Limitations du choix de l’angle de frottement pour le critère de plasticité de Drucker-Prager Drucker-Prager Jacques Desrues Laboratoire Laboratoire 3S (CNRS - INPG - UJF) B.P. B.P. 53 F-38041 Grenoble cedex 9
[email protected] [email protected] RÉSUMÉ. Le modèle de Drucker-Prager est très répandu dans les codes de modélisation numé-
rique aux éléments finis, en particulier ceux qui visent des applications à la géomécanique et à la géotechnique. En effet, ce modèle représente une première approche simple du comportement des milieux à frottement interne, cohérents ou non (sols, roches, mais aussi poudres et matériaux granulaires divers). Cependant, ce modèle ne doit pas être utilisé sans certaines précautions cautions concernant concernant le choix de l’angle de frottement. frottement. Ces limitations limitations ne sont pas nouvelles, nouvelles, mais elles paraissent un peu méconnues, et une certaine confusion est parfois constatée sur le cas des milieux granulaires avec cohésion. Drucker-Prager model is available in most finite element codes used in civil engi ABSTRACT. ABSTRACT. Drucker-Prager neering field, especially those devoted more specifically to geotechnical applications. Indeed, this model is a simple first idealization idealization of the behaviour of frictional-c frictional-cohesiv ohesivee materials, materials, like soils, rocks, and other granular materials. However, However, this model must be used with wit h care with respect to the choice of the friction angle. The paper presents a discussion of the validity domain for this parameter, parameter, in the context of bot h purely frictional and cohesive-frictional materials. MOTS-CLÉS MOTS-CLÉS : loi de comportement, critère de plasticité, modélisation numérique, géotechnique, géomécanique. KEYWORDS: Constitutive model, plasticity criterion, numerical modeling, geotechnical enginee-
ring, geomechanics.
RFGC - 6/2002. COSS’01, pages 853 à 862
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1. Introduction
Le critère de Drucker-Prager est une généralisation du critère de von Misès pour les matériaux à frottement interne ([DRU 52]). La surface représentant le critère de von Misès est un cylindre parallèle à la trisectrice de l’espace des contraintes principales, et celle représentant le critère de Drucker-Prager est un cône à section circulaire admettant le même axe pour axe de symétrie (figure 1). Ainsi le déviateur admissible pour un état de contrainte dépend de la contrainte moyenne, ou en d’autres mots du premier invariant de cet état, ce qui est caractéristique de la notion de frottement. Le critère de Drucker-Prager est une première option simple pour qui veut modéliser des matériaux à frottement interne; en effet, la symétrie de révolution de la surface offre certaines facilités d’implémentation numérique notamment. Ce modèle est un standard qu’on trouve dans pratiquement tous les codes de calcul aux Éléments Finis, comme par exemple ABAQUS, ANSYS, CASTEM 2000. . . Cependant, il faut prendre garde aux limites de validité du critère par rapport au choix des angles de frottement. C’est la question qui est discutée dans cet article.
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F IG . 1 Critère de Drucker-Prager dans l’espace des contraintes principales
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2. Limites de validité du critère
En effet, n’importe quel cône n’est pas admissible physiquement pour représenter un matériau frottant : à partir d’un certain angle au sommet, le cône centré sur la trisectrice intersecte les plans de coordonnées principales et le critère admet alors des tractions. Cette situation est illustrée par la figure 2, dans laquelle les zones grisées traversent les plans définis par σk = 0, k =1,3 avec σ1 , σ2 , σ3 les contraintes principales. Clairement, cette situation n’est pas acceptable physiquement pour des milieux pulvérulents, c’est-à-dire complètement dépourvus de cohésion : ils ne sauraient supporter des tractions. On peut penser que ceci n’est choquant que pour des matériaux pulvérulentscomme les sables ou les graviers, mais devient physiquement admissible pour représenter des matériaux cohérents et frottants à la fois. En fait cet argument n’est pas valide, car le propre d’un matériau cohérent est de présenter une résistance au cisaillement à contrainte isotrope nulle ; alors que le critère obtenu pour un angle au sommet trop grand, tel que le cas illustré sur la figure 2, ne présente aucune résistance à σm = 0. Il est bien connu que la forme circulaire du critère de Drucker-Prager est assez mal adaptée pour représenter le comportement des milieux granulaires réels, qui se rapproche plutôt d’un critère de Mohr-Coulomb généralisé –comme l’a montré expérimentalement Lanier sur le triaxial vrai de Grenoble ([LAN 76, LAN 88]). Ces résultats comme ceux d’autres expérimentateurs (par exemple Lade [LAD 88]) indiquent qu’en réalité, les angles de frottement en compression triaxiale ϕ C et ϕE ne sont pas très différents, de quelques degrés au plus. La comparaison Drucker-Prager / Coulomb s’améliore cependant quand les angles de frottement sont très faibles (typiquement inférieurs à 20 degrés) car alors le critère de Mohr-Coulomb et le critère de DruckerPrager deviennent très proches. La médiocre pertinence du critère de Drucker-Prager aux grands angles de frottement est reconnue par de nombreux auteurs, par exemple Vermeer et de Borst [VER 84]. Mais l’existence d’une limitation intrinsèque de l’angle du cône est trop souvent ignorée par les utilisateurs de ce modèle. Il est vrai qu’elle n’a pas échappé à certains auteurs, par exemple Loret [LOR 86, p.156] qui évoque brièvement une condition en relation avec la cohésion ou Vardoulakis et Sulem [VAR 95, p.217], ou encore Barnichon dans sa thèse [BAR 98], qui présente en outre une discussion détaillée des conséquences rencontrées dans un calcul aux éléments finis lorsqu’on force cette limitation. Dans un article tiré de ces travaux, Barnichon et al. [BAR 99] font mention brièvement de la relation entre les angles de frottement dans le critère de Drucker-Prager. Mestat [MES 97] présente un tableau donnant l’expression des paramètres du critère de Drucker-Prager en fonction de ceux du critère de Mohr-Coulomb pour divers chemins de contrainte : chemin triaxial axisymétrique de compression, d’extension, déformation plane. En dépit de ces références, on peut considérer que l’existence d’une relation est trop rarement mise en valeur, entre l’angle au sommet du cône, l’angle de frottement interne au sens de Coulomb défini à partir d’essais de compression axisymétrique, et son corollaire défini à partir d’essais d’extension axisymétriques. En
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F IG . 2 Lorsque l’angle au sommet est trop grand, le cône intersecte le plan (σ2 , σ3 ) ,
ce qui n’est pas admissible puisque cela autoriserait des tractions en σ1 dans un milieu non cohérent (resp. (σ1 , σ3 ) , σ2 et (σ1 , σ2 ) , σ3 )
effet, la définition même du critère de Drucker-Prager impose, pour le matériau censé être représenté par ce modèle, une relation entre les angles de frottement de Coulomb en extension et en compression triaxiale, et l’angle au sommet du cône de DruckerPrager. Ces relations montrent, qu’à partir d’un certain angle au sommet du cône, on obtient des angles de Coulomb sans signification physique. On discute dans la suite ces relations, et les limitations qui en découlent dans le choix de l’angle de frottement.
3. Relations entre les angles de frottement
Soient σ 1 , σ 2 , σ 3 les contraintes principales d’un état de contrainte σ vérifiant le critère. Le premier invariant est : I σ = σ 1 + σ2 + σ3
et la contrainte moyenne est : σm =
I σ 3
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Dans l’espace des contraintes principales (figure 1), le premier invariant est direc−→ tement lié à la longueur de la projection du vecteur OS représentatif de σ , sur l’axe du cône, première trisectrice des axes : L =
√ 13 I
σ
Le rayon R de la surface peut se calculer par : R2 = S 2
2
−L
[1]
avec : S 2 = σ 12 + σ22 + σ32
et : L2 = 1/3 (σ1 + σ2 + σ3 )2
On utilisera le rayon réduit ¯r, défini par : r¯ =
R L
[2]
qui est la tangente du demi-angle au sommet du cône α : α = arctan(¯ r)
[3]
Dans le cas d’états de contrainte de compression axisymétrique, on a σ 1 = σA contrainte axiale majeure et σ 2 = σ 3 = σ l contrainte latérale mineure. En exprimant R et L en fonction de σ A et σl via [1], on montre que, dans le cas de la compression, r¯ s’écrit : r¯C =
√
2
(σA σl ) (σA + 2 σl )
−
[4]
Dans le casd’états de contrainte d’extension axisymétrique, on a σ1 = σa contrainte axiale mineure et σ2 = σ 3 = σ L contrainte latérale majeure. On a alors pour le rayon réduit ¯r : r¯E =
√
2
(σL σa ) (σa + 2 σL )
−
[5]
Les angles de frottement déduits respectivement de l’essai de compression axisymétrique et de l’essai d’extension axisymétrique sont définis dans le plan de Mohr, ils s’expriment respectivement par :
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sin ϕC =
σA σl σA + σl
−
et : sin ϕE =
−σ + σ a
L
σa + σL
d’où on déduit : r¯C =
√ 2sin ϕ 2 3 − sin ϕ
[6]
√ 2sin ϕ
[7]
C C
et : r¯E =
2
E
3 + sin ϕE
Comme la surface de Drucker-Prager a une section circulaire dans le plan déviatoire, on a nécessairement, pour les états de contrainte de compression et d’extension axisymétrique situés sur la surface r¯C = r¯E = r¯
d’où :
√ 2sin ϕ 2 3 − sin ϕ
C
=
√ 2sin ϕ
C
soit finalement : sin ϕE =
2
E
3 + sin ϕE
3sin ϕC 3 2 sin ϕC
−
La courbe de la figure 3 présente l’évolution de l’angle d’extension triaxiale en fonction de l’angle de compression, et illustre les limitations qui sont discutées ci-après. 4. Valeurs limites des angles de frottement
La limite supérieure admissible pour sin ϕE est évidemment 1, donc la limite supérieure admissible pour sin ϕC est donnée par : 3sin ϕC =1 3 2 sin ϕC
−
d’où : sin ϕC = 3/5
soit encore :
36, 8 degrés
ϕC
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F IG . 3 Evolution de sin ϕE en fonction de sin ϕC
√
On peut déduire aussi en utilisant [6] que r¯ = 2/2 , d’où pour le demi-angle au sommet du cône : α 35, 3 degrés Cet angle correspond au cas où le cône devient tangent aux plans (σ2 , σ3 ), (σ1 , σ3 ), (σ1 , σ2 ), (voir figure 2) ce qui se produit bien avant qu’il ne devienne tangent à l’axe σ1 car la trisectrice, bien qu’incluse dans le plan bisecteur défini par σ 2 = σ3 , n’est pas orientée à 45 degrés dans ce plan. On vérifie en considérant les états de contrainte correspondant à la génératrice du cône qui tangente le plan (ce sont des états d’exten√ sion axisymétrique) que ¯r = r¯E = 2/2 : il suffit de reporter σa = 0 dans l’équation [5]. Au-delà de l’angle au sommet critique, le cône permet des tractions axiales pour un milieu non cohérent, ce qui n’est pas admissible, comme on l’a discuté au paragraphe 1. 5. Cas des milieux cohérents et frottants
Dans le cas de milieux cohérents et frottant en même temps, la situation n’est pas différente dans son principe, la limitation sur l’angle du cône continue à s’appliquer. Le théorème des états correspondants, formulé par Caquot et Kerisel [CAQ 66, p.214],
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indique que "les conditions d’équilibre limite d’un milieu cohérent peuvent être calculées comme si le milieu était pulvérulent, de même forme, soumis aux mêmes forces extérieures et soumis de plus (à des) contraintes de compression H sur toute la surface extérieure" . Dans l’esprit des auteurs, H représente la moyenne des tractions internes exercées par l’eau adsorbée sur les feuillets d’argile. Cette proposition revient à ajouter virtuellement une contrainte isotrope H = c cotg(ϕ) à l’état de contrainte en tout point du domaine, c étant la cohésion et ϕ l’angle de frottement interne du matériau. Ceci peut se faire directement au niveau de la loi de comportement : ainsi, le milieu frottant cohérent sera représenté par un milieu frottant pur, soumis à un état de contrainte σ = σ + c cotg(ϕ) 1 . ∗
Le principe d’équivalence proposé peut être utilisé conjointement avec de nombreuses lois de comportement. Notons cependant que si l’angle de frottement de Coulomb ϕ est différent en compression et en extension axisymétrique, ou plus généralement lorsque cet angle dépend de l’angle de Lode – ce qui est le cas pour tous les critères autres que le critère de Mohr-Coulomb précisément –, alors la cohérence impose que la contrainte additionnelle H = c cotg(ϕ) 1 reste une constante. En particulier on devra vérifier la relation : cC cotg(ϕC ) = c E cotg(ϕE )
[8]
Revenant au cas des modèles utilisant un critère de Drucker-Prager, la limite établie plus haut concernant les angles de frottement admissibles devra être respectée de la même façon pour le matériau équivalent au sens du principe de Caquot, faute de quoi on mènerait des calculs avec un milieu non cohérent équivalent souffrant de l’inconsistance discutée au paragraphe 1. On peut s’en assurer en écrivant l’égalité exprimée par l’équation [8] pour le cas où l’angle au sommet du cône atteint la valeur de 35, 3 degrés discutée plus haut : on alors ϕ C = 36, 8 degrés et sin(ϕE ) = 1 soit ϕE = 90 degrés, ce qui donne à partir de [8] : cC cotg(ϕC ) = 0
avec cotg(ϕC ) = 0 d’où c C = 0. Ainsi la cohésion doit s’annuler lorsque le cône de Drucker-Prager atteint son ouverture maximale admissible. Au-delà de la limite, on ne peut plus rien dire puisque la relation sur les cohésions fait intervenir un angle de frottement ϕ E dont le sinus est supérieur à 1. Ceci revient à dire que la limitation discutée dans cet article s’impose à l’angle de frottement retenu pour le critère, que le milieu soit cohérent ou purement frottant. Cette conclusion rejoint celle d’une approche différente, aimablement communiquée par Philippe Mestat. L’approche de Mestat [MES 02] est basée sur l’écriture comparée des critères de Mohr-Coulomb et de Drucker-Prager, pour les états limites triaxiaux axisymétriques de compression et d’extension, avec cohésion. Comme dans notre discussion du paragraphe 3, il découle du rapprochement des cas de compression et d’extension une relation sur les angles de frottement (la même que la nôtre) et une autre relation sur les cohésions. Cette dernière conduit à la même conclusion, à savoir
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que dans le cas de l’angle au sommet limite 35, 3 degrés, nécessairement la cohésion C c doit être nulle. 6. Conclusion
Dans une simulation d’un problème aux limites, si le modèle de comportement pour le matériau utilise le critère de Drucker-Prager, un choix de paramètres tels que l’angle de frottement de compression triaxiale axisymétrique serait supérieur à 36, 8 degrés (ou le demi-angle du cône supérieur à 35, 3 degrés) conduira à prédire des tractions dans un milieu non cohérent, ce qui est clairement irréaliste. Dans un milieu cohérent, l’existence de tractions est admissible, aussi pourrait-on considérer que la restriction sur les angles ne s’applique plus. Cependant, on a montré ici que lorsque l’angle du cône tend vers la limite définie pour le milieu non cohérent, la cohésion admissible pour l’extension tend vers zéro. Au-delà de la limite, on ne peut plus rien dire, les angles de frottement n’étant plus définis. Dans ces conditions il paraît raisonnable de limiter l’usage du critère de Drucker-Prager, en milieu cohérent ou non, à des angles de frottement inférieurs aux limites énoncées. Remerciements L’auteur remercie Robert Charlier pour les discussions qui ont mené à cette réflexion, et aussi Jack Lanier, Gioacchino Viggiani, Claudio Tamagnini, ainsi que René Chambon et Denis Caillerie pour leurs remarques et leurs suggestions sur le présent texte, et enfin Philippe Mestat pour la communication personnelle [MES 02] tout à fait pertinente. 7. Bibliographie
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