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Biarritz, Bayonne, l’océan, la montagne, le rugby…
L’ESPRIT BASQUE vu par la presse étrangère
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Incroyable Pays basque ! A pied comme John Lichfield ou sur la crête des vagues comme Dan Poole, autre journaliste britannique, on en revient toujours fasciné. ◼ Au point d’en devenir lyrique, comme Horia Turcanu, du quotidien roumain Formula AS, qui parvient à percer le secret des Basques, ces Roumains qui s’ignorent ! ◼ Quant au quotidien El País, il entreprend une analyse minutieuse de l’“abertzalisme”, qui parvient enfin à compter dans l’échiquier politique basque.
PAYS BASQUE
Trois hommes en goguette Le correspondant en France de The Independent et deux de ses amis – un Français et un Américain – ont randonné pendant une semaine dans les environs de Saint-Jean-Pied-de-Port. Un régal. THE INDEPENDENT
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Londres
n Français, un Américain et un Anglais décident de faire une promenade. Non, ce n’est pas le début d’une blague, mais le commencement d’une charmante balade qu’ont entreprise trois quinquagénaires dans l’une des régions de France les moins connues – et aussi la moins française de toutes : le Pays basque. Hervé, formidable organisateur, a presque tout orchestré. Je m’étais contenté de choisir le lieu au hasard, mais mes deux amis étaient emballés. Le Pays basque français est sans doute l’un des meilleurs endroits au monde pour une randonnée pédestre. La partie occidentale des Pyrénées descend en pentes douces et verdoyantes vers le golfe de Gascogne (que les Anglo-Saxons s’entêtent à appeler la baie de Biscaye). De nombreuses collines basques sont aussi belles et dénudées que celles du centre du pays de Galles
▲ Vue du port
de pêche de Saint-Jean-de-Luz. Dessin de Cost pour Courrier International, Paris.
ou de mon Peak District natal [l’un des douze parcs nationaux d’Angleterre et du pays de Galles, situé au centre-nord de l’Angleterre, essentiellement sur le comté du Derbyshire], mais deux fois plus grandes. D’autres collines offrent les plus grandes forêts de hêtres d’Europe, et ce jusqu’à plus de 900 mètres. Certaines pentes, parsemées de massifs de bruyères et de fougères, auraient pu être transplantées du Yorkshire ou du Perthshire. Les fermes, villages et petites villes, avec leurs murs blancs, évoquent de petites localités mexicaines ou espagnoles. Les portes, les encadrements des fenêtres et les volets sont peints en rouge sang séché : une manière d’affirmer l’identité culturelle basque. Sur les coteaux, des troupeaux de brebis bloquent souvent les routes lorsqu’ils passent d’un pâturage à l’autre. Ces brebis produisent de la laine, mais aussi et surtout d’excellents fromages. Si les coteaux sont dénudés, c’est à cause des brebis : depuis des siècles, les éleveurs font brûler arbres, bruyères et fougères pour faire de la place à leurs troupeaux. Cette campagne magnifique – moitié Radnorshire, moitié Mexique – est traversée par des flots de pèlerins. Saint-Jean-Pied-de-Port, cette ville fortifiée du centre du Pays basque, est le point de ralliement principal pour les pèlerins qui passent la frontière entre la France et
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l’Espagne pour se rendre à Saint-Jacques-deCompostelle. Le matin de bonne heure, si l’on se poste au bord de la route qui descend en pente raide vers le sud depuis Saint-Jean, on voit grimper les pèlerins les uns derrière les autres, comme les Londoniens dans les escalators du métro. Certains sont jeunes ; la plupart ont la cinquantaine, voire bien plus. Il y a là des Français, des Italiens, des Néerlandais, des Allemands, quelques Britanniques. Et énormément de Japonais. Au Pays basque, sur n’importe quel autre sentier de randonnée, c’est bien le diable si vous croisez un autre promeneur ; sur la route de Compostelle, vous êtes emporté dans un flux migratoire ininterrompu. Le Pays basque français – dont la superficie représente près du septième de celle du Pays basque – est étonnamment vide. Les journées de marche entre deux hébergements auraient été trop longues, nous avait assuré Hervé. Nous avons donc établi notre “camp de base” dans un gîte, un peu au-dessus de Saint-Jean-Piedde-Port. A partir de là, nous nous sommes attaqués chaque jour à un périmètre différent. Chaque soir, en rentrant à Saint-Jean, nous avons essayé différentes tables, depuis un fast-food basque jusqu’à un restaurant étoilé au Guide Michelin. Des fossés culturels (sans gravité, le plus souvent) sont apparus au fil des randonnées et
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des haltes gastronomiques. Hervé, 56 ans, est un Parisien qui importe et exporte des papiers spéciaux. Il est aussi international qu’un Français peut l’être, mais foncièrement français et fier de l’être – autrement dit exigeant et prompt à la critique, en particulier sur le chapitre de la nourriture. Pendant son tour du monde, Mark, 54 ans, a vécu chez des Bochimans et nagé avec des requins. Cet homme de 2 mètres, d’une beauté remarquable, est un ancien médecin urgentiste du Maryland – une sorte d’Indiana Jones mâtiné de Dr Kildare. Aujourd’hui, il investit dans de petites sociétés médicales prometteuses et les accompagne dans leur développement. Après six années passées en France (hormis son tour du monde), il est devenu le plus européen et le plus raffiné des Américains, tout en restant le plus américain et le plus direct des Européens. Mark trouve Hervé trop exigeant avec la nourriture. Hervé, sans l’avouer expressément, trouve ses deux compagnons trop peu regardants, un trait qu’il juge typique des AngloSaxons. Mark dit à Hervé, qui fait la grimace en goûtant un café “sans âme” : “Tu pourrais attendre de quitter le restaurant pour faire cette tête. Aux Etats-Unis, on sort du restaurant, on fait la grimace après…” Acheter un sandwich au jambon pour le pique-nique est a priori une transaction simple. Pas pour Hervé : “Je voudrais du beurre dans mon sandwich, s’il vous plaît.” Le jeune boulanger : “Je ne peux pas vous mettre de beurre. C’est du jambon de Bayonne. Le beurre gâcherait le goût. Hervé :”Je veux quand même du beurre.” Le boulanger : “Vous
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avez des enfants ?” Hervé : “Oui.” Le boulanger : “Des filles ?” Hervé : “Oui.” Le boulanger : “Ça ne m’étonne pas, vous mangez trop de beurre.” Hervé a fini par avoir du beurre dans ses sandwichs. Nous avons accepté docilement ceux sans beurre, Mark et moi. Nous les avons mangés un peu plus tard à côté d’une cascade au cours de notre première balade, une expédition à la source de la Bidouze. Un vrai régal. UN TALUS PENTU AU MILIEU DE HÊTRES VIEUX DE DEUX SIÈCLES
A ce moment-là, nous étions perdus. La France compte 180 000 kilomètres de chemins de randonnée. C’est le chiffre officiel. Il y a environ 60 000 kilomètres de sentiers de grande randonnée (GR) et 40 000 kilomètres de sentiers de grande randonnée de pays (GRP). Quant aux chemins de petite randonnée (PR), leur longueur cumulée est officiellement de 78 857 kilomètres, mais ils couvrent sans doute en réalité plus de 160 000 kilomètres. Les pistes sont identifiées par des marques de peinture sur les arbres ou les rochers, des symboles indiquant les tournants ou les impasses. Les sentiers parcourant de longues distances (GR) sont signalés en rouge et blanc, ceux à caractère régional en rouge et jaune, et local en jaune, en orange ou en bleu. Mais ça, c’est la théorie. Dans la pratique, sur certains tronçons, chaque arbre vous dit où aller puis, soudain, plus rien : aucun signe, rune, indice... rien. En d’autres termes, les chemins français sont un microcosme de la France, mélange déroutant mais charmant de règles et d’absence de règles, de panneaux indicateurs et d’absence
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Renaissance
Même le très prestigieux New York Times est tombé sous le charme et remarque que, “si le clinquant est définitivement passé du côté de la French Riviera [Côte-d’Azur], Biarritz n’en a pas besoin”. Pourquoi ? “Parce que la côte basque est chic”, ce qui est beaucoup mieux, et surtout parce qu’elle “connaît une véritable renaissance”. Oubliée, l’aristocratique et orgueilleuse villégiature du XIXe siècle : “Aujourd’hui, les plages dorées de Biarritz sont fréquentées aussi bien par des beautés bronzées en sandales couture que par de jeunes surfers en tongs plastique.” Bien vu.
de panneaux indicateurs. Nous nous sommes perdus en partie parce qu’Hervé est français. Hervé aime à étudier intensément la carte avant de se mettre en route mais, après, il n’en fait qu’à sa tête. Après avoir escaladé péniblement un talus pentu au milieu de hêtres vieux de 200 ans, nous avons fini par trouver le vrai chemin qui mène à la source de la Bidouze. Les roches des Pyrénées occidentales changent aussi vite que le temps. Dans le massif où se situe le pic Etchecortia, surplombant la vallée de la Bidouze, c’est le royaume du calcaire. (Le parc de Peak District me revient encore une fois à l’esprit. La Bidouze disparaît sous terre pendant un temps, à l’image des rivières du pays calcaire du Peak.) Nous avons grimpé, avec difficulté, un chemin escarpé dans les bois. Au-dessus de nos têtes on voyait tournoyer dans les coins de ciel bleu des buses, des aigles et parfois un vautour, guettant l’agneau malade ou peut-être le marcheur ou le pèlerin avançant d’un pas lent. Enfin, à michemin, nous avons atteint une grande caverne. De l’intérieur jaillissait non pas un filet d’eau mais une rivière, dévalant la montagne en une tumultueuse cascade. Tous les cours d’eau devraient avoir une source comme celle-ci. Nous nous sommes installés dans la grotte, les eaux de la Bidouze s’écoulant à nos pieds. Nous scrutions dans la pénombre le ciel bleu et le sommet des hêtres, comme l’avaient certainement fait avant nous les hommes de CroMagnon. Pour notre deuxième randonnée, nous nous sommes enfoncés dans une contrée encore plus montagneuse, à l’est de Larrau, juste à la ▶
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dossier ▶ frontière avec l’Espagne. Après une épuisante
ascension sous la bruine, nous sommes tombés sur une terrifiante passerelle faite de cordes et de câbles (la passerelle d’Holzarté), suspendue entre deux montagnes : 67 mètres d’un bout à l’autre, à 152 mètres au-dessus du vide. “Laissez passer les Américains, ils adorent être pionniers”, a crié Hervé. Alors courageusement, je me suis élancé – le premier, pour paraître brave. Les yeux mi-clos, je fixais vaguement du regard l’autre berge. Le pont se balançait, légèrement, affreusement. Hervé a été le seul à marquer une pause et à regarder le précipice. “Si ma femme était ici, a-t-il prétendu, j’aurais pissé en bas rien que pour l’embêter… et pour voir le temps que ça prendrait pour parvenir jusqu’à la rivière. Je parie que je serais arrivé de l’autre côté avant que les premières gouttes ne touchent l’eau…” “PENDANT LA SAISON DE LA CHASSE, IMPOSSIBLE DE TROUVER UN ARTISAN”
Après une nouvelle montée et une agréable marche dans les forêts de hêtres, nous avons émergé sur le flanc d’un vallon herbeux dont la pente raide plonge directement dans la rivière, 500 mètres plus bas. Mark, l’homme qui avait nagé avec des requins, était impressionné par les étroits chemins de berger des collines basques. Moi aussi. “Aux Etats-Unis, a relevé Mark, nous avons de larges pistes. Rien de comparable à ça. Pas ce genre de corde raide accrochée à flanc de montagne.” Sur les monts de mon Peak District natal, nous avons bien d’étroits sentiers, mais rien qui ressemble à ceux des Pyrénées. Un ravin de 500 mètres recouvert d’herbe n’en reste pas moins un ravin de 500 mètres. Mark, au moins, avait le courage d’être le premier à avouer qu’il avait peur. Pour notre troisième randonnée, nous avons marché dans les traces des pèlerins de Compostelle pendant un moment, depuis Saint-Jean en direction du sud (après avoir pris la voiture pour atteindre le plateau frontalier). Moutons et chevaux, buses et vautours nous accompagnaient. Les pèlerins se dirigeaient lentement vers le sud par groupes généralement joyeux ou en couples généralement sérieux.
TRADITION
Dessin de Cost pour Courrier International, Paris.
Certains portaient le chapeau traditionnel, à larges bords, des pèlerins de Saint-Jacques-deCompostelle. D’autres arboraient, sur leur sac à dos, la coquille Saint-Jacques, emblématique de leur pérégrination. Comme nous n’étions pas pèlerins, nous avons quitté l’étroit sentier en ligne droite pour partir à la conquête de quelques sommets culminant à presque 100 mètres d’altitude audessus du plateau. Nous sommes tombés sur de nombreux murets en parpaing, non reliés entre eux et comportant des planches en bois vissés sur le sommet. Quelle en était l’utilité ? Pour protéger les pèlerinages du vent ? Pour servir de discret urinoir aux pèlerins ? Quelle délicatesse ! La fois suivante, notre expédition nous a amenés au pic des Escaliers, dans la belle forêt sauvage d’Iraty, un peu plus loin à l’est, où nous avons découvert l’utilité réelle des murets. Ici, ils étaient encore accolés aux vestiges de rudi-
L’ossau-iraty joue à saute-frontières
Comme la région elle-même, certaines spécialités du Pays basque se moquent de la frontière franco-espagnole. Notamment le “meilleur fromage du monde”.
a forêt d’Iraty serpente en amont de la rivière du même nom, dans la vallée de Salazar, en Navarre, et chevauche la frontière avec la France et deux autres vallées, celles d’Aezkoa et du Roncal, un nom qui fleure déjà bon le fromage. L’iraty n’a rien à envier à ce dernier, puisque l’ossau-iraty a été sacré l’année dernière meilleur fromage du monde lors des World Cheese Awards décernés à Londres. Mais il y a un hic : l’appellation d’origine de ce
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▲ A Bayonne.
délice fabriqué à partir de lait cru de brebis de la race manech [appelée en Espagne laxta] est enregistrée à Iparralde, autrement dit… au Pays basque français. Même si l’on produit de l’ossau-iraty des deux côtés des Pyrénées. La forêt d’Iraty est la plus vaste hêtraie d’Europe et n’est jamais plus belle qu’à l’automne, lorsque le rouge flamme des feuilles contraste avec le vert de la mousse qui couvre les troncs – spectacle plus magnifique encore si la neige blanchit déjà le sommet du pic d’Orhy (Ori en espagnol) qui culmine à 2 021 mètres. Dans un cadre pareil, rien d’étonnant à ce que le site le plus célèbre soit la chapelle de Nuestra Señora de las Nieves. De construction
récente, elle offre un superbe point de vue sur le barrage d’Irabia et constitue le point de départ de plusieurs sentiers de petite randonnée. Le plus accessible est celui dit de la Casa de los Sentidos (“Maison des sens”), qui fait une boucle et revient à son départ au bout de deux kilomètres. A l’orée de la forêt, une halte s’impose à Otxagabia, capitale de la vallée de Salazar, pour son église paroissiale fortifiée. Si c’est dans la partie française du Pays basque que se trouve la majorité des producteurs d’ossau-iraty, il y en a aussi de ce côté-ci des Pyrénées, tel Goenaga, à San Sebastián, dans le quartier d’Igara.
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La Vanguardia, Barcelone
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mentaires abris de chasse en bois. C’étaient des palombières, des postes d’affût où les chasseurs du coin pouvaient tirer sur les palombes qui traversaient la région par dizaines de milliers en octobre et en novembre. Mme Louisette, la châtelaine de notre chambre d’hôtes, s’avéra être une mine d’information, sur les palombes. “Pendant les deux mois que dure la saison de la chasse, il est impossible de trouver le moindre artisan dans tout le Pays basque. Pas un plombier, pas un menuisier, pas un maçon. Même si, à vrai dire, c’est toujours un peu comme ça.” Les Basques sont des gens charmants et passionnés qui parlent une langue ressemblant à une suite quasi ininterrompue de fautes de frappe. Mais ils ne sont pas toujours bien vifs, reconnaît Mme Louisette, une Basque d’origine ayant “émigré” en France avant de retourner au pays. “Bon nombre de concurrents dans d’autres pensions refusent des clients, non parce qu’ils n’ont pas de chambre mais parce qu’ils n’ont pas envie de se fatiguer ce jour-là, explique-t-elle. Alors, je leur dis : vous ne risquez pas l’arrêt cardiaque, vous !” Moralité : si le propriétaire d’une pension du Pays basque vous dit qu’il n’a pas de chambre, insistez toujours. Il finira peut-être par en trouver une. Le soir, nous avons testé, un par un, catégorie après catégorie, tous les restaurants de Saint-Jean-Pied-de-Port célébrant la cuisine basque, un mélange d’influences françaises et espagnoles et de produits de la mer et de la montagne. Ce fut une déception. En réalité, Mark et moi nous disions poliment satisfaits tandis qu’Hervé affichait une mine dépitée. A propos du restaurant Arrambide, une étoile au Michelin, Hervé a laissé tomber le verdict suivant : “C’est exactement ce à quoi on s’attend et précisément ce que ça ne devrait pas être. Au lieu de servir une cuisine locale et originale, ils proposent des plats complètement attendus pour un restaurant une étoile, le même genre de cuisine chichiteuse que l’on trouve à Paris… Il n’y a pas d’ambiance, pas d’âme…”
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En vacances, Hervé aime faire ce qu’il fait quand il n’est pas en vacances : il intrigue, use de son charme et obtient des faveurs. Notre soumission veule l’exaspérait. Cet irrésistible besoin, si anglo-saxon, de rajouter un pourboire en plus de l’addition-service-compris le dépassait. Loin de laisser une ou deux pièces au serveur, Hervé estimait que c’était au restaurant de le payer. Dès qu’il était assis, son objectif était clair : se faire offrir le digestif. Sa méthode, transparente : flatter et poser des questions détaillées sur la cuisine locale, les traditions et la conjoncture économique. Ensuite, il demandait le plus innocemment du monde : “Et que boirait un Basque comme digestif après un tel repas ?” Cela marchait les trois quarts du temps. Après que le fier propriétaire/serveur du restaurant eut fait l’inventaire des digestifs locaux (essentiellement des liqueurs fruitées venant d’Espagne), il demandait à Hervé si celui-ci ne voulait pas en goûter une lichette. Affichant un
GASTRONOMIE
“C’est ça que j’adore. L’ambiance, l’accueil, la cuisine de qualité, simple mais exceptionnelle, ce devrait être partout comme ça en France. Quand je vois une qualité de service inférieure, j’ai honte de mon pays. Mais ça, c’est la France.” Une fois n’est pas coutume, Hervé n’avait pas tort. Mark a repris le train pour l’Angleterre et Hervé et moi sommes rentrés à Paris en voiture. Sur le trajet, nous nous sommes arrêtés dans une station-service, où une coupure de courant avait apparemment mis hors service toutes les machines à café mais pas les caisses électroniques. Hervé a commencé à taquiner la caissière, déplorant de payer un café sans pouvoir le boire. Quelle chance pour la station-service, quel dommage pour lui ! Quelques minutes plus tard, la caissière était de retour, un café à la main. L’électricité était revenue. Le café était offert. Hervé exultait presque. “Ne dis pas à Mark que j’ai eu un café gratuit, dit-il, il serait furieux.” John Lichfield
Pour vous régaler, traversez la frontière !
A défaut de très grandes tables, l’un des plus célèbres critiques gastronomiques espagnols a trouvé, côté français, quelques adresses tout à fait recommandables.
’un point de vue gastronomique, le Pays basque français n’est pas à la hauteur de l’espagnol, c’est sûr. Le départ à la retraite ou la disparition de chefs charismatiques comme Pierre Laporte et Christian Parra a laissé un vide que personne n’est venu combler. Il ne reste au Pays basque français qu’une seule vraie grande table, Les Pyrénées, à Saint-Jean-Pied-dePort. Mais, puisque la crise est là, nous pouvons nous concentrer sur quelques
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air surpris, Hervé n’acceptait alors que sur l’insistance de son hôte. Mark adore Hervé, tout en ayant parfois honte de lui. Comme moi, Mark trouve son petit numéro magistral, irrésistible et légèrement embarrassant. Contrairement à moi, Mark dit généralement ce qu’il pense à Hervé. Notre dernière soirée conclut heureusement notre quête du Graal gastronomique. L’Iratze est un petit restaurant familial, plutôt bon marché, situé dans la rue principale de Saint-JeanPied-de-Port. Ce soir-là, je commandai une épaule d’agneau avec des haricots. Hervé opta pour un émincé de veau. Comprenant son erreur, il échangea nos assiettes. Je les replaçai devant leur destinataire initial. Les plats étaient succulents. Ils avaient été préparés par un chef basque ayant passé la majeure partie de sa vie à Paris. Sa femme, parisienne,0 et sa fille s’occupaient du service. Hervé leur a chanté des cantiques de louanges (mérités) et s’est vu gracieusement offrir un digestif.
bonnes adresses à prix plus doux. Avec son imposante façade blanche et ses volets rouges, l’hôtel Bellevue, à Camboles-Bains, est un endroit merveilleux, transposition à la réalité d’aujourd’hui de la France bucolique et rurale des vieux films de Jean Renoir ou de René Clair. Ne manquez pas l’occasion de déguster sur la terrasse qui domine la Nive la cuisine fine et moderne juste ce qu’il faut de Gilles Fontanille : carpaccio de thon avec sa tapenade, gaspacho au piment d’Espelette, ou encore le classique et irréprochable tournedos Rossini. On pourra accompagner le tout d’un bon irouléguy rouge, par exemple un Domaine Brana 2005.
A Biarritz, où le pouvoir d’attraction du casino ne se dément pas, le petit et adorable Clos basque est une adresse des plus recommandables : guacamole d’artichauts à l’orange et à la marjolaine, croustillant de saumon fumé, salade de bœuf thaï à la citronnelle, pageot au four avec sa peau frottée d’épices… C’est une cuisine non pas certes de terroir, mais intelligemment cosmopolite. Bien plus classique, avec ses boiseries* et sa vue sur la mer, Le Galion est typique du vieux* Biarritz, du cocktail maison (rhum, jus d’orange et champagne) à l’assiette de fromage de brebis. La choucroute de poissons est tout à fait correcte. Chez Albert, une table légendaire sur le
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port des pêcheurs (il reste des pêcheurs ici ?), se révèle un peu touristique, mais le saint-pierre grillé accompagné de quelques verres d’un splendide jurançon sec Chant des Vignes 2006 du domaine Cauhapé suffit à notre bonheur. Pour finir en beauté avec le comble de la tradition française, direction La Fleur de sel à Anglet : saumon fumé maison à la ro quette, rognon de veau entier sauce madère, bavette aux échalotes confites… Une cuisine toujours moins inventive qu’en Espagne, une cuisine pour nostalgiques, mais tout à fait appréciable. Fernando Point, El Mundo (extraits), Madrid * En français dans le texte.
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L’abertzalisme décolle enfin Longtemps handicapé par sa trop grande hétérogénéité et sa condamnation insuffisante de la violence, le mouvement nationaliste a récolté aux dernières municipales les fruits de sa nouvelle stratégie. EL PAÍS (extraits)
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Madrid
ongtemps neutralisé politiquement en raison de sa subordination à ETA et de ses dissensions internes, le nationalisme au Pays basque français est parvenu à bâtir une fragile coalition électorale, qui a porté ses premiers fruits lors des élections municipales et cantonales de mars 2008. Il a fallu des années pour faire converger les différentes composantes de ce mouvement où coexistent des revendications souverainistes et d’autres, plus pragmatiques, comme la création d’un département Pays basque regroupant les trois provinces de la Soule, de la Basse-Navarre et du Labourd [aujourd’hui englobées avec le Béarn dans le département des Pyrénées-Atlantiques]. ETA n’a pas créé Enbata – mais s’est servie de ce mouvement abertzale [ce terme, qui signifie littéralement patriote, désigne les nationalistes basques], qui sera interdit en 1974. En revanche, elle a créé Batasuna et continue de s’en servir au Pays basque français, où le parti est toujours légal [en Espagne, il est interdit depuis 2003]. Aujourd’hui, toutefois, la force majoritaire de l’abertzalisme basque français, représenté par la coalition Abertzaleen Batasuna (AB), cherche à se défaire de ce fardeau et même, comme l’affirme l’un de ses dirigeants, à “s’éloigner de cette lutte violente qui n’est plus viable et n’a plus de sens”. Les efforts de ces dernières années ont permis de faire évoluer la perception de l’opinion publique basque française, qui avait longtemps associé le nationalisme aux “violents du Sud” ou à des activités folkloriques et culturelles. Le nationalisme est désormais une option politique crédible qui a réussi pour la première fois à franchir la barre des 15 % lors des élections de
MENACE
des magnifiques plages qui ont rendu célèbre la cité balnéaire. Dessin de Cost pour Courrier international, Paris.
mars 2008, obtenant 200 conseillers municipaux et près de 20 maires sur un petit territoire de 260 000 habitants. Dans ce paysage complexe, on voit cependant surgir le fantôme d’une autre organisation armée, Irrintzi, qui a revendiqué depuis 2007 les attentats ou les tentatives d’attentat contre l’hôtel Arguia, la résidence du golf de Chiberta, le poste de police de Boucau, l’auberge du célèbre chef Alain Ducasse et des sites touristiques à Arcangues et à Anglet. Qui est derrière ? se demandent à nouveau nombre de Basques français qui se souviennent avec crainte des années de violence passées. “Evidemment, ETA n’a pas créé Enbata, mais elle s’en est servie”, admet Jakes Abeberry, l’un des dirigeants d’AB. Ce septuagénaire n’a pas perdu son enthousiasme et, assis dans une cidrerie d’Hendaye en compagnie de deux autres membres du bureau d’AB, Richard Irazusta et Jean Battitte Etcheverry, il affirme avec force : “Nous avons été parfois des complices directs, et en de nombreuses autres occasions ils nous ont utilisés. ETA avait trouvé en nous un refuge, une arrièregarde. C’était une autre époque, et cette époque-là était surtout celle de la lutte antifranquiste. Mais il n’y a jamais eu de violence de la part d’ETA en France, l’attentat de Capbreton dans lequel deux agents de la Guardia civil ont trouvé la mort [en décembre 2007] est un fait entièrement nouveau.”
A quel moment le mouvement abertzale basque français a-t-il dénoncé clairement ETA et s’est-il démarqué d’elle ? La question met visiblement mal à l’aise le fondateur d’Enbata mais il répond avec véhémence : “Oui, nous avons été complices de bien des choses. Mais cette époque est révolue et nous sommes aujourd’hui dans une phase où la violence n’est plus envisageable. Le monde a changé. Les Irlandais ont décroché… Pour les abertzales d’ici, la lutte violente n’est plus viable, elle n’a plus de sens. La question aujourd’hui est de trouver le moyen de changer notre pays à partir de la lutte politique classique. Beaucoup ont souffert de cette violence, et cela a été douloureux, mais il y a eu une réflexion et, parallèlement, le mouvement abertzale s’est organisé pour gagner les consciences et participer aux institutions. Nous sommes dans un cadre totalement différent de celui d’Euskadi Sud. Il ne s’agit pas de libérer Iparralde [le Pays basque nord], mais de faire venir les gens à nos valeurs abertzales démocratiques.” Les trois dirigeants d’AB ne se définissent pas comme des nationalistes basques, mais seulement comme des abertzales. En France, expliquent-ils, le terme “nationaliste” a des connotations péjoratives, “colonialistes”, ou associées à l’extrême droite. Qu’ils soient de droite, de gauche ou modérés, ils sont seulement “abertzales”. Ander Landaburu
Dehors les envahisseurs britanniques !
our l’organisation séparatiste armée ETA, les Britanniques qui viennent en vacances ou acquièrent une résidence secondaire au Pays basque français font partie des menaces qui pèsent sur l’avenir de la région. C’est ce qu’ont indiqué deux responsables de l’organisation dans un entretien paru fin mai dans le journal indépendantiste radical Gara. Ils accusent les touristes britanniques de faire partie d’une “vague de colonisation” qui fait disparaître la culture rurale traditionnelle et la langue basque, toutes choses qu’ETA s’est juré de défendre par des attentats à la
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▶ Biarritz : une
bombe et à l’arme à feu. “S’il ne se produit pas un changement en profondeur, […] ces territoires soumis deviendront des lieux de villégiature pour Anglais, Parisiens et Bordelais”, expliquait celui des deux membres d’ETA qui répondait au surnom de Gaueko. ETA a tué plus de 800 personnes en quarante ans de lutte pour la création d’un Etat basque indépendant. Même si ETA a commis la plupart de ses attentats sur le sol espagnol, trois des sept provinces basques qu’elle souhaite réunir se trouvent en France – le Labourd, la Basse-Navarre et la Soule. La France lui a traditionnellement
ser vi de base arrière pour préparer des attentats en Espagne. Ces dernières années, elle a toutefois mené quelques actions sur le territoire français, comme l’assassinat, en 2007, [à Capbreton dans les Landes] de deux gendarmes espagnols en mission. Certains de ses militants les plus sanguinaires sont des Basques français. L’organisation soutient en outre des groupes séparatistes comme Iparretarrak et Irrintzi, qui s’en sont pris au Pays basque français à des sites touristiques et à des résidences secondaires détenues par des non-Basques.
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Le chef cuisinier Alain Ducasse a dû ainsi renoncer à son auberge près de Biarritz, après avoir été victime de plusieurs attentats à la bombe. La direction a longtemps été basée en France. Mais une demi-douzaine de responsables y ont été arrêtés récemment, dans le cadre d’opérations conjointes des polices française et espagnole. On ignore encore si l’organisation ripostera en visant de nouvelles cibles en France. Les deux membres d’ETA interviewés par Gara ont indiqué qu’ils fixeraient une nouvelle stratégie d’ici l’été. Giles Tremlett, The Guardian, Londres
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Randonnée sur les traces du réseau Comète
HISTOIRE
De 1941 à la fin de la guerre, des centaines de soldats et aviateurs ont été exfiltrés vers l’Espagne. Pour leur rendre hommage, un journaliste d’El País a repris ce chemin de la liberté.
ès 1941, la dessinatrice belge Andrée de Jongh, alias Dédée, met en place, avec son compatriote Arnold Deppé, une filière d’évasion baptisée Comète. Son but ? Exfiltrer vers l’Espagne [les soldats mais surtout] les aviateurs alliés dont les appareils ont été abattus par les Allemands audessus de la zone occupée. L’idée était de gagner le Pays basque français grâce au réseau ferroviaire et aux départementales pour ensuite traverser clandestinement la frontière franco-espagnole. Par groupes de dix, les fuyards quittaient Urrugne, près de Saint-Jean-de-Luz. Sur l’horloge de l’église figuraient ces mots : “Vulnerant omnes, ultima necat” (Toutes blessent, la dernière tue), maxime que l’écrivain espagnol Pío Baroja avait adopté pour illustrer la brièveté de la vie dans plusieurs de ses ouvrages. On a du mal à croire que les aviateurs alliés aient eu le temps nécessaire (et l’éclairage, car, après tout, ils se déplaçaient de nuit) pour s’attarder sur cet avertissement en temps de guerre et en terrain ennemi. Depuis Urrugne, les fugitifs se dirigeaient vers les montagnes frontalières, conduits par un passeur, comme Florentino Goicoechea, un ancien contrebandier, et accompagnés de Dédée elle-même. Les quatre kilomètres qui séparent les deux points peuvent se faire à pied ou en voiture. On part de la station-service, sans entrer dans le village d’Urrugne, et l’on suit la route départementale, en empruntant le chemin de Biriatou. Les aviateurs en fuite se dirigeaient ensuite vers le mont du Calvaire. Nous suivons maintenant le chemin de Chirenchen. La route serpente au milieu des champs où des bêtes paissent mélancoliquement. Nous longeons le camping Aïre Ona, passage obligé pour les aviateurs en fuite, et continuons jusqu’à un lieu appelé Filtre, que tout le monde connaît, ce qui nous facilitera la tâche si nous nous perdons dans ce petit labyrinthe. C’est ici que commence l’excursion montagnarde proprement dite. Nous monterons vers l’ouest
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Les Pyrénées si proches des Carpates A l’issue d’un périple enchanteur et poétique au Pays basque, un journaliste roumain réalise à quel point ce peuple et le sien sont frères.
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FORMULA AS (extraits)
Bucarest
u Pays basque, dans ce lieu où les Pyrénées s’enfoncent dans l’Atlantique comme un immense fleuve de vieilles pierres, j’ai vu un ciel parmi les plus beaux, les plus troublants qu’on puisse voir. J’ai cru tout d’abord qu’il s’agissait du ciel de l’océan, car de ses profondeurs, d’au-delà des vagues, se ruaient vers le rivage de colossaux amas de nuages. A chaque instant, les anciens et nobles bâtiments de la bienheureuse Biarritz semblaient en péril, car ces nuages semblaient venir tout broyer dans un sombre cataclysme. Les “plages des rois”, le phare perché sur un rocher impossible, les élégantes villas d’une aristocratie issue de l’Europe entière, les célèbres casinos, tout semblait soumis à la rage de ce lourd et terrible ciel d’océan. Mais au fur et à mesure que nous avancions vers l’intérieur du pays, vers les montagnes, les immenses nuages de l’océan se sont étirés et élevés. A Saint-Jean-Pied-de-Port, la véritable capitale du Pays basque, les nuages de l’océan laissent entrevoir un ciel d’un bleu rêche et sec. Cet “autre ciel” recouvre le bourg comme un globe, si proche qu’on a l’impression de pouvoir le toucher. En contemplant ce ciel, j’ai compris pourquoi le Pays basque est le pays d’apparition des saints. Les nuages chatoyant de couleurs fantastiques dans la lumière du coucher de soleil sont les marches unissant le ciel à la terre. J’ai poursuivi ma route vers les montagnes. Je me suis senti véritablement immergé dans le cœur de pierre de ce pays séculaire. De vieilles fermes en pierre parsemaient les pentes
abruptes, crochues. J’ai croisé des murs d’églises figées dans la pierre, l’essence du Pays basque. J’écoutais les histoires de ce pays et le parler étrange de ses habitants. J’ai commencé à leur trouver des similitudes avec les bergers de nos montagnes à nous. Là-haut, le ciel était bleu et sec, comme un cercle, comme une lentille au-dessus des hauts pics. Le ciel des bergers. Bien loin du ciel de Saint-Jean-Pied-de-Port, qu’on pouvait presque toucher du doigt. Et puis, dans un troisième cercle, très lointain, j’ai vu les nuages lourds, violacés, pendre au-dessus de l’océan. Le ciel basque est un maelström, un ciel fait de cercles. En fait, bien des choses y sont telles que je les avais imaginées : les montagnes, l’océan, le ciel et les humains. Je n’avais en revanche jamais imaginé qu’à certains endroits j’allais me sentir chez moi. Les Basques sont un peuple des montagnes, un peuple de bergers. Ils ont cependant réussi à survivre à la confluence des grandes puissances. Leur histoire ne ressemble-t-elle pas à la nôtre, celle des Roumains, à l’autre bout de l’Europe ? Les montagnes n’ont-elles pas été un refuge, pour nous comme pour eux ? Alors j’ai vu le Pays basque autrement. J’ai réalisé avec étonnement que leurs signes traditionnels, la croix basque et les décorations solaires, peuvent se retrouver sur n’importe quelle porte en bois de Maramures [région du nord de la Roumanie], sur n’importe quel costume folklorique roumain. Leurs histoires populaires sont identiques, les croyances, les rites funéraires, les pleureuses, les histoires des morts retournant parmi les vivants, tout est semblable. C’est comme si un fil ténu reliait les bergers des Pyrénées à ceux des Carpates. Comme les Basques, nous sommes une race de survivants, et nous pouvons être fiers de ce que nous sommes. Comme celles des Basques, nos traditions, notre ancienneté, notre identité culturelle pourraient être un passeport, mais aussi un bouclier. Et même une manière d’exister. Horia Turcanu
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en suivant des sentiers tracés. L’herbe est parsemée de minuscules fleurs sauvages. A nos pieds s’étend une mosaïque de fermes et de chalets, et, au loin, la mer Cantabrique s’enfonce à perte de vue dans les Landes. Aussitôt après, entre les flammes jaunes des ajoncs, la pente s’accentue. Les pilotes devaient gravir de nuit cette interminable côte, chaussés d’espadrilles pour ne pas faire de bruit, ce qui ne facilitait pas la marche, surtout par temps de pluie. Vingt-cinq minutes plus tard, quand on a atteint la crête, il faut la suivre vers le nord en direction du sommet du Xoldokogaina (488 mètres). De là, on a une vue magnifique sur la baie de Txingudi et la ville d’Irun dont les fugitifs aperçoivent les lumières, aussi tentantes que dangereuses, puisque la zone était tout particulièrement surveillée par les Allemands. Sur les traces du réseau Comète, nous prenons la voie du Xoldokogaina, qui s’enfonce vers le sud, et nous descendons par le col d’Osin (ou Osingo Lepoa), où nous retrouvons le GR 10, qui traverse les Pyrénées d’est en ouest. C’est de là que les aviateurs descendaient vers la Bidassoa, ce qui constituait la partie la plus difficile du trajet : ils devaient traverser à gué un cours d’eau parfois en crue et toujours surveillé par la Guardia civil [l’équivalent de la gendarmerie]. Celle-ci pouvait les arrêter ou avertir les Allemands qui, eux, n’hésitaient pas à tirer à vue. Nous suivons les balises du GR 10 en direction d’Olheta. L’objectif est d’atteindre le sommet du Mandale en passant par le col des Poiriers, voie alternative pour les aviateurs en quête de liberté. Une fois sur les contreforts du Mandale, nous quittons le GR 10 pour prendre un chemin bien tracé qui nous mène à l’extrémité ouest de la chaîne (on y trouve la borne frontière numéro 8). La vue sur la Bidassoa est splendide. L’heure est venue de quitter les territoires du réseau Comète, non sans avoir une pensée pour tous ceux qui sont tombés ici (160 personnes sur les 1 700 que comptait le réseau) et pour les 800 aviateurs qui ont été sauvés. Nous suivons la crête vers l’est, pour atteindre le sommet du Mandale. Javier Mina
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Entre “backside air” et piperade Est-ce vraiment une bonne idée de prendre sa première leçon de surf du côté de Biarritz ? Après avoir testé les écoles du coin et les petits restos, ce journaliste britannique en est revenu convaincu ! THE INDEPENDENT
e rugbyman Lawrence Dallaglio est dans le même avion que moi. Je suis tranquillement installé à ma place en train d’attendre le décollage, quand l’ancien joueur de l’équipe d’Angleterre et des Wasps remonte lourdement le couloir en s’efforçant de faire passer son corps massif entre les sièges. Je lui souris. Je ne sais pas trop s’il me rend mon sourire ou s’il grimace, mais je ne suis pas près de lui poser la question : je m’inquiète davantage de savoir si l’avion pourra décoller avec cette montagne à bord. Est-ce qu’il y a du lest qu’on pourrait larguer par précaution ? Il s’avère que Dallaglio, manifestement décidé à se détendre pendant sa retraite, est en route pour Biarritz, d’où il doit se lancer dans un raid à vélo de près de 1 000 kilomètres à travers les Pyrénées, au profit d’une association. La ville basque est un point de départ tout à fait indiqué pour l’ancien rugbyman : le rugby y est une tradition. Le Biarritz olympique a été cinq fois champion de France depuis sa création, en 1913, mais le club reste un grand sujet de conversation quelle que soit sa réussite. Pour ma part, j’ai choisi Biarritz pour une autre de ses spécialités sportives : le surf. Même s’il me faut bien avouer que je n’ai jamais approché une planche de surf à moins de trois mètres. Il se trouve que le temps est magnifique pour ma première leçon. La saison de surf va en général d’avril à octobre et la température peut atteindre 35 °C en juin et en juillet. En compagnie d’autres débutants, je fais la connaissance de Fred Baur, le moniteur, qui travaille avec Gaya, son chien, et avec sa camionnette bourrée de planches. Nous sommes sur la côte des Basques, une plage dont Fred nous assure qu’elle est excellente pour les débutants du fait de la relative douceur de sa vague, la Belza. Le regard fixé sur l’océan, la combinaison enfilée, du sable entre les orteils, la planche sous le bras, je commence à sentir le truc… Cinq minutes de cours plus tard, je crache déjà du sable. Nous ne sommes pas encore entrés dans l’eau : Fred nous apprend à nous mettre debout sur la planche alors que nous sommes encore au sec. On n’a pas le temps de dire : “Euh, ces vagues ont carrément l’air grosses” qu’on est déjà au milieu. “Garde la tête froide !” crie Fred quelque part du côté de mes pieds en donnant une poussée à ma planche tandis qu’une vague approche. “Sois sûr de toi !” crie-t-il pendant que je me redresse sur les bras, que je groupe les genoux… et que je tombe à l’eau. Au cours de la demi-heure que dure la leçon, j’ai réussi à me mettre debout deux fois sous les encouragements constants et parfois douteux de Fred. “La planche, c’est ta copine –
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ne m’a pas déjà plaqué : après tout, c’est notre deuxième rendez-vous et je me suis pris baffes sur baffes pendant une heure. Après avoir refait le plein au Petit Resto, une gargote de la place, avec une portion de jambon de Bayonne et de piperade* (un mélange délectable de tomates, de poivrons et d’œufs), je suis en mesure de soigner mon orgueil blessé (et mes membres douloureux) avec une petite séance de thalassothérapie au centre Atlanthal. Le chef couvert d’un ravissant bonnet de latex, je patauge dans une somptueuse piscine d’eau de mer truffée de jets, de vaporisateurs, de cascades et de geysers. Le lendemain matin, retour sur la côte des Basques pour ma troisième leçon. Serons-nous en meilleurs termes, ma planche et moi ? Même si la perspective de réussir un backside air [un saut arrière] (je vous jure, c’est le jargon du surf, même si ça a l’air très douloureux) est encore très lointaine, les cinq secondes où je réussis encore à tenir debout suffisent à me remplir de bonheur. Plus tard, tandis que le soleil se couche sur l’océan Atlantique, je profite de l’occasion pour réfléchir à mes tentatives de surf autour d’un verre devant Les 100 Marches. Cet endroit, qui à première vue ressemble à une cabane en bois où l’on sert de l’alcool, est également le lieu où, paraît-il, toute personne d’importance se doit de traîner le soir. Un coup d’œil circulaire révèle que Lawrence Dallaglio est invisible. Peut-être a-t-il déjà commencé son raid ? Dan Poole * En français dans le texte.
Ici, on ne surfe pas que sur Internet
inuscule fourmi sur une vague de près de 20 mètres de haut, Benjamin Sanchis est poursuivi par un mur de plusieurs centaines de tonnes d’eau menaçant de s’abattre sur lui. Une photo, prise à Belharra [à 3 kilomètres au large de Saint-Jean-de-Luz, la vague de Belharra est aujourd’hui considérée comme la plus grosse vague d’Europe], a immortalisé le moment où le surfeur professionnel, âgé de 29 ans [il est originaire d’Hossegor, dans les Landes], est entré dans la légende en surfant sur l’une des plus grosses vagues d’Europe, sur les côtes du Pays basque. Cette image lui a valu d’être nominé au Billabong XXL Global Big Wave Awards, un prix traditionnellement dominé par des surfeurs du Pacifique. Cet hiver, l’océan Atlantique a connu plusieurs très fortes tempêtes, sources de perturbations climatiques. La vague sur laquelle a surfé Benjamin Sanchis le 18 janvier était le résultat d’une des plus fortes dépressions de ces dernières années, qui a produit des vents de force 7 à 10 [de 50 à 102 km/h] ainsi que des vagues géantes déferlant jusque sur les côtes
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Stephane Salerno/BillabongXXL.com
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et elle a jamais la migraine !” Le fait de pouvoir me tenir debout (ne serait-ce que cinq secondes) me paraît un exploit extraordinaire. De retour sur la terre ferme, il est l’heure de déjeuner. S’il y a quelque chose dont Biarritz – pas plus, d’ailleurs, que toute la côte basque – ne manque pas, ce sont les possibilités culinaires. Néanmoins, cette fois-ci je me contente d’un croque-monsieur* du Café de l’Océan, sur la place Sainte-Eugénie, une place bordée de terrasses de restaurant. Le soir, je dîne au Surfing, un restaurant qui surplombe la côte des Basques et présente des planches de surf accrochées au plafond. On y trouve un steak particulièrement tendre et une belle sélection de vins. Le lendemain, ma deuxième leçon a lieu sur la plage de la Marinella à Anglets, juste à côté de Biarritz. A Anglets, on a le choix entre onze plages et douze écoles de surf. Je profite de l’occasion pour me vautrer sur un énorme pouf au Club de la glisse, école de surf très cool, remplie de tapis de yoga, qui se trouve sur la plage. Je commence à me demander si la plage de la Marinella est bien indiquée pour les débutants quand je vois les vagues : elles sont bien plus fortes et bien plus fréquentes cette fois-ci, ce qui rend la perspective de se mettre debout alors qu’on est dans l’eau jusqu’à la poitrine plutôt alarmante – et je ne parle pas de monter sur la planche. Tandis que je sors de l’eau, humilié par la puissance de mère Nature, je me demande si ma planche – ma copine, au cas où quelqu’un l’aurait oublié –
anglaises. “La zone de l’Atlantique Nord a été particulièrement active et a provoqué la formation de plusieurs grandes vagues ces dernières semaines”, expliquait en début d’année un responsable de Surfline, société spécialisée dans les prévisions et la météo marines. “L’Atlantique a produit quantité de fortes tempêtes cette année et est devenu le centre d’activité principal pour les Billabong XXL Global Big Wave Awards”, ajoute le porte-parole de Surfline. “Certaines
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tempêtes ont atteint les côtes européennes avec une météo défavorable, mais il y a eu beaucoup de jours où toutes les conditions étaient réunies pour les surfeurs prêts à tenter leur chance”, explique un représentant de la compétition. Benjamin Sanchis surfe depuis l’âge de 7 ans et a réalisé son exploit à Belharra seulement onze jours après avoir fêté son 29e anniversaire. Murray Wardrop, The Daily Telegraph, Londres