Cryogénie par Bernard HÉBRAL Directeur de Recherche au CNRS, Centre de Recherches sur les très basses températures Laboratoire associé à l’Université Joseph Fourier de Grenoble
our tenter de définir la cryogénie, examinons tout d’abord l’échelle de température thermodynamique (figure A). Paradoxalement, si l’on connaît la limite ultime, et inaccessible, du domaine de la cryogénie – le zéro absolu (rubrique Thermodynamique dans le traité Sciences fondamentales) –, l’autre frontière, entre cryogénie et réfrigération, a toujours été essentiellement fluctuante dans le temps et l’espace. Née vers 1877 lorsque l’oxygène fut liquéfié pour la première fois par Pictet et Cailletet (T 90 K), la notion de cryogénie ne s’apprécie pas de la même façon dans un centre de recherches travaillant couramment à quelques millikelvins et dans une installation industrielle testant le moteur du troisième étage d’Ariane V. La découverte récente des supraconducteurs à haute tempé- rature critique (125 K en 1992) a même fait « réannexer » des températures jusqu’alors qualifiées de chaudes par les cryogénistes : en effet, les physiciens de la matière condensée cherchent toujours à saisir les mécanismes profonds de cette nouvelle manifestation d’une propriété découverte dès 1911 par Kamerlingh Onnes peu après la première liquéfaction de l’hélium vers 4 K. La caractéristique sans doute principale des développements des basses températures est en fait l’affrontement constant et très fertile entre avancées technologiques et compréhension fondamentale de la nature. La température caractérise l’énergie cinétique des constituants d’un corps. Aussi, abaisser la température, c’est ouvrir la possibilité de distinguer des propriétés souvent très ténues, mais essentielles pour tester la validité des théories scientifiques, et habituellement masquées par l’agitation thermique à la température ordinaire : la supraconductivité et la superfluidité sont des manifestations macroscopiques de la théorie quantique. Les développements des outils de refroidissement permettent permettent maintenant de mettre en évidence des phénomènes fascinants : résistivité non ohmique de systèmes submicroniques, ordre magnétique du cuivre ou de l’argent, effet Hall quantique, détection de nouvelles particules, température de l’Univers. Ces manifestations inattendues conduisent souvent à l’élaboration de nouveaux moyens d’investigation, qui sont sources à leur tour de questions originales. Cette richesse est bien carac- térisée par la douzaine de prix Nobel attribués dans ce domaine. La figure B présente les principales étapes dans l’obtention des basses températures et quelques découvertes associées. Ces progrès dans la connaissance ne sont possibles qu’à travers des avancées expérimentales à haute portée technologique ; certains exemples seront présentés dans la suite de cet article. Mais la cryogénie a aussi large- ment diffusé vers les applications. On peut citer le domaine du stockage des gaz liquéfiés : la fondation de L’Air Liquide par Georges Claude dans les toutes premières années du siècle et son développement montrent bien que la cryo- génie n’a pas pour unique objet le Savoir ! Le ralentissement des réactions chi- miques associé à l’abaissement de la température est aussi un exemple connu depuis longtemps pour la conservation des aliments ; la cryogénie a ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine médical en permettant la conservation longue de nombreux systèmes biologiques. ≈
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Figure A – Échelle de température thermodynamique
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Figure B – Différentes étapes vers les basses températures et leurs acteurs
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Les technologies de pointe préparant le XXI e siècle utilisent aussi très large- ment la cryogénie (figure C ) . Ces exemples, sans être exhaustifs, montrent la diversité des applications cryogéniques. Il faut aussi souligner le caractère très formateur de cette discipline. Peu présente dans les enseignements de base de l’Ingénieur, elle nécessite un apprentissage pratique méthodique. Pour l’ingénieur, la cryogénie est avant tout un outil : le développe- ment d’une application faisant appel à la cryogénie nécessite de refroidir l’appareillage concerné par des moyens simples (bain cryogénique) ou plus complexes (installation de réfrigération-liquéfaction). Cet ensemble est placé dans une enceinte adaptée (le cryostat). Son fonctionnement autonome nécessite la présence de moyens de stockage de fluides cryogéniques ; on peut éventuellement mettre à profit les basses températures obtenues pour utiliser des techniques spécifiques (cryopompage, par exemple). Naturellement, le travail dans des conditions de température très éloignées de celles rencontrées autour de l’ambiante va nécessiter une adaptation impor- tante des connaissances de l’Ingénieur : — au plan fondamental, une étude particulière de propriétés physiques bien différentes, voire spécifiques (supraconductivité, superfluidité, etc.) ; — une familiarisation avec des ordres de grandeur nouveaux : citons entre autres les échanges thermiques avec des puissances comprises entre quelques microwatts à 10 mK et 20 kW à 4,5 K, les densités de courant de 10 9 A/m2 dans un supraconducteur, les pressions bien inférieures à 10 –2 Pa contribuant à l’isolation thermique ; — une expérience nécessitant de rassembler un ensemble de techniques délicates : chaudronnerie fine, technique du vide, isolation thermique, instru- mentation bas niveau, etc. L’ensemble Cryogénie est composé de deux grandes parties : — les propriétés physiques aux basses températures, donnant les notions fondamentales à travers une présentation des différents fluides cryogé- niques, des matériaux solides et des transferts thermiques. Les développements théoriques trop approfondis ont été évités pour favori- ser figures et tableaux permettant de répondre à une question pratique précise. Certains ont été regroupés dans un formulaire, donnant des informations allant au-delà des connaissances indispensables à la lecture de cet article ; — la mise en œuvre des basses températures, présentant aussi bien les moyens d’obtention des basses températures que des exemples d’applications. Une documentation fournit également de nombreuses références pour approfondir un sujet ou aborder un problème particulier, documentation classée par rubriques. Cet ensemble a été réalisé à partir de nombreuses contributions. Que chacun des auteurs en soit très vivement remercié : J.C. Boissin, A. Bui, G. Gistau, F. Kircher, Y. Laumond, M. Locatelli, P. Pelloux-Gervais, A. Ravex, P. Seyfert et J. Verdier.
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Figure C – Principaux domaines d’applications de la cryogénie
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