythmisches,, ����. Paris, Musée national d’Art moderne – Centre C entre Pompidou. Pompidou. Inv. AM ����-��� (détail). ©Centre Pompidou, Pompidou, MNAM-CCI, MNA M-CCI, Dist. RMN–Grand Palais/ Bertrand Bertra nd Prévost. Prévost. Conception et réalisation : Grégory Van Aelbrouck, Académie royale de Belgique Impression : IPM Printing SA, Ganshoren
Collection L’Académie en poche
Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant Volume � ISBN ���-�-����-����-�
Dépôt légal : ����/����/�� ����/����/�� © ����, Académie royale de Belgique Belg ique
Préface À l’école d’un chef-d’œuvre
« Je plains les poètes que guide le seul instinct ; je les crois incomplets … Il est impossible qu’un poète ne contienne pas un critique » �. Pierre Boulez est membre associé de la Classe des Arts de l’Académie royale de Belgique depuis le � mai ����. Compositeur phare de son temps – le nôtre –, interprète hors pair, il a contribué de manière décisive au renouvellement des outils permettant de « penser » la musique et, peut-être, à travers t ravers elle, le monde. Dès avant les années ����, il a eu de nombreux contacts en Belgique. Ses rencontres et échanges avec Pierre Froidebise, Henri Pousseur, Célestin Deliège, Marthe Pendville puis André Souris, Marcelle Mercenier et, quelques années plus tard, Hervé Thys, Robert Wangermée et Georges Caraël ont posé les jalons d ’un reno renouvellemen uvellementt de la création et de la pratique musicales dans notre pays. Dès avant leur publication, ses premières œuvres ont été jouées à Bruxelles tandis qu’il mettait celles d’Henri Pousseur au programme des concerts du �
Charles Baudelaire, cité par Pierre Boulez in P. B�����, Penser la musique aujourd’ aujourd’hui hui,, Paris, Par is, Gal G allima limard, rd, ���� ���� (rééd. ����). ����).
8
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Domaine Musical, à Paris, où il engageait Marcelle Mercenier,, pianiste, Mercenier piani ste, et André Souris S ouris,, chef d’ d ’orch orchestre. estre. C’est une mezzo soprano belge, Jeanne Deroubaix, qui, en ����, a, sous la direction de Boulez, enregistré une de ses œuvres emblématiques, Le Marteau sans Maître, Maître, qu’une autre mezzo belge, Lucienne Van Deyck, allait bientôt reprendre à Bruxelles, à Liège, Londres, Cologne et Belgrade, avec l’ensemble Musiques Nouvelles, lequel poursuivrait sans tarder son aventure boulezienne en donnant, à Bruxelles, la première belge d’Éclat d’Éclat . Les années ��, c’était aussi la naissance à Bruxelles d’une biennale internationale, Reconnaissance des musiques modernes, modernes, dont, à chaque session, Pierre Boulez dirigeait les mémorables concerts inaugural et de clôture. La radio était généreusement partie prenante de tous ces événements qui bouleversaient la vie musicale belge. Un vent de modernité soufflait, alors, sur nos contrées. Bruxelles accueillait non seulement Boulez mais Messiaen, Stockhausen, Berio, de Pablo (qui, eux aussi, seraient bientôt associés à la Classe des Arts de notre Académie royale), Cage, Kagel, Amy, Eloy. Le public découvrait leurs œuvres les plus récentes et celles de Ligeti puis, bientôt, celles de Schnittke, Denisov, Boesmans et bien d’autres. Michaël Gielen était à la tête de l’Orchestre national. Avant de les publier, Célestin Deliège avait réalisé des séries d’entretiens radio avec Pierre Boulez pour
PRÉFACE
9
ce qui s’appelait alors le Troisième programme. Il suivait attentivement l’évolution d’une œuvre dont il mesurait l’importance fondatrice et à laquelle il allait bientôt bien tôt consacrer de grands textes qui font aujo aujourd urd’’ hui référence. Compagnon des premières heures, Henri Pousseur, membre, lui aussi, de notre Classe des Arts, entretenait, pour sa part, une correspondance suivie avec Pierre Boulez qui avait dirigé plusieurs de ses œuvres en Belgique, en France et aux États-Unis. Mais la roue tourne et, au fil des ans et d’une carrière extrêmement absorbante, Pierre Boulez s’est fait de plus en plus rare en Belgique où un projet avait mûri de longue date, celui d’organiser une cérémonie officielle pour sa réception à l’Académie royale de Belgique. Ce projet devait, enfin, enf in, se concrétiser en lien avec le Colloque international Messiaen international Messiaen,, la force d’un message de mai ���� auquel Boulez avait accepté de prendre la parole. La séance officielle de réception offrait l’excellente occasion de programmer un peu de musique. De la musique de Boulez ! Une jeune virtuose belge, Marie Hallynck, violoncelliste, y jouerait Messagesquisse pour violo v ioloncelle ncelle solo et six viol v ioloncelles oncelles avec un groupe de collègues du Conservatoire royal de Bruxelles. Messagesquisse,, une œuvre passionnante et très Messagesquisse significative composée en ���� sur le nom du chef d’orchestre et grand mécène suisse Paul Sacher. Une œuvre aux codes et résonances multiples sur laquelle
10
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
un compositeur belge, Jean-Marie Rens, a beaucoup travaillé, ce qui avait incité le Collège Belgique à lui demander d’y consacrer une grande conférence introductive. Retenu aux États-Unis États-Unis pour raisons ra isons de santé, Pierre Boulez a malheureusement ma lheureusement dû renoncer renoncer à sa participapar ticipation au colloque Messiaen colloque Messiaen et et la séance de réception a été annulée. Mais la conférence-analyse de Jean-Marie Rens a été maintenue. Illustrée par de nombreux exemples joués en direct, direct , elle a suscité un u n tel intérêt que le projet projet de la publier s’est rapidement imposé. Le défi était de taille : ouvrir un auditoire essentiellement composé de mélomanes non instruits de théorie et de techniques d’écriture aux arcanes d’un texte musical complexe aux caractères esthétiques très particuliers. Jean-Marie Rens avait déjà donné d’excellentes preuves de ses capacités d’analyste et de communicateur. Voilà bien des années que, parallèlement à ses travaux de composition, il travaille sur les techniques d’analyse qu’il enseigne au Conservatoire de Liège et auxquelles il i l a consacré un remarquable remarquable ouvrage pédapéd agogique. Il a également donné beaucoup de son temps et de son énergie à la création et au développement de la Société belge d’analyse musicale. Formé au Conservatoire royal de Bruxelles, notamment à l’école des œuvres telle que l’enseignait son maître Jean-Claude Baertsoen, il a, ensuite, participé par ticipé à plusieurs plusieurs stages des Académies « Acanthes Acant hes »
PRÉFACE
11
où, après avoir assisté aux cours donnés par Olivier Messiaen et Toru Takemitsu, il a suivi ceux de Pierre Boulez. Ses travaux procèdent à la fois d’une connaissance approfondie des systèmes musicaux et d’une réflexion personnelle sur la modernité. Nous sommes heureux de présenter ici le texte de son analyse de Messagesquisse Messagesquisse assorti de nombreux exemples graphiques et sonores, ces derniers accessibles via un lien internet. Il faut souligner l’indépendance et la rigueur de l’attitude analytique de Jean-Marie Rens qui, parce qu’il est compositeur et familier tant des incursions dans l’imaginaire que de la démarche, du geste poïétique, sait que l’analyse a des limites et que, comme Pierre Boulez l’a écrit dans Penser la musique au jourd’ jour d’hui hui : : « il reste primordial (…) de sauvegarder le potentiel d’inconnu enclos dans un chef-d’œuvre. » Novembre ����. Pierre Bartholomée, Président de l’Académie et Directeur de la Classe des Arts
Introduction
Lorsque le Collège Belgique m’invita à donner un cours ou plus précisément précisément un concert concert-ana -analyse lyse consacré à Messagesquisse Messagesquisse de de Pierre Boulez, j’accueillis ce projet avec intérêt et enthousiasme. Parler d’une œuvre que j’ai j’ aime me par particu ticulièremen lièrement,t, dans le cadre du colloque consacré à Olivier Oliv ier Messiaen, ne pouvait que me réjouir. Si l’enthousiasme fut mon premier sentiment, au moment de me mettre au travail il a très vite laissé place à l’angoisse. En effet, comment parler d’une musique complexe à des mélomanes sans passer par l’arsenal des outils analytiques généralement utilisés avec des musiciens – outils outi ls qui supposen supposentt bien entendu entendu une connaissance de la théorie musicale, mais aussi de la lecture lectu re de la musiq musique ue ? Le challenge chal lenge était lancé : arriver à faire fai re entrer un auditeur non-musicien non-musicien dans une u ne pièce de la seconde moitié du X Xe siècle. Le sentiment d’angoisse, bien passager il est vrai, s’est transformé alors en une excitation extrêmemen ex trêmementt positive. Le texte proposé ici s’articulera en quatre moments bien bi en distincts. disti ncts.
14
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Le premier sera consacré à un petit portrait de Pierre Boulez. Nous dirons également quelques mots sur les raisons ra isons du titre de la conférence donnée le � mai ���� au Collège Belgique et qui a été conservé dans le cadre de cette contribution. Le deuxième moment présentera le projet compositionnel et donc la genèse de Messagesquisse Messagesquisse,, mais également les stratégies générales mises en œuvre : instruments, forme, … Une troisième partie, la plus conséquente, s’attaquera à l’analyse détaillée des différentes parties de l’œuvre. Enfin, après ce parcours analytique, et en guise de conclusion, nous reviendrons à la globalité de la pièce, montrant combien le souci de la perception est un enjeu important dans Messagesquisse Messagesquisse,, mais plus largement dans l’œuvre de Pierre Boulez.
Petit portrait de Pierre Boulez
Faut-il encore présenter cette figure importante de la musique d’aujourd’hui ? Musicien aux multiples facettes, il est d’abord et avant tout compositeur. Si nous devions, sans être exhaustif, ne retenir que quelques œuvres que nous considérons comme marquantes dans sa production, nous mettrions à l’avant-plan : Le Marteau sans Maître Maître sur sur des textes de René Char, les trois Sonates trois Sonates pour piano, piano, Éclat/Multiples Éclat/Multiples,, Pli selon Pli, Pli, Répons,, Sur Incise Répons Incisess, les Notations les Notations pour orchestre et, orchestre et, bien entendu, Messagesquisse Messagesquisse dont dont nous allons faire l’analyse. Pierre Boulez, c’est aussi un chef d’orchestre « par obligation », », comme il i l aime ai me à le souligner soul igner lui-même. lui-même. Sa carrière l’a conduit à diriger les plus grands orchestres dans un répertoire souvent tourné vers la musique du X Xe siècle. Mais cette défense de la musique moderne ne lui a toutefois pas fait oublier le répertoire classique et romantique. Ainsi, dans sa discographie, nous le retrouvons dans, entre autres, des œuvres de Mozart, Wagner, etc. À ceux qui souhaiteraient à la fois en savoir plus sur cette brillante carrière de chef
16
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
d’orchestre, mais aussi mieux comprendre la manière dont Boulez l’envisage, nous recommandons la lecture de l’l ’ouvrage L’écriture du geste geste - série sér ie d’ d ’entretiens avec Cécile Gilly �. La troisième facette de Pierre Boulez, certes moins connue du grand public, est celle du penseur et du chercheur. La lecture des très nombreux ouvrages de réflexion générale sur le langage musical est, pour tout musicien et en particulier pour les compositeurs, incontournable. incont ournable. Si ces ouvrages ouv rages théoriques t héoriques demandent demandent un certain bagage musical, les entretiens avec Célestin Deliège �, ainsi que les conférences données au Collège de France � et l’ouvrage consacré au peintre Paul Klee �, pourront intéresser tout lecteur curieux. Pourquoi Po urquoi le sous-titre « Lorsque matériau, temps et forme s’harmonisent » ? C’est ainsi, non sans une certaine hésitation, que la conférence proposée au Collège Belgique a été intitulée. Hésitation, car, dans le cadre de cette pièce, deux autres titres auraient aur aient été en phase avec notre propos. Le premier est une citation de Webern : « Il est clair que, �
P. B���� B�����, �, L’écriture du geste – entretiens avec Cécile Gilly , Paris, France éditions – Christian Bourgois, collection musique, ����.
�
P. B���� B�����, �, Par volonté et par hasard – entretiens avec Célestin Deliège,, Paris, Le Seuil, ����. Deliège
�
P. B����� B�����,, Jalon Jalonss pour une déce décennie nnie – dix ans de cours au Collège de France (����-����), (����-����), Paris, Christian Bourgois, Musique/passé/présent, ����.
�
P. B���� B�����, �, Le pays fertile – Paul Klee, Klee , Paris, Gallimard, ����.
PETIT PORTRAIT DE PIERRE BOULEZ
17
lorsqu’il y a relation et cohérence à tous les niveaux, l’l’intelligib intelligibilité ilité de l’l’œuvre œuvre est assurée � ». Cette citation, tellement révélatrice de la pensée de ce grand représentant de la seconde école viennoise, aurait été, à la lumière de l’analyse de Messagesquisse Messagesquisse,, assez opportune. En effet, dans cette œuvre, on ne trouve pas un élément, aussi minime soit-il, qui ne soit en rapport avec la globalité de la pièce. Il y a dans Messagesquisse dans Messagesquisse,, comme nous allons tenter de le montrer, un lien étroit et fort entre la microstruct microst ructure ure (le matériau générateur) générateur) et la macrostructure. L’autre titre possible aurait été « Comment composer une musique à partir d’un élément exogène à celle-ci ? ». Il aurait été, lui aussi, particulièrement en rapport avec Messagesquisse avec Messagesquisse,, car c’est à partir d’un nom, celui de Paul Sacher, que Pierre Boulez compose l’entièreté de la pièce. Alors, pourquoi « Lorsque matériau, temps et forme s’harmonisent » ? Si l’analyse qui va suivre illustre, nous l’espérons, les raisons de notre choix, notre travail de compositeur explique également, en partie, ce titre. En effet, lorsqu’on écrit de la musique, le rapport entre le matériau et la forme est au centre des préoccupations. De manière encore plus radicale, nous pensons même que composer, composer, c’est, c’est, fi finalement, nalement, au-delà de la créativité c réativité �
A. W�����, Chemin vers la nouvelle musique, musique , Paris, Lattès, « Musiques et musiciens », ����, p. ��.
18
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
et de l’artisanat, occuper un espace temporel à partir d ’un matériau de base, d’ d ’une matière première.
Portrait général de Messagesquisse
La genèse de l’œuvre
Messagesquisse , composée en ����, est une pièce de Messagesquisse, courte dimension et extrêmement unifiée sur le plan de l’instrumentarium puisqu’écrite pour sept violoncelles (un violoncelle principal et six violoncelles secondaires). Cette œuvre est considérée par certains observateurs comme relativement secondaire dans la production de Pierre Boulez. Mais d’autres ne partagent pas cet avis, dont le compositeur et musicologue français Antoine Bonnet qui est l’auteur d’un important et remarquable article consacré à Messa gesquisse �. À l’instar d’Antoine Bonnet, nous considérons cette œuvre comme importante, puisque non seulement elle préfigure les préoccupations de Répons (pièce pour orchestre, six solistes et dispositif électronique), mais aussi parce qu’elle propose une forme de �
A. B�����, « Écritu Écriture re et perception : à propos de de Message Messagess de Pierre Boulez », in InHarmoniques quisse de quisse InHarmoniques,, n°�, Musique et perception, Paris, Ircam, ����, p. ���-���. ���-���.
20
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
tra nsposition des préoccupations transposition préoccupations de la musique musique mixte mi xte � dans un domaine purement acoustique. Mais nous aurons l’occasion l’occasion de revenir sur su r ce point. Le projet
C’est à l’initiative de Mstislav Rostropovitch que le projet voit le jour. En effet, ce célèbre violoncelliste décide de passer commande à douze compositeurs � d’une œuvre impliquant le violoncelle, et ce, afin de fêter le ��e anniversaire de Paul Sacher � – violoncelliste lui-même, mais aussi chef d’orchestre et grand mécène dans le domaine de la musique du X Xe siècle. La seconde demande, ou plus précisément consigne, était de composer la pièce à partir par tir du nom de Sacher. Sacher. Comment composer à partir p artir d’un nom ?
Les Allemands, A llemands, mais mai s aussi les les Anglo-saxons, Ang lo-saxons, n’util n’utilisent isent pas les syllabes que nous connaissons bien en Belgique �
Une musique mix mixte te est une musique qui fait appel appel à des instruments acoustiques associés à un dispositif électronique.
�
Alber to Ginastera, Wolfgang Fortner Alberto Fortner,, Hans Werner Henze, Conrad Beck, Henri Dutilleux, Witold Lutosławski, Luciano Berio, Cristobal Halffter, Benjamin Britten, Klaus Huber, Heinz Holliger et Pierre Boulez.
�
Paul Sacher, Sacher, né et mort à Bâle (����–� (����–���� ���), ), est est,, entre autres autres,, le créateur de la fondation Sacher à Bâle où les esquisses, mais aussi les manuscrits de nombreux compositeurs du X Xe siècle sont conservés et disponibles pour les chercheurs.
PORTRAIT GÉNÉRAL DE MESSAGESQUISSE
21
comme en France pour pou r nommer les notes : à savo s avoir ir do, ré, … En Allemagne, Al lemagne, ce sont des des lettres lett res qui serven ser ventt à les désigner : A=la, B=si @, C=do, D=ré, E=mi, F=fa, G=sol G= sol et H=si. Bach, comme bien d’autres compositeurs, a utilisé cette propriété pour signer certaines de ses œuvres – la petite formule musicale représentant les lettres lett res du nom de Bach étant si @-la-do-si. Signalons encore que si la signature pouvait être représentée par des notes, elle pouvait également se faire numérologiquement et que le nombre de Bach, en rapport avec le positionnement des lettres dans l’alphabet, est �� (�+�+�+�) �. Mais comment transposer le nom de Paul Sacher alors que deux lettres (le S et le R) n’entrent pas dans cet alphabet musical ? Boulez a trouvé une solution assez évidente pour le S car il se fait qu’en allemand la note mi @ s’écrit Es (s représentant le bémol) et se prononce S. La petite série de six notes commencera donc par mi @. Par contre, le R pose problème, car il ne peut trouver de place dans cet alphabet. Boulez a tout simplement choisi de lui attribuer la note le plus en rapport avec la lettre, à savoir ré. Sacher donne donc en termes de notes : mi @-la-dosi-mi-ré. C’est à partir de cette série de six notes et de ses transformations que toute la pièce va se composer. �
Pour ceux qui qui voudraient en savoir plus sur cet aspect de la musique de Bach, nous conseillons la lecture du remarquable ouvrage de Kees V�� H����� et Marinus K��������, Bach et le nombre, nombre, Wavre, Mardaga, ����.
22
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Mais Pierre Boulez ne va pas se contenter de nommer Sacher au travers des notes, il va également le faire à l’aide de six petits motifs rythmiques. Comment les a-t-il engendrés ? Tout simplement à partir de la transposition de chaque lettre en alphabet morse. Cet alphabet utilisant exclusivement des brèves (b) et des longues (l) �, voici le nom de Sacher : S=b-b-b, A=b-l, C=b-l-b-l, H=b-b-b-b, E=b et R=b-l. Tout comme pour les notes, cette série de six petits motifs rythmiques sera très présente dans Messagesquisse dans Messagesquisse.. La grande forme
Une série de six notes et une série de six motifs rythmiques pour la microstructure, six violoncelles secondaires, etc. Le chiffre � agit à plusieurs niveaux et entre autres, comme nous allons le voir, sur le plan de la macrostructu macrostruc ture re (la grande gr ande forme). forme). Celle-ci se compose de six sections. En dehors des deux dernières qui s’enchaînent et peuvent dès lors être entendues comme très unifiées, ces sections sont extrême ext rêmemen mentt bien délimitées délim itées et aisément perceptibles. perceptibles. L’exemple ci-contre représente graphiquement la forme. Les cadres qui entourent les chiffres romains à la première ligne (niveau a) montrent les parentés d’une section à l’autre. Ainsi, la quatrième entretient � La longue vaut vaut le double de la brève. En termes musicau musicaux, x, si la brève vaut une noire, la longue vaut une blanche.
PORTRAIT GÉNÉRAL DE MESSAGESQUISSE
23
EXEMPLE 1 ________________________________
des liens étroits avec la première : elle est en quelque sorte, pour reprendre une terminologie boulézienne, son commentaire. De la même manière, la troisième section est à mettre en relation avec la deuxième et la sixième six ième prolong prolongee la cinquième. c inquième. Sous les cadres, cad res, nous avons avons placé des commentaires généraux. Les premiers (niveau b) tentent de montrer les rapports possibles entre la structure générale et les formes plus « classiques » (classique étant à comprendre dans le sens d’ancrage dans la tradition). Le niveau c propose une synthèse des différentes vitesses tandis que le quatrième niveau (d) donne une fonction une fonction à ces différentes sections.
24
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Après une introduction i ntroduction proposant proposant le nom de Sacher S acher et un premier déploiement sur lequel nous reviendrons, la deuxième section constitue le moment le plus développé de la pièce. Nous l’avons baptisée section « ping-pong ». Nous reviendrons bien entendu en détail sur cette section afin d’expliquer les raisons de cette métaphore pouvant pouvant paraître para ître un peu étrange, étr ange, nous en sommes bien conscient. conscient. La troisième section – qui, nous l’avons dit plus haut, est le pendant de la deuxième – a pour mission de ramener le calme après le véritable orage de la deuorage de xième section tellement énergique et virtuose. Elle est en quelque sorte une décompression ayant toutes les caractéristiques d’une transition dont la fonction est d’amener le calme qui habite le début de la quatrième section. Celle-ci joue un double rôle. D’abord celui d’un mouvement lent, mais aussi celui d’une cadence � puisque c’est le soliste qui assume seul toute cette section. Enfin, les cinquième et sixième sections, très unifiées, sont écrites dans un mouvement extrêmement rapide qui pourrait nous faire songer à une gigue � effrénée. Ajoutons encore, mais nous y reviendrons, que le projet ici est de travailler sur des effets de masses et �
Une cadence est le moment où, à la fi fin n d ’un mouvement, le soliste fait fa it son grand « solo ».
�
La gigue est une danse très rapide d’o d’origi rigine ne angla anglaise ise ou irlandaise. On en trouve dans les suites de danses à l’époque baroque (chez Bach…), mais aussi dans la musique traditionnelle irlandaise.
PORTRAIT GÉNÉRAL DE MESSAGESQUISSE
25
que ce sont sans nul doute les sections les plus « plastiques � » de l’œuvre. Après ce portrait général, nous proposons maintenant d’entrer dans le détail de l’écriture, dans l’artisanat et donc, dans une certaine mesure, dans l’atelier de composition composi tion de Pierre Boulez. Bou lez.
�
Plastique est à comp comprendre rendre ici dans le sens « art plastique » : sculpture, peinture...
26
2 E L P M E X E
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
ANA LYSE DÉTAI DÉTAI LLÉ E DE L’ŒUVR L’ŒUVR E
Première section
Comme pour la grande forme, nous proposons un schéma général que nous allons al lons commenter commenter.. Nous commencerons l’examen de cette section en définissant le rôle des violoncelles secondaires. Ils vont, dans un premier temps, reprendre, nous dirions même « mettre en mémoire », les six lettres (notes) du nom de Sacher énoncées par le violoncelle principal dans un tempo extrêmement lent. Le principe pri ncipe est assez simple : le violoncelle violoncelle principal joue la premièr premièree note (S=mi @) et le violoncelle secondaire � la reprend dans une dynamique très feutrée grâce, entre autres, à une sourdine placée sur le chevalet – ce qui a pour effet de transformer très légèrement le son. Il en résulte, pour la perception, que l’entrée du violoncelle secondaire ne s’ s’enten entendd pas. El Elle le est en quelque sorte masquée. Ce n’est qu’au moment où le violoncelle principal joue la seconde note (A=la (A=la)) qu’on qu’on prend conscience rétrospectivement de sa présence et de la mise en mémoire mémoire du du son. Le A sera ensu ensuite ite mis m is en en mémoire par le violoncelle secondaire �, le C par le violoncel v ioloncelle le sec seconda ondaire ire �, etc. À l’l’issue issue de cet cette te pre-
28
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
mière séquence �, le nom de Sacher aura aur a donc été entendu horizontalement (dans le temps), mais aussi dans l’espace, car, après la dernière entrée du violoncelle secondaire � et grâce au processus mis en œuvre, le nom de Sacher est aussi entendu entendu verticalement vert icalement sous la forme d’un grand accord. Ajoutons encore qu’un effet de spatialisation du son se fait entendre puisque les violoncelles secondaires �. Très lent , de � à � : �� sont disposés en arc de cercle derrière le soliste �. Si nous insistons sur la mise en mémoire ainsi que sur la transformatio tra nsformation n du son et sa spatialisation, spatia lisation, c’est c’est parce pa rce que ces procédés sont communs dans le domaine de la musique mixte. En effet, la mise en mémoire est, dans la musique mixte, généralement assumée par ce qu’on appelle un « delay » – ce que l’instrumentiste a joué est enregist en registré ré et rejoué. La transformation t ransformation du son (la sourdine placée sur le chevalet) a pour effet, nous l’avons déjà signalé, de filtrer le son de certaines harmoniques moniq ues – là aussi, les filtres fi ltres sont des outi outils ls communs dans la transformation électronique des sons. Enfin, la spatialisation peut être comparée aux enceintes destinées à diffu dif fuser ser le son, son, mais aussi à le faire voyager voyager dans l’espace. �
Une séquence est à comprendre comme une des composa composantes ntes de la section – une sous-section sous-sect ion en quelque quelque sorte.
�
La spatial spatialisation isation sonore est surtout prégnante en situation de concert.
PREMIÈRE SECTION
29
La lente répart répartition ition des six notes notes dans dan s un assez large la rge registre peut être perçue non seulement comme une manière de définir et de s’approprier un espace, mais aussi comme une grande respiration. De manière plus métaphorique métapho rique et étant ét ant donné les circonstances qui présidentt à la composition siden composition de cette cet te œuvre, nous pourrions pour rions y voir les bras de Pierre Boulez qui s’ouvrent afin de congratuler celui dont on fête l’anniversaire. L’exemple audio qui suit propose la première première séquence séquence inaugura inaug urale le dont nous venons de parler. Une fois cette séquence terminée, ce sont six petites séquences qui vont se faire entendre – elles sont chiffrées au-dessus de l’exemple. Au cours de cellesci, le paysage acoustique va progressivement se transformer. Comme le montrent montrent les traits qui qu i suivent les lettres, chaque violoncelle secondaire va, de séquence en séquence, abandonner sa note mémorisée pour laisser la place au retour de la première lettre du nom de Sacher, soit mi @. Ce mi @ est alors joué col legno � ( (C.L C.L à à l’exemple �). Grâce à ce mode de jeu, les violoncelles secondaires vont maintenant jouer également un rôle de percussions marquant les lettres du nom de Sacher en alphabet a lphabet morse. Prenons le violon v ioloncelle celle secondaire secondaire � afin de comprendre le processus de cette séquence. �
Col legno legno veut dire « avec la ligne » (avec le bois). L’instrumentiste joue avec l’archet retourné et frappe les cordes un peu comme un percussionniste les frapperait à l’aide d’une baguette.
30
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Dès le début de la séquence �, ce violoncelle secondaire joue, de manière répétitive et en boucle, les lettres S et A. À la seconde séquence il joue, toujours de manière répétitive, SAC, à la suivante SACH, etc., pour arriver à faire entendre le nom de Sacher complet à la sixième et dernière séquence. Le violoncelle secondaire � procède de la même manière, mais, ne commençant le processus qu’à la troisième séquence, il commence par faire entendre trois lettres afin d’arri ver aux six lett lettres res à la fi fin n de la sect section. ion. Le violoncelle secondaire � commence avec quatre lettres, etc. Dans l ’organisation de toutes ces entrées, il i l y a quelque chose d ’assez remarquable. En effet, comme la lettre lett re surmontée d’un crochet le montre, le violoncelle secondaire � joue les trois petits motifs morse en boucle – don doncc de manière circulaire – mais en commençant par le deuxième (soit le rythme morse de la lettre a). Le quatrième tr ième violoncelle violoncelle secondaire commence par la lettre lett re c, etc. Grâce à ce procédé d’écriture, le nom de Sacher apparaît également en diagonale (rappelons que nous avions déjà vu le nom de Sacher dans les dimensions horizontale et verticale). Évidemment, cela ne s’entend pas, mais cette dimension diagonale, toute symbolique soit-elle ici, est, comme nous le verrons un peu plus loin, importante dans la pensée boulézienne. Au-delà des procédés d’écriture démontrés ici et sur le plan de la perception, l’envahissement des col legno agit avant tout sur le paysage sonore. Ceux-ci legno créent une véritable poétique sonore. De manière plus métaphorique, ils peuvent nous donner l’impression
PREMIÈRE SECTION
31
d’un sol qui se dérobe progressivement, ou encore de bruissements de plus en plus présents, un peu comme lorsqu’’on marche sur des lorsqu de s coquillages coqui llages à la plage. Tout ce paysage en transformation constante constitue alors un écrin destiné à accueillir le violoncelle principal. Les soufflets au bas de l’exemple � et qui, globalement, valent également pour le violoncelle principal, signalent « l’enveloppe » générale du son. Le premier soufflet, qui concerne les dynamiques � et la vitesse, montre une augmentation progressive (de plus en plus fort et de plus en plus vite) – les chiffres signalent simplement une hiérarchie dans la progression. Le second soufflet concerne la densité verticale des hauteurs – dit plus clairement, le nombre de hauteurs différentes entendues de manière synchrone (de � à � sons pour la séquence inaugurale et de � à � pour le reste). Si nous insistons sur ces deux enveloppes, c’est pour montrer les trajectoires opposées de celles-ci. En réalité, l’enveloppe des densités de hauteurs n’est que la lecture lectu re inverse de l’envel l’enveloppe oppe des dynamiques. dyna miques. Dans le domaine musical, on parle d’une rétrogradation rétrogradation..
�
Le terme « dynam dynamique ique » fait référe référence nce ici à l’l’intensité intensité du son. Dans le jargon musical, on parle souvent de nuances.
32
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
3 E L P M E X E
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
PREMIÈRE SECTION
33
Le violoncelle principal
Le violoncelle principal vient donc se déposer sur la structure décrite ci-dessus. Les chiffres à la première ligne de l’l ’exempl exemplee � ont été remplacés ici par des lettres let tres dans des cadres dont nous nous servirons ultérieurement. À chaque séquence (sauf la dernière) le violoncelle principal joue une nouvelle série de six hauteurs. Chaque série, dont nous reparlerons plus loin, débute par la note mi @, soit S. Dans l’exemple �, la ligne modes de jeu indique jeu indique les sons joués pizzicato par P et arco par A par A �. De la même manière que pour les violoncelles secondaires, le paysage sonore se modifie progressivement puisque les sons pizzicato sont progressivement remplacés par des sons arco : ceci contribuant, en plus du crescendo dynamique noté par Boulez (soufflet), à une augmentation du volume sonore. À partir de la séquence B, les six nouvelles notes de la série sont amenées par une « petite note � ». En d ’autres termes, les notes de base sont ornementées ornementées par une note d’approche d’approche.. Ici aussi, si nous insistons sur le procédé d’ornementation, c’est que les notes d’ornementations de la séquence B ne sont que la reprise �
Comme les mots le laiss laissent ent entendre, le pizzicato est produit par la corde pincée, tandis ta ndis que l’l ’arco est joué avec l’archet.
� « Petite note » fait référ référence ence à la notation. Elle est secondaire et donc n’a pas le même poids sur le plan hiérarchique.
34
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
des notes de la séquence A. Autrement dit, les sons de A ont été mis en mémoire et sont rejoués dans la séquence B nantis cette ce tte fois d’ d ’une autre fonction. Ils sont maintenant subordonnés. La séquence C aura deux notes d’ d ’ornemen ornementations tations (les notes des séquences A et B cumulées), la séquence D aura trois notes d’ornementations (celles des séquences A, B et C), etc. La mise en mémoire mémo ire opère donc, ici, de manière importante. i mportante. Dans Da ns la dernière séquence, notée dans notre exemple Sacher morse,, le violoncelle principal, tout comme les violonmorse celles secondaires, jouent en pizzicato les rythmes liés à la transposition musicale du nom du dédicataire de l’œuvre. La section Très �. Très lent , à part partir ir de � : �� lent , à partir de � : ��, fait entendre les six si x séquences sé quences (de A à F). L’ L’auditeu auditeurr s’apercev s’apercevra ra rapir apidement qu’au-delà du morcellement obligé de notre analyse, il y a malgré tout une grande une grande courbe musicale. musicale . Celle-ci allant d’un certain calme vers une agitation importante avant de retourner, assez rapidement, au calme initial. Autrement dit – et il nous semble important d’insister sur ce point – si le morcellement analytique que nous avons effectué ici a pour mission de montrer les procédés compositionnels, il n’est pas nécessairement actif sur le plan de la perception globale �. �
Nous rev reviendrons iendrons sur ce sujet lors de la conclusion consac consacrée rée à la problématique de la perception.
PREMIÈRE SECTION
35
Cette distinction est importante, car, chez Pierre Boulez, tout processus mis en place, aussi sophistiqué soit-il, ne sacrifiera jamais la dimension de la perception. La ligne séries de notes fait notes fait état des six petites séries (y compris la séquence initiale) dont nous allons parler maintenant. Comment engendrer d’autres séries de hauteurs à partir d’un matériau de base ? Composer toute la pièce à partir d’une seule série immuable n’est pas envisageable pour Pierre Boulez. Il lui faut donc déduire, ou plus précisément engendrer, de nouvelles séries à partir du modèle tout en conservant une cohérence avec celui-ci. Beaucoup de systèmes d’engendrements existent chez tous les compositeurs issus de la pensée sérielle, comme Karlheinz Stockhausen, Henri Pousseur, etc. Pierre Boulez a mis au point quelques techniques toutes personnelles que nous retrouvons dans plusieurs de ses œuvres et que nous allons décrire ici. La première, celle qu’il utilise dans la section qui nous préoccupe, est définie par Boulez de la manière suivante : « Transposition circulaire � des intervalles sur une note polaire. » Malgré la définition qui de prime abord peut sembler complexe, le processus est assez facile à comprendre. �
Nous retrouvons ici cette notion de lectu lecture re circul circulaire aire don dontt nous avons parlé plus plus haut à propos des ryth ry thmes mes morses.
36
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Comme nous l’avons dit plus haut, les lettres correspondent à des notes. Entre ces différentes notes (lettres) conjointes, il y a un intervalle (une distance). Celui-ci est signalé par un numéro d’ordre – de � à �. Pour les musiciens, ces intervalles se traduisent de la manière suivante : entre mi @ (S) et la (A) – (�) il y a six demi-tons entre la (A) et do (C) – (�) +trois demi-tons entre do (C) et si (H) – (�) -un demi-ton entre si (H) et mi (E) – (�) (�) +cinq +ci nq demi-tons entre mi (E) et ré (R) – (�) (�) -deux -deu x demi-tons entre ré (R) et le mi @ initial (S) – (�) +un demi-ton.
La note mi @ (soit S), qui initialise chaque série de six sons, est considérée comme note polaire �. Pour engendrer une nouvelle série à partir de la première, Boulez fait glisser gliss er d’un d’un rang vers la gauche l ’i’interva ntervalle lle compris compris entre les notes A-C, C-H, H-E, etc. �� Comme tout se décale d’un rang (sauf la note polaire), le profil mélodique de Sacher est préservé, mais ma is il est, e st, en dehors de la première note et l’absence inévitable d’une lettre, transposé ��. En poursuivant ce processus, à savoir �
On entend entend généralemen généralementt par par note note polaire, une note qui prédomine.
�� Étant donné donné le processus mis en place, place, une lettre disparaît dispara ît à chaque nouvelle nouvelle ligne. l igne. �� En musique, une tra transposition nsposition consiste à faire entendre entendre une mélodie à partir d’un autre son de départ. Si une mélodie est en do majeur, elle peut être jouée plus haut ou plus bas, par exemple en ré majeur ou en si majeur.
37
PREMIÈRE SECTION
EXEMPLE 4 ________________________________
faire glisser d’un rang vers la gauche les intervalles de la deuxième deux ième série, on obtient une troisième série transposée à partir de la lettre H et amputée du C. On l’aura compris aisément, par ce processus, cinq transformations sont possibles. En effet, une sixième série nous ramènerait à l’original. Le nombre de sons composant la série donne donc le nombre de présentations possibles, soit un carré de � sur � – carré qui donne, tant sur le plan horizontal (ligne) que vertical (colonne), le nom de Sacher. Signalons encore que par le processus
38
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
mis en œuvre, le S apparaît dans la diagonale de ce carré (trait en pointillé). C’est bien de syntaxe dont il est question ici. Et si nous ne pouvons développer cette dimension dans le cadre de cet article, il nous apparaît important de l ’é ’évoquer voquer,, car elle el le fait partie part ie des préoccupations préoccupations imporimportantes dans l’œuvre de Pierre Boulez. Ce qui nous paraît particulièrement intéressant à relever ici, c’est le lien étroit qui existe entre le système d’engendrement des séries de notes et la construction de la section. Le processus d’engendrement proposant un total de six possibilités, celui-ci agit directemen direc tementt sur l ’organisation de la forme.
Deuxièm Deux ièmee section sec tion La partie de « ping-pong »
C’est, nous l’l ’avo C’est, avons ns dit d it plus haut, la section sec tion la plus dévedé veloppée de la pièce. Elle est composée de cinq séquences écrites à partir d’une pulsation unique extrêmement rapide avec, de manière ponctuelle, des accents faisant ressortir certaines notes. Elle demande une grande concentration de la part des interprètes qui sont sans cesse sur su r le qui-vive. Un Un peu comme un u n joueur de pingpong dans un échange long et vivace. Les accents, de par leur organisation, pourraient, quant à eux, être mis en rapport avec les rebondissements rebondissements d’ d ’une balle ba lle de ping-pong pingpong sur le sol. Ceux Ceu x-ci engendrent une accélération du son due au raccourcissement de la trajectoire t rajectoire �. C’est, du reste, à partir de ce raccourcissement que nous allons entrer dans cette deuxième section. Le principe de base est simple. Le violoncelle principal joue des pulsations pu lsations rapides et régulières régu lières dont dont certaines sont accentuées. Nous pourrions schématiser le procédé de la manière suivante :
�
Comme nous al allons lons le voir plus loin, les accents peuven peuventt également s’opérer dans l’autre sens. Ils donnent alors une sensation de décélération, un peu comme si les sons du rebondissement étaient entendus à l’envers.
40
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
5 E L P M E X E
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
DEUXIÈME SECTION
41
Les carrés noirs représentent les pulsations accentuées tandis que les triangles représentent la répétition d’une note qui sert de signal ou plus précisément de balise pour l’écoute. Les points blancs sont, quant à eux, plus neutres pour la perception. L’exemple ci-contre reprend toute l’organisation rythmique du violoncelle principal de la première séquence de cette deuxième section �. Comme le montrent les carrés, les accents se rapprochent ou s’éloignent progressivement. Ils génèrent de la sorte la sensation d’un rebondissement qui se réduit ou s’agrandit. C’est, à la première ligne de l’exemple �, la lettre ou note polaire A (seconde lettre du nom de Sacher) qui accompagnera tous les carrés noirs dans un parcours qui va de � à � �. Les trois triangles tria ngles à la fin fi n de la première première ligne, toujours toujours joués sur la note polaire A, marquent la fin de la première polarisation. Ce A, scandé à trois reprises, est accompagné rythmiquement par tous les violoncelles secondaires. Cette répétition et cette insistance deviennent alors un guide précieux pour la perception puisqu’elle nous �
Comme nous al allons lons le voir plus loin, cette deux deuxième ième sect section ion se compose de cinq ci nq séquences : quatre séquences relativement relativement développées et une conclusion rapide.
�
Pour se rendre compte du processus ry ryth thmique, mique, nous proposons au lecteur un petit exercice rythmique. Commencez par scander de manière régulière une pulsation. Ensuite, sans changer cette pulsation, comptez �-�-�-�-�-�, �-�-�-�-�, etc. jusqu’àà �-�, �. Chaque fois que vous dites �, faites-le jusqu’ fa ites-le en l’ l ’accentuant tua nt généreusement. généreusement.
42
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
avertit d’un changement imminent. Nous pourrions dire que cette répétition agit un peu comme une « sal salle le d ’attente » avant d’ d ’amorcer la sous-section sous-sect ion et la polaripolar ité suivante. suiva nte. Et de fait, à la seconde se conde ligne c’est c’est le C qui est polarisé par les accents (car (carrés rés)) dont dont le trajet t rajet passe de � à � et sans transition de � à �. La fin de cette deuxième petite partie par tie se termine, termi ne, tout tout comme la première, première, par la répétition du C toujours accompagnée des six violoncelles secondaires (triangles). Nouveau signal auditif nous laissant présager un changement imminent. La troisième ligne polarise le H dans un parcours pa rcours de � à � suivi de � à � et, après le signal de la note répétée, la dernière ligne polarise polaris e le E dans un parcours pa rcours de � à �. Il y a donc quatre parcours pour quatre lettres et ces parcours sont tantôt simples, tantôt doubles – nous parlerions volontiers d’aller simple et d’aller-retour. Toutes les formes sont utilisées puisque le parcours de � à � (A) trouve son rétrograde au moment de la polarisation du E (sans considérer le signal symbolisé par triangles) et la lettre H emprunte un parcours qui n’est autre que la rétrogradation du parcours effectué par la lettre C, toujours sans le signal annonciateur du changement. Afin de saisir le mieux pos�a et �b. sible le projet rythmique, Extraits de l’auteur voici deux exempl exemples es audio. Ils reprennent tous deux la première séquence proposée à l’exemple ci-dessus. Le premier est dans un
DEUXIÈME SECTION
43
tempo assez lent, le second à la vitesse demandée par Boulez. � La deuxième séquence va garder ce principe de rebondissement, mais cette fois la balle part de plus haut puisqu’elle fait des rebondissements allant de � à � ou de � à � – le principe du signal généré par la répétition d’une note agissant toujours aussi efficacement pour notre écoute. La troisième séquence agrandira les rebondissements men ts jusqu’à �� et la quatrième quatr ième jusqu’à ��. ��. Bref, quatre séquences avec une grande unité sur le plan des processus rythmiques, mais aussi une unité de traitement des autres paramètres puisque les violoncelles secondaires ont pour mission de donner à chaque séquence une identité. Nous pourrions même comparer ces quatre séquences à des variations autour du processus de rebondissement. Les variations sont assumées essentiellement par le traitement des violoncelles secondaires qui seront par moments au ser vice de la compréhensio compréhension n auditive des rebon rebonds ds – ils i ls les mettron mett rontt en évidence év idence –, mais à d’ d ’autres ils auront pour mission de nous les masquer quelque peu. En réalité, il y a un côté extrêmement ludique dans toute cette deuxième section, un peu comme une �
Nous avons réali réalisé sé cette modélisation du violoncelle principal avec un programme informatique. Aussi, nous demandons à l’auditeur toute son indulgence car les sons utilisés ici sont assez éloignés du paysage acoustique généré par de véritables violoncelles. violoncel les.
44
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
partie de cache-cache. Pierre Boulez semble vouloir jouer sans cesse avec notre notre perception. Un peu comme s’il nous montrait un objet en utilisant une série de filtres ou de masques nous faisant passer de la vision claire de cet objet jusqu’à, par moments, un masquage pratiquement complet. Une autre écoute possible, et nous en reparlerons plus particulièrement lors des deux dernières sections, consiste à entendre toute cette section comme un travail sur les densités, sur les masses. Nous dirions même que l’écoute peut devenir véritablement véritablem ent plastique �. Mais nous y reviendrons. Sur le plan de la forme, forme, cette cet te deuxième deux ième section, nous nous l’avons dit plus haut, s’organ s’organise ise en � séquences sé quences plus une u ne coda que nous allons décrire à l’aide des exemples � et �. Le premier niveau (sur fond grisé) reprend toutes les notes polarisées. Le nom de Sacher (sauf le S) est entendu � fois complètement. Les cadres cad res montrent qu’à qu’à chaque changement changement de séquence. Boulez répète la lettre let tre polarisée, polarisé e, un peu comme si un u n son commun commun (une (une lettre lett re commune) marquait le passage à la variation suivante. Le second niveau de notre exemple reprend les rebondissements dont nous avons parlé plus haut. Il synthétise les trajets des divers rebondissements. Les rebondissements de � à � proposent donc quatre parcours (chiffre à la dernière ligne) associés chacun à une lettre : un aller simple, deux aller-retour et un �
Plastique est toujo toujours urs à comp comprendre rendre dans le sens d’ar d’artt plastique.
45
DEUXIÈME SECTION
EXEMPLE 6 ________________________________
aller simple. Les rebondissements de � à � proposent deux trajets, ceux de � à �� sont organisés en trois parcours. Enfin, les rebondissements de � à �� laissent entendre quatre petites sous-séquences. Si, grâce au traitement des violoncelles secondaires, mais aussi par la rapidité des trajets, trajets , les rebondissements de � à � son s ontt assez perceptibles, les rebondissements de � à �� sont moins simples à saisir. Encore une fois, le traitement des violoncelles secondaires (la variation) contribue également à la perception plus ou moins claire de ces rebondissements. Une question se pose et en particulier lorsqu’on connaît la musique et la pensée de Pierre Boulez. Si nous comprenons aisément les raisons qui expliquent le choix des rebondissements de � à � à la lumière de l ’i’importance mportance du chiffre chif fre �, pourquoi pourquoi �, �� et �� �� ? Car si le
46
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
trajet avait été de �� au lieu de �, le projet projet global globa l n’était n’éta it en aucune manière mis en péril. En réalité, le choix des nombres est déterminé par la simple addition des chiffres correspondant aux nombres de notes polaires entendues dans chaque séquence (le dernier niveau de l’exemple �). �). En ef effet fet : � = �+ �+�+ �+�, �, ��=� � �=�+ +�+ �+�� et �� est égal é gal à l’addition de tous les chiffres. La coda, reproduite graphiquement à l’exemple �, montre la fonction de synthèse attribuée à cette cinquième et dernière séquence.
EXEMPLE 7 ________________________________
Boulez va reprendre, de manière chronologique, toutes les notes polaires entendues lors des quatre séquences précédentes, mais elles sont beaucoup plus ramassées dans le temps. En effet, ces notes polaires accentuées réapparaissent toutes les � ou � pulsations (chiffres sous les lettres). Nous sommes devant un temps complètement contracté, un peu comme si la balle de ping-pong rebondissait maintenant systématiquement de manière rapide, mais aussi, par rapport
DEUXIÈME SECTION
47
aux processus entendus jusqu’à présent, de manière plus aléatoire. Le système a donc changé. Il est difficile d’imaginer que Boulez ait pu laisser le nombre de rebondissements dans cette séquence conclusive concl usive au pur hasa hasard. rd. Quelque chose doit expliquer l’alternance de ces rebondissements organisés par � et � unités. En réalité, si nous lisons ces chiffres à la lumière de l’exemple �, nous nous apercevons que � correspond à un aller simple (� à �, � à � ou encore � à �…) et que � correspond tout naturellement à un u n allera ller-retour retour.. Le lecteur comprendra mieux pourquoi, à la lumière de la logique d’engendrement et de déduction démontrée ici, nous avons hésité quant au titre de cet article. En effet, la citation de Webern « Il est clair que, lorsqu’il y a relation et cohérence à tous les niveaux, l’intelligibilité de l’œuvre est assurée » aurait été, ici tout particulièrement, d’actualité. Dans cette section, Très rapide, rapide, �. Très rapide le nombre d’informations et la vitessee à laquelle la sect vitess section ion est jouée demandent, sans nul dout doute, e, plus d ’une écoute. Nous proposons donc donc au lecteur-auditeur de réécouter à plusieurs reprises cette deuxième section de Messade Messa gesquisse en tentant de focaliser son attention sur les gesquisse divers paramètres proposés par l’analyse (les notes polaires, les rebondissements, les signaux aux au x moments moments des changemen cha ngements ts de notes polaires, etc. etc.). ).
48
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Le lecteur nous pardonnera, nous l’espérons, de revenir à nouveau à des questions syntaxiques, mais il nous semble utile de montrer quelques particularités qui expliquent le rapport entre matériau, processus de prolifération et forme. Nous avons expliqué, lors de l’examen de la première section, comment Boulez déduisait, à partir d’un processus, des suites de six notes au départ du nom de Sacher. La technique utilisée ici est particulièrement intéressante, car, nous l’avons dit, elle explique, en partie, le propos rythmique de la section que nous venons d’analyser. Boulez la définit de la manière suivante : « Réécriture de la série originale (donc le nom de Sacher) sur chaque note de son renversement ». Définition moins difficile à saisir que la précédente à condition de comprendre la notion de renversement. Renverser EXEMPLE 8 ________________________________
une ligne mélodique c’est tout simplement inverser les
49
DEUXIÈME SECTION
intervalles entre ses constituants. Ce qui était montant devient descendant et vice-versa. La ligne supérieure de l’exemple �, donne la grandeur des intervalles en termes de demi-tons, un étalon de base. Les chiffres négatifs sont des intervalles descendants et les positifs p ositifs ascendants. asc endants. On obtient le renverserenversement en inversant la valeur – le positif devient négatif et inversement i nversement (seconde (seconde ligne) l igne).. En d’ d ’autres termes, ter mes, c’est c’est tout le profil mélodique du nom de Sacher qui s’est retourné comme le montre l’exemple �. EXEMPLE 9 ________________________________
C’est donc à partir de chaque note engendrée par le renversement que Boulez va écrire le nom de Sacher
50
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
dans sa forme originale. Celui-ci est donc, inévitablement, transposé à chaque fois. EXEMPLE 10 ________________________________
La particularité de ce nouveau carré de � sur � est que la note initiale (ici le mi @) traverse de part en part le carré, créant de la sorte une diagonale (ce carré sera ensuite transposé tra nsposé sur su r toutes les notes du nom nom de Sacher afin d’alimenter les polarités dont nous avons parlé plus haut). C’est à partir de ce type de tableau que Boulez écrit les rebondissements dans la deuxième section. Imaginons de vouloir faire entendre une série de six
DEUXIÈME SECTION
51
notes à partir d’un mi @, ensuite, toujours à partir de ce mi @, cinq notes puis quatre notes, etc. Il suffit donc de lire, à partir de la diagonale du tableau ci-dessus, chaque ligne de haut en bas pour générer ces effets de rebondissements. Soit, si nous prenons la partie droite du tableau : S(mi @)acher, A(mi @)cher, C(mi @) her,, etc. Cette her C ette lectu lecture re permet donc de déconstruire déconstru ire (ou (ou de construire, si le parcours passe de une à six notes) progressivement le nom de Sacher. Il y a donc bien un lien étroit entre le processus de prolifération du matériau et le déploiement temporel des séquences �.
� Lorsque Lors que les rebondis rebondissements sements sont de �, �� ou ��, Boule Boulezz emprunte les notes nécessaires pour compléter ses séries à d’autres d’au tres lignes l ignes du tableau.
Troisième section sec tion Unee transition Un t ransition
Nous ne nous attarderons que peu de temps sur cette section qui, nous l’avons dit, est le commentaire de la section que nous venons d’analyser, mais aussi la transition qui nous conduit conduit à la quatrième quat rième section. sect ion. Comme pour les sections précédentes, c’est à partir d’un exemple graphique que nous allons montrer les principaux enjeux de cette transition. Toute cette section est, à nouveau, composée à partir de six petites séquences. Chronologiquement, nous entendons les événements sonores sonores suivants suiva nts : Les violoncelles secon�. Sans tempo, libre , daires jouent un accord de � à � : �� (acc. dans notre exemple) de six notes très fort pour ensuite le laisser sonner dans une dynamique beaucoup plus réduite. Cet accord va alors accueillir un trait rapide de treize notes joué par le violoncelle principal �. Une fois ce trait exécuté, le violoncelle secondaire secondai re � fait enten entendre dre le ry r y th thme me morse �
Deuxième ligne de l’exemple. Le f Le fff veut di dire re fort fortissi issimo, mo, donc très fort, le pp le pp pianissi pianissimo mo et le m mezzo (moyennement). L’en-
54
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
EXEMPLE 11 ________________________________
de la lettre lett re R (les cadres cad res). ). Arrive alors a lors un second accord joué par les violo v ioloncelles ncelles secondaires secondai res sur lequel un trait t rait de onze notes est joué par le violoncelle violoncelle principal. principa l. Il est directemen direc tementt suivi des violo v ioloncelles ncelles secondaires � et � qui jouentt à nouv jouen nouveau eau les ry ryth thmes mes morses : le violoncelle secondaire � joue la lettre E, tandis que le deuxième violoncelle secondaire seconda ire joue le R. À la lumière lum ière de notre schéma, il n’est pas utile, nous semble-t-il, de commenter davantage cette section. Signalons seule veloppe générale dyn dynam amique ique ira i ra donc progressivement progre ssivement d’ d’évéévénements nemen ts joués très t rès fort vers des événem é vénements ents joués très doux. doux .
TROISIÈME SECTION
55
ment que le nombre de sons composant chacun des traits joués par le violoncelle principal (��, ��…) est directement lié à la section qui a précédé. En effet, en dehors de �� (� x �), le nombre de notes jouées dans chacun des traits au violoncelle principal reprend, en sens inverse, les nombres que nous avons mis à jour dans la deuxième section : soit ��, ��, � et �. Cette troisième section se composant de six séquences et la deuxième deux ième section, sect ion, en dehors de la conclusion, conclusion, ne contenant que quatre séquences et donc quatre nombres (�, �, �� et ��), ��), Boulez répète à deux deu x reprises le nombre � et le multiplie également par � afin d’alimenter les six séquences de cette transition. Les grandes flèches montrent le registre général des accords joués par les violoncelles secondaires (registre médium, pour commencer, allant vers le registre grave et montant ensuite, progressivement, vers le registre aigu).
Quatrième section La cadence du soliste
Elle est, nous l’avons dit, le commentaire de la première section. Nous entendons par commentaire, le fait que le violoncelle principal va assumer le rôle qu’il avait assuré dans la première section, mais il va également reprendre les éléments des violoncelles secondaires dans cette même section. Nous pourrions d’ailleurs considérer cette section non pas comme un commentai commen taire, re, mais pl plutôt utôt comme une synthèse. sy nthèse. Le rôle qu’il avait assumé dans la première section est assez clair ici puisqu’il va rejouer, globalement, ce qu’il avait joué, mais en sens inverse. Nous retrouverons donc les séquences de la première section dans l’ordre E, D, C, B et A � avec les notes d’ornementation, les substitutions des pizzicati par des arco, etc. Deux différences toutefois sont à signaler. D’abord les sortes de traînées qui suivront les sons joués arco. Ces traînées sont un peu comme des traces lorsqu’on dépose de l’encre fraîche sur un buvard. Il y a comme une éclaboussure qui pourrait nous faire songer, à �
Les lettres let tres sont celles qui avaient été utilisées util isées à l’ l ’exempl exemplee �.
58
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
nouveau, à certains traitements électroniques du son. Si cette première différence n’est pas marquante dans l’élaboration de la forme, par contre la seconde l’est beaucoup plus. Le premier son (mi @), qui lors de la première section était à chaque fois le son initial de chaque séquence, quen ce, est ici postposé. Il arrivera a rrivera systématiquement systématiquement à la fin des différentes séquences. Non seulement il arrivera à la fin, mais il sera joué en utilisant les rythmes de l’alphabet morse (donc ce que les violoncelles secondaires faisa faisaien ientt). Voici un schéma tentant de montrer l’organisation de cette sectio sect ion n: EXEMPLE 12 ________________________________
QUATRIÈME SECTION
59
Le violoncelle principal �. Sans tempo, libre énonce d’abord cinq notes à partir � : �� en pizzicato (lettre E, niveau I). C’est ensuite le rythme de la lettre morse S qui sera scandé dans un tempo assez lent et sur la note mi @ jouée avec une ornementation (toujours lettre E, mais niveau II). Cinq nouveaux sons sont ensuite énoncés. Dans cette deuxième série de cinq notes, quatre sons sont joués en pizzicato pizzicato et un avec l’arch l’archet et (D (D niveau I). Cet Cette te série de cinq sons, jouée maintenant un peu plus vite que la série précédente, est ensuite suivie du rythme de la lettre A en morse (D niveau II) et ce, toujours sur la note mi @. Mais, et c’est là la dimension toute remarquable de cette section, le tempo de l’énoncé de la lettre A du nom de Sacher est moins rapide que celui de la lettre S. En réalité, toute la structure supérieure (niveau I) va aller al ler en s’accélérant s’accélérant et dans da ns une augmen aug mentatation progressive du volume sonore, tandis que celle du rythme morse (niveau II) va s’étirer progressivement et diminuer progressivement en intensité dynamique – c’est c’est ce que montrent montrent les grands gra nds souff souf f lets de l’ l ’exempl exemplee ci-dessus. Tout comme dans la première section, il y a une inversio inversion n des envel enveloppes. oppes. En réalité, c’est un peu comme si Boulez proposait cette grande gra nde cadence cadence pour deux solistes ou pour pour un u n soliste et son double. Au-delà de cette constatation, c’est en réalité une manière originale de jouer sur la notion de mémoire puisque c’est c’est ici la mémoire de l’i l ’interprète nterprète qui est sollicitée. Celui-ci doit mettre en mémoire la
60
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
vitesse à laquelle il a joué les cinq sons de la premièr premièree séquence (lettre E du niveau I) afin de pouvoir, après avoir joué en morse le S de Sacher, trouver le tempo exact de la deuxième séquence (lettre D/niveau I). Le travail de mémoire est exactement le même pour les lettres morse. C’est, entre autres, ce dédoublement du soliste qui crée un espace poétique tout à fait remarquable dans cette cadence. Nous terminerons notre visite de l’atelier compositionnel de Pierre Boulez par l’analyse des deux dernières sections dont nous avons déjà dit plus haut qu’elles étaient, par le tempo et les processus mis en jeu, très unif u nifiées. iées.
Cinquième et sixième sections Le finale
Aux allures de gigue �. Aussi rapide rapi de que possible poss ible endiablée, ce dernier de � à � : �� volet de Messagesquisse est quisse est un véritable travail sur les masses. C’est en effet essentiellement les densités (nombres d’instruments, doublures…) qui préoccupent Boulez. Comme pour les sections précédentes, nous allons partir d’un schéma (page suivante) afin d’expliciter le plus clairement possible ce finale. Chaque petit rectangle correspond à une série de six sons joués extrêmement rapidement – Boulez demande aussi rapide que possible. possible. L’exemple �� reprend toute la section V. L’idée de travail sur les masses apparaît assez clairement dans la disposition graphique gr aphique proposée. proposée. Le viol v ioloncelle oncelle principal commence par énoncer seul une série de six sons. Il joue ensuite deux séries de six sons (symbolisées ici par un rectangle noir et un autre légèrement moins foncé) dont la première est jouée à l’identique par le premier violoncelle secondaire et la seconde à l’identique par les violoncelles secondaires � et �.
62
3 1 E L P M E X E
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
CINQUIÈME ET SIXIÈME SECTIONS
63
La troisième petite séquence amplifie le procédé puisque la densité du nombre d’instruments passe de � à � et ainsi de suite jusqu’à la densité maximale de la sixième séquence où la dernière série de six sons est jouée, toujours à l’l’iden identique, tique, par tous les inst instru ruments. ments. Chaque petite séquence (sauf la première) se voit accompagnée d’un soufflet qui indique l’augmentation de la dynamique. Autrement dit, la séquence � ira d’une dynamique faible (�) à une dynamique un rien plus forte (�) �. La troisième séquence de (�) à (�), etc. Le procédé mis en jeu fait que l’enveloppe dynamique donne comme résultat (�) à (�), (�) à (�), (�) à (�)… et que ces dynamiques sont en concordance avec le nombre d’instruments croissants qui, eux aussi, contribuent à l’augmentation sonore générale de cette section. Mais un deuxième phénomène acoustique apparaît par aît.. Grâce au retour du niveau n iveau (� (�) en début de chaque petite séquence, un rythme se dégage. Et ce rythme, étant de un groupe de six sons, puis de deux groupes, trois groupes, etc., nous donne à nouveau la sensation de la balle de ping-pong qui rebondit (ici en marche arrière). Bien que cette cinquième section ne soit pas à proprement parler un commentaire de la deuxième, le principe du rebondiss rebondissemen ementt crée ici un u n lien étroit ét roit entre entre ces deux sectio sect ions. ns. L’exemple suivant montre l’image globale du son générée par l’analyse d’un enregistrement. On �
Les chiffres entre parenthèses montrent une hiérarchie de la dynamique dyna mique allant al lant de � (la ( la plus faible) à � (la plus forte). forte).
64
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
y voit assez clairement les six petites vagues de cette cinquième section. EXEMPLE 14 ________________________________
La sixième et dernière section, qui s’enchaîne directement à la cinquième, poursuit son travail sur les masses, mais le procédé est quelque peu différent comme le montre l’exemple ��. Cette Cet te fois, tous tous les instru inst ruments ments sont sont présents présents durant dura nt les cinq premières séquences. La densité et les masses ne sont plus générées par le nombre d’instruments, mais bien par ce qui est joué par ces instruments. Si nous prenons la première séquence, composée de cinq petites séries de six sons, nous constatons que les six premiers sons (première colonne) sont joués à l’identique par tous les instruments. À la deuxième colonne, le violoncelle violoncelle principal pri ncipal – en compagnie des violo v ioloncelles ncelles secondaires � à � – joue une nouvelle série de six sons tandis tand is que les cinquième et sixième six ième violoncelles violoncelles seconse condaires dai res rejouent rejouent la série qu’ils venaient de faire fai re entendre. entendre.
CINQUIÈME ET SIXIÈME SECTIONS
5 1 E L P M E X E
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
65
66
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Nous sommes passés d’une densité � (nombre de sons différents joués simultanément) à une densité �. À la troisième colonne, la densité est de �, etc. Pour chaque petite séquence dans cet exemple, un rectangle symbolise symboli se une série de six sons. Les violo v ioloncelles ncelles secondaires dai res � et � jouero joueront nt donc donc cinq fois la même chose. On dit dans da ns notre jargon musical qu’ils qu’i ls sont « gelés ». ». Comme le schéma le montre, montre, la deuxième deu xième séquence réalise réali se quatre parcours de six notes notes allant al lant d’une densité densité � à une densité �, la troisième séquence trois parcours, etc. La L a balle bal le de ping-pong rebondit rebondit donc à nouveau. nouveau. Enfin, la dernière séquence de notre exemple montre un retour d’une densité croissante qui joue à la fois sur la densité du nombre d’instruments, mais également sur la densité du nombre de sons différents entendus simultanément, sorte de synthèse des deux procédés entendus juste avant �. La pièce se terminera par un dernier geste geste fulgura fu lgurant nt où tous tous les instrumen instr uments ts sont présents. �. Aussi rapide rapid e que possible possi ble
à part partir ir de � : ��
�
Les deux derniers exemples proposés ci-dessus étaient,
Les lettres let tres S.P. S.P. (sul (sul ponticello) ponticello) et Or. (ordinaire ou jeu normal) sont en rapport avec des modes de jeux. Sul ponticello ponticello veut dire que l’archet est très proche du chevalet, engendrant de la sorte une altération du son – le son est en quelque sorte plus « grinçant ». Ces entrées sul ponticello ponticello mettent en évidence chaque entrée des violoncelles secondaires et accentuent par la même occasion l’effet de spatialisation spatiali sation du son.
CINQUIÈME ET SIXIÈME SECTIONS
67
lors de la conférence conférence donnée le � mai ����, en couleurs. couleu rs. La polychromie de ces exemp exemples, les, conjugués au côté tellement « plastique » des masses sonores, nous avait conduit cond uit à faire un rappr rapprochemen ochementt avec l’l ’œuvre de Paul Klee dont on sait combien Pierre Boulez admire le tra vail.l. vai Afin de commenter le rapprochement possible avec le travail de Paul Klee, nous proposons une de ses œuvres : Rhythmisches : Rhythmisches,, Paul Klee, K lee, ���� (page suivante suiva nte). ). Entièrement composée de quadrilatères allant du rectangle vers le carré en passant par le parallélogramme, cette toile est extraordinairement rythmée. Mais ce rythme n’est pas régulier. Non seulement les droites délimitant les formes ne sont pas régulières, mais les formes elles-mêmes n’ont pas la même dimension. Certaines couleurs sont également plus vives ou s’i s’interpénètrent nterpénètrent et la distorsion des formes, associée aux distorsions des couleurs, va même jusqu’à donner donner,, à cert certai ains ns endroits, une sensation de profondeur de champ. Bref, cette toile vit. Elle est en mouvement. Dans les deux dernières sections de Messagesquisse,, les doublures (jouer à l’identique), les Messagesquisse textures (les masses), les différentes voix qui se superposent et les dynamiques changeantes peuvent être mises en rapport avec les « irrégularités » dont nous avons parlé dans la toile de Klee. Deux ou trois instruments jouant ensemble ne sont jamais, et en particulier lorsque le compositeur demande de jouer le vite plus possible, tout à fait ensemble. Chaque musicien a également son coup d’archet, une pression différente
68
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Paul Pa ul Klee, Kle e, Rhythmisches Rhythmisches,, 1930. Paris, Musée national d’Art moderne – Centre Pompidou. Inv. AM 1984-356. ©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN – Grand Palais / Bertrand Prévost.
CINQUIÈME ET SIXIÈME SECTIONS
69
sur les cordes, son geste, sa sonorité, etc. Et c’est précisément ces imperfections qui, entre autres, donnent vie aux masses. Ces dif différen férences, ces, aussi mini m inimes mes soientsoientelles, créent un champ sonore tout particulier.
La perception : perception : proposition de quelques pistes d’écoute en guise de conclusion
Arrivé au terme de ce parcours analytique , analytique , nous voudrions terminer notre pro propos pos en revenant à la globalité de l’œuvre afin d’envisager, à la lumière du parcours analytique effectué, la perception plus générale de celle-ci – perception qui, inévitablement, fera preuve d’une certaine subjectivité. En effet, malgré les processus compositionnels démontrés ici et l’écoute locale qui peut en découler, il y a aussi, dans l’écriture de Messagesquisse Messagesquisse,, un projet global. Nous dirions même une stratégie compositionnelle ayant pour mission de nous inviter à écouter tantôt le détail, détai l, tantôt la globalité, voire même de passer rapidement de l’un à l’autre ou encore de se trouver à mi-chemin entre ces deux dimensions d’écoute. De plus, comme nous l’avons laissé entendre à quelques reprises, les processus mis en œuvre peuvent, eux aussi, à certains moments, être perçus. Ainsi, lors des premiers instants de la section inaugurale, Boulez semble nous proposer d’écouter le détail, à savoir l ’exposé de chaque note (lettre (let tre)) du nom de Paul Sacher
72
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
au violoncelle principal ainsi que la mise en mémoire de chacune d’elles par les violoncelles secondaires. À la lumière de l’analyse que nous avons proposée, nous pourrions même avancer que le processus compositionnel est non seulement compris, mais qu’il est également perceptible auditivemen auditivement.t. Cependant, avant d’aller plus loin, il nous faut prendre quelques précautions, car parler de perception n’est pas chose aisée puisque, c’est évident, nous n’avons pas tous les mêmes oreilles, ni le même bagage musical et les mêmes références. Certains auditeurs sont plus plus sensibles au au timbr ti mbre, e, d’ d ’autres au ryth ry thme me ou aux textures, etc. De plus, une écoute précédée de l’éclairage analytique tel que nous l’avons présenté ici, est sensiblement sensible ment différe dif férente nte d’ d ’une premièr premièree audition audit ion vierge de toute information. Le lecteur lecteu r nous excusera don doncc du côté quelque peu « dirigiste » qui lui sera proposé ici. Et bien que les suggestions d’écoutes qui vont suivre soient intimement liées à l’analyse ci-dessus, il nous excusera également, nous l’espérons, de l’inévitable subjectivité de notre perception. Il y a donc, par rapport à la perception, plusieurs types d’écoutes possibles. D’abord celle du déroulement général du discours musical, musica l, sans nul nu l doute la plus plus importante porta nte et qui peut, grâce, gr âce, entre autres, à la complexité complexité de l’écriture, nous faire entendre l’œuvre de diverses manières. Ensuite, une fois les informations analytiques données, nous sommes également en mesure de pouvoir percevoir un certain nombre de processus –
73
LA PERCEPTION
ceux-ci demandant, cela va de soi, une écoute extrêmement ciblée. Si, comme lors des premiers instants de l’œuvre, processus et discours rhétorique sont intimement liés, à d’autres moments ces processus ne font qu’agir de manière souterraine et ne sont pas, nous semble-t-il, destinés à être êt re perçus. perçus. Afin de saisir cette dimension tellement importante dans Messagesquisse dans Messagesquisse,, et plus particulièrement celle du passage de l’écoute du détail vers celle de la globalité, nous proposons un dernier der nier exemple. EXEMPLE 16 ________________________________
Nous avons avons placé trois t rois niveaux de perception : celui du détail et du global, ainsi qu’un niveau intermédiaire.
74
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Les flèches au-dessus et au-dessous des cadres proposent, grossièrement, une trajectoire générale pour chacune des sections. Ainsi, la première section va d’une organisation où le détail est très perceptible – la première séquence durant laquelle Boulez expose les six lettres du nom de Sacher – vers une perception plus globale. Une fois les six premiers sons exposés et le léger frémissement qui ensuite les anime, l’écriture de cette première section de l’œuvre vise à nous faire passer progressivement d’un état à un autre. Cette transformation du paysage sonore, due à l’accumulation d’informations, mais également éga lement à l’accélér l’accélération ation du tempo et au renforcement progressif de la dynamique, engendre une tension très perceptible. Celle-ci ne se résorbera par petits paliers qu’au moment de la septième et dernière séquence où les violoncelles secondaires et le principal énoncent, dans une enveloppe dynamique qui décroît progressi vement,t, les lettres vemen lett res du nom nom de Sacher en morse. Nous pourrions donc entendre toute cette section non pas comme la concaténation de sept petites séquences, mais bien comme une structure tripartite. La première séquence pouvant être comprise comme une exposition du matériau de base, les cinq suivantes comme un développement de celui-ci – développement qui s’égraine, nous l’avons dit, sous la forme d’une tension toujours croissante – et, enfin, la septième et dernière séquence comme la conclusion conclusion de de la section. sect ion. Mais cette cet te proposition d’organisation formelle n’est pas la seule
LA PERCEPTION
75
possible pour l’écoute. En effet, le statut de la première séquence, tellement singulière et claire, fait qu’elle peut être perçue comme véritablement autonome. En revanche, les six séquences qui suivent et qui s’enchaînent l’une à l’autre peuvent se percevoir comme extrêmement unifiées. Ainsi, nous pourrions entendre toute cette première section non pas comme une organisation tripartite, mais bien comme une structure bipartite. Bref, plusieurs lectures formelles sont possibles pour cette section qui s’organise malgré tout, au-delà des deux segmentations proposées et donc de la pluralité plural ité des écoutes, avec un u n début, un déplo déploiemen iementt et une fin. Et si nous insistons sur l’idée de début, de déploiement et de fin, c’est que, comme nous allons le voir plus loin, toutes les sect sections ions de Messagesquisse de Messagesquisse ne s’articulent pas de cette manière. Dès les premiers premiers instants insta nts de la deux deuxième ième section, la fréquence et surtout sur tout la proxi proximité mité des accents font que nous pouvons, en partie, appréhender le processus d’écriture. tu re. Mais Mai s plus les accents s’éloignent s’ éloignent (de (de � à �, à ��), ��), plus plus Boulez semble vouloir nous faire perdre pied. De plus, comme nous l’avons montré plus haut, si l’écriture des violoncelles secondaires est, à cert certain ainss mome moments, nts, au service de la compréhension des rebondissements du violoncelle principal, à d ’autres mom moments ents du texte ils auront pour mission mis sion de nous les masquer. Notre Notre écoute peut donc voyager voyager sans san s cesse d ’une perception de relatif détail jusqu’à des moments où la globalité du son l’emporte. Il y a du reste, dans cette section (nous en
76
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
avons parlé plus haut), un côté extrêmement ludique pour l’écoute : j’entends, je n’entends plus, je devine… Encore une fois, cette écoute n’est pas la seule possible et nous nous permettons ici de livrer le commentaire d’un étudiant qui, en découvrant Messagesquisse découvrant Messagesquisse,, nous faisait part de son étonnement de voir combien Pierre Boulez était, dans cette deuxième section, influencé par le jazz… Mais pourquoi le jazz ? Les accents ainsi que la vitesse d’exécution et l’énergie générale de l’enregistrement que nous avions écouté, faisaient que pour cet étudiant, ni l’organisation des accents (pourtant tellement méthodique), ni les polarités entendues au violoncelle principal, ne focalisaient son attention. Pour lui, ce qui était frappant, c’était essentiellement « le groove » qui se dégageait de cette musique. Groove engendré par, nous le citons : « … l’imprévisibilité l’ imprévisibilité des des accents accents et l’énergie l ’énergie des breaks » breaks » – les breaks étant, pour le jeune étudiant en question, ce que nous avons baptisé plus haut « salles d’attente ». Une fois l’analyse réalisée, l’étudiant amateur de jazz s’est mis à écouter différemment cette deuxième section de Messagesquisse Messagesquisse,, mais sans pour autant, fort heureusement, faire table rase de ses premières impressio impressions. ns. Contrairement à la première section, cette deuxième partie de Messagesquisse Messagesquisse peut ne pas se comprendre comme une structure musicale ayant un début, un déploiement et une fin. Et de fait, il y a dans l’écriture de toute cette section une volonté de nous livrer une
LA PERCEPTION
77
globalité d’informations qui s’accumulent et qui font qu’il est difficile, voire même impossible, de présager de la fin de celle-ci. Boulez nous livre ici un long ruban sonore qui, ne sachant comment se terminer, finit par s’interrompre brusquement avant avant de s’enchaîner s’enchaîner à la sect s ection ion suivante. Cette deuxième section se distingue donc de la première non seulement par son climat général, son énergie, etc., mais aussi par le processus formel de composition. En comparant les deux premières sections, sect ions, nous nous dirions di rions que la premièr premièree est une structu str ucture re musicale autonome (avec un début, un déploiement et une fin), tandis que la deuxième nous apparaît comme en devenir permanen perma nent.t. Mais Mai s alors, comment conti continuer nuer ou terminer ? Boulez, une fois le dernier geste de la deuxième section entendu (la coda) et après un bref silence, fait entrer la troisième section, celle que nous avons appelée aussi transition. Celle-ci peut être comprise non seulement comme une transition destinée à préparer l’arrivée de la quatrième section, mais elle peut également être interprétée comme une grande déconstruction, voire même comme une grande conclusion concl usion de la deuxième deux ième section. Nous pourrions pourr ions dès lors comprendre ces deuxième et troisième sections comme une seule et grande entité, et ce, malgré les processus compositionnels compositionnels qui les disting dist inguent. uent. Ces différentes interprétations nous montrent aussi combien les deuxième et troisième sections sont intimement liées. Elles sont liées non seulement sur le plan de la
78
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
perception, mais aussi, comme nous l’avons montré plus haut lors de l’analyse détaillée, sur le plan proprementt compositionnel. De la même manière que lors de men la première section, l’écriture de Boulez nous suggère une liberté d’écou d’ écoute. te. Mais quelle que soit la manière dont nous comprenons la segmentation et donc la forme, cette troisième partie a de toute évidence pour mission de ramener progressivement le calme et de nous conduire au seuil de la quatrième quatr ième section sect ion (la cadence) cadence) qui, tout comme la premièree section, premièr sec tion, est très t rès lisible sur le plan formel. En effet, ef fet, comme nous l’avons l’avons dévoilé lors de de l’l ’ana analyse lyse détaillée, le texte musical de ce quatrième volet est organisé de manière très lisibl l isiblee par Pierre Boulez. Cette Cet te grande gra nde cadence du soliste propose propose un dépl déploieoiement du discours en deux moments bien distincts qui s’alternent. L’un, celui qui accélère et s’amplifie progressivement, est construit sous la forme d’une grande continuité con tinuité de tension – un peu à l’i l ’image mage des séquences � à � de la première section. L’autre, qui agit comme de petites incises venant interrompre la progression du premier, est, quant à lui, pratiquement dépourvu de tension. tensi on. Cette Cet te alternance a lternance entre ces deux deu x évolutions évolutions bien distinctes a conduit Antoine Bonnet à baptiser cette section « Antiphonie » �. Comme lors de la première section, nous avons à nouveau une musique qui s’organise avec un début, un déploiement et une conclusion. �
Forme musicale musicale typique t ypique de la liturgie chrétienne, chrét ienne, l’antiphonie l’antiphonie est le fait de chanter une mélodie en alternance par deux chœurs.
LA PERCEPTION
79
L’aspect conclusif de cette section est très marqué. Il est engendré à la fois par une nuance générale assez faible ( piano ( piano), ), mais mais aussi par l’extrême ralentissement final. C’est un peu comme si la raréfaction progressive de la matière, ou sa désagrégation si l’on préfère, ne pouvait que nous conduire, inexorablement, au long silence qui précède l’l ’avant avant-dernière -dernière section. sec tion. Nous voudrions, avant de parler du finale, dire quelques mots à propos de ce silence qui s’avère être non seulement le plus long mais aussi, nous semble-t-il, un des plus intenses de l’ l ’œuvre �. intenses de Comment agit ce silence sur notre écoute ? L’entendons-nous comme un moment d’apaisement, comme une grande respiration ? L’entendons-nous, au contraire, comme une tension – un peu comme si nous retenions notre souffle afin de nous préparer au grand orage final ? Et pourquoi pas les deux énergies ? Car, en effet, ce long silence pourrait être perçu comme apaisant dans un premier temps et se transformer progressivement, par le vide qu’il crée, en une grande gra nde tension. Bref, Bref, quelle fon fonct ction ion pouvons-nous pouvons-nous lui attribuer � ? �
Signalons au passage, sans pouvoir entrer dans le détail, que ne comporte que très peu de silences. Messagesqui Messag esquisse sse ne
�
Cet aspect du rôle fonctionnel d’un silence est une chose passionnante mais difficile à discuter longuement dans le cadre de cette contribution. Mais quel que soit le sens que nous voudrons bien lui donner ici, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la manière dont les musiciens vont faire vivre cette absence de son risque d’ d ’avoir un impact sur su r notre perception.
80
MESSAGESQUISSE DE PIERRE BOULEZ
Ce qui est certai cer tain, n, c’est c’est que, sur le plan rhétorique, il prépare efficacement l’arrivée des sections suivantes : le finale. Messagesquisse se termine donc par un finale composé Messagesquisse se des deux dernières parties de l’œuvre qui, nous l’avons déjà signalé, sont extrêmement unifiées. C’est, ici, le timbre ainsi que la notion de masse et de volume qui semblent intéresser le compositeur. Tout comme dans la deuxième section, Pierre Boulez écrit une u ne musique musique qui se déploie comme un long ruban sonore. Le nombre d’informations, cumulé à la vitesse et aux masses sonor sonores es changeantes, cha ngeantes, font font que les processus, bien que très systématiques comme nous l’ l ’avo avons ns vu vu lors de l’analyse détaillée, ne sont que peu, voire pratiquementt pas perceptibles. C’est quemen C’est manifestement, ma nifestement, durant dura nt tout ce finale, la globalité de l’écoute qui l’emporte. De la même manière que lors de la deuxième section, rien ne semble nous annoncer la fin du texte musical. C’est, ici aussi, et sans doute de manière encore plus prononcée, l’accumulation d’événements ainsi que la dynamique de plus en plus dense qui font que nous arrivons à une véritable saturation sonore. Mais alors, comment terminer ? En réalité, Boulez se trouve ici exactement dans la même situation que Stravinsky lors de l’écriture de l’introduction du Sacre du Printemps et Printemps et plus précisément au moment de la saturation sonore qui précède le retour de la phrase initiale du basson transposée un demi-ton plus bas. À ce moment de l’introduction,
LA PERCEPTION
81
Stravinsky arrive à un tel degré de tension et de saturation sonore que le seul moyen d’arrêter la musique est de l’interrompre brusquement. Un peu comme si on fermait un potentiomètre brusquement lors d’une écoute. Après cette rupture aussi brusque qu’inattendue et le très court silence qui suit, Messagesquisse suit, Messagesquisse se termine termi ne alors dans un dernier dern ier sursaut énergique énergique qui, par la légère accélération du tempo ainsi que la nuance extrêmement puissante générée par tous les violoncelles jouant triple forte, i l nous faut forte, semble nous dire : il maintenant conclure ! Qu’il me soit permis de conclure à mon tour en adressant adressa nt quelques remer remerciemen ciements. ts. Tout d’abord au Collège Belgique de m’avoir proposé ce cours qui, une fois passée l’appréhension de devoir m’adresser à des non-musiciens, est devenu non seulement un exercice assez passionnant mais aussi extrêmement enrichissant. Je dirais même que ce travail a été une source d’enseignement car, entre autres, la recherche de stratégies me permettant de faire comprendre l’artisanat mais aussi les écoutes possibles d’une œuvre sans utiliser les outils habituels de l’analyse, m’ont obligé à réécouter Messagesquisse autrement. Nul doute que cette expér expérience ience enrichissante enrichiss ante m’aura m’aura ouvert de nouveaux horizons. Je voudrais également remercier Pierre Bartholomée qui a pris non seulement le temps de relire ce
texte mais qui a également proposé certains aménagements judicieux. Merci à Arnould Massart pour sa relecture extrêmement minutieuse et qui par ses nombreux commentaires, a, lui aussi, contribué à la finalisation de ce projet. Enfin, merci à tous celles et ceux qui auront pris le temps de lire cette analyse qui, j’en suis bien conscient, n’est n’ est pas de tout repos mais qui, qu i, je l’l ’espère, aura éclairé écla iré le lecteur sur la genèse et la réalisation d’une œuvre.
Table des matières
Préface : À : À l’école l’ école d’un d ’un chef-d’œuvre
�
Introduction
��
Petit portr portrait ait de Pierre Boulez
��
Portrait général de Messagesquisse de Messagesquisse
��
ANAL ANA LYSE DÉTAI DÉTAILLÉ LLÉE E DE L’ŒUV ŒUVR RE Première sect section ion
��
Deuxième Deux ième sect section ion : la par partie tie de « ping-po ping-pong ng »
��
Troisièm roisièmee sect section ion : une tra transition nsition
��
Quatrième Quatr ième sect section ion : la cadence du soliste
��
Cinquième et six sixième ième sect sections ions : le fi finale nale
��
La perception : pro proposition position de quelques pistes d ’écoute en gu guise ise de concl conclusion usion
��
L’AUTEUR Jean-Marie Rens est compositeur et professeur d’analyse musicale au conservatoire royal de Liège. Il est l’auteur de plusieurs articles d’analyse publiés, entre autres, aux éditions Mardaga et l’Harmattan. Il publie également en ���� un ouvrage théorique « Comprendre les œuvres tonales par l’analyse » aux éditions Delatour France. Parmi sa discographie signalons deux CD monographiques qui reprennent des œuvres pour orchestre, chœur, musique de chambre et solistes (Cyprès-records). �. Discographie
CDs monographiques « Vibrations », Cyprès Cy près ������ �������� (���� (����). ). « Trace racess », Cy Cyprès près ������� (���� (����). ). Oct Octave ave de la musique contemporaine contem poraine en ����. Enregistrements divers « Espace E space – Temps Temps » pour grand gra nd orchest orchestre, re, Orchestre philharmonique de Liège. �� ans, ans, Cyprès Cy près ������� �� ����� (���� (����). « Zap » pour guitare, ����. Musiques Nouvelles. �� ans, ans , Cyprès ������� (����). « Tourel ourelle le », Jazz Jaz z (Phil (Philip ip Cather C atherine ine et Charle Charless Loos), Igloo Ig loo ��� (����).
�. Bibliographie
Comprendre les œuvres tonales par l’analyse. De la première école viennoise à Schubert , Sampzon, Delatour France, ����. Solfède. La réglette du musicien, musicien, s. l., Avogadro, ����.
Articles
« L’ana analyse lyse comme outil outi l de manipulation ma nipulation et de recherche. Bela B ela Bartok : le microkosmos et les duos de violons », in Les écritures musicales. Recherche et enseignements basés sur les pratiques compositionnelles,, Wavre, Mardaga, ����. compositionnelles « Quatuor à cordes de Pierre Bartholomée. Éléments d’analyse », in Pierre Bartholomée. Parcours d’un musicien, musicien, Wavre, Mardaga, ����. « Beetween two weaves. À propos de Victor Kissi Kissine ne », in Les carnets du forum des compositeurs, compositeurs, no� , Bruxelles, Conseil de la musique de la communauté française, frança ise, Wallonie-Bruxelles, Wallonie-Bruxelles , ����. ����. « Les valeurs véhiculées dans les systèmes de formation à l’enseignement : de la subjectivité et de l’objectivité », in Former à l’enseignement musical. Pratiques et problématiques évaluatives, évaluatives , Paris, L’Harmathan (coll. « Sciences de l’éducation musicale »), ����.