Qui est psychopathe ? (Journée d’étude du 8 du 8 juin 2001)
Violence, crise de la famille, banlieues et cités difficiles sont dans l’air du temps. Outre la sociologie naïve, idéologiquement pesante, que ces thèmes ne manquent pas d’importer dans les soucis des praticiens de la santé mentale, à leur corps défendant, ils les éloignent de la clinique qui est leur champ de compétence propre, et, peut-être, peut-être, l’émoussent l’émoussent ou la déforment. Aussi proposons-nous proposonsnous de remettre sur le tapis la question controversée de l’existence d’une catégorie d’usage banal en psychiatrie, le « psychopathe « psychopathe ». Redouté, car réputé agressif, incurable et d’intérêt humain médiocre, est pourtant décrit de façon relativement confuse, voire contradictoire, mais constamment sinistre. Soit c’est la personnalité narcissique, intolérante à la frustration, tantôt paranoïaque, tantôt perverse, dont le comportement antisocial systématique nous sollicite comme les agents d’une médicalisation policière de la déviance; soit c’est le personnage vide, à la limite de la débilité, plus asocial qu’antisocial, dont les décharges de violence physique imprévisibles défient la prise en charge thérapeutique comme la moindre mesure d’accompagnement social; et c’est parfois les deux. Toxicomanie, casier judiciaire, parents rejetants, éducation ruinée, clochardisation sont la toile de fond de ce tableau. A part l’angoisse, bien peu spécifique au demeurant, mais toujours attestée, la psychopathie est sans relief clinique. L’apparition de filles psychopathes mérite un peu de réflexion, néanmoins. Faut-il alors accepter qu’elle devienne un diagnostic fourre-tout, Faut-il fourre -tout, purement stigmatisant, alors qu’elle figure en toutes lettres dans des observations médicales qui impliquent par exemple l’hospitalisation avec son cortège d’obligations et de responsabilités? Peut-on Peut-on préciser de quoi on parle, et dire qui est psychopathe? Y a-t-il une structure de la psychopathie? Est-ce une position du sujet devant autrui, au sens de la psychanalyse, régie par une économie psychique (et forcément aussi sociale, dans ce cas précis) identifiable? Devons-nous traiter la psychopathie comme un comportement, non significatif en clinique, effet malheureux de la dégradation de la psychiatrie en gestion du malaise dans la civilisation (au lieu de la prison pour le délinquant, on aurait alors l’alternative du service fermé et des psychotropes légaux)? Pour déplier ces questions qui interrogent l’éthique de la psychiatrie, sa responsabilité sociale, mais aussi sa capacité à ne pas se laisser imposer des étiquettes diagnostiques de convenance par l’humeur du temps, nous invitons plusieurs praticiens et experts, sociologues, criminologues, psychiatres et psychanalystes à débattre des points suivants. •D’où vient la notion de « psychopathie « psychopathie »? Qui l’a inventée, dans quel but? Comment a-t-elle a-t-elle pris la relève de l’ l’ »imbécillité morale » des psychiatres du 19ème siècle? A-t-on changé de problématique, ou bien simplement de nom? •A certaines conditions, mais lesquelles, le passage à l’acte, tant craint, est -il indicateur d’une structure subjective sous-jacente, sous-jacente, que la simple conduite psychopathique objective tendrait à masquer? D’autant que bien des
adolescents connaissent aussi des phases chaotiques, apparemment psychopathiques, où la loi sous toutes ses formes est mise en question, et dont la plupart émergent sans dommage visible. •Perversion et psychose, border line, ces catégories permettent-elles de liquider l’illusion nosologique de la « psychopathie »? Ou bien ne sont-elles pas une fuite devant la réalité irréductiblement sociale, et peut-être politique du phénomène? Et que nous disent au juste les sociologues sur ces phénomènes? •A quoi tient enfin l’incurabilité des psychopathes? Car il est notoire qu’ils utilisent les institutions de soin, mais ne s’y soignent pas. Mais est-il vraiment sûr qu’aucun n’évolue favorablement? Dans quelles institutions et de quelle manière, alors? Que faire? De notre journée de juin 2001 est ressorti moins le tableau confus que nous redoutions (avec la conclusion absurde: « la psychopathie n’existe pas, donc il n’y a pas de psychopathes! »), que la juxtaposition de plusieurs tableaux différents. On ne voit plus guère le « psychopathe » de la tradition allemande, escroc haut en couleur, cyniquement immoral. Mais peut-être s’est-il fondu dans le décor d’une société où règne l’impératif: « Ne réfléchissez pas, passez à l’action! », et qui fait l’éloge des apparences les plus superficielles du succès. En revanche, chez les criminels sexuels sous les feux des médias, les thèmes de la psychose et de la perversion sont au premier plan. Question classique : y a-t-il des étayages pervers dans la psychose? Les criminels auxquels chacun pense ne sont-ils pas des psychotiques non-décompensés? Cela doit-il influer sur leur traitement, exclusivement pénal aujourd’hui, malgré les réserves de quelques experts psychiatres? Mais qui veut « soigner » un pédophile égorgeur d’enfants ou un tueur en série?
Surtout, peut-on considérer ces « psychopathes »-là comme les grossissements monstrueux mais révélateurs d’une psychopathie plus diffuse: celle de délinquants aux troubles plus fugaces, narcissiques ou « border-line », souvent toxicomanes, rebelles en tous cas à toute insertion institutionnelle qui ne sert pas leur satisfaction immédiate, évidemment plus communs dans nos services? Et ces psychopathes, héritiers de l’ »imbécillité morale » du 19ème siècle, chez qui une quasi débilité transforme l’action en impulsion dangereuse, et qui n’ont aucun souci de séduire? Ne faut-il pas soulever, à nouveaux frais, la question des liens entre débilité, perversion et psychose? Comme on voit donc, la clinique est sommée de s’aligner sur une échelle du mal et du crime: faut-il alors fabriquer une structure psychopathique pour répondre à l’exigence sociale de médicaliser les déviants? Leur jeunesse ou l’irrationalité destructrice de leur conduite doit-elle les amener au psychiatre un peu comme s’il fallait retarder l’étape ultime de l’incarcération? Cette journée se propose de relever le défi de la prise en charge de ces psychopathes « ordinaires ». Cela pose deux grands problèmes. 1.On l’a souligné, cette prise en charge dicte depuis longtemps la catégorisation des psychopathes. Dans les époques où un vent progressiste gonflait les voiles de la psychiatrie, des éducateurs politiquement motivés se faisaient fort de
rectifier le rapport au social de la jeunesse déboussolée. Cette époque, qui avait ses naïvetés, est passée. Car la prise en charge collective des premières déviances n’étant plus à l’ordre du jour budgétaire, on recueille dans les services des individus depuis longtemps en rupture avec tout. La pente à individualiser le mal social comme fondamentalement lié un trouble psychique spécifique reprend ainsi indûment l’avantage. Des responsables politiques se défaussent en invoquant un jargon psychiatrique de circonstance – alors que les jeunes délinquants, mettent à l’écart les plus violents d’entre eux : ils menacent la sécurité de la bande. Comment critiquer ces distorsions intéressées de l’idée de « conduite anti-sociale »? 2.Mais si elle doit éviter de servir de police mentale, la psychiatrie doit aussi proposer quelque chose. Il ne sert à rien de détruire l’illusion d’une unité de la psychopathie si c’est pour refuser de réfléchir aux soins à donner aux entités multiples dans laquelle on la démembre, et qui toutes enveloppent un rapport déterminé à la violence. Pour continuer nos réflexions sur ce thème nous avons donc choisi de poser aux intervenants de cette seconde journée plusieurs questions: •L’exemple canadien est constant: voilà un pays où presque toute conduite socialement déviante (de la violence conjugale au vol à l’étalage, mais tout aussi bien les crimes sexuels) mérite l’attention des psychothérapeutes. La « conduite anti-sociale » y est traitée sous toutes ses formes, avec des moyens financiers considérables. Quand on médicalise au maximum la gestion de la violence sociale, qu’en ressort-il? L’expérience canadienne nous offre-t-elle des pistes? Peut-on la caricaturer comme une pure et simple dénégation de la violence sociale qui se sert de la santé mentale pour normaliser tout conflit? •De quelle marge de manoeuvre dispose-t-on quand le psychopathe est incarcéré? Y a-t-il alors une possibilité de suivi psychothérapeutique? •La psychanalyse joue un rôle crucial pour défaire l’illusion nosographique de la psychopathie: on ne peut pas déduire une structure d’un simple passage à l’acte. Par lui-même, ce passage à l’acte ne dit rien. Mais ne peut-on pas examiner systématiquement les effets psychiques de la désaffiliation? Peut-on caractériser une « réponse psychopathique » à certaines crises qui touchent à des âges particuliers des individus d’origine et de trajectoire familiale précises? Cela n’implique-t-il pas des prises en charge précoces? Lesquelles? •Si l’on défait enfin l’illusion de la structure psychopathique, comment s’adresser spécialement à la violence extrême, au défaut notoire d’élaboration mentale et à l’absence de culpabilité dans des structures peut-être plus traditionnelles, mais que la dureté de la vie sociale peut très tôt mettre en tension? Ebauches de psychose, ébauches de perversion, carences affectives et engrenage toxicomaniaque sont monnaie courante. Pour autant, que faire? Et comment en évaluer l’efficacité et la pertinence de ce qu’on fait, si l’on se refuse à servir un quelconque ordre moral? Est-ce un succès psychologique que de normaliser les déviants? Si on se pose effectivement la question de soigner les psychopathes, dans quelle direction va-t-on orienter le traitement, qui ne soit pas uniquement de servir les intérêts de la société, mais d’aider un sujet à se frayer un chemin à lui? •Que penser enfin du fait statistique frappant que les psychopathes se rangent, vers la quarantaine? Ce fait dénonce-t-il des illusions de thérapeutique (de toutes façons, les conduites psychopathiques auraient une trajectoire à elle et se résorberaient toutes seules en fonction de leur
dynamique interne, quoi qu’on s’imagine faire)? Est-ce que les malheurs (prison, misère, etc.) jouent un rôle dans cet amendement tardif? Ou garde-t-il des cicatrices psychiques particulières, et lesquelles, de sa trajectoire?