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www.courrierinternational.com
Supplément au n° 978-979-980 du 1er au 19 août 2009
Mourir de rire ! Un tour du monde de l’humour
Ne peut être vendu séparément
Avec un inédit de Woody Allen Madoff et moi
Publicite
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édito, sommaire, sources
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édito “Rire et sourire” : c’était un sujet de dissertation philosophique sur lequel j’avais eu à plancher en terminale. Dans son corrigé, le prof avait longuement insisté sur la différence essentielle entre ces deux actions, arguant qu’on “rit de”, alors qu’on “sourit à”. C’était très contestable, bien sûr, puisqu’on peut rire à gorge déployée, voire aux éclats ou aux larmes. • Rire et sourire ne sont pas en opposition. Ce supplément a pour objet – pour prétention ? – de prêter à rire et à sourire et, qui sait, de donner à réfléchir. On y trouvera ainsi, en plus de portraits de comiques du monde entier et de réflexions sur la mécanique du rire, une fable de Woody Allen sur Bernard Madoff et les homards, ou une tendre évocation de Sempé et des poireaux, signée par Patrick Süskind. • Le rire est le propre de l’homme… mais surtout de la femme : les études sur le sujet montrent qu’elle rit plus volontiers, souvent aux blagues des hommes, d’ailleurs – et parfois par pure gentillesse. Heureusement, la Britannique Shazia Mirza et quelques autres s’acharnent à prouver que le rire n’a ni sexe, ni religion, ni patrie. Odile Conseil
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P sommaire
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Coordination éditoriale : Odile Conseil et Bernard Kapp. Direction artistique : Sophie-Anne Delhomme et Gilles de Obaldia. Rédaction en chef technique : Nathalie Pingaud. Iconographie : Marion Grognier. Maquette : Josiane Petricca. Et l’ensemble de la rédaction de Courrier international, notamment l’équipe de la traduction (sous l’autorité bienveillante de Raymond Clarinard) et celle de la révision (sous la houlette souriante d’Elisabeth Berthou). Photo de couverture : Ouka Leele. Remerciements à Alicia Souza pour avoir gracieusement mis à notre disposition sa typographie
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p.4-5 Quinze muscles faciaux et quelques bruits involontaires europe p.6-7 Les tribulations du Parti du chien à deux queues. SHAZIA MIRZA Plus British que moi tu meurs. p.8-9 Mikhaïl Jvanetski, en apesanteur. Le Zaporogue est en vogue. Dix personnages en quête de blagues. Le comique et l’ambassadeur. p.10-11 Borat et Brüno, marteaux ! Toucher les gens, les bousculer aussi. p.12-14 L’art de la mystification. MICHELE SERRA Plaisir pour tous, c’est écrit dans la loi ! Sempé, avec délice et poireaux amériques p. 15-19 Obama, ce mauvais sujet. Rocco fait son show seul. Deux impertinentes créatures. WOODY ALLEN Homard m’a tuer. Mascarade en temps de grippe. Guignols sans limites asie p. 20-23 Se moquer de tout, pas de tous. HAN HAN Parfaitement sous contrôle. Sur la plus grande scène du monde. Il a le gag pédago. Un boute-en-train de la politique. En manque de films comiques et de satire politique afrique/moyen-orient p. 24-26 La Shoah ? Même pas drôle. L’insulte pour rire intelligences p. 27-30 Et celle du chien, tu la connais ? Le jour où les ordinateurs se fendront la poire. Prêter à sourire et donner à penser. Humour et développement vont dans le même sens
(http://www.aliciasouza.com)
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Dessins de Buddy Hickerson, Etats-Unis, LAT
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Bob participe à une Piñata Colada, ce nouveau jeu délirant, à l’heure de l’apéritif.
Oups ! Vous vous êtes planté sur ce coup, Doc. C’est un CŒUR artificiel qu’on devait greffer à ce gars.
Quinze muscles faciaux et LA MÉCANIQUE DU RIRE Les blagues peuvent être bonnes, cochonnes, inoffensives, dévastatrices. Mais pourquoi font-elles rire ? THE GUARDIAN
Londres el passage d’une fugue de Bach peut vous donner la chair de poule, telle strophe de Yeats vous faire légèrement frissonner ou faire se hérisser les poils de votre nuque en signe d’appréciation… Mais il est une expérience esthétique dont la manifestation extérieure est flagrante, puisqu’elle entraîne la contraction de quinze muscles faciaux et une succession de spasmes respiratoires. L’expérience aurait des effets bénéfiques pour la santé, comme l’oxygénation du sang, une réduction des hormones du stress et un renforcement du système immunitaire. Si elle est trop intense, toutefois, l’expérience en question peut provoquer une cataplexie, un collapsus musculaire, voire de véritables lésions. On cite même des cas, rares, d’issues plus graves : Anthony Trollope fut victime d’une attaque durant une expérience de ce type, à la lecture d’un roman victorien, aujourd’hui oublié, Vice Versa. Et Zeuxis, peintre grec de l’Antiquité, réagissant au portrait d’une sorcière qu’il venait de terminer, en serait mort.
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Je parle du rire, bien sûr. Le rire, Jonathan Swift, William Gladstone et notre réaction caractéristique à ce qui Margaret Thatcher. est drôle. Pourquoi une situation amuComme l’amour, son unique rival en sante suscite-t-elle une telle réaction ? tant que source de plaisir de l’humanité, Comment un certain type d’activité le rire jette un pont entre la sphère du cérébrale peut-il aboutir à un réflexe mental et celle du physique, comme l’a comportemental aussi particulier ? observé l’incomparable Max Beerbohm On peut rire sans humour ; les cha- dans son essai, Le Rire, daté de 1920. touilles, la gêne, le protoxyde d’azote Mais, soulignait Beerbohm, si l’amour et l’exultation de la revanche sont répu- vient du physique et trouve sa culminatés provoquer le phénomène. Mais l’hu- tion dans le mental, le rire fonctionne mour sans rire n’existe pas. C’est du dans l’autre sens. On peut également étamoins ce que pensent les philosophes blir un parallèle avec le sexe. A en croire contemporains. “La propension le marquis de Sade, le but du de l’état d’amusement à se rapport sexuel est d’arracher manifester par le rire est, à son partenaire des bruits Pourquoi peut-on avancer, la cominvolontaires, ce qui est un athée est-il posante essentielle de son exactement l’objectif de identité”, lit-on à la l’humour, même si le à plaindre? Parce rubrique “Humour” bruit en question est qu’il n’a personne à qui d e L’ E n c y c l o p é d i e quelque peu différent. de philosophie RoutDans la tradition parler pendant qu’on ledge. L e r i r e e s t philosophique, aucune lui taille une pipe. u n phé nomène phyétude exhaustive de (The Guardian, Londres) sique. Pour le produire, l’humour et du rire ne il faut un corps. Mais la saurait se mesurer à celle simple possession d’un corps de Sigmund Freud, Le Mot ne g a r a n t i t p a s q u e l ’ o n r i e d’esprit et ses rapports avec l’inconsrégulièrement. Isaac Newton n’aurait cient. L’intérêt du père de la psychanari qu’une seule fois dans sa vie, le jour lyse pour l’humour n’était pas uniqueoù quelqu’un lui demanda son point ment philosophique. Les plaisanteries, de vue sur l’utilité des Eléments d’Eu- en particulier, l’attiraient du fait de leurs clide. Joseph Staline semble lui aussi nombreux points communs avec les rêves. avoir été un tantinet agélaste (du grec Dans les unes comme dans les autres, “a-”, préfixe privatif, et “gelos”, “rire”). remarque-t-il, le sens fait l’objet de “Rares sont ceux qui ont vu rire Staline”, condensations et de déplacements, les nous apprend le maréchal Joukov dans choses sont représentées indirectement ses mémoires. “Quand c’était le cas, cela voire par leur contraire, la logique est prise ressemblait davantage à un gloussement, en défaut par des raisonnements fallacomme s’il riait pour lui-même.” Parmi cieux. De ces similitudes, il déduit que les autres agélastes célèbres, citons les plaisanteries et les rêves trouvent leur 4
origine commune dans l’inconscient. Tous deux sont des moyens de contourner notre censure intérieure. Il existe pourtant une différence clé : les blagues sont conçues pour être comprises, leur succès en dépend, alors que le sens d’un rêve échappe au rêveur lui-même. Freud était un collectionneur de blagues, en particulier les blagues juives, et son livre en contient 138, d’après mes calculs, dont quelques-unes excellentes : “Un roi parcourt ses terres. Dans la foule, il remarque un homme qui ressemble étonnamment à sa propre et auguste personne. Il lui fait signe d’approcher et lui demande : ‘Votre mère a-t-elle un temps servi au palais ?’ ‘Non, Votre Grandeur’, répond l’autre, ‘mais mon père, oui’.” Combien de genres de blagues recense-t-on ? Il y a les classiques : “Qui était cette dame que j’ai vue avec vous hier soir ?”“Ce n’était pas une dame, c’était ma femme.” Les bons mots politiques, comme la définition du libéralisme par Ronald Reagan : “Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue de bouger, réglementez-le. Si ça ne bouge plus, subventionnez-le.” La guerre en Irak a inauguré une toute nouvelle catégorie de boutades sur les néoconservateurs (les “néocons”) : “Combien faut-il de néocons pour changer une ampoule ? Aucun, le président Bush a annoncé que dans trois mois l’ampoule sera en mesure de se changer toute seule.” Il y a les astuces inoffensives, celles que l’on peut raconter dans n’importe quel salon : “Que dit un escargot quand il voyage sur le dos d’une tortue ?” “Waooh ! ça décoiffe !” Et il y a les blagues cochonnes, comme celle sur Bill Clinton : “Il a tellement maigri que maintenant, il peut voir sa stagiaire.”
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Ce soir, pas d’inquiétude. Bob porte sa chaussure politiquement orthopédique.
Fred regrettait d’avoir commandé le “Sumo Slam” chez Danny’s.
quelques bruits involontaires Est-il possible de dégager une logique théorique de cet échantillonnage réduit ? Trois traditions s’affrontent, toutes un peu dépassées, pour expliquer les rouages de l’humour. Selon la “théorie de la supériorité”, avancée sous des formes diverses par Platon, Hobbes et Bergson, l’essence de l’humour réside dans la “gloire soudaine” (Hobbes) que nous ressentons quand, par exemple, nous voyons Bill Gates se faire entarter. D’après cette théorie, tout humour est fondamentalement moquerie et dérision, tout rire n’est qu’un grognement vaguement intellectualisé. La “théorie de l’incongruité”, défendue par Pascal, Kant et Schopenhauer, affirme que l’humour survient quand la bienséance et la logique basculent soudain dans la vulgarité et l’absurde. Reste que l’on ne saisit pas bien comment l’une ou l’autre de ces perceptions – supériorité ou incongruité – engendre une crise de ricanements et de contractions thoraciques. D’où l’avantage de la troisième théorie, dite “du soulagement”, qui s’efforce au moins d’expliquer le lien de cause à effet entre l’humour et le rire. Dans la version de Freud, le sujet risible – dans l’idéal, une blague cochonne – libère le rieur des inhibitions pesant sur les pensées et les sentiments interdits. Cela a pour résultat une décharge d’énergie nerveuse, explosion bruyante qui, ce n’est pas un hasard, sert à détourner l’attention du censeur intérieur. Confronté à des théories concurrentes, un scientifique est généralement amené à étudier dans quelle mesure elles correspondent aux données disponibles. Or, dans le cas de l’humour, les blagues fournissent une source d’information
abondante. La théorie de la supériorité gisme sophiste. Or certaines blagues sont convient parfaitement aux plaisanteries un défi à toute analyse syllogistique. L’acsur les calamités et les difformités (“Com- trice américaine Lily Tomlin disait : ment StevieWonder s’est-il brûlé les doigts ? “Quand j’étais jeune, je voulais être quelIl a voulu lire un gaufrier”), aux blagues qu’un. Si seulement j’avais été plus précise…” sur les ivrognes, les cocus et les avocats, Bien des gens doté d’un solide sens sur des groupes ethniques et de l’humour réprouvent les plairaciaux. Ce qui peut expliquer santeries blasphématoires et pourquoi certains appréles blagues obscènes. Les Stevie cient la blague suivante : plus chargées de sens “Un type en colère entre sur le plan religieux Wonder dans un bar, commande sont celles qui se rapdéclare : “J’aime à boire et lance au barportent à l’accusation le gruyère parce man : ‘Tous les agents de déicide, traditionimmobiliers sont des trounellement invoquée que c’est écrit ducs.’ Un autre type, assis contre les Juifs à cause gros” au bout du bar, dit : ‘Eh, de la crucifixion. “Ben doucement, tu m’insultes. ouais, on a tué le Christ, (blogs américains) – Pourquoi ? T’es agent immoles Juifs l’ont tué, grinçait bilier ? – Non, je suis un trouduc.” Lenny Bruce, et s’il revient, Avec un peu d’effort, la théoon recommencera.” Ou, dans une rie de la supériorité peut couvrir presque variante attribuée à l’intellectuel juif Leon tous les genres de plaisanteries, même Wieseltier : “Pourquoi en faire tout un plat ? celles où la dérision finit par se muer en On ne l’a tué que pendant quelques jours.” sympathie. On peut alors interpréter la Les plaisanteries sont-elles dangesupériorité comme une sorte de point de reuses ? Hitler en était convaincu. Des vue quasi divin sur les agissements de tribunaux spéciaux jugeaient ceux qui l’homme, ou sur l’univers lui-même. tournaient son régime en dérision, et un Des trois théories sur l’humour, c’est comédien de cabaret berlinois fut exéaujourd’hui celle de l’incongruité qui est cuté pour avoir baptisé son cheval Adolf. prise le plus au sérieux par les philo- Les puritains étaient célèbres pour leur sophes. Même si tout ce qui est incon- haine de l’humour, façon de penser que gru n’est pas drôle, presque tout ce qui l’on peut faire remonter à l’apôtre Paul, est drôle comporte, semble-t-il, une part qui mettait les Ephésiens en garde contre d’incongruité. Pour Kant, l’incongruité la fornication et les plaisanteries. d’une blague se situe entre le “quelque Dans une perspective purement chose” de l’introduction et le “rien” de intellectuelle, la blague la plus dévasla chute. L’effet grotesque tient “à tatrice est ce que l’on pourrait définir l’anéantissement brutal d’un espoir intense”. comme le “contre-exemple spontané”. Schopenhauer pensait qu’au cœur de Il faut tout d’abord, pour planter le chaque plaisanterie se trouvait un syllo- décor, que soit assénée une généralité 5
pontifiante. Puis vient la tirade assassine, qui met à mal la généralité, à la manière de David terrassant Goliath. La plus belle nous vient du philosophe américain Sidney Morgenbesser [mort en 2004]. Il y a quelques décennies, à New York, J. L. Austin, philosophe oxonien [d’Oxford], donnait une conférence devant un large public composé de confrères. Dans son discours, qui traitait de la philosophie du langage, il aborda la question éternellement fascinante de la double négation. “Dans certaines langues”, constata-til avec son accent incisif d’Oxford, “une double négation équivaut à une affirmation. Dans d’autres, une double négation renforce la négation. Pourtant, bizarrement, je ne connais aucune langue où une double affirmation revienne à une négation.” Et soudain, Morgenbesser, du fond de la salle, avec son accent de Brooklyn tout en rondeurs : “Ouais, ouais.” Mais c’est selon moi à Oscar Wilde que revient la palme, pour sa réplique à sir Lewis Morris, poète mineur aujourd’hui oublié. C’était dans les années 1890, peu après le décès de Tennyson. Morris se plaignait à Wilde du fait que, en dépit de ses efforts, il n’avait pas été accepté comme successeur de Tennyson en tant que poète lauréat [poète officiel de la Couronne] : “Je suis victime d’une véritable conspiration du silence ! se lamentait Morris. Que dois-je faire, Oscar ? – Adhères-y”, répondit Wilde. Jim Holt* Il est l’auteur de Stop Me if You Heard This : A History and Philosophy of Jokes (Arrête-moi si tu la connais : histoire et philosophie des blagues).
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Ouka Leele/Agence Vu
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Les tribulations du Parti du chien à deux queues HONGRIE Parodie de parti politique, le MKKP s’emploie à tourner en dérision un certain nombre de questions qui divisent la société hongroise.
NÉPSZABADSÁG
Budapest e MKKP, autrement dit le Parti du chien à deux queues, soutenu par le mouvement Vivement la IVe République !, a appelé à une manifestation générale devant le Bureau central hongrois des statistiques (KSH). Gergö Kovács, fondateur
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de ce parti et membre – unique – de son comité central, a expliqué qu’il avait choisi de manifester devant cet institut parce qu’il voulait que l’établissement concerné n’ait aucun lien direct avec la politique. “De ce point de vue, le KSH est un bon choix, car notre manifestation là-bas n’a vraiment aucun sens”, explique-t-il. L’objectif du MKKP ? Réunir ceux qui aimeraient manifester mais qui ne le
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europe font pas parce qu’ils n’ont aucune revendication spécifique. Gergö Kovács tient la manif pour une forme ringarde de l’expression d’opinion : “Elle est juste bonne à rassembler des gens, car il ne se passe rien après. Le but du Parti du chien à deux queues est en revanche justement cela : obtenir qu’il ne se passe rien. Donc, contrairement à d’autres manifestations, notre succès est garanti.” Lorsqu’on l’interroge sur le nombre de participants probables, il élude : “D’après mes estimations, en Hongrie, 9 millions de personnes sont concernées” [la Hongrie compte 10 millions d’habitants]. Comme il n’y a pas de manifestation qui se respecte sans remise d’une pétition, les organisateurs ont décidé de remettre une feuille de papier à la première personne sortant de l’immeuble. “Je doute de toute façon qu’il y ait quelqu’un au Bureau central hongrois des statistiques un samedi soir”, précise Kovács, non sans malice. Pour ce qui est des slogans, les organisateurs de l’événement ont pris, là aussi au hasard, quelques phrases glanées sur e ferais aussi bien de retourner chez moi. Chez le web : “On vous l’avait bien dit !” ; “Il y a moi, je dirais que c’est Birmingham, mais le un courant d’air !” ; “La patrie n’est pas un pâté BNP1 dit que c’est Rawalpindi. “Je ne suis pas de foie de chamois !” ; “Nous voulons plus de ceci raciste, dit le BNP, mais, dans notre parti, on n’acet moins de cela !” ; “Il faut plus de vendrecepte que les Blancs.” Ou encore : “Je ne suis pas dis !”, etc. raciste, mais il y a trop de mosquées dans ce pays Même si le nombre de manifestants était et cette viande halal n’est pas à mon goût, je pense largement en dessous (c’est un euphémisme) qu’on devrait l’interdire.” des ambitions de Gergö Kovács, le Parti du Eh bien, je ne suis pas raciste, mais je pense qu’on chien à deux queues, fondé en 2006 à Szedevrait interdire les séances d’UV parce qu’il n’y ged [ville frontalière du sud de la Hongrie], a rien de pire que d’être un faux Paki. fait pas mal parler de lui. Sites InterRécemment, on a demandé à net alternatifs, détournement Nick Griffin2 sur Sky News d’affiches électorales, hapcomment on faisait pour penings, tags… Au prinPendant la guerre, savoir si quelqu’un temps, lors de la jourune troupe de Bosniaques était britannique. Il a née de mobilisation de dit : “Il n’y a qu’à l’Association cannase poste sur un col pour re ga rd e r p o u r bis, les militants du intercepter une troupe savoir.” Il est fort parti se sont invités ce Nick ! Ces dix pour apporter leur de soldats serbes qui doivent derniers jours, soutien au chrépasser par là à minuit. j’ai été à Amstertien-démocrate dam, à Chypre Bence Rétvári, qui Le temps passe. Minuit et demie, et à Paris. Làmanifestait contre une heure… L’un des soldats bas, on m’a prise la légalisation de bosniaques : “J’espère qu’il pour une Franl’herbe et qui a ri çaise, une Italienne, jaune en découvrant ne leur est rien arrivé…” une Espagnole, une leurs banderoles aux (L’Hebdo. Lausanne) Malaisienne, une Egyprevendications farfelues. tienne… On m’a même Le MKKP est très vraiprise une fois pour une semblablement aussi derrière Indienne (ça, ça m’a vraiment le projet de Hongrie “rétrécie” contrariée !), mais pas une seule fois pour [clin d’œil à la Grande Hongrie, le pays un boutonneux aux dents gâtées, grossier, refoulé ayant perdu une grande partie de son teret imbibé de bière. ritoire après le traité de Trianon, en 1920]. Cela dit, il n’a pas tout à fait tort : il n’y a qu’à Ce sont ses militants qui font imprimer les regarder les gens pour savoir ce qu’ils sont. Je affiches réclamant “Une plus petite Hongrie !” sais que si je vois un homme corpulent avec un que l’on voit ici et là à Budapest. Avec les double menton et des yeux comme ceux de Dobby, explications suivantes : “Les dialectes idiots l’elfe de Harry Potter, il y a des chances qu’il se vous embrouillent ? Vous en avez marre de devoir prénomme Nick et qu’il n’aime pas trop les gens voyager des heures et des heures pour arriver à qui n’ont pas le teint blafard. l’autre bout de votre propre pays ? Vous ne vou“Il n’y a qu’à regarder pour savoir.” Si tout le monde lez pas retenir inutilement les chefs-lieux de tant appliquait ce principe, la plupart d’entre nous de départements ? Vous vous foutez de Baranya ? seraient en prison. Rolf Harris ressemble à un Détachons les territoires frontaliers inutiles !” pédophile, mais en fait c’est un artiste. Don King Ce qui a fait dire à certains que le parti de a l’air d’un serial killer, mais il est promoteur de Gergö Kovács avait un comportement boxe. Et Anne Robinson3, elle, pourrait passer pour “immoral et antidémocratique”. On doute votre tata, mais en réalité c’est une conne. cependant que le Parti du chien à deux Le plus drôle, c’est qu’il n’y a pas plus britanniques queues puisse sérieusement écorner le prestige de nos institutions nationales.
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Shazia Mirza
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que les Pakistanais avec qui j’ai grandi à Birmingham. Je connais des femmes qui portent des strings aux couleurs de l’Union Jack4 sous leurs saris, de jeunes mecs qui ne peuvent pas manger de poulet biryani sans y mettre de la HP Sauce, et des mômes qui mangent de la dinde halal à Noël. Et moi ? J’ai un bikini Union Jack. Taille 34. Il ne me va pas, mais il est à moi. Et quand il fait vraiment chaud l’été, je me balade avec sur l’artère commerçante, avec talons aiguilles et cellulite. Je l’exhibe quand je vais me faire tatouer une nouvelle inscription en hindi dans des endroits intimes comme ma nuque ou ma raie des fesses. On ne fait pas plus britannique que moi. C’est comme l’école. Il y a un prof qui s’appelle Gordon. Il n’a pas un nom très hype, il n’a pas un look très hype, son veston est un peu trop grand pour lui et il n’a pas des tonnes d’amis. Ses soidisant amis le laissent tomber les uns après les autres, puis racontent des histoires sur lui. Les profs pètent les plombs et piquent de l’argent dans la cagnotte de l’école pour s’acheter qui une serre, qui un lustre, qui des films porno. Et bientôt l’école est dirigée par des profs remplaçants – mais les remplaçants s’en foutent encore plus. Notre gouvernement sera bientôt composé de ministres remplaçants. Jamie Oliver5, ministre de la Santé ; Simon Cowell6, ministre de la Justice ; Sacha Baron Cohen7, ministre des Affaires étrangères. Et on sait ce qui se passe quand on a des profs remplaçants. On s’amuse comme des petits fous, mais on n’apprend rien. Le scandale des notes de frais des parlementaires ne m’a pas dégoûtée du Parti travailliste. On a tous un peu trafiqué nos comptes un jour ou l’autre : j’ai fait passer en note de frais une épilation maillot brésilien. J’en avais besoin pour me sentir bien dans ma peau, pour me produire sur scène. J’ai des amis qui ont fait passer en notes de frais des injections de Botox et un blanchiment des dents. D’accord, cela n’a jamais atteint 16 000 livres ou le prix d’une résidence secondaire, mais c’était quand même un peu too much. Je connais quelqu’un qui avait fait une note de frais pour un arbre de Noël, mais ce n’est pas comme s’il avait cherché à se faire rembourser l’enterrement de sa mère. New Statesman, Londres 1. Parti national britannique, d’extrême droite. 2. Leader du BNP. 3. Présentatrice du jeu télévisé The Weakest Link (Le maillon faible) sur la BBC. 4. Le drapeau britannique. 5. Célèbre chef cuisinier très engagé contre la malbouffe. 6. Juré de tous les télé-crochets britanniques. 7. Humoriste qui a incarné au cinéma le Kazakh Borat et, plus récemment, l’Autrichien Brüno (voir son portrait p. 10).
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L’auteure
“Mon nom est Shazia Mirza – du moins, c’est ce qui est marqué sur mon brevet de pilote” : c’est ainsi que cette comique née en 1975 à Birmingham de parents pakistanais se présentait sur scène au lendemain du 11 septembre 2001. Une boutade qui la rendra célèbre au Royaume-Uni et au-delà. Musulmane croyante, à cheval sur deux cultures, Mirza porte sur l’une et l’autre un regard à la fois caustique et bon enfant. Exemple : “J’étais en pèlerinage à La Mecque quand, soudain, j’ai senti une main sur mes fesses. Je me suis dit que cela ne pouvait être que la main de Dieu.” On peut voir ses sketchs et lire ses chroniques sur son site (Shazia-mirza.com).
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Ouka Leele
Les photos qui illustrent ce supplément sont extraites de la série Peluquería de la photographe madrilène Ouka Leele. Elles sont réalisées à partir de photographies noir et blanc peintes à la main. Sans être nouvelle, cette technique est ici réinventée par des couleurs très saturées et acidulées, typiques de la Movida dont Ouka Leele est une artiste majeure.
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europe Mikhaïl Jvanetski, en apesanteur
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Baladins
Né à Leningrad le 1er avril 1968, au plus fort du dégel khrouchtchévien, le théâtre Litsedeï a aussitôt pris une place à part, relate le site Outro.ru. Les acteurs de cette troupe parrainée par Marcel Marceau et dirigée par Viatcheslav Polounine étaient des adeptes de la pantomime clownesque. “Nous sommes un théâtre populaire, issu d’un art qui se donnait sur les places publiques, expliquent les comédiens. Finalement, nous sommes les héritiers des baladins et des bouffons. Nous voulons avant tout ramener le spectateur au monde du jeu.”
PORTRAIT
hommage s Un au plus célèbre humoriste russe, à l’occasion de son 75e anniversaire, célébré en mars 2009. ITOGUI (extraits)
Moscou
l avait un jour donné une explication claire, quasi scientifique. Sans la moindre ironie, ce qui la rendait facile à comprendre, mais pratiquement impossible à retenir. Il avait dit qu’il était ingénieur, spécialiste des engins de levage, faits pour soulever des charges, quelque chose dans ce genre. C’était à l’époque lointaine où il travaillait sur le port d’Odessa, et où l’URSS ne savait pas encore qu’être Jvanetski, c’est un métier en soi. Les critiques ironiques et intellectuels ne parviendraient pas à comprendre ce que fait vraiment Mikhaïl Jvanetski ? Je répondrais qu’il ôte la pesanteur de nos vies. Nous avons parfois l’impression de l’aimer parce qu’il nous révèle la légèreté du quotidien. Grave erreur ! Les spécialistes en légèreté humoristique, on les voit à peu près tous les jours sur le petit écran, et on les apprécie de moins en moins. Jvanetski, lui, a l’art d’abolir la pesanteur de Poutine l’existence. Son ironie et et Bush pêchent sa sagesse nous délivrent de ce fardeau ensemble en Russie. Ils insupportable pour installent leurs lignes et Poutine faire apparaître la légèreté des se concentre sur le flotteur. Des choses. Alors, on moustiques attaquent Bush. Il se tape a envie de vivre. sur la joue, le front, et se gratte Jvanetski ne traite jamais de furieusement. Il regarde Poutine, qui sujets seconreste impassible. daires. Il ne va pas chatouiller — Vladimir, pourquoi ils ne vous bassement ses lecpiquent pas, vous ? teurs ou ses spec— Moi, c’est interdit. tateurs pour leur arracher un rire à tout (Rousski Reporter, Moscou) prix. “Aimer, c’est parler à
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nissait l’oxygène. En Russie, l’humour véritable, c’est quand c’est tellement drôle que ça donne envie de pleurer. En Russie, l’humour véritable n’est pas ce qui fait rire, mais ce qui aide à survivre. A respirer. Il n’est pas pondu par des auteurs de one-man-shows mais rédigé par de vrais écrivains. Ils ont été rares. Mikhaïl Zochtchenko, Arkadi Avertchenko, Mikhaïl Boulgakov, Grigori Gorine. J’en oublie certainement. Et Jvanetski, sur le même plan qu’eux tous. C’est un homme qui lutte de toutes ses forces contre son incroyable nervosité. A une ou deux reprises, je l’ai vu s’accroupir et se redresser plusieurs fois de suite dans sa loge, un exercice physiquement exigeant. C’est sa façon de combattre le trac. Avant d’aller parler à son public, il est envahi par l’angoisse. Lui qui est adoré, vénéré ; lui qui est reconnu comme un classique vivant a soudain peur de ne pas être intéressant. Cher Mikhaïl Mikhaïlovitch ! Vous avez écrit un jour : “Rien ne rajeunit plus un homme que la bêtise.” C’est sans doute vrai. Mais pas en ce qui vous concerne. Aujourd’hui, à 75 ans, ce qui vous garde si jeune, c’est votre sagesse. Parce que c’est la sagesse d’un homme alerte, particulièrement vif et très actif. Cela fait longtemps que vous êtes passé du statut d’écrivain satirique à celui de philosophe. Je vous souhaite tout ce que l’on peut souhaiter à un jeune homme, de la confiance en vous et dans le fait que nous avons besoin de vous. Andreï Maximov
Le Zaporogue est en vogue
les avait souvent utilisés comme mpossible de leur échapper. ressort humoristique, que ce soit Avec leur pantalon bouffant, leur dans Viy ou dans Les Veillées du chemise blanche et brodée, leur village de Dikanka, deux récits moustache épaisse et tombante régulièrement portés à l’écran par et leur crâne rasé surmonté d’un les vidéastes ukrainiens. toupet, ils vous assaillent dès votre A l’époque soviétique, bien que le sortie de l’avion à l’aéroport de Parti communiste ait toujours été Kiev. Ce sont les Cosaques. Mais opposé à toute manifestation du pas n’importe lesquels : les ▲ Image extraite du dessin animé nationalisme ukrainien, les stuCosaques zaporogues, les plus Les Trois Cosaques, Kiev. dios de dessins animés de Kiev anciens, historiquement, bandits avaient créé les personnages des Trois Cosaques, anarchistes avant l’heure, qui s’étaient installés, dont l’un, minuscule mais à l’esprit vif, n’est pas pour fuir leurs ennemis, za porojié, au-delà des catasans rappeler Astérix, tandis qu’un autre, colosractes du Dniepr, d’où leur curieux nom français. sal, ressemble fort à Obélix. Les Trois Cosaques Et ils sont aujourd’hui un symbole omniprésent de ont toujours autant de succès actuellement, et les l’Ukraine indépendante. jeunes Ukrainiens ont pu apprécier leurs aventures Les Zaporogues sont servis à toutes les sauces. contre le diable, contre les dieux de l’Olympe ou On les voit sur de grandes affiches vantant des aux côtés des… Trois Mousquetaires. Ils dispoprojets immobiliers ou à l’entrée des restaurants, sent même de leur propre jeu vidéo. on les mobilise pour vendre de la bière, des voiSi vous vous rendez un jour en Ukraine, ils seront tures et de la horilka, la vodka locale ; ils s’agilà pour vous accueillir, avec leurs faces rubicondes tent dans les habillages des chaînes de téléviet réjouies et leurs moustaches en bataille. Mais sion et dansent le hopak dans les clips musicaux contrairement à bien des touristes qui, lorsqu’ils des stars de la pop. Ces redoutables guerriers arrivent à Kiev, ne comprennent pas qui sont ces aux mœurs jugées brutales par leurs contemcurieux bonshommes et pourquoi on les voit parporains polonais, moscovites et ottomans incartout, vous, au moins, aurez été prévenus ! nent désormais la bonhomie accueillante du peuple ukrainien. Nicolas Gogol, auteur du cru, Courrier international, Paris
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Kievnauchfilm
▶Dessin de Vlahovic paru dans Nin, Belgrade.
chaque doigt individuellement.” Savez-vous ce que c’est ? C’est “Je me souviens d’un instant merveilleux” [premier vers d’une des plus fameuses poésies de Pouchkine, écrite en 1825, qui se poursuit en déclaration d’amour], mais dans une autre version, façon Jvanetski. Et son “Nous vivions à Buchenwald [en référence à l’Union soviétique et au système concentrationnaire du Goulag], puis nous avons combattu pour entrer dans Auschwitz [libéré par l’Armée rouge]” – que dites-vous de cette petite blague ? A petits coups inlassablement répétés, il attaque sans répit ce lourd couvercle. Et finit par y percer des trous. On a dès lors l’impression de pouvoir respirer. Et on se dit que, si cela ne l’a pas écrasé, lui, ou pourra peut-être passer à travers. Nous sommes nombreux à avoir découvert Jvanetski par l’intermédiaire d’Arkadi Raïkine [1911-1987, humoriste et comédien soviétique]. Lors de ces étonnantes années [les années 1970 et le début des années 1980] où la stagnation brejnévienne nous oppressait de toute la puissance comique mais rude des congrès du Parti et du mensonge généralisé, on pouvait écouter ce bel homme aux cheveux gris dont les paroles étaient toujours justes et le sourire tendre. L’œuvre de Raïkine était une sorte de masque à gaz qui nous permettait de ne pas nous asphyxier. Et c’est Jvanetski qui four-
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europe Dix personnages en quête de blagues RUSSIE Le magazine Rousski Reporter brosse le portrait des principaux héros des anekdoty, les blagues russes. e terme anekdot apparaît dans la langue russe au début du XIXe siècle. Ces histoires drôles sont racontées dans les cercles de l’aristocratie. Au début du XXe siècle, la blague se vulgarise et perd son caractère distingué. Le régime soviétique les désapprouve souvent au motif d’antisoviétisme. Mais la popularité des anekdoty témoigne de la défiance de la société envers les autorités. Elles ont survécu à l’Union soviétique et font partie intégrante de la langue classique. Les philologues y voient une expression unique de la mentalité russe.
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1. Le chef de l’Etat Aucun dirigeant soviétique ou russe n’a échappé à la caricature. Lénine apparaît en nain à la voix grasseyante. L’image de Staline est double – celle d’un monstre négatif avant guerre, et celle d’un chef sévère mais juste après guerre. Nikita Khrouchtchev n’est qu’un rêveur simplet, Leonid Brejnev un vieux dépressif, Mikhaïl Gorbatchev un imbécile naïf et Boris Eltsine un éminent alcoolique. Face à l’écrasant Poutine, le président Dmitri Medvedev fait figure de poids mouche. 2. Vovotchka Issu des récits sur l’enfance de Lénine [Vladimir – Volodia – Vova – Vovotchka], c’est un gamin charismatique, un vaillant boy-scout russe. Apparu tout de suite après la révolution d’Octobre, il est à la fois naïf et cynique – l’antithèse des professeurs ou des parents pompeux qui racontent avec insistance que les cigognes livrent les bébés. 3. L’agent de la circulation Le flic affecté à la circulation a remplacé le plombier en tant qu’incarnation d’une profession mal-aimée du public et qui se pose en victime. 4. La belle-mère Le personnage de la mère de l’épouse apparaît dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pour certains chercheurs, elle traduirait une forme populaire de féminisme : elle incarne la rébellion contre la soumission traditionnelle de l’épouse à sa belle-mère [la mère de l’époux]. 5. Le Tchouktche Peuple autochtone du Grand Nord sibérien, les Tchouktches occupent une place de choix parmi tous les peuples de Russie [et d’ex-
URSS] dans les blagues russes : ils maîtrisent mal la langue russe, sont méfiants et sauvages, enclins à des réflexes primitifs infantiles. 6. Le nouveau Russe Il s’inscrit dans le prolongement du personnage de la “femme du général”, très célèbre après la Seconde Guerre mondiale, qui, outre les galons de son mari, combinait une richesse extraordinaire – “récupérée” en Allemagne vaincue – à un niveau d’instruction affligeant. Ce personnage comique a une fonction sociale thérapeutique, celle d’une revanche des gens ordinaires sur les puissants. 7. La blonde La blonde est l’un des personnages comiques les plus récents en Russie, emprunté aux Européens, pour qui elle représente un idéal de beauté féminine qui n’a d’égale que sa bêtise. Absente de la tradition russe, cette image stéréotypée progresse peu à peu avec l’importation de la poupée Barbie. A son corps défendant, la blonde russe a rattrapé son alter ego occidental. 8. Le Trio : le Russe et deux autres “C’est un Russe, un Américain et un Anglais…” Ce grand classique s’inspire d’un événement historique précis, la conférence de Yalta de 1945. A l’origine, le premier [Staline] brille par son intelligence face aux deux autres [Roosevelt et Churchill]. En fait, pour faire fonctionner le trio humoristique, il faut accoler un stéréotype populaire et une nationalité donnée : l’amant français, l’Allemand ponctuel, l’Américain cupide, etc. 9. L’étranger proche : Géorgien, Ukrainien, Estonien… Les comparaisons entre voisins, territoires ou populations servent d’argument à une multitude d’histoires drôles. L’Union soviétique se prêtait parfaitement à l’exercice. Sa chute a eu des répercussions sensibles sur ces blagues à caractère ethnique. Désormais, les ressortissants des anciennes républiques travaillant en Russie forment des catégories socioprofessionnelles : le Moldave travaille sur les chantiers, l’Azerbaïdjanais sur les marchés, le Tadjik nettoie les rues… 10. Le Juif En Union soviétique, le statut symbolique du Juif a suivi la ligne idéologique du Kremlin. Il s’est considérablement déprécié avec la disgrâce de Léon Trotski, le premier Juif du pays, devenu principal opposant à Staline. Après la Seconde Guerre mondiale, le Juif soviétique est incarné par le personnage de Rabinovitch. Sage, sceptique et plutôt naïf, il se moque ouvertement du pouvoir mais ne se risque jamais à l’affronter directement. (D’après Rousski Reporter, Moscou) 9
ROUMANIE Le comique
et l’ambassadeur
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’homme est le seul être capable de rire”, affirme l’écrivain et diplomate Teodor Baconsky [depuis 2008, il est ambassadeur de Roumanie à Paris]. “Les primates ont parfois des expressions semblables au rire, mais ils ne rient pas vraiment, car ils ne peuvent percevoir le comique intrinsèque de l’existence. Le rire atténue la peur de la vie et de la mort. L’homme cherche donc à tout tourner en dérision, même le diable. Oui, le rire a une fonction d’exorcisme, il vise à conjurer le mal, écrit-il dans son ouvrage Le Rire des patriarches, dans un chapitre consacré au “rire exorcisant”. Spécialiste en anthropologie religieuse et en histoire comparée des religions, Baconsky analyse le rire sous toutes ses coutures, depuis la sémantique du rire dans la Bible jusqu’au rire face à la mort, en passant par le rire féminin, le rire du dément et le rire exorcisant. Il étudie le rire profane et le rire sacré, et débouche sur les saints mimes [parodie des rites chrétiens, au IIIe siècle] et les fous du Christ. Ainsi, si l’Homo religiosus dispose à la fois du droit, du plaisir et de l’occasion de rire, il “ne rit pas n’importe comment, n’importe où, ni de n’importe qui, affirme Baconsky. Que nous nous référions au christianisme ou à toute autre grande religion, nous observons que l’individu croyant est tenu à la modération. Le rire figure bien dans la littérature religieuse qui parle des Pères de l’Eglise, mais il est strictement codifié. Dans l’ère judéo-chrétienne, le rire a été plutôt réprimé. Il n’est pas bienséant de rire à l’église ou à la synagogue. Pour les autorités chrétiennes des premiers siècles, le rire accompagne l’avidité, la luxure, etc. Il y eut aussi des Pères de l’Eglise plus proches de l’éthique grécolatine et donc plus indulgents vis-à-vis du rire – Clément d’Alexandrie, par exemple. Se référant à l’ironie métaphysique, le diplomate affirme que le rire est “l’hommage que le doute apporte à notre besoin de nous assurer que Dieu ne nous a pas oubliés”. Selon l’auteur, le rire des fous du Christ appartient à ce registre. “Ces personnalités religieuses simulaient la folie pour dénoncer l’hypocrisie sociale, mais aussi pour dépasser les limites de l’humain.” L’auteur s’attarde longuement sur le rire à Byzance. Pour lui, “la culture byzantine est un mélange entre celles d’Athènes, de Rome et de Jérusalem. Elle a suivi une ligne sobre, mais a aussi perpétué les plaisirs de la vie : les jeux du cirque, le théâtre, et, pour les élites, la lecture, la chasse, l’aventure militaire ou l’intrigue politique.” Car, selon lui, “l’idéal ascétique prôné par le clergé n’a jamais collé à la réalité”. “Les Byzantins cherchaient à discipliner le rire, mais ils étaient trop raffinés pour ne vivre qu’à moitié. Certes, après le XIIe siècle et le déclin de l’Empire byzantin, le monde est devenu plus austère, et l’envie de rire a fait progressivement place à une morale ‘apocalyptique’”, écrit-il. “L’Occident, c’està-dire l’Union européenne, rit à gorge déployée”, déclare Baconsky, parce que la démocratie a pénétré dans tous les replis de la vie collective. “Le rire contemporain exprime aussi bien l’accroissement du temps libre que la société du spectacle, où la transparence mène à l’exhibitionnisme”, conclut Theodor Baconsky. Evenimentul Zilei (extraits), Bucarest
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Poutine
Le personnage de Vladimir Poutine se prête plus difficilement à la caricature humoristique russe que ses prédécesseurs, explique Rousski Reporter. “Poutine ne colle guère à l’image du bon vieux papa ; par ailleurs, il est difficile de rire de quelqu’un qui se conforme strictement au style fonctionnaire et s’exprime en articulant chaque lettre de l’alphabet russe.” Spécialiste des anekdoty (blagues) russes, l’animateur de radio Roman Trakhtenberg souligne que les blagues sur Poutine sont méchantes et toutes liées à la politique. Pour la philologue Alexandra Arkhipova, Poutine s’inscrit dans la lignée de Staline et de Pierre le Grand. Tous trois correspondent au portrait russe de “l’autocrate sévère mais juste”.
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europe Borat et Brüno, marteaux !
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Duo
Otto Kuhnle et Henning Wehn initient le public britannique à l’humour allemand. “Les Anglais ne comprennent tout simplement pas que l’on puisse être allemand et avoir de l’humour”, explique le premier, qui a reçu un jour ce compliment déroutant : “plus drôle que Hitler”. Il semble que les Anglais imaginent toujours en leur for intérieur les Allemands défilant derrière une croix gammée. “Tous les préjugés, les clichés, les sempiternelles images sur les nazis étaient pour moi une formidable mine à exploiter.” Puis il a rencontré Henning Wehn, un comédien allemand lui aussi embarqué dans l’entreprise titanesque de conquérir le public britannique. Le duo s’est fait remarquer avec les spectacles A Beginner’s Guide to German Humour [Guide de l’humour allemand pour débutants] et 1 000 Years of German Humour [Mille ans d’humour allemand]. Aujourd’hui, nos deux experts connaissent sur le bout du doigt l’image que les Anglais se font de l’Allemagne. Et ils savent exactement ce que l’on attend d’eux : folklore et culottes de cuir, numéros de jonglage avec nains de jardin et banquet de saucisses. (D’après le Berliner Morgenpost, Berlin) ▶ Dessin d’Ajubel
paru dans El Mundo, Madrid.
ROYAUME-UNI Entre satire sociale et hystérie, les personnages de Sacha Baron Cohen – des “outils”, selon le réalisateur – connaissent un succès planétaire. THE OBSERVER (extraits)
Londres in mai, à Los Angeles, un homme âgé de 38 ans vivant dans le nord de Londres, Sacha Baron Cohen, a rencontré un homme de 37 ans originaire de Detroit, Marshall Bruce Mathers III. Ou disons les choses autrement : Brüno, présentateur de télévision autrichien gay, déguisé en ange et suspendu à la charpente du Gibson Amphitheatre, est tombé du ciel, son postérieur légèrement vêtu atterrissant sur le visage d’Eminem, chanteur de rap fréquemment accusé d’homophobie. Ou encore : deux stars mondiales ont mis en scène un coup médiatique lors des MTV Movie Awards [récompenses décernées chaque année par la chaîne de télévision américaine MTV]. remarque raciste peut se transformer en Dans le monde protéiforme de Sacha Baron remarque sur le racisme. Mais Sacha Baron Cohen, où chaque masque en dissimule un Cohen va bien plus loin, car il place ses créaautre, la réalité est un concept élastique. Quoi tures fictives dans des situations de la vie réelle, qu’il en soit, le nom de Brüno, ce roi de la mode au milieu de vraies personnes qui, au contraire kitsch, héros éponyme du faux documentaire d’Eminem, ne savent rien de la plaisanterie. sorti en France le 22 juillet, est désormais sur Résultat : des scènes comiques, pleines de frétoutes les lèvres. Une fois encore, Sacha Baron nésie, qui fonctionnent à différents niveaux, Cohen détourne habilement le thème de la allant du plus vulgaire au plus complexe. La célébrité à grand renfort de publicité. blague la plus fréquente de Sacha Baron C’est un peu comme s’il avait le Cohen se résume ainsi : un de ses personbeurre et l’argent du beurre. Par nages dit quelque chose d’incongru bien des aspects, ce dicton à une célébrité ou à un illustre traduit d’ailleurs l’extrainconnu puis observe sa réacPourquoi, ordinaire succès de ce tion. Mais les choses en rescomique londonien. tent rarement là. à Prague, Brüno est le troisième Ainsi, lorsqu’Ali G. les boîtes aux lettres des personnages nés parle des femmes, il utilise de l’imagination de le mot “pétasse”. Le sont-elles installées Sacha Baron Cohen sexisme, assurément, est à 2 mètres de haut ? qui testent nos opimanifeste. Mais qu’en estnions cachées sur des il du racisme ? Car ses Parce que questions sensibles propos ridiculisent bien les Tchèques postent telles que la race, la une certaine catégorie de la haut. sexualité et l’identité culture noire machiste. Ou culturelle. peut-être est-ce un sketch sur le Non qu’Ali G., chef du racisme ? Au fond, Sacha Baron gang West Staines Massiv aspirant Cohen joue-t-il avec les stéréotypes, ou à un grand avenir, ou que Borat, extravagant les renforce-t-il ? journaliste de télévision kazakh, aient été conçus Le débat est relancé avec l’apparition de comme des expériences sociologiques. Sans chaque nouvelle créature de Sacha Baron conteste, ce sont avant tout de fabuleuses inven- Cohen. Dans le cas de Borat, qui a reçu un Goltions comiques. Tous deux ont ouvert une voie den Globe [récompense remise chaque année fertile, tentante à explorer, mais jusque-là fer- aux Etats-Unis], la haine virulente de ce citoyen mée par une attitude politiquement correcte. kazakh envers les Juifs passait encore aux yeux Comment rire des nouveaux sermons morali- des critiques, qui savaient que Sacha Baron sateurs autant que des vieux préjugés ? La Cohen est lui-même juif. Mais les autorités kazaréponse de la nouvelle génération de comiques, khes, elles, n’ont guère apprécié le personnage. dont Sacha Baron Cohen fait partie, consiste “Fondamentalement, Borat est un outil, explique à se glisser dans la peau de personnages qui, Sacha Baron Cohen. Comme il est lui-même antieux, peuvent dire l’interdit. C’est ainsi qu’une sémite, les gens baissent leur garde et dévoilent leurs
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propres préjugés, qu’il s’agisse d’antisémitisme ou de tolérance envers l’antisémitisme.” Selon Sacha Baron Cohen, la réussite de son travail entraîne ipso facto sa fin. Ainsi, Borat et Ali G. ont pris leur retraite, leur succès même les ayant rendus obsolètes. Enfant, Sacha Baron Cohen adorait les Monty Python et Peter Cook, mais celui qui l’a le plus influencé, c’est Peter Sellers. “C’était un acteur hilarant et incroyablement réaliste, explique-t-il, qui réussissait à jeter un pont entre le comique et le satirique.” On dit de Peter Sellers que lorsqu’il ne jouait pas la comédie, il n’avait pas de personnalité cohérente. Comme il l’a déclaré lui-même, mi-figue, mi-raisin : “Il n’y a pas de moi. Je n’existe pas.” Sacha Baron Cohen, pour sa part, ne donne pas l’impression d’être en proie à une crise existentielle chronique. Et contrairement à l’inspecteur de La Panthère rose, il ne montre aucun signe de dysfonctionnement relationnel. Cela étant, la vraie personnalité du jeune homme reste un secret bien gardé. En partie pour protéger ses personnages d’une notoriété contagieuse, mais peut-être davantage pour se protéger lui-même. “Je tiens à préserver ma vie privée, confiet-il. Et c’est difficile à concilier avec la célébrité.” Dans les très rares entretiens accordés sous le nom de Sacha Baron Cohen, il apparaît comme quelqu’un d’intelligent, à la personnalité affirmée, mais aussi un brin timide et anxieux. Comme lui, sa biographie est mince et livre peu d’informations. Il a grandi dans la banlieue résidentielle londonienne de Hampstead, avec ses deux frères, son père Gerald, qui possédait une boutique de vêtements à Piccadilly, et sa mère, professeur de danse. Sa famille était respectueuse de la tradition juive. Adolescent, Sacha Baron Cohen a rejoint Habonim Dror, un mouvement de jeunes sionistes progressistes au sein duquel il a fait ses premiers essais d’acteur. A Cambridge, où il était inscrit au club de théâtre universitaire, il a fait une apparition dans Fiddler on the Roof [Un violon sur le toit]. Ses études achevées, Sacha Baron Cohen a posé quelque temps pour des catalogues. Il a même lancé un club comique dans l’ouest d’Hampstead. Par la suite, il a travaillé comme animateur pour Windsor TV, une obscure chaîne satellite, puis pour Talk TV, où il a élaboré un personnage satirique inspiré du DJ de Radio One, Tim Westwood, ce fils d’évêque qui s’exprime comme un gangster. Un beau jour, il eut l’idée de faire interagir son personnage avec un groupe de skateurs qui passaient par là, et Ali G. est né. Il a ensuite décroché une place dans l’émission The 11 O’Clock Show de Channel 4. Si le personnage est resté le même, les situations dans lesquelles il s’est mis en scène sont devenues de plus en plus audacieuses. Et c’est justement un des traits les plus marquants de l’humour de Sacha Baron Cohen. Que ce soit Ali G. qui discute avec le FBI ou Brüno qui se moque d’une poignée de beaufs, on est toujours estomaqué de constater qu’il a le cran d’aller jusqu’au bout de la plaisanterie. Andrew Anthony
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europe Toucher les gens, les bousculer aussi PORTRAIT Avec
1 Oliver Polak, l’humour juif fait son retour en Allemagne. Risqué… FRANKFURTER RUNDSCHAU (extraits)
Francfort u fait, pourquoi les hommes juifs sont-ils circoncis ? Oliver Polak pose cette question d’un air si sérieux que pendant un instant un silence tendu emplit le chapiteau plein à craquer. C’est vrai, ont-ils l’air de se demander, pourquoi ? “Ben, parce que les femmes juives veulent une réduction d’au moins vingt pour cent sur tout.” Bingo. Les gens rient à gorge déployée. Seuls cinq ou six spectateurs semblent ne pas savoir ce qu’ils doivent penser d’Oliver Polak – on le voit à leurs visages. Une chose est certaine en tout cas : son humour, à la limite du politiquement correct, fait rire aux éclats – d’un rire qui pourrait parfois rester en travers de la gorge. C’est ça, l’humour juif. Qu’il puisse se réclamer de cette tradition, c’est ce qu’il affirme haut et fort sur la couverture de son livre Ich darf das, ich bin Jude [J’ai le droit, je suis juif], paru fin 2008 [non traduit en français]. On l’y voit en tenue de jogging ; à ses côtés, un berger allemand assis, coiffé d’une casquette d’uniforme nazi, porte au cou une étoile de David. L’ouvrage rassemble vingtsept histoires où l’humour, la tristesse et le tragicomique puisent dans l’histoire de ce jeune humoriste, unique enfant de l’unique famille juive de Papenburg, en Basse-Saxe. Sur scène, Oliver Polak fait son show, interpelle le public. Il a le répondant nécessaire pour clouer le bec aux perturbateurs. Mais, dans la caravane VIP, derrière le chapiteau installé dans
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la citadelle de Mayence, cet homme de 33 ans se révèle un interlocuteur calme et réservé. Il tient à se démarquer des mecs branchés et surexcités qui crient leur bonne humeur : “Le comique a besoin des ratés, des mélancoliques”, affirme-t-il. Oliver Polak jouit de surcroît de sa singularité en tant qu’humoriste juif. Mais aussi parce que, “lorsqu’on est juif en Allemagne, on est un peu comme un panda, on n’a plus beaucoup de congénères”. Mais il ne veut en aucun cas être réduit à cette identité. Il a son sens de l’humour bien à lui, qui n’est ni juif, ni non juif. Il ne pense pas que sa tâche consiste exclusivement à faire rire : “Le divertissement, ça inclut le positionnement. Et c’est ce qui m’importe avant tout : avoir une position, toucher les gens, les bousculer aussi.” Et il lui arrive de sortir l’artillerie lourde, par exemple lorsqu’il reproche aux conducteurs de train de faire grève soixante-dix ans trop tard. Ce qu’il ne veut surtout pas, c’est “distraire la bourgeoisie intellectuelle”. Il refuse les discussions bien-
À CHACUN SES BELGES Qui se moque de qui en Europe
SUÈDE ROYAUMEUNI
RUSSI E
DANEMARK PAYS-BAS POLOGNE BELG.
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ALLEMAGNE RÉP. TCHÈQUE
600 km
FRANCE
PORTUGAL
SUISSE
AUTRICHE
ITALIE
UKRAINE SLOVAQUIE HONGRIE
ROUMANIE
SERBIE BULGARIE
ESPAGNE
ALBANIE GRÈCE
TURQUIE
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Source : “Helsingin Sanomat”
IRLANDE
FINLANDE
NORVÈGE
D’un pays à l’autre A l’intérieur d’un pays
pensantes et “ce blabla sur l’idée de ‘tirer un trait’” le fatigue plus que tout. Oliver Polak divise. Il adore jouer avec les préjugés et donner dans la provocation. “Je trouve qu’il est intéressant d’appuyer sur plein de boutons et de regarder ce qui se passe ensuite – comme un gamin qui explore un nouveau jouet.” Mais il n’a rien contre une discussion sérieuse. Sous le IIIe Reich, sa famille a été persécutée et déportée. Son père, qui a survécu à plusieurs camps de concentration, est le seul Juif à être rentré à Papenburg – auparavant, la ville comptait vingt familles juives. “Lorsqu’à 11 ans tu vois pour la première fois l’arbre généalogique de ta famille et que tu t’aperçois qu’un nombre impressionnant de branches s’arrêtent au même moment, alors tu comprends ce qui s’est passé.” Aussi Oliver Polak ne choisirait-il jamais comme titre de spectacle “Un Juif pleins gaz” ou tout autre jeu de mot douteux du même acabit. Malgré toutes les horreurs commises, le passé n’est pas tabou pour ce jeune comique. Oliver Polak a besoin de faire référence à l’Histoire pour commenter les aspects grotesques de la réalité juive allemande d’aujourd’hui – sans tomber automatiquement dans un grand discours sur la société. Toujours est-il que l’omniprésence d’Adolf Hitler dans les grands titres l’énerve au plus haut point : “‘Hitler et les nichons’ – comme si on ne pouvait pas vendre sans lui.” Certes, la formule est volontairement simplificatrice et provocante, mais ce n’est pas cela qui importe. Car Oliver Polak débusque les absurdités quotidiennes. Ainsi, il y a peu, il a reçu de la part du site Internet de vente aux enchères eBay une étoile jaune. “Une étoile jaune à épingler au revers de mon veston pour me récompenser d’avoir obtenu dix évaluations positives, commente-il. Avant, une remarque négative du voisin aurait suffi. Et dire qu’il y en a qui prétendent qu’en Allemagne rien n’a changé…” Boris Halva
◀ Dessin
de Vlahovic paru dans NIN, Belgrade.
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Blague juive
Quels sont les Juifs les plus importants de l’histoire de l’humanité ? Moïse, qui a proclamé : “Tout est dans la loi.” Jésus, qui a dit : “Tout est dans l’amour.” Freud, qui a affirmé : “Tout est dans le sexe.” Bergson, qui a énoncé : “Tout est dans le rire.” Einstein, qui a observé : “Tout est relatif.” (Cité dans Pas facile d’être juif, de Riccardo Calimani, éd. Yago.)
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europe ▶ Dessin
de Graczyk paru dans Nie, Varsovie.
L’art de la mystification RÉPUBLIQUE TCHÈQUE Le théâtre
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Cimrman a traversé les décennies en faisant rire des générations de Pragois.
■ Vrai-faux
Une piste cyclable, des rues et des places publiques portent son nom en République tchèque. Un monument lui est même dédié, le représentant marchant, une valise à la main, enveloppé de brouillard, dans un cube en verre. Pourtant, Jara Cimrman n’a jamais existé. Le personnage est né de l’imagination des dramaturges Zdenek Sverak et Ladislav Smoljak, qui ont fondé le théâtre du même nom en 1967. Lorsque, en 2005, la télévision a organisé un vote pour désigner “le plus grand Tchèque de tous les temps”, c’est Cimrman qui est arrivé en tête, devant le roi de Bohême Charles IV et le premier président de la République T. G. Masaryk.
RESPEKT (extraits)
Prague ela vaut bien une photo. A chaque début de mois, au moment de l’ouverture de la vente des billets, des tentes et autres abris de fortune éclosent sur les trottoirs du quartier pragois de Zizkov, à proximité du théâtre de Jara Cimrman [prononcer Tzimermane ; il s’agit d’un personnage fictif, voir ci-contre]. Dans l’espoir d’acheter un billet, de nombreux jeunes y passent la nuit. Assis sur une chaise pliante, son i-Phone dans la main, l’un d’eux
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explique quelque part sur Facebook, en anglais, ce qu’il fait ici depuis cinq heures du matin. “A Prague, il existe un théâtre où une troupe composée de personnes âgées (70 ans en moyenne) donne quinze pièces par an, les mêmes depuis quarante ans. Une fois par mois, les gens viennent camper ici pour tenter d’avoir des billets. Ça semble fou, non ?” C’est fou, mais on n’est pas loin de la vérité. Le théâtre de Jara Cimrman – à qui les critiques n’accordaient que trois ou quatre représentations lors de ses débuts, en 1967 – a traversé vingt ans de normalisation [la période qui a suivi l’écrasement du Printemps de Prague], le revirement du régime, et vingt ans de liberté [après 1989] sans bouger d’un iota. Les bons mots qui faisaient rire le public de 1985 qui y voyait autant d’allusions anticommunistes marchent toujours, même si la nouvelle génération les perçoit au premier degré. “Sincèrement, je suis étonné de voir un public toujours jeune”, avoue Ladislav Smoljak, l’un des auteurs.
Selon le critique de théâtre Vladimir Just, les “Cimrman” ont toujours été à contrecourant. “A la fin des années 1960, beaucoup de théâtres tchécoslovaques s’étaient lancés dans la satire sociale et politique, mais pas eux. Ils préféraient s’en tenir à leurs gentils canulars, comme pour fuir la politique, omniprésente à cette époque. Leurs pièces se jouaient dans des espaces qui évoquaient le temps de la construction de la tour Eiffel, les vols des premiers dirigeables ou la renaissance de l’idée de la nation tchèque…” Après 1970, lorsque les théâtres téméraires ont dû mettre la clé sous la porte, les Cimrman sont restés. “Leur charmante opposition ne dérangeait personne. C’est plus tard, dans les années 1970-1980, qu’ils sont devenus un véritable phénomène politique, parce que, justement, ils étaient restés eux-mêmes, sans retourner leur veste”, poursuit Vladimir Just. Les spectateurs ont commencé à rajouter eux-mêmes aux textes des Cimrman des choses interdites, à voix haute. On voyait des allégories partout. Ainsi, une réplique inno-
Michele Serra
Plaisir pour tous, c’est écrit dans la loi ! Le journaliste et écrivain italien imagine une loi qui permettrait à tous les Italiens de bénéficier de services à la personne, à l’égal de Berlusconi.
ous sommes tous comme Silvio” : c’est la nouvelle stratégie de défense suggérée par le journal de droite Libero, qui voit dans les petits défauts du président du Conseil, la somme de ceux, tellement sympathiques des Italiens : qui d’entre nous n’a jamais reçu dans sa villa de Sardaigne un bateau chargé de prostituées ? Le gouvernement planche actuellement sur un projet de loi qui permettra à tous les Italiens de bénéficier pleinement de ce climat d’insouciance et de grande sociabilité incarné par le président du Conseil, chacun selon sa condition sociale. Aux retraités, le gouvernement Un offrira un kit villa Certosa [du nom de la villa de Sardaigne nouveau riche où Berlusconi organisait entre dans un bar, des fêtes mêlant entraîneuses et personnalités s’adresse au garçon : politiques, dont le Pre— Dis-moi, connard, où sont mier ministre tchèque Topolanek], dans une les chiottes ? version modulable en – Au fond à droite. Vous verrez fonction des dimensions du logement du une porte avec l’inscription destinataire, généra “gentlemen”, mais ne faites lement un deux-pièces. Chaque retraité pourra pas attention, allez-y recevoir une prostituée de quand même. son âge, transportée dans un triporteur appartenant à l’Etat, et lui faire visiter les pétunias de son balcon. En cadeau : un pétard – qui tiendra lieu de feu d’artifice – et un poster offrant une vue imprenable sur la mer.
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b Pour les plus riches, l’offre gouvernementale prévoit une ribambelle d’options. Dans l’offre prestige, la prostituée arrive avec sa sœur, qui cuisine des petits plats pendant la prise de contact. Pour donner à la prestation une dimension orgiaque, l’option executive propose que les étreintes aient lieu sous les yeux de la sœur mais aussi du beaufrère veilleur de nuit, qui se présentera en uniforme. Pour ceux qui auront choisi cette formule, le transport sera assuré par une flottille de voiturettes de golf identiques à celles de la villa Certosa ; pour ceux qui auront retenu la prestation platinum, les jeunes dames seront conduites par un fonctionnaire du ministère des Transports. L’offre Premier réserve les privilèges les plus luxueux : les filles arriveront en agitant un billet d’avion (même si elles sont venues à pied), apportant avec elles une bouteille de champagne, un représentant du gouvernement tchèque en visite officielle et un avocat. L’option VIP garantit, outre la présence de Topolanek en personne, celle d’une profusion de jeunes filles (les réservations peuvent se faire à la douzaine ou à la demi-douzaine). Elle comprend éga-
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lement les déplacements en avion, un CD imitant le bruit de l’hélicoptère et un chanteur napolitain. Clou de la soirée : la visite surprise d’un sosie de Berlusconi prodiguant de grandes claques amicales au maître de maison et faisant des propositions salaces à sa fille. Les orgies se déroulant dans les résidences privées devront être signalées à l’administrateur de la copropriété, qui pourra demander le remboursement de 50 % des dépenses occasionnées telles que la rétribution du personnel féminin, l’achat des fouets et des menottes et les frais de blanchisserie. Les résidents pourront s’accoupler librement dans les parties communes (hall d’entrée, cage d’escalier, cour intérieure), mais prendront soin de remettre à leur place les paillassons et les pots de fleurs éventuellement bousculés lors des ébats. Il est interdit d’utiliser les ascenseurs pour transporter des matelas. Les règles de comportement des copropriétaires sont laissées à la discrétion des participants : oui aux poursuites dans les escaliers pour ceux qui se déguiseraient en Batman, non aux jeux érotiques, qui impliquent des hurlements d’épouvante après minuit. Enfin, un kit surprise a été conçu par le président du Conseil lui-même. Il s’adresse donc tout particulièrement aux personnes qui ont le sens de l’humour et aux amateurs d’insolite. Une énorme boîte est livrée chez vous et il peut en sortir n’importe quoi : des danseuses de flamenco, des travestis, Miss Univers, des marins ivres, des toreros, des taureaux en rut, des alpinistes, des curés, des petites Hollandaises, des masseuses chinoises, des starlettes. Le maître de maison réservera le meilleur accueil à la surprise, quelle qu’elle soit, se montrant ainsi digne de ce sens de l’hospitalité qui a fait notre réputation à travers le monde, et tout particulièrement en République tchèque. L’Espresso, Rome
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europe Sempé, avec délice et poireaux
◀ “Leurs intentions
sont, en fait, très simples. Ils disent qu’ils aimeraient beaucoup être ici dedans, et nous dehors.” Dessin de J. J. Sempé extrait de Vaguement compétitif, Editions Denoël.
f cente en apparence provoquait des explosions de rires. “Les censeurs se disaient bien qu’il devait y avoir quelque chose si les gens riaient tant”, se souvient Ladislav Smoljak. La censure suspectait fortement les Cimrman mais n’avait aucune preuve tangible pour faire fermer le théâtre. Elle a, certes, tout fait pour lui compliquer la vie, le repoussant, par exemple, progressivement du centre de Prague jusqu’à la lointaine périphérie de Zizkov. Le renversement du régime, en 1989, fournit aux Cimrman un nouveau défi. “Bien sûr, on a craint de subir une baisse de la fréquentation”, se souvient Smoljak. Avec son compagnon d’écriture Zdenek Sverak [scénariste du film Kolya, réalisé par son fils Jan en 1997, et dans lequel il joue le rôle principal], ils évitent par principe tout sujet d’actualité ; c’est peut-être l’une des clés de leur réussite. Une autre raison de leur succès tient à l’humour très particulier qu’ils pratiquent. “Il est fondé sur la mystification, une grande tradition ici”, estime Vladimir Just en rappelant le scandale récemment provoqué par l’artiste [tchèque] David Cerny, auteur de la très polémique installation Entropa à Bruxelles [chaque pays de l’UE était matérialisé par un panneau représentant un cliché symbolique – la grève pour la France, les autoroutes pour l’Allemagne, les WC à la turque pour la Bulgarie –, prétendument réalisé par des artistes dudit pays]. Pour le critique, le duo Smoljak-Sverak se rapproche de Jaroslav Hasek [auteur du Brave Soldat Chveik, mort en 1923], le plus grand mystificateur tchèque, et de ses spectacles de cabaret des années 1911-2014. Aujourd’hui encore, la première partie du spectacle consiste en une sorte de conférence pseudo-savante ; la seconde partie, une pièce en un acte, relate des épisodes de la vie de Cimrman, par des auteurs fictifs. “La mystification, l’autodérision, le pour et le contre mal définis, cela a chez nous un très grand potentiel. Les Cimrman mettent en scène le mythe national tchèque mais jamais de façon univoque. Ils ne diront jamais : ‘Nous les Tchèques, nous sommes les meilleurs.’ Ou bien : ‘Nous les Tchèques, nous sommes des brutes.’ Ils balancent entre les deux. Et personne n’a jamais vraiment su qui est en réalité Cimrman, ce qu’il pense, quelles sont ses opinions. En cela, il ressemble à Chveik.” Mais les gens rient, ensemble, dans une belle ambiance de conspiration. Magdalena Platzova
■ Vieilles
FRANCE L’écrivain allemand Patrick Süskind rend hommage au dessinateur français, qui expose actuellement à Munich. SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits)
Munich uelqu’un me parlait récemment d’un roman chinois intitulé La Forteresse assiégée, référence non seulement à l’empire du Milieu mais surtout au mariage. Il m’expliquait que ce parallèle remontait en fait à Montaigne, qui disait du mariage : “Il en advient ce qui se voit aux cages : les oiseaux qui en sont dehors désespèrent d’y entrer ; et d’un pareil soin en sortir, ceux qui sont au dedans.” Selon mon interlocuteur, le roman en question est l’œuvre chinoise la plus impor… Mais déjà je n’écoutais plus, me dirigeant fébrilement vers la bibliothèque et fouillant du regard le rayon du bas, où se trouvaient les grands formats. Je sortis un album de Sempé, m’assis par terre et commençai à feuilleter. Au bout d’une demi-heure, je trouvais enfin ce que je cherchais, à la page 41 d’un album intitulé Vaguement compétitif. Il s’agissait d’un grand lavis représentant sur la droite une énorme forteresse moyenâgeuse, semblable à celle de Carcassonne, face à une vaste campagne parsemée de quelques oliviers [c’est le dessin ci-dessus]. Au centre se trouvait l’armée des assiégeants, minutieusement dessinés, avec leurs lances, leurs boucliers, leurs échelles, leurs catapultes, leurs béliers et leur général, panache au vent. A travers une fenêtre cintrée, on pouvait voir le seigneur, l’air renfrogné, entouré de sa femme, de son bouffon et de son chat, atta-
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blé devant un somptueux repas. Un émissaire, visiblement de retour de chez l’ennemi, se tenait droit devant lui et lui transmettait le message suivant : “Leur revendication est simple : ils se verraient bien dedans et nous dehors.” Certes, le lien entre cette image et le roman chinois est ténu mais cet exemple illustre bien à quel point certains dessins de Sempé peuvent marquer, de façon indélébile, même des années ou des décennies après, la mémoire de celui qui les a vus, lus et déchiffrés, et comment ils se rappellent à son souvenir et demandent avec insistance à être revus pour être comparés à quelque chose que l’on vient de vivre, de voir ou d’entendre. Ce n’est pas seulement, Dieu merci, que le monde soit tel que Sempé le dessine. En réalité, ce serait plutôt que Sempé dessine le monde – et plus précisément la société française – tel qu’il lui apparaît et tel que nous ne le verrions pas sans lui. En d’autres termes, il n’existe pas de meilleure description culturelle, sociologique et esthétique de la France que l’œuvre de Sempé. Sempé serait-il donc un peintre du réel, une sorte de photoreporter armé d’un crayon ? En aucun cas. Les dessins de Sempé n’ont que faire du réalisme. La plupart de ses scènes parisiennes (ou new-yorkaises), de même que les carrefours, les bâtiments, les places, les parcs et les cafés qu’il dessine n’existent pas en réalité, même si l’on jurerait les avoir déjà vus quelque part. Ses vélos roulent avec des roues sans rayons et des cadres aussi frêles que ses traits de crayon. Les ouïes de ses violons sont à l’envers, ses saxophones ont des embouchures tordues et ses trompettes ont quatre boutons de piston au lieu de trois. Quant à ses pianos, l’intéressé avoue lui-même qu’ils n’ont guère que leurs touches noires de reconnaissables.
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Les Grecs de l’Antiquité avaient eux aussi leur sens de l’humour. Le Philogelos (“l’ami du rire”, en grec ancien), collection de deux cent soixante-quatre histoires drôles datant du IIIe ou IVe siècle de notre ère, en témoigne. C’est le plus ancien recueil d’astuces existant. “Les blagues y sont concises et pointues”, explique Jim Holt dans The New Yorker. “Toute une gamme de personnages y sont moqués : les ivrognes, les avares, les prétentieux, les intellectuels, les hommes ayant mauvaise haleine et les femmes en manque de sexe.” Le livre donne un aperçu de certains aspects de la vie sous l’Empire romain. On peut y lire, par exemple, l’histoire de l’intellectuel qui navigue à bord de son bateau, quand une terrible tempête se lève. L’homme, pour encourager ses esclaves à tirer sur les avirons, leur assure : “Ne pleurez pas, je vous ai tous affranchis dans mon testament.”
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europe ▶ Dessin de
Ses pianos sont pourtant indéniablement des pianos, de même que ses musiciens, en quatuor à cordes ou en orchestre de jazz, sont indéniablement des musiciens. Et pour ceux qui ne savent pas ce qu’est véritablement un vélo ou l’auraient oublié, rappelons ici qu’il ne s’agit pas seulement d’un moyen de locomotion mû par la pression musculaire exercée par l’utilisateur sur les pédales, mais surtout d’une activité humaine à forte connotation sentimentale et psychologique, mêlant à la fois les sentiments d’effort et de légèreté, de difficulté et de liberté, de peur et d’allégresse, tous présents dans l’ouvrage de Sempé intitulé Simple ■ L’auteur Patrick Süskind est question d’équilibre, véritable hommage au vélo l’un des écrivains et au cycliste, et qui rassemble ses dessins les allemands les plus plus élégants et les plus rafraîchissants. connus à l’étranger. Les dessins de Sempé regorgent de détails Son premier roman, de la sorte, mais il en est pourtant un que je Le Parfum (1985 citerai encore, parce qu’il apparaît dans d’inen allemand, 1986 nombrables dessins, parce qu’il est mon prépour la version féré et parce qu’il est particulièrement lourd française), a de signification. Je veux parler ici des poireaux. rencontré un succès Les poireaux de Sempé n’ont généralement mondial ; il a été traduit en 45 langues que deux ou trois racines, parfois quatre, excepet adapté tionnellement huit, quand dans la réalité ils en au cinéma en 2006. possèdent des centaines de petites, serrées les Son dernier ouvrage, unes contre les autres. Les poireaux de Sempé Sur l’amour et dépassent généralement du cabas ou du panier la mort, est paru à vélo d’une ménagère française, et ils ont chez Fayard en 2006. presque toujours la tête en bas, leurs racines Il vit à Munich. pointées vers le ciel. Quiconque a déjà eu l’ocAdmirateur casion de transporter des poireaux dans un sac de longue date ou à vélo sait parfaitement qu’un tel agencede Sempé, Süskind a cosigné avec lui ment est totalement absurde, peu pratique et un album intitulé même quasi impossible car les feuilles de ce L’Histoire légume, qui s’écartent naturellement vers le de Monsieur Sommer haut, résistent à toute tentative de les fourrer (Folio Junior, 1998). à l’envers dans un contenant. Le texte ci-contre Il existe pourtant une explication logique et a été écrit technique à cette incongruité. En réalité, si Sempé à l’occasion d’une dessine ses poireaux à l’envers, c’est pour que les exposition, lecteurs puissent les reconnaître et ne les confonà la Staatsbibliothek de Munich dent pas, par exemple, avec des glaïeuls en fleurs. (jusqu’au 8 août), Mais ce n’est pas tout. Les poireaux de de 150 dessins Sempé expriment bien plus qu’un souci de de Sempé issus clarté sémantique vis-à-vis du lecteur. Ils signide collections fient quelque chose de précis. Ils sont là pour privées allemandes. dire : “Dans les profondeurs invisibles de ce sac Il a été retenu pour d’où ne dépassent que nos maigres racines se cachent servir de préface d’autres légumes ordinaires, à savoir des oignons, au catalogue de des carottes, des pommes de terre, des navets, un l’exposition, publié quart de céleri, et peut-être un morceau de côte aux éditions Diogenes (Zurich). de bœuf ou une volaille.” Le lecteur, reconnaissant les autres indices que constituent Dans le sac à main de la dame, sa permanente et son un hôpital petit chapeau, se psychiatrique, on fait représente immédiatement le potpasser un test à des patients. au-feu dominical Combien font 2+2 ? – 74, répond qu’elle s’apprête à ser vir dans le premier patient une porce– Mardi, répond le deuxième. laine blanche – 4, répond le troisième. à son mari installé dans le – Bravo, fait le directeur. salon de leur – Oh, c’était facile, réplique vieux trois pièces parisien, avec chel’homme , il suffisait de minée d’agrément, soustraire 74 de mardi papier peint à fleurs et (blague iranienne citée par vieux lustre accroché au L’Hebdo, Lausanne) plafond en stuc. J. J. Sempé, extrait de Simple question d’équilibre, Editions Denoël. Osbservez bien le poireau.
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Voilà tout ce que nous disent les poireaux de Sempé. Je ne mentionnerai leur côté comique qu’en dernier ressort, et non sans hésitation, car comment expliquer cette caractéristique ? En quoi des légumes peuvent-ils être comiques ? Pour sûr, si la chancelière allemande était reçue sur les marches de l’Elysée par le président français, sur un tapis rouge et en présence de la garde républicaine, et qu’un poireau pointait hors de son sac à main, la scène serait sans doute étrange : pas à cause de la tige de poireau en soi, mais parce qu’un objet – il pourrait tout aussi bien s’agir d’une louche ou d’une pince multiprise – surgit de façon surprenante dans un endroit incongru. Le poireau de Sempé, en revanche, se trouve dans un endroit auquel il appartient, en l’occurrence le cabas d’une ménagère française. Et pourtant, il est bizarre… Sempé possède un humour très particulier. Certes, il connaît et maîtrise les grossiers mécanismes du grotesque, mais il n’a pas besoin d’en faire usage. Il emprunte des sentiers plus subtils. Un de ses albums s’appelle Un léger décalage, mais ce titre pourrait s’appliquer à l’ensemble de son œuvre : un léger décalage*, une petite déviation, un léger écart, un petit grain de folie. Le terme de “cale” vient aussitôt à l’esprit, cet objet qui permet de maintenir dans sa position la plus conventionnelle un meuble ou un tableau dont le “décalage” perturbe tellement le bon ordre des choses. Mais il se dégage également des dessins de Sempé une sorte de mélancolie, un sentiment de menace et d’effroi. Car Sempé est loin d’être un maître du coup de crayon désopilant. La plupart de ses dessins, saynètes ou histoires tra14
hissent une certaine peur et une tristesse face à l’abandon des individus et des couples, la dureté du monde dans lequel nous vivons et de l’existence elle-même. “A table !” lance gaiement Madame depuis la fenêtre du jardin, une soupière fumante à la main. La table est dressée, la bouteille de vin ouverte mais celui qu’elle appelle, son mari, reste assis à l’écart sous la pergola, les cheveux en bataille, le front soucieux, le regard désespérément rivé sur une partie d’échecs qu’il ne peut pas gagner car son adversaire, tout de noir vêtu, n’est autre que la Mort, sa faux sur l’épaule. L’écart est parfois aussi vaste que dans ce dernier dessin : du petit clin d’œil du quotidien jusqu’au tableau métaphysique. Et cet écart recèle à la fois un regard extrêmement original, extrêmement personnel sur le monde, en même temps qu’il constitue une chronique de l’après-guerre à nos jours, dans une profusion toute balzacienne. C’est pour cela qu’un album de Sempé ne se feuillette pas à la va-vite, debout dans une librairie, comme s’il s’agissait d’un folioscope [ou flip book]. “Oh, comme c’est joli, tiens, regarde comme c’est drôle !” Non, il faut l’emporter chez soi, attendre le bon moment, celui où l’on sait que l’on ne sera pas dérangé, s’installer dans un coin, de préférence par terre, et lire page après page (même quand il n’y a pas de texte) les dessins de Sempé et lentement les déchiffrer. Quel bonheur ! Patrick Süskind * En français dans le texte. De Jean-Jacques Sempé, extrait de “Tag zu Tag”. Avec un essai de Patrick Süskind. Copyright © 2009 Diogenes Verlag AG Zürich. Copyright pour l’essai © 2009 by Patrick Süskind.
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Obama, ce mauvais sujet MACLEAN’S
ÉTATS-UNIS Difficile de se payer la tête du si brillant président américain en pleine obamania. D’autant plus qu’il a suffisamment d’humour pour s’en charger.
Toronto eu après la victoire de Barack Obama, en novembre dernier, le présentateur de talk-show Jimmy Kimmel s’est arrêté chez Legends, un coiffeur de Los Angeles. Officiellement pour une petite coupe, mais aussi pour tester, “pour le compte des professionnels de l’humour”, quelles plaisanteries sur le nouveau président étaient
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Pourquoi Barack Obama ne prie-t-il pas ? Parce qu’il est impossible de lire un téléprompteur les yeux fermés.
considérées comme choquantes par le personnel et la clientèle du salon, essentiellement des Noirs. Les boutades sur les piètres talents de danseur d’Obama passaient bien, ou sur ses grandes oreilles. Mais, comme l’a appris Jimmy Kimmel, s’amuser de la “croupe” de Mme O. dépassait les bornes. Naturellement, cette histoire n’est qu’une plaisanterie qui a fait l’objet d’un sketch (assez truculent, d’ailleurs), mais elle illustre une inquiétude réelle parmi les humoristes en ces
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▶ Dessin de Mix
& Remix paru dans L’Hebdo, Lausanne.
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Le stand up comedy connaît un formidable essor en Argentine, investissant des caves, des garages aménagés en cafés-théâtres ou les salles les plus prestigieuses. Ce genre humoristique ne nécessite qu’un micro, un texte solide et une bonne technique. Le public argentin adore. Dans les années 1990, le stand up a retenu l’attention du monde entier grâce à la comédie télévisée américaine Seinfeld (écrite par Jerry Seinfeld). “En Argentine le genre a eu de glorieux précurseurs, comme Pepe Arias, Antonio Gasalla, Enrique Pinti. Nous sommes un pays de grands humoristes et il était logique que le stand up rencontre ici son public”, explique Martín Rocco.
débuts de l’ère Obama. Certes, les amuseurs publics pourront toujours compter sur son viceprésident, Joe Biden, pour mettre régulièrement les pieds dans le plat, mais Obama, contrairement à la plupart des “chefs suprêmes des armées” qui l’ont précédé, ne prête guère à rire. Les auteurs des shows télévisés ne peuvent plus désormais compter sur le président pour faire le travail à leur place. Mais alors, six mois après son investiture, comment les humoristes américains s’en sortent-ils ? Etudions, à titre d’exemple, la première semaine du mois de juin dernier. Après tout, elle aura vu l’arrivée de Conan O’Brien à la place de Jay Leno aux commandes du Tonight Show, un bouleversement majeur dans le paysage audiovisuel américain. Les autres présentateurs avaient toutes les raisons d’être à leur meilleur niveau. Et l’actualité ne manquait pas de sel : le gouvernement américain venait de prendre les commandes de General Motors et Barack Obama s’était offert une escapade à New York avec la première dame, qu’il avait invitée à dîner, avant de l’emmener voir une pièce à Broadway. Or, tout ce qu’ont pu trouver David Letterman, Jimmy Kimmel et Conan O’Brien, c’est une saillie sur un agent des services secrets sur les nerfs qui s’est jeté sur un poivrier pendant le dîner présidentiel et un bon mot sur Michelle Obama, dont le point d’orgue du séjour à NewYork aurait été la création d’un potager dans la luxuriante chevelure de Donald Trump [l’une des premières actions de Michelle Obama en tant que première dame a été d’inaugurer un potager biologique dans les jardins de la Maison-Blanche]. Le genre de vannes qui peuvent faire des victimes dans les maisons de retraite.
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Rocco fait son show seul
Ce publicitaire reconverti à la scène est la référence du stand up, ce monologue humoristique qui fait fureur à Buenos Aires.
uand Martín Rocco attrape un micro et se lance dans un monologue, c’est pour s’en prendre à la banalité du quotidien. Ses commentaires sur les artifices de la publicité, la vie et les mœurs dans les grandes villes ou les relations de couple provoquent immédiatement une identification chez son public. Mais, avant de viser le spectateur, c’est surtout de lui-même qu’il se moque ; il n’incarne jamais un autre personnage que lui-même – la comédie n’est pas son fort, le jeu d’acteur non plus. Cet humoriste se distingue par un style centré sur l’autodérision. “On ne peut pas dire que je sois vraiment gros”, lance-t-il sur scène, alors qu’il est devancé par un énorme ventre. “J’ai un poids normal pour quelqu’un qui fait 2 mètres.” Rocco se souvient de ses premiers pas, il y a quinze ans, dans le domaine du stand up comedy, un genre de comique, venu tout droit des EtatsUnis, où le comédien se produit en solo face au public, avec pour seuls accessoires un micro et son imagination. (voir page 17) Rocco est un ancien publicitaire qui a un jour décidé de passer “du monde des factures publicitaires” à la scène. “Pour ma première représentation, j’ai invité tous mes amis qui, bien entendu, se sont tordus de rire. Ce soir-là, j’étais convaincu d’avoir trouvé ma vocation. Mais, le lendemain, je ne
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Pour être honnête, quelques plaisanteries mordantes ont eu le président pour cible. “Ils en ont fait beaucoup sur les plans de sauvetage, sur son attitude ‘tellement cool’, et sur son image de messie”, relate Russell Peterson, un ancien humoriste qui enseigne aujourd’hui à l’université de l’Iowa. En réalité, les humoristes manquent d’angles d’attaque, de travers auxquels se raccrocher. Obama ne prend de libertés ni avec la langue anglaise, ni avec les stagiaires, ce qui le rend difficile à tourner en ridicule. “Cela en dit long sur l’approche [des émissions des grandes chaînes de télévision américaines], qui s’arrêtent à la surface des choses, à la personnalité”, explique Russell Peterson, auteur de Strange Bedfellows :
connaissais personne dans le public et seuls deux spectateurs ont ri. J’ai dû sérieusement retravailler mes monologues.” Depuis, ce monologuiste est devenu (littéralement et physiquement) un poids lourd des milieux du stand up. Un de ses plus grands succès est ce monologue impayable d’un zonard de Munro, banlieue de Buenos Aires, à qui rien ne réussit. Il n’y a pas que son quartier qui soit pourri : son chien, sa fiancée, la bouffe et toutes les femmes sont également nuls. Et dans son appartement les cafards en ont tellement marre de vivre dans la crasse qu’ils finissent par se suicider en se jetant sous les semelles du maître de maison. D’après moi, le rire surgit de l’originalité, de la vision décalée. On commence par raconter une histoire, mais celle-ci se termine à un tout autre niveau. C’est ce que fait par exemple Marcos Mundstock dans un sketch des Luthiers [un célèbre groupe d’humoristes qui tient la scène en Argentine depuis quarante ans] : il ouvre sa chemise, mais la page qu’il est censé lire n’y est pas. Quelqu’un la lui apporte, et il se met à lire : “Riz, 4,50 ; pêches, 3,80.” Ensuite il rend la feuille en pestant contre la vie chère, au lieu de se plaindre qu’on lui ait donné une addition d’épicerie à la place de son texte. Le spectateur a déjà compris qu’on ne lui a pas donné le bon texte, mais Mundstock choisit de changer totalement de perspective pour le prendre par surprise. Silvina Friera, Página 12 (extraits), Buenos Aires
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How Late-Night Comedy Turns Democracy into a Joke [Comment les émissions d’humour tournent la démocratie en ridicule]. “Obama cadre mal avec leur habitude d’aller vers la facilité.” En se consacrant aux questions de fond, les comédiens de Comedy Central [chaîne câblée dédiée à l’humour] – c’est-à-dire Jon Stewart et Stephen Colbert – font tout de même du bon travail. D’après le Center for Media and Public Affairs, Jon Stewart et Stephen Colbert ont plus brocardé Obama que John McCain, Sarah Palin et George W. Bush au cours de la campagne présidentielle de 2008. Et cette tendance a persisté cette année. En revanche, les présentateurs Jay Leno, Conan O’Brien et David Letterman se sont plus souvent moqués de George W. Bush (129 fois) que de Barack Obama (111 fois) entre le 1er janvier et le 15 mars – ce qui correspond approximativement à l’apogée de l’obamania. La plupart des plaisanteries entendues au cours de cette période concernaient son “aura de rock star”. Entre-temps, son vice-président est devenu leur cible favorite. “En choisissant Joe Biden, c’est quasiment comme si Obama avait voulu jeter un os à ronger aux humoristes”, commente Robert Thompson, directeur du Bleier Center for Television and Popular Culture de l’université de Syracuse [Etat de NewYork]. “Lorsque les humoristes sont en panne d’inspiration, ils peuvent toujours jouer la carte Joe Biden.” En raison de la popularité du président, certains présentateurs se sont même heurtés à une légère résistance de la part de leur public. Après une boutade qui était mal passée, Jon Stewart a été contraint d’expliquer à l’antenne qu’il n’était pas inconvenant de se moquer d’Obama. Barack Obama lui-même a suscité la controverse en comparant ses talents au bowling à ceux d’un athlète paralympique sur le plateau du Tonight Show en mars dernier. Mais dans la plupart de ses apparitions dans les talk-shows, cependant, il a fait montre d’une maîtrise totale, signant souvent les meilleures répliques. Et non seulement le nouveau président est un crack en matière de blagues, mais il ne se prend pas trop au sérieux. Lorsque ses détracteurs se sont acharnés sur sa dépendance aux téléprompteurs, Obama a préféré en jouer. Lors de son discours d’introduction au dîner de l’Association des journalistes accrédités à la Maison-Blanche, en mai dernier, le président a annoncé qu’il allait ranger le texte qu’il avait préparé pour “essayer quelque chose d’un peu différent”. Au moment où il assurait à la salle qu’il allait “parler du fond du cœur”, un prompteur est apparu. Avant lui, Ronald Reagan usait déjà de cette stratégie qui consiste à jouer de ses faiblesses. Après avoir essuyé plusieurs remarques sur son âge (Reagan avait 69 ans lors de sa première élection, en 1980, ce qui faisait de lui le plus vieux président américain), il a profité de la moindre occasion pour évoquer sa sénescence avancée. Ce faisant, il coupait l’herbe sous le pied de ses opposants. Si bien que, lorsqu’il s’est présenté à l’élection suivante, l’âge n’a pas été un thème de campagne. Mais Barack Obama finira bien par gaffer, assure Robert Thompson, ce n’est qu’une question de temps. “C’est inévitable, à moins que nous ne soyons gouvernés par un être d’essence divine. Or, quoi qu’en pensent certains, ce n’est pas le cas.” John Intini
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◀ Extrait de l’album Il était une fois Mafalda, de Quino, Editions Glénat.
Deux impertinentes créatures ARGENTINE Nées de l’imagination des dessinateurs Quino et Landrú, Mafalda et Tía Vicenta ont, en leur temps, révolutionné l’humour argentin. PÁGINA 12
Buenos Aires hacun à sa manière, plus ou moins discrètement, deux des plus grands dessinateurs d’humour argentins viennent de mettre un terme à leur carrière : Landrú [né en 1923] et Quino [né en 1932], les vétérans, ne dessinent plus et ne publient plus. Cependant, avec le recul, on s’aperçoit que l’évolution, la qualité et le nombre de leurs œuvres leur donnent une pertinence qui n’a pas de date de péremption. Très différents l’un de l’autre, ils ont en commun d’avoir révolutionné le dessin d’humour en Argentine. Et ils doivent évidemment leur réussite à deux femmes – comme toujours chez les grands créateurs. Sur la période qui s’étend de la chute de Perón, en 1955, aux premières violences politiques qui se sont achevées dans le bain de sang des années 1970, le dessin d’humour argentin s’est renouvelé, essentiellement grâce à la Tía Vicenta de Juan Carlos Colombres, dit Landrú, et à la petite Mafalda (sa nièce peutêtre ?) de Joaquín Lavado, plus connu sous le pseudonyme de Quino. La señora gorda [“grosse dame”, personnage féminin inventé par Landrú, ignorante et pleine de préjugés] et la fillette futée sont à l’origine (en 1957 pour la première, en 1964 pour la seconde) de deux manières fécondes de mettre l’intelligence au service de l’humour. Grâce à elles, l’humour politique et sociologique s’est développé, sans possible retour en arrière. Landrú, caricaturiste impitoyable, un peu primaire, s’est inspiré des visages de ses contemporains : il a fait de Perón une fripouille écartée du pouvoir ; les hommes forts de la junte se sont vus représentés en vache ou en
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nain. En plus d’apporter une bouffée d’air frais la production, jusqu’à l’arrêt de la BD en dans l’atmosphère étouffante de la politique, 1973, constituent un corpus aussi solide et Landrú a ouvert des portes et s’est autorisé cohérent qu’efficace, qui n’a cessé d’être – et a autorisé les autres – à se jouer de tout, réédité dans le monde entier. Mais l’origisans exception. Bonne plume, très sensible aux nalité du phénomène tient à son incroyable mots, il a créé des personnages à part entière, diffusion et à la pérennité de son succès. des personnages cohérents, dont les mots et C’est peut-être parce que Mafalda, emmel’apparence sont indissociables. Il a surtout née par Quino, est arrivée au bon moment donné du travail et les moyens de dessiner aux et a su s’arrêter à temps. talents les plus impertinents de la nouvelle A la fin des années 1960, pour la classe génération, comme Copi ou Carlos Peralta moyenne progressiste, antiautoritaire et ins(Carlos del Peral). De l’utilisation de vieilles truite, la fillette de Quino, contestataire et photos commentées aux (faux) concours et enfant terrible, est devenue l’incarnation de compétitions de tares et de cas sociaux, Lan- l’humour intelligent. Le trait habile et toudrú a ouvert tous les champs. A une époque, jours bienveillant, la complicité subtile, sur la couverture de TíaVicenta, la revue folle l’empathie infaillible de la fillette vis-à-vis et bon marché de Landrú, on voyait les géné- des opinions d’un public inconditionnel raux faire la queue et demander : “C’est bien qui découvre alors l’engagement et la psyici la queue pour le coup d’Etat ?” chanalyse alors que, dans l’air, quelque chose La cohabitation de Landrú avec le pou- indique que le pays avance, entre révoltes voir a duré presque dix ans, jusqu’au sociales et chants de protestation, vers coup d’Etat militaire de 1966 et la libération : voilà le cocktail que la mise en place de la “révolule talent inépuisable de Quino Comment tion argentine” [dictature milia servi en doses hebdomataire] du général Onganía. daires sans contre-indication se suicide Pour la première fois, Tía apparente. un Argentin ? Vicenta a été interdite, à Même si elles sont parvenues En se pendant cause d’un jeu de mots qui à entrer dans la décennie suifaisait le rapprochement vante, Mafalda et Tía Vicenta du haut de son ego entre la moustache du dicsont de purs produits des (blague racontée par les autres tateur et celle d’un morse. années 1960. Une période penLatino-Américains) Au cours de la décennie suidant laquelle la réalité sociopovante, la revue a de nouveau été litique, avec ses blessures et ses publiée, sous son nom d’origine ou contradictions, laissait de la place à sous un autre, mais son âge d’or était l’espoir ; où l’on sentait qu’il y avait beaucoup révolu : la première version ne devait jamais à faire et que l’on pouvait faire beaucoup. Il être égalée. D’une certaine manière, c’est le était possible d’être critique et dissident, la bébé de Quino, Mafalda, qui a récolté les marge de manœuvre était encore large car le fruits de Tía Vicenta. Mafalda n’est pas née sang n’avait pas encore coulé. Ensuite, la réadans une revue d’humour ou dans un quo- lité s’est imposée… Elle est devenue ingérable, tidien, comme c’était souvent le cas pour ce surtout pour la fillette de Quino. L’auteur a type de personnages, mais dans Primera senti qu’il ne pouvait plus, même si on le laisPlana, un hebdomadaire d’actualités poli- sait faire, lutter contre les bruits qui montaient tiques moderne, type Time ou L’Express, des- de la rue, symptômes d’une époque qui n’était tiné à des lecteurs informés. De là, Mafalda pas celle dans laquelle Mafalda avait grandi. est passée dans le quotidien El Mundo, où Et, heureusement pour elle et pour lui, il a elle a partagé la vedette avec Tía Vicenta pen- cessé de la dessiner. dant un temps, puis à l’hebdomadaire Siete Cela fait un moment déjà que Tía Vicenta Días. Le personnage était déjà bien en place et Mafalda ne sont plus là pour commenter ce quand, en 1966, on a commencé à réunir les qui se passe. Elles ont dit de leur époque, ces dessins en petits albums qui ont jeté les bases années 1960 dont elles sont indissociables, d’une popularité inhabituelle. Les dix tomes ce qu’elles avaient à dire. Juan Sasturain de Mafalda, qui réunissent l’ensemble de 17
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Sur la couverture du n° 79 de Tía Vicenta, du 11 mai 1979, le personnage éponyme, une grosse femme ignorante et pas très futée, a l’air très indécis. Tía Vicenta se demande si elle va regarder à la télé Mirtha Legrand, Analiá Gadé (deux animatrices d’émission de l’époque)… ou Videla, le dictateur à la tête du pays. Sous le titre, l’“état civil” du journal précise : Directeur : Landrú • Sous-directeur : Margaret Thatcher • Ere boursière.
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Homard m’a tuer
l y a deux semaines, Abe Moscowitz a succombé à une crise cardiaque et a été réincarné ■ Le sujet Bush en homard. Pêché au large du Maine, il a été Un vieil homme expédié à Manhattan et a échoué dans le vivier s’approche de d’un restaurant de fruits de mer très sélect de la Maison-Blanche l’Upper East Side. Il y avait là plusieurs autres et s’adresse homards, et l’un d’entre eux l’a reconnu : “C’est au marine qui toi, Abe ?” demanda la bestiole, toutes antennes monte la garde : dressées. “Qui est là ? Qui me parle ?” dit Mos“Je voudrais cowitz, encore tout étourdi par cette subite et rencontrer le président Bush.” mystérieuse intervention post mortem qui l’avait “M. Bush n’est plus métamorphosé en crustacé. président et il ne “C’est moi, Moe Silverman, dit l’autre. réside plus ici”, — Ça par exemple ! siffla Moscowitz en reconrépond le marine. naissant la voix d’un vieux partenaire de gin“Bien”, dit le vieil rummy. Mais qu’est-ce qui nous arrive, Bon Dieu ? homme, et il s’en va. — On a été réincarnés, expliqua Moe. En homards Le lendemain, d’un kilo. rebelote. — Quoi ? En homards ? Moi qui ai vécu une vie Même question, exemplaire ? Dans un vivier de la 3e Avenue ? même réponse. Le surlendemain, — Les voies du Seigneur sont impénétrables, dit le marine laisse Moe. Regarde Phil Pinchuck. Il a été foudroyé par percer un peu une rupture d’anévrisme, et maintenant c’est un d’impatience : hamster. Il passe sa journée à courir dans sa roue “Monsieur, pour à la con. Quand on pense qu’il a été longtemps la troisième fois, prof à Yale. Eh bien, il a fini par y prendre goût à je vous dis que sa roue. Il n’arrête pas de pédaler. Il ne va nulle M. Bush n’est plus part, mais il sourit.” président et ne Moscowitz, lui, n’était pas content du tout de sa réside plus ici. nouvelle enveloppe charnelle. Pourquoi un honVous ne comprenez pas ?” Le vieil nête citoyen comme lui, un dentiste, un mensch1, homme le regarde qui aurait mérité de revivre en aigle majestueux et répond : “Oh si, ou blotti sur les genoux d’une superbe créature je comprends. qui lui aurait caressé le pelage, avait-il droit à une Ça me fait plaisir telle ignominie – se retrouver à la carte d’un resde l’entendre, taurant ? c’est tout.” C’était vraiment un sort cruel d’être voué par sa Le marine salue chair délicieuse à finir en plat du jour, avec une alors le vieil homme pomme de terre au four et un dessert. S’ensuiet lui dit “A demain, donc, monsieur.” vit une grande discussion entre les deux homards sur les mystères de l’existence et de la religion et sur les facéties de l’univers. Penser qu’après son attaque cérébrale un type comme Sol Drazin, un schlemiel2 qui était dans la restauration, était devenu un étalon qui inséUn homme marche minait d’adorables petites pouliches pur-sang pour dans la rue avec un des sommes faramihomard sous le bras. Il croise neuses ! Furieux et un ami, qui lui demande ce qu’il déprimé, Moscowitz parcourait l’aquafait avec ce homard. rium, incapable de – Je l’emmène chez moi prendre rester aussi zen que Silverman à le thé, répond-il. l’idée de finir en – Je viens d’en boire, emmène-moi homard Thermidor. Sur ce, voilà qu’entre plutôt au cinéma, suggère dans le restaurant le homard. Bernard Madoff en per(blague américaine) sonne, qui s’assoit à une table voisine. Déjà amer et agité, Moscowitz se mit alors à souffler et à battre de la queue en faisant autant de remous dans l’eau qu’un moteur de hors-bord.
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4 “Je rêve ! s’écria-t-il, collant ses petits yeux noirs aux parois vitrées. Ce goniff3 qui devrait être en train de casser des cailloux au bagne ou de fabriquer des plaques d’immatriculation en prison a réussi à s’échapper de sa résidence surveillée pour se taper des fruits de mer ! — Mate un peu les diams de son immortelle bienaimée”, observa Moe en louchant sur les bagues et les bracelets de Mme M. Moscowitz réprima un reflux gastrique – un léger désagrément hérité de sa vie antérieure. “C’est à cause de lui que je suis ici”, pesta-t-il, au comble de l’énervement. “A qui le dis-tu, soupira Silverman. J’ai joué au golf avec lui en Floride, et, soit dit en passant, c’est le genre de type à pousser discrètement la balle dans le trou dès qu’on a le dos tourné. — Tous les mois, il m’envoyait un relevé, tempêta Moscowitz. Je savais bien que ces chiffres étaient trop beaux pour être casher et, quand je lui ai dit en rigolant que tout ça ressemblait à une pyramide de Ponzi, il s’est étouffé avec son kugel4. J’ai dû pratiquer la manœuvre de Heimlich. Et finalement, après toutes ces années à mener la belle vie, il s’avère que c’était un escroc et que mes actifs valaient des clopinettes. J’en ai fait un infarctus du myocarde qu’ils ont enregistré jusqu’au laboratoire d’océanographie de Tokyo. — Moi, il m’a fait lanterner, dit Silverman, en cherchant instinctivement un Xanax dans sa carapace. D’abord, il m’a dit qu’il ne prenait plus de nouveaux clients. Plus il me disait non, plus j’avais envie qu’il m’accepte. Je l’ai invité à dîner et, comme il avait aimé les blinis de Rosalee, il m’a promis que dès qu’une place se libérerait, elle serait pour moi. Le jour où j’ai su qu’il voulait bien gérer mon compte, j’étais tellement heureux que j’ai découpé la tête de ma femme sur notre photo de mariage pour mettre la sienne à la place. Quand j’ai appris que j’étais ruiné, je me suis suicidé en me jetant du toit de notre club de golf à Palm Beach. J’ai dû attendre une demi-heure pour sauter. Il y avait onze types devant moi.” A cet instant, le maître d’hôtel escorta Madoff jusqu’au vivier à homards, où la fripouille, avec son air patelin, après avoir jaugé les candidats, désigna Moscowitz et Silverman. Le maître d’hôtel se fendit d’un sourire obligeant et appela un serveur pour extraire le duo du vivier. “Alors là, c’est le comble, s’écria Moscowitz devant cet ultime outrage. Me siphonner les économies
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de toute une vie pour ensuite me bouffer dans une sauce au beurre ! Mais dans quel monde on vit ?” Moscowitz et Silverman, dont le courroux atteignait à présent des dimensions cosmiques, firent basculer l’aquarium. Tant et si bien qu’il se renversa, se brisa en mille morceaux et inonda le sol en tomettes. Des têtes se retournèrent ; le maître d’hôtel paniqué regardait la scène bouche bée. Bien décidés à se venger, les deux homards se précipitèrent vers Madoff. Ils atteignirent sa table en un clin d’œil et Silverman lui attrapa la cheville. Moscowitz, avec une force décuplée par la rage, bondit au visage de Madoff et lui attrapa le nez avec une de ses pinces géantes. Hurlant de douleur, l’escroc grisonnant sauta de sa chaise tandis que Silverman enserrait son cou-de-pied dans ses deux pinces. Les clients n’en croyaient pas leurs yeux mais, reconnaissant Madoff, ils se mirent à acclamer les homards. “Tiens, ça c’est pour les veuves et les bonnes œuvres, hurlait Moscowitz. Grâce à toi, l’hôpital Hatikvah est aujourd’hui une patinoire !” Incapable de se dégager des deux habitants de l’Atlantique, Madoff déguerpit à toutes jambes du restaurant et alla se perdre en glapissant dans la circulation. Moscowitz resserra son étau sur sa cloison nasale et Silverman perfora sa chaussure, ce qui décida l’escroc visqueux à plaider coupable et à demander pardon pour son arnaque monumentale. Le soir, Madoff était à l’hôpital de Lenox Hill, couvert de contusions et de meurtrissures. Les deux plats renégats, désormais calmés, trouvèrent encore la force de gagner les eaux froides et profondes de Sheepshead Bay où, si mes informations sont bonnes, Moscowitz coule toujours des jours heureux auprès de Yetta Belkin, qu’il avait rencontrée plusieurs fois au supermarché du coin. De son vivant, elle avait toujours ressemblé à une limande. Et après l’accident d’avion qui lui coûta la vie, elle en était devenue une. The New Yorker, New York © 2009 Woody Allen. Tous droits réservés. 1. En yiddish, homme, au sens de type bien. 2. Dans le folklore yiddish, personne gauche, empotée, qui attire la malchance par sa maladresse. 3. En yiddish, crapule, fripouille, vaurien. 4. Orthographié aussi kougel en français, cette sorte de pudding sucré ou salé est un grand classique de la cuisine ashkénaze.
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Mascarade en temps de grippe
Dans les rues de Mexico, les masques destinés à se protéger du virus H1N1 sont devenus des objets artistiques et comiques.
ace à la menace de la grippe H1N1, les habitants de Mexico ont choisi de montrer leur créativité : dans les rues et les transports publics de la capitale, les masques protecteurs ornés d’illustrations comiques se sont multipliés. Une balade dans les principales artères de Mexico montre que, si la majorité de la population a pris la grippe H1N1 au sérieux, une poignée d’âmes au tempérament artistique ont laissé libre cours à leur inventivité, sans pour autant déroger aux précautions et aux mesures prophylactiques qui s’imposent. Sur les masques sont apparus de grosses lèvres rouges, une langue imposante, un nez de cochon ou des moustaches façon Emiliano Zapata, Charlie Chaplin ou Adolf Hitler, tandis que d’autres arboraient des mots d’esprit et des aphorismes piquants typiques de la tradition et du tempérament mexicains. Comme en écho aux piétons et automobilistes masqués avec humour et inventivité, on a pu entendre sur Internet et sur les stations de radio une Influenza Cumbia [Cumbia de la grippe], qui nous invite à chanter et à danser mais surtout à réfléchir sur ce mal qui menace le monde. Cet air entêtant a progressé à la vitesse de l’éclair dans les principales playlists des radios mexicaines et d’autres stations d’Amérique latine. On la doit au groupe Agrupación Cariño [Groupe Tendresse], qui s’est empressé de composer et de lancer cette cumbia qui cite divers superhéros dont Superman et Indiana Jones. Dans la même veine, nombre de journaux et de magazines offrent à leurs lecteurs toute une gamme d’illustrations pour leurs masques, du smiley le plus innocent et le plus classique à d’épaisses lèvres colorées de toutes tailles pour se protéger avec sensualité. Tous ces artifices reflètent l’amour de l’art et le sens de l’humour des habitants de la plus grande métropole de la planète, mais ils montrent aussi le respect et le sérieux avec lequel ceux-ci se conforment aux recommandations sanitaires.
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Milenio, Mexico ▲ Dessins de Langer parus dans Clarín, Buenos Aires.
Guignols sans limites ARGENTINE Une parodie d’émission de télé-réalité épingle cruellement la classe politique. Le public adore. MILENIO
Mexico DE BUENOS AIRES maginez une présidente de la République gainée dans une robe de satin rose et portée par plusieurs danseurs, dans une parodie du clip Material Girl, de Madonna. Ou en train d’exécuter une danse lascive en robe de chambre transparente, au rythme d’une balade sirupeuse des années 80. En Argentine, cette farce dure depuis plus de deux mois [l’édition 2009 a commencé le 11 mai]. Bien sûr, il faut préciser que la protagoniste de ces scènes n’est pas la présidente du pays en personne, Cristina Kirchner, mais l’imitateur Martín Bossi, qui la parodie dans l’émission la plus regardée de la télévision argentine, ShowMatch, présentée par Marcelo Tinelli. Insistant sur le “côté frivole” pointé du doigt par ses détracteurs, le personnage de Cristina tient de longs discours à la tribune en s’exclamant “Mon Dior !” à tout propos, puis finit par prendre congé en lançant “¡Hasta laVictoria Secret!” (marque de lingerie américaine) [détournement du cri de ralliement de la révolution cubaine : “¡Hasta la victoria, siempre !”, “Jusqu’à la victoire, toujours !”]. L’émission ne fait l’objet d’aucune censure. La présidente affirme que, à l’heure où passe l’émission, elle dîne avec son mari (et prédécesseur, de 2003 à 2007), Néstor Kirchner, et qu’elle n’a donc jamais vu cette imitation. Cette année, à l’occasion du vingtième anniversaire de ShowMatch, Marcelo Tinelli a décidé de relancer le sketch Gran Cuñado [littéralement “grand beau-frère”], qui parodie la célèbre émission de télé-réalité Big Brother. [devenue Loft Story en France] A ceci près qu’il s’agit d’un loft habité par des personnalités politiques. Le personnage de la présidente était censé quitter le loft à l’issue des trois épreuves éliminatoires programmées, mais elle a bénéficié d’un rattrapage du public. L’émission avait déjà eu du succès sous la présidence de Fernando de la Rúa [19992001], quand le comique Freddy Villareal incarnait le président sous les traits d’un homme abruti et sénile qui se perdait en quittant le studio de télévision et ne comprenait pas grandchose, voire rien du tout, à ce qui se passait autour de lui. En 2003, deux ans après la chute de son gouvernement, à la suite de l’une des plus graves crises politiques et économiques qu’ait jamais connues le pays, de la Rúa avait accusé Tinelli d’avoir contribué par ses “moqueries” à ébranler son gouvernement. Outre la présidente, l’émission actuelle met en scène plusieurs personnages centraux, comme son mari Néstor Kirchner, le vice-
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président Julio Cobos ainsi que l’opposant Franciso de Narváez, élu député de la province de Buenos Aires aux législatives de 2009. Tout est possible dans le loft du Gran Cuñado. Il y a peu, le personnage du viceprésident Cobos est entré “par erreur” dans le lit de Cristina. Dans le numéro intitulé ■ Mexique “30 secondes de célébrité”, où les imitateurs Comment sait-on des politiques doivent faire la démonstration que l’on a contracté la grippe porcine ? de leur talent, le personnage de Néstor Kirch- Parce que ner s’est présenté comme un ventriloque ; l’on a la queue celui de sa sœur Alicia Kirchner, ministre du en tire-bouchon. Développement social, a exécuté une chorégraphie érotique autour d’un poteau et l’imitateur du candidat d’opposition de Narváez a dansé le hip-hop. Marcelo Tinelli et ses imitateurs assurent que l’émission ne fait que de l’“humour politique”, mais, lors de la campagne pour les législatives du 28 juin [qui ont abouti à une nette défaite du parti présidentiel], d’aucuns y ont vu une vraie stratégie. Certains déplorent l’absence sur le plateau de représentants de l’Accord civique et social (ACyS), l’une des principales formations d’opposition. Le personnage d’Elisa Carrió, leader de l’ACyS, est de fait le premier à Dans le métro avoir été éliminé de l’émission. En revanche, la coalition de New York, un Juif d’opposition Unión-Pro, voit un Noir qui lit un formée de péronistes “disjournal en hébreu. Etonné, sidents” et du parti de centre-droite Pro, compte il lui dit : “Excusez-moi, de nombreux représentants ça ne vous suffisait pas dans l’émission, comme le député Francisco de d’être noir ?” Narváez, qui doit une bonne (cité dans Pas facile d’être juif, part de sa popularité à Gran de Riccardo Calimani, Cuñado. Les imitations serventéd. Yago) elles ou desservent-elles les politiques ? Les avis sont partagés. ◼
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Se moquer de tout, pas de tous AUSTRALIE Une célèbre émission de télé satirique a récemment pris pour cible une association qui s’occupe d’enfants malades. Tollé garanti.
THE WEST AUSTRALIAN
Perth i un spectacle a une valeur comique, il fait rire les gens. C’est aussi simple que cela, mais nul besoin d’avoir soi-même procréé pour refuser que l’on puisse faire rire aux dépens d’enfants malades. Les comiques ont le droit de repousser les limites de la dérision – c’est ce qu’on attend d’eux –, mais il existe des domaines tabous.
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Tout le monde n’a certes pas la même conception de ce qui est acceptable ou non. Si le politiquement correct va parfois trop loin, la cible de ce sketch, à savoir des enfants à l’article de la mort, ne méritait assurément pas une telle cruauté. Le thème abordé par ce morceau d’humour noir n’est ni d’actualité, ni pertinent, ni même intelligent. Si la comédie ose aborder un sujet sensible, qu’elle remplisse au moins ces critères. L’émission satirique télévisée en cause [diffusée début juin] tournait en ridicule
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asie la prodigalité de la fondation Make-a-Wish, qui exauce les vœux d’enfants en phase terminale. Mettant en scène un jeune malade qui souhaite rencontrer une vedette d’Hollywood mais se voit offrir une canne, l’émission se terminait par une chute qui a choqué le public : “Pourquoi se donner du mal pour des gens qui vont de toute façon mourir ?” Les condamnations ont fusé, même de la part du Premier ministre, L’écrivain et blogueur chinois Kevin Rudd. Mais si les cinq réalisateurs de prodigue des conseils aux l’émission The Chaser’s War on Everything [du pouvoirs publics pour gérer nom de la troupe – Chaser – qui conçoit et le récent effondrement d’un anime l’émission] méritent toutes ces critiques, immeuble à Shanghai. Juste en il est injuste qu’ils portent seuls le chapeau. léger décalage avec la réalité. D’autres personnes plus haut placées de la chaîne [publique] ABC ont une part de près enquête des experts et responsabilité. Le plus déconcertant, c’est services concernés de la municipalité de qu’une tentative d’humour aussi immature et Shanghai, le rapport d’expertise sur l’effondrepathétique ait pu être programmée. ment d’un immeuble en construction du complexe Il n’est évidemment de l’intérêt de personne Lotus Riverside [qui a eu lieu le 27 juin, faisant que le conseil d’administration ou qui que ce un mort] est arrivé aux conclusions suivantes : soit, au cours du processus d’approbation des 1. Il s’agit d’un suicide du bâtiment ; les pouvoirs programmes, en vienne à brandir la censure. publics n’y sont pour rien. Il n’y a rien de pire qu’une situation dans 2. Les causes du suicide seraient une trop forte laquelle chacun, chez ABC, craindrait de voir pression de part et d’autre. Autrement dit : le stress. son travail interdit d’antenne pour éviter une 3. Il apparaît que le bâtiment a été construit dans levée de boucliers. Il n’en reste pas moins le respect des règles de l’art. Autrement dit : ce incroyable que la sonnette d’alarme n’ait pas bâtiment ne présentait pas de déficiences phyretenti quand on a donné à de jeunes acteurs siologiques, mais psychologiques. l’aspect d’enfants condamnés par la maladie, 4. L’effondrement s’explique surtout par la précertains ayant la tête recouverte d’un foulard sence, d’un côté de la tour, d’un tas de 10 mètres ou les yeux cernés de noir. de terre au-dessus du niveau normal et, de l’autre, Le plus scandaleux dans cette histoire est d’une excavation de 4 mètres, d’où un fossé trop que le contribuable a payé pour cette insanité. important entre richesse et pauvreté ! (Remarques Dans l’ensemble, l’œuvre des comiques de à usage interne : attention aux termes utilisés Chaser, surtout à leurs débuts avec des sketchs lors de la publication des causes du drame, car à caractère politique comme “The Election il faut veiller à ce que des terroristes ne recouChaser” en 2001, est hilarante. Mais certains rent pas à des méthodes similaires pour provospectateurs leur reprochent depuis quelque temps quer l’effondrement des bâtiments du Comité du de faire fausse route, notamment parce qu’ils ont Parti et de la mairie de Shanghai, en laissant staperdu leur mordant en matière politique. tionner dix rouleaux compresseurs avenue de Ce n’est pas la première fois que les Yan’an Ouest et en creusant un grand trou avenue membres de Chaser sont au cœur d’une de Pékin Ouest. D’autre part, il faut s’arcontroverse. En 2007, ils avaient monté une ranger pour que des malfaiteurs cascade destinée à montrer du doigt étrangers ne profitent de ce raples graves failles dans la sécurité lors Un port pour faire un rapprochedu sommet de l’APEC (Coopéfils à sa mère : ment entre le remplissage ration économique pour l’Asiedu réservoir du barrage Pacifique) à Sydney, en faisant – Maman, est-ce que des Trois-Gorges et le semblant de forcer des barje descends des singes ? tremblement de terre de rages de contrôle à moto. La Wenchuan, répandant ainsi farce, au cours de laquelle l’un – Je ne sais pas, Ravi. des thèses réactionnaires d’eux s’était déguisé en Ben Je n’ai jamais rencontré de nature à induire les gens Laden, avait suscité une poléen erreur.) mique et fait les gros titres de la la famille de ton père. Conclusions de rechange : presse internationale, mais elle (blague indienne) 1. L’immeuble se serait effonn’avait pas provoqué un tel tollé. Le dré à cause du creusement intenspectacle était drôle, le sujet pertinent, tionnel d’un trou ayant sapé les fonle canular intelligent et, surtout, ses cibles dations. L’auteur de cette tentative de – responsables gouvernementaux, forces de destruction aurait succombé sur place. l’ordre et fonctionnaires incompétents – méri2. L’immeuble se serait effondré à cause d’une taient d’être ridiculisées. Il n’aurait certes pas réplique du séisme du Sichuan. Le bâtiment se été souhaitable que ce sketch soit censuré par serait trouvé sur le trajet d’une onde de surface, la direction d’ABC. d’où son effondrement – qui n’aurait rien à voir Les péripéties qu’a connues leur dernier avec la qualité des travaux. spectacle feront peut-être réfléchir les com(Note de séance : le secrétaire Zhang a fait obserparses de Chaser sur le bien-fondé de leur traver que la réplique avait eu lieu le 30 juin, tanvail et de leurs objectifs. Ils devraient mieux dis que l’immeuble s’est effondré le 27 juin. Nous choisir leurs victimes, s’en tenir à des personestimons que ce n’est pas un problème : on prennages publics, notamment les politiques et dra contact en temps voulu avec les départements autres célébrités. Il faut espérer qu’ils retienconcernés et les services chargés de la propadront la leçon : être drôles et se contenter de gande pour qu’ils indiquent que l’effondrement brocarder ceux dont le public estime qu’ils dois’est produit le 32 juin.) vent être remis à leur place.
Han Han
Parfaitement sous contrôle
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3. Une mauvaise transmission des informations serait à l’origine de malentendus. La municipalité aurait en fait demandé que cette tour proche de la rivière soit démolie pour laisser place à des espaces verts dans le cadre de sa campagne “Plus de nature pour l’Expo universelle [de 2010] et nos quartiers !” La municipalité aurait utilisé les techniques de démolition les plus avancées pour réaliser des économies. Le bâtiment entier devait être acheminé par la rivière Huangpu jusqu’à un lieu où il allait être érigé afin qu’on lui trouve un nouvel usage. Propositions pour amadouer l’opinion publique 1. Débloquer 75 000 yuans pour publier 10 000 messages sur le web pendant quinze jours à raison de 0,5 yuan le message [on connaît la pratique consistant à payer des internautes 0,5 yuan le message pour qu’ils diffusent certaines opinions]. Ceux-ci devront se concentrer, pour éviter tout gaspillage, sur des grands portails comme Xinlang (
), Sohu ou QQ. Il ne sera pas nécessaire de poster sur des sites comme Renmin Wang () et Xinhua Wang () [organes du Parti communiste chinois] étant donné la couverture déjà assurée par nos instances supérieures. 2. Organiser une réunion des dirigeants du groupe SMG [le promoteur immobilier] pour bien leur expliquer qu’en cas de chute des prix de l’immobilier leurs appartements et ceux de leurs maîtresses vont perdre beaucoup de valeur, afin de leur faire réaliser que leurs intérêts dépendent étroitement de la tournure prise par cette affaire et qu’il convient de remédier aux erreurs de gestion. 3. Demander à des experts d’écrire cent articles sur le thème “Un cas isolé ne peut pas remettre en cause le rebond du marché immobilier”, en soulignant particulièrement le fait que la chute du marché immobilier serait préjudiciable à tout un chacun et nuirait considérablement à l’image de Shanghai en tant que grande métropole internationale. Voici quelques arguments en faveur du maintien des prix : avec l’envol des prix immobiliers, le prix de votre logement grimpe ; cela vous fait gagner de l’argent ! Les pauvres sont exclus ; davantage de sécurité règne dans la société. La grande exposition universelle sera d’autant plus prestigieuse. 4. Enfin, déployer notre énorme potentiel de communication pour mettre tout de suite en avant le premier cas de décès dû à la grippe H1N1 à Shanghai dès qu’il adviendra. Souligner qu’avec l’aggravation de l’épidémie les gens passeront de plus en plus de temps terrés chez eux, et recommander de faire le maximum pour acquérir un logement. 5. Ajouter au logiciel de contrôle parental Luba [le “barrage vert”, qui devait être obligatoire dans tous les ordinateurs vendus après le 1er juillet dernier, a finalement vu ce caractère d’obligation reporté] les nouveaux mots suivants : “Shanghai”, “immeuble”, “lotus”, “faire rire”.
c ■ Australie
Dans le bush, un berger est abordé par un homme en costume trois-pièces qui lui dit : “Je te propose un deal. Si je devine le nombre de moutons qu’il y a dans ton troupeau, j’ai le droit d’en prendre un.” “Euh… d’accord”, répond le berger. “Il y en a 3 927.” “C’est exact.” L’homme ramasse alors une bête et se dirige vers sa voiture, quand le berger l’interpelle : “Je vous propose un deal. Si je devine votre métier, vous me rendez ma bête.” “D’accord.” “Vous êtes consultant.” “Comment avez-vous deviné ?” “Vous arrivez quand personne ne vous l’a demandé, vous m’apprenez des choses que je sais déjà. Et maintenant, rendez-moi mon chien.”
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Pastiche
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“Les autorités sanitaires thaïlandaises ont donné leur accord pour la production de 60 millions d’amulettes censées protéger leurs détenteurs de la grippe H1N1. Le temple de Nakhon Si Thamarat utilisera pour leur fabrication les cheveux d’un vénérable bouddhiste, mort à l’âge de 90 ans, dont le corps ne s’est jamais décomposé.” Le site notthenation.com (détournement de The Nation, l’un des deux quotidiens anglophones publiés en Thaïlande), d’où est issue cette information, pratique plus la dérision que le journalisme, en produisant une satire de la vie politique et de la société thaïlandaises. Même les encarts publicitaires y sont faux !
Sur la plus grande scène du monde CHINE Grâce à la soirée télévisée du nouvel an, un jeune comique est devenu une véritable vedette dans son pays. NANDU ZHOUKAN (extraits)
Canton abillé d’un long kilt écossais, Xiao Shenyang imite à merveille la manière de susurrer de Liu Huan [interprète de la chanson de la cérémonie d’ouverture des JO] ou de Dao Lang [chanteur de variétés]. Du jour au lendemain, après être apparu à la soirée télévisée du nouvel an 2009, Xiao Shenyang est devenu le nouveau roi du rire chinois. Il venait d’y jouer le sketch “Je ne manque pas d’argent !”, avec Zhao Benshan, le grand maître du errenzhuan [spectacle comique du nord-est du pays dans lequel les acteurs, un duo homme-femme, portent souvent des vêtements colorés et fleuris]. Zhao ne cache d’ailleurs pas son affection pour son disciple, qu’il qualifie de véritable génie et que les médias considèrent comme son digne successeur. Xiao Shenyang, de son vrai nom Shen He, est né en 1981 dans une commune rurale près de la ville de Tieling, dans le Liaoning. C’est un vrai fils de paysan, qui n’est allé qu’à l’école primaire, où il réjouissait déjà ses petits camarades en chantant de sa voix claire. Ses parents se sont serré la ceinture pour lui payer des cours de kung-fu pendant un an. Mais il a très vite pris conscience de la voie qui lui convenait le mieux et a décidé d’apprendre le errenzhuan. Il a tout d’abord passé le concours pour entrer dans la troupe théâtrale de Tieling, où il a appris les bases de cet art avant de se produire sur de petites scènes de Changchun [capitale de la province du Jilin]. Ainsi, il a suivi quasiment le même itinéraire que son maître Zhao Benshan : comme lui, il a parcouru les villes et les campagnes, où sa virtuosité musicale lui a permis d’accroître sa notoriété et d’attirer finalement l’attention des médias locaux, notamment celle de la télévision. Quand on voit Xiao Shenyang sur scène pour la première fois, on peut le trouver un peu efféminé. Cela reflète en fait la culture paysanne du Nord-Est. “De nombreuses familles ont pour habitude d’élever leurs garçons comme des filles, car c’est plus facile…”, déclare-t-il. Un jour de mai 2006, alors qu’il jouait des sketches de errenzhuan à Changchun depuis sept ans, Xiao Shenyang reçut un coup de téléphone et reconnut tout de suite la voix de Zhao Benshan. Cet appel laissa Xiao Shenyang hébété : même en rêve, il n’aurait jamais pensé qu’un personnage jouissant d’un tel prestige le contacterait un jour. Zhao Benshan, informé par le bouche-à-oreille, lui propose alors de participer à un concours. Le jour de l’épreuve arrive. Xiao Shenyang fait son numéro, puis, après avoir quitté la scène, scrute avec angoisse le visage fermé de Zhao Benshan. Rassemblant tout son courage, il finit par lui demander :
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“Pourrez-vous me garder ?” Ce à quoi Zhao Ben- à faire rire, pas à nous moquer des gens !” shan répond par un simple hochement de tête. explique-t-il. Xiao Shenyang s’est marié et, Ce fut le début d’une longue alliance entre le très jeune, a eu une fille (aujourd’hui âgée de maître et son disciple. 4 ans). Son épouse, Shen Chunyang, qu’il a Cette année, les téléspectateurs du nou- connue à l’âge de 17 ans, est également actrice vel an faisaient pour la plupart connaissance de errenzhuan et est sa partenaire attitrée depuis avec Xiao Shenyang, aussi leurs réactions longtemps. ont-elles été très directes : rires On peut dire que c’est le réet applaudissements ont fusé. veillon du nouvel an chinois qui Le Pour que ce gala de l’année l’a consacré roi. Ce soir-là, il du Bœuf se déroule sans était invité à participer aux médecin-chef à anicroche, Zhao Benshan galas télévisés de la chaîne une jeune infirmière et Xiao Shenyang ont centrale (CCTV) de stagiaire : “Quel serait légèrement modifié leur Pékin, de Tianjin et des numéro. Ainsi, le kilt provinces du Liaoning et votre premier réflexe si écossais a disparu pour du Jilin, et le tout était vous attrapiez la rage ?” laisser la place à une très minuté. Après son simple tenue occidenapparition sur CCTV, son Réponse : “Mordre ma tale, Xiao Shenyang ne téléphone portable a failli belle-mère !” conservant qu’un sac à exploser, les différents (blague indienne) main de femme. Xiao Shemédias cherchant tous à obtenyang précise toutefois qu’il ne nir une interview. Et, brusquecherche pas à imiter une femme ment, son calendrier de représentadans son numéro principal, “Je veux être tions jusqu’à la fin de l’année s’est retrouvé une star !”, mais qu’il souhaite juste grossir un complet. Quant à son cachet, on raconte peu le trait. Ce n’est pas non plus dans ses qu’il serait passé de moins de 20 000 yuans intentions de railler les amateurs de divertis- [2 000 euros] à la veille du nouvel an chinois sement, en se moquant par exemple de phé- 2008 à plus de 100 000 yuans cette année, nomènes tels que la Star Academy chinoise ou sans oublier qu’en 2006 il ne gagnait que des fans de l’acteur hongkongais Andy Lau. 500 yuans par représentation. Xu Weichun, Ai Hui “Dans nos sketchs de errenzhuan, nous cherchons
INDONÉSIE Il a le gag pédago Mbah Bardi a mis ses talents comiques au service des autorités de la région de Gunung Kidul. Son humour se révèle bien plus efficace que n’importe quel discours.
epuis plus de cinquante-quatre ans, les messages de Mbah Bardi vont droit au cœur et aux oreilles des villageois de Gunung Kidul, une région située au sud de Jogjakarta [sur l’île de Java]. Ce comique a une manière bien à lui de les convaincre de suivre divers programmes gouvernementaux, tels que l’encouragement à migrer [de Java vers d’autres îles moins peuplées de l’archipel indonésien] ou le contrôle des naissances. Lorsqu’il a fallu faire connaître le programme appelant à davantage de mobilité géographique, “3 000 familles du canton de Karangrejek ont pris la décision de partir après avoir assisté à un show de Mbah Bardi”, raconte le directeur des relations publiques de Gunung Kidul avec admiration. “Il n’y a pas à dire, cet homme est un clown né.” Lors de la campagne d’information pour l’élection présidentielle [qui a eu lieu le 8 juillet], Mbah Bardi a été une nouvelle fois sollicité. Fin juin, il est ainsi monté sur scène au côté d’une troupe de ketoprak [théâtre populaire javanais], pas seulement pour distraire le public mais aussi pour lui faire prendre conscience de l’importance de chacune des voix dans le cadre d’un processus démocratique. Chaque fois qu’il donne un spectacle dans un village, Mbah Bardi prodigue son lot de recommandations gouvernementales et de bons conseils concernant la vie en général. Une règle à laquelle il ne déroge pas même si, pour populariser
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l’allocation sociale directe [100 000 roupies, l’équivalent de 7 euros par mois pour les plus démunis], il a incarné un chef de village détournant cette aide. “Ma prestation comprend 75 % de gags, le reste étant du sérieux, pour réveiller les consciences, explique-t-il. Tant les conseils moraux que les programmes gouvernementaux passent bien mieux par le rire.” Afin de “réveiller les consciences”, Mbah Bardi n’hésite pas à puiser dans les échecs de sa propre vie, notamment ses trois divorces, en dépit desquels il s’est évertué à préserver sa famille, en refusant une progéniture trop nombreuse. Au cours de ses prestations, il n’est pas rare que les spectateurs, se tordant de rire à en avoir mal, l’implorent de s’arrêter. Les apparitions de Mbah Bardi ne se limitent pas aux programmes éducatifs parrainés par les autorités. On l’invite à animer des mariages, des cérémonies de circoncision, de purification de villages [après les moissons] ou d’autres festivités. Sa notoriété est telle que certains vont même jusqu’à citer son nom lorsqu’ils formulent un vœu. Ils se promettent par exemple de l’inviter si leur prière pour la guérison d’un des leurs est exaucée. En un mois, Mbah Bardi peut donner jusqu’à 25 représentations. Il n’a pas de tarif fixe. Faire rire les autres suffit déjà à remplir sa vie de bonheur. Ce grand-père de 14 petits-enfants se sent aimé par toutes les couches de la société, des maires jusqu’aux voyous des marchés. “C’est comme une grande famille. Le jour de ma mort, je suis sûr qu’une foule viendra à mes funérailles”, dit-il dans un grand éclat de rire. Mawar Kusuma Wulan, Kompas, Jakarta
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asie Un boute-en-train de la politique PAKISTAN Le ton décalé et l’indépendance d’esprit de l’animateur de télé Murtaza Chaudhry lui ont donné une place à part dans le paysage médiatique pakistanais. Rencontre. THE HERALD
Karachi THE HERALD Comment écrivez-vous vos textes [pour l’émission d’information satirique, le 4 Man Show, diffusée sur Aaj TV] ? MURTAZA CHAUDHRY Mon équipe et moi ne sommes pas des scénaristes professionnels ; nos scripts sont griffonnés un peu partout : sur un coin de journal, dans un carnet, voire sur un morceau de papier froissé au fond de la poche de l’un d’entre nous. Les vedettes de vos émissions, c’est vous, votre frère Mustafa et quelques amis… Ce sont les gens avec qui je vis vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais nous avons aussi donné leur chance à des inconnus. Un jour, nous étions invités sur une radio, et j’ai eu le sentiment que l’auditeur à qui je parlais était plein de talent. C’est comme ça que Mobin Gabol nous a rejoints. Ensuite nous avons embauché le journaliste radio Mohsin Abbas pour jouer un sikh du Pendjab. Quiconque a du potentiel mérite notre attention. Quel retour avez-vous sur vos émissions ? Les réactions sont parfois incroyables. Un jour, j’ai rencontré une femme dont la fille, une lycéenne en terminale qui se fichait complètement de la politique, avait commencer à s’intéresser aux événements actuels grâce à nos émissions. Si nous tournons en ridicule des décisions du gouvernement qui ne plaisent pas aux Pakistanais, les réactions sont positives. A l’inverse, quand on se moque d’une personnalité admirée, les réactions sont parfois négatives. Dernièrement, nous avons parodié Zaid Hamir (qui anime un talk-show sur News One) dans plusieurs épisodes, et cela n’a pas été bien reçu par ses admirateurs. Et du côté des humoristes plus âgés, du monde politique et du milieu de la télévision, ça donne quoi ? Les humoristes de la vieille garde sont incapables d’accepter la moquerie. Récemment, je suis allé à une rencontre où tous les grands acteurs présents étaient mécontents parce
que nous les avions caricaturés. Par comparaison, je trouve que nos politiciens prennent bien la blague. C’est étonnant, je n’aurais jamais cru qu’ils se comporteraient ainsi. On m’a raconté qu’un responsable s’était plaint auprès du général [et ancien président] Pervez Musharraf du fait que nous nous étions moqués de lui. Musharraf lui a répondu que notre émission lui plaisait, et qu’elle devrait aussi lui plaire. Nabil Gabol [le ministre des Ports et du Transport maritime dans la province du Sind] m’a même appelé pour me demander pourquoi on ne se moquait pas de lui. Dans mon autre émission, Live with Khalid Butt, nous prévenons les personnalités politiques que le principe est le même que celui du Late Show with David Letterman, et, qu’à l’étranger, toutes les personnalités politiques, y compris le président Barack Obama, y participent volontiers. L’idée est de leur permettre de montrer une facette plus légère de leur personnalité. Pour les mettre à l’aise, nous organisons les tournages chez eux. Mais nous avons souvent des difficultés à monter Live with Khalid Butt parce que beaucoup nous ferment leur porte. Vous vous voyez poursuivre dans cette veine à long terme ? C’est par hasard que je me suis retrouvé à faire ces émissions, et je continuerai tant que j’y prendrai du plaisir. J’ai tout de même d’autres projets. J’aimerais ainsi me lancer dans le court-métrage et le documentaire, j’ai suivi des cours de cinéma à la London Film Academy. Vous apparaissez même dans un clip de Shehzad Roy [chanteur pop]. Vous seriez prêt à jouer la comédie ? Jamais. Pour ça, vous avez des gens comme [l’acteur] Humayun Saeed, [l’animateur radio] Sahir Lodhi et [le président pakistanais] Asif Ali Zardari. Si nous devenions acteurs, nous les mettrions tous au chômage. Et le théâtre alors ? Avec mes acolytes, nous avons beaucoup donné dans ce genre, notamment au cours de festivals locaux où nous jouions pour l’essentiel des pièces politiques, satiriques. La communauté pakistanaise au Royaume-Uni nous a contactés pour que nous fassions des spectacles de stand-up là-bas. Ce sera une expérience nouvelle. Votre travail vous laisse du temps pour autre chose ? Ces derniers jours, je passe pas mal de temps avec mon nouveau chien, un saint-bernard. Et aucun d’entre nous n’est très concentré sur les émissions en ce moment : le chien nous occupe trop. Propos recueillis par Maleeha Hmid Siddiqi 23
INDE En manque
de films comiques et de satire politique
■ “Random”, un
canard déchaîné.
Le mensuel Random se présente comme le plus ancien magazine satirique indien… alors qu’il est né en juin 2008. Il faut dire que le pays manquait cruellement de ce genre de publication. Les différentes rubriques, consultables sur le site et rédigées dans un mélange d’anglais et de hindi, tournent autour de personnages clés comme Simpoo, le sikh simplet qui zozote, ou Lola, la ménagère méridionale trash. L’humour très caustique de Random est profondément ancré dans la culture populaire indienne et ne recule pas devant les sujets graves comme le terrorisme ou les relations avec le Pakistan.
a vie quotidienne en Inde est une intarissable source d’inspiration pour la comédie. Nous avons d’ailleurs toujours eu de très vivants Hasya Kavi Sammelan [festivals de poésie satirique], mêlant habilement commentaire social et humour. Mais alors, pourquoi l’Inde urbaine est-elle une contrée où les seules personnes que vous voyez s’esclaffer sont les participants aux clubs de rire [groupes existants depuis une dizaine d’années et dont le but est de provoquer des rires collectifs dans un but quasiment thérapeutique] dans les parcs du coin ? Nous ne produisons pas assez de films comiques. Demandez à n’importe qui quelle est sa comédie hindi préférée, et il citera à coup sûr de vieux films. Nous n’avons pas en Inde de comedy clubs à l’américaine ; vous pouvez compter les comiques vraiment drôles sur les doigts d’une seule main. Sommes-nous condamnés à jamais à la blague de mauvais goût ? “Les Indiens ont un sens de l’humour merveilleusement développé, mais nous refusons catégoriquement de l’admettre”, estime le comique Vir Das. Peut-être est-ce la peur du qu’en-dirat-on, mais nous cherchons toujours à nous conformer à ce que les autres jugent drôle, poursuitil. En Inde, la plupart des comiques sont des imitateurs, ils ont un répertoire qui se résume pour l’essentiel à des blagues racistes ou communautaires, selon lui. C’est sans doute parce que le comique d’observation, autrement dit l’humour sur ces vérités quotidiennes et hilarantes auxquelles nous sommes tous confrontés, est une forme d’écriture plus complexe. Et il y a plus ◀ Dessin rare que le comique d’observation : la satire polide Reumann paru tique. Kunaal Roy Kapur, ancien comique et réadans Le Temps, lisateur, a son explication : “Nous manquons d’huGenève. mour politique parce que nous connaissons mal la politique. Nous sommes un peuple obnubilé par des choses d’importance secondaire.” Cela expliquerait pourquoi l’Afrique du Sud, l’une des nations les plus politisées de la planète, a nourri une génération de comiques qui ont grandi sous l’apartheid et qui Pendant produisent aujourd’hui une analyse politique et sociale unique son cours sur la en son genre. Selon Kunaal démographie, le prof Roy Kapur, si les citoyens se mettent réellement à s’inexplique qu’en Inde une téresser à la politique – on femme accouche toutes a vu s’amorcer ce mouveles 10 secondes. Un écolier sikh ment dans la foulée des attentats de Bombay, le se lève et s’exclame : “Il faut 26 novembre dernier –, l’huabsolument trouver cette mour sera bien obligé de suivre. Les choses sont peutdame et l’arrêter !” être en passe de changer. Vir (Les blagues indiennes se moquent Das et Kunaal Roy Kapur sont des sikhs.) tous deux les vedettes d’une nouvelle comédie, Delhi Belly, qui doit sortir cette année. Finalement, certains se démènent vraiment pour nous faire rire.
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Priya Ramani, Livemint, New Delhi
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Ouka Leele/Agence Vu
afrique / moyen-orient
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La Shoah ? Même pas drôle ISRAËL Faire rire avec l’Holocauste, quelques humoristes israéliens s’y risquent. Non sans susciter le scandale et la polémique.
HA’ARETZ (extraits)
Tel-Aviv e plus gros tabou de la société israélienne est également une source intarissable d’humour noir mais refoulé : la Shoah. Pourquoi est-il quasi impossible de faire rire de la Shoah et comment y parvenir ? “Je vous donne les mots ‘Hitler’ et ‘tomate’. A présent, écrivez n’importe quelle phrase entre ces deux mots et vous obtiendrez une bonne petite
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blague.” (Uzi Weil, “Quatrième de couverture”, chronique de l’hebdomadaire Ha’Ir [La Ville]). Hitler et une tomate ? Le mal incarné et un simple légume ? Sans la phrase demandée, l’absurde de la situation saute aux yeux. Mais un sentiment de culpabilité vient aussitôt se greffer. Une blague sur la Shoah ? Pas question ! Et pourtant. C’est tellement gros qu’il est presque impossible de ne pas rire. Oh ! on s’excusera aussitôt en prétendant que c’est un rire désespéré, la seule excuse pour justifier que
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afrique / moyen - orient l’on puisse rire en entendant ceci : où se trouvait la plus forte concentration de Juifs pendant le génocide ? Réponse : dans l’atmosphère. Cela fait [soixante] ans qu’Israël existe, mais le thème de la Shoah est toujours un passager clandestin de notre humour national, en dépit de quelques vaines tentatives d’immoler cette vache sacrée. Car que peut-on trouver de drôle dans le décompte de 6 millions de cadavres ? Rien. En revanche, ce qui peut donner lieu à des blagues d’un humour particulièrement féroce, ce sont des sujets comme l’industrie de la Shoah et sa récupération à des fins politiques. Exemple édifiant : ce dialogue extrait de la pièce Sokhnei Mesillot [Les convoyeurs] d’Assaf Tzippor. Un voyagiste répond au téléphone à un client israélien : “Pour la Pologne, nous avons plusieurs formules. Tout d’abord, nous avons la formule de base : cinq camps de concentration en dix jours, hébergement dans un hôtel quatre étoiles de Varsovie et une journée libre pour faire du lèchevitrines. Autre formule avantageuse, la ‘Pologne classique’ : sept camps de concentration en quatorze jours, hébergement dans un hôtel quatre étoiles et, le dernier jour, une visite du ghetto de Varsovie couplée à une après-midi de shopping. Autre formule plus intéressante encore : le ‘Week-end polonais’ avec sept camps de concentration en trois jours, mais sans journée libre pour faire du lèche-vitrines. Enfin, il y a la dernière formule : ‘Douze jours à travers la Pologne’, avec TOUS les camps de concentration. Ma nièce a pris cette formule avec son école et je peux vous dire qu’elle en a eu plein la vue. A Auschwitz, elle a même pleuré.” Raccrochant le téléphone, l’agent de voyages se retourne vers un client assis devant lui et lui demande : “Où en étions-nous ?” Le client : Veuillez m’excuser, mais ce que vous venez de dire à propos de la Pologne, sur ces sept camps en trois jours et tout ça, vous ne trouvez pas ça un peu… L’agent : Un peu trop ?Vous seriez surpris de voir tout ce qu’on peut faire en trois jours. Le client : Non, non, vous ne trouvez pas ça un peu… L’agent : Cher ? Le client : Non, je ne voudrais pas vous vexer, mais ça ne vous semble pas horrible ? L’agent : Eh ben quoi ? Ce qui s’est passé en Pologne, c’était vachement horrible, non ?” Assaf Tzippor écrit aussi des sketchs pour la troupe Cameri qui fait également appel à d’autres auteurs impertinents tels qu’Uzi Weil ou Etgar Keret. Un des sketchs les plus gonflés, œuvre d’Assaf Tzippor, s’appelle Shoah. Un rescapé des camps y détaille par le menu des souvenirs effroyables, jusqu’à ce qu’il s’avère qu’il s’agit tout simplement de chutes du film de Spielberg La Liste de Schindler. Dans Ha’Shdula ha’yisreelit [Le lobby israélien], écrit par le romancier Etgar Keret, deux responsables sportifs israéliens essaient de convaincre un juge de ligne allemand responsable d’une course d’obstacles de laisser un peu d’avance au concurrent israélien, eu égard au passé tragique… “Dans une blague, la question est toujours de savoir de qui on veut rire”, estime Uzi Weil, un des auteurs de la troupe Cameri. “L’humour étant une arme, contre qui se bat-on ? Dans mes sketchs, je m’attaque au contraste entre notre vocabulaire doucereux et notre exploitation de l’émotion que suscite la Shoah pour atteindre des objectifs bien moins élevés.”
Coupure de presse : “Le ketchup, c’est l’Auschwitz des tomates.” Voici ce qu’a déclaré le président de l’Organisation des cultivateurs de tomates de la vallée du Jourdain, dans un discours prononcé lors d’une manifestation contre la décision de la Knesset d’augmenter le pourcentage de tomate dans la fabrication du ketchup. Le président s’est finalement excusé. “Tout d’abord, je n’ai pas comparé la Shoah au ketchup. J’ai dit que c’était comme la Shoah, dans le sens que c’était une catastrophe. Deuxièmement, je suis le petit-fils de rescapés des camps et je n’ai pas l’intention de relativiser le génocide.Troisièmement, si quelqu’un a le droit de relativiser la Shoah, c’est bien moi, parce que je suis le petit-fils de rescapés. Mais je n’ai pas fait de comparaison. Comment oserais-je faire une comparaison ? La Shoah, c’était horrible, c’était franchement horrible. Et puis, pourquoi est-ce que vous vous en prenez à moi ? Hein ? Vous êtes de la Gestapo ?” (Uzi Weil, “Quatrième de couverture”). Quand on lui demande pourquoi il attaque à ce point les comparaisons entre le génocide et n’importe quoi, Uzi Weil répond : “Quand quelqu’un évoque la Shoah, tout le monde est paralysé. C’est un truc génial pour neutraliser votre adversaire, tout en encourageant l’industrie de la Shoah, avec ses minitrips, l’hôtel Auschwitz, etc.” “Sur les radios généralistes, il est tout simplement impossible de toucher à la Shoah”, dit le comédien Guy Meroz. Il sait bien de quoi il parle. En janvier dernier, un scandale éclatait à la suite de Pini Ha’Gadol, une émission diffusée sur Beep, une chaîne pour la jeunesse. Un acteur déguisé en Hitler se mettait à chanter des chansons enfantines populaires. Dans un autre sketch, de faux sous-titres étaient incrustés sous des extraits du documentaire Shoah de Claude Lanzmann. Diffusés en plein été, ces programmes furent ensuite “nettoyés” après une plainte du Conseil de l’audiovisuel. Meroz s’est excusé personnellement dans une tribune du quotidien populaire Maariv. Il jure encore qu’il n’a pas voulu faire rire de la Shoah. “Il n’y a rien de drôle dans la Shoah, mais, comme humoriste, vous devez vous frotter aux extrêmes. Mais la Shoah est trop extrême et trop au cœur de nos vies.” “Si la Shoah avait lieu aujourd’hui, alors, à côté des tas de chaussures et de vêtements, il faudrait ajouter une pile de téléphones portables.” (Gil Kopatch). “Voilà un exemple d’humour réussi sur le génocide”, remarque l’écrivain Amir Gutfreund, dont le roman, Ha’Shoah shelanou [Notre Shoah] vient d’être traduit en allemand (Unser Holocaust). “Il utilise la Shoah pour parler de nous, non pour parler des fours crématoires ou des rescapés des camps. Il se bat contre ces choses qui nous dominent.” Avec le temps, les références à la Shoah en prime time ont fini par devenir tentantes pour les scénaristes. L’un d’eux, Daniel Lapin, raconte que, pendant qu’il écrivait le scénario de la sitcom Ha’Haïm zeh lo ha’kol (La vie n’est pas tout), il a été obligé par ses commanditaires de supprimer les prénoms Adolf et Eva, qu’il avait donnés aux parents d’un des personnages principaux. Lors de la dernière saison du talk-show de Yaïr Lappid, Adi Ashkenazi, qui revenait d’un voyage à Amsterdam, a voulu “partager” son expérience avec le public : “Je suis allée chez Anne Frank. Mais elle n’était pas là.” 25
Après un moment de flottement, le public a fini par éclater de rire. “C’est parce que c’est Adi Ashkenazi et qu’elle peut tout se permettre, estime le — Pourquoi scénariste Reshef Lévy, mais est-ce qu’il n’y a s’il s’était agi d’un débutant, il aurait été viré illico. Ce que pas d’Arabes dans vous ferez devant un public de Star Trek ? gosses du Camel Comedy Club à minuit, vous ne le ferez pas — Parce que ça se devant des rescapés qui regarpasse dans le futur. dent Canal 2.” “La plupart des blagues sur la (blague marocaine) Shoah me font penser à ces gosses qui actionnent les sonnettes et s’enfuient, estime Uzi Weil. Nous savons que quelque chose ne va pas, que quelque chose fait mal, alors nous sonnons, nous nous chatouillons l’âme et nous nous enfuyons. Il y a là-dedans de l’adulte qui refuse de vieillir. Le résultat, c’est que 90 % des blagues israéliennes sur la Shoah ne dépassent pas le stade du pipi-caca, et c’est très bien ainsi. C’est l’humour du faible. Plus une chose vous menace, plus l’humour qu’elle vous inspi- ■ Nasrallah rera sera débile.” crucifié Comme la plupart des humoristes israé- Un chrétien liens, Reshef Lévy pense que la présence des du Sud-Liban dont rescapés des camps est une entrave au déve- la maison a été loppement d’un humour israélien assumé sur détruite durant la Shoah. “A mon sens, quand le dernier rescapé la guerre se rend chez le nouveau mourra, une orgie d’humour explosera ici et les Premier ministre chaînes généralistes s’en délecteront en prime time. libanais, Mais, pour l’instant, nous subissons tous la dic- le milliardaire tature d’un certain éthos israélien véhiculé par Saad Hariri, pour lui nos institutions culturelles et politiques.” demander de l’aide. Ammi Amir, producteur de la troupe De son logis, Cameri et de Zu artzenu [“C’est notre pays”, il ne reste qu’une titre qui est également le nom d’un groupe image pieuse d’extrême droite], le programme satirique du – un Christ en duo Shai Goldstein et Dror Raphaël, se rap- croix –, réchappée des flammes par pelle un sketch diffusé en 2001 sur Canal 2 et miracle, affirme-t-il. dans lequel la ministre de l’Education Limor Emu, Hariri Livnat, interprétée par Shaï Goldstein, incul- lui en offre quait ses valeurs nationalistes à Dror Raphaël. 100 000 dollars. Avec une joie à peine contenue, elle n’arrê- Cette histoire tait pas de l’encourager en faisant le salut vient à l’oreille nazi… “Le sketch a été diffusé, mais Goldstein d’un chiite qui a, et Raphaël ont été virés. Et, comme toujours, pour lui aussi, perdu de mauvaises raisons. La troupe Cameri a tou- sa maison. jours voulu montrer que la Shoah et l’émotion Il court alors chez le Premier ministre, qu’elle suscitait étaient souvent utilisées à des fins affirmant que le politiques. Comme eux, je ne crois pas que nous seul objet qu’il a pu irions au-devant d’une catastrophe si nous accep- sauver des flammes tions de désacraliser quelque peu la Shoah. Peut- était la photo être même que ça nous permettrait d’en savoir de Hassan Nasrallah (le chef un peu plus sur nous-mêmes.” Pour Reshef Lévy, la paranoïa que nous du Hezbollah). avons développée autour de la Shoah est ce Hariri lui tend qui fonde et justifie notre présence ici. “C’est alors 100 dollars. “Pourquoi avez-vous la raison pour laquelle nous parvenons à encaisdonné 100 000 ser les attentats. Parce que nous n’avons nul dollars au chrétien, endroit où aller, et parce que nous sommes convain- et seulement cus qu’en Europe les nazis nous attendent. Un 100 dollars à moi ?” Etat d’Israël qui affronte une menace existentielle s’exclame le chiite. permanente ne peut vivre sans la mémoire de la “Apporte-moi la Shoah et la répression de tout humour sur la photo de Nasrallah Shoah. Dès l’instant où vous riez de quelque chose, crucifié et je t’en vous banalisez cette chose et vous en faites un élé- donnerai 1 million ment du quotidien. Si nous désacralisions la de dollars”, répond Hariri. Shoah, peut-être devrions-nous admettre que certaines conclusions que nous en avons tirées ne sont pas exactes, ce qui risquerait de saper les Sarah Blau fondements de l’Etat d’Israël.”
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(Article paru dans le n° 724 de Courrier international, le 16 septembre 2004)
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Sénégal
Candidat à la présidentielle en 2000, Abdoulaye Wade, lors de l’un de ses meetings, demande à tous les jeunes sans travail de lever la main. La foule entière lève la main. Le candidat promet qu’ils en auront tous un en 2009… Donc, après neuf ans de règne, il demande au cours d’un meeting : “Que ceux qui ont un emploi lèvent la main !” Deux mains seulement se lèvent. Celle de son fils (conseiller de la présidence) et celle de sa fille.
▶ Dessin de Glez
paru dans le Journal du jeudi, Ouagadougou.
L’insulte pour rire BURKINA FASO La “parenté à plaisanterie” – le fait de “chambrer” les membres d’une autre ethnie – est un élément essentiel de la culture ouest-africaine. JOURNAL DU JEUDI
Ouagadougou n Afrique de l’Ouest, ne vous formalisez pas trop vite des signes extérieurs de conflits entre ethnies ou familles. Un Sénégalais nommé Diop, mâchoire crispée, traite-t-il de voleur un Ndiaye qu’il ne connaît pas juste parce qu’il s’appelle Ndiaye ? Le dénommé Ndiaye, sourcils froncés, insultet-il Diop avec le même arbitraire ? L’observateur non tropicalisé aurait vite fait d’y apercevoir le spectre de la machette. Mais qu’il se garde d’intervenir trop vite… La cohabitation entre les grandes familles sénégalaises ou les groupes ethniques d’autres pays de la région n’a que peu à voir avec les soubassements sociologiques de la tragédie rwandaise. Aucun ressentiment comparable à celui qui animait le couple Hutus-Tutsis [au Rwanda et au Burundi] au début des années 1990 n’inspire la taquinerie DogonsBozos du Mali ou Samos-Mossés du Burkina Faso. D’ailleurs, la vraie-fausse altercation entre MM. Diop et Ndiaye finira en éclats de rire. La scène est à mettre au compte de la “parenté à plaisanterie”, encore appelée sanankouya au Mali, rakiré au Burkina Faso ou kalir au Sénégal. Il s’agit d’un mode de comportement relationnel assez spécifique à l’Afrique occidentale, dont le principe de base a été décliné au
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fil du temps par divers couples d’ethnies. On votre cadavre ou à occuper sa fosse avant l’iny entame des joutes verbales qui, si elles sont humation, et cela jusqu’à paiement d’une “ranteintées d’agressivité, n’ont qu’une vocation çon”. Interprétée avec justesse, la provocation humoristique. L’écorce rugueuse de ce jeu de apparemment indécente servira finalement de rôle cache une infinie finesse et une bonne baume au deuil. Cette tradition transnationale est toujours dose d’autodérision. Cerise sur le gâteau, la causerie musclée se nourrit du talent inné de vivace dans un Burkina Faso qui voit cohabon nombre d’Africains de l’Ouest pour biter une soixantaine d’ethnies. Le couple vedette de la parenté à plaisanterie burla comédie. Au final, elle frise la relation kinabé oppose les Bobos et les cathartique. Rien de moins. La Peuls. [A l’origine nomades, tension théâtralisée permet, les Peuls sont très préen effet, d’évacuer les A sents dans l’ensemble germes de la plupart l’école, la maîtresse de l’Afrique de des crispations. En l’Ouest.] Les presomme, le rire – interroge Khumalo : miers sont qualimême suscité par — Khumalo, voyons si tu as fiés de bu veurs des pince-sansbien appris ta leçon de sciences invétérés de bière rire – dénoue les de mil, tandis que antagonismes naturelles. Peux-tu me dire les se conds, butribaux ou ethd’où viennent les enfants ? veurs de lait, sont niques. ré duits au rang Mais que les — De Jacob Zuma ! des veaux qu’ils non-initiés se [Zuma, le président d’Afrique élèvent. A travers méfient : la pa le pays, les caricarenté à plaisanterie du Sud, est père de tures verbales fusent est strictement codi18 enfants.] entre Bissas et Goufiée. Ne taquinez que (blague sud-africaine) rounsis, Samos et Mossés, celui que la tradition a Lobis et Siamous, Gourdésigné comme votre rakiré. mantchés et Yadsés, etc. Il y est Si un Peul insultait inopinément question de goût pour l’arachide, les un Samo, l’injure pourrait être prise au premier degré. Le quiproquo pourrait chenilles frites ou la viande de chien… Pour ne pas se trouver appauvri, voire alors dégénérer… Bien malin qui pourrait établir avec certi- dévoyé, le régulateur social que constitue tude la genèse de la pratique. Les garants de la la parenté à plaisanterie doit être transmis, mémoire malienne l’attribuent à Soundiata en particulier dans les milieux urbains Keïta, fondateur de l’Empire mandingue [au modernes moins abreuvés de traditions sahéXIIIe siècle, il a constitué l’empire du Mali, l’un liennes que de références occidentales télédes plus célèbres de l’histoire ouest-africaine]. visées. L’Association burkinabé pour la proD’autres chercheurs voient ses traces dans l’An- motion de la parenté à plaisanterie – AB3P – tiquité africaine, dans la vallée du Nil. Toujours tente de valoriser la pratique. Elle milite est-il que cette parenté par le rire est, aujour- notamment pour l’instauration d’une jourd’hui encore, ancrée dans les sociétés d’Afrique née nationale de la Parenté à plaisanterie. de l’Ouest. Elle s’insinue dans toutes les situa- Celle-ci rendrait peut-être superflue la tions sociales, y compris les plus douloureuses. journée du 30 mars, intitulée, depuis 2001, A mots couverts, votre parent à plaisanterie est journée du… Pardon. Ernest Diasso autorisé à dérober le couvercle du cercueil de 26
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Ouka Leele/Agence Vu
Intelligences
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Et celle du chien, tu la connais ? RECHERCHE Le psychologue Richard Wiseman a essayé d’identifier ce qu’il y a d’universel dans l’humour, en s’appuyant sur une expérience en ligne : LaughLab.
THE GUARDIAN
Londres ans les années 1970, le Monty Python’s Flying Circus créait le célèbre sketch de la Blague-qui-tue, la blague la plus drôle du monde. L’histoire se passe au début de la Seconde Guerre mondiale, un certain Ernest Scribbler [Scribouillard] invente la blague, l’écrit, et meurt de rire en la relisant. La blague est si redoutable qu’elle tue quiconque
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la lit. L’armée de Sa Majesté finit par la transformer en arme secrète. En 2001, j’ai commencé à me demander s’il était effectivement possible de trouver la blague la plus drôle du monde. Le projet, je le savais, ne pourrait se faire sans une base scientifique solide, car certains des plus grands penseurs de la planète, dont Freud, Platon et Aristote, avaient tous longuement écrit sur l’humour. J’ai obtenu le feu vert de la BAAS, l’Association britannique pour l’avancement de la
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Intelligences
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Santé
Le rire est le meilleur des remèdes. Quand on s’amuse ou qu’on rit de quelque chose, on produit des endorphines et de l’hormone de croissance, ce qui a un effet positif sur le système immunitaire. Dans le même temps, les hormones du stress chutent, explique le Dr Lee Berk, cité par le Berliner Zeitung. Avec Stanley Tan, spécialiste du diabète, Berk a suivi pendant un an vingt personnes atteintes de diabète non insulinodépendant, qui présentaient en outre une hypercholestérolémie et une hypertension artérielle. Outre les médicaments, les chercheurs ont prescrit à la moitié des sujets une demi-heure quotidienne de rire – sous la forme de films comiques. Cette “thérapie par le rire” a montré ses effets au bout de deux mois seulement : les patients qui riaient présentaient une réduction de leur taux d’adrénaline et de noradrénaline, de leurs hormones du stress ainsi que de leur taux de lipides dans le sang et de leurs réactions inflammatoires, deux facteurs qui favorisent l’artériosclérose. Au bout d’un an de traitement, les chercheurs ont constaté que le taux de HDL – le bon cholestérol – avait augmenté d’un quart chez les sujets qui riaient. Dans le même temps, la CRP (protéine C-réactive), l’un des marqueurs de l’inflammation, avait chuté des deux tiers. Les différences avec le groupe qui n’avait pas sa dose d’humour quotidienne étaient significatives.
science, et j’ai pu lancer LaughLab, projet international sur Internet. L’idée était de mettre en place un site articulé en deux sections. Dans la première, les gens entreraient leur blague préférée. Dans la seconde, ils répondraient à quelques questions simples sur eux-mêmes (comme leur sexe, leur âge et leur nationalité), puis classeraient diverses plaisanteries prises au hasard dans le fonds ainsi constitué. En un an, pensions-nous, nous pourrions découvrir scientifiquement ce qui fait rire des groupes de gens différents, et quelle était la blague qui faisait sourire tout le monde. Quelques heures après l’ouverture du site, nous avions reçu plus de 500 blagues et 10 000 classements. Les participants étaient invités à noter chaque plaisanterie sur une échelle de 1 à 5 allant de “pas très drôle” à “très drôle”. Entre 25 et 30 % des participants trouvèrent drôles les blagues qui suivent, qui occupaient alors la tête du classement : “Tu connais celle du gars qui était fier d’avoir terminé un puzzle en trente minutes, parce qu’il y avait écrit 5-6 ans sur la boîte ?” Et l’autodérision chez les comiques profession“Un Texan : tu viens d’où ? nels hommes et femmes ont conclu que 12 % Un diplômé de Harvard : d’un endroit où l’on des sketches interprétés par des hommes comne finit pas ses phrases par un adverbe. portaient ce type d’humour, contre 63 % chez Le Texan : OK, tu viens d’où, Ducon ?” les comédiennes. Les blagues en tête du classement avaient Très vite, nous nous sommes retrouvés avec toute une chose en commun : elles suscitaient 10 000 blagues, et un classement soumis par chez le lecteur un sentiment de supériorité. 100 000 personnes. A ce stade encore balbuSentiment qui survient quand le protagoniste tiant, la meilleure blague avait été élue par 46 % de la blague semble stupide (comme l’homme des participants. Les héros en sont le détective au puzzle) ou quand sa prétention est tournée privé Sherlock Holmes et son faire-valoir à l’inen dérision (comme dans le dialogue du épuisable patience, le docteur Watson : diplômé de Harvard avec le Texan). Nous “Sherlock Holmes et le docteurWatson font du n’étions pas les premiers à avoir remarqué que camping. Ils installent leur tente sous les étoiles et les gens rient quand ils se sentent supérieurs. vont se coucher. Soudain, en pleine nuit, Holmes La théorie est décrite par Platon réveille Watson et lui dit : dans La République. –Watson, regardez les étoiles et ditesEn matière de rire, le moi ce que vous voyez. sexe a aussi un rôle. – J’en vois des millions et des Un homme entre D’après une étude réamillions, répond Watson. dans une pharmacie : lisée pendant un an – Et qu’en déduisez sur 1 200 types de vous ? “Bonjour, avez-vous de rires lors de conver– Eh bien, s’il y a des l’acide acétylsalicylique sations banales, millions d’étoiles, et C6H4(OCOCH3)COOH ? 71 % des femmes même si seules quelr ient quand un ques-unes d’entre elles — Vous voulez dire de homme fait une sont entourées de plal’aspirine ? plaisanterie, mais nètes, il est fort probable 39 % seulement des qu’il y ait là-haut des — C’est ça. Je n’arrive hommes rient aux planètes comme la nôtre. jamais à me souvenir mots d’esprit des Et si tel est le cas, alors, peutfemmes. En moyenne, être y a-t-il de la vie là-haut. de ce mot !” 15 % des femmes ont classé –Watson, vous êtes un idiot, cela comme drôles des rosseries veut dire que quelqu’un nous a volé dénigrant les femmes, contre 50 % notre tente.” des hommes. Les recherches montrent que les Exemple classique de la théorie de la hommes racontent beaucoup plus de blagues supériorité à deux niveaux. Nous nous que les femmes. Ceux qui jouissent d’un sta- moquons de Watson qui n’a pas remarqué que tut social plus élevé ont tendance à en racon- la tente a disparu, mais aussi de Holmes et ter plus que ceux qui se trouvent plus bas dans de sa façon alambiquée d’annoncer la nouvelle la pyramide sociale. Traditionnellement, le sta- à son compagnon. tut social des femmes a toujours été inférieur D’après Freud, les plaisanteries sont une à celui des hommes. Par conséquent, peut-être sorte de soupape de sécurité psychologique qui ont-elles appris à rire plutôt qu’à raconter des permet d’alléger la pression du refoulement. calembredaines. Exception digne d’intérêt à Beaucoup des blagues récoltées sur LaughLab cette relation entre statut et narration de vont dans ce sens. Nous tenions aussi à savoir blagues : l’humour par autodénigrement. Les si les ordinateurs étaient plus drôles que gens situés plus bas dans l’échelle sociale ont l’homme. Aussi avons-nous téléchargé sur une plus grande propension à l’autodérision LaughLab plusieurs plaisanteries composées que ceux qui se trouvent au-dessus d’eux dans par ordinateur. La plupart se sont retrouvées la société. Les chercheurs qui ont étudié en bas de classement. Mais l’une d’entre elles 28
a suscité un remarquable engouement, devançant près de 250 plaisanteries humaines : “Quand peut-on dire qu’un tueur a la fibre meurtrière ? Quand c’est un céréales killer.” Quand nous avons bouclé notre projet, nous disposions de 40 000 blagues, classées par plus de 350 000 personnes venues de 70 pays différents. Et nous avons trouvé notre championne, considérée comme drôle par 55 % des participants : “Deux chasseurs sont dans une forêt quand l’un des deux s’écroule. Les yeux vitreux, il ne respire plus. L’autre dégaine son portable et appelle les pompiers. – Mon ami est mort ! Qu’est-ce que je peux faire ? hoquette-t-il. – Calmez-vous. Je peux vous aider. Pour commencer, il faut s’assurer qu’il est bien mort, répond l’opérateur. Un silence, puis on entend un coup de feu. Le type reprend le téléphone et déclare : – C’est fait, et maintenant ?” Pendant un an, nous avons cherché la blague la plus drôle du monde. L’avons-nous vraiment trouvée ? En fait, je ne crois pas qu’une telle chose existe. Tout ce que nos recherches nous ont montré, c’est que les gens rient de sujets différents. Les femmes rient de plaisanteries qui mettent en avant la stupidité des hommes. Les personnes âgées rient de blagues sur la perte de mémoire et la mauvaise audition. Les humbles rient des puissants. Aucune blague ne fera s’esclaffer tout le monde. On me demande souvent quelle est ma blague préférée, parmi les milliers qui ont inondé notre site en un an. Ma réponse est toujours la même : “A la poste, un chien se présente au guichet du télégraphe, prend un formulaire et y inscrit : ‘Ouah, ouah, ouah, ouah, ouah, ouah, ouah, ouah, ouah.’ L’employé examine le texte et déclare poliment au chien : – Il n’y a que neuf mots.Vous pouvez envoyer un ‘ouah’ de plus pour le même prix. L’air perplexe, le chien rétorque : – Mais, ça ne voudrait plus rien dire.” Richard Wiseman Extraits de Quirkology, de R. Wiseman, éd. Macmillan, paru en France sous le titre de Petit traité de bizarrologie, éd. Dunod.
▲ Dessin de Mix & Remix paru dans L’Hebdo, Lausanne.
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Intelligences Le jour où les ordinateurs se fendront la poire TECHNOLOGIE Un chercheur russe a imaginé un système informatique capable de comprendre les énoncés comiques – donc les mécanismes de l’humour à l’œuvre dans le cerveau humain. NEW SCIENTIST
Londres ous connaissez la meilleure ? Un ordinateur qui a le sens de l’humour ! Les ordinateurs sont capables de beaucoup de choses, mais l’humour ne semblait pas en faire partie. Pourtant, l’idée qu’ils puissent faire de l’esprit n’est pas si farfelue. En effet, les machines n’ont peut-être pas besoin d’avoir une conscience pour comprendre l’humour – ou même pour inventer et raconter des histoires drôles. Physicien au Kapitza Institute for Physical Problems, à Moscou, Igor Suslov a conçu un prototype d’ordinateur qui explique en partie comment fonctionne l’humour. Notre capacité à expérimenter l’humour, suggère-t-il, dépendrait d’anomalies dans la gestion de l’information par notre cerveau. Selon lui, les jeux de mots fonctionnent en induisant l’esprit en erreur. Celui-ci se concentre d’abord sur un sens possible, mais doit ensuite se corriger pour saisir le sens caché de la blague. Le physicien estime que c’est sur ce genre d’erreur que se fonde généralement l’humour et que le sens de l’humour relève par conséquent d’une difficulté fondamentale du cerveau à interpréter les données entrantes. Qu’il s’agisse de mots, de sons ou d’images, le cerveau doit faire des liens entre les informations qu’il enregistre et les modèles qu’il a acquis par expérience. La majeure partie de ce processus se déroule de manière inconsciente. Comme le souligne Suslov, pour prendre des décisions rapides, le cerveau doit choisir l’une des interprétations possibles alors qu’il ne dispose pas toujours de suffisamment d’informations pour s’assurer qu’il fait le bon choix. Il doit aussi rester à l’affût de nouvelles informations qui permettraient une meilleure interprétation. Ainsi, même le plus performant des cerveaux ne peut éviter des erreurs d’interprétation. Et c’est ce qui fait que l’humour est inévitable. Selon Suslov, c’est par l’humour que le cerveau gère ce genre de méprise : une réponse émotionnelle très rapide nous fait prendre conscience d’une erreur et elle nous aide à assimiler de nouvelles informations plus vite. “C’est une fonction biologique qui sert à rendre les opérations du cerveau plus efficaces”, explique Suslov. Nous rions tandis que le cerveau se tortille pour s’extirper d’un état contradictoire. Suslov n’a pas encore véritablement créé d’ordinateur qui rigole, mais il propose un
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modèle informatique capable d’imiter le traitement de l’information humain tel qu’il le décrit, et par conséquent sujet aux mêmes erreurs d’interprétation. Suslov a imaginé un réseau informatique qui imite le réseau neuronal. Pour réagir à l’humour, le réseau doit être doté d’un premier système qui collecte les informations de l’extérieur et d’un deuxième qui les transmet à une mémoire. Lorsque ce dernier reconnaît un modèle de blague, le système transmet le résultat à un troisième réseau, qui représente la “conscience” de l’ordinateur. Ce réseau est à son tour lié à un sous-réseau de neurones qui va déclencher la réponse de l’ordinateur à l’humour, celle-ci s’exprimant par exemple par des sons amusants. Rien ne nous empêche de programmer des ordinateurs pour qu’ils racontent et comprennent des blagues, suggère Suslov. Le développement de tels systèmes devrait être possible d’ici quelques années. Selon le neuroscientifique Peter Latham, du University College de Londres
(UCL), l’idée est conforme à ce que l’on connaît du fonctionnement du cerveau. Mais Suslov doit revoir sa copie. Après tout, nous ne rions pas chaque fois que nous interprétons de manière erronée une phrase ou une image. Son modèle occulte aussi le fait que le rire n’est pas qu’une erreur du cerveau : il joue aussi un rôle social. Le fait qu’il soit contagieux et que l’on rie plus volontiers en présence d’autres personnes en est l’illustration. D’un autre côté, sa théorie explique beaucoup de choses au sujet des blagues, y compris pourquoi les plaisanteries éculées ne fonctionnent pas et pourquoi la façon d’amener une blague est si importante. Dans les deux situations, le cerveau n’est pas forcé de prendre une décision erronée pour les interpréter, soit parce qu’il reconnaît la blague, soit parce qu’il a suffisamment de temps pour corriger son erreur avant qu’on en prenne véritablement conscience. Mark Buchanan
RÉCOMPENSE Prêter à sourire et donner à penser Célèbres prix satiriques décernés aux expériences les plus farfelues, les Ig Nobel prouvent, cette année encore, qu’on peut faire travailler ses zygomatiques et progresser la recherche.
oca-Cola, Pepsi et autres sodas ont-ils une action spermicide ? Tel est le sujet de recherche scientifique qui, parmi bien d’autres tout aussi farfelus, a été récompensé en octobre dernier lors de la remise du prix Ig Nobel 2008. Cette récompense, dont la remise est organisée à l’université Harvard par la revue scientifique humoristique Annals of Improbable Research (“Annales de la recherche improbable”), distingue les découvertes “qui font rire – avant de faire réfléchir”. Deborah Anderson, du laboratoire du contrôle des naissances à la faculté de médecine de Harvard, a demandé dans les années 1980 à l’étudiante en médecine Sharee Umpierre la méthode de contraception utilisée par cette dernière lorsqu’elle était pensionnaire d’un internat catholique pour jeunes filles à Porto Rico. “Toilette intime au CocaCola”, a répondu la jeune femme. “Les ablutions intimes avec du Coca faisaient partie du folklore contraceptif des années 1950 et 1960, car à l’époque il était difficile de se procurer d’autres moyens de contraception, se souvient Mme Anderson. On pensait alors que l’acide carbonique contenu dans cette boisson [comme dans toutes les boissons gazeuses] tuait les spermatozoïdes. On prenait soin de bien agiter avant de se servir de l’applicateur fourni” – c’est-à-dire la bouteille elle-même. Pour vérifier l’efficacité de la technique, Mmes Anderson et Umpierre, ainsi qu’un confrère médecin gynécologue, Joe Hill, ont mélangé dans des éprouvettes quatre variétés différentes de Coca avec du sperme. Au bout d’une minute, tous les spermatozoïdes ont été tués dans le Diet Coke [appelé Coca-Cola Light en Europe], mais 41 % d’entre eux nageaient encore dans le New Coke, une nouvelle
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déclinaison du soda de Coca-Cola. Une autre expérience a valu le prix Pourquoi Ig Nobel de médecine à Dan Ariely, de l’université Duke en Caroline le poulet a-t-il du Nord. Alors qu’il travaillait traversé la rue ? Pour au Massachusetts Institute of se rendre de l’autre côté. Technology (MIT), Ariely avait administré à deux groupes (blague jugée la moins drôle de volontaires subissant des parmi les 10 000 qui ont été électrochocs des placebos censés atténuer la douleur. Il soumises au jugement avait dit aux uns que leurs de 100 000 internautes comprimés coûtaient 2,50 dollars [1,80 euro] l’unité et aux originaires de autres que les leurs étaient vendus 70 pays) au rabais à 10 cents. Ceux qui avaient avalé le faux médicament “le plus coûteux” ont moins souffert que ceux qui avaient pris la version bon marché. Le prix affecte les attentes des patients et par là même leur réaction au médicament, soutient Ariely – plus le remède est cher, plus il est efficace, pensent-ils. Autre expérience couronnée par l’Ig Nobel, celle qui consistait à sonder la nature humaine : les femmes ont-elles la faculté de signaler qu’elles sont dans leur période de fertilité ? La plupart des mammifères femelles le font ouvertement, mais les hommes, eux, semblent ne pas avoir conscience de ce genre de signaux adressés par les femmes. Pour en avoir le cœur net, Geoffrey Miller, Joshua Tybur et Brent Jordan, professeurs de psychologie à l’université du Nouveau-Mexique, ont demandé à des stripteaseuses d’indiquer le montant des pourboires qu’elles se faisaient par soirée, et de préciser si elles prenaient la pilule ou si elles n’utilisaient aucun moyen de contraception. Résultat : au moment de leur période de fertilité, les femmes qui n’étaient pas sous contraceptif gagnaient bien plus d’argent en pourboires. Jeff Hecht, New Scientist, Londres
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Intelligences
% Je ris donc je bosse
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“L’humour améliore considérablement les performances d’une entreprise”, affirme Robert Truslake, enseignant en management à l’université du Missouri-Columbia. Interrogé par Science Daily, le chercheur explique que “plaisanter dans le cadre du travail, et en particulier sur le travail lui-même et les activités associées, donne plus de qualité à celui-ci”. Une conclusion forgée en étudiant les théories de l’humour, complétée par une analyse comparée de plusieurs centaines de sources. Des travaux sur les mécanismes cognitifs de l’humour et sur les liens entre plaisanterie et émotions parachèvent la recherche de Robert Truslake, qui estime que rire est “un excellent moyen de renforcer la cohésion d’un groupe et, partant, son efficacité professionnelle”. ▶ Dessin de
Kazanevsky, Ukraine.
Humour et développement vont dans le même sens SCIENCES Le rire a permis à l’espèce humaine d’évoluer. Il est d’ailleurs indispensable au développement cognitif des bébés. THE TIMES
Londres ous connaissons tous l’importance de l’humour. Il peut nous aider dans les moments les plus sombres, faire naître des amitiés et nous détendre après une dure journée de travail. Dans les relations amoureuses, le sens de l’humour se place toujours en très bonne position lorsqu’il s’agit de dresser la liste des qualités recherchées chez le partenaire, souvent bien avant l’attirance physique. Mais l’humour n’est pas seulement primordial pour le bon épanouissement d’une relation. Des découvertes récentes sur les mécanismes du rire nous apprennent que cette aptitude a aidé les êtres humains à évoluer pour devenir l’espèce intelligente que nous sommes aujourd’hui, et qu’elle pourrait jouer un rôle essentiel dans le développement de l’enfant. Qu’est-ce que l’humour, et pourquoi est-il si important ? Après avoir étudié plus de 10 000 exemples, allant des grands classiques comme l’ironie et la farce à des exemples précis de comédies grand public ou intellectuelles, on a pu voir un modèle commencer à émerger. Ce que la recherche nous apprend, c’est que le cerveau s’amuse des schémas qui le surprennent.
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ne plus rire. Mais, tant qu’il n’est pas complètement certain de ce qui va se passer, ni du moment où cela va se passer, le potentiel comique reste entier. Ensuite, les enfants grandissent et commencent à taper dans leurs mains et à faire des grimaces, chacun de ces jeux correspondant à une étape de leur développement. En fait, il existe une corrélation directe entre le développement d’un enfant et l’humour : les jeux auraient un rôle essentiel dans l’affinage des facultés de perception d’un bébé. Cependant, l’absence de rire n’implique pas nécessairement une incapacité à reconnaître les schémas, c’est parfois simplement le signe que l’enfant trouve le jeu ennuyeux ou prévisible. Le sens de l’humour se développe très tôt. Les enfants rient bien avant de commencer à parler. Il est intéressant de noter qu’ils doivent réapprendre les mêmes mécanismes entre 6 et 9 ans pour accéder à l’humour verbal. Au début, les enfants ont souvent de grandes difficultés à reproduire les jeux de mots et la structure des histoires drôles qu’ils entendent. Mais Ceux-ci peuvent prendre des formes très dif- c’est en s’attaquant à l’humour verbal qu’ils férentes, allant de la simple répétition à des atteignent l’étape finale de leur développement variations beaucoup plus complexes. Si nous humoristique. Une fois passées les premières avons mis tant de temps à comprendre cela, difficultés du langage, les fondements de l’huc’est parce que ce processus de reconnaissance mour sont les mêmes pour les enfants et les est inconscient. adultes, et le rire permet de combler l’écart Mais pourquoi l’homme a-t-il développé – émotionnel et intellectuel – entre générations. un sens de l’humour ? Cela l’a-t-il Pour les plus jeunes, lire en comparéellement aidé à échapper à la gnie d’adultes apporte la confirmâchoire d’un tigre à dents mation que l’humour verbal, de sabre ? En un sens, c’est-à-dire abstrait, est La théorie, c’est oui. Sur le plan de aussi drôle que son l’évolution, la capaéquivalent dans le quand on sait tout mais cité à reconnaître des monde physique. que rien ne marche. schémas de façon Cela per met en La pratique, c’est quand instantanée et inoutre de forger un consciente est une lien étroit entre tout marche mais qu’on ne sait faculté remaradultes et enfants. pas pourquoi. Et l’informatique, quable. L’humour a Nul besoin d’être encouragé les êtres grand clerc pour c’est l’union de la théorie humains à dévelopvoir les bénéfices et de la pratique : rien per une incroyable d’une telle interacfaculté d’adaptation tion. Même si nous ne ne marche et on ne sait aux circonstances nourions pas des mêmes pas pourquoi ! velles. L’élément de surchoses à mesure que nous prise, nécessaire à l’humour, vieillissons, le mécanisme de attire notre attention sur ces l’humour reste inchangé. Ceschémas inédits et inattendus. Pour pendant, notre expérience augmenrésumer, c’est grâce à notre sens de l’humour tant, nous pourrons reconnaître des schémas que nous sommes devenus les êtres pensants différents et être surpris par eux. De telles évoet vifs d’esprit que nous sommes aujourd’hui. lutions nous rappellent qu’il est impossible de Cette nouvelle compréhension des méca- dire aux gens ce qui devrait ou ne devrait pas nismes de l’humour est porteuse de vastes les amuser. Bien que nous puissions expliquer implications. Le plus intéressant se trouve peut- pourquoi nous trouvons quelque chose drôle, être au niveau de nos connaissances sur le déve- la perception de ce qui est amusant relève de loppement de l’enfant. Nous savons désormais l’individu, adulte ou enfant. Du point de vue que lorsqu’un bébé rit il réagit aux mêmes sti- de l’espèce, l’humour a incontestablement muli qu’un adulte : il reconnaît des schémas contribué à notre survie et a joué un rôle essenqui le surprennent. Lorsque les parents jouent tiel dans le développement des perceptions à faire coucou – en montrant et en cachant alter- et des facultés intellectuelles uniques que nous nativement leur visage dans leurs mains –, les possédons. On ne plaisante pas avec ça. Alastair Clarke* premiers éclats de rire de l’enfant sont provoqués par le renouvellement de la surprise. Si * L’auteur est un théoricien de l’évolution, auteur de The le jeu devient trop répétitif, l’enfant risque de Pattern Recognition Theory of Humour. 30
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