CLASSES INVERSÉES ENSEIGNER ET A PPRENDRE À L’ENDROIT L’ENDROIT
CL A S SES
INVERSÉES ENSEIGNER E T A PPREN DRE À L’ E N D R O I T � MARCEL LEBRUN JULIE LEC OQ PRÉFACE DE CATHERINE BECCHETTI�BIZOT
M A Î T R I S E R
Remerciements
Directeur de publication
Jean-Marc Merriaux Ce livre n’aurait sans doute pas existé sans les précieux apports d’un ensemble de personnes que nous tenons à remercier sincèrement : – les instituteurs et professeurs qui, par leur approche généreuse du partage des pratiques, nous ont convaincus de la pertinence des classes inversées : nous sommes leurs élèves ; – les collègues de Louvain et d’autres institutions que nous avons nous-mêmes conduits sur les chemins de l’innovation pédagogique et qui nous ont à leur tour fait découvrir leurs propres classes en inversion progressive : nous sommes leurs accompagnateurs ; – les étudiants, acteurs de l’autre côté du miroir de l’inversion et qui, chasseurs de mirages technopédagogiques, nous ont permis d’expérimenter lucidement les pratiques des classes inversées : nous sommes leurs mentors ; – les collaborateurs de notre Institut, l’IPM, désormais Louvain LearningLab, qui nous ont aidés à prendre le recul nécessaire pour fonder et composer l’ouvrage que vous tenez entre vos mains et qui vous accompagnera dans vos propres pratiques : nous sommes leurs collègues.
Directrice de l’édition transmédia et de la pédagogie
Michèle Briziou Directeur artistique
Samuel Baluret Coordination éditoriale
Sophie Neill Secrétariat d’édition
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Marc Brisson, Sylvie Mougnaud Conception graphique
DES SIGNES studio Muchir et Desclouds
ISSN : 2416-6448 ISBN : 978-2-8142-0329-7 © Réseau Canopé, 2015 (établissement public à caractère administratif) Téléport 1 - Bât @ 4 1, avenue du Futuroscope CS 80158 86961 Futuroscope Cedex
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PRÉFACE
La pédagogie dite inversée connaît un engouement remarquable en France depuis quelques années et donne une nouvelle intensité au débat sur les pratiques pédagogiques à l’ère du numérique. Vue par certains comme le moyen de concentrer les activités de haut niveau cognitif pendant le temps classe en privilégiant la collaboration entre élèves, par d’autres comme la production et le partage de médias durant les différentes phases d’apprentiss age favorisant ainsi les liens entre les différents moments du parcours de l’élève, cette pédagogie prend indéniablement une nouvelle dimension avec le numérique. Les possibilités offertes par les technologies numériques pour s’informer, se cultiver et apprendre en dehors de la classe, avant ou après le temps scolaire, ont pour conséquence une dé-linéarisation de l’espace et des temps d’apprentissage, un décloisonnement et une plus grande ouverture de l’École sur le monde extérieur. Cet ensemble de nouvelles pratiques ne s’oppose pas à une pédagogie plus classique, la pédagogie inversée ne constituant pas une révolution, mais plutôt une évolution, tout simplement une démarche complémentaire à la panoplie de chaque enseignant. Pour autant, cette démarche interroge et peut faire bouger en profondeur toutes les formes scolaires : les supports, les langages, l’organisation et le rôle de l’enseignant. Elle place l’élève dans une nouvelle posture et fait du professeur celui qui le conduit et le guide dans ses apprentissages et dans la construction de ses savoirs, lui laissant à la fois plus d’initiative et d’autonomie, et l’accompagnant de façon plus personnalisée grâce à une gestion différente des temps en classe. Il y a là sans doute des pistes novatrices et prometteuses pour lutter contre la démotivation, le décrochage scolaire, et contribuer à la réduction des inégalités. Par-delà les considérations pédagogiques ou techno-pédagogiques liées à ces nouvelles pratiques, il ne faut pas oublier qu’elles sont l’occasion de se poser des questions, d’expérimenter, individuellement et collectivement, et sans doute d’innover. Et c’est bien le rôle de l’enseignant que de réinterroger sans cesse sa pratique pour la mettre en harmonie avec une société où le numérique reconfigure tous les rapports humains et les modes de production et d’accès au savoir. Replacée dans un contexte historique qui questionne son caractère innovant, la classe inversée est décrite par Marcel Lebrun et Julie Lecoq selon plusieurs niveaux de pratique depuis la simple « translation » dans le temps et l’espace des périodes d’apprentissages jusqu’à un véritable cycle où contextualisation (donner du sens), décontextualisation (modéliser) et recontextualisation (appliquer) interviennent successivement. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur les courants pédagogiques qui fondent la classe inversée, du behaviorisme, au constructivisme et au connectivisme, et permet ainsi au lecteur d’en comprendre les origines théoriques. La troisième partie apporte un éclairage très concret sur ce qu’il faut avoir à l’esprit lorsque l’on met en place un dispositif de classe inversée et détaille les 5 points clés de la scénarisation d’un dispositif hybride (mise à distance, accompagnement, médiatisation, médiation et degré d’ouverture) en considérant les outils existants, l’état des connaissances de l’apprenant, le réaménagement de l’espace de la classe et les modalités d’évaluation.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
La quatrième partie propose au lecteur une réflexion sur le statut du savoir accessible aujourd’hui partout et en permanence, sur la posture de l’étudiant qui n’est plus considéré comme le réceptacle du savoir, sur la modification de la relation entre enseignant et apprenant, et sur la reconfiguration des temps et des lieux d’apprentissage. La cinquième partie porte le regard du lecteur sur quelques expérimentations et permet de comprendre en quoi et comment la recherche sur la classe inversée peut être l’aboutissement du parcours professionnel pour un enseignant pionnier. L’ouvrage de Marcel Lebrun et Julie Lecoq sera très utile à tout enseignant qui s’interroge sur la pratique de la classe inversée en lui permettant de faire le lien entre les apports de la recherche en sciences de l’éducation et des exemples très concrets de mise en œuvre dans les classes.
Catherine Becchetti-Bizot Inspectrice générale de l’Éducation nationale
SOMMAIRE
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INTRODUCTION
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QU’EST�CE QUE LES CLASSES INVERSÉES �
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15
À l’origine, les flipped classrooms
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Les classes inversées, un innovation ?
27
Des savoirs ex cathedra aux savoirs distribués
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Des classes inversées en un exemple
LES CLASSES INVERSÉES, DES DISPOSITIFS RÉELLEMENT PÉDAGOGIQUES
35
À la confluence de courants pédagogiques
41
À la recherche de la cohérence pédagogique
49
Un modèle pragmatique pour soutenir et structurer la démarche
CONCRÈTEMENT, LES CLASSES INVERSÉES, ÇA MARCHE COMMENT �
55
Les classes inversées, un dispositif hybride
61
Les classes inversées, pour apprendre à distance
65
Les classes inversées, pour mieux apprendre en présence
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
73
Renversements dans le dispositif « école »
79
Conséquences sur les apprentissages
RECHERCHES ET EXPÉRIMENTATIONS
91
Classes inversées et développement professionnel des enseignants
95
Les classes inversées, qu’en disent les recherches ?
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES I NVERSÉES
103
Les classes inversées, une stratégie fédératrice
111
Les classes inversées, entre critiques et éloges
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CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE
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FILMOGRAPHIE
INTRODUCTION
Les classes inversées : voici un concept qui, depuis quelques années seulement, a envahi la sphère éducative, en y déployant un grand nombre d’initiatives pionnières et en y soulevant autant de questions salutaires. Certains diront « qu’on fait cela depuis bien longtemps », d’autres le qualifieront d’innovation, c’est-à-dire quelque chose de « nouveau » du point de vue du système éducatif dans lequel il s’introduit et dans lequel il est amené, peut-être, à se banaliser. Par rapport à ces tensions, le présent ouvrage se veut prospectif en encourageant l’expérimentation progressive et réfléchie. L’histoire des innovations, qu’il s’agisse de technologies ou de méthodes éducatives, est jonchée d’euphories et de désillusions. Elle ne peut nous conduire ni à un attentisme funeste ni à un empressement excessif. Plutôt, cet ouvrage proposera des tierces places en termes d’hybridation et de cheminement, un « Tao pour l’éducation » en quelque sorte. Les classes inversées dans leur version originelle sollicitent amplement l’usage des vidéos considérées comme les véhicules de la transmission des savoirs. En 1922, Thomas Edison parlait ainsi du cinéma à l’école : « Je pense que le cinéma est destiné à révolutionner notre système éducatif et que dans quelques années, son usage dépassera largement si pas entièrement celui des manuels. Je dirais que, en considérant la façon dont ils sont écrits aujourd’hui, on obtient par l’utilisation de ces derniers une efficacité de deux pour cent. L’éducation du futur, comme je la pressens, soutenue par les ressources du cinéma permettrait d’atteindre une efficacité de cent pour cent 1. » Plus proches de nous, en 1985, Richard E. Clark et Stuart Leonard, des chercheurs dans le domaine des technologies éducatives, concluaient leurs travaux sur l’utilisation des ordinateurs en classe ainsi : « Les ordinateurs n’apportent guère plus à l’apprentissage que le camion qui fournit les victuailles aux épiceries ne peut améliorer l’alimentation d’une communauté. Acheter un camion n’améliore pas plus la qualité de l’alimentation qu’acheter un ordinateur n’améliore l’accomplissement de l’étudiant. La qualité de l’alimentation provient d’une bonne adéquation entre les aliments fournis et les besoins des personnes. De manière comparable, la qualité de l’apprentissage est issue d’une balance correcte entre les méthodes d’enseignement et les besoins des étudiants2. » Dans ce mouvement pendulaire entre ces positions somme toute extrêmes et statiques, nous proposons une approche dynamique, plus inconfortable certes, mais riche en perspectives d’évolution pour une « école » en recherche d’une meilleure adéquation avec la vie quotidienne, sociale et professionnelle, avec les aspirations des jeunes et de leurs parents. « Osons expérimenter », tel sera notre slogan, ou mieux notre bannière. L’ouvrage
1
Thomas Edison, dans L. Cuban, Teachers and Machines: The classroom use of technology since 1920, New York, Teachers College Press, 1986. “I believe that the motion picture is destined to revolutionize our educational system and that in a few years it will supplant largely, if not entirely, the use of textbooks. I should say that on the average, we get about two percent efficiency out of schoolbooks as they are written today. The education of the future, as I see it, will be conducted through the medium of the motion picture… where it should be possible to achieve one hundred percent efficiency”. Nous traduisons.
2
R. E. Clark et S. Leonard, Computer Research Confounding, document présenté à « The annual meeting of the American Educational Research Association », Chicago (Ill.), 1985, p. 15. “Computers make no more contribution to learning than the truck which delivers groceries to the market contributes to improved nutrition in a community. Purchasing a truck will not improve nutrition just as purchasing a computer will not improve student achievement. Nutrition gains come from getting the correct ‘groceries’ to the people who need them. Similarly, achievement gains result from matching the correct teaching methods to the student who needs it.”
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
propose un double parcours : une plongée progressive au cœur du concept des classes inversées et une prise de hauteur, une vision des classes inversées comme élément participatif d’un mouvement d’innovation qui le dépasse. Ces regards « micro » et « macro » se conjuguent constamment dans chacune des parties afin d’offrir au lecteur une vision conceptuelle à la fois précise et contextualisée. Dans la première partie, nous proposons de définir et de décrire les classes inversées, de leurs pratiques originelles à leurs développements les plus récents. En délimitant clairement ce que la classe inversée est et ce qu’elle n’est pas, nous explorons les niveaux de complexité dans lesquels les classes inversées sont susceptibles de se déployer. Nous verrons également que ces niveaux peuvent se concevoir de manière plus dynamique au travers des quatre temps d’un cycle où les modalités de distance et de présence s’articulent dans un mouvement de contextualisation (les pratiques sociales, l’expérience vécue, etc.) et décontextualisation (les modèles, les théories, le « monde des idées », etc.). L’aspect novateur des classes inversées est aussi discuté à la lumière des théories de l’innovation et dans ses rapports aux nouvelles technologies, et aux MOOC notamment. Cette partie se conclut sur un exemple illustratif des atouts qu’offre un dispositif inversé. La seconde partie vise à situer les classes inversées à la confluence de grands courants pédagogiques en parcourant leur évolution, du béhaviorisme au connectivisme. Nous verrons comment, en tant que dispositifs hybrides, les classes inversées questionnent la cohérence pédagogique. Aux objectifs, méthodes et évaluations, les classes inversées ajoutent un quatrième aspect : celui des outils numériques dont la pertinence de l’usage nécessite une réflexion approfondie. Afin de guider l’élaboration pédagogique d’un dispositif en classe inversée, nous présentons un modèle pragmatique qui cible l’attention sur cinq facteurs pédagogiques incontournables. Dans la troisième partie, nous abordons de manière plus détaillée la nature hybride des classes inversées et les outils permettant la conception d’un scénario qui articule présence et distance. Après avoir défini les méthodes (avec ou sans technologie) permettant de « mettre à distance » une matière, nous évoquons l’utilisation des espaces et les techniques d’animation dont l’enjeu est de répondre à l’exigence fondamentale des classes inversées : donner du sens à la présence. Le parcours à travers ces différentes méthodes culmine avec un accent particulier sur l’évaluation formative qui trouve un espace privilégié dans les dispositifs inversés. Les classes inversées supposent de multiples renversements qui font l’objet de la quatrième partie. Les rapports aux savoirs, aux rôles, aux espaces sont autant de bouleversements en faveur d’un apprentissage actif à l’école, et au-delà. Nous montrons comment les classes inversées revisitent la pyramide de Bloom (1956) en accentuant le développement de compétences complexes, comme la créativité, l’esprit critique, la recherche d’information, le travail d’équipe, etc. En mettant à contribution tous les styles d’apprentissage, les classes inversées ouvrent un champ d’expériences à la pédagogie différenciée, dans le choix des méthodes comme dans l’évaluation. Enfin, ces renversements ouvrent un nouveau « champ de possibilités » aux enseignants comme l’illustrent quatre témoignages de professeurs de l’enseignement supérieur. La cinquième partie est dédiée précisément à l’impact des classes inversées sur les enseignants qui l’exercent. Lié à ce développement professionnel, un mouvement de recherche est en plein essor. Nous proposons au lecteur une revue de la littérature sur les classes inversées et leur impact sur l’apprentissage, mais également un regard sur les autres lieux de production de connaissances que sont les réseaux de praticiens et les blogs de partage de pratiques.
INTRODUCTION
11
Enfin, la sixième partie traite des élans enthousiastes et parfois idéalistes, ainsi que des craintes circonspectes et souvent salutaires : les premiers sont à inscrire dans une action réfléchie et les secondes présentent autant de défis à surmonter. C’est ainsi que nous revenons brièvement sur les courants pédagogiques et les cohérences à rechercher qui tout à la fois stimulent et tempèrent l’engouement pour les classes inversées. Il y est de nouveau question des « pourquoi » et des « pour quoi » qui fondent l’essor de ces dernières en les plongeant dans le champ de la réalité en classe ou en amphithéâtre. Ensuite, ainsi équipés d’un argumentaire solide, nous abordons les éléments moteurs et les freins qui doivent retenir notre attention. Ils sont issus d’une littérature « grise » provenant principalement de sites ou de blogs consacrés à notre problématique et alimentés par les témoignages d’enseignants de l’école primaire à l’enseignement supérieur.
QU’EST-CE QUELES CLASSES INVERSÉES?
ÀL’ORIGINE, LESFLIPPED CLASSROOMS
Diffuser des cours ou certains de leurs éléments est une pratique bien connue qui existe depuis longtemps déjà. On pourrait songer aux textbooks ou aux manuels, mais aussi aux émissions de télévision comme celles diffusées par la BBC (souvent pendant la nuit) sous l’égide de l’Open University. Leur couplage avec l’enseignement formel, en lieu et temps, est sans doute plus récent, à l’instar d’Eric Mazur 3 (professeur de physique à Harvard), qui demande à ses étudiants de lire son ouvrage de référence et ses notes de cours en amont pour consacrer ses enseignements aux difficultés exprimées par les étudiants, à des approfondissements et à différents exercices. En 2000, un article faisait état de l’inversion des activités traditionnellement effectuées en classe (la lecture ou la leçon) avec celles tout aussi traditionnellement faites par les étudiants en dehors de la classe 4. Le concept, ou en tout cas l’appellation (voire le buzz), de flipped classrooms est apparu vers 2007 aux États-Unis quand deux enseignants en chimie dans le secondaire, Jonathan Bergmann et Aaron Sams5, ont découvert le potentiel de vidéos tels les PowerPoint commentés, les podcasts, les screencasts, etc. Le podcasting 6, à savoir la diffusion pour baladeur (ou baladodiffusion au Canada francophone), est à l’origine un moyen de diffusion de fichiers (audio, vidéo ou autres) sur Internet appelés podcasts (ou balados). Avec le temps, on a ainsi appelé les fichiers (le plus souvent des vidéos) relativement légers et courts
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4
5
6
On constatera que l’ouvrage d’Eric Mazur, pourtant précurseur des classes inversées, est consacré à l’évaluation par les pairs : E. Mazur, Peer Instruction: A User’s Manual, Upper Saddle River, Prentice Hall, 1997. M. Lage, J. Platt, J. Glenn, M. Treglia, “Inverting the Classroom: A Gateway to Creating an Inclusive Learning Environment”, The Journal of Economic Education, n° 31, 1, 2000. J. Bergmann, A. Sams, Flip Your Classroom: Reach Every Student in Every Class Every Day, Washington (DC), International Society for Technology in Education, 2012. Contraction du mot iPod (le baladeur d’Apple) et du mot broadcasting (diffusion).
distribués sur Internet et accessibles via un ordinateur, un lecteur de podcast, un Smartphone, etc. Le service YouTube, lui, permet l’accès à ces vidéos organisées, ou non, en séries. Le screencast, une variété de podcast, consiste en une capture vidéo dynamique de l’écran d’un ordinateur accompagnée la plupart du temps d’une narration audio. Par l’entremise d’un abonnement à un flux de données au format RSS ou Atom, le podcasting permet aux utilisateurs l’écoute immédiate ou le téléchargement automatique d’émissions audio ou vidéo sur des baladeurs numériques en vue d’une écoute ultérieure. Il s’agissait donc pour Bergmann et Sams de motiver leurs élèves à préparer (à domicile, hors classe, ou sans la présence physique ou la supervision de l’enseignant) les leçons traditionnellement données en classe afin de rendre ces dernières plus interactives. Lectures at home and homework in class (« La leçon à la maison et les devoirs en classe ») : le slogan était lancé. Cette méthode est à la fois une petite révolution par rapport à l’enseignement dit traditionnel (le magistral, l’enseignement ex cathedra) et une piste d’évolution acceptable et progressive pour les enseignants qui souhaitent se diriger, sans négliger la transmission des savoirs (les connaissances cristallisées), vers une formation davantage centrée sur l’apprenant, ses connaissances et ses compétences (les connaissances fluides). Ces classes inversées (selon la traduction française largement répandue de flipped classrooms ) repositionnent et redéploient donc les espaces-temps traditionnels de l’enseigner-apprendre. Elles constituent une rupture par rapport aux formes traditionnelles d’enseignement en auditoire héritées d’un lointain passé (à l’époque de l’émergence d’une autre invention technologique fabuleuse, le livre) où il était d’usage, dans nos contrées, qu’un prêtre, un clerc, un professeur, etc., fasse la lecture et interprète les écrits. Déjà à l’époque, le livre était vu par certains comme un vecteur d’émancipation. Qu’en est-il vraiment resté ? Les flipped classrooms marqueront-elles vraiment ce potentiel virage pédagogique ?
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
DES CLASSES INVERSÉES DE PREMIER NIVEAU Autour du concept de flipped classrooms , les variations sont infinies. Nous en proposons une définition alternative plus large 7 : une flipped classroom, ou « classe inversée », est une méthode (ou une stratégie) pédagogique où la partie transmissive de l’enseignement (exposé, consignes, protocole, etc.) se fait « à distance » en préalable à une séance en présence, notamment à l’aide des technologies (vidéo en ligne du cours, lecture de documents papier, préparation d’exercice, etc.) et où l’apprentissage fondé sur les activités et les interactions se fait « en présence » (échanges entre l’enseignant et les étudiants et entre pairs, projet de groupe, activité de laboratoire, séminaire, débat, etc.). Il s’agit ici de ce que nous appelons le « niveau 1 » des classes inversées 8. Cette version de base (celle que nous avons décrite jusqu’ici) fonctionne sur le schéma suivant : un texte à lire, quelques pages d’un manuel à lire ou alors une vidéo dont il faut prendre connaissance avant « la classe » (temps 1 du niveau 1) de manière à rendre les activités et interactivités en classe plus dynamiques, plus contextualisées au travers des questions et réponses, des exercices, des applications, des situations-problèmes à résoudre (temps 2 du niveau 1). Nous pourrions appeler ces classes des classes translatées : le cours théorique (en classe dans le schéma traditionnel ou en préalable de la classe dans le schéma des flipped clas srooms ) précède encore et toujours la partie consacrée aux exercices, aux applications, etc., comme le montre la figure ci-contre.
7
8
Définition construite avec un de nos mémorants, Antoine Defise, étudiant à la FOPA (Faculté ouverte pour adultes) à l’université catholique de Louvain (UCL). Nous avons beaucoup hésité à donner le nom de « niveau » à ces modalités de classes inversées. Comme on le verra ci-après, nos niveaux s’emboîtent dans des approches complémentaires (voir nos propos au sujet du cycle de Kolb). On aurait pu parler de « dimensions ». Néanmoins, ces niveaux indiquent aussi une progression (un échafaudage) vers des pédagogies de plus en plus centrées sur l’apprentissage en transformant de plus en plus l’apprenant en acteur de son apprentissage.
Présence
Traditionnel
« Translaté »
La leçon
La leçon
Les exercices
Les exercices
CLASSES INVERSÉES OU CLASSES TRANSLATÉES �
Qu’on ne se méprenne pas : cette translation est un premier pas, gigantesque, pour l’enseignant qui confie aux médias une part de son enseignement en se libérant pour devenir davantage « accompagnateur d’apprentissages » en classe. « Les technologies ne rendent pas notre cerveau plus vide, elles lui permettent d’être plus libre 9. » Les classes inversées font partie de la famille des dispositifs hybrides10. Elles sont souvent supportées par une plateforme technologique (un rassemblement d’outils comme Claroline ou Moodle), et leur caractère hybride provient d’une modification de leurs constituants (ressources, stratégies, méthodes, acteurs et finalités) par une recombinaison des temps et des lieux d’enseignement et d’apprentissage. Il s’agit donc bien d’un continuum dont une dimension est liée au rapport présence/distance et une autre au rapport entre « enseigner » et « apprendre ». La figure ci-contre illustre ce croisement entre, d’une part, présence/distance (transmission, activités, interactivités) et, d’autre part, l’enseignement et l’apprentissage.
9
Citation de Michel Serres, extraite de « Pourquoi nous n’apprenons plus comme avant », Philosophie magazine, n° 62, septembre 2012. 10 B. Charlier, N. Deschryver, D. Peraya, « Apprendre en présence et à distance : une définition des dispositifs hybrides », Distances et Savoirs, n° 4, 2006/4, p. 469-496.
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QU’EST�CE QUE LES CLASSES INVERSÉES �
1
Présence Synchrone
2 Asynchrone
Synchrone
Enseigner
Enseigner
Apprendre
Apprendre
3
Présence
Présence
Asynchrone
Présence 4
Synchrone
Asynchrone
Enseigner
Synchrone
Asynchrone
Enseigner Flipped Classrooms
Apprendre
Apprendre
CROISEMENT DES CONTINUUMS SPATIO�TEMPORELS �PRÉSENCE ET DISTANCE� ET PÉDAGOGIQUES �ENSEIGNER ET APPRENDRE�
Lecture :
La classe inversée est :
(1) L’enseignement traditionnel transmissif se passe en classe ; les interactions et les activités des élèves y sont bien souvent limitées. Les devoirs se passent à la maison, ainsi que la préparation des examens. (2) Le « flip » agit, reconsidérant les espaces-temps de l’enseigner-apprendre. Il s’agit de mieux occuper l’espace et le temps, d’accompagner une partie de l’apprentissage (mémorisation, compréhension…) hors de la classe, et de rendre à cette dernière sa vocation liée à la rencontre, au caractère social de l’apprentissage. (3) La figure se transforme : la partie transmissive (les nécessaires savoirs, les principes, les théories…) se déroule en dehors de la classe, soit à la maison, soit dans des lieux spécialement aménagés dans l’école ; l’espace et le temps de la classe proprement dite (de la rencontre avec l’enseignant) sont utilisés pour les activités et les interactivités. (4) L’hybridation (soutenue par le principe de variété dans les approches pédagogiques) mélange ces différents modes d’interaction. Les flipped classrooms ne sont pas présentées ici comme un mode unique de formation : tout au plus comme une alternative à d’autres méthodes, une configuration particulière.
– un moyen d’amplifier les interactions et les contacts personnalisés entre les élèves et l’enseignant. Un environnement dans lequel les étudiants prennent la responsabilité de leurs propres apprentissages sous la guidance du formateur ; – une classe dans laquelle l’enseignant n’est pas le maître sur l’estrade “ sage on the stage ”, mais l’accompagnateur attentif “ guide on the side ” en permettant ainsi différentes formes de différenciation ; – un mélange fertile de la transmission directe (j’enseigne) avec une approche constructiviste ou encore socioconstructiviste de l’apprentissage (c’est aux apprenants qu’il revient d’apprendre) ; – une classe dans laquelle les élèves qui sont absents pour cause de maladie ou activités extracurriculaires (pour des sportifs, sorties éducatives) ne sont pas laissés « en arrière » ; – une classe où les contenus travaillés (la « matière ») sont accessibles tout le temps pour les révisions, les examens, la remédiation ; – une classe où les étudiants sont davantage engagés dans leurs apprentissages ; – un lieu où les étudiants peuvent recevoir un accompagnement personnalisé.
Les « inventeurs » des flipped classrooms (Bergmann et Sams) expriment bien les transformations, les flips , induites par cette méthode :
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
La classe inversée n’est pas :
– un synonyme de vidéos en ligne. C’est ce que la plupart des gens imaginent. Pourtant, leurs caractéristiques essentielles résident surtout dans les interactions rendues possibles dans le cadre même de la classe et dans les activités d’apprentissage significatives (porteuses de sens) ; – un remplacement de l’enseignant par des vidéos ; – un cours en ligne voire à distance ; – des étudiants qui font tout et n’importe quoi de manière non structurée ; – des étudiants qui passent le temps de la classe devant un écran ; – des apprenants autistes travaillant tout seuls.11
Même si nous voyons dans cet arrangement spatiotemporel (ce qui se passe dans et hors la classe) une évolution certaine montrant, s’il le fallait, qu’un apprentissage, même informel, peut aussi se réaliser hors les murs des cathédrales des savoirs (le cours ex cathedra), il nous faut reconnaître que cet agencement continue à ressembler très fort au schème traditionnel : théories, concepts et modèles d’abord, exercices et applications ensuite ou encore apprendre, comprendre avant la classe pour recevoir des explications davantage personnalisées, pour appliquer, analyser une fois revenu en classe. Néanmoins, cette conception initiale des classes inversées permet à l’enseignant de pouvoir mieux accompagner les apprenants pendant les moments de présence en personnalisant ses interventions envers les apprenants en difficulté en particulier.
En outre, nul besoin de « flipper » tout son enseignement en une fois : il peut s’agir d’une activité parmi d’autres, quelques semaines sur le quadrimestre, de quoi expérimenter et évoluer en douceur. Malgré l’origine initiale de la méthode, une flipped classroom n’est pas juste une vidéo avant le cours et du débat pendant le cours, ce qui nous amène au « niveau 2 » des classes inversées. Voici quelques idées d’activités avant le cours (temps 1) et pendant le cours (temps 2) : – temps 1, à distance : recherche d’informations ; lecture d’un article, d’un chapitre, d’un blog ; visionnement d’une courte vidéo ; préparation par les apprenants d’une thématique à exposer ; interviews ou microtrottoirs, etc., à réaliser seul ou en groupe avant une séance en présentiel. Le résultat des investigations peut être déposé dans un dossier sur une plateforme. Aussi, des avis, des opinions, des commentaires ou des questions peuvent être déposés sur un forum ; la vidéo de l’interview réalisée par les élèves peut être déposée sur YouTube, etc. ; – temps 2, en présence : présentation de la thématique par les étudiants ; débat structuré sur des articles lus ; analyse argumentée du travail d’un autre groupe ; création d’une carte conceptuelle commune à partir des avis, opinions, commentaires récoltés ; mini-colloque dans lequel un groupe présente et un autre organise le débat, etc., pendant le moment (l’espace-temps) du présentiel. La figure ci-dessous illustre les deux niveaux des classes inversées. NIVEAU 2
NIVEAU 1
EN ROUTE VERS LE DEUXIÈME NIVEAU DES CLASSES INVERSÉES Les flipped classrooms évacuent, si l’on peut dire, la partie transmissive, voire l’appropriation, des savoirs cristallisés, hors de la classe pour redonner à cette dernière son potentiel d’apprentissage et de coapprentissage. Il en résulte aussi une révision des statuts des savoirs (en particulier ceux de nature informelle), des rôles assumés par les étudiants et les enseignants.
11 Adapté de “The Flipped Class: Myths versus Reality”, The Daily Riff , 9 juillet 2013. [En ligne] Disponible sur : http://www.thedailyriff.com/articles/the-flipped-classconversation-689.php
Motivation, ontexte Tâhe, problème...
Vidéo, texte...
Reherhedoumentaire... Travaux ur le terrain Préparation d’une acivité
Débat, Q/R...
Expoé, animation, débat Préene Acivité de modéliation
Disane
DE L’EXTERNALISATION DES RESSOURCES À LA PÉDAGOGIE CENTRÉE SUR L’APPRENTISSAGE.
QU’EST�CE QUE LES CLASSES INVERSÉES �
Les pratiques pédagogiques sous le mode des classes inversées se répandent étonnamment vite dans la formation (initiale et continue), comme dans l’enseignement de l’école primaire 12, du supérieur, en passant par le secondaire 13. Elles sont souvent considérées comme un mouvement complémentaire à l’externalisation numérique des ressources éducatives disponibles dorénavant sur Internet : la chaîne YouTube, la Khan Academy et aussi les MOOC ( Massive Open Online Courses14) qui proposent à tout un chacun des cours en ligne, gratuits et ouverts.
LES CLAS SES INVERSÉES, DES ÉLÉMENTS D’UN CYCLE � Un troisième niveau des classes inversées pourrait combiner les deux précédents en considérant les événements décrits précédemment sous la forme d’un cycle. Celui-ci dépasserait la linéarité déterministe du « avant la classe/pendant la classe » pour devenir une spirale faite de contextualisation (le sens des savoirs, les pratiques, les contextes), de décontextualisation (les invariants, les principes, les modèles, les théories) et de recontextualisation (les applications, les situations, le transfert) successives, en alternant activités en présence et à distance, ou encore travail individuel et en groupe. Ce qui donnerait : – temps 1 (niveau 2, distance) : hors la classe, chercher les informations ; instruire la thématique, ramener des éléments du contexte visité, les structurer ; préparer une petite présentation d’une manière originale (recherche d’informations, validation, analyse, synthèse, créativité…) ; – temps 2 (niveau 2, présence) : en classe, présenter les informations et ressources trouvées ; identifier les différences et repérer les similitudes ; vivre un « conflit » sociocognitif ; expliciter les préconceptions ; faire émerger les questions, les hypothèses
12 Annick Arsenault Carter propose sur sa chaîne YouTube toute une série de vidéos qu’elle utilise dans sa classe à Moncton (Canada). La vidéo « La classe inversée expliquée aux parents » présente sa façon d’inverser la classe aux parents… parfois sceptiques. [En ligne] Disponible sur : http://youtu.be/vmtDdxAeNaQ 13 Les pages de l’Éspé (École supérieure du professorat et de l’éducation) de Strasbourg sont intéressantes à cet égard. Elles décrivent les épisodes du cheminement d’enseignants du secondaire dans la mise en place de classes inversées. [En ligne] Disponible sur : http://
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(communication, analyse, réflexivité, modélisation...) ; – temps 3 (niveau 1, distance) : hors la classe, selon le schéma initial des classes inversées, prendre connaissance des théories ; relever les éléments pertinents pour la thématique investiguée ; préparer une synthèse ; exercer le fonctionnement du modèle (apprendre, faire des liens, mémoriser, se poser et préparer des questions, modéliser...) ; – temps 4 (niveau 1, présence) : en classe, consolider les acquis ; faire fonctionner le modèle ou la théorie en regard des thématiques investiguées ; préparer le transfert par l’approche d’autres situations (comprendre, appliquer, investiguer les limites, transférer à d’autres contextes...).
UN MODÈLE SYSTÉMIQUE DES CLASSES INVERSÉES À LA CONFLUENCE DES NIVEAUX � �EN BAS À GAUCHE� ET � �EN HAUT À DROITE�.
La figure ci-dessus montre nos quatre temps (nos quatre flips) et est complétée par les trois phases de l’enseignement stratégique 15 adaptées dans un processus de contextualisation/décontextualisation/ recontextualisation : – contextualiser : donner du sens aux connaissances qui seront apprises en convoquant les contextes d’émergence et d’utilisation (à quoi ça sert ? ) ; – décontextualiser : modéliser ces connaissances en les reliant au sein de modèles ou de « théories » en les abstrayant pour pouvoir les généraliser et les transférer (comment ça marche ? ) ; – recontextualiser : appliquer des savoirs à d’autres cas, dans d’autres exercices, d’autres applications (que peut-on encore en faire ? ).
espe-formation.unistra.fr/webdocs/ci/
14 Traduits en français par « cours en ligne offerts aux masses », « cours en ligne ouvert et massif » (CLOM), ou encore « formation en ligne ouverte à tous » (FLOT).
15 J. Tardif, Pour un enseignement stratégique : l’apport de la psychologie cognitive, Montréal, Éditions Logiques, 1992.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
Le cycle ainsi évoqué (appelé par ailleurs cycle de Kolb, nous y reviendrons) correspond aussi à différents styles d’apprentissage qu’il importe de considérer pour faire face aux différents profils des apprenants. Par exemple : faire l’expérience des savoirs d’abord, pour mieux les modéliser ensuite, ou encore comprendre la « théorie » d’abord, pour l’essayer ou l’expérimenter ensuite. Cette approche hybride des classes inversées (entre théorie et pratique, entre présence et distance, entre savoirs et compétences) paraît être un bon agencement de différentes techniques de formation, de différents courants pédagogiques (constructivisme, socioconstructivisme, etc.), sans compter le développement des compétences dont nous avons parlé, l’approche par situationsproblèmes, l’ouverture vers « un soutien pédagogique à valeur ajoutée » apporté par les outils numériques.
CLASSES INVERSÉES ET MOOC, DEUX FACETTES COMPLÉMENTAIRES Si un concours était mis en place internationalement pour identifier les slogans les plus couramment cités dans le monde de la pédagogie, ceux concernant les MOOC et les flipped classrooms arriveraient certainement dans le peloton de tête. Ces deux révolutions dans le monde de la pédagogie sont, dans un premier examen, jugées complémentaires. L’une (les MOOC) est portée par le mouvement d’externalisation des savoirs sur la Toile. L’autre (les classes inversées) tentent de redonner du sens à une école dans laquelle la mission de transmission des savoirs semble déjà largement accomplie sur le Web. Dans les deux cas, on remarquera une présence forte des TIC à la fois pour soutenir la transmission des savoirs à distance, pour favoriser les relations entre activités présentielles ou distancielles, ou encore pour structurer les interactivités en classe. Un peu comme les flipped classrooms apparues en 2008, tout a commencé pour les MOOC il y a cinq ou six ans avec des vidéos de cours magistraux postés par l’université de Californie à Berkeley sur YouTube ou par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) sur iTunes U16. Dès 2011, de prestigieuses universités s’associent en consortiums, tel edX ou Coursera, pour proposer des parcours pédagogiques en ligne
16 On se doit aussi de citer Wikipédia ou encore la Khan Academy dans le cadre de ces ressources « dites pour apprendre », largement distribuées.
alternant séquences vidéo, exercices et parfois activités collaboratives… Dans ce cadre, on peut également citer FUN (France Université Numérique), une plateforme pour accueillir les MOOC bâtie sous l’égide de l’Éducation nationale. Certaines de ces associations proposent même des certificats de participation et d’assiduité17. Les MOOC sont nés dans le courant connectiviste de George Siemens 18 privilégiant le caractère contextuellement, socialement et historiquement construit des savoirs. On y trouve des considérations liées aux savoirs informels, à l’apprentissage durant toute la vie ou encore au fait que les « machines » peuvent déjà nous remplacer dans de nombreuses activités « routinières ». En conséquence, on pourrait considérer que les MOOC sont nés dans le courant davantage constructiviste, socioconstructiviste et connectiviste de l’apprentissage et qu’ils prônent l’édification d’une intelligence collective (communauté d’apprentissage et de pratiques) soutenue à large échelle par le numérique. Mais l’appellation « MOOC » a été reprise (usurpée ?) un peu plus tard par des systèmes fortement automatisés appartenant à un courant davantage transmissif, voire béhavioriste (des cours filmés, des exercices en ligne, etc.). Même si des MOOC hybrides existent, les premiers, historiquement connectivistes, sont appelés cMOOC, les seconds, plutôt transmissifs, xMOOC. Ces derniers sont actuellement portés par des consortiums d’universités prestigieuses principalement nordaméricaines : edX, Coursera, Udacity. Outre l’expérience française que nous avons citée, en Europe, des universités s’affilient à ces consortiums. Par exemple, l’Université catholique de Louvain a rejoint edX sous l’appellation LouvainX 19. Leurs premiers xMOOC sont disponibles depuis janvier 2014. On
17 Est-il besoin de rappeler ce que sont aujourd’hui ces MOOC ? Vous avez suivi des cours en amphi ? Vous avez réalisé des exercices en salle de TP ? Vous avez échangé sur une thématique lors d’un séminaire ? Et bien voilà, ce cœur de métier des universités et hautes écoles est là, sur la Toile, accessible, gratuit, ouvert à des milliers d’étudiants de par le monde : accessible via Internet (évidemment, il faut être connecté), gratuit (on ne paie pas pour y entrer, mais la certification, c’est ou ce sera autre chose), ouvert (pas de prérequis, a priori). 18 G. Siemens, “Connectivisme: A Learning Theory for the gital Age”, 12 décembre 2004. [En ligne] Disponible sur : http://www.elearnspace.org/Articles/connectivism.htm, consulté le 15 septembre 2015. 19 Pour consulter ou pour s’y inscrire : www.edx.org/ school/louvainx
QU’EST�CE QUE LES CLASSES INVERSÉES �
y découvrira la science politique, les principes de la finance, les paradigmes de la programmation, etc. Les cMOOC, par contre, relèvent davantage de l’informel et sont généralement le fait d’individus ou d’équipes soucieux de créer des espaces pour apprendre, pour interapprendre. Former, ce n’est pas seulement transmettre des savoirs, c’est surtout construire des espaces où les apprenants pourront apprendre. À titre d’exemple, on mentionnera le MOOC ITyPA (dont le premier slogan était : « Internet, tout y est pour apprendre ») ou encore eLearn2 (« Se former en ligne pour former en ligne »), tout un programme.
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Par contre, les cMOOC, par leur nature moins figée, pourraient se combiner avec des approches pédagogiques de classes inversées comme celles décrites au deuxième niveau. Portés par une plateforme (comme Claroline Connect20 que nous développons), ils permettraient d’étendre le dispositif pédagogique hors les murs de l’école 21.
Comme déjà évoqué, les stratégies pédagogiques sous le mode des classes inversées se répandent également dans l’enseignement supérieur où elles sont parfois considérées comme complémentaires aux MOOC et comme une perspective d’évolution des campus (redonner du sens à la présence). Il est vrai que les xMOOC (ceux de nature plutôt transmissive) s’accorderaient assez bien conceptuellement avec les classes inversées (niveau 1), mais : – les MOOC constituent d’abord un cours complet, structuré, assez monolithique (le C des MOOC) et il est souvent difficile pour un enseignant (surtout s’il n’a pas conçu le MOOC) d’y adjoindre ou mieux d’y intégrer un dispositif permettant une bonne exploitation en classe ; – les enseignants sont parfois encore réticents à utiliser des ressources externes aussi complètes au sein de la stratégie pédagogique qu’ils souhaitent développer. Le MOOC est déjà à la fois une ressource et un dispositif pour apprendre proche de l’enseignement à distance (mais sans son caractère formel) ; – les enseignants se sentent désinvestis du contenu (les ressources) et du dispositif et ont bien du mal à les faire coïncider avec leurs propres approches pédagogiques.
20 Pour plus d’informations, voir www.claroline.net. On trouvera aussi une présentation des lignes directrices de cette nouvelle plateforme sur http://lebrunremy.be/ WordPress/?p=624
21 Ces quelques lignes sur les aspects complémentaires des MOOC et des classes inversées ainsi que sur les conditions de cette complémentarité sont développées dans un billet de notre blog : http://lebrunremy.be/ WordPress/?p=651
LESCLASSESINVERSÉES, UNEINNOVATION?
UNE DÉFINITION PLURIELLE DE L’INNOVATION Dans Les Confessions, Saint-Augustin s’interroge sur la définition du temps : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas. » Il en est de même de la définition de l’innovation, difficile à trouver chez les auteurs qui préfèrent bien souvent la définir à partir de ses attributs constitutifs. Ainsi, plusieurs définitions ont été esquissées : – « une innovation se distingue d’une invention ou d’une découverte dans la mesure où elle s’inscrit dans une perspective applicative 22 » ; – « l’innovation serait à distinguer de la novation (invention, découverte…) et de la réforme caractérisée davantage par une approche émanant d’autorités23 » ; – « on peut distinguer l’innovation de produit (mise au point de produit plus performant), l’innovation de procédé (application de nouvelles méthodes de production ou de distribution), l’innovation organisationnelle24… » ; – « l’innovation comme projet ou comme ingénierie : on ne peut conduire d’innovation féconde sans un dispositif de description tout d’abord, puis d’observation, de contrôle et d’évaluation 25 » ; – mais aussi : « irréductible à un produit, à une bonne idée, nouvelle ou moins nouvelle, ou encore à un projet, l’innovation, c’est d’abord une dynamique,
22 OCDE/Eurostat, Manuel d’Oslo : principes directeurs pour le recueil et l’interprétation des données sur l’innovation, Paris, 2005. 23 D. Bédard, J.-P. Béchard (dir.), Innover dans l’enseignement supérieur, Paris, PUF, 2009. 24 J. A. Schumpeter, Essays on Entrepreneurs, Innovations, Business Cycles, and the Evolution of Capitalism [1951], edited by Richard V. Clemence, nouvelle édition avec une introduction de Richard Swedberg, New Brunswick, Transaction publishers, 1989. 25 A. Prost, Éloge des pédagogues, Paris, Éditions du Seuil, 1985.
un processus durable, enrôlante et parfois désordonnée dans un contexte donné26 ». L’innovation peut être incidente, voulue ou imposée, répondre à de nouveaux besoins ou à de nouvelles aspirations, provoquer des résistances aussi. L’approche étymologique nous pousse à scinder le mot innovation en deux (in-novation), signifiant par là l’introduction de quelque chose de nouveau dans un contexte donné. Nous pourrions aller plus loin encore : l’innovation ne serait pas seulement quelque chose de nouveau qui se propose ou s’impose à un contexte donné, mais qui peut être suscité par ce contexte pour résoudre un problème, améliorer son fonctionnement ou encore lui apporter des valeurs ajoutées. Si nous devions résumer, nous proposerions la définition suivante : l’innovation est un processus, temporellement inscrit, de modification ou de changement portant sur des produits, des procédés, des façons de faire, des habitudes, des croyances, etc., finalisé à l’adaptation ou à l’amélioration de ces derniers dans des contextes donnés, et suscité, initié, porté ou encore soutenu par un individu, un groupe ou une entité27. Qu’en est-il de l’innovation pédagogique ? Les changements concernent non seulement la formation au sens large mais aussi les modes d’apprentissage qui en découlent, ou qui devraient en découler. Ils portent sur des représentations quant aux savoirs (nous y reviendrons), à leur transmission ou à leur utilisation, sur des façons de faire (enseigner et apprendre), sur les rôles des acteurs, sur des outils (ressources
26 Académie de Paris, « Autour de la définition de l’innovation en éducation et en formation », 16 décembre 2008. [En ligne] Disponible sur : www.ac-paris. fr/portail/jcms/piapp1_70427/autour-de-la-definition-de-linnovation-en-education-et-en-formation?hlText=innovation,
consulté le 25 septembre 2015. 27 M. Lebrun, Innovation en pédagogie universitaire : le rôle de l’accompagnement pédagogique des enseignants, inédit, Institut de pédagogie universitaire et des multimédias, UCL, 2011.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
et instruments). Les contextes peuvent, par exemple, être relatifs : – à l’externalisation des savoirs désormais disponibles partout ou à la mondialisation de l’enseignement ; – au besoin d’adapter l’école à la société complexe ou de pouvoir comparer les qualifications en normalisant les cursus ; – aux transparences souhaitées entre l’école et la société à laquelle elle prépare ou encore aux mobilités et flexibilités requises ; – aux comportements progressivement acquis dans d’autres contextes (loisirs, vie sociale, vie professionnelle) ; – aux finalités de l’éducation, etc. En outre, ces innovations peuvent se développer dans des enclaves (un groupe isolé dans une institution, par exemple), des têtes de pont (une initiative qui se propage dans l’institution) qui peuvent conduire à de nouvelles pratiques ancrées, généralisées et adoptées au sens large28. Les changements peuvent être radicaux ou consister en une hybridation des outils, des usages et des façons de faire. Ils peuvent être soutenus par l’apparition de nouveaux services qui prendront en charge les fonctionnements nécessaires ou reposer sur une transformation progressive des modes de fonctionnement des différents acteurs. Ils portent le risque du changement de surface, de l’essoufflement et de la fossilisation des pratiques.
LES CLAS SES INVERSÉES, UNE INNOVATION PÉ DAGOGIQUE � Dans la mouvance des classes inversées, il ne s’agit donc pas de remplacer l’enseignant par une vidéo, encore moins de négliger les savoirs patiemment construits par l’humanité, mais d’utiliser des ressources de l’ère numérique pour permettre à ce dernier de faire encore mieux son métier d’accompagnateur d’apprentissages. À chaque fois qu’une nouvelle technologie, une nouvelle méthode, un nouveau produit est lancé,
28 J. Bonamy, B. Charlier, M. Saunders, « Apprivoiser l’innovation », dans B. Charlier, D. Peraya (éds.), Technologie et innovation en pédagogie : dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2002, p. 43-64.
on assiste (et c’est d’autant plus vrai à notre époque numérique) à la prolifération de discours lénifiants des évangélistes, de propos « chèvrechoutistes » des sceptiques et de vitupérations des grognons. Comme toute création humaine, les technologies ou les innovations sont ambiguës, elles constituent à la fois un « bien » et un « mal », un remède et un poison (le pharmakon de Socrate), cette « option » dépendant des usages que nous ferons des artefacts que nous avons nous-mêmes créés. La chose n’est pas nouvelle : déjà Socrate, à propos de l’écriture, une fameuse invention technologique, racontait la fable, rapportée par Platon dans Phèdre, que nous résumons ici : le dieu Thot, inventeur de l’écriture, vint à amener ce merveilleux présent à Pharaon ; avec elle, lui dit-il, jamais plus les Hommes ne perdront la mémoire et leur sagesse deviendra grande. Que me racontes-tu là, lui dit Pharaon. Si tout est écrit, les hommes ne feront plus l’effort de se souvenir et leur mémoire se desséchera. Quant à la sagesse, crois-tu qu’il suffise de se fier aux expériences des autres pour l’acquérir ? La sagesse d’un Homme n’est-elle pas celle qu’il s’est lui-même construite d’expériences en expériences personnelles ? Que l’on comprenne bien : il ne s’agit pas de remplacer les propos polarisés entre le « bien » et le « mal » par une position médiane, instable, vide de sens, mais plutôt d’ouvrir la perspective, le continuum, les espaces de liberté entre ces propositions. Mais avant d’aller plus loin, dans les usages justement, revenons un instant sur cette idée d’innovation. Les classes inversées en sont-elles une ? À celles et ceux qui disent régulièrement : « Mais, les classes inversées, ça existe depuis longtemps… », notre réponse est : « Oui, sans aucun doute. » Preuve en est : dès 1972, lors de notre première année à l’université, un enseignant nous faisait lire un chapitre de son livre (une autre invention technologique) avant le cours pour disposer de ce précieux temps de présence pour répondre à des questions, donner des exemples, proposer des applications, etc. Bref, nous avons tous eu affaire à des enseignants qui nous demandaient de lire un texte, un chapitre, ou actuellement de regarder une vidéo, avant le cours. Est-ce bien cela une innovation ? Tout d’abord, pour qu’une telle initiative somme toute pionnière soit qualifiée d’innovation, il faut encore qu’elle percole dans l’ensemble du système, qu’elle entre dans les habitudes, qu’elle dépasse le stade d’une « enclave » pour devenir une
QU’EST�CE QUE LES CLASSES INVERSÉES �
« tête de pont », voire une pratique ancrée 29 ou encore banalisée. Vu ainsi, nous pouvons dès lors dire que les classes inversées constituent vraiment une innovation pédagogique tant les expériences qui fleurissent à l’école primaire, dans le secondaire ou le supérieur 30 deviennent nombreuses, intenses, partagées entre les acteurs, évaluées au regard des pairs. Mais attention, une innovation n’est pas en soi une révolution transformant un ancien système (le système traditionnel dans le cas de l’école) en un champ de ruines. L’innovation s’insinue progressivement dans le système en le transformant par hybridations successives : le cinéma n’a pas remplacé le théâtre, pas plus que l’écriture n’a figé une fois pour toutes la discussion. Ainsi, nous voyons la classe inversée davantage comme une stratégie pédagogique parmi d’autres que comme une méthode, voire une recette, à appliquer à la lettre. Nous verrons plus loin que les classes inversées proposent un continuum de dispositifs fournissant à l’apprenant des occasions d’apprendre. N’est-ce pas cela, enseigner ?
29 B. Charlier, N. Deschryver, D. Peraya, « Apprendre en présence et à distance : une définition des dispositifs hybrides », Distances et Savoirs, n° 4, 2006, p. 469-496. 30 Voir par exemple, pour le primaire, les travaux d’Annick Arsenault Carter : https://annickcarter1. wordpress.com ; pour le secondaire, les travaux de l’Éspé de Strasbourg : http://espe-formation.unistra.fr/webdocs/ ci/#ensavoirplus et, pour le supérieur, les documents relatifs aux classes inversées sur notre blog, le Blog de Marcel : http://lebrunremy.be/WordPress/
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DESSAVOIRSEX CATHEDRAAUXSAVOIRS DISTRIBUÉS
Les TIC nous affranchissent des contraintes de l’espace et du temps et conduisent à une externalisation inexorable des savoirs. Élargissant le concept de classe et d’amphithéâtre, elles nous donnent (potentiellement au moins) accès à des savoirs largement distribués et à un accompagnement pédagogique potentiellement assuré par la communauté planétaire. Encore une fois, il ne s’agit pas de transformer « l’école » en un vestige historique de l’enseignement et de la formation, mais de rechercher des perspectives pour une éducation plus conforme aux évolutions de la société. Car c’est bien d’éducation (conduire en dehors, é-duquer), d’évolution, d’hybridation qu’il s’agit. Les savoirs et leurs supports (l’écriture, le livre, le multimédia, les MOOC) ont de tout temps modifié profondément nos façons de vivre, de travailler, d’apprendre. Potentiellement émancipateurs, ils ont à chaque fois secoué les structures, les organisations sociales, économiques, politiques. Tentant d’entrevoir les perspectives pour l’école de demain au départ du phénomène précurseur des classes inversées (savoirs à transmettre externalisés, nouveaux rôles des enseignants et des apprenants), nous constatons une tension tangible entre un système top-down conservatif, fortement structuré, normalisé (on peut penser aux cours ex cathedra en représentation au lieu dit et à l’heure dite, ou encore à l’évaluation dans le cadre de référentiels de compétences) et un autre en émergence davantage centré sur les utilisateurs, les apprenants, un système plus horizontal (pensons ici aux réseaux sociaux et à l’évaluation par les pairs). Ces tensions sont caractéristiques des moments de « renaissance » des systèmes (politiques, éducatifs, économiques, sociaux) et ont été le plus souvent initiées et accompagnées par diverses innovations technologiques (comme l’ont été l’écriture, l’imprimerie, la télévision, et plus récemment Internet et le numérique 31). En particulier, au niveau des savoirs considérés ici comme
31 P. Giorgini, La Transition fulgurante : vers un bouleversement systémique du monde ? Paris, Bayard, 2014.
un patrimoine d’une communauté, d’une société, d’une culture, on y trouve – ou plutôt on y retrouve – ce tiraillement entre les savoirs découverts, déjà là, historiquement façonnés dans le monde des idées (à transmettre ou à découvrir au travers de symboles) et les savoirs socialement construits, témoins ou, mieux, fruits d’une époque (à découvrir dans leurs contextes et à s’approprier). Nous pensons que cette catégorisation est une réduction (la théorie comme sublimation de l’expérience ou de la pratique, ou alors l’expérience et la pratique comme creusets de la théorie) qu’il importe de rendre systémique dans un aller-retour permanent et constructif entre ces extrêmes 32. Tout au long de cette quête des savoirs, les humains se sont dotés d’instruments amplificateurs de leurs sens et de leur intelligence, ainsi que d’outils démultiplicateurs de leurs actions sur l’environnement (une façon d’intégrer la genèse instrumentale de Pierre Rabardel33 à notre propos). En même temps, le cycle de Kolb (de l’expérience quotidienne à l’expérimentation méthodique) offre une grille de lecture de ces cycles permanents entre, d’une part, les modèles explicatifs et contextuels et, d’autre part, les théories universelles et prédictives. Ces regards épistémologiques et historiques devraient, comme nous le verrons, nous éclairer sur l’enseignement, et en particulier sur la place de ces techniques et technologies dans l’éducation. Ainsi, nous tenterons d’appronfondir quelque peu les questions suivantes :
32 Pour de plus amples développements, voir : M. Lebrun, « Autant savoir… une épistémologie toute personnelle des savoirs pour comprendre “l’enseigner” et “l’apprendre” à l’ère numérique », 2014. [En ligne] Disponible sur : http://lebrunremy.be/WordPress/?p=673, consulté le 15 septembre 2015. 33 Très brièvement, Rabardel distingue les outils qui nous permettent d’augmenter la puissance de notre action sur l’environnement (en le modifiant, en le complétant, en le rendant potentiellement plus accessible) et les instruments qui nous permettent de nous approprier cet environnement, de l’amener à notre connaissance par une sorte d’amplification de nos sens : P. Rabardel, Les Hommes et les Technologies : approche cognitive des instruments contemporains, Paris, Armand Colin, 1995.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
– les savoirs sont ainsi à la fois des éléments cachés à découvrir (Kepler découvre les lois qui portent son nom) et des constructions historiquement et socialement ancrées (Kepler était un homme de la Renaissance). Cette posture par rapport au savoir , bien souvent tiraillée entre les extrêmes énoncés ci-dessus, détermine-t-elle une certaine façon de considérer l’enseignement, d’utiliser et de promouvoir ou non des méthodes dites actives (socioconstructivistes), d’intégrer les technologies comme un outil d’accès aux savoirs (comme les fameux MOOC, par exemple) ou un instrument polyfonctionnel d’appropriation des savoirs (comme les environnements d’apprentissage personnels, les EAP, par exemple) ? – quelque part, il y a quelques siècles, les savoirs ont remplacé les dieux de l’Olympe qui déterminaient les saisons, les actions humaines et regardaient d’un mauvais œil les Prométhée de l’innovation . Peut-on ainsi mieux comprendre les résistances de l’enseignement « traditionnel », de la tradition orale où seul le professeur peut officier à la transmission des savoirs « révélés » ? – le savoir étant un outil de pouvoir agir, de pouvoir influencer, peut-on comprendre certaines résistances face à l’externalisation des savoirs (commencée il y a longtemps avec le livre) et devant l’horizontalisation des modalités de formation (l’enseignement mutuel, les communautés d’apprentissage et le compagnonnage ne sont pourtant pas une invention récente) ? – la science progresse par décontextualisation à la recherche d’invariants, de lois, de principes, de théories, etc. Anecdotes et cas particuliers constituent un brouillard qui peut empêcher de distinguer la théorie sous-jacente. Celle-ci dégagée, il est tentant d’enseigner la théorie en la privant ainsi du contexte qui l’a fait naître. Est-ce vraiment ainsi que l’apprenant construira des connaissances irréductiblement personnelles ? – les médias ont un potentiel émancipateur. La bible imprimée des premiers temps de l’imprimerie devait « permettre à chacun » d’accéder directement aux Saintes Écritures sans passer par la lecture et l’interprétation d’un clerc dûment adoubé. Les réseaux sociaux participent dorénavant, et tout aussi bien, aux insurrections pour la démocratie et à la propagande démagogique. Peut-on ainsi comprendre que nombre d’innovations technopédagogiques orientées pourtant vers la participation active, le développement de l’esprit critique et de la créativité, conduisent bien souvent à une certaine fossilisation des pratiques (le fameux TBI
étant principalement utilisé comme tableau noir électrique) ? – les chemins de l’innovation sont scandés d’oscillations successives amorcées par des élans portés par de nouveaux outils, de nouvelles technologies habilement détournés par des pionniers (les réseaux dits sociaux sont transformés en Tweet class à des fins éducatives), mais les forces de rappel (à l’ordre) des systèmes sont fortes. Peut-on ainsi comprendre pourquoi les soutiens à ces innovations sont le plus souvent concentrés sur l’infrastructure, le matériel, les ressources, mettant de côté les éléments humains ? Peut-on ainsi comprendre pourquoi bien souvent les systèmes n’encouragent que l’innovation de maintien par laquelle ils assurent leur continuité conduisant à ce que nous appelerons la fossilisation des pratiques ? Plus qu’un lieu de découverte des savoirs construits par l’humanité pour étancher sa curiosité, pour comprendre son environnement, pour prédire son évolution, plus qu’un espace de représentation (au sens théâtral du mot) du jeu entre les concepts, les principes et les théories, la classe inversée, sans négliger ces derniers, se propose de donner un sens nouveau à la présence, à la rencontre des maîtres et de leurs apprentis. Il s’agit de remettre l’humain au centre, de favoriser la relation entre ces humains et leurs savoirs, tous à déconstruire pour mieux les reconstruire. Même si l’innovation est au cœur du débat, la vigilance est de mise : les forces de rappel des systèmes établis sont grandes et les ornières de l’innovation sont profondes.
DESCLASSESINVERSÉES ENUNEXEMPLE
Le « cours » présenté ici porte sur les TIC (technologies de l’information et de la communication) dans l’enseignement, et l’apprentissage et la recherche des valeurs ajoutées de ces technologies. Il relève, en large partie, de la construction de dispositifs de formation, qui nous permettent de mettre en pratique le principe d’isomorphie : agir avec nos étudiants et leur proposer des activités conformes à ce que nous préconisons dans notre enseignement. À côté d’autres principes pédagogiques (comme celui de la contextualisation, du « juste assez/juste à temps » et de la variété des méthodes à mettre en place 34), il s’agit d’un axe important dans une formation qui vise à former de futurs accompagnateurs ou formateurs. C’est un cours destiné à des étudiants de BAC2 (deuxième année d’étude universitaire en Belgique, équivalent de la deuxième année de licence en France) de la faculté PSP de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université catholique de Louvain. Les objectifs de cet enseignement sont ainsi présentés : « Au terme de cet enseignement, les étudiants seront davantage capables de : – comprendre les différents termes et concepts utilisés dans les technologies de l’information et de la communication ; – catégoriser les différents outils et les différents usages des technologies dans la formation ; – comprendre les modes de dissémination des innovations pédagogiques dans les institutions ; – se référer à des modèles de référence afin d’analyser des développements et des applications pédagogiques des technologies dans la formation ; – discerner et analyser les composantes en relation avec les aspects cognitifs et ergonomiques ; – comprendre les différents nouveaux rôles impliqués dans les développements et les usages des technologies dans la formation ;
34 A. Laloux, J. Draime, P. Wouters, M. Lebrun, P. Parmentier, « Repenser la formation pédagogique des nouveaux enseignants universitaires », colloque de l’AIPU « Apprendre et enseigner dans l’enseignement supérieur », université Paris-Nanterre, 10-13 avril 2000.
– relater et analyser leur vécu dans des situations d’apprentissage fondées sur l’e-learning ; – évaluer l’efficacité de ces technologies dans la formation. » Outre ces objectifs généraux, le cours LPSY1408 35 vise à contribuer au développement de compétences transversales telles que se former à distance, rechercher des informations pertinentes et valides, travailler en équipe en ligne, exercer son esprit critique argumenté, rédiger une synthèse, communiquer scientifiquement, etc. Pour atteindre ces objectifs à la fois disciplinaires et transversaux, nous avons mis en place le dispositif présenté dans la figure ci-dessous. Groupe onsitué (3/10)
Inription au our ur iCampu Consitution libre de groupe
20/9
Dépôt du thème choisi dans le forum ad hoc (11/10)
e l i a x m v i a o è r h h t t C u u d d
Travaux de groupe 4-6 étudiant(e)
Flipped 4/10 Go-Learning 18/10 25/10 Group Claroom
Vidéo Commentaires en ligne sur forum (2/10)
Dépôt d’un édito ritique ou de oneil dan le forum ad ho Dépôt du travail (6/12) Dépôt du travail provioire (8p) dénitif (8p + 2p) dan «Travaux-1» dan «Travaux-2» (18/11) (16/12)
Mini Colloque
15/11 22/11 29/11
Travail ritique de groupe du travail d’un autre groupe (2 page)
k c a b d e e F
e c n a s i D
Cour en préentiel
Mini Colloque
SCÉNARIO GRAPHIQUE DU COURS � TECHNOLOGIES POUR ENSEIGNER ET APPRENDRE � �UNE ILLUSTRATION DU PRINCIPE DE VARIÉTÉ DES CLASSES INVERSÉES�.
Le registre inférieur (cours en présentiel) présente les activités effectuées en classe, mais le plus souvent préparées à distance par les étudiants (regarder une vidéo, préparer une présentation thématique, etc.). On remarque que certains cours en présence ne sont pas « donnés ». Il importe d’accorder aux étudiants le temps nécessaire pour accomplir les diverses activités proposées à distance. Le tout premier cours (le 20 septembre) est consacré essentiellement à la présentation du dispositif global. Le bon fonctionnement des
35 Le cours LPSY1408 est un cours de licence en psychologie.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
cours suivants dépend de cette phase d’explicitation et de contrat – même tacite – entre les étudiants et l’enseignant. Le registre supérieur montre l’organisation des activités à distance supportées par la plateforme LMS ( Learning Management System) de l’institution (Claroline). Il s’agit de la construction accompagnée d’un projet mené par des étudiants en groupe : un rapport scientifique sur une technologie choisie par les étudiants et présenté, à titre formatif, lors d’un mini-colloque en présentiel. Ce travail provisoire fait aussi l’objet d’une analyse et d’une évaluation critique ( peer-review, coévaluation par les pairs). Le travail définitif est l’objet sur lequel repose l’évaluation certificative des étudiants. On remarque que nous avons voulu donner aux étudiants « des occasions dans lesquelles ils pourront apprendre 36 » et développer les compétences transversales présentées plus haut. De manière plus précise, voici trois activités présentielles analysées. – Classes inversées : 4 octobre 2012 Il s’agit de proposer à distance la partie transmissive (la « matière ») du cours (via des documents à lire, des podcasts) et d’utiliser le temps en présentiel (en amphithéâtre ici) pour des activités ou des interactivités. Pour la bonne organisation du cours du 4 octobre, les étudiants sont invités à déposer leurs avis, commentaires, opinions et questions sur le forum créé à cet effet. Ces productions sont utilisées par l’enseignant pour « mener le débat ». On le remarque, il ne s’agit pas seulement de « regarder une vidéo avant le cours », mais surtout de produire un « message » à l’issue de cette activité. Cette tâche est considérée comme déterminante pour « assurer » l’engagement effectif des étudiants dans l’activité préalable à distance.
– Groupes de coapprentissage : 18 et 25 octobre 2012 Des thématiques sont attribuées à des groupes aléatoires et les étudiants sont invités à présenter une synthèse (10 minutes selon le schéma des TED conferences) des ressources proposées au groupe (deux ou trois documents : article scientifique, billet de blog, vidéo, etc.). En outre, un autre groupe se voit attribuer les mêmes documents, mais, cette fois, pour conduire un débat (10 minutes) après la présentation du groupe en charge de la synthèse. Les présentations
36 G. Brown, M. Atkins, Effective Teaching in Higher Education, Londres, Routledge, 1988.
sont déposées dans une session de l’outil de dépôt de la plateforme afin de mutualiser les ressources ainsi créées. Ces activités portent sur deux cours de 2 heures qui permettent à huit groupes de cinq ou six étudiants de présenter leurs travaux et aux mêmes groupes d’évaluer ces présentations. – Mini-colloque : 22 et 29 novembre 2012 Chaque groupe présente son travail (projet du quadrimestre) et un autre groupe a la charge d’en rédiger un « édito critique ». Ce groupe « évaluateur critique » est chargé de l’amélioration du travail provisoire présenté. Des conseils et suggestions d’amélioration sont déposés sur le forum ad hoc (le plus rapidement possible après le mini-colloque) afin que le groupe évalué s’en serve dans la rédaction du travail définitif. Ce dispositif permet de mettre en activité une cinquantaine d’étudiants (ou moins), huit groupes de cinq ou six étudiants jouant à tour de rôle les présentateurs des documents reçus, les discutants des présentations effectuées. On peut travailler avec des groupes plus importants en attribuant des responsabilités différentes à des groupes différents : – les groupes 1 à 8 présentent les documents (textes ou vidéos) reçus (on peut même imaginer que les présentations sont faites « hors classe » au moyen de vidéos ou de présentations commentées) ; – les groupes 9 à 16 discutent en présence les présentations faites au moyen de documents alternatifs ; – les groupes 17 à 24 réalisent une synthèse des échanges effectués en classe : PRÉSENTENT
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Les variations sont infinies en fonction de la scénarisation et du découpage des tâches proposés par l’enseignant. En ce qui concerne les compétences transversales visées, des documents synthétiques (« Comment rechercher et valider l’information sur le Web ? », « Comment réaliser une “bonne” présentation ? », « Comment réaliser un “bon” rapport scientifique ? », « Les pièges à éviter dans une présentation orale », « Comment évaluer un document scientifique ? », « Comment travailler efficacement dans un groupe ? ») sont mis à la disposition des étudiants. Une recherche publiée a montré que leur perception quant aux compétences à exercer dépendait largement des
QU’EST�CE QUE LES CLASSES INVERSÉES �
informations explicites (des savoirs) données par l’enseignant au sujet de ces compétences.
Cette première partie a permis d’aborder l’historique du concept initial des classes inversées (les leçons à la maison avant les devoirs à l’école) qui a progressivement évolué vers les formes plus proches des apprentissages que nous souhaitons de la part des étudiants. Si le premier niveau permet de franchir le cap de la transmission médiatisée (le numérique libérant en quelque sorte l’enseignant de cette mission répétitive) et celui de l’accompagnement des élèves ou des étudiants en présence, le deuxième niveau progresse encore en rendant l’élève davantage acteur de sa propre construction des savoirs (il prend une part dans la transmission de certains savoirs et dans la tâche d’accompagnement dans un espace ouvert balisé par l’enseignant). Un troisième niveau combine alors les deux précédents, ouvrant davantage la variété des dispositifs construits sur des rapports étudiés entre présence et distance.
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ÀLACONFLUENCE DECOURANTS PÉDAGOGIQUES
Par leur variété, les classes inversées se trouvent à la croisée de différents courants pédagogiques qui correspondent à différentes postures par rapport à l’apprentissage des différents savoirs, à ce que signifient apprendre et enseigner. Nous avons par ailleurs montré combien ces courants pédagogiques sont eux-mêmes les héritiers de courants philosophiques (comme l’empirisme, le positivisme, le rationalisme, l’idéalisme, le structuralisme…). Primauté de l’expérience concrète et dépendance forte de toute connaissance à cette dernière, méfiance par rapport à la subjectivité humaine, souveraineté de la raison humaine et existence propre des savoirs en dehors du monde, voire négation du monde sans un sujet pour le penser, modélisation des comportements de l’homme considéré comme un des éléments du monde dans lequel il est inclus. Entre ces différentes « écoles de pensée », il est difficile d’appliquer nos routines de cloisonnement, notre logique du tiers exclu.
EMPIRISME, BÉH AVIORISME ET APPRENTISSAGE SOCIAL Les perceptions du contexte déterminent, en partie du moins, les comportements de l’individu. Former, enseigner, c’est donner à l’apprenant des occasions d’apprendre. Dans les théories évoquées ici 38, l’importance de l’environnement dans lequel est plongé l’étudiant et du contexte évoqué par la situation qui lui est proposée est évidente. Des ressources sont mises à sa disposition et l’on veille à maintenir la motivation (externe) de l’apprenant en le renforçant positivement et en lui donnant un espace dans lequel il puisse apprendre à son propre rythme. L’environnement est rassurant, explicite. S’il s’agit d’un espace de liberté, celui-ci est balisé par un échéancier, jalonné d’activités explicites et les critères de réalisation sont présentés.
Examinons à présent quelques courants pédagogiques et leurs apports (les fondements qu’ils proposent) aux classes inversées37.
Nous insistons sur l’importance, mise en évidence dans ce courant, du caractère personnel de l’apprentissage (enseignement individualisé), de l’expérience concrète. On peut également mentionner l’importance du feed-back (immédiat) vers l’étudiant, de sa qualité et de sa proximité par rapport à la réponse qu’il a donnée, à l’activité qu’il a accomplie ou à la production qu’il a réalisée individuellement ou en groupe (non pas un feed-back général ou standardisé, mais un feed-back circonstancié à la réponse et à son contexte). Dans la création de supports pédagogiques, la granulométrie des contenus (la taille des différents modules ou l’ampleur des vidéos proposées) doit aussi être parfaitement étudiée. L’apprentissage vicariant (dont Albert Bandura né en 1925 est un des représentants) est aussi à l’honneur : on apprend des autres en observant les autres. En entendant les commentaires de l’enseignant et des
37 De nombreux extraits sont issus de notre livre : M. Lebrun, Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : quelle place pour les TIC dans l’éducation ? Bruxelles, De Boeck, (2002) 2007.
38 Nous expliquerons ces différentes théories en référence aux auteurs qui les ont énoncées. Nous avons choisi de ne pas citer leurs ouvrages et publications. Le lecteur intéressé est invité à rechercher les éléments qui l’intéressent sur la Toile au départ du nom de ces auteurs et des concepts qu’ils ont développés. C’est notre manière d’inverser ce livre.
Et si ces points de vue étaient tous à leur manière une vision de nous-mêmes, de nos rapports aux autres, du monde, des idées que nous en construisons ? Encore une fois, les technologies dont nous disposons sont le reflet des autres et de leurs contextes, et nous permettent de nous y définir. Les technologies constituent une sorte de pont entre nous, les autres, le réel et les représentations du réel. Les classes inversées et leurs supports technologiques peuvent contribuer au décloisonnement et à certaines formes de systémique entre le « hors la classe » (la société au sens large) et le « dans la classe » en redonnant à cette dernière son potentiel d’activité et d’interactivité.
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autres apprenants, l’élève ou l’étudiant comprend mieux les attentes (l’ expectancy) et la valeur associée à la tâche, à l’activité, au processus et au produit (la value). Il est clair cependant qu’il est nécessaire que l’enseignant passe du temps à expliquer son dispositif, ses attentes, les tâches à effectuer, les consignes, les échéances, etc. L’apprentissage se fait dans un espace ouvert mais balisé. La classe inversée, c’est donc plus qu’un « avant le cours/ pendant le cours ». C’est un véritable dispositif pédagogique offrant des espaces pour apprendre, des espaces balisés par des objectifs et des critères d’atteinte précis, par des consignes précises et articulées, un espace-temps aussi articulé sur un scénario temporel dont les différentes séquences sont construites de manière à agir « du dehors » sur l’apprentissage de l’apprenant. L’évaluation formatrice révèle toute son importance dans le guidage de l’individu en apprentissage. Voilà pour l’environnement. Mais où est le « sujet pensant » ?
RATIONALISME, COGNITIVISME ET CONSTRUCTIVISME Fondée sur des travaux relatifs à la perception humaine et contribuant à une meilleure compréhension de cette dernière, la thèse centrale du cognitivisme est que, contrairement à ce qu’affirme le béhaviorisme classique, le sujet confronté à un stimulus exerce bien une activité mentale sur celuici. La réponse n’est pas automatiquement fonction du stimulus lui-même, mais de « l’interprétation » que le sujet en a faite. Deux sujets peuvent donc réagir de manière très différente en fonction de leur histoire, des contextes, etc. Ces différences d’interprétation sont liées aux structures cognitives que les sujets ont utilisées pour opérer cette interprétation. Contrairement à la plupart des thèses empiristes, le rôle central de l’activité du sujet dans son interaction avec l’environnement est mis en évidence : il mobilise des structures cognitives existantes pour traiter l’information à laquelle il est confronté en vue de construire une interprétation de la situation. C’est à la fois dans un prolongement et dans un développement de cette thèse que nous conduit le constructivisme et son représentant principal Jean Piaget (1896-1980). Deux éléments sont les pierres angulaires de la théorie : l’organisation et l’adaptation. La composante organisationnelle s’explique par la tendance qu’ont les êtres vivants à intégrer leurs
expériences et leurs activités dans des systèmes ou des structures. Il s’agit d’une tendance à catégoriser les événements par des relations de ressemblance, de proximité, d’identité de fonctions. L’adaptation est l’aptitude de ces structures à évoluer, à se transformer (si nécessaire) en fonction des expériences vécues. Piaget dégage plusieurs principes pour le développement des structures cognitives et leur fonctionnement. Durant tous les stades dont nous avons parlé, l’apprenant, élève ou étudiant, réutilise les structures qu’il a construites antérieurement. Si une expérience qu’il vit correspond à une autre déjà rencontrée, elle retrouve une place qui lui a déjà été assignée dans la structure cognitive. L’équilibre est maintenu, c’est le processus d’ assimilation. L’étudiant comprend ce qui se passe, ce qu’on lui dit, ce qu’on lui explique. Si l’expérience vécue est différente, nouvelle, surprenante, inédite, l’équilibre est rompu, la structure préexistante doit changer, se développer, s’améliorer, afin de prendre en compte les nouveaux éléments, les nouvelles conditions. Le mécanisme d’ accommodation est en route. L’étudiant apprend ce qui se passe, ce qu’on lui dit, ce qu’on lui explique. C’est ainsi, par une recherche d’un nouvel équilibre, d’une structure plus riche ou plus efficace, que l’enfant construit des structures cognitives de plus en plus adéquates, de plus en plus performantes. On parle aussi de la recherche d’une solution à un conflit cognitif entre les perceptions de l’environnement et les structures courantes de compréhension du monde dont dispose l’enfant. Ce n’est que dans ce dernier cas (l’accommodation) que l’on peut strictement parler d’apprentissage. Dans l’enseignement traditionnel, le « cours » p ropose une vue structurée, une voie royale sur les savoirs qu’il importe d’expliquer de la manière la plus cohérente possible. Sans rejeter ou négliger évidemment cet apport nécessaire (même si ce cours est suivi d’exercices bien souvent réduits à l’application de la théorie à des cas concrets), les classes inversées bien comprises permettent d’aller un pas plus loin. S’il s’agit souvent d’une vidéo proposant les nécessaires savoirs avant le cours pour mieux profiter de l’es pace-temps de la classe pour répondre aux questions et faire des exercices, le constructivisme propose une vision revisitée où il sera question d’une véritable construction des connaissances : demander aux élèves ou aux étudiants d’aller explorer, à propos d’une thématique, les contextes, les représentations (sociales) d’un concept pour les amener en classe où une opération de déconstruction (le fameux conflit cognitif) pourra prendre place en offrant ainsi une
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possibilité de reconstruction pour un apprentissage plus durable. Les théories de la motivation viennent en soutien à ce processus : il y est question de perception des contextes, de valeur des tâches confiées aux apprenants, de reconnaissance des compétences déployées, de contrôle sur le processus d’apprentissage lui-même considéré dans ses aspects tant internes qu’externes. Si l’apprentissage est une opération interne, personnelle, qu’en est-il du groupe, du collectif, de l’apprentissage collaboratif ?
INTERACTIONNISME, APPRENTISSAGE SOCIAL ET PSYCHOLOGIE CULTURELLE Lev Vygotski (1896-1934) considère quant à lui que le développement cognitif est en relation directe et fondé sur le développement social. Ce que les enfants apprennent et leur façon de penser dérivent directement du milieu social, culturel et historique dans lequel ils évoluent. Complémentaire au monde physique, le monde social qui les entoure est à l’origine des concepts, idées, faits, compétences et attitudes. La différence majeure avec le constructivisme piagétien est le rôle central accordé par Vygotski aux interactions sociales et au langage. Alors que chez Piaget les interactions (les manipulations) avec l’environnement sont essentiellement physiques ou symboliques, elles deviennent relationnelles chez Vygotski. Le développement est fortement influencé par les institutions sociales, ou les groupes qui produisent la culture, et les outils qu’ils déploient comme le langage et la technologie. Les signes et les outils constituent pour Vygotski les deux faces indissociables de l’interaction de l’homme avec son environnement, les deux éléments de la médiation socioculturelle du fonctionnement mental de l’individu, c’est-à-dire la manière dont l’individu s’approprie ce « contenu social ». Pour rendre compte du mécanisme qui préside au développement cognitif (au passage d’un niveau à un autre), Vygotski souligne à la fois le rôle central d’autrui avec lequel le sujet interagit (autre élève, tuteur, enseignant, parent) et la difficulté associée à la tâche à entreprendre. La tâche la plus favorable à l’apprentissage (au niveau des connaissances à mobiliser et des compétences à exercer), la « zone proximale de développement » (ZPD), est délimitée, d’un côté, par la tâche la plus difficile que le sujet peut entreprendre tout seul et, de l’autre, par la tâche la plus difficile que le sujet peut exercer avec l’aide de quelqu’un.
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Les sociocognitivistes, ou encore postpiagétiens, tout en reprenant les idées de Piaget, accordent une place importante aux interactions sociales dans l’apprentissage. Le conflit cognitif de Piaget, le déséquilibre dont nous avons parlé, peut être déclenché par les interactions sociales pour devenir conflit sociocognitif, lui-même moteur dans le développement cognitif. Ce sont, en partie, les idées de Vygotski (qui insistait sur la dimension socioculturelle et non seulement sociale) qui ont contribué à ce mouvement. Les développements récents des technologies ont aidé à redonner de la vigueur à des modes – bien connus et de longue date – de travail en groupe des étudiants. Les réseaux et le courrier électroniques, les forums et listes de distribution offrent de nouvelles modalités (travailler sur la base de l’écrit plutôt que de l’oral, inviter un tuteur expert étranger, etc.), de nouvelles frontières aux travaux de groupe dont nous reparlerons plus loin. Rappelons également que, pour Vygotski, les médias (et nous, êtres humains, parents, enseignants, sommes également, dans une certaine extension, des instruments médiateurs) favorisent la médiation et l’appropriation par l’individu de « l’expérience millénaire de l’humanité » et sont les instruments qui permettent à l’individu de s’approprier les connaissances et compétences déployées dans le groupe. En d’autres mots, les médias permettent la progression dans la zone proximale de développement. Il s’agit par le scaffolding (l’échafaudage, ou encore l’étayage progressif) de conduire l’individu, au départ de ses connaissances et compétences déjà acquises, vers une plus grande autonomie, vers l’adhésion de plus en plus accrue à une communauté et à une culture qui possèdent leurs propres coutumes, façons de faire, langages. C’est aussi un chemin qui conduit des connaissances spontanées aux connaissances scientifiques en vigueur dans une communauté. Nous soulignons l’importance du tuteur dans cette pérégrination dans la ZPD de Vygotski. En effet, au départ de ce dont il dispose déjà (la zone où il se trouve), il s’agit de l’accompagner un peu plus loin (d’où le sens de « proximal »), d’élargir son espace de savoirs à des lieux auxquels il ne pourrait accéder seul. Jérôme Bruner né en 1915, insiste, quant à lui, sur l’ancrage culturel de la connaissance. En réaction à l’approche « computationnelle » des tenants du paradigme du traitement de l’information (par exemple) qui, selon les culturalistes, veulent réduire la connaissance à des règles et procédures de traitement de l’information, les psychologues culturels veulent
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restaurer le caractère interprétatif de la transformation des savoirs en connaissances, la construction culturellement marquée des connaissances : un mot peut être interprété de façons extrêmement variées d’une personne à l’autre. Le rôle du contexte dans lequel le mot est initialement produit et communiqué, celui du contexte dans lequel le mot est utilisé ou interprété, la représentation que l’on se fait du contexte sont des facteurs qui « colorent » les concepts utilisés. Toute connaissance est dès lors située (on parle de situated cognition ) dans un contexte, une culture ou encore une pratique sociale propre à un groupe donné. Accéder à la connaissance, c’est accéder, ou « s’affilier », à un groupe ; c’est participer à un mouvement de coconstruction des connaissances. En retour, cette connaissance contribue à l’insertion sociale et culturelle du sujet dans une communauté. Au niveau de l’apprentissage dans la classe inversée, il est important de donner aux étudiants de véritables problèmes contextualisés et non pas dépouillés de leurs attributs socioculturels. Ils seront travaillés idéalement dans des groupes afin de favoriser l’émergence d’interprétations variées dont il faudra exploiter les nuances, analyser les contrastes. Des informations récoltées dans cette phase de contextualisation naîtront alors les connaissances plus décontextualisées, et sans doute plus transférables à d’autres contextes (la recontextualisation ou l’application des connaissances). Pour cela, il est nécessaire de se mettre en « recherche » et d’exercer des compétences de haut niveau (cognitives, mais aussi relationnelles et méthodologiques, par exemple : synthèse, séparation de l’essentiel et de l’accessoire, développement du sens critique, participation au travail de groupe, etc.).
La classe inversée semble se trouver au confluent de ces différents courants, tous issus du �� e siècle. L’importance du dispositif, du conflit cognitif et de la rencontre des contextes particuliers avec les théories généralisantes, l’importance aussi de la scénarisation en particulier des moments d’appropriation individuels et de confrontation cognitive collective permettent de tracer, voire d’amplifier, notre perception des inversions tant au niveau des savoirs que des rôles attribués aux autres partenaires de la relation didactique. La classe inversée est donc un dispositif intentionnel dont la cohérence doit être recherchée.
LE CONNECTIVISME Siemens, en 2004, présente sa « théorie », le connectivisme, comme la nécessaire évolution des théories
classiques de l’apprentissage (béhaviorisme, cognitivisme, constructivisme et socioconstructivisme) adaptées aux nouvelles réalités de la société du savoir et du numérique. Cette vision de l’apprentissage, déclinée en huit principes, est fondée sur l’idée que les connaissances sont distribuées à travers un réseau de connexions (individuelles et organisationnelles). Tout l’enjeu de l’apprentissage aujourd’hui consiste à savoir exploiter le potentiel de ces réseaux pour construire des connaissances. Ces huit principes trouvent leur origine dans différents constats concernant l’apprentissage à l’ère numérique : – « De nombreux apprenants rencontreront des domaines de connaissances et de compétences variés et parfois sans liaison au cours de leur carrière ; – l’apprentissage informel devient de plus en plus une partie de l’expérience d’apprentissage. L’apprentissage actuel survient au travers de communautés de pratiques, de réseaux personnels et au travers des différentes tâches dans les situations de terrain ; – l’apprentissage est un processus continu qui se déroule tout au long de la vie. Apprentissage et situation de travail sont de moins en moins séparés. Dans certains cas, ils sont confondus ; – les technologies changent progressivement et fondamentalement nos façons de penser. Elles modifient notre « câblage cérébral » ; – l’institution, ou l’organisation, et l’individu sont des organismes. L’apprentissage devient un processus commun aux apprenants, aux acteurs de la société et aux institutions ; – de nombreux processus, jadis du domaine de l’apprentissage (par exemple, chez les cognitivistes de l’information), sont actuellement de plus en plus et de mieux en mieux assumés par les TIC ; – le savoir et le savoir-faire sont progressivement supplantés par le « savoir où et quand », les connaissances conditionnelles39. » Revenons-en aux huit principes du connectivisme. Selon le premier principe, l’apprentissage et le savoir sont liés à la diversité des opinions et des ressources 40. Afin que cette diversité puisse véritablement porter ses
39 G. Siemens, “Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age”, 12 décembre 2004. [En ligne] Disponible sur : www.elearnspace.org/Articles/connectivism.htm, consulté le 15 septembre 2015. Nous traduisons. 40 “Learning and knowledge rests in diversity of opinions.”
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fruits, il importe de la scénariser dans un processus d’apprentissage organisé. La capacité à évaluer la pertinence des informations et des opinions est également soulignée comme étant une compétence indispensable à déployer afin de faire face à la surabondance de ressources. Le deuxième principe énonce qu’apprendre est un processus de mise en relation de contacts ou de sources d’informations spécialisés 41. On souligne l’importance de l’attitude proactive de l’apprenant dans la mise en œuvre de ce principe. Le troisième principe indique que l’apprentissage peut être généré par des processus non-humains 42 (bases de données contenant les connaissances organisationnelles par exemple). Le quatrième principe évoque la nécessité, pour l’individu, de savoir identifier ses besoins de connaissances à venir 43 afin de mettre en œuvre les bonnes stratégies, d’actionner les bons leviers, etc. Cette capacité serait plus essentielle encore que les connaissances qu’il possède déjà. Quant au cinquième principe, il souligne que le développement et la préservation des contacts établis est un élément essentiel pour faciliter l’apprentissage tout au long de la vie 44. Le développement actuel des réseaux sociaux constitue, à cet égard un élément facilitateur indéniable pour la concrétisation de ce principe. Le sixième principe insiste sur le fait que la capacité à faire des liens entre les domaines de connaissances, les idées et les concepts est une compétence essentielle 45. À cet égard, on relève l’importance des activités de métaréflexion proposées dans les dispositifs de formation. Le septième principe met en avant l’importance de la valeur des sources de connaissances, de leur pertinence et de leur validité 46 dans toute activité d’apprentissage connectiviste. La notion de circulation des connaissances ( flow, transference) est également évoquée par Siemens, notamment en relation avec la question du knowledge management dans les organisations. Enfin, le huitième principe met en valeur la prise de décision comme étant un processus
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d’apprentissage47, car elle implique un véritable regard sur la pertinence et l’actualité de l’information utilisée pour les besoins de l’instant. La classe inversée, en conduisant l’apprenant hors l’espace protégé de la classe, l’immerge (au risque de le submerger) dans la complexité, voire le désordre, de la société numérique. Le learning by doing suffira-t-il à le doter des savoirs spécifiques et de compétences nécessaires pour organiser son savoir, pour développer ses compétences de plus en plus imprégnées par le contexte numérique ? Nous pensons que, complémentairement aux savoirs de base et en étroite relation systémique avec eux, il y a des savoirs instrumentaux, cognitifs, comportementaux, des « savoirs sur les compétences », dont il importe de doter les étudiants. Il ne s’agit pas tant (ou pas seulement) d’un mode d’em ploi des outils, d’une carte des espaces numériques dont ils auront besoin, mais d’une boussole pour s’orienter sur la Toile. Nous reviendrons sur la question de ces indispensables savoirs (d’ailleurs bien présents dans les classes inversées) et des compétences associées. Pourquoi cette dissociation, inscrite depuis des siècles dans la philoso phie, entre monde des idées (les savoirs) et vie quotidienne (l’expérience et la pratique) ? Nous le verrons un peu plus loin : la notion de compétence contient la notion des savoirs.
41 “Learning and knowledge rests in diversity of opinions.” 42 “Learning is a process of connecting specialized nodes or information sources.” 43 “Capacity to know more is more critical than what is currently known.” 44 “Nurturing and maintaining connections is needed to facilitate continual learning.” 45 “Ability to see connections between fields, ideas, and concepts is a core skill.” 46 “Currency (accurate, up-to-date knowledge) is the intent of all connectivist learning activities.”
47 “Decision-making is itself a learning process. Choosing what to learn and the meaning of incoming information is seen through the lens of a shifting reality. While there is a right answer now, it may be wrong tomorrow due to alterations in the information climate affecting the decision.”
ÀLARECHERCHE DELACOHÉRENCE PÉDAGOGIQUE
LES CLAS SES INVERSÉES AU CŒUR DE LA COHÉRENCE � Les classes inversées repositionnent et redéploient les espaces-temps traditionnels de l’enseignerapprendre48. Il s’agit aussi d’un dispositif pédagogique de nature hybride. Nous entendons par « dispositif » un ensemble cohérent constitué de ressources (matérielles et humaines), de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Celui du dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un ou, mieux, de permettre à « quelqu’un » d’apprendre « quelque chose ». En ce qui concerne l’hybridation, nous la considérons comme un mélange fertile et en proportions variables de différentes modalités de formation, en présence et à distance, mais aussi entre des postures d’enseignement transmissif (l’enseignement au sens strict n’exige plus la présence physique en un temps et un lieu donnés, mais peut sortir de l’ex cathedra pour atteindre l’étudiant où il se trouve) et des postures davantage liées à l’accompagnement de l’apprentissage. Les dispositifs hybrides que nous considérons ici sont le plus souvent supportés par une plateforme technologique (un rassemblement d’outils), et leur caractère hybride provient d’une modification de leurs constituants (ressources, stratégies, méthodes, acteurs et finalités) par une recombinaison des temps et des lieux d’enseignement et d’apprentissage : il s’agit donc bien d’un continuum dont une dimension est liée au rapport présence/distance et une autre au rapport enseigner/apprendre. Parmi les qualités d’un dispositif, nous retenons celle de la cohérence pédagogique, une cohérence à rechercher et à évaluer entre les objectifs, les méthodes et les outils, sans oublier l’évaluation.
48 En introduction à cette partie, le lecteur davantage « audio-visuel » pourra consulter quelques interviews réalisées lors de l’Université d’été Ludovia : https:// storify.com/mlebrun2/mes-interviews-de-ludovia-2013
Nous pourrions dès lors énoncer que la stratégie pédagogique des classes inversées est construite sur la base de trois ingrédients dont nous avons maintes fois montré les rapports systémiques : (1) les approches par compétences, (2) les méthodes actives et (3) un usage « à valeur ajoutée » des TIC considérées à la fois comme outils et comme ressources. Il s’agit, selon nous, d’un des éléments qui justifient l’attrait actuel des classes inversées : un concept intégratif qui permet de rallier ces trois nécessités (comme nous les présentent les discours actuels sur l’éducation). Cette cohérence pédagogique est dérivée de l’alignement constructif préconisé par John Biggs 49. L’alignement constructif (on entend parfois, à tort selon nous, « constructiviste ») consiste en l’alignement des objectifs d’apprentissage déclarés ( intended learning outcomes), des méthodes pédagogiques mises en place et de l’évaluation (des apprenants). Pour notre part, nous avons complété cet alignement en tenant compte des outils technologiques. Nous écrivions récemment 50 : « Parmi les conditions qui émergent des études 51, celle de l’alignement entre les objectifs (aujourd’hui, après les compétences, les learning outcomes), les méthodes mises en place pour les atteindre et les évaluations de cette atteinte par
49 J. Biggs, “Enhancing Teaching through Constructive Alignment”, Higher Education, n° 32, 1996, p. 347-364 et “Constructive Alignment in University Teaching”, dans P. Kandbinder (éd.), HERDSA Review of Higher Éducation, vol. 1, Higher Education Research and Development Society of Australasia, 2014. [En ligne] Disponible sur : www.herdsa.org.au/wp-content/uploads/ HERDSARHE2014v01p05.pdf , consulté le 15
septembre 2015. 50 M. Lebrun, « Impacts des TIC sur la qualité des apprentissages des étudiants et le développement professionnel des enseignants : vers une approche systémique », Sticef.org , vol. 18, 2011. [En ligne] Disponible sur : http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2011/03rlebrun/sticef_2010_lebrun_03r.htm, consulté le 15 septembre 2015. 51 M. Lebrun, “Quality Towards an Expected Harmony: Pedagogy and Technology Speaking Together about Innovation”, AACE Journal, vol. 15 (2), mai 2007, p. 115-130. [En ligne] Disponible sur : www.editlib. org/p/21024 , consulté le 15 septembre 2015.
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les étudiants52 est fécond : il manque dans ce modèle […] les outils (ressources, instruments et réseau) qui pourtant imprègnent ces piliers de la construction de dispositifs à valeurs ajoutées. En effet, les objectifs exprimés en termes de compétences (recherche d’information, esprit critique, travail d’équipe, communication…) sont colorés par le numérique ; les méthodes orientées vers l’apprentissage effectif et augmenté seront soutenues par ces mêmes outils. Pourquoi sont-ils si peu présents dans nos “référentiels de compétences” ? » C’est dans ce sens que nous avions proposé un principe un peu plus large, que nous avons appelé principe de cohérence 53. Dans la figure ci-contre, nous développons une approche systémique (objectifs, méthodes et outils) en l’encadrant par l’omniprésente évaluation : celle des apprenants (à l’intérieur) et celle du dispositif ainsi créé (à l’extérieur). Par rapport au modèle initial de Biggs (l’alignement), nous y inscrivons donc deux choses « nouvelles » : la présence de la technologie avec le pôle « outils » et l’évaluation du dispositif (en complément de l’évaluation des apprenants). Dans ce modèle, nous abordons essentiellement les quatre points suivants : la question des objectifs de l’éducation à l’ère numérique (1), celle des méthodes qui entrent en résonance avec ces derniers dans le contexte des technologies qui nous libèrent des contraintes d’espace et de temps pour en revenir à nos propositions d’hybridation des formes d’enseignement et d’apprentissage (2). La question des outils intervient en toile de fond et celle concernant l’évaluation est développée progressivement, approche systémique oblige. Néanmoins, nous leur consacrons les deux derniers points (3 et 4).
52 J. Biggs, Teaching for quality learning at University, Berhshire, Open University Press and Mac Graw Hill, 2003. 53 M. Lebrun, Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : quelle place pour les TIC dans l’éducation ? Bruxelles, De Boeck, 2005. Et M. Lebrun, eLearning pour enseigner et apprendre : allier pédagogie et technologie, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2005.
LA COHÉRENCE PÉDAGOGIQUE, UNE EXTENSION DE L’ALIGNEMENT PÉDAGOGIQUE �CONSTRUCTIVE ALIGNMENT� DE BIGGS. Source : M. Lebrun, eLearning pour enseigner et apprendre : allier pédagogie et technologie, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2005.
DES OBJECTIFS POUR SAVOIR OÙ L’ON VA La question des technologies à « l’école » ne peut ainsi être résolue, ou pour le moins documentée, qu’après la considération des objectifs visés par cette même école (un mot que nous considérons ici au sens large, de l’école primaire au supérieur, voire en formation continue, la formation et l’apprentissage durant toute la vie). La notion d’objectif, très présente encore dans les années 1990, fut complétée de manière explicite par celle de compétence dans les années 2000. Jacques Tardif la définit ainsi : « Une compétence est définie comme un savoir agir complexe qui prend appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations 54. » Devant le labyrinthe causé par la pléthore des définitions du concept, nous proposons une définition personnelle construite sur les éléments suivants que nous appelons parfois les « CCC » : « des Capacités (les opérations élémentaires à effectuer) qui s’exercent sur des Contenus (ce sur quoi s’exerce la capacité) dans différents Contextes (les conditions dans lesquelles s’exercent les
54 J. Tardif, L’Évaluation des compétences : documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière Éducation, 2006.
LES CLASSES INVERSÉES, DES DISPOSITIFS RÉELLEMENT PÉDAGOGIQUES
opérations et prennent sens les productions 55). » En ce qui concerne les deux premiers termes (contenus et capacités, très proches des savoirs et savoir-faire), la taxonomie de Bloom revisitée56 les croise : différents types de savoirs (factuels, conceptuels, procéduraux, etc.) et différentes activités (mémoriser, comprendre, appliquer, analyser, synthétiser, évaluer, etc.). Il existe donc des savoirs (connaissances) sur les savoir-faire et aussi des savoir-faire (activités) de construction des savoirs dont l’évaluation reste problématique dans le cadre des ressources et outils numériques. Au-delà du recours au travail de groupe (méthode) pour exercer la compétence à travailler en équipe, comment évaluer (explicitement) le développement de cette dernière ? Cette approche cognitive (liée aux connaissances et à leur construction) est complétée par la typologie de Jean-Marie De Ketele qui ajoute aux savoirs et savoirfaire des éléments touchant davantage aux comportements, aux attitudes, à la manière d’anticiper, de se mettre en projet : les savoir être et savoir devenir 57. Ces « compétences » qui sortent du giron des disciplines cloisonnées et purement académiques, qui sont également censées se développer toute la vie durant, qui font rarement l’objet d’un apprentissage formel, prennent un statut de transversalité : compétences transversales ( fuzzy compétences, wicked compétences58) ou encore compétences LLL ( LifeLong Learning). L’Europe les définit dans son cadre de référence de 2006 comme des « compétences clés pour l’éducation
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et la formation tout au long de la vie 59 ». Elles sont reliées à l’esprit critique, la créativité, l’initiative, la résolution de problèmes, l’évaluation des risques, la prise de décision. Andreas Schleicher nous dit : « Nous vivons dans un monde en mutation rapide et reproduire les savoirs actuels et les compétences utiles ici et maintenant ne va pas suffire pour faire face aux défis du futur. Il y a une génération, un enseignant pouvait penser que ce qu’il enseignait à ses élèves allait les accompagner pendant toute une vie. Aujourd’hui, en raison de la rapidité des changements économiques et sociaux, nous avons à préparer nos étudiants pour des métiers qui n’existent pas encore, pour des technologies qui ne sont pas encore inventées et pour faire face à des problèmes dont nous n’imaginons même pas la venue60. » Tout ceci est évidemment à mettre en rapport avec la disponibilité des savoirs de plus en plus externalisés. S’agit-il vraiment encore aujourd’hui de mémoriser tous les savoirs cristallisés disponibles sur Wikipédia, la Khan Academy 61 ou les MOOC, ou alors d’être capables de les convoquer en fonction des situationsproblèmes rencontrées, des besoins d’informations identifiés ? Sans négliger les savoirs fondamentaux, s’agit-il dès lors de développer aussi et surtout ces compétences fluides qui nous permettent de trouver, de valider, d’interpréter, de communiquer ces savoirs, individuellement et collectivement ? xMOOC contre cMOOC ou alors complémentarité des approches, la question est posée. Notre x-c-MOOC eLearn2 montre une forme de complémentarité systémique entre les savoirs (les ressources à disposition) et les compétences à exercer (proposer une synthèse sur son blog, répondre à une question dans un forum, travailler en
55 M. Lebrun, « Les compétences et les CCC », document inédit rédigé dans le cadre de l’Université de printemps organisée par l’IPM, 2011. [En ligne] Disponible sur : http://fr.calameo.com/read/0007103607f7db81fc33e?authid=mu t0u7Odhyms, consulté le 25 septembre 2015.
56 L. W. Anderson, D. R. Krathwohl (éds.), A Taxonomy for Learning, Teaching, and Assessing: A Revision of Bloom’s Taxonomy of Educational Objectives, Complete edition, New York, Longman, 2001. [En ligne] Disponible sur : http://www.celt.iastate.edu/teaching-resources/effective practice/revised-blooms-taxonomy/ , consulté le 25
septembre 2015. 57 J.-M. De Ketele, M. Chastrette, D. Cros, P. Mettelin, J. Thomas, Guide du formateur, Bruxelles, De Boeck Université, 1989. 58 P. Knight, “Fostering and assessing wicked competencies”, 2007. [En ligne] Disponible sur : http:// www.open.ac.uk/opencetl/files/opencetl/file/ecms/webcontent/Knight-(2007)-Fostering-and-assessing-wickedcompetences.pdf , consulté le 25 septembre 2015.
59 Union européenne, « Compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie ». Europa, Synthèse de la législation de l’UE, 2006. [En ligne] Disponible sur : http://eur-lex.europa.eu/legalcontent/FR/TXT/?uri=URISERV:c11090, consulté le 25 septembre 2015. 60 A. Schleicher, “The case for 21st-century Learning”, OECD Work On Education, 2011. [En ligne] Disponible sur : www.adapttech.it/old/files/document/11702schleicher_ oecd_.pdf , consulté le 15 septembre 2015. Nous traduisons. 61 La Khan Academy propose des vidéos éducatives accompagnées de véritables parcours pédagogiques. Son principe est de « fournir un enseignement de grande qualité à tous, partout » : https://fr.khanacademy. org/
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
équipe pour animer une activité, critiquer un document, etc.). En ce qui concerne l’évaluation, nous souhaitons développer certains aspects moins mis en évidence dans la littérature sur les compétences et qui trouvent leurs racines dans la notion tout actuelle de learning outcomes, les acquis d’apprentissage. L’Union européenne, dans son ECTS Users’ Guide les définit ainsi : des propositions qui définissent ce que l’étudiant sait, comprend et est capable de démontrer au terme d’un parcours d’apprentissage 62. Les derniers mots sont éloquents et en étroite liaison avec ce que nous avons proposé dans notre introduction en lien avec le mécanisme de servuction du self learning « et est capable de démontrer ». Par exemple, il revient à l’apprenant de construire le portfolio des connaissances acquises et de rassembler les traces des compétences (transversales) déployées et des contextes investigués. Il s’agit là d’un renversement considérable, non pas seulement au niveau d’un « savoir agir complexe qui prend appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes63 », mais aussi au niveau de l’élaboration de savoirs extraits, organisés et communiqués au départ de l’expérience éphémère de l’exercice de la compétence de manière à se l’approprier. Pensées réflexives et systémiques se renforcent ainsi. L’évaluation des compétences « floues » devient un enjeu considérable. La formation des étudiants à ces compétences (les savoirs sur et dans l’action) devient cruciale, celle des enseignants aussi. Au sujet des classes inversées (niveau 1), les compétences exercées sont principalement cognitives (du type mémoriser, comprendre, appliquer, analyser et parfois, pourquoi pas, synthétiser et évaluer en fonction des activités proposées en classe). On peut aussi parler (à condition d’en proposer un exercice explicite et d’y former les étudiants) de compétences d’autonomie, d’apprendre à apprendre, de gérer son temps, etc.
62 “Learning outcomes are statements of what a learner is expected to know, understand and/or be able to demonstrate after a completion of a process of learning”, dans European Union, “ECTS Users’ Guide – European Credit Transfer and Accumulation System for Lifelong Learning”, European Commission, 2004. 63 J. Tardif, L’Évaluation des compétences : documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière Éducation, 2006.
Dans le niveau 2, on y ajoute des compétences de recherche d’informations, de communication, de travail d’équipe, en fonction des dispositifs proposés par les enseignants.
LES MÉTHODES , UN CHEMIN POUR APPRENDRE Même si ces outils et ressources numériques constituent un potentiel formidable et une condition nécessaire à l’apprentissage, ils sont loin d’être suffisants. Si les formes traditionnelles évoquées plus haut (cours, exercices, séminaires) demeurent les formes d’enseignement les plus répandues, il faut bien considérer que ces méthodes peuvent être largement assumées, voire automatisées, par les technologies (un podcast du cours, un questionnaire en ligne, un forum de discussion) mettant ainsi, d’une certaine façon, en péril le « cœur de métier » de l’enseignement. Il serait regrettable, voire coupable, de s’en tenir à cette situation de statu quo, voire d’un entérinement collectif de cette fossilisation des pratiques pédagogiques. Il y a longtemps déjà (à l’époque d’un autre mirage technologique, l’enseignement assisté par ordinateur) des enseignants se demandaient fréquemment : « Pensez-vous qu’un jour l’ordinateur remplacera l’enseignant ? » Et nous leur répondions invariablement : « Il y a de grandes chances que oui… si vous me posez une question pareille ! » Force est de constater que les technologies quelque part nous libèrent (de notre devoir de transmission), mais nous condamnent aussi à devenir intelligents 64, à retrouver un rôle d’accompagnateur d’apprentissages, à retrouver et à mettre en place des activités et interactivités fécondes pour l’apprentissage dans ces campus désormais annoncés en voie d’extinction… et c’est sans doute encore une question de formation des enseignants, mais aussi une question de courage politique. Comment mettre en place les pratiques que nous préconisons dans des créneaux de 50 minutes dédiés à des disciplines cloisonnées ? Comment réfléchir à l’apprentissage toute la vie durant comme si ce dernier démarrait à 18 ans ou à 23 ans après des formations primaires, secondaires, supérieures, toutes « ministériellement » cloisonnées ? Comment mettre en place un laboratoire d’apprentissage dans
64 M. Serres, « Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive », Interstices, 2007. [En ligne] Disponible sur : https://youtu.be/w5OqlbrXiOE , consulté le 15 septembre 2015.
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des salles en gradin ou au mobilier attaché au sol et sans adjonction… d’électricité ? Un début incontournable pour l’e-learning, un vocable déjà ancien remplacé aujourd’hui par apprentissage numérique. Agir autrement (c’est-à-dire miser gros et uniquement sur ces résurgences de l’enseignement traditionnel que sont les xMOOC, ou même les ressources médiatisées offertes partout sur Internet) serait faire fi des attentes à la fois des individus et du monde socioprofessionnel pour le développement des compétences transversales LLL ( LifeLong Learning), des usages même embryonnaires des fameux natifs numériques 65, et aussi de ne pas profiter du potentiel offert par les ressources externalisées et indépendantes du temps et de l’espace. Enseigner, c’est mettre en place des conditions dans lesquelles l’étudiant pourra apprendre 66, constatation qui conduit à la nécessité d’organiser autour des médias et des outils dont nous avons parlé, des espaces, des dispositifs pédagogiques (en présence, à distance, hybrides) à hautes valeurs ajoutées pour l’apprentissage. C’est là que se niche l’avenir des écoles et des campus. À cet égard, les classes inversées sont intéressantes dans la combinaison qu’elles proposent entre présence et distance, ainsi qu’entre les orientations centrées sur l’enseignement et ses ressources, et celles centrées sur l’apprentissage et son ancrage dans les contextes 67.
65 J. L. Frand, “The Information Age Mindset: Changes in Students and Implications for Higher Education”, Educause Review, vol. 35(5), septembre-octobre 2000, p. 15-24. [En ligne] Disponible sur : http://er.educause.edu/ articles/2000/1/the-informationage-mindset-changes-instudents-and-implications-for-higher-education, consulté
le 15 septembre 2015. 66 G. Brown, M. Atkins, Effective Teaching in Higher Education, Londres, Routledge, 1988. 67 M. Frenay, D. Bedard, « Des dispositifs de formation s’inscrivant dans la perspective d’un apprentissage et d’un enseignement contextualisés pour favoriser la construction de connaissances et leur transfert », in Le transfert des apprentissages : comprendre pour mieux intervenir, sous la direction de A. Presseau, M. Frenay, Québec, Les presses de l’université Laval, 2004, p. 241-268.
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LES OUTILS, UN ÉQUIPEMENT POUR APPRENDRE EN SOI Les outils numériques, à la fois centrifuges et centripètes, prolongent potentiellement notre action sur l’environnement et nous ramènent les images de cet environnement que nous avons parfois bien du mal à assimiler. Les ressources numériques ainsi véhiculées sont de plus en plus externalisées hors les murs des classes et des amphithéâtres avec une tension entre l’accès planétaire aux savoirs et la nécessité de les transformer en connaissances maîtrisées, au risque de laisser les enseignants de côté. Le numérique est présenté, dans certains discours tout au moins, comme la solution pour une école en quête d’évolution à l’ère numérique. La place que nous donnons aux outils dans ce texte au sein du principe de cohérence montre bien qu’il s’agit d’un élément sans doute nécessaire, mais loin d’être suffisant pour approcher le concept d’un enseignement ou, mieux, d’un apprentissage de qualité. Depuis les années 1980, les potentiels des technologies éducatives, des logiciels d’apprentissage aux plateformes d’e-learning, en passant par le CD-Rom interactif, ont vite fait croire qu’une couche technologique rajoutée aux formes d’enseignement habituelles allait produire l’amalgame salutaire au renouvellement d’une école en quête de résonance avec une société elle-même en quête de savoir-faire, de compétences, etc. Une école et une société, toutes deux également confrontées au renouvellement et à l’accroissement rapides des savoirs, aux nécessités de l’apprendre toute la vie durant, aux pressions socioéconomiques aussi. Les recherches les plus fréquentes, souvent construites sur une comparaison « avec et sans technologie » et axées sur les effets en termes de « réussite » des apprenants dans un contexte limité (par exemple, une institution donnée, un outil particulier, une discipline spécifique), ont la plupart du temps été marquées par un no significant difference , un phénomène amplement relevé dans la littérature68. Remarquons que ces effets en demi-teinte
68 T. L. Russell, The No Significant Difference Phenomenon, Chapel Hill, NC, Office of Instructional Telecommunications, North Carolina State University, 2009. [En ligne] Disponible sur : www. nosignificantdifference.org/ , consulté le 15 septembre 2015.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
peuvent être étendus à des recherches « avec telle ou telle méthode pédagogique – singulièrement ici les classes inversées – comparée à l’enseignement dit traditionnel. Les métarecherches pionnières de Kulik et ses pairs allaient déjà dans ce sens, les légères différences observées entre les dispositifs étant bien souvent entachées de variance importante ou alors noyées dans un bruit de fond lié à la variété des disciplines, aux différentes méthodes pédagogiques encadrant les outils, ainsi qu’aux modalités d’évaluation des apprentissages réalisés 69 ». Environ vingt ans plus tard, Glenda Morgan, dans son analyse des effets des LMS, parle de pédagogies accidentelles pour les qualifier70. Les causes les plus probables de ces résultats peu probants et peu décisifs en termes de stratégie institutionnelle, par exemple, sont selon nous : – soit que le véhicule technologique n’implique pas nécessairement une refonte des ressources ou de la pédagogie utilisée (le dispositif pédagogique71) ; – soit que les objectifs, les méthodes et les évaluations se modifiant par les usages « bien pensés » des TIC, la comparaison avec des approches plus traditionnelles est rendue difficile ou caduque ; – soit encore que les effets recherchés (en termes de compétences ou de savoir être) restent hors de portée des évaluations certificatives encore largement fondées sur des compétences de bas niveau comme la restitution ou l’application72. De manière plus générale, les méthodes de formation mises en place « autour des outils » restent fortement marquées par l’amateurisme ou l’improvisation alors que les technopédagogues nous disent depuis longtemps l’exigence pédagogique nécessaire à l’élaboration de ces dispositifs en ligne, hybrides ou à distance : Jacques Tardif, en 1996 déjà, proclamait avec raison qu’une pédagogie rigoureuse est une
69 J. Kulik, C. Kulik, P. Cohen, “Effectiveness of Computerbased College Teaching: A Meta-analysis of Findings”, Review of Educational Research, vol. 50, 1980, p. 525-544 70 G. Morgan, “Faculty Use of Course Management Systems”, Research Study from the EDUCAUSE Center for Applied Research, vol. 2, 2003. [En ligne] Disponible sur : https://net.educause.edu/ir/library/pdf/ers0302/rs/ers0302w. pdf , consulté le 15 septembre 2015.
71 R. E. Clark, “Reconsidering Research on Learning from Media”, Review of Educational Rese arch, vol. 4, 1983, p. 445-459. 72 B. S. Bloom, Taxonomy of Educational Objectives: The Classification of Educational Goals, Handbook I, Cognitive Domain , New York, Longmans, 1956.
condition incontournable pour que les TIC tiennent leurs promesses 73. C’est probablement là que réside le problème : les technologies sont certes porteuses de potentiels pour le développement pédagogique, mais, afin d’en retirer les valeurs espérées, elles nécessitent d’être encadrées par des dispositifs fondés sur des méthodes plus incitatives et interactives, soutenus par des acteurs (enseignants et étudiants) jouant de nouveaux rôles, et finalisés au développement des compétences humaines, sociales et professionnelles de ces mêmes acteurs (voir figure ci-dessous). Les technologies peuvent contribuer au développement pédagogique.
Enseigner ? Technologies
Pédagogies
Perceptions Usages
Évaluations
Outils
Méthodes
Apprendre ?
nécessite centrés sur l’apprentissage des étudiants.
DE LA PENSÉE DÉTERMINISTE �LES EFFETS DE LA TECHNOLOGIE SUR LA PÉDAGOGIE� À UNE VUE SYSTÉMIQUE DES INTERACTIONS ENTRE TECHNOLOGIES ET PÉDAGOGIES.
La circularité évoquée dans la figure ci-dessus s’appuie sur des cohérences internes, celles des technologies qui incluent et dépassent l’artefact et l’outil pour devenir instrument de construction des savoirs 74, et celles des pédagogies ou plutôt de l’accompagnement pédagogique qui vise à doter les apprenants d’occasions où ils puissent apprendre 75. Les interactions proposées entre les deux pôles de la figure ci-dessus sont illustrées dans notre article au titre évocateur76, qui présente, à différents niveaux (apprentissage, formation, institution), la cohérence pédagogique, globale et systémique (« outils-méthodes-objectifs »)
73 J. Tardif, « Une condition incontournable aux promesses des NTIC en apprentissage : une pédagogie rigoureuse », actes de la conférence d’ouverture au colloque de l’AQUOPS (Association québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire et au secondaire), 1996. 74 P. Rabardel, Les Hommes et les Technologies : approche cognitive des instruments contemporains, Paris, Armand Colin, 1995. 75 G. Brown, M. Atkins, Effective Teaching in Higher Education, Londres, Routledge, 1988. 76 M. Lebrun, “Quality Towards an Expected Harmony: Pedagogy and Technology Speaking Together about Innovation”, AACE Journal, vol. 15 (2), mai 2007, p. 115-130. [En ligne] Disponible sur : www.editlib. org/p/21024 , consulté le 15 septembre 2015.
LES CLASSES INVERSÉES, DES DISPOSITIFS RÉELLEMENT PÉDAGOGIQUES
à laquelle s’ajoutent des modalités d’évaluation des compétences toujours en construction. Elle est proche de l’alignement constructiviste 77 et est complétée par la prégnance manifeste des technologies dans l’ère de l’information qui caractérise notre troisième millénaire. Ces cohérences souhaitées et ces circularités à mettre en action sont souvent marquées, dans ce document ou ailleurs, de « normativité de bonne intention ou inspirée par des études scientifiques » : « les technologies peuvent… », « l’impact positif des technologies nécessite… », à la condition d’aligner les objectifs, les méthodes, etc. Cependant, que ce soit sur le pôle « technologies » ou sur le pôle « pédagogies », ces intentions, ces objectifs, ces normes sont modulés par les perceptions, les habitudes des acteurs dont nous avons parlé. Les classes inversées sont nées dans la mouvance éducative autour du numérique : les podcasts présentant les éléments de savoirs, que ce soit à travers l’exposé filmé de l’enseignant (qui « donne » son cours), de l’enregistrement dynamique d’un écran d’ordinateur ou d’une présentation de type PowerPoint commentée en audio par le professeur, sont devenus des classiques de l’enseignement sur Internet. On peut penser aussi à une écriture ou à une présentation collective d’un résumé par les élèves, ou aux commentaires sur un forum suite à la visualisation d’une interview ou d’un documentaire télévisuel.
LES ÉVALUATIONS P OUR CONSTATER LES APPRENTISSAGES RÉALISÉS Nous parlerons ici essentiellement de l’évaluation des apprentissages sans négliger l’évaluation globale du dispositif, évaluation généralement fondée sur les perceptions et avis des apprenants quant à : – la cohérence perçue ; – la facilitation qu’ils ont ressentie pour leurs apprentissages ; – l’intérêt et l’engagement par rapport aux tâches qui leur ont été proposées tant à distance qu’en présence.
77 J. Biggs, “Enhancing Teaching through Constructive Alignment”, Higher Education, n° 32, 1996, p. 347-364 et “Constructive Alignment in University Teaching”, dans P. Kandbinder (éd.), HERDSA Review of Higher Education, vol. 1, Higher Education Research and Development Society of Australasia, 2014. [En ligne] Disponible sur : www.herdsa.org.au, consulté le 15 septembre 2015.
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Les classes inversées constituent, brièvement dit ici, une stratégie visant à entraîner (dans le sens d’exercer, mais aussi de conduire) l’apprenant à gérer progressivement lui-même son apprentissage. Il n’y est donc pas seulement question des savoirs accumulés (qui comme nous l’avons dit maintes fois restent nécessaires), mais aussi des processus entrepris, des cheminements effectués dans l’espacetemps du dispositif. L’évaluation comporte donc à la fois une facette certificative (statique, portant sur les savoirs disponibles, à un moment donné souvent en fin de processus, en mémoire ou accessibles, mobilisés et justifiés en situation) et une facette formative (dynamique, tout au long du processus, portant sur les activités contextuelles entreprises et les compétences déployées). La stratégie des classes inversées interroge ainsi fortement les processus d’évaluation « ordinaire » fondés sur la remémoration des connaissances et leurs applications dans un champ scolaire bien délimité. Différentes inversions 78 permettent d’aborder les évolutions attendues à propos des tâches des étudiants et les besoins des enseignants (et des étudiants dans une perspective de coévaluation ou d’autoévaluation) en termes d’instruments d’évaluation : – des savoirs découverts, stabilisés et transmis par le maître vers des savoirs construits par les étudiants, socialement contextualisés. Il devient nécessaire dès lors qu’au-delà des savoirs élaborés, la démarche entreprise soit également évaluée ( inquiry methods, recherche documentaire) ; – de retour dans la classe, c’est l’élève lui-même ou l’étudiant qui communique les éléments de savoirs récoltés à la classe, ou qui organise le débat ( peer instruction , communication, esprit critique). L’étudiant devient ainsi enseignant en exerçant des compétences de communication ; – ce sont les autres étudiants qui évaluent à la fois les savoirs récoltés (les informations), les activités déployées et les productions ( peer evaluation, travail collaboratif). L’étudiant participe donc pleinement à l’évaluation et développe ainsi son esprit critique ; – les apports des enseignants et des étudiants peuvent porter tout à la fois sur des savoirs façonnés, des activités déployées et des contextes analysés ( learning by doing , enseignement et
78 M. Lebrun, « L’hybridation dans l’enseignement supérieur : vers une nouvelle culture de l’évaluation ? Évaluer », Journal international de Recherche en Éducation et Formation, vol. 1 (1), 2015, p. 65-78. [En ligne] Disponible sur : http://e-jref.org/index.php?id=91&file=1 , consulté 25 septembre 2015.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
apprentissage authentique, contextualisé). C’est ainsi, selon nous, que se développent et s’évaluent les compétences : des savoir agir portant sur des savoirs dans des contextes variés. Comme l’apprentissage, l’évaluation est ainsi davantage formative, en cycles courts. Pour résumer, l’évaluation des apprenants dans les classes inversées les impliquerait et les engagerait très tôt dans le processus de design des situations et des problèmes, dans la construction des démarches et des productions attendues, dans l’élaboration des signes (indicateurs) des compétences déployées, dans la gestion du dispositif ainsi coconstruit, dans les responsabilités individuelles et collectives, et dans l’évaluation de ces différents éléments 79. Et si l’on commençait par l’évaluation ?
79 E. Bobby, “Assessment 2.0”, Scottish Qualifications Authority, 2007. [En ligne] Disponible sur : http://wiki. cetis.ac.uk/images/d/de/Assessment_2_v2.pdf , consulté le 15 septembre 2015.
UNMODÈLEPRAGMATIQUE POURSOUTENIRET STRUCTURERLADÉMARCHE
Après ce large tour d’horizon qui nous a conduits des théories relatives à l’apprentissage aux moyens de le favoriser, via des dispositifs pédagogiques dont la cohérence constituait l’une des caractéristiques essentielles, il nous faut encore décrire les points critiques sur lesquels agir pour rencontrer les contraintes issues du cahier des charges. Au niveau pédagogique, il s’agit donc de s’intéresser à la jonction entre l’ingénierie pédagogique (le dispositif externe) et les éléments liés à l’apprentissage de l’individu (les facteurs sur lesquels on espère pouvoir agir et les moyens de cette action). Le modèle pragmatique que nous avons développé il y a presque vingt ans propose plusieurs points critiques sur lesquels notre attention doit se poser particulièrement80. Il propose en effet différentes dimensions, différents « points de contrôle » issus d’une synthèse de travaux qualitatifs portant sur : (1) les compétences telles que postulées par différents acteurs de la société ; (2) les méthodes pédagogiques préconisées par les sciences de l’éducation afin d’activer les apprentissages et ainsi d’atteindre les objectifs visés et (3) les potentiels des outils technologiques issus des recherches dans le domaine des technologies éducatives. Nous retrouvons ici, mais sur un autre plan, l’une des cohérences présentées plus haut, celle entre les objectifs (1), les méthodes (2) et les outils (3). Par exemple, si la compétence au travail d’équipe est abondamment citée par différentes autorités (directions d’institutions, acteurs politiques, Union européenne), l’apprentissage collaboratif peut fournir un terrain d’exercice et de validation de cette compétence, et les outils synchrones et asynchrones ou encore les
80 M. Lebrun, Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : quelle place pour les TIC dans l’éducation ? Bruxelles, De Boeck, 2005. Et M. Lebrun, “Quality Towards an Expected Harmony: Pedagogy and Technology Speaking Together about Innovation”, AACE Journal, vol. 15 (2), mai 2007, p. 115-130. [En ligne] Disponible sur : www.editlib.org/p/21024 , consulté le 15 septembre 2015.
réseaux sociaux peuvent soutenir cette activité. C’est au travers d’une analyse comparative de ces différents domaines (discours des acteurs, sciences de l’éducation et recherches sur les TIC) à la recherche de facteurs d’apprentissage communs qu’a été conçu ce modèle pragmatique illustré dans la figure ci-dessous. Contexte
Problème Reoure Informer
Projet But
Motiver Aciver
Produire Interagir
Groupe Collaboration
UN MODÈLE PRAGMATIQUE D’APPRENTISSAGE POUR CONCEVOIR, CRÉER, ANALYSER OU ÉVALUER DES DISPOSITIFS DE FORMATION POUR FAVORISER L’APPRENTISSAGE.
Les cinq dimensions de ce modèle pragmatique sont résumées ici : les activités de l’étudiant (centrales dans le modèle) portent sur des ressources internes (les connaissances déjà là) et externes (les ressources fournies ou à rechercher), nommées informations dans le modèle, et sont orientées vers la production de nouvelles connaissances, de nouvelles compétences. Les moteurs de l’engagement de l’étudiant dans la tâche, de sa persévérance et du soutien formatif à son activité sont nommés « motivation(s) » et « interaction(s)81 ». Ce modèle est présenté comme utile pour concevoir et analyser des dispositifs fondés sur les technologies et visant des valeurs ajoutées en termes d’apprentissage, ainsi que pour évaluer les effets de tels dispositifs. C’est ainsi que les cinq composantes présentées constituent une sorte de check-list des ingrédients importants des dispositifs pédagogiques mis en
81 M. Lebrun, eLearning pour enseigner et apprendre : allier pédagogie et technologie, Louvain-la-Neuve, AcademiaBruylant, 2005.
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place par l’enseignant, qui doit se poser les questions suivantes : – Le contexte (au niveau du contenu et du dispositif) est-il suffisamment élucidé pour qu’un apprentissage de qualité puisse prendre place et pour que les connaissances présentées ou découvertes fassent sens pour l’apprenant ? – Qu’en est-il de l’information proposée comme substrat à l’apprentissage ? Quelles sont les ressources ? La source de l’information est-elle uniquement dans le discours de l’enseignant ou la porte est-elle ouverte à l’information apportée par l’étudiant qui consulte revues, livres, encyclopédies, qui cherche lui-même dans la bibliothèque, dans les CD-Rom ? – Quels sont les outils (grilles d’analyse, démarches expérimentales, protocoles d’évaluation, etc.) mis à la disposition de l’apprenant pour qu’il puisse construire de nouvelles connaissances et des compétences transférables et validées au travers des activités proposées ? – Les « moments » du dispositif sont-ils bien balancés entre des périodes de travail collectif, de travail individuel et de synthèse par l’enseignant ? Sait-on finalement à quoi on doit arriver, ce que l’on doit produire, dans quelles conditions ? Passons maintenant en revue ces cinq facteurs : – Informer : de manière générale, lorsque l’on parle du savoir, on imagine souvent une encyclopédie bien pleine. Malgré les taxonomies, le savoir, au sens large, est rapidement réduit à la connaissance, ellemême vite réduite à l’information. La société de l’information est devenue en quelques années la société de la connaissance, trop vite assimilée à un apprentissage facile, généralisé, grâce à l’apprentissage « électronique », l’e-learning. Mais comme le disait Montaigne : l’étudiant n’est pas un vase à remplir, mais un feu à attiser. Pour la classe inversée, il s’agit non seulement de réfléchir aux ressources proposées (textes, vidéos…), mais aussi d’informer l’élève sur le dispositif lui-même (les ressources, les acteurs, les contextes, les stratégies, les consignes…). Voici des exemples de ces dernières à ne pas négliger en particulier dans les classes inversées : - informer sur le dispositif ; - donner les objectifs, les critères ; - illustrer le contexte ; - montrer le chemin à accomplir ; - donner des outils de reconnaissance des (de ses) compétences ; - privilégier une granularité faible aux « documents » ;
- fournir aussi des références web, sans excès. – Motiver : parmi les facteurs de motivation 82, ceux mis en avant concernent le sens que l’étudiant peut donner aux activités qu’on lui propose : valeur de la tâche, compétences à développer dans l’exercice de cette même tâche, contrôle qu’il peut avoir sur le déroulement de l’activité. Il s’agit aussi de contextualiser les apprentissages, c’est-à-dire de les rendre davantage proches des réalités de la vie quotidienne et professionnelle. En ce qui concerne la classe inversée, il s’agit d’expliquer le pourquoi des activités proposées, leur sens (signification et direction), les compétences à exercer, leur intérêt, leur utilité et l’investissement nécessaire pour atteindre les buts assignés. Il faut aussi montrer à la fois les degrés de liberté dans la réalisation de la tâche et les consignes. Voici quelques exemples de telles sources de motivation qui complètent notre liste précédente : - souligner les connaissances et les compétences antérieures ; - préciser les objectifs (contenus et méthodes) ; - souligner les connaissances et les compétences à atteindre ; - décrire le contexte ; - préciser les consignes, l’agenda ; - montrer l’intérêt et la valeur de la tâche ; - préciser les éléments contrôlables de l’activité ; - énoncer les éléments de soutien, d’interaction. – Activer : un apprentissage de qualité ne se bâtit pas au départ sur un simple transfert de la matière enseignée, mais sur la construction personnelle que l’apprenant va entreprendre. Même si cela fait mal aux technologues, on n’apprend pas en ligne ; on apprend « en soi ». La majeure partie de cette activité échappe donc quelque part à l’outil technologique et fait partie du dispositif que l’enseignant met en place. Il lui revient de choisir de faire travailler les étudiants en groupe, de les faire travailler sur un problème, de les engager dans un projet personnel ou collectif ou, principe de variété oblige, de leur « donner cours » à l’ancienne, même au travers des nouveaux médias. Les activités des classes inversées sont plurielles et reposent sur des méthodes visant l’apprentissage actif (une tautologie certes) en présence, mais aussi à distance : apprentissage par problèmes ou situationsproblèmes, étude de cas, recherche documentaire,
82 R. Viau, La Motivation en contexte scolaire, Bruxelles, De Boeck Université, 1994.
LES CLASSES INVERSÉES, DES DISPOSITIFS RÉELLEMENT PÉDAGOGIQUES
apprentissage collaboratif ou par projet, présentation de thématiques, jeux sérieux, préparation d’activités, etc., la liste est longue. Si l’activité est centrale, la réflexion sur l’activité entreprise ou à entreprendre l’est tout autant : c’est en réfléchissant (en soi-même ou au travers des réactions d’autrui) sur sa façon d’apprendre que l’on devient un meilleur apprenant et que l’on construit des bases solides pour l’apprentissage tout au long de la vie. Quelques exemples concrets bien utiles pour rendre les classes inversées effectives : - scénariser les activités, les étapes ; - utiliser les informations pour les traiter ; - fournir des outils de « malaxage » des informations ; - proposer aussi des activités hors plateforme ; - travailler la cohérence des activités ; - prévoir des activités de reconnaissance des acquis ; - alterner applications, exercices, problèmes, cas ; - donner des objectifs de production ; - faire jouer l’apprentissage collaboratif. – Interagir : un apprentissage collaboratif suppose un travail en groupe, mais tout travail en groupe ne signifie pas nécessairement apprentissage collaboratif. Une tâche collaborative nécessite d’être formulée de telle manière qu’un étudiant seul ne puisse pas la résoudre, c’est-à-dire qu’elle contraigne à une réelle collaboration entre les membres du groupe. En quelque sorte, il faut qu’il y ait « dépendance » des étudiants les uns par rapport aux autres. De plus, l’enseignant doit explicitement demander et favoriser une coopération entre eux. De manière plus générale, on parle de collaboration lorsqu’il y a une « interdépendance positive des buts » (on réalisera ses objectifs si les autres réalisent les leurs également) ; de compétition lorsqu’il y a « interdépendance négative des buts » (on réalisera ses objectifs si les autres ne les réalisent pas) ; et de travail individuel s’il n’y a pas d’interdépendance. Que ce soit en présence ou à distance, les classes inversées s’appuient bien souvent sur des travaux de groupes qui peuvent (nous insistons sur ce potentiel) être le creuset du développement de la compétence à travailler en équipe. Mais « travailler en équipe » nécessite différentes formes de savoirs… Avez-vous vu tous ces livres qui portent sur « Comment bien travailler en équipe » ou encore « Comment conduire un projet » ou encore « Comment développer l’innovation dans mon entreprise » ? Il existerait donc des « savoirs sur les compétences », ces dernières utilisant elles-mêmes des
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savoirs d’un autre ordre à mettre en action pour construire de nouveaux savoirs ou de nouvelles compétences. Voici à nouveau quelques éléments concrets à ne pas oublier : - choisir les tâches adéquates ; - renforcer l’interdépendance ; - favoriser l’émergence de points de vue différents ; - donner des occasions d’exercer l’esprit critique ; - prévoir les feed-back aux étudiants ; - réfléchir aux différentes formes d’accompagnement ; - équilibrer les éléments personnels et collectifs ; - balancer flexibilité et contrainte ; - profiter du passage par l’écrit ; - favoriser la pensée divergente et la synthèse. – Produire : l’ordinateur est avant tout un outil de production. Outil pour enseigner, pour apprendre, il est aussi un instrument qui permet à l’apprenant de construire les traces d’un apprentissage qui a eu lieu. L’apprenti du Moyen Âge construisait déjà son chef-d’œuvre, l’objet qui prouvait son savoirfaire. Aujourd’hui, dans l’apprentissage en ligne, les étudiants sont motivés par le fait de « faire œuvre dans un espace public ». De nombreuses expériences de classes inversées échouent faute de tâches, processus et produits à réaliser comme signes des activités ou des apprentissages (même partiels) effectués. Il est très différent de dire : « Regardez la vidéo suivante pour le prochain cours, je répondrai à vos questions » ou « regardez la vidéo suivante et analysez ce texte contradictoire ; au cours suivant, tel groupe présentera les arguments et un autre les contre-arguments proposés par les auteurs respectifs », ou encore « préparez, pour le prochain cours, une présentation du principe du rasoir d’Ockam en l’illustrant d’exemples que vous rechercherez ». Voici à nouveau quelques idées : - produire des connaissances nouvelles ; - produire un objet, un travail, un « signe » ; - favoriser la présentation, la communication, le partage ; - confronter l’œuvre aux critères ; - donner des outils de reconnaissance des connaissances et des compétences acquises ; - soulever les nouvelles questions ; - lancer un nouvel apprentissage. Ce modèle d’apprentissage fondé par la pédagogie et outillé par les apports des technologies n’est en fait qu’une ossature creuse. Il sera alimenté par les expériences, les problèmes, les besoins des différents acteurs qui peuplent le dispositif pédagogique.
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À la conjonction de différents courants (béha viorisme, constructivisme, socioconstructivisme, connectivisme) qui sous-tendent la venue récente des classes inversées comme dans un processus de lent mûrissement, les classes inversées nécessitent une boussole pour, à la fois, se laisser guider et explorer de nouveaux chemins. La cohérence pédagogique nous y aide en permettant de conserver le cap entre les objectifs déclarés, les méthodes et les évaluations. Outre ces trois piliers, un quatrième apparaît, celui des outils numériques qui déterminent de plus en plus le fonctionnement de la société à laquelle l’école prépare. Au cœur de la scénarisation des méthodes censées contribuer à l’apprentissage en donnant à l’apprenant des occasions d’apprendre, un modèle pragmatique d’apprentissage est utile, fondé sur cinq facteurs (informer, motiver, activer, interagir et produire). C’est ainsi que, à la fois du général au particulier (l’enseignement) et du simple au complexe (la variété des apprenants), on construit progressivement SA classe inversée.
CONCRÈTEMENT, LESCLASSES INVERSÉES, ÇAMARCHE COMMENT?
LESCLASSESINVERSÉES, UNDISPOSITIFHYBRIDE
Ce point permettra de révéler certains éléments d’attention lorsque l’on souhaite monter un dispositif de classe inversée. Il y sera en particulier question de la nécessité incontournable de scénariser préalablement les activités en prévoyant les différents éléments de ressources, de guidance, d’accompagnement nécessaires : le voyage ne s’improvise pas. En fait, les classes inversées font partie d’une catégorie de dispositifs de formation que nous avons déjà appelée plus haut dispositif hybride. Pour rappel, les dispositifs hybrides sont supportés par une plateforme technologique (un rassemblement d’outils), et leur caractère hybride provient d’une modification de leurs constituants (ressources, stratégies, méthodes, acteurs et finalités) par une recombinaison des temps et des lieux d’enseignement et d’apprentissage : il s’agit donc bien d’un continuum dont une dimension est liée au rapport présence/distance et une autre au rapport entre enseigner et apprendre. La recherche récente Hy-sup 83, qui conduit en particulier à une proposition d’une typologie des dispositifs hybrides et à une étude de leurs effets sur l’apprentissage des étudiants, sur le développement professionnel des enseignants et sur les conditions et effets au niveau institutionnel, peut ainsi nous éclairer sur les différentes composantes des classes inversées. La toute première étape de la recherche a été consacrée à l’élaboration d’un cadre de référence
83 Le projet européen Hy-sup (DG. Éducation et Culture) a été coordonné par l’université Claude-Bernard Lyon 1 (E. Bettler) et l’université de Genève (N. Deschryver). Ce projet associe des chercheurs et enseignants des universités de Fribourg (S. Borruat, B. Charlier, A. Rossier), de Genève (N. Deschryver, C. Peltier, D. Peraya, A. Ronchi et E. Villiot-Leclercq), de Louvainla-Neuve (F. Docq, M. Lebrun et C. Letor), de Lyon (C. Batier, C.Douzet), de Luxembourg (R. Burton et G. Mancuso) et de Rennes 2 (G. Lameul, C. Morin). Nous reprenons de larges extraits du rapport de cette recherche disponible en ligne : http://eacea.ec.europa.eu/ llp/project_reports/documents/erasmus/multilateral_ actions_2009/eras_emhe_503228.pdf .
permettant de caractériser les dispositifs hybrides de formation84.
UNE TYPOLOGIE EN CINQ DIMENSIONS Ce cadre de référence s’appuie en grande partie sur les travaux de Bernadette Charlier, Nathalie Deschryver et Daniel Peraya 85. Il propose cinq dimensions principales pour la description de ces dispositifs : – la mise à distance et les modalités d’articulation des phases présentielles et distantes (1) ; – l’accompagnement humain (2) ; – les formes particulières de médiatisation (3) ; – et de médiation (4) liées à l’utilisation d’un environnement technopédagogique ; – le degré d’ouverture du dispositif (5). Nous reprenons ci-dessous un extrait de la première publication collective présentant ce cadre 86. « L’articulation entre les moments présentiels et à distance est caractérisée par le temps accordé à l’un et l’autre mode, à leur répartition, ainsi qu’au type d’activités prévues et scénarisées par l’enseignant dans chacune des phases : des activités de prise ou de traitement d’information, chacune prenant plus ou moins d’importance en fonction de l’approche pédagogique adoptée (transmissive, individualiste
84 N. Deschryver, G. Lameul, D. Peraya, « Quel cadre de référence pour l’évaluation des dispositifs de formation hybrides ? », 23 e colloque de l’Admée-Europe, « Évaluation et enseignement supérieur », université Paris-Descartes, 12-14 janvier 2011. 85 B. Charlier, N. Deschryver, D. Peraya, « Apprendre en présence et à distance : une définition des dispositifs hybrides », Distances et Savoirs, vol. 4 (4), 2006, p. 469-496. 86 R. Burton et al., « Vers une typologie des dispositifs hybrides de formation en enseignement supérieur », Distance et savoirs, vol. 1 (9), 2011.
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ou encore collaborative 87). Chacune de ces approches se caractérise par certaines options des formateurs et concepteurs d’un dispositif concernant : le statut accordé aux connaissances, la représentation de l’apprentissage, la représentation du but de l’éducation, les choix laissés aux apprenants, la structure du cours, les critères mobilisés pour évaluer l’efficacité des apprentissages, le rôle accordé aux apprenants et le rôle du tuteur. En particulier, le statut accordé aux connaissances et aux rôles des apprenants dans leur construction paraît particulièrement déterminant. Ainsi, selon que leurs postures professionnelles 88 privilégient la transmission du savoir, sa construction dans une alternance théorie-pratique, le processus cognitif, le développement personnel ou la transformation de la société, leurs options en matière de conception des scénarios pédagogiques et d’animation des dispositifs vont probablement varier.
La notion d’accompagnement se réfère aux travaux sur le support à l’apprentissage, et plus particulièrement à l’accompagnement humain. Trois composantes de l’accompagnement des étudiants se retrouvent fréquemment dans la littérature sur le tutorat en formation à distance, et participent à la qualité de l’expérience d’apprentissage des étudiants : les composantes cognitive, affective et métacognitive. Nous avons donc choisi de nous fonder sur ces trois dimensions pour caractériser l’accompagnement : – dans sa dimension cognitive, celui-ci concerne les modalités d’accompagnement destinées à soutenir la construction de connaissances (soutien au traitement de l’information et à la réalisation des activités y compris la méthodologie) ; – l’accompagnement affectif intègre les modalités de soutien à l’engagement de l’apprenant. Il comprend la présence sociale, qui sousentend deux dimensions : le degré d’intimité
87 J. Bonamy, B. Charlier, M. Saunders, « Apprivoiser l’innovation », dans B. Charlier, D. Peraya (éds.), Technologie et innovation en pédagogie : dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2002, p. 43-64. 88 G. Lameul, « Les effets de l’usage des technologies d’information et de communication en formation d’enseignants sur la construction des postures professionnelles », Savoirs, n° 17, 2008, p. 73-94.
(« comment me sens-je proche de ceux avec qui j’apprends ? ») et le degré de réactivité (« est-ce que je reçois un feed-back suffisamment rapide suite à mes interventions ? ») ; – enfin, l’accompagnement métacognitif vise la construction de connaissances par une démarche réflexive sur ses propres processus cognitifs.
L’environnement technopédagogique constitue un des éléments essentiels du dispositif hybride de formation. Il repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation89. La médiatisation relève de l’ingénierie de la formation et du design pédagogique. Elle concerne les processus de conception, de production et de mise en œuvre des dispositifs, processus dans lequel le choix des médias les plus adaptés ainsi que la scénarisation occupent une place importante90. Les environnements technopédagogiques permettent la médiatisation des contenus d’apprentissage et de ressources ainsi que des fonctions génériques du dispositif de formation 91. Celles-ci regroupent les activités menées par les acteurs mettant en œuvre des objets d’apprentissage (notamment des ressources 92) et s’appuyant sur des « services 93 », le plus souvent désignés comme des outils. La médiation se définit comme le processus de transformation que produit, sur les comportements humains (par exemple cognitifs ou relationnels), le dispositif technique, l’« instrument » (un artefact technique et ses schèmes sociaux d’utilisation), à travers lequel le sujet interagit avec le monde, avec des « objets », d’autres sujets ou encore avec
89 J.-P. Meunier et D. Peraya, Introduction aux théories de la communication, Bruxelles, De Boeck, (1993) 2004 (2 e édition revue et augmentée). 90 D. Peraya, « Des médias éducatifs aux environnements numériques de travail : médiatisation et médiation », dans V. Liquète (dir.), Médiations, Paris, Hermès, 2010. 91 G. Paquette, voir bibliographie p. 120. 92 D. Merrill, voir bibliographie p. 120. 93 P. Gauthier, « Taxonomies des outils TICE par fonctions technico-pédagogiques », 2004. [En ligne] Disponible sur : http://tecfalabs.unige.ch/mitic/system/files/creative_ fonctions_technicopedagogiques.pdf
CONCRÈTEMENT, LES CLASSES INVERSÉES, ÇA MARCHE COMMENT �
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lui-même 94. Autrement dit, le dispositif technopédagogique, par sa position d’intermédiation, modifie le rapport du sujet au savoir, à l’action, aux autres, etc., mais il contribue aussi à transformer le savoir, l’action ainsi que la relation. L’analyse des différentes formes de médiation relève donc de l’analyse des effets. Notons que cette analyse doit tenir compte des effets escomptés, des médiations prévues par le concepteur autant que celles réellement actualisées dans l’appropriation et l’usage de l’environnement technopédagogique par les différents acteurs.
situations d’apprentissage96. L’auteur identifie trois modalités selon lesquelles ce degré de liberté peut se construire : – l’apprenant planifie lui-même ses apprentissages ; – le dispositif détermine entièrement les situations d’apprentissage ; – les situations d’apprentissage du dispositif sont structurées conjointement par l’apprenant et par l’enseignant. Plus le degré d’ouverture du dispositif est élevé, plus les étudiants auront tendance à s’impliquer dans leurs apprentissages. »
L’articulation de deux cadres convergents (sémiopragmatique de la communication médiatisée d’une part, ergonomie cognitive de l’activité humaine instrumentée, d’autre part) permet d’identifier les formes suivantes de médiation : – sémiocognitive (correspond à la médiation épistémique chez Rabardel et Samurçay qui renvoie à la construction de connaissances et de sens) ; – sensorimotrice (porte sur les comportements gestuels et moteurs induits par l’instrument) ; – praxéologique (porte sur les conditions de réalisation de l’action) ; – relationnelle (porte sur la relation entre les sujets) ; – réflexive (porte sur le sujet lui-même et implique donc une dimension « méta » fondamentale pour les processus d’apprentissage).
Les recherches fondées sur ce cadre conceptuel ont conduit à dégager quatorze composantes qui sont utiles pour identifier des éléments concrets pour l’élaboration de classes inversées à valeur ajoutée pour l’apprentissage.
Enfin, la cinquième dimension concerne le degré d’ouverture du dispositif 95, c’est-à-dire le degré de liberté de l’apprenant face aux
94 P. Rabardel, R. Samurçay, “From Artifact to InstrumentMediated Learning”, Symposium on New challenges to research on Learning, Helsinki, 2001. 95 Il faut insister sur le fait que l’auteure lie la notion d’ouverture à celle de flexibilité du dispositif. Cette flexibilité est entendue au sens de « la souplesse de sa structure [celle du dispositif] organisationnelle et pédagogique. Cette flexibilité permet à l’apprenant de se former en tout ou en partie par lui-même, tout en disposant de marges d’autonomie dans ses apprentissages » (A. Jézégou, « Formations ouvertes et autodirection : pour une articulation entre libertés de choix et engagement cognitif de l’apprenant », Éducation permanente, vol. 152 (3), 2002, p. 43-53, p. 45.
CINQ DIMENSIONS E T QUATORZE COMPOSANTES POUR LES CLASSES INVERSÉES À partir des cinq dimensions, nous avons généré toute une série d’items (120) portant sur des éléments concrets et représentatifs. Au départ des réponses données par 174 répondants qui se prononçaient sur les caractéristiques d’un dispositif hybride qu’ils avaient mis en place, quatorze composantes permettant de les distinguer ont été identifiées (voir le tableau ci-après). La formulation de ces composantes permet de catégoriser, de dresser une typologie des dispositifs hybrides en contrastant certaines de leurs caractéristiques. Ainsi, dans l’articulation entre présence et distance, le fait de proposer des activités en groupe (ou pas) permet de mieux distinguer les différents types de dispositifs. Néanmoins, le point d’attention particulier, pour construire une classe inversée, réside dans le fait de proposer des activités à distance et/ou en présence, qu’elles soient en groupe ou individuelles.
96 A. Jézégou, « Apprentissage autodirigé et formation à distance », Distances et savoirs, vol. 63 (3), 2008, p. 343-364.
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l es q u a t o r z e c o m p o s a n t e s d u d i s p o s i t i fh y b r i d e ARTICULATION PRÉSENCE/DISTANCE Conernant l’artiulation préene/ditane Composante 1
Vous proposez des activités {de groupe} lors des phases d’enseignement en présence (dans la salle de cours).
Composante 2 Vous proposez des activités {de groupe} lors des phases d’enseignement à distance (en dehors des salles de cours). MÉDIATISATION Conernant le uage de outil et de la plateforme Composante 3 Vous proposez aux étudiants un ou plusieurs outils de soutien à l’apprentissage (espaces ou moyens pour travailler, pour réfléchir à leur manière d’apprendre, ou pour construire leur identité numérique). Composante 4 Vous proposez aux étudiants un ou plusieurs outils de communication, d’organisation et de collaboration (calendrier, échéancier, forum, etc.). Composante 5 Dans les ressources numériques que vous proposez, vous intégrez des images, photos, schémas, cartes, vidéos, etc. Composante 6 Dans leurs travaux, les étudiants intègrent des images, photos, schémas, cartes, vidéos, etc. Composante 7
Vous utilisez [ou proposez] des outils de communication et de collaboration synchrones (chat, visioconférence, partage de documents et d’écran, etc.).
Composante 8 Les étudiants peuvent commenter/ modifier les ressources/documents mis à leur disposition et/ou les travaux de leurs pairs. MÉDIATION Conernant le objetif pédagogique Composante 9 Votre cours vise des objectifs d’apprentissage de type communiquer, collaborer, mieux se connaître. ACCOMPAGNEMENT Conernant l’aompagnement que vou propoez aux étudiant Composante 10 Vous stimulez l’entraide et le soutien des étudiants entre eux (répondre aux questions des autres, fournir des ressources d’apprentissage aux autres, etc.). Composante 11 Vous sollicitez une réflexion des étudiants sur leur savoir et leur processus d’apprentissage. Composante 12
Les étudiants fournissent des ressources à leurs pairs et/ou répondent aux questions de leurs pairs.
OUVERTURE Conernant l’ouverture du our Composante 13 Votre cours laisse aux étudiants des possibilités de choix au niveau des activités d’apprentissages, des médias et outils à utiliser, des méthodes, etc. Composante 14 Vous faites intervenir dans votre cours des experts extérieurs à l’université [des acteurs issus de la « société »] ou des ressources extérieures au monde académique.
Ces points de contraste sont entre accolades ; les mentions entre crochets représentent d’autres composantes, dont certaines ont été adaptées à la formation « en général » (prenant en compte le fait que la recherche Hy-sup a été conduite en enseignement supérieur). La numérotation des composantes (1 à 14) n’induit pas de hiérarchie. Les composantes sous-tendent des dispositifs variés portant sur des « façons de faire » différentes en fonction des objectifs, des tâches exercées par les étudiants, des productions attendues, des critères d’évaluation annoncés. La recherche Hy-sup, dont il est question ici, a bien montré le continuum de dispositifs sous-tendus par ces composantes. La figure ci-contre présente deux exemples assez caractéristiques dans ce continuum. Il s’agit de : (1) un dispositif que nous avons appelé « L’écran » (type 2), un dispositif centré sur l’enseignement et orienté contenus, caractérisé par la médiatisation de ressources multimédias et un autre (2) « L’équipage » (type 4), un dispositif centré sur l’apprentissage, caractérisé par le soutien au processus de construction des connaissances et sur les interactions interpersonnelles97. En utilisant ces diverses composantes comme des éléments constitutifs d’une classe inversée (vue comme une instance générique de dispositifs hybrides), nous pouvons dès à présent nous tourner vers les outils numériques qui permettent aux étudiants et aux enseignants d’agir et d’interagir dans
97 Nous invitons le lecteur intéressé par la recherche Hy-sup sur les dispositifs hybrides et leurs effets à consulter le numéro spécial de la revue en ligne Éducation & Formation : « Les dispositifs hybrides dans l’enseignement supérieur : questions théoriques, méthodologiques et pratiques », n° e-301, mai 2014. [En ligne] Disponible sur : http://ute3.umh.ac.be/revues/index. php?revue=19&page=3
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le dispositif au travers du dispositif et sur le dispositif lui-même. TYPE 2 (N=49) Comp1 100,0% Comp14
Comp2
90,0% 80,0% 70,0%
Comp13
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60,0% 50,0% 40,0% 30,0%
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TYPE 4 (N=24) Comp1 100,0% Comp14
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90,0% 80,0% 70,0%
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60,0% 50,0% 40,0% 30,0%
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Comp11
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DIAGRAMME RADAR DE DEUX DISPOSITIFS HYBRIDES PARTICULIERS SOUS�TENDUS PAR LES QUATORZE COMPOSANTES PRÉSENTÉES
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LESCLASSESINVERSÉES, POURAPPRENDRE ÀDISTANCE
APPRENDRE À DIS TANCE AVEC DES RESSOURCES Dans leur version initiale, les classes inversées reposent en grande partie sur des ressources disponibles sur Internet. On y rencontre le plus souvent des documents ou plus spécifiquement des vidéos portant sur certains points de matière (des connaissances déclaratives, le « quoi apprendre ? »), d’autres parfois portant sur des procédures (considérées ici comme des connaissances procédurales à actionner sur les contenus ou portant sur l’apprentissage luimême, le « comment apprendre ? ») ou encore, et c’est malheureusement plus rare, sur les critères ou les signes de l’apprentissage qui s’est déroulé. Ils correspondent à ce qu’il convient d’apprendre et de comprendre, à la procédure prévue par le concepteur pour guider l’apprentissage et finalement à la reconnaissance par l’apprenant de ce qu’il a appris. On voit que les ressources au sens large comportent les contenus d’information, les activités pour s’approprier ces derniers et les signes à produire pour constater l’effectivité de l’apprentissage : informations, activités et productions ne sont pas loin. La production de ces ressources est chronophage et énergivore, mais il est important de rappeler que l’enseignant n’a nul besoin de tout produire par luimême, l’ère numérique étant fertile en documents de tout genre, de tout niveau, de toute discipline. Si la classe inversée porte en elle le souci d’ouvrir les murs de la classe à la société, il est utile d’examiner d’abord si la ressource recherchée n’existe pas déjà quelque part : (un extrait d’un journal télévisé, une vidéo YouTube sur le fonctionnement d’une centrale nucléaire, la résolution d’une l’équation du premier degré sur la Khan Academy, les résultats d’une enquête effectuée par un quotidien, etc.) sont autant de portes d’entrée ou de sources pour un travail contextualisé ou théorisant sur les savoirs médiatisés. Et pour cela, un moteur de recherche peut faire l’affaire… Mais, en bon apprenant numérique, vous jetterez un coup d’œil sur les « usages avancés »
proposés par Google. L’enseignant se trouvera grandement assisté, lorsque l’heure sera venue de trouver ou de retrouver la ressource manquante (qu’il avait pourtant rencontrée dans une expérience de sérendipité 98) par la constitution progressive d’une base de données de ressources élaborée au fur et à mesure. Il devient dès lors curateur de l’Internet en organisant des sources diverses, trouvées manuellement ou automatiquement, au sein d’un dossier présenté comme un microblog (des billets qui commentent et présentent le document trouvé), tel le service Web Scoop.it ou comme un arbre à perles tel un autre service accessible sur Internet, Pearltrees. Les deux considérations ci-dessus concernent principalement le niveau 1 des classes inversées : l’enseignant communique des savoirs par le truchement de médias numériques. Mais on peut aussi considérer que ce soit l’élève lui-même qui prépare les ressources pour un autre groupe d’apprenant, pour l’ensemble de sa classe, un média qui sera lui-même utilisé en classe ou à distance en le partageant sur une plateforme. Nous sommes ainsi entrés dans le niveau 2. Dans le cas où l’enseignant souhaite produire une ressource bien particulière ou doter les apprenants d’outils leur permettant de construire de telles productions, les possibilités sont nombreuses : – les outils de présentation (type PowerPoint ou Keynote) sont dotés de fonctionnalités permettant d’y ajouter une voix, des commentaires ou des explications99 ; – sur une tablette graphique (grâce à un logiciel comme Explain Everything TM), on pourra écrire avec
98 C’est-à-dire trouver quelque chose de « génial » au moment où on ne le cherche pas vraiment et ne pas le trouver ou ne plus le retrouver quand on le cherche. 99 On trouve en effet dans PowerPoint (sous le menu Diaporama) une fonction « Enregistrer la narration » qui permet cela et une autre qui permet d’enregistrer le tout (la vidéo constituée de vos diapositives et le son) au format vidéo. Sur Keynote (Mac) de telles fonctions sont aussi déjà présentes : sous le menu Lecture, la fonction « Capturer le diaporama » permet un tel enregistrement.
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un stylet, enregistrer ses commentaires ou explications et ficeler l’ensemble dans une vidéo à publier en ligne ; en ce qui concerne la capture d’écran, des outils (tels Camstudio ou Jing sur PC, Snapz Pro sur Mac) permettent désormais d’enregistrer dynamiquement une vidéo de ce qui se passe sur son écran d’ordinateur, des manipulations que l’on y effectue, ainsi que des commentaires audio. Une façon de réaliser de petites capsules vidéo, des screencasts, qui seront autant de modes d’emploi ; les logiciels de montage (type Camtasia pour PC ou Screenflow pour Mac) permettent de mixer un enregistrement fait via une webcam ou une caméra connectée avec une capture vidéo dynamique de ce qui se déroule sur l’écran d’ordinateur. Ils enregistrent simultanément les deux images et leur donnent une importance relative en fonction du déroulé de l’information ; dans le cadre de la création de vidéos éducatives, des sites (comme icole.fr) proposent aujourd’hui de créer une vidéo multimédia (sur la base d’un enregistrement vidéo et d’un PowerPoint, par exemple) directement sur le Web et de l’y enregistrer pour une diffusion ultérieure ; d’autres logiciels (Windows Movie Maker ou Adobe Premiere sur PC ou iMovie sur Mac), parfois plus difficiles à maîtriser, permettent la postproduction de ces vidéos, au départ des images fixes constituées par les diapositives d’une présentation ; des images mobiles enregistrées par un Smartphone, une tablette ou une caméra digitale ; d’une bande audio constituée de commentaires. Il est possible d’agréger ces différents éléments, d’y ajouter des titres, des transitions.
Il est rare d’avoir été formé à ces outils, ces logiciels, et nous pensons que, de plus en plus, nous allons devoir apprendre à apprendre par nous-mêmes, à l’instar des classes inversées qui ont vocation à conduire les apprenants à se former par eux-mêmes, à trouver l’information qui leur convient dans le fond et la forme. Aussi, les modes d’emploi de ces fameux logiciels fleurissent sur Internet, souvent sous la forme de vidéos. Mais quelles en sont les caractéristiques 100 ?
100 Inspiré des éléments de la théorie de l’apprentissage multimédia de Mayer (R. Mayer, Multimedia Learning, New York, Cambridge University Press, 2009, 2 nd ed.) qui s’appuie sur différents éléments des sciences cognitives. Voir par exemple : www.formavox.com/ principes-pedagogiques-environnements-apprentissagemultimedia.
– Elles sont courtes (généralement entre 5 et 10 minutes). – Si elles sont plus longues, il est intéressant de les segmenter et d’organiser les morceaux au sein d’un document structurant plus large (comme une page web). – Elles sont structurées par différents titres ou soustitres qui scandent le discours. – Elles sont dépouillées, éloignées des artifices qui constituent souvent des distracteurs. – Les messages importants sont signalés (mis en évidence) soit par la narration soit, encore mieux, dans l’image. – Elles sont bâties sur une cohérence, une articulation constructive entre l’image et le son. – Elles évitent l’apparition trop fréquente de textes (en tout cas s’ils sont trop longs), ce qui peut poser un problème dans le cadre d’une diapo sonorisée. Rappelons que ces podcasts permettent à la fois de transmettre des contenus (des savoirs), les moyens ou procédures pour se les approprier (une vidéo de l’enseignant expliquant le dispositif dans lequel s’insèrent les vidéos) et aussi l’explication des moyens mis à disposition pour valider son apprentissage.
MÉDIATISER LE DISPOSI TIF, ORGANISER LES ACTIVITÉS À DISTANCE Si les ressources (documents, vidéos…), véhicules de contenus déclaratifs ou procéduraux, sont importantes, les technologies permettent tout autant de transporter le dispositif à distance. Il est important, pour le soutien et le suivi de l’apprentissage (dont une partie se fait, s’initie ou se renforce, à distance dans le contexte des classes inversées), que ce dispositif (ressources, acteurs, stratégies, méthodes…) se prolonge hors les murs de la classe, hors le contact direct de l’enseignant. Ce dernier aura en effet besoin de : – mettre à disposition des ressources (documents ou liens), que ce soit des contenus à étudier avant l’activité en classe, d’autres utilisés comme ingrédients à une présentation à réaliser par les élèves (une interview, un article de presse, une vidéo spécifiquement éducative) ou encore un protocole méthodologique pour concevoir une activité ou une production ; – communiquer aux élèves (à tous, à certains ou encore à un groupe) des informations
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complémentaires ou un rappel des échéances, des balises relatives à une activité distante donnée ; proposer proposer aux élèves un parcours parcours d’apprentissage d’apprentissage faisant appel aux ressources dont nous avons parlé, mais aussi leur proposant différents types d’exercices pour s’évaluer ou encore des productions indiindi viduelles ou collectives pour mettre « en action » les connaissances découvertes découvertes ; donner aux élèves des outils de communication synchrone ou asynchrone afin de leur permettre d’échanger sur les savoirs, sur les processus ou sur les produits en cours de construction ; interagir avec avec certains élèves élèves ou groupes groupes pour ajuster les processus dont l’enseignant devra pouvoir assurer le suivi au travers des activités entreprises ; disposer d’espaces d’espaces partagés dans lesquels les élèves élèves pourront déposer et publier leurs productions, productio ns, leurs travaux, leurs œuvres.
Les outils relatifs à cet ensemble de tâches sont généralement réunis sur une plateforme d’enseignement et d’apprentissage, un LMS ou Learning Management System . Il en existe plusieurs (Moodle, Dokeos, Claroline, entre autres), généralement distribuées gratuitement ou en open source (les plus avertis pourront accéder au code informatique du logiciel pour le modifier, voire le développer en fonction de leurs besoins ou de leurs contextes). Les plateformes nécessitent (le plus souvent) un serveur installé dans l’école, l’institution, le réseau d’établissements. Elles semblent encore exclusivement gérées par l’enseignant (ce qui en fait des TMS, teaching management system, au lieu de LMS) et offrent peu de place proactive à l’étudiant. Peut-il créer lui-même son espace d’activités (qui devient ainsi un PLE, personal learning environment, ou EAP, environnement d’apprentissage personnel) en y intégrant par exemple les ressources provenant de plusieurs « cours » différents ? Peut-il inviter d’autres personnes dans son réseau ? Peut-il gérer son apprentissage dans une relation entre luimême et les contextes dont l’école ou la classe font partie ? De même, pour l’enseignant : peut-il facilement partager son espace d’activités (son cours) avec d’autres enseignants ? Peut-il abstraire le dispositif qu’il a construit de manière à le rendre disponible pour d’autres enseignants ? Les plateformes actuelles sont le plus souvent à l’image de l’école, de la classe, du cours traditionnel : un espace clos et cloisonné peu adapté à l’image connectiviste que nous avons adoptée pour la classe de demain. Le projet Claroline Connect déjà cité ambitionne de transformer la vision somme toute classique des plateformes actuelles.
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Outre les plateformes, une panoplie d’outils s’est développée sous la bannière du Web 2.0. Le Web 101 a déjà accompli la révolution (l’inversion) dont nous avons parlé. Il ne s’agit plus, comme dans le Web 1.0, de quelques personnes dûment qualifiées qui déversent, à l’intention d’un public large, des informations sur cette Toile (dans notre image, l’enseignant), mais plutôt d’une alimentation de la Toile par les utilisateurs eux-mêmes avec une diffusion encore plus large et, on l’espère, régulée par la communauté elle-même (les apprenants, nous toutes et tous). Ces outils peuvent aussi être interfacés avec les plateformes dont nous avons parlé. Une caractéristique intéressante des plateformes du futur serait leur potentiel d’intégration et d’interaction fonctionnelle avec ces outils du Web 2.0. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous mentionnons parmi les outils du Web 2.0 (dorénavant aux mains des enseignants, mais aussi des étudiants) : – des outils pour archiver, archiver, organiser les documents documents du Web. La plupart des navigateurs comme Firefox, Chrome ou encore Safari permettent de sauvegarder les pages trouvées suite à une recherche ou découvertes découvertes incidemment sous la forme de signets (bookmarks). Ils conservent l’adresse de la page (son URL) dans le navigateur. Ces adresses sont bien souvent sybillines (comment distinguer un « http:// » d’un autre ?) et localisées dans l’ordinateur personnel de l’utilisateur. Il est plus intéressant de les sauvegarder dans un serveur externe (le cloud) de manière à pouvoir les retrouver de n’importe où (un autre ordinateur, un Smartphone) et aussi de pouvoir les documenter par un titre, un extrait de la page concernée, une note, une image représentative. Les références ainsi sauvegardées peuvent être organisées et partagées. On peut aussi inviter d’autres personnes à collaborer à cette bibliographie collective. On en arrive ainsi au social bookmarking . Des outils comme Delicious ou Diigo permettent cet archivage de références web, que ce soit en sauvegardant l’adresse de la page en question, ou encore
101 Le Web, Web, abréviation du World Wide Web, littéralement littéraleme nt « la toile (d’araignée) mondiale », est à la fois un réseau de contenus – un système d’hypertextes d’hypertextes interreliés – et par extension un réseau de personnes – les réseaux sociaux – porté par l’infrastructure Internet. Il est intéressant de noter que le Web a été inventé par Tim Berners-Lee et Robert Cailleau au CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire), un haut lieu de la construction des savoirs de l’infiniment petit à l’infiniment grand, des particules élémentaires au Cosmos.
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en y adjoignant un extrait par une sorte de surlignage virtuel. Le logiciel de prise de notes Evernote permet, lui, de sauvegarder ses trouvailles dans un calepin numérique et de les communiquer par courrier électronique ; – des outils pour concevoir concevoir ou créer de nouveaux nouveaux contenus sous différentes formes (comme Google Docs, Framapad, Mindomo, XMind ou CmapTools) : des textes, des vidéos, des animations, des schémas, des cartes conceptuelles. Héritiers des wiki, ils permettent l’édition collaborative de documents et leur diffusion. Le curateur d’informations trouvera aussi des outils qui lui permettront d’inviter des collaborateurs pour construire cette documentation (Scoop.it ou Pearltrees, déjà mentionnés) ; – des outils et fonctionnalités fonctionnalités qui qui permettent permettent de collaborer et de communiquer et dont nous entrevoyons déjà de ce qui précède les potentiels. Ce n’est pas pour rien que les TIC sont les technologies de l’information et de la communication. Il est même parfois difficile de séparer ces deux fonctions tant elles sont imbriquées dans les outils du Web 2.0. Les réseaux sociaux, comme Facebook ou Twitter, entrent bien évidemment dans cette catégorie. Ils sont très ouverts, même si on peut les paramétrer, choisir ses amis ou ses followers . L’information se disperse très vite, mêlant les éléments de la formation avec d’autres événements inattendus ou non souhaitables, mais aussi des publicités invasives. Elle est perdue dans un flux d’informations spécifiques et personnelles (on parle parfois d’arme de distraction massive).
partagent leurs expériences sur le Web, sur leurs blogs, sur les forums 102 ; – d’examiner quelques quelques modes d’emploi (ceux proposés par la société en question ou ceux fabriqués par les utilisateurs) ; – si le service est prévu prévu sur le Web Web (et n’est donc pas une application à télécharger), de s’inscrire ( sign up), avec une adresse spécifique pour de tels usages ; – d’expérimenter l’outil en créant créant éventuellement éventuellement des des utilisateurs factices ou en demandant à des collègues de participer à l’essai ; – de concevoir concevoir ensuite une petite activité (expéri(expérimentale) en classe pour faire participer les élèves avertis ; – de parler de cette expérience, demander des avis, des conseils, des commentaires aux collègues, connaissances ou amis ; de poster des commentaires ou des demandes sur les réseaux sociaux, les forums d’utilisateurs ; – de réfléchir aux usages avec avec la classe (aux potenpotentiels, aux attitudes, aux risques) et d’élaborer une charte d’utilisation avec eux ; – de construire construire son dispositif dispositif en scénarisant scénarisant les différentes étapes, les différentes activités et en veillant à la cohérence d’ensemble d’ensemble ; – de penser aux aux activités et à l’accompagnem l’accompagnement ent (technique, cognitif, métacognitif) dont les élèves auront besoin. C’est ainsi qu’on apprend et continue à apprendre dans l’ère numérique.
D’autres réseaux sociaux, comme par exemple Google+, permettent de mieux cerner la communauté, voire d’organiser les informations en différentes catégories. D’autres outils permettent de créer un réseau social à l’usage exclusif des membres d’une communauté : une classe, une école, une entreprise. C’est le cas de Yammer, Yammer, TodaysMeet TodaysMeet ou encore Viaéduc. Avant de se décider pour tel ou tel usage, nous conseillons : – d’explorer d’explorer les pages pages web de l’outil en question. question. Elles Elles devraient contenir ou présenter, d’une manière très flatteuse certes, les potentiels et usages escomptés, les fonctionnalités de l’outil ; – de rechercher rechercher des des usages dans la formation formation ou dans la classe de cet outil. Beaucoup d’enseignants 102 À ce propos, le site de l’université l’université d’été Ludovia qui se tient chaque année en Ariège regorge de tels témoignages sur les pratiques. Voir http://www.ludovia. org/2015/
L E S CLASSES CLASSES INVERSÉES, INVERSÉES, POUR POUR MIEUX MIEUX APPRENDRE E N PRÉSENCE
Ce qui se passe ensuite en classe dépend évidemment de la phase préalable généralement considérée à distance, à la maison ou en tout cas dans une certaine autonomie par rapport à l’enseignant et donc en particulier, des ressources proposées et des tâches demandées. Il est évidemment simpliste de penser que le débat souhaité naîtra automatiquement de la « prise en connaissances » des contenus. C’est sans doute l’une des limites de la construction de classes inversées autour d’un module brillamment organisé via un MOOC. La construction des connaissances procède d’une activité de déconstruction, de mise en doute, de questionnement préalable. Nous parlerons donc ici davantage de méthodes (meta-odos, la réflexion sur le cheminement) que d’outils, même si les TBI, les les tablettes et les boîtiers ou systèmes de vote sont utiles dans la phase en présence.
AGIR, INTERAGIR, RÉTROAGIR EN PRÉSENCE Nous ne reviendrons pas sur les grands classiques que sont les pédagogies par problèmes, par projets, l’apprentissage collaboratif, l’étude de cas, les méthodes par recherche… Nous mettrons plutôt le focus sur les interactions en classe, plus spécifiquement les techniques de rétroaction en classe (TRC). Mais que sont-elles ? Ces TRC ont été découvertes dans le livre de Cross et Angelo103, Classroom Assessment Techniques, la dénomination anglophone de ces techniques. En bon apprenant numérique, une recherche sur ces deux sigles (TRC et CAT en anglais) devrait vous en fournir une explication et de nombreux exemples. Brièvement dit, elles fournissent en quelque sorte une rétroaction à l’enseignant et aux apprenants sur ce que ces derniers ont appris effectivement par rapport aux intentions de l’enseignant (ce qu’ils
103 Les TRC TRC ont été popularisées à la suite de la publication du livre de Patricia Cross et Thomas Angelo, Classroom Assessment Techniques Techniques, Jossey Bass, 1993 (2 e édition).
devraient devraient avoir appris), et aussi sur la manière dont ils ont appris. Elles permettent aux uns et aux autres de consolider ou de rectifier les apprentissages effectués et les formes d’enseignement utilisées. Car il s’agit bien de porter son attention à la fois sur l’apprentissage effectué (comme produit) et sur les activités déployées pour apprendre (comme processus). On devient un meilleur apprenant en examinant la manière par laquelle on apprend et par la confrontation de sa production cognitive par rapport aux attentes (d’où l’importance de l’explicitation de ces dernières). Bref, les TRC permettent de répondre aux questions suivantes 104 : – Qui sont-ils ? Il est ici question du sens identifié de l’apprentissage, de personnification ou d’appropriation des apprentissages, d’hétérogénéité du public ; – Que savent-ils ? Il s’agit de mieux cerner ce que les étudiants ont appris en surface ou en profondeur, de la transformation, de l’altération, voire de la persistance, des conceptions naïves ou des croyances ; – Comment apprennent-ils ? Comment organisent-ils leurs idées ? Il s’agit ici de voir si les étudiants sont capables de faire des liaisons entre les savoirs, les processus, les contextes et de les amener à réfléchir sur leurs processus ; – Qu’ont-ils appris ? Par rapport aux attentes de l’enseignant, où en sont-ils arrivés ? Il s’agit aussi d’un processus d’évaluation du cheminement accompli et des zones qui restent encore à explorer. Il s’agit donc, pour l’enseignant, d’un outil (non nécessairement nécessairement technique cette fois-ci) pour assurer le suivi de l’apprentissage, pour sonder ce que les étudiants ont appris, et pour réguler l’enseignement ou les stratégies d’apprentissage induites par le
104 S. Bachy, Bachy, M. Lebrun, « Catégorisation de techniques techniq ues de rétroaction pour l’enseignement universitaire », Mesure et évaluation, 2009, vol 32 (2), 2009, p. 29-47. [En ligne] Disponible sur www.researchgate.net/profile/Marcel_Lebrun/ publication/260172105_Catgorisation_de_techniques_de_ publication/260172105_Catgorisation_de_techniques_ de_ rtroaction_pour_lenseignement_universitaire/ links/0deec53031a08cdf21000000.pdf , consulté le 25
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dispositif. L’accent porté par ces techniques est le plus souvent formatif ; le but est de valoriser, d’améliorer, pas nécessairement de certifier. Pour l’étudiant, il s’agit : – d’exprimer et de tester ses connaissances (antérieures, actuelles…) ; – de développer des compétences cognitives : comprendre, appliquer, synthétiser, évaluer, critiquer (selon les lignes de la taxonomie de Bloom) ; – d’évaluer et de développer sa méthodologie (prise de notes, présentation et communication, synthèse, auto-évaluation, catégorisation, connexion) en s’appuyant par exemple sur la taxonomie SOLO de Biggs105 ; – développer sa métacognition : comment je fais pour apprendre, mes styles privilégiés d’appréhension de la matière, ma façon de prendre du recul, de me distancier et aussi ma manière de me confronter sociocognitivement à d’autres. Ces techniques ont pour caractéristiques d’être centrées sur l’apprenant (seul, en dyade ou en groupe) ; organisées par l’enseignant en début, pendant ou en fin d’activité ; simples et courtes (de quelques minutes à 10 minutes en moyenne) ; directes, fréquentes et rapides à mettre en place ; formatives et contextualisées. Elles forcent aussi à la verbalisation ou au passage par l’écriture. Toujours dans le cadre des outils favorisant les interactions et dans la lignée des TRC, les systèmes de vote présentent un intérêt certain. Initialement, il s’agit de petits boîtiers (par exemple, avec quatre boutons A-B-C-D ou encore 1-2-3-4) permettant d’exprimer le choix d’une réponse parmi quatre propositions. Ces boîtiers communiquent avec l’ordinateur de l’enseignant qui capte les réponses des élèves et permet d’afficher leur histogramme. Certains jeux télévisés (comme « Qui veut gagner des millions ? ») nous ont déjà habitués à ces sondages auprès du public présent dans le studio d’enregistrement (souvent pour aider le participant au jeu).
Lors de l’une de ces émissions, une question posée à propos du nom du satellite naturel de la Terre reçoit la réponse « Le Soleil », une réponse largement postulée par 56 % du public. Des sondages réalisés dans les rues de Paris ou encore à la sortie d’un amphi dans le supérieur à Harvard montrent des chiffres comparables. Mais qu’est-ce qu’on leur a appris à l’école ? Transposée en classe, cette technique de sondage permet de révéler facilement les conceptions erronées, les erreurs les plus fréquentes ou encore les hypothèses qui permettraient de comprendre tel ou tel problème… Ceci montre aussi que ces savoirs, pourtant séculaires, transmis tout au long des études, surajoutés à des conceptions naïves issues de l’observation de tous les jours ne résistent pas bien longtemps après que l’apprenant est sorti des murs de l’école. Nous avons déjà parlé de la déconstruction nécessaire avant qu’une reconstruction cognitive puisse opérer. Des systèmes moins coûteux et fragiles que les boîtiers de vote permettent aujourd’hui ces sondages. Par exemple : – l’application Socrative : les élèves se connectent à l’application où ils expriment leur choix. Connecté au même serveur, le formateur affiche via son ordinateur (connecté à un projecteur) l’histogramme des réponses fournies ; – l’application Plickers : les élèves disposent de cartons (téléchargeables sur le Web) où sont dessinés des codes QR. En fonction de l’orientation du carton (quatre possibilités), la réponse ainsi signifiée est A, B, C ou D. L’enseignant prend une photo de sa classe (avec sa tablette ou son Smartphone) qui est décodée par l’application. Comme dans le cas précédent, l’histogramme des réponses est fourni. De tels outils de sondage existent aussi sur les plateformes LMS. Le professeur y place un sondage pour que les élèves y répondent à la maison, et exploite les résultats lors du cours suivant : l’usage ici est asynchrone.
L’ESPACE DE LA CLAS SE
105 La taxonomie SOLO (structure of the observed learning outcomes, « hiérarchisation des résultats observés de l’apprentissage ») propose cinq niveaux de sophistication qui peuvent être rencontrés dans les réponses ou les travaux d’un étudiant face à une tâche de nature académique. Par exemple, il a retenu une seule chose isolée, plusieurs éléments, différents points interreliés entre eux, il est capable de relier ses apports à un modèle générique compréhensif, etc.
Les activités présentées ci-dessus se déroulent dans un espace bien précis, celui de la classe dont la structure n’est guère favorable aux méthodes actives et interactives. La classe de demain, le local, si des méthodes comme les classes inversées percolent dans les structures de formation, sera sans doute différente.
CONCRÈTEMENT, LES CLASSES INVERSÉES, ÇA MARCHE COMMENT �
De manière prototypique, les learning labs (laboratoires d’apprentissage) ne sont pas seulement des lieux où des modalités nouvelles de formation s’érigent, davantage orientées vers l’apprentissage que vers l’enseignement. Ils sont des espaces dans lequel l’apprentissage, ainsi que les méthodes et les outils qui le stimulent, sont analysés, étudiés, évalués par la recherche et dont les résultats sont diffusés dans un esprit de partage de pratiques.
LA CLASSE INVERSÉE INDUIT AUSSI DES RECONSIDÉRATIONS DE L’ESPACE PHYSIQUE DE LA CLASSE. MOBILITÉ, SOUPLESSE, FLEXIBILITÉ SONT DES MAÎTRES MOTS, LE � MOBILIER � PREND TOUT SON SENS. Source : LearningLab de l’École centrale de Lyon et d’Emlyon Business School
À titre d’exemple, on mentionnera les travaux pionniers de l’alliance entre l’École centrale de Lyon et EM-Lyon Business School auxquelles nous collaborons et qui ont conduit à la création d’un réseau de learning labs, le LearningLab Network 106 . Même si ces développements se font dans le cadre de l’enseignement supérieur, les idées qui sous-tendent ces environnements immobiliers (même si mobiles et flexibles par leurs équipements) sont inspirantes et en résonance avec notre vision des phases en présence dans les classes inversées. Nous reprenons ici leur définition : « Un learning lab est un lieu et un écosystème d’expérimentation et d’innovation sur les nouvelles formes de travail et d’apprentissage collaboratif. Ces espaces collaboratifs innovants ont recours simultanément aux outils numériques, aux environnements, équipements, supports d’apprentissage et méthodes pédagogiques favorisant l’intelligence collective107. »
106 Voir le site www.learninglab-network.com / 107 Source : www.learninglab-network.com/wp-content/ uploads/2014/12/Charte-Learning-Lab-Network-.pdf
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Les principales caractéristiques d’un learning lab sont : – le recours à des pédagogies actives par exemple initiées par des situations-problèmes, des projets de nature authentique, la pédagogie par problèmes ; – la mise en œuvre de formes d’interactions (étudiant, enseignant, entreprise, société) marquées par l’apprentissage collaboratif et la construction d’intelligence collective ; – le développement de compétences disciplinaires, professionnelles et transversales comme la recherche d’informations, l’esprit critique, le travail d’équipe, l’évaluation, la prise de décisions, la créativité, la gestion de projets ; – la mise en place et l’entraînement à des méthodes particulières, comme le design thinking 108, le codesign109, le leadership partagé, des ateliers de l’imaginaire, l’effectuation110, le visual thinking, le brainstorming, etc. ; – le développement et le recours à des technologies de pointe visant tout à la fois à soutenir les dispositifs de conformation et leur apportant des valeurs ajoutées ; – la création d’environnements et des lieux favorables à la production, à la créativité, au collectif, et soutenus fortement par diverses technologies de l’information et de la communication ;
108 “Design thinking is a methodology for practical, creative resolution of problems or issues that looks for an improved future result. In this regard it is a form of solution-based, or solution-focused thinking that starts with the goal or what is meant to be achieved instead of starting with a certain problem. Then, by focusing on the present and the future, the parameters of the problem and the resolutions are explored, simultaneously. This type of thinking most often happens in the built environment, also referred to as the artificial environment (as in artifacts).” 109 “Co-design or codesign is a product, service, or organization development process where design professionals empower, encourage, and guide users to develop solutions for themselves. Co-design encourages the blurring of the role between user and designer, focusing on the process by which the design objective is created. [1] This process believes that by encouraging the trained designer and the user to create solutions together, the final result will be more appropriate and acceptable to the user.” 110 Si la logique causale ou prédictive met l’accent sur le but précis puis sur les moyens d’y arriver, la logique effectuale met l’accent sur les moyens puis sur les effets atteignables. Tandis que le mode causal part d’un objectif et définit la problématique en tant que choix d’une trajectoire optimale pour atteindre l’objectif, le mode effectual part d’un ensemble de ressources disponibles à partir desquels il construit les objectifs possibles. Le mode effectual est en particulier utilisé par les entrepreneurs en situation d’incertitude totale mais où l’action est encore possible.
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– la recherche du développement personnel de chacun en fonction de ses propres styles d’apprentissage.
VALORISER LES ACTIVITÉS EN CLASSE Le sujet de l’évaluation, en particulier celle des apprentissages, a été abordé plus haut. Nous synthétiserons ici quelques éléments clés, particulièrement importants dans le contexte des classes inversées, que nous développons dans un de nos ouvrages 111.Si les évaluations n’éludent pas la question de l’acquisition des connaissances fondamentales (les connaître, les comprendre, les appliquer : les paliersde la « base » de la taxonomie de Bloom), elles sont aussi orientées vers l’acquisition de compétences supérieures (analyser, synthétiser, évaluer, créer) et d’autres parfois appelées transversales : communication, collaboration, créativité (les attributs potentiels de la génération C), sans oublier esprit critique, citoyenneté. Certaines modalités de classes inversées mettent aussi le bon vieux Bloom sur sa tête : on démarre par une situation-problème que l’on décortique, que l’on déstructure pour mieux l’appréhender avant de convoquer les nécessaires savoirs pour sa résolution112. L’évaluation certificative est certainement la plus commune et est installée le plus souvent dans le rapport entre l’enseignant et son institution (remettre une note au secrétariat en fin d’année). Cette note, composite d’informations récoltées auprès de l’apprenant lors d’un examen organisé en fin de module ou de cours, est censée, le plus souvent, donner une photographie de son état de connaissance (ce qu’il sait, comprend, est capable d’appliquer), en référence à des critères liés au niveau ou à la discipline (ce qu’il devrait savoir, comprendre, être capable d’appliquer). Elle intervient ainsi en fin de processus (d’enseignement et d’apprentissage), un peu tard pour rétroagir sur ces processus. Elle considère négativement les erreurs dans des épreuves (le mot est éloquent) qui, sous couvert d’objectivité, donnent peu de chance à l’élève un peu en difficulté, même s’il est en progrès.
111 M. Lebrun, D. Smidts, G. Bricoult, Comment construire un dispositif de formation ? Bruxelles, De Boeck, 2011. 112 Dans un billet de notre blog, nous avons décrit les différents « flips » présents dans la classe inversée. L’inversion de la taxonomie de Bloom est le troisième : http://lebrunremy.be/WordPress/?p=612
Les compétences de plus haut niveau (plus difficiles à évaluer au travers de tests standardisés plus économiques) et les compétences transversales (par leur nature même, elles ne tombent pas sous la responsabilité d’une discipline particulière) restent ardues à déceler et à jauger. Elles sont souvent considérées comme un produit secondaire ou un bénéfice collatéral (un side product) qui découle soit automatiquement (pour les plus optimistes), soit accidentellement (pour les pessimistes) de l’enseignement traditionnel. Les classes inversées de niveau 1 (une vidéo avant le cours, des applications pendant) continuent à s’accommoder fort bien de cette évaluation sommaire. Mentionnons la perspective intégrative de cette évaluation. Il ne s’agit plus là de savoir répondre à des questions ponctuelles dissociées sur la matière, mais d’être capable de décortiquer une situationproblème intégrative (analyse) et d’élaborer des liens entre les différents éléments du cours (synthèse). Encore faut-il que le dispositif prépare les étudiants à cette production. L’évaluation formative, davantage centrée sur le processus d’apprentissage et non sur son produit, montre tout son intérêt, en particulier dans le contexte des classes inversées de niveau 2, ou au sein des activités présentielles de niveau 1. Elle intervient tout au long du processus d’apprentissage : elle peut être rétroactive (sur la base d’un test et du feed-back de l’enseignant), interactive (au cœur même des activités entreprises individuellement par les apprenants ou collectivement), ou encore proactive (pour guider les apprentissages ultérieurs ou orienter le dispositif). On se souviendra des techniques de rétroaction en classe (les TRC). Ici, s’éclaire la présence du verbe « évaluer » au sommet de la taxonomie de Bloom. Il s’agit bien d’une compétence à développer chez l’élève . On trouve les concepts d’autoévaluation (l’élève apprend à évaluer sa propre production, à se critiquer) et d’hétéroévaluation (l’évaluation est réalisée par les autres élèves, on dit maintenant peer evaluation, « évaluation par les pairs ») ou de coévaluation (une évaluation conjointe entre les élèves et leur enseignant). À ce niveau, il est raisonnable de se demander sur quelle base les élèves vont être en capacité de réaliser l’évaluation. Évidemment, tout comme pour les savoirs, Internet regorge d’instruments permettant d’évaluer la qualité d’une production ou d’un processus (exercice de présentation, projet mené en équipe). Dans l’esprit des classes inversées, il peut être utile de réfléchir à la possibilité de construire cette grille de
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critères de qualité et d’indicateurs (en quoi pourrat-on dire que cette présentation est une bonne communication ? Comment pourra-t-on attester de l’implication de chacun dans le travail de groupe qui est pourtant bien une instance pédagogique censée développer la compétence au travail d’équipe ?). Évaluer, apprendre à évaluer, construire un instrument d’évaluation : autant de jalons importants pour que les apprenants tirent des bénéfices de la classe inversée113. À nouveau, l’évaluation inversée, et si on commençait par là ?
Les outils, les techniques et les usages de la médiatisation des ressources, devenues à la fois des ressources à apprendre et des ressources pour apprendre, sont au cœur des dispositifs hybrides révélés par la recherche Hy-sup. Hy- sup. La Toile offre pléthore pl éthore de technologies, que l’enseignant doit apprendre à maîtriser et qui permettent de transporter le dispositif pédagogique à distance, en dehors les murs de la classe. La question du transport à distance des différentes interactions, avec l’enseignant devenu tuteur, mais aussi entre les apprenants doit retenir toute l’attention. Les techniques de rétroaction en classe, elles, sont connues depuis bien longtemps, mais elles prennent un sens nouveau dans le processus de l’inversion. À leur tour, ces interactions diverses et variées questionnent l’espace même de la classe. Finalement, la nécessité de revoir, du moins partiellement, les modalités d’évaluation dans le cadre de la classe inversée est primordiale. Sans négliger l’évaluation certificative, des évaluations formatives (pour encourager l’apprentissage) prendront place sous les atours d’autoévaluations, de coévaluations et d’évaluations par les pairs.
113 Le lecteur curieux lira avec avec profit les billets de notre collègue Jean-Charles Cailliez sur son blog JC2 ( http:// blog.educpros.fr/jean-charles-cailliez/ ). ). Il y parle volontiers de ses expériences concrètes de classes renversées (sic) et de l’évaluation inversée qu’il pratique : « J’essaie de leur faire comprendre que dans leur vie professionnelle future, leur patron ne vérifiera pas leurs connaissances et qu’il ne connaît pas lui-même les réponses aux questions qu’il pose ».
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DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
RENVERSEMENTS RENVERSEMENTS DANS DANS L E DISPOSITIF «ÉCOLE»
SAVOIRS TRANSMIS ET/OU CONSTRUITS � « Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait 114. » Ces propos du philosophe Michel Serres illustrent bien ce à quoi nous assistons aujourd’hui : le déploiement d’une phase avancée dans ce que l’on peut qualifier de « mouvement progressif d’objectivation du savoir ». Au cours de l’histoire de l’humanité, ce mouvement au sein duquel le savoir avait jadis comme support le corps même d’une personne (un sage, un philosophe) s’est peu à peu externalisé dans des écrits (supports d’écriture), puis des livres (supports d’imprimerie) et finalement sur Internet (supports d’information). La révolution numérique, dont Michel Serres dit qu’elle est comparable à l’invention de l’écriture et à celle de l’imprimerie, l’imprimerie, porte ce mouvement d’externalisation du savoir à son sommet puisque le voici aujourd’hui pour tous et partout disponible. Même les bibliothèques où le savoir était jusqu’il y a peu précieusement consigné deviennent non seulement virtuelles mais interactives. Sur la Toile se multiplient de nouveaux lieux de production de connaissances : des blogs, des encyclopédies participatives, des sites alimentés par des réseaux sociaux toujours plus nombreux, structurés en organisations inédites qui font fi des lieux d’origine, des classes sociales, des appartenances, etc. L’arrivée du numérique accentue donc de manière radicale ce mouvement qui, partant d’une structure principalement verticale et transmissive, fait émerger une forme d’épistémologie beaucoup plus horizontale et participative. participative. Ce phénomène d’externalisation du savoir en dehors de ses lieux de production classiques permet le développement d’une certaine forme de connaissance et l’acquisition de nouvelles compétences. Parce qu’il est disponible partout, le savoir n’est plus réservé
114 M. Serres, Petite Poucette, Paris, Éditions Le Pommier, 2012.
aux élites. Les médecins, par exemple, évoquent la présence, toujours plus fréquente dans leur cabinet, de patients qui arrivent avec une proposition de diagnostic après consultation des ressources sur Internet. Les écoles et les universités sont évidemment les premières institutions concernées par cette forme de délocalisation du savoir et par l’émergence de savoirs « amateurs » avec laquelle il s’agit aujourd’hui de composer. Si le savoir à l’ère numérique n’est plus consigné et développé dans des lieux précis, il subit également un changement majeur dans son rythme de production. Sa vitesse d’élaboration a considérablement augmenté. Comme le remarquent Michel Serres et Bernard Stiegler au cours de leur passionnant dialogue, autrefois, un professeur d’université enseignait 80 % des connaissances acquises dans sa formation ; aujourd’hui, dans certaines branches, il n’en enseignerait plus que 5 à 10 %, tant le rythme de production du savoir s’est accéléré 115. L’enseignant n’est plus le transmetteur d’un savoir constitué, puisqu’il y a relativement moins de savoirs constitués. Il y a proportionnellement davantage de savoirs en cours de constitution, de permanente réélaboration. réélaboration. Dans un tel contexte, face à de tels enjeux, la dynamique des classes inversées prend tout son sens. La scénarisation d’une séance de cours en classe inversée pose précisément la question de l’articulation harmonieuse entre ce qui, dans la matière, est déjà constitué et ce qui doit encore l’être. En mettant les éléments transmissifs à distance, notamment grâce à la technologie, l’enseignant permet à ses étudiants de faire l’expérience d’appropriation de savoirs plus complexes et ouvre un espace propice à la cocréation des savoirs et à l’expérimentation d’une forme d’intelligence collective.
115 M. Serres, B. Stiegler, « Pourquoi nous n’apprendrons n’apprend rons plus comme avant », Philosophie Magazine, n° 62, septembre 2012. [En ligne] Disponible sur : www.youtube. com/watch?v=iREkxNVetbQ&feature=youtu.be, consulté le 15 septembre 2015.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
L’hyperaccessibilité du savoir vient inévitablement mettre à mal la conception de l’apprentissage comme processus unilatéral où l’un (le savant) est en position de donner et l’autre (l’ignorant) en position de recevoir. Les termes d’« intelligence collective », de « coconstruction », d’« interactivité », concepts clés des classes inversées, sont révélateurs de l’émergence d’un nouveau paradigme du savoir.
Par ailleurs, outre l’accroissement des interactions professeur/étudiant, les classes inversées tendent à donner une importance centrale aux relations entre les étudiants eux-mêmes. Contrairement au format du cours magistral dans lequel ces derniers sont peu en relation les uns avec les autres, la modalité « classe inversée » multiplie les possibilités d’échanges et permet dès lors aux étudiants de bénéficier de leurs apports mutuels.
RÔLES DES ENSEIGNANTS ET DES ÉLÈVES
Ces renversements sont loin d’être anodins et imposent, pour chacun des acteurs, l’apprentissage de nouveaux rôles. En effet, ni l’enseignant ni l’étudiant n’ont été formés dans cette perspective. Aujourd’hui, beaucoup de classes inversées fonctionnent mal ou ne maximisent pas leur potentiel, car les protagonistes « résistent », ou en tout cas ne sont pas préparés à adopter ces nouvelles postures.
Cette évolution importante du statut du savoir n’est évidemment pas sans impact majeur sur les deux autres pôles du triangle didactique, l’enseignant et l’étudiant. Dès lors que l’on ne se situe plus dans une « pédagogie encyclopédique » dominée par la transmission d’information, leurs rôles sont à redéfinir. Dans la classe inversée, l’enseignant n’est plus un expert sur son estrade ( sage on the stage ), mais un coach, un facilitateur d’apprentissage ( guide on the side). Ce changement de posture se traduit par plusieurs indicateurs dont certains sont parfois visibles instantanément, comme par exemple l’aménagement physique de l’espace d’apprentissage (que nous aborderons plus loin). La possibilité pour l’enseignant d’amorcer l’apprentissage avant le cours lui offre du temps et, par conséquent, la possibilité d’intervenir de manière directe et en temps réel dans le processus d’apprentissage, en reprécisant des notions mal comprises, en fournissant des balises pour la récolte d’information, en procurant rapidement des feed-back, en étant plus attentif aux étudiants en difficulté. De son côté, l’étudiant n’est plus désigné comme le réceptacle d’un savoir transmis, mais comme un partenaire actif dans la construction de ce savoir. Il est ainsi propulsé au rang de protagoniste de son apprentissage. On attend de lui qu’il développe de nouvelles compétences et que, de simple auditeur récepteur, il devienne gestionnaire de projet, discutant lors d’un débat, chercheur d’information, présentateur d’une étude de cas, enquêteur sur le terrain. Ces changements de postures sont profondément articulés l’un à l’autre et visent un même objectif : la création d’un espace d’interactivité. Libérés d’un contenu disciplinaire à transmettre ou à écouter, enseignants et étudiants évoluent dans une plage temporelle dégagée où peuvent prendre place des activités de mise en pratique des contenus, de contextualisation des apports théoriques, d’échanges collectifs. Le but est de créer un climat où le besoin de savoir est continuellement stimulé et renforcé.
Les recherches de Richard Felder cernent et documentent abondamment la difficulté des étudiants à renoncer à la position finalement confortable et bien définie du cours magistral pour se prêter au jeu imprévisible de la classe inversée 116. Mais, si elle est moins souvent évoquée, cette difficulté est largement partagée par l’enseignant. La classe inversée ne lui permet plus de se réfugier derrière son cours. Le voici propulsé dans l’animation de groupe, le tutorat, le coaching auxquels sa formation initiale ne l’a pas préparé. Il se retrouvera vite en perte de repères s’il n’est pas lui-même accompagné dans ce nouveau rôle. Les nombreux sites de partage de pratiques de classes inversées témoignent de cette nécessité pour l’enseignant de saisir les balises de cette nouvelle posture au sein d’une communauté de pairs auxquels il peut se référer. De ce point de vue, la classe inversée ne renverse pas seulement le face-à-face enseignant/apprenant. Elle tend à les inscrire l’un et l’autre dans une communauté de pairs, dans un système de ressources et d’interactions élargi. Autrement dit, la classe inversée ouvre la relation pédagogique à bien d’autres acteurs, à l’intérieur de la classe, mais également à l’extérieur.
116 R. M. Felder, “Sermons for Grumpy Campers”, Chemical Engineering Education, vol. 41 (3), 2007, p. 183 et “Hang in There: Dealing with Student Resistance to Learnercentered Teaching”, Chemical Engineering Education, 45(2), printemps 2011, p. 131-132.
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
LIEUX ET ESPACES D’APPRENTISSAGE Ce double mouvement de renversement du savoir et des rôles entraîne une reconfiguration de l’espace physique propre au dispositif que ce soit dans la classe, dans l’école, ou encore dans l’université. Ces renversements se manifestent parfois par des indicateurs directement perceptibles. On voit ainsi les salles de cours se réorganiser de manière à disposer le bureau du professeur au milieu des étudiants, parmi eux et non plus devant eux. De plus en plus d’universités se détournent des « auditoires » (terme bien évocateur) et des amphithéâtres, pour construire des salles composées de tables mobiles, de prises de courant, de tableaux numériques. Plus d’estrade, plus de scène, mais des cellules de travail et un enseignant qui circule entre elles. Les étudiants ne sont plus assis en « rangs d’oignons », mais gravitent autour de plusieurs îlots où se réalisent des tâches participatives diverses. La classe perd son atmosphère silencieuse et ressemble davantage à une ruche bourdonnant d’activité. Plus profondément, ces changements de posture se traduisent dans l’attitude de l’enseignant qui ne prépare plus sa séance de cours en pensant à ce qu’il dira à ses étudiants, mais oriente son action sur l’étudiant : qu’a-t-il à apprendre ? Comment le mettre en situation de réaliser cet apprentissage ? L’enseignant devient le scénariste d’activités d’apprentissages qui sortent des murs de la classe. On peut parler de « transparence des murs de l’école ». D’abord en raison de l’hybridation du dispositif lui-même. Ensuite parce que la classe inversée est extrêmement perméable aux savoirs extérieurs. Enfin parce que les compétences développées dépassent de loin les compétences « scolaires ».
DES MYTHES À CLARIFIER Ces nouvelles modalités du rapport enseignant/ étudiant et les espaces relationnels dans lesquels elles s’inscrivent sont aujourd’hui très peu documentés. L’inconnu quant aux impacts potentiels de ces changements de rôle entraîne la création d’un certain nombre de mythes qui séduisent autant qu’ils inquiètent. Un premier mythe, bien décrit par Normand Baillargeon, professeur à l’université du Québec à Montréal, consiste à concevoir Internet comme un réservoir de connaissances qui, par son hyperaccessibilité, évacuerait complètement
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la nécessité pour les étudiants de devoir mémoriser117 . Pourquoi perdre du temps dans l’exercice fastidieux de retenir une information que l’on a, via son Smartphone, toujours sous la main ? Sur ce dernier point, les recherches en psychologie cognitive montrent que, même à l’ère où « l’on n’apprend plus comme avant », le cerveau humain reste soumis à des contraintes cognitives avec lesquelles il s’agit de composer. Ainsi un novice qui cherche une documentation sur un sujet sur Internet sera-t-il tout simplement noyé par le flux d’informations, incapable d’évaluer leur pertinence. Il perdra beaucoup de temps à recueillir une information souvent non valide qu’il ne pourra rattacher à aucun schème de pensée précis. Le problème ici n’est pas seulement d’ordre méthodologique, mais réside dans le fait que le novice ne dispose tout simplement pas de données et de connaissances suffisantes en mémoire pour se repérer dans l’immensité des informations à sa disposition sur Internet. Un réservoir de connaissances en mémoire demeure donc bien l’amorce nécessaire à l’ouverture à la complexité. Un autre mythe déjà évoqué est celui de « l’enseignant remplacé par l’ordinateur » véhiculant la croyance selon laquelle on pourrait confier à la technologie le soin d’assurer la transmission de la connaissance pour consacrer l’enseignant uniquement à l’apprentissage de compétences complexes (le raisonnement, la recherche d’information, la création). La question mérite d’être posée : en concentrant les efforts de l’enseignant sur la construction de savoirs par l’apprenant, les classes inversées le dépossèdent-elles pour autant de son rôle de transmission ? Les philosophes et historiens Marcel Gauchet, Dominique Ottavi et Marie-Claude Blais examinent cette tension contemporaine entre transmission et construction de la connaissance. La notion de « don », présentée comme un élément essentiel de la transmission, s’avère particulièrement éclairante dans ce débat sur le positionnement des classes inversées : « Le maître est celui qui donne […] non seulement du savoir, mais de lui-même – c’est la particularité de son don : il s’y implique. Il ne se borne pas à transmettre du savoir, il fait don de ce qu’il a appris. Le disciple est celui qui sait qu’il a la chance de recevoir 118. »
117 N. Baillargeon, Internet comme mirage pédagogique, Montréal, À Bâbord, 2009. 118 M. Gauchet, D. Ottavi, M.-C. Blais, Transmettre, apprendre, Paris, Stock, 2014.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
Dans cette perspective, la question de la transmission n’est pas uniquement factuelle, informationnelle. Elle est aussi expérientielle et affective. L’enseignant ne transmet jamais un savoir désincarné. Il transmet aussi sa propre expérience de ce savoir, sa propre lecture, ce qui fait que ce savoir a un jour fait sens pour lui. La technologie ne pourra donc jamais être davantage qu’un outil au service du désir de transmettre. Et les classes inversées, issues de l’exigence de « redonner sens à la présence », semblent s’inscrire pleinement dans la logique de transmission telle qu’elle vient d’être définie. Lorsqu’il se lance dans une classe inversée, l’enseignant a la possibilité de s’impliquer personnellement dans tous les aspects de la transmission (c’est lui qui sélectionne les savoirs qu’il met à distance). Par le temps de présence gagné, libre à lui de livrer les dimensions expérientielles de ce savoir, de s’assurer que cette transmission a bien lieu. Les classes inversées ne considèrent donc pas transmission et construction du savoir comme deux pôles antagonistes. L’un présuppose toujours l’autre. Et si l’étudiant « a la chance de recevoir », il a aussi la mission de participer, d’amener son apport. La transmission dans les classes inversées ne s’accomplit vraiment que si elle permet l’échange, la réciprocité, l’enrichissement mutuel. C’est ce qu’on appelle la coconstruction.
OÙ SONT LES MOTIVATIONS � Le lien entre la classe inversée et la motivation peut être envisagé selon de nombreux points de vue : celui de l’enseignant, de l’étudiant, de l’apprentissage. L’enseignant qui décide d’entreprendre une démarche en pédagogie inversée peut le faire pour des raisons multiples : ouverture à l’innovation, passion pour l’apprentissage ou le numérique, recherche de la résolution d’un problème dans un cours (taux d’échec, absentéisme, sentiment d’essoufflement chez lui ou chez ses étudiants), enthousiasme contagieux d’un collègue, etc. Cette motivation initiale n’est pas anodine et doit être bien identifiée par l’enseignant, car elle constituera un excellent angle d’accroche pour introduire ses étudiants à la dynamique.
En effet, la plupart des recherches montrent que, lorsqu’un enseignant propose un dispositif en classe inversée à ses étudiants, leur enthousiasme n’est généralement pas au rendez-vous. Il n’est pas rare qu’ils n’apprécient guère, du moins au début, ce mode d’apprentissage qui sollicite leur participation active. La première raison tient dans ce qu’ils sont issus d’une tradition éducative qui n’a souvent mobilisé et valorisé que des compétences cognitives procédurales ou de mémorisation. Ils ne sont donc pas préparés aux exigences de la classe inversée et se montrent réticents. La plupart du temps, ce n’est qu’une fois diplômés et insérés dans le monde professionnel qu’ils sont convaincus de l’importance des activités mobilisant l’interactivité, la résolution de problème et la créativité. Comment dès lors motiver des étudiants qui ne sont pas demandeurs ? Une première recommandation est de prendre le temps de bien expliquer le pourquoi de la classe inversée. Il est toujours intéressant pour les étudiants de connaître les raisons du choix de leur enseignant. Qu’est-ce qui l’a poussé à réexaminer son cours dans cette voie ? L’engagement de l’enseignant, le temps et l’effort qu’il consacre à cette démarche est un élément capital pour susciter l’adhésion des étudiants. Ensuite, il est crucial qu’ils perçoivent le sens et l’utilité de cette démarche. Qu’est-ce que l’inversion est supposée leur permettre de réaliser et pourquoi ? Que visent les activités qui seront réalisées ? Quelle est la pertinence d’un tel dispositif à ce stade de leur formation ? En quoi permettra-t-elle le développement de compétences utiles dans leur future profession ? Enfin, les étudiants doivent percevoir l’autonomie et la flexibilité que permet la classe inversée. La liberté que cela leur accorde dans leur organisation est un facteur de motivation important pour autant qu’elle soit balisée et contenue par une structure ou un scénario bien visible. La clarification, la mise au point explicite de ces divers aspects ne doit pas être réalisée uniquement au premier cours. Il est nécessaire qu’ils soient régulièrement évoqués, rappelés, remis en contexte. Le sens de la classe inversée doit être au cœur d’une conversation, d’une négociation parfois continue.
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
Levier pour l’engagement dans la démarche d’inversion, la motivation en est aussi l’une des finalités. Si de nombreux paramètres influent sur la motivation scolaire (facteurs personnels, familiaux, événementiels), dans de nombreux cas, ce sont les facteurs propres à la situation scolaire elle-même qui auront l’impact majeur : les activités pédagogiques, les pratiques évaluatives, la relation avec l’enseignant, le climat de la classe 119. Selon Rolland Viau, la dynamique motivationnelle prend son origine dans trois perceptions qu’un étudiant a de l’activité pédagogique qui lui est proposée : celle de la valeur de l’activité, de sa compétence à réaliser cette activité et de sa contrôlabilité, c’est-à-dire son sentiment de pouvoir contrôler le déroulement et les conséquences de cette activité 120. Ainsi, une activité sera d’autant plus susceptible de le motiver qu’elle est intéressante et utile, qu’elle est « à sa portée » et qu’il est en mesure d’en contrôler le processus. Par rapport à un cours magistral, les activités d’un dispositif en classe inversée offrent davantage de possibilités pour cibler ces trois perceptions et favoriser l’engagement cognitif de l’étudiant, sa persévérance, et enfin sa réussite. En effet, la possibilité de calibrer l’intervention pédagogique en présence et à distance permet d’utiliser au mieux les leviers motivationnels correspondants. Par exemple, les moments de présentiel permettent aisément à l’enseignant de donner aux étudiants un feed-back régulier. Les recherches montrent que plus le laps de temps entre la réalisation de la tâche et le feed-back est bref et plus il est formulé positivement, plus grand sera l’impact sur la motivation. Cette formulation positive ne signifie pas que le feed-back doit ignorer les dysfonctionnements. Mais plutôt que de livrer un jugement, il sera efficace s’il suggère des opportunités pour atteindre le but attendu et s’il redonne confiance dans la capacité à y parvenir. En participant à cette clarification des buts et des standards attendus, le feed-back facilite le développement d’un mécanisme d’évaluation personnelle chez l’étudiant, mais aussi chez l’enseignant. Il est en effet riche en informations pour ce dernier ; il permet de s’assurer que l’activité proposée atteint bien son objectif, d’évaluer si les
119 R. Viau, La Motivation dans l’apprentissage du français, St-Laurent (Québec), Éditions du Renouveau Pédagogique, 1999. 120 R. Viau, La Motivation en contexte scolaire, Bruxelles, De Boeck (2e édition), 2009.
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prérequis étaient suffisants et, au besoin, d’ajuster le dispositif. Notons que le feed-back formatif est possible même avec un grand nombre d’étudiants, soit par la création de petits groupes (les membres du groupe deviennent sources de feed-back), soit par des boîtiers de vote ou des logiciels de votation en auditoire. La diversité des activités proposées dans une classe inversée favorise également la motivation. Sur cet autre plan, la scénarisation du dispositif d’apprentissage en présence et à distance permet de convoquer une gamme très large de médias (documentaires, vidéos ou screencasts réalisés par l’enseignant luimême ou par d’autres), d’outils collaboratifs, de techniques d’animation, etc. Une bonne pratique en classe inversée consiste à éviter la redondance dans les activités proposées en explorant le vaste champ des possibilités que permet le numérique, mais aussi en exploitant l’imagination, la créativité de l’enseignant.
CONSÉQUENCES SURLESAPPRENTISSAGES
DES COMPÉTENCES À CONSTRUIRE TOUTE LA VIE DURANT « Apprendre à apprendre », telle est l’une des expressions les plus présentes dans les discours pédagogiques contemporains. Cet état d’esprit qui vise l’autonomie de l’apprenant est une finalité de la classe inversée. Pour reprendre la définition proposée par Henri Holec, développer la capacité d’apprendre signifie « permettre à l’apprenant d’acquérir les savoirs et savoir-faire indispensables pour définir quoi et comment apprendre 121. » Cet enjeu éducatif n’a jamais été aussi fondamental qu’aujourd’hui où, comme on l’a vu, le processus de production de connaissances est décontextualisé et opère toujours plus rapidement, à travers toujours plus d’acteurs. Si la masse de connaissances est immense, les problématiques croissent aussi en complexité. Ainsi les universités ne forment-elles plus à la maîtrise d’un domaine de compétences aux frontières délimitées, mais à des environnements aux contours non définis. Il semble évident que les futurs diplômés auront besoin de compétences quelque peu différentes. Selon plusieurs auteurs, parmi lesquels Bernie Trilling 122, après l’âge de l’agriculture, l’âge de l’industrie, nous voici dans l’âge de la connaissance. C’est la raison pour laquelle nos sociétés opèrent un focus particulier sur l’apprentissage et la création de connaissances. Punya Mishra et Kristen Kereluik ont réalisé une analyse de dix publications qui listent et détaillent les compétences nécessaires aux acteurs de l’ère de la connaissance 123. À la question « Qu’est-ce
121 H. Holec, « Qu’est-ce qu’apprendre à apprendre ? », Mélanges pédagogiques, mars 1991. [En ligne] Disponible sur : http://atilf.fr/IMG/pdf/melanges/6holec-3.pdf , consulté le 15 septembre 2015. 122 B. Trilling, “Toward Learning Societies and the Global Challenges for Learning with ICT”, Australian Educational Computing, vol. 22 (1), juin 2007, p. 10-16. 123 P. Mishra, K. Kereluik, “What 21 st Century Learning? A Review and a Synthesis”, 2011. [En ligne] Disponible sur : http://punya.educ.msu.edu/publications/21stCenturyKnowled ge_PM_KK.pdf , consulté le 15 septembre 2015.
que les étudiants ont besoin de connaître ? » ils identifient trois éléments : les connaissances disciplinaires, le recueil d’information et les connaissances pluridisciplinaires. À la question « Comment ? » les auteurs évoquent la résolution de problème et la pensée critique, la communication et la collaboration, et enfin la créativité et l’innovation. Un dernier aspect émerge de la revue de littérature et a trait à la situation de l’apprenant dans un contexte social plus large : l’apprentissage tout au long de la vie, les compétences culturelles et la conscience éthique et émotionnelle. Bien que la plupart de ces connaissances et compétences ne soient pas « nouvelles », certaines, comme la recherche d’information, les compétences culturelles ou encore la conscience éthique et émotionnelle, répondent à des exigences inédites et révèlent de nouveaux enjeux pour la formation. Le paradigme de pensée qui traverse la classe inversée s’inscrit dans cette reconsidération de l’ordre et de l’ampleur des compétences à acquérir. Un exemple qui illustre bien ceci concerne la manière dont une classe inversée revisite la taxonomie de Bloom. Cette taxonomie, révisée par Lorin W. Anderson et David R. Krathwohl, est une classification pyramidale qui propose d’organiser les objectifs d’apprentissage en six niveaux, du plus simple au plus complexe, les niveaux supérieurs présupposant l’atteinte des niveaux inférieurs 124. Cette taxonomie des objectifs offre des repères bien utiles dans la préparation d’un dispositif pédagogique : – le premier niveau, la base de la pyramide, fait référence aux activités qui visent à connaître (définir, dupliquer, étiqueter, lister, mémoriser, nommer, ordonner, identifier, relier, rappeler, répéter, reproduire ;
124 L. W. Anderson, D. R. Krathwohl (éd.), A Taxonomy for Learning, Teaching and Assessing: A Revision of Bloom’s Taxonomy of Educational Objectives, New York, Longman, 2001.
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– le deuxième niveau est défini comme celui du comprendre (classifier, décrire, discuter, expliquer, exprimer, identifier, indiquer, situer, reconnaître, rapporter, reformuler, réviser, choisir, traduire) ; – le troisième niveau fait référence aux activités qui visent à appliquer (choisir, démontrer, employer, illustrer, interpréter, opérer, pratiquer, planifier, schématiser, résoudre, utiliser) ; – le quatrième niveau regroupe les activités visant à analyser (estimer, calculer, catégoriser, comparer, contraster, critiquer, différencier, discriminer, distinguer, examiner, expérimenter, questionner, tester, cerner) ; – le cinquième niveau fait référence à la capacité à évaluer (argumenter, évaluer, rattacher, choisir, comparer, justifier, estimer, juger, prédire, chiffrer, élaguer, sélectionner, supporter) ; – le sixième et dernier niveau regroupe les objectifs qui visent à créer (élaborer, concevoir, composer, organiser, résoudre, planifier, produire, réaliser). La pyramide de Bloom reflète bien la conception traditionnelle, progressive et finalement linéaire du processus d’acquisition de connaissances. Les systèmes d’enseignement actuels épousent pour la plupart ce format : on opère étape par étape, d’un niveau simple à un niveau complexe. D’abord, on commence par l’enseignement d’un contenu (à travers des cours magistraux), puis on continue avec des exercices d’application pour finir par la rédaction de rapports de synthèse. Les classes inversées bouleversent la pyramide de Bloom à travers deux dimensions : – en partant du complexe (un problème, une expérience, un cas critique) pour contextualiser le simple, les classes inversées renversent la pyramide de Bloom. Dans la même logique que l’apprentissage par problèmes et l’apprentissage coopératif, les classes inversées montrent qu’une situation complexe, authentique, contextualisée est l’occasion de convoquer les savoirs nécessaires à sa réalisation ou à sa résolution. Une situation-problème ou un débat d’actualité deviennent alors le point de départ d’un processus où les connaissances sont sollicitées pour répondre à des questions précises. Comme le suggère Shelley Wright, plutôt que de commencer par la connaissance, il faut commencer par la créativité et, à partir de là, discerner les
connaissances nécessaires à son développement 125. L’apprentissage des contenus sera d’autant plus pertinent qu’il nourrira une structure déjà significative pour les étudiants ; – en tant que dispositifs hybrides, les classes inversées reconsidèrent les niveaux de la pyramide en fonction de la modalité présence/distance . Entendues dans leur format classique, elles proposent de réserver les activités des deux premiers niveaux de la pyramide au travail en dehors de la classe (par exemple : voir une vidéo, lire et comprendre un article). Les tâches des quatre niveaux supérieurs peuvent ainsi être réalisées avec l’accompagnement de l’enseignant durant le temps de présentiel (réaliser un exercice, analyser un processus, synthétiser la littérature et argumenter). La figure ci-dessous illustre bien la manière dont les compétences sont repensées en fonction d’une articulation présence/distance ; Enseignement traditionnel
Classes inversées Créer
L’étudiant réalise ces niveaux à la maison
Évaluer Analyser
L’étudiant et l’enseignant réalisent ces niveaux en classe ensemble
Appliquer L’étudiant se familiarise à ces niveaux en classe
Comprendre
L’étudiant réalise ces niveaux à la maison
Reconnaître
LA PYRAMIDE DE BLOOM INVERSÉE, ADAPTÉ DE B. WILLIAMS, “HOW I FLIPPED MY CLASSROOM”, NNNC CONFERENCE, NORFOLK �NE�, ����.
– dans ses expressions les plus élaborées, on peut constater que la pédagogie de l’inversion abandonne cette logique progressive et linéaire pour adopter un modèle systémique. Comme l’illustre le graphique ci-contre, les classes inversées convoquent tout à tour les divers niveaux de la pyramide à travers un scénario plus complexe ou en tout cas plus flexible. C’est probablement aussi l’une des raisons de leur succès : les classes inversées présentent une méthodologie d’apprentissage finalement plus conforme aux modalités de résolution de problèmes. Dans les situations de la vie réelle, la gestion d’un cas se fait rarement de manière progressive et séquentielle.
125 Posté par Shelley Wright : “Less Teacher, More Student, Passion-based Learning, The How of 21 st Century Teaching”, Voices, 15 mai 2012.
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
Il est rare d’avoir toutes les données en main. La gestion de l’incertitude et des données inconnues font partie des compétences pour lesquelles les étudiants doivent être aujourd’hui formés.
Analyser
Créer
Évaluer
Appliquer Reconnaître
Comprendre
UNE VISION SYSTÉMIQUE DES � NIVEAUX � DE BLOOM, ADAPTÉ DE KATHY SCHROCKS : WWW.SCHROCKGUIDE.NET
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u s a g ed ’ u n e p l a t e f o r m e c o l l a b o r a t i v e p o u r c o n n e c t e r lad i s t a n c e à l a présence J’utilise la classe inversée dans le cadre du séminaire de « Méthodologie et initiation à la démarche scientifique », donné en première année de l’enseignement supérieur à l’ICHEC à l’aide de certains outils mis à disposition par une plateforme collaborative. Ce dispositif m’a permis de guider les étudiants vers l’acquisition de trois compétences visées par ce séminaire (ICHEC, 2014) : – se questionner et se documenter en gardant une distance critique vis-à-vis des sources d’informations et en confrontant des points de vue opposés ; – restituer des savoirs et les recontextualiser dans une situation donnée ; – utiliser les outils adéquats pour réaliser un projet défini. Lors de ce séminaire, les étudiants découvrent la démarche scientifique qui doit leur permettre de traiter une problématique liée au management. L’outil principal de la plateforme utilisé est le parcours pédagogique. Ce dernier permet de déposer des documents, des liens, des quiz tout en structurant dans le temps les apprentissages. Ces derniers sont vérifiés grâce aux quiz et aux dépôts de travaux sur la plateforme. En séance, les notions sont résumées et corrigées en fonction des résultats des quiz et des travaux déposés. Le travail à distance et le travail en présentiel amènent petit à petit l’étudiant à atteindre les compétences visées. Le travail individuel fait par l’étudiant à distance porte essentiellement sur les lectures, la recherche de documentation et la rédaction d’un travail. Cette démarche individuelle lui permet d’acquérir des « savoirs » qu’il confrontera, en cours, à celui des autres. Cet aller-retour entre le travail à distance et en présentiel amène petit à petit l’étudiant à se « questionner », à avoir un « esprit critique », et finalement à « recontextualiser » dans une problématique de management en utilisant les « outils adéquats » (enquêtes, interviews). J’ai pu constater, par exemple, que les résultats d’un exercice fait individuellement à distance sont améliorés lorsque celui-ci est ensuite résolu en présentiel par petits groupes. Un autre
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exemple porte sur le choix du sujet à traiter qui résulte souvent des discussions en classe et des idées apportées par les uns et les autres. Les « savoirs » découverts à distance deviennent plus concrets lorsqu’ils les appliquent à un sujet et qu’ils en discutent lors du cours. Durant ces échanges, j’ai même assisté à des « dépannages » étudiants lorsque l’un d’entre eux, à cours d’idée, se voit suggérer par d’autres de faire appel à des forums, des réseaux sociaux, voire des personnes qui pouvaient les aider. Tous ces échanges doivent bien sûr être encadrés par l’enseignant qui devient un coach lui-même entraîné dans un cycle d’apprentissage qui rend son métier passionnant. Sandra Dujardin Professeur à la Brussels Management School
LE CYCLE DE LA CONTEXTUALISATION Un modèle bien éclairant à ce sujet est le cycle de Kolb, appelé parfois aussi cycle de Lewin 126. Il propose une démarche d’apprentissage fondée sur l’expérience (apprentissage expérientiel – experiential learning), sur un « tête-à-tête entre réflexion et expérimentation127 » : « À partir d’une expérience concrète du monde sensible, l’apprenant va se livrer à une observation réflexive sur cette expérience, ce qui le conduira à une conceptualisation abstraite (que l’on peut voir comme une réorganisation de ses représentations), génératrice de nouvelles hypothèses qui seront testées au cours d’une phase d’ expérimentation active, source d’une nouvelle expérience concrète qui boucle ainsi le cycle128. » Dans les niveaux plus avancés des classes inversées, on se situe dans une configuration similaire qui alterne les éléments d’induction et de déduction, de convergence et de divergence, d’expérimentation et de réflexion : par exemple, un dispositif où les élèves,
126 D. A. Kolb, Experiential learning: Experience as the source of learning and development, vol. 1, Englewood Cliffs (NJ), Prentice-Hall, 1984 127 A. Balleux, « Évolution de la notion d’apprentissage expérientiel en éducation des adultes : vingt-cinq ans de recherche », Revue des Sciences de l’Éducation, vol. 26 (2), 2000, p. 263-286. 128 D. Chartier, « Les styles d’apprentissage : entre flou conceptuel et intérêt pratique », Savoirs, n° 2, 2003/2, p. 7-28.
à distance, réalisent une première activité de recueil d’information en vue de résoudre un cas concret. Lors du présentiel, ces informations sont mises en commun, analysées et réfléchies. Sur cette base, l’enseignant peut donner les balises visant à introduire les étudiants à une troisième phase, dite de généralisation et de synthèse (à travers la production d’un rapport par exemple). De retour en présence, un cadre conceptuel est dégagé et discuté, transféré à d’autres contextes et offrant de nouvelles possibilités d’action et d’expérimentation. Comme déjà vu, on peut ainsi établir un parallèle fructueux entre les quatre étapes du cycle de Kolb et ce mouvement continu de « contextualisation/ décontextualisation » si aisément envisageable par la scénarisation à double modalité (présence/distance) des classes inversées. Il est également intéressant de comprendre que ces quatre étapes suggèrent l’existence de quatre façons d’apprendre, de quatre manières d’aborder l’environnement. En partant des étapes de son cycle, David Kolb a ainsi établi quatre styles d’apprentissage : – l’apprentissage fondé sur les émotions : c’est l’apprentissage qui a trait à la phase concrète du cycle ; – l’apprentissage fondé sur l’observation et l’écoute : il est spécifique à la phase d’observation réfléchie ; – l’apprentissage fondé sur la réflexion : c’est l’apprentissage mobilisé dans la phase de conceptualisation abstraite ; – l’apprentissage dans l’action : il a lieu au cours de la phase d’expérimentation active. Par un questionnaire d’autopositionnement, Kolb a montré que ces types d’apprentissage permettaient de situer quatre types d’apprenants selon la préférence accordée par ces derniers à chacune des phases du cycle : – le divergent (concret-réflexif), qui se caractérise par un esprit imaginatif et intuitif : il apprécie les environnements ouverts à la nouveauté et au défi ; – le convergent (abstrait-actif), esprit méthodique qui apprécie l’exactitude et les opérations structurées ; – l’ accommodateur (concret-actif), esprit spontané, orienté vers l’action et qui s’adapte aux circonstances ; – l’assimilateur (abstrait-réflexif), esprit clair et rigoureux, intéressé par les concepts et les théories plutôt que par les émotions. Un des atouts souvent cités pour justifier la pertinence des classes inversées est qu’elles permettent précisément l’exercice d’une pédagogie différenciée.
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
Pour illustrer cet avantage, on évoque généralement la possibilité pour l’étudiant d’apprendre à son rythme par des vidéos qu’il peut voir ou revoir, interrompre au besoin. La possibilité de différenciation se caractérise aussi par une meilleure disponibilité de l’enseignant qui lui permet d’accorder davantage d’attention aux élèves en difficulté. On oublie parfois un troisième élément. La classe inversée rencontre une diversité des styles d’apprentissage. En effet, si l’on admet, comme on l’a vu, que les classes inversées fonctionnent selon des modalités opératoires assez comparables aux étapes qui composent le cycle de Kolb, on peut en conclure qu’elles s’élaborent selon un modèle suffisamment flexible pour rejoindre les différents styles d’apprentissage. Ainsi peut-on imaginer que, par la variété des situations d’apprentissage que les classes inversées mobilisent, chaque apprenant, à un moment ou à un autre du processus, se retrouve dans son style d’apprentissage de prédilection. En ce sens, les classes inversées dessinent des espaces propices au déploiement de talents particuliers. Si certains étudiants se révèlent par une créativité insoupçonnée, il arrive même à d’autres de découvrir quelques bribes ou davantage de ce qui constitue « leur élément ». Ce concept du pédagogue Ken Robinson fait référence à des points de résonance entre un talent naturel et une manière sociale de l’accomplir129. Lorsque ces deux aspects coïncident, un individu peut trouver sa voie d’accomplissement. En somme, les classes inversées peuvent se comprendre comme un terrain de développement de compétences multiples, mais aussi comme un lieu qui permet de les préciser en vue d’une clarification des trajectoires individuelles.
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UNE ÉVALUATION À FACET TES MULTIPLES Ainsi que l’évoque très justement Jean-Charles Cailliez sur son blog consacré à l’innovation pédagogique, la question de l’évaluation est le nécessaire point de départ de toute démarche d’innovation 130. Une innovation qui s’évaluerait par un système d’évaluation « classique » pourrait donner de moins bons résultats ou manquer de révéler certaines performances. Dans la perspective d’alignement des objectifs, du dispositif et de l’évaluation, cette dernière doit forcément refléter les enjeux de ce dispositif novateur. Ce qui, à bien des égards, est loin d’être simple. Si l’on part des objectifs d’apprentissage, les classes inversées s’inscrivent dans une « approche par compétences » dans laquelle la notion de complexité est centrale. Une tâche complexe repose sur une combinaison de différentes ressources : des connaissances disciplinaires, des capacités à transférer ces connaissances à des situations réelles et authentiques, et enfin des attitudes (écoute, respect, capacité à travailler en groupe, esprit critique, créativité, etc.). Ces attitudes, relationnelles, communicationnelles ou réflexives sont souvent regroupées sous le nom de « compétences transversales ». Transversales dans la mesure où elles apparaissent comme génériques, transcendant les disciplines. Cette famille de compétences non disciplinaires forme un « coffre à outils » susceptible d’être utilisé dans une multitude de situations différentes, ainsi que l’illustre le tableau
COMPÉTENCES TRA NSV ERS ALE S
PHYSIQUE
DROIT
MÉDECINE
Résoudre des problèmes.
Tester des hypothèses.
Répondre à des hypothèses ou à des problèmes réels.
Appliquer le raisonnement clinique.
Exercer son jugement critique.
Examiner la rigueur et l’exactitude.
Examiner la logique de l’argumentation.
Appliquer le raisonnement clinique.
Communiquer de façon appropriée.
Faire appel au poster ou à la présentation.
Rédiger de façon précise, succincte et détaillée.
Utiliser la communication orale dans l’évaluation de l’état du patient.
130 Billet en ligne sur le blog de Jean-Claude Cailliez : « L’évaluation inversée… une autre façon d’aborder l’innovation pédagogique ! », 23 janvier 2015. [En ligne] Disponible sur : http://blog.educpros.fr/jean-charles129 K. Robinson, L. Aronica, L’Élément : quand trouver sa voie peut tout changer, Paris, PlayBac, 2013.
cailliez/2015/01/23/levaluation-inversee-une-autre-facondaborder-linnovation-pedagogique/ , consulté le 15
septembre 2015.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
s c é n a r i o d ’ u n e s é a n c ed e c o u r se nv ued e l ’ a p p r e n t i s s a g e del ad é m a r c h ep h a r m a c e u t i q u e Je donne cours de pratique professionnelle à 112 étudiants qui se préparent à débuter leur stage en officine. Voici le scénario d’une séquence de cours dont l’objectif était l’apprentissage d’une démarche de gestion d’une interaction médicamenteuse par le pharmacien d’officine et l’analyse des interactions médicamenteuses les plus rencontrées en officine. Valérie Lacour Professeur à l’UCL (École de pharmacie et des sciences biomédicales) ACTIVITÉ À DISTANCE
ACTIVITÉ EN PRÉSENCE
Consignes données aux étudiants une semaine AVANT le cours
Préparation préalable par l’enseignante
S’inscrire dans un groupe (maximum 5 étudiants par groupe) sur iCampus – 23 groupes.
Créer 12 cas-patients contenant chacun une interaction médicamenteuse parmi les plus couramment rencontrées en officine et/ou les plus cliniquement significatives (données disponibles sur une diapositive pour chaque cas : historique médicamenteux du patient + prescription présentée + photo du patient – 2 groupes analysent le même cas).
Prendre connaissance du cas d’interactions que son groupe devra analyser (dia 1 = groupe 1, etc.). Parcourir les sources d’informations proposées. Partager son avis avec les autres membres de son groupe via son Framapad* (voir lien hypertexte dans l’espace groupe sur iCampus – outil collaboratif à distance gratuit). Synthétiser ces échanges avec les autres membres de son groupe afin de parvenir à expliquer brièvement : - mécanisme de l’interaction ; - avis sur les sources consultées ; - conduite à tenir et solutions par le pharmacien. Temps estimé pour réaliser ce travail : 1 heure
Rassembler, pour chaque interaction, la littérature disponible dans deux ou trois des sources bibliographiques pertinentes en matière d’interactions. Mettre ces ressources à disposition des étudiants sur iCampus. La veille du cours, se connecter à chaque Framapad pour observer la dynamique de travail de chaque groupe + relever quelques anecdotes + noter les difficultés et/ou les manques éventuels.
Partager quelques anecdotes et réaliser un feed-back global sur la dynamique mise en place au sein des groupes. Chaque groupe identifie un rapporteur – un micro circule. La parole est donnée à un premier groupe qui partage ses conclusions, questions des autres étudiants et de l’enseignant, débat avec l’autre groupe qui a analysé le même cas, clarifications, débats autour des alternatives possibles et de la conduite à tenir, avis sur les ressources documentaires. Après chaque cas, clôture par l’enseignant qui donne les messages clés à retenir pour chaque interaction. Mettre à disposition de tous les étudiants l’ensemble des ressources et des cas. Durée du cours = 3 heures
Au terme de l’expérience, une enquête auprès des étudiants a confirmé mon intuition : l’opportunité de préparation autonome préalable leur permet de se sentir plus efficaces pendant une séance en présence et leur donne le sentiment d’une meilleure appropriation de la matière.
p. 83131. En ce sens, elles sont un accélérateur au développement de compétences disciplinaires. Le développement des compétences transversales est souvent réalisé par les enseignants sans pour autant en faire l’objet d’un apprentissage explicite, et par conséquent rarement évalué comme tel. Il
arrive aussi que ces compétences fassent partie d’un « cursus caché132 », c’est-à-dire quelque chose que l’on cherche à apprendre et que l’on évalue, mais que personne n’enseigne vraiment. Dans les classes inversées, les compétences transversales sont au cœur du dispositif. Il serait dès lors bien dommage de ne pas en faire un objectif d’apprentissage à part entière,
131 A. Jones (“Redisciplining Generic Attributes: The Disciplinary Context in Focus”, Studies in Higher Education, 2009), repris dans D. Berthiaume, « Compétences transversales et université : repérage et évaluation », 2012.
132 T. Becher ( Academic Tribes and Territories: Intellectual Enquiry and the Culture of Disciplines, Buckingham and Bristol (UK), The Society for Research into Higher Education & Open University Press, 1989), cité dans D. Berthiaume, « Compétences transversales et université : repérage et évaluation », 2012.
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
pour lequel il s’agira de former l’étudiant en vue de pouvoir ensuite recueillir une preuve de cet apprentissage. Selon Richard Prégent, Huguette Bernard et Anastassis Kozanitis, l’évaluation subit deux principaux changements dès lors qu’elle s’inscrit dans un processus de formation à des compétences 133 . Le premier réside dans le fait de faire précéder l’évaluation certificative de nombreuses occasions de rétroactions, non notées, individuelles et collectives. Les classes inversées utilisent effectivement abondamment les outils de l’évaluation formative. Ces stratégies d’évaluation formative sont d’ailleurs un moteur qui s’intègre volontairement et explicitement dans le dispositif même de l’inversion. Citons entre autres : – le feed-back formatif. Comme nous l’avons vu, la mise à distance de certaines tâches pédagogiques dégage un champ d’interaction entre l’enseignant et l’étudiant. Cette interactivité est l’outil d’une entreprise de coconstruction des connaissances dans lequel l’enseignant conserve pourtant le rôle de répondre aux questions, de recadrer, d’offrir des éclairages différents. En d’autres termes, il est en position de donner un certain nombre de feed-back formatifs visant à orienter, guider, rectifier ; – le « just-in-time teaching ». Cette technique est une variante de la précédente. Elle s’inscrit directement parmi les possibilités suscitées par l’hybridation des classes inversées. Sa spécificité est qu’elle permet également l’évaluation formative de l’enseignant. Le « just-in-time teaching » est une technique développée par l’équipe d’Eric Mazur 134 qui consiste à sonder les étudiants avant le cours de manière à recalibrer l’intervention pédagogique en fonction de leur progression. Un deuxième changement mentionné par Prégent et ses collègues concerne les situations d’évaluation (notamment certificative) qui se voient considérablement enrichies. Les examens et travaux « académiques » font place à des situations problématiques plus complexes, plus authentiques où il s’agit de combiner plusieurs compétences. Dans le cadre d’une évaluation
133 R. Prégent, H. Bernard, A. Kozanitis, Enseigner à l’université dans une approche-programme, Presses internationales Polytechniques, 2011. 134 G. Novak et al., Just-in-Time teaching: Blending Active Learning with Web Technology, Upper Saddle River (NJ), Prentice Hall, 1999.
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certificative en classes inversées, on conseille souvent d’opter pour des dispositifs interdisciplinaires ou une mise en situation dans des contextes divers de manière à mieux révéler les compétences à l’œuvre. Dans cette perspective, il est opportun de ne pas se limiter à une seule modalité d’évaluation, mais d’en combiner plusieurs. Ainsi par exemple, un rapport écrit peut être complété par une observation en situation avec une grille critériée. Une analyse d’un texte peut être associée à une discussion critique ou à l’animation d’un débat. Dans les pratiques courantes en classes inversées, les formats d’évaluation les plus communément adoptés sont : – l’évaluation choisie ou autogérée. Ce dispositif propose de donner une large autonomie à l’étudiant dans le choix des questions comme dans le choix du moment de l’évaluation. Parfois l’évaluation choisie va jusqu’à confier aux étudiants la rédaction des questions d’examen ; – l’évaluation par les pairs, qui a gagné en popularité ces dernières années. Elle consiste à engager l’étudiant dans le processus de l’évaluation en le mettant en position d’évaluer le travail d’un autre étudiant selon une grille de critères. Avantage de cet outil : les étudiants bénéficient des « rétroactions descriptives » leur permettant d’apprendre. Cependant, il a été démontré que le caractère formateur de l’évaluation par les pairs réside dans l’exercice de production d’un feed-back plus que dans la réception du feed-back d’autrui. Autrement dit, c’est bien la position d’évaluateur qui permet de s’approprier les critères d’évaluation d’un travail, et par conséquent d’améliorer ses propres productions ; – la réalisation d’un portfolio, une « collection ciblée de travaux qui montre les efforts individuels, les progrès et les prestations de l’apprenant-e dans un ou plusieurs domaines 135 ». Comme décrit par Amaury Daele, cet outil d’évaluation s’inscrit dans la perspective d’un apprentissage à la fois réflexif (par le développement d’une forme d’autoévaluation) et expérientiel (par le recueil et la valorisation de ses expériences d’apprentissage 136). Il vise avant tout l’autonomie et la responsabilisation de
135 F. L. Paulson, P. R. Paulson, A. Meyer, “What makes a portfolio a portfolio?”, Educational Leadership, vol. 48 (5), février 1991, p. 60-63. 136 Article du blog d’Amaury Daele, « Le portfolio pour évaluer les apprentissages des étudiant-e-s », 3 novembre 2010. [En ligne] Disponible sur : https:// pedagogieuniversitaire.wordpress.com/2010/11/03/le-portfolio pour-evaluer-les-apprentissages-des-etudiant-e-s/ , consulté
le 15 septembre 2015.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
l’étudiant dans son propre processus d’apprentissage. En ce sens, le portfolio est un instrument qui se prête bien aux aspects évolutifs et très personnels des compétences transversales ;
c a r t e c o n c e p t u e l l ee t p o r t f o l i op o u r é v a l u e r u ne c l a s s e i n v e r s é e e n droit Je donne un cours dont l’objet est l’étude des droits fondamentaux et des libertés publiques à travers des décisions de justice (arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour constitutionnelle). Parallèlement au parcours de cours que je propose à tous les étudiants, ces derniers effectuent un parcours individuel qui les amènent à analyser « leur » arrêt et à réaliser un portfolio comprenant notamment une interview, une étude doctrinale, deux fiches bibliographiques et le résultat d’un travail réalisé en duo (chacun présente son arrêt et en débat avec l’autre). Je demande aussi à l’étudiant d’intégrer dans son portfolio, au terme du cours et de son parcours personnel, une carte conceptuelle qui reprend les notions fondamentales étudiées et qui les met en relation les unes avec les autres. J’utilise moimême une carte conceptuelle durant le cours et j’encourage les étudiants qui font des présentations à en utiliser. Lors de l’examen, l’étudiant explique sa carte conceptuelle. Cet exercice l’amène à faire des liens entre les arrêts vus en cours et les résultats de ses recherches personnelles. Il lui permet aussi d’avoir une vue globale et transversale d’une matière vaste et évolutive, dont il a approché, par les choix faits dans son parcours individuel, des thèmes plus précis. Établir sa carte conceptuelle l’amène à intégrer les concepts de base du cours. En même temps, il peut être créatif, vu les formes diverses que peut prendre une carte conceptuelle. Anne Rasson-Roland Professeur à l’UCL (faculté de droit) – l’évaluation en situation authentique. Les classes inversées se prêtent bien à des modalités d’évaluation originales qui trouveront toute leur pertinence pour autant qu’elles reflètent les activités composant le dispositif mis en place par l’enseignant.
Voici quelques exemples 137 : - présentation (colloque, conférence…), - évaluation par les pairs, - jeux de rôle et simulations, - création d’une œuvre, - exposition, - tribunal-école, - simulation d’un bureau d’experts, - apprentissage par problèmes, - étude de cas, - rédaction d’un article scientifique, - réalisation d’un manifeste personnel ou collectif.
La c l a s s e i n v e r s é e e n s o i n sp a l l i a t i f s : q u a n d la t e c h n i q u ee s t m i s e au s e r v i c e dus a v o i rê t r e J’interviens dans la formation des futurs médecins généralistes à la pratique des soins palliatifs à domicile. Cet apprentissage se situe actuellement pendant le tout dernier semestre de leur longue formation universitaire, alors qu’ils rentrent de stage un jour par semaine, afin de suivre une série de cours d’approfondissement. Jusqu’à présent, le cours de soins palliatifs était donné de manière très classique, en articulant des savoirs (décrits via des montages PowerPoint), des savoir-faire (par exemple à partir d’exercices de prescription de la morphine) et des savoir être (liés à différents témoignages). Vu le nombre d’heures disponibles pour ce cours, il arrivait souvent que l’apprentissage du savoir être se fasse un peu à la sauvette, en fin de cours, si le reste de la matière le permettait. Cette constatation était très gênante dans la mesure où elle ne favorisait pas du tout l’engagement des étudiants dans leur apprentissage. Or cet engagement est nécessaire, non seulement pour des raisons pédagogiques, mais aussi parce qu’il constitue la base même de l’accompagnement des patients en fin de vie. Celui-ci nécessite de mobiliser différentes ressources à la fois affectives et humaines : accueillir les émotions des patients et des proches, apprivoiser ses émotions de soignant, prendre conscience de ses propres limites et apprendre à demander de l’aide, favoriser l’expression du cheminement intérieur du patient, etc. 137 R. Prégent, H. Bernard, A. Kozanitis, Enseigner à l’université dans une approche-programme, Presses internationales Polytechniques, 2011.
DES RENVERSEMENTS NÉCESSAIRES
L’expérience de la classe inversée nous paraît particulièrement intéressante à cet égard, parce qu’au sein même de la construction des différentes séquences d’apprentissage, elle donne au savoir, au savoir-faire et au savoir être la place qui est la leur dans la réalité. Concrètement, ces étudiants en fin de cursus sont invités à acquérir certains savoirs de manière autonome avant chaque cours, grâce à des montages PowerPoint enregistrés en vidéo et postés sur une plateforme numérique. Un forum leur permet de poser d’éventuelles questions. Le temps ainsi libéré pendant les cours peut être consacré à différents exercices (prescriptions, démarches administratives, quiz concernant la loi sur l’euthanasie…), mais également à des témoignages, à un questionnement éthique et à l’élaboration d’une démarche réflexive sur la dimension humaine de leur travail. L’évaluation se voulant formative, elle prend la forme d’une rencontre filmée entre les étudiants en stage et différents intervenants des situations de fin de vie : un patient, des proches, le médecin généraliste, un infirmier ou un autre membre de l’équipe soignante. Lors de cette première expérience, des encouragements inattendus sont venus des étudiants : ils ne se sont pas contentés d’écouter consciencieusement les vidéos pour préparer les cours, mais ont réclamé les montages PowerPoint pour pouvoir les imprimer et prendre des notes de manière plus efficace. Qui parlait de motivation et d’engagement ? Cécile Bolly Professeur à la faculté de médecine de l’UCL Les modalités d’évaluation authentique sont idéales en classe inversée, car elles peuvent s’appuyer sur le travail d’équipe : elles proposent des situations aux « degrés de complexité et de réalisme tels qu’une seule personne ne pourrait y parvenir par elle-même 138 ».
Les classes inversées, au cœur d’un mouvement de renversement qui va bien au-delà du microcosme de la classe de l’enseignant qui la pratique, contribuent à un mouvement plus global de renversement des
138 R. Prégent, H. Bernard, A. Kozanitis, Enseigner à l’université dans une approche-programme, Presses internationales Polytechniques, 2011.
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savoirs et des rôles, évoquant un tournant épistémologique qui dépasse largement leur cadre d’exercice. Les classes inversées célèbrent un apprentissage qui tend vers un décloisonnement des relations (enseignant-étudiant, étudiant-étudiant), des disciplines et des lieux de savoirs. Convoquant les habiletés cognitives sur un mode non linéaire, elles revisitent les taxonomies avec un focus particulier sur les opérations cognitives plus élevées qui précèdent souvent les opérations plus simples en vue de mieux les mettre en contexte. Le temps gagné par ce dispositif hybride ouvre un nouvel espace en classe, plus interactif et orienté sur la résolution de tâches complexes. Sans se départir de sa mission de transmettre, l’enseignant est aussi celui qui établira, à travers son attitude et les situations d’apprentissage mises en place, un climat propice à une construction collective de savoirs. La logique d’inversion est également à poursuivre dans l’évaluation, processus qui perd sa verticalité pour se concevoir au-delà d’une simple visée certificative et devient un outil d’accompagnement, un levier motivationnel qui participe à l’efficacité du dispositif.
RECHERCHES ET EXPÉRIMENTATIONS
CLASSESINVERSÉES ETDÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DESENSEIGNANTS
« J’ai un jour entendu quelqu’un décrire le cours magistral comme un processus par lequel les notes de l’enseignant sont transférées dans le cahier de notes des étudiants sans pour autant passer par leurs cerveaux respectifs. C’est généralement ce qui se passe dans la plupart des classes du monde 139 » C’est à travers ce constat, en remarquant que ses étudiants, tout en connaissant les définitions et en étant capables de résoudre les exercices, n’avaient cependant aucune réelle maîtrise des concepts fondamentaux de la physique qu’Eric Mazur a modifié sa manière d’enseigner. Le décalage interpellant entre son enseignement reconnu et apprécié et l’apprentissage « en surface » de ses étudiants l’a amené à renoncer à la posture traditionnelle de l’enseignant140. L’apprentissage était de toute évidence une opération bien plus complexe qu’un simple transfert d’informations. Afin de développer un apprentissage en profondeur, une compréhension conceptuelle plus aboutie, il a donc proposé à ses étudiants de prendre connaissance de l’information théorique par eux-mêmes, avant le cours. Le temps de classe ainsi libéré a été réorganisé de manière à dégager un large espace dédié à la discussion, la réflexion, les interactions avec l’enseignant, mais également et surtout entre pairs. Les exposés théoriques en présence se sont concentrés en capsules bien ciblées. Prenant pour point de départ les incompréhensions des étudiants, ces mini-interventions se sont calibrées sur les points les plus délicats de la matière. Ces aspects plus complexes sont à l’origine de ce que l’enseignant a appelé les « concepts test » en deux étapes : des situations-problèmes soumises d’abord à la réflexion individuelle de chaque étudiant, puis à un exercice d’argumentation en duo. Eric Mazur a démontré que
139 E. Mazur, “Farewell, Lecture?”, Science, vol. 323, janvier 2009, p. 50-51. 140 On examinera avec intérêt sa vidéo, Confessions of a Converted Lecturer, facilement accessible sur YouTube.
cette méthode de discussion entre pairs permettait de faire émerger la bonne réponse. Les publications sur cette thématique se sont multipliées, un réseau de chercheurs praticiens, le Mazur Group, s’est progressivement formé. Ainsi est donc née, au début des années 1990, la célèbre méthode d’instruction par les pairs et, avec elle (même si non encore identifiée et formulée comme telle), la classe inversée. Lorsque Sams et Bergmann l’ont eux-mêmes introduite, ils ont initié un mouvement de communication semblable avec la création d’un autre réseau, le Flipped Learning Network, et le développement de recherches.
DU MAÎTRE INSTRUIT À L’ACTEUR SOCIAL Renoncer au statut de maître instruit pour se consacrer à l’apprentissage de l’étudiant est le premier stade du développement professionnel de l’enseignant141. Dans la littérature sur la classe inversée, on décrit volontiers ce dernier comme guide, accompagnateur ou encore coach, rendant ainsi très explicite ce changement de posture. Explicite ne signifie pas pour autant que ce soit simple. Devenir « facilitateur de travail » et trouver sa place au milieu de ses étudiants plutôt que face à eux suppose le développement de toute une palette de nouvelles attitudes. On dit de l’enseignant qu’il doit renoncer à être un « dispensateur de connaissances » pour devenir un architecte concepteur d’activités d’apprentissage (Pierce et Fox cités dans Larcara, 2014 142). En préparant
141 Nous empruntons à Paquay (« Vers un référentiel des compétences professionnelles de l’enseignant ? », Recherche et Formation, n° 15, juin 1994, p. 7-38) le vocabulaire décrivant les différentes composantes de l’enseignant professionnel : l’enseignant technicien, le praticien artisan, le maître instruit, le praticien réflexif, la personne, l’acteur social… 142 M. Larcara, “Benefits of the Flipped Classroom Model”, dans J. Keengwe, G. Onchwari, J. Oigara (éds.), Promoting Active Learning Through the Flipped Classroom Model, Hershey (PA), Information Science Reference, 2014, p. 132-144.
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un cours, il doit donc inverser sa démarche de pensée. Il ne s’agit plus en effet de songer à « que dire » à ses étudiants (qu’est-ce que je vais leur enseigner ?), mais de se poser la question de « qu’ont-ils à apprendre ? » et, surtout, « comment vont-ils apprendre ? » (que vont-ils en faire ?). Car l’enjeu est là ! Comment concevoir des « occasions d’apprentissages », comment s’assurer qu’elles génèrent un apprentissage effectif… pour tous143 ? Ces interrogations, essentielles dans toute pédagogie centrée sur l’apprenant, prennent dans la classe inversée une dimension particulière qui la distingue des autres méthodes actives. La perspective de la classe inversée offre cette caractéristique tout à fait originale d’intégrer le temps « hors classe » au sein de l’espace de scénarisation des activités d’apprentissages. L’articulation cohérente et complémentaire entre activités à distance et activités en présence est l’essence même de ce dispositif 144. C’est la raison pour laquelle il s’avère souvent bien délicat de réussir à exploiter les possibilités d’une classe inversée « après coup », par exemple en complément d’un MOOC préexistant (ou plus généralement d’un cours intégralement construit à distance, en ligne). Cette pratique désormais courante qui vise à réaliser des classes inversées en utilisant le MOOC comme matériel « à distance » se heurte en effet à un problème de scénarisation. Nous l’avons vu, les classes inversées nécessitent de penser simultanément présence et distance de manière à ce que l’une soit nécessaire à l’autre. Or le MOOC n’est pas conçu pour intégrer le présentiel. D’où le risque que le temps de présence apparaisse superflu ou non pertinent. Ce n’est qu’en étant conscients de ce « vice de procédure » que les enseignants utilisant le MOOC dans leurs cours pourront mettre en place des stratégies pour contourner ces écueils. Pour ce faire, il faudra probablement sortir du canevas bien séquencé d’un MOOC pour y réintroduire un nouveau fil conducteur, ou alors y intégrer
143 « L’enseignement peut être regardé comme la mise à disposition de l’étudiant d’occasions lui permettant d’apprendre. C’est un processus interactif et une activité intentionnelle. Les buts peuvent être des gains dans les connaissances, un approfondissement de la compréhension, le développement de compétences en « résolution de problème » ou encore des changements dans les perceptions, les attitudes, les valeurs et le comportement », dans G. Brown, M. Atkins, Effective Teaching in Higher Education, Londres, Routledge, 1988. 144 Hanover Research, “Best Practices for the Flipped Classroom”, 15 octobre 2013. [En ligne] Disponible sur : www.hanoverresearch.com/insights/best-practices-for-theflipped-classroom/?i=retail, consulté le 15 septembre 2015.
des activités d’apprentissage supplémentaires et « hors MOOC ». Une autre qualité de l’ingénierie pédagogique propre à la classe inversée est, nous l’avons vu, qu’elle s’inscrit dans un espace de grande perméabilité entre la classe et le monde extérieur. Par sa transparence, son ouverture sur les réalités externes, la classe peut prendre des allures d’ateliers, de laboratoires d’expérimentation, de mini-entreprises, etc. Par un mouvement d’appui sur des ressources externalisées qui lui est propre, la classe inversée projette la relation didactique en dehors des murs de l’école. Elle ouvre aussi cette relation éducative à d’autres intervenants, relais des réalités et des contextes extérieurs. En inscrivant les étudiants dans un réseau de relations, dans des projets collectifs, l’enseignant les place en situation de devenir des acteurs cogestionnaires de projets. Mais susciter la création d’un réseau autour de ses étudiants suppose que l’enseignant y prenne part également. L’enseignant n’est donc pas qu’un concepteur d’activités pédagogiques, il est lui-même un « acteur social145 » dans la mesure où il participe à ce mouvement d’apprentissage décloisonné. Dans ce champ d’évolution des compétences de l’enseignement se dessine, dans des facettes encore imprécises, un nouveau paradigme de relation pédagogique dont les défis ouvrent des perspectives inédites pour le développement professionnel de l’enseignant. Nous constatons, d’une manière qui pourrait sembler paradoxale, que cette évolution se construit dans un « lâcher prise » sur au moins deux dimensions principales : le rapport aux savoirs (à transmettre ou à re-construire) et le rapport aux rôles (maître instruit, acteur social). Dans la figure ci-contre, ces deux dimensions (avec chaque fois trois exemples d’évolution possible) sont présentées, qui sous-tendent un plan dans lequel nous avons fait figurer deux modalités de classes inversées (« niveau 1 » et « niveau 2 »).
145 Le lecteur trouvera plus d’informations sur cette notion dans le référentiel de compétences de l’enseignant : L. Paquay, « Vers un référentiel des compétences professionnelles de l’enseignant ? », Recherche et Formation, n° 15, juin 1994, p. 7-38.
RECHERCHES ET EXPÉRIMENTATIONS
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DIFFÉRENTES CONFIGURATIONS DE CLASSES INVERSÉES À COMPOSER À L’INTERSECTION DES RAPPORTS AUX SAVOIRS TRANSMIS OU CONSTRUITS ET AUX RÔLES TENUS PAR LES DIFFÉRENTS ACTEURS
INNOVATION ET MUTUALISATION DES PRATIQUES Les enseignants qui pratiquent la classe inversée sont rarement seuls. Tout se passe comme si les étapes de conception de ce type de dispositif hybride ne pouvaient se réaliser sans une insertion plus ou moins importante dans une communauté plus ou moins formelle de praticiens. Ces communautés de pratiques autour de la classe inversée sont de formidables banques de ressources : médias divers (testés et commentés par des enseignants), forums de partage d’expériences. Ces réseaux s’organisent aussi bien dans la proximité géographique (au sein d’une même institution scolaire, entre collègues) qu’à l’échelle planétaire. Le Flipped Learning Network est la plus grande communauté de praticiens sur Internet, fondée par les pionniers du concept, Sams et Bergmann ; elle compte 23 000 membres « flipped educators » du monde entier. Cette propension au partage des pratiques est particulièrement révélatrice du caractère innovateur des classes inversées. Francesco Alberoni, sociologue italien qui a notamment écrit sur la genèse des conduites innovatrices, évoque bien cette double fonction d’une communauté : à la fois espace d’appartenance et outil de création. Il qualifie même d’« état naissant » ce moment tout à fait particulier que l’on trouve à l’origine des innovations, et qui est une expérience cognitive enthousiasmante, bouleversante, susceptiblede rompre la trame de la vie quotidienne et de lui imprimer une nouvelle direction. Cette expérience vient révéler un individu à lui-même, dévoiler quelque chose qui préexistait,
mais qui demeurait caché. De par sa charge émotionnelle extraordinaire, cette expérience d’abord individuelle devient inévitablement collective, partagée 146. Cette communauté de partage a de nombreuses fonctions. Il faut d’abord songer que l’enseignant innovateur se positionne « à contre-courant ». Il rompt avec les habitudes, les idées, les attentes d’un système face auquel il se tient souvent en porte-à-faux. Cette forme de fragilité constitue un excellent ciment pour recréer une communauté. Un autre aspect tient dans l’enthousiasme vécu par les pionniers. « La rencontre d’une personne dans la même situation met en branle un intense processus d’échange, et, d’individuelle qu’elle était, la recherche devient collective.147 » Les individus qui partagent cet engouement tendent à se sentir profondément semblables et créent donc des communautés non institutionnelles, des réseaux souples où un nouveau membre est immédiatement accueilli et considéré comme un pair. On est donc loin des structures institutionnelles classiques. Enfin, un dernier aspect auquel répond certainement l’exigence de former une communauté est celui d’accumuler savoirs et expériences afin de mieux appréhender le mouvement à l’œuvre et ses répercussions.
146 F. Alberoni, Genesis : mouvements et institutions, Paris, Ramsay, 1992. [En ligne] Disponible sur : www.alberoni.it/ pdf/genesi.pdf , consulté le 15 septembre 2015. 147 Id.
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Dans cette perspective, le concept de Sams et Bergmann est devenu un patrimoine commun dont il s’agit d’explorer collectivement les fondements, le dynamisme et de développer les potentialités. Les praticiens ont été les premiers à s’emparer du phénomène, dans une démarche collective d’expérimentation et d’approfondissement permettant de dégager peu à peu un ensemble de bonnes pratiques. Et, depuis quelques années, ils mènent des recherchesactions sur leur dispositif. Plus récemment, procédant selon une méthodologie dite plus rigoureuse, des chercheurs en sciences de l’éducation ont commencé à s’interroger sur le concept.
LESCLASSESINVERSÉES, QU’ENDISENT LESRECHERCHES?
La recherche sur les classes inversées peut se comprendre comme l’ultime étape d’un parcours de développement professionnel pour les enseignants pionniers. Selon l’approche SoTL ( Scholarship of Teaching and Learning), le développement d’un enseignant se décline en trois phases successives potentielles148 : – une première phase au cours de laquelle les enseignants vont développer des connaissances relatives à leur enseignement et à l’apprentissage de leurs étudiants ; – une seconde phase caractérisée par l’échange et le développement de connaissances entre collègues d’une même discipline ; – une troisième phase qui est la production et la diffusion de savoirs et, par là, la contribution au champ de la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage.
l’apprentissage s’il est inspiré de méthodes pédagogiques appropriées 152 . Enfin, son atout réside aussi dans sa participation à un environnement d’apprentissage flexible avec la possibilité d’interrompre l’exposé et de choisir le lieu de visionnage ; – les attentes du monde professionnel qui supposent le développement d’habiletés difficiles à acquérir par des cours magistraux : habiletés à communiquer efficacement, à collaborer ; compétences en formulation et résolution de problèmes 153. Par ailleurs, le développement exponentiel des savoirs fait qu’il est devenu impensable d’enseigner tous les faits et les contenus nécessaires à une profession 154. L’apprenant est aujourd’hui considéré comme responsable de la manière dont il structurera et personnalisera son expérience éducative 155.
FONDEMENTS THÉORIQUES Selon Jacob Bishop et Matthew Verleger, chercheurs qui ont réalisé une importante revue de la littérature sur la classe inversée, les raisons du succès et du pouvoir attractif de la classe inversée résident dans deux grands facteurs 149 : – les études sur l’utilisation de la vidéo, et la vidéo interactive en particulier, qui l’ont révélée comme un moyen de transmission aussi performant que le cours magistral150, voire meilleur151. Des auteurs ont montré que l’usage de la vidéo améliore
148 C. Weston, L. McAlpine, “Integrating the scholarship of teaching into the disciplines”, New Directions for Teaching and Learning, n° 86, été 2001, p. 89-91. 149 J. L. Bishop, M. A. Verleger, “The Flipped Classroom: A Survey of the Research”, paper presented at the American Society for Engineering Education, Atlanta (GA), 2013. 150 F. Donkor, “The Comparative Instructional Effectiveness of Print-based Instructional Materials for Teaching Practical Skills at a Distance”, International Review of Research in Open and Distance Learning, vol. 11 (1), 2010, p. 96-116. 151 R. Santagata, “Designing Video-based Professional Development for Mathematics Teachers in Lowperforming Schools”, Journal of Teacher Education, vol. 60 (1), janvier-février 2009, p. 38-51.
Le concept de « classe inversée » se fonde sur le constat que le cours magistral transmissif n’est pas le format le plus propice à un apprentissage centré sur l’étudiant. En ce sens, la classe inversée est une stratégie éducative qui s’inscrit pleinement dans le courant socioconstructiviste qui considère que l’apprentissage est favorisé par un environnement qui permet l’action, l’interaction, la résolution de problèmes. Le professeur qui doit déjà transmettre sa matière dispose de peu de temps en classe pour créer des
152 A. M. F. Yousef, M. A. Chatti, U. Schroeder, “Video-Based Learning: A Critical Analysis of The Research Published in 2003-2013 and Future Visions”, dans eLmL 2014, The Sixth International Conference on Mobile, Hybrid, and On-line Learning, 2014c, p. 112-119. 153 J.L. Bisphop, M.A. Verleger, op. cit. 154 J. F. Giddens, D. P. Brady, “Rescuing Nursing Education from Content Saturation: The Case for a Concept-based Curriculum”, Journal of Nursing Education, vol. 46 (2), février 2007, p. 65-69. 155 T. Bristol, “Flipping the Classroom”, Teaching and Learning in Nursing, vol. 9 (1), janvier 2014, p. 43-46.
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dispositifs pédagogiques à la fois individualisés et différenciés. L’originalité de la classe inversée et son atout majeur résident précisément dans la possibilité de libérer du temps en transférant l’information avant la classe de manière à pouvoir y augmenter le temps d’activités visant l’acquisition d’habiletés cognitives plus complexes156. Elle offre aussi l’avantage de structurer le temps de travail de l’étudiant en dehors de la classe tout en lui permettant de travailler ses apprentissages en profondeur lors des activités en présentiel. La large palette des dispositifs pouvant correspondre à cette démarche est à l’origine d’un flou conceptuel important. Cette confusion a conduit les membres du « Flipped Learning Network » à proposer une définition consensuelle précise, déclinée en quatre piliers 157 et 11 indicateurs : – le premier pilier est relatif à la flexibilité de l’environnement d’apprentissage. À distance, en présence, dans des lieux choisis par les étudiants en fonction de leurs possibilités et de leurs préférences ; – le deuxième pilier est la culture de l’apprentissage . Il s’agit d’opérer un focus sur ce que l’étudiant a à apprendre et créer le climat relationnel, l’inscrire dans une culture susceptible de permettre cet apprentissage ; – le troisième pilier est le contenu intentionnel : le formateur cible, crée ou rassemble les ressources pertinentes et les rend accessibles pour tous les étudiants ; – le quatrième pilier consacre l’enseignant comme un « éducateur professionnel », moins démonstratif et moins visible mais disponible et attentif. Chacun de ces piliers est décrit par une série d’indicateurs que nous avons repris sous le format d’une check-list, un questionnaire d’autopositionnement permettant à tout enseignant d’évaluer l’inscription de sa démarche pédagogique au sein du concept de classe inversée (encadré ci-contre).
156 M. W. Redekopp, G. Ragusa, “Evaluating Flipped Classroom Strategies and Tools for Computer ? Engineering”, ASEE Annual Conference and Exposition, Atlanta, GA, ASEE, 2013. Et H. Songhao, K. Saito, T. Maeda, T. Kubo, “Evolution from collaborative learning to symbiotic e-learning : Creation of new e-learning environment for knowledge society”, US-China Education Review, vol. 8 (11), janvier 2011, p. 46-53. 157 Ces quatre piliers sont dénommés par le sigle F-L-I-P : Flexible environment, Learning culture, Intentional content et Professional educator.
f l i p c h e c k - l i s t : questionnaire d’autopositionnement p o u r l ’ e n s e i g n a n t Environnement flexible
– J’organise les espaces et les temps de manière à permettre aux étudiants d’interagir et de réfléchir aux apprentissages qui leur sont nécessaires. – J’observe et accompagne constamment mes étudiants pour réaliser des ajustements pertinents. – Je propose aux étudiants une variété de situations d’apprentissages et différentes manières de me démontrer leur maîtrise. « Learning culture »
– J’offre à mes étudiants l’opportunité de s’engager dans des activités significatives sans que mon rôle y soit central. – J’élabore des activités que je rends accessibles à tous les étudiants à travers la différenciation et les feed-back. Contenus intentionnels
– Je sélectionne des concepts que j’expose directement aux étudiants et ceux qu’ils auront à découvrir par eux-mêmes. – Je crée/recueille des ressources pertinentes pour mes étudiants. – Je différencie mes approches pour créer des contenus accessibles et appropriés à tous mes étudiants. Professionnel de l’éducation
– Je me rends disponible pour donner aux étudiants des feed-back en temps réel, individuellement, en petit ou en grand groupe. – Je mène des évaluations formatives durant le cours, à travers l’observation ou l’enregistrement de données. – Je collabore et réfléchis avec d’autres enseignants et prends la responsabilité de changer ma pratique. LA FLIP CHECK�LIST, QUESTIONNAIRE D’AUTOPOSITIONNEMENT ADAPTÉ DE � THE FOUR PILLARS OF F�L�I�P � ISSU DU FLIPPED LEARNING NETWORK.
RECHERCHES ET EXPÉRIMENTATIONS
REVUE DE LIT TÉRATURE Indirectement et considérant que les classes inversées constituent une modalité des dispositifs hybrides, le lecteur pourra retrouver dans la troisième partie du présent ouvrage des éléments de la recherche Hy-sup consacrée à l’étude de tels dispositifs et de leurs effets en fonction des composantes identifiées : présence/ distance, médiatisation et médiation, accompagnement et ouverture. Les recherches spécifiques qui évaluent l’approche en classe inversée sont encore relativement peu nombreuses et comportent des limites méthodologiques importantes. À l’exception de l’étude quasi expérimentale de Jason Day et Jim Foley158, les études qui ont été menées se fondent sur les perceptions subjectives des étudiants ou sur la comparaison de cohortes 159. Trois grandes questions sont investiguées : la satisfaction des étudiants par rapport au dispositif, son impact sur l’apprentissage et son impact sur l’enseignant (sa perception des étudiants et son bien-être au travail) : – concernant la satisfaction des étudiants, les études présentent un pattern de résultats assez congruents. De manière générale, les recherches montrent que, même s’ils sont généralement réticents au départ, les étudiants apprécient davantage la modalité de la classe inversée par rapport à un cours traditionnel160 . Selon les spécificités des études, les étudiants d’une classe inversée progressent par
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ailleurs plus vite, s’entraident plus 161 et développent des habiletés supplémentaires 162 ; – au niveau des effets sur l’apprentissage, les recherches montrent que les résultats aux examens sont soit identiques à un dispositif traditionnel 163, soit supérieurs 164 . Cependant, fondées essentiellement sur des comparaisons de cohortes, ces études ne permettent pas de se prononcer avec certitude sur l’impact effectif de la classe inversée sur les performances des étudiants à l’issue du cours 165 . Par ailleurs, les dispositifs d’évaluations classiques s’avèrent souvent peu adaptés à l’évaluation des compétences développées dans une classe inversée. Au-delà des « contenus matière », la classe inversée vise le développement de compétences plus transversales qui doivent elles aussi être évaluées, mais qui, en réalité, le sont peu. Entre l’examen d’un cours magistral et celui d’un cours inversé, la comparaison est loin d’être symétrique et le parallèle ne va pas de soi ; – en ce qui concerne la perception des enseignants, une étude menée auprès de 450 professeurs par le Flipped Learning Network en 2012 montre que huit enseignants sur dix perçoivent une amélioration des attitudes de leurs étudiants par rapport à leur apprentissage. Ce résultat est d’autant plus instructif que l’on sait que le désir d’améliorer l’expérience d’apprentissage des étudiants est la première motivation des enseignants qui initient
161 C. Papadopoulos, A. S. Roman, “Implementing an Inverted Classroom Model in Engineering Statistics: Initial Results”, American Society for Engineering Statistics, Proceedings of the 40 th ASEE/IEEE Frontiers in Education Conference, Washington, DC, octobre 2010. 162 N. Warter-Perez, J. Dong, “Flipping the Classroom: How to Embed Inquiry and Design Projects into a Digital Engineering Lecture”, Proceedings of 2012 American Society for Engineering Education Pacific Southwest Annual PSW ASEE), 2012.
158 J. A. Day, J. D. Foley, “Evaluating a Web Lecture Intervention in a Human-Computer Interaction Course”, IEEE Transactions on Education, vol. 49 (4), novembre 2006, p. 420-431. 159 R. Pierce, J. Fox, “Vodcasts and Active-learning Exercises in a ‘Flipped Classroom’ Model of a Renal Pharmacotheraphy Module”, American Journal of Pharmaceutical Education, vol. 76 (10), décembre 2012, p. 76-196. 160 J. Foertsch, G. Moses, J. Strikwerda, M. Litzkow, “Reversing the Lecture/Homework Paradigm Using eTeachã Web-based Streaming Video Software”, Journal of Engineering Education, vol. 91 (3), juillet 2002, p. 267-274.
163 L. W. Johnson, J.D. Renner, Effect of the Flipped Classroom Model on a Secondary Computer Applications Course: Student and Teacher Perceptions, Questions, and Student Achievement, thèse de doctorat non publiée, University of Louisville, Kentucky, 2012. [En ligne] Disponible sur : http://theflippedclassroom.files.wordpress.com/2012/04/ johnson-renner-2012.pdf , consulté le
15 septembre 2015. 164 C. Papadopoulos, A. Sman, “Implementing an Inverted Classroom Model in En. Rogineering Statistics: Initial Results”, American Society for Engineering Statistics, Proceedings of the 40th ASEE/IEEE Frontiers in Education Conference, Washington, DC, octobre 2010. 165 S. Bissonette, C. Gauthier, « Faire la classe à l’endroit ou à l’envers ? », Formation et profession, vol. 20 (1), 2012, p. 23-28.
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une classe inversée 166. En lien avec ces résultats, on ne s’étonnera pas non plus d’observer un impact positif sur le bien-être des enseignants, puisqu’ils sont 90 % à déclarer éprouver un meilleur sentiment de satisfaction au travail167. Ces résultats très encourageants sont contrebalancés par d’autres qui les tempèrent quelque peu. Ainsi, l’approche en classe inversée semble peu adaptée à un cours d’introduction où les étudiants disposent de peu de bagage préalable 168. Ensuite, et ceci concerne les classes inversées qui s’appuient sur des capsules vidéo, il semblerait que certains étudiants apprennent moins bien devant l’écran 169. Une autre recherche a mis en évidence le fait que certains étudiants se sentent perdus sans les balises d’un cours magistral 170. Enfin, les stratégies interactives propres à la classe inversée tendent à favoriser les étudiants extravertis par rapport aux introvertis. Les classes inversées, nous l’avons dit, ressemblent à des ruches bourdonnantes, parfois bruyantes, par moments chaotiques. Les étudiants ne sont pas tous adeptes de ces espaces de créativité en effervescence. Il est donc important de ne pas stéréotyper un seul format de classe inversée qui risquerait de faire oublier que la solitude, la réflexion et le travail indépendant sont eux aussi propices à l’innovation171.
166 J. Morris, S. Brown, “The Up Side of Upside Down: Center for Digital Education and Sonic Foundry Study Shows Flipped Classrooms Are on the Rise.” [Webinar], 2013. [En ligne] Disponible sur : www.sonicfoundry.com/ FlippedWebinar , consulté le 15 septembre 2015. 167 K. Arfstrom, N. Hamdan, K. McKnight, P. McKnight, The Flipped Learning Model : A White Paper Based on the Literature Review Titled A Review of Flipped Learning, 2013. 168 J. F. Strayer, “How Learning in an Inverted Classroom Influences Cooperation, Innovation and Task Orientation”, Learning Environments, vol. 15 (2), juillet 2012, p. 171. 169 N. Frederickson, P. Reed, V. Clifford, “Evaluating Web-supported Learning Versus Lecture-based Teaching: Quantitative and Qualitative Perspectives”, Higher Education, vol. 50 (4), novembre 2005, p. 645-664. Et M. Hertz, “The Flipped Classroom: Pro and Con”, Edutopia, 10 juillet 2012. [En ligne] Disponible sur : www. edutopia.org/blog/flipped-classroom-pro-and-con-mary-bethhertz , consulté le 15 septembre 2015.
170 K. Mangan, “Inside the Flipped Classroom”, The Chronicle of Higher Education, 30 septembre 2013. [En ligne] Disponible sur : http://chronicle.com/article/ Inside-the-Flipped-Classroom/141891/ , consulté le 15 septembre 2015. 171 B. Honeycutt, S. Egan Warren, The Flipped Classroom: Integrating Moments of Reflection, Faculty Focus, Magna Publications, 17 février 2014.
De cette revue de littérature non exhaustive, il est bien difficile, et probablement trop prématuré, de se prononcer sur les effets des classes inversées. À l’issue de leur article de recherche sur les classes inversées, Nizet et Meyer (2015) partagent le même constat et affirment qu’il est impossible d’obtenir pour l’instant une vision claire de effets de la classe inversée sur la réussite scolaire ou académique 172. Il apparaît que ce champ de préoccupation est encore très disparate que ce soit en termes de consensus conceptuel, de méthodologies utilisées, de résultats obtenus: » – le concept de classe inversée pose sur le plan de la recherche un problème fondamental, car sa définition est tellement large qu’elle recouvre des réalités de pratiques très hétérogènes. Il est impossible de comparer les études entre elles, problème qui a été soulevé par le Flipped Learning Network ; – les méthodes de recherches adoptées varient considérablement selon les études, avec une majorité de « recherches-actions » dans lesquelles est pleinement engagé l’enseignant. Les possibilités de généralisation sont donc limitées. L’absence de recherches expérimentales ne permet pas d’isoler les effets propres au dispositif de la classe inversée des autres variables comme l’effet de l’enseignant par exemple. Il est dès lors bien difficile de percevoir les véritables impacts directement liés à l’inversion ; – par conséquent, que l’on s’exprime en termes d’effet sur la satisfaction ou d’impact sur l’apprentissage, c’est l’inconsistance des résultats qui domine la littérature. Les failles méthodologiques et conceptuelles des études offrent peu de possibilités de généraliser leurs conclusions à d’autres dispositifs. Les études sont peu comparables entre elles. La plupart des résultats sont issus de mesures autorapportées et, lorsqu’ils reflètent un gain de performance, les effets de cohortes empêchent d’en tirer des conclusions valides. Cependant, un mouvement de recherche est en plein essor sous l’impulsion de cette communauté de praticiens qui ne cesse de croître en nombre et en structure. En dépit de la prudence qui s’impose au vu des premiers résultats, l’enthousiasme et la perception très positive des enseignants protagonistes sont
172 I. Nizet, F. Meyer, « La classe inversée : que peut-elle apporter aux enseignants ? », 11 février 2015. [En ligne] Disponible sur : www.cndp.fr/agence-usages-tice/ que-dit-la-recherche/la-classe-inversee-que-peut-elleapporter-aux-enseignants-79.htm, consulté le
15 septembre 2015.
RECHERCHES ET EXPÉRIMENTATIONS
certainement des indicateurs prometteurs. À l’avenir, ainsi que le recommandent les chercheurs173, il s’agira de mieux comprendre les contextes au sein desquels les classes inversées sont des stratégies pertinentes. Il s’agira également d’identifier les mécanismes institutionnels qui remplissent une fonction cruciale tant au niveau du support (notamment au niveau de l’accompagnement et des ressources mises à leur disposition) que de la valorisation (notamment dans la reconnaissance du temps que l’enseignant consacre à la qualité pédagogique de ses enseignements).
PAROLES DE PRATICIENS Dans la mesure où le mouvement de la recherche en classe inversée en est encore à ses débuts, il est très éclairant d’observer les autres lieux de communications sur la classe inversée. Beaucoup d’enseignants choisissent en effet de partager leur expérience et leur réflexion dans d’autres formats que celui de l’écriture scientifique. Ainsi, nombreux sont ceux qui s’expriment à travers leurs blogs personnels. L’intérêt de ce format communicationnel est son ouverture et l’interactivité qu’il permet et dont il se nourrit. En outre, le blog offre un espace très peu codifié qui en fait un média finalement particulièrement approprié à la description de la « personnalisation de l’enseignement174 » à l’œuvre dans les classes inversées. Sur la Toile, des enseignants-bloggeurs décrivent leur expérience avec une démarche proche de celle du chercheur. Le caractère novateur du dispositif entrepris les conduit à décrire leur dispositif, à l’évaluer et à en partager les résultats. Chacune de ces étapes est lue et commentée par d’autres enseignants-contributeurs. Cette sorte de peer-reviewing informel, entre amateurs identifiés ou non, alimente la démarche réflexive des enseignants.
173 J. Yarbo, K. M. Arfstrom, K. McKnight, P. McKnight, “Extension of the Flipped Learning Review”, Flipped Learning Network, Pearson, George Masson University, juin 2014. 174 S. Blitman, « La classe inversée, un véritable bouleversement pédagogique ? », EducPros.fr, 12 décembre 2014. [En ligne] Disponible sur : www. letudiant.fr/educpros/actualite/la-classe-inversee-uneveritable-revolution-pedagogique.html, consulté le
15 septembre 2015.
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Mais les praticiens de la classe inversée, ce sont aussi les étudiants, partenaires incontournables du dispositif. Comment vivent-ils l’inversion ? Sur ce plan également, les blogs de certains enseignants s’avèrent extrêmement instructifs. Dans un de ses billets paru en mars 2015 sur son blog, Jean-Charles Cailliez livre en toute transparence les réactions de ses étudiants 175 . Il y a pratiquement autant d’opinions que d’étudiants ; certains sont ravis et d’autres déroutés. En partageant ces témoignages, l’enseignant met à disposition de ses lecteurs une mine d’informations précieuses montrant que la classe inversée est une démarche qui est loin d’être évidente et qui nécessite un accompagnement soutenu. Ces banques d’expériences et de témoignages pourraient contribuer à l’établissement d’une base de données plus importante qui pourrait, à son tour, constituer un matériel de recherche tout à fait pertinent.
Alors qu’un cours donné dans un format traditionnel offre assez peu de possibilités à l’enseignant de se développer dans l’art d’enseigner 176, en classe inversée, le focus sur l’apprentissage de l’étudiant l’amène à « descendre de son estrade » pour établir de nouvelles modalités de rapport avec les étudiants. Cette expérience tout aussi passionnante qu’inconfortable par sa nouveauté amène l’enseignant à se tourner vers ses pairs, à interroger son dispositif d’apprentissage, à l’analyser, à le rendre transparent pour pouvoir le confronter à d’autres collègues. Aujourd’hui, si l’on ne peut encore conclure à un impact clair des classes inversées sur l’apprentissage des étudiants, on observe néanmoins des signes très prometteurs. Parmi ceux-ci, le plus flagrant est peut-être ce foisonnement épistémique si caractéristique des classes inversées et de l’acti vité de leurs protagonistes. Les classes inversées sont de véritables laboratoires pour observer la manière
175 J.-C. Cailliez, « Quand l’innovation pédagogique peut déplaire (faire peur) aux (très bons) étudiants… pas de panique ! », mars 2015. [En ligne] Disponible sur : http:// blog.educpros.fr/jean-charles-cailliez/2015/03/02/quandlinnovation-pedagogique-peut-deplaire-faire-peur-aux-tresbons-etudiants-pas-de-panique/ , consulté le 15 septembre
2015. 176 M. Larcara, “Benefits of the Flipped Classroom Model”, dans J. Keengwe, G. Onchwari, J. N. Oigara (éds.) Promoting Active Learning Through the Flipped Classroom Model, Hershey (PA), Information Science Reference, 2014, p. 132-144.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
dont le savoir est interrogé, expérimenté, révélé, communiqué, critiqué… Le dynamisme relationnel dont les classes inversées sont porteuses témoigne du type de communauté qu’elles sont en mesure de stimuler : « celle que les esprits humains sont capables de former entre eux par ce lien mystérieux qui est celui du savoir177».
177 M. Gauchet, « La question de la transmission », conférence organisée par le CePPecs (Collège européen de philosophie politique de la culture de l’éducation et de la subjectivité) avec la collaboration du SeGEC (Secrétariat général de l’enseignement catholique), de l’Enseignement de la communauté française et de l’Institut supérieur de formation sociale et de la communication, 19 février 2011.
FREINS ETMOTEURS POURLES CLASSES INVERSÉES
LESCLASSESINVERSÉES, UNESTRATÉGIE FÉDÉRATRICE
Dans les parties qui précèdent, nous avons exprimé notre enthousiasme et notre conviction envers les classes inversées qui peuvent (et nous avons maintes fois insisté sur ce potentiel à activer) contribuer à un apprentissage de qualité pour les générations futures. Cette conviction se fonde principalement sur des éléments plus théoriques basés sur la littérature scientifique en ce qui concerne l’apprentissage (comment apprend-on ? quels sont les facteurs qui influencent l’apprentissage ?), et surtout sur nos propres pratiques et d’autres rencontrées chez nous et à l’étranger. Il convient cependant d’exprimer aussi les interrogations permanentes, ainsi que les conditions et les limites du fonctionnement des classes inversées en ne considérant pas ces dernières comme des clauses rédhibitoires, un empêchement absolu, mais plutôt comme des obstacles que notre imagination doit surmonter. Les contraintes, une fois franchies, sont autant de portes vers de nouveaux horizons pédagogiques. Les promesses d’une nouvelle technologie ou d’une nouvelle stratégie pédagogique doivent en revanche éveiller notre attention 178. Un bref retour sur les « pourquoi » (les causes) et les « pour quoi » (les finalités) de la stratégie des classes inversées s’impose. Nous avons présenté ces arguments tout au long de l’ouvrage, mais il semble important de les rappeler ici tant ces moteurs peuvent se muer en freins s’ils sont mal ou trop vite mis en action. C’est un risque majeur qui menace toute innovation qu’elle soit technologique ou pédagogique ; nous l’exprimons dans les termes d’ « ornières de l’innovation ». Celles-ci sont étroitement liées à la fossilisation des pratiques (refaire à peu près la même chose qu’avant avec les « nouveaux » outils ou « nouvelles » méthodes) que nous rencontrons bien souvent dans les utilisations concrètes des TIC.
178 Il est intéressant d’examiner avec attention ces promesses technopédagogiques qui bien souvent se transforment en mythes. À cet égard, le livre de Franck Amadieu et André Tricot ( Apprendre avec le numérique : mythes et réalités, Paris, Retz, 2014) est très éclairant.
Le principe de cohérence, ou alignement constructif, présenté p. 41-42, permet de construire des dispositifs favorables à l’apprentissage, ce qui compte le plus in fine. Cette cohérence, initialement proposée par Biggs179, et développée ensuite pour tenir compte des outils numériques180, est toujours à revisiter, à reconsidérer, à améliorer. Elle repose sur une harmonie entre les objectifs visés, les méthodes mises en place pour les atteindre (ou, mieux, pour que nos apprenants les atteignent), les ressources et outils, en particulier celles et ceux apportés par les TIC (on dit actuellement le numérique). Cette cohérence s’appuie aussi sur les évaluations portant sur le dispositif luimême (a-t-il bien fonctionné ? comment l’améliorer la prochaine fois ?) et sur les apprentissages effectivement réalisés par les élèves ou les étudiants. C’est ce principe fédérateur qui, selon nous, est à la base du succès actuel des classes inversées qui se propagent rapidement de l’école primaire à l’enseignement supérieur, en passant par les classes du secondaire.
179 J. Biggs, “Enhancing Teaching through Constructive Alignment”, Higher Education, n° 32, 1996, p. 347-364. “Constructive Alignment in University Teaching”, dans P. Kandbinder (éd.), HERDSA Review of Higher Education, vol. 1, Higher Education Research and Development Society of Australasia, 2014. [En ligne] Disponible sur : www.herdsa.org.au, consulté le 15 septembre 2015. 180 M. Lebrun, « Impacts des TIC sur la qualité des apprentissages des étudiants et le développement professionnel des enseignants : vers une approche systémique », Sticef.org , vol. 18, 2011. [En ligne] Disponible sur : http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2011/03rlebrun/sticef_2010_lebrun_03r.htm, consulté le 15 septembre 2015. Pour l’application de ces « notions thermodynamiques » au domaine de l’enseignement et de l’apprentissage, voir : http://cursus.edu/dossiers-articles/ articles/17354/ordre-desordre-enseignement/#.VfhAIxH tlBc
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Ressources et outils (numériques)
CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
Méthodes
(compétences)
Évaluations (apprentissage)
Évaluations
LA COHÉRENCE À RECHERCHER ENTRE LES OBJECTIFS, LES MÉTHODES, LES RESSOURCES ET OUTILS ET LES ÉVALUATIONS
Ainsi, les classes inversées se situent au confluent de différents courants qui agitent « l’école » depuis un certain temps en y provoquant pas mal de remous, voire de chaos. En systémique, l’interaction entre plusieurs variables est susceptible de générer un état de complexité dans lequel on risque de se perdre. Cependant des situations plus stables peuvent aussi émerger, à condition de bien délimiter et instancier ce squelles « l’ordre peut naître du désordre 181 ».
soutenu par différents savoirs et appliqué dans différents contextes), qui incluent savoir-faire, savoir être et savoir devenir. D’une part, les compétences s’appuient sur des savoirs et contribuent à les construire ; d’autre part, il existe des savoirs sur les compétences, par exemple sur le « comment communiquer », le « comment travailler en groupe », etc. Les enseignezvous aussi ?
Les classes inversées naissent donc de ces tourbillons et il est important d’examiner en détail ces courants dévastateurs ou fédérateurs qui interfèrent dans la construction du dispositif pédagogique 182. Examinons donc à présent ces tensions en ce qui concerne les ingrédients de l’alignement constructif.
Au-delà de ce hiatus encore, les savoirs de l’école, comme les compétences évidemment, sont cantonnés, cloisonnés par les disciplines et par les niveaux d’étude. Or certaines compétences, les compétences transversales, sortent de ces girons pour acquérir une indépendance par rapport aux matières enseignées et continuer à se développer, toute la vie durant, au-delà des cours temporellement marqués (« le cours de… », « la classe de… »). Ainsi sont les compétences de recherche informationnelle, d’esprit critique, de collaboration, de travail en équipe, de communication, d’autonomie. Elles sont aussi les prémices d’une « humanité numérique » en devenir 184. Les classes inversées (celles de niveau 1, de niveau 2 et l’intégration de ces niveaux) constituent un terreau pour le développement de ces compétences (à la fois disciplinaires et transversales) dans une intégration toujours à rechercher.
Les objectifs, tensions entre savoirs et compétences
Les méthodes, tensions entre transmission des savoirs et construction des connaissances
En ce qui concerne les objectifs, ils sont actuellement traduits en termes de compétences et on sait la difficulté rencontrée par les enseignants (formés eux aussi par les savoirs pédagogiques, technologiques, disciplinaires) pour les mettre en place au-delà de la matière au programme. Et c’est sans doute là un des plus grands points faibles : il n’y a pas, d’une part, les savoirs à transmettre et, d’autre part, ensuite, en d’autres lieux ou d’autres temps, l’application ou l’exercice de ces savoirs dans des contextes appropriés. La séparation entre le monde des idées et celui de l’expérience est révolue, même si cet antagonisme a occupé des générations de philosophes. La notion de compétence183 contient les savoirs (un savoir agir
Les méthodes pédagogiques sont les traductions au niveau de la classe ou au niveau de la formation de plusieurs courants pédagogiques qui se sont élaborés et interpénétrés tout au long du siècle précédent 185 : le béhaviorisme (l’étude des comportements et du « comment les influencer »), le cognitivisme (l’étude de nos structures cognitives – la boîte noire cérébrale – et du « comment les faire mieux fonctionner »), le constructivisme (la construction des connaissances par l’individu et du « comment la favoriser »), le socioconstructivisme (la part du collectif dans l’apprentissage et du « comment nous apprenons des autres »), le connectivisme (l’apprentissage formel et informel dans les réseaux). De même que les référentiels de
LA COHÉRENCE À PLUSIEURS NIVEAUX
181 Pour l’application de ces « notions thermodynamiques » au domaine de l’enseignement et de l’apprentissage, voir : http://cursus.edu/dossiers-articles/ articles/17354/ordre-desordre-enseignement/#.VfhAIxHtlBc
182 M. Lebrun, D. Smidts, G. Bricoult, Comment construire un dispositif de formation ? Bruxelles, De Boeck, 2011. 183 Voir supra la définition qu’en donne Jacques Tardif, p. 42 et note 54.
184 Nous pouvons relier ces propos à un idéal démocratique d’émancipation des individus auquel les technologies peuvent contribuer. Les implications dans la vie sociale, économique, politique sont déjà manifestes. Comment y préparer nos élèves ? 185 Notre livre Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : quelle place pour les TIC dans l’éducation ? (Bruxelles, De Boeck, 2005) présente une synthèse de ces différents courants pédagogiques.
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
compétences objectivent l’approche par compétences, les méthodes pédagogiques actives concrétisent ces courants pédagogiques dans les pratiques de la classe. Ainsi, nous rencontrons par exemple : – l’apprentissage contextualisé (AECA186), qui propose deux grands principes pédagogiques : l’authenticité du contexte et le compagnonnage cognitif. Chacun d’eux est composé de sept conditions d’action, guidant la planification et la réalisation d’activités d’apprentissage et d’enseignement, et tenant particulièrement compte des contextes professionnels dans lesquels les connaissances et les compétences acquises seront transférées. Ce cadre théorique apporte ainsi un éclairage non seulement sur la définition des contextes d’apprentissage propices au transfert, mais aussi sur la qualité de l’accompagnement des étudiants au plan du traitement de l’information qu’ils sont appelés à réaliser au moment d’utiliser leurs connaissances ; – l’apprentissage expérientiel187 de Kolb dans lequel les contextes, les cas, les situations-problèmes conduisent l’apprenant à rechercher lui-même les savoirs (dans des ressources ou chez l’enseignant) devenus nécessaires, et non nécessairement préalables à l’application au contexte ; – l’apprentissage par problèmes, les études de cas, l’apprentissage collaboratif via le travail d’équipe ou de groupe, l’apprentissage par projet et son caractère intégratif.
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Les méthodes constituent des cheminements proposés et mis en place par l’enseignant pour accompagner l’étudiant dans l’apprentissage des savoirs et des compétences. Encore une fois, enseigner, former, c’est mettre en place des conditions (ressources, activités et interactivités, environnement, etc.) dans lesquelles l’apprenant pourra apprendre. Dans cette compréhension, les classes inversées constituent une stratégie (ou une métaméthode) dans laquelle différentes méthodes peuvent se côtoyer ou se renforcer dans un scénario dûment réfléchi. La pertinence du principe de variété, qui pourrait correspondre à la nécessité de mieux s’adapter aux styles préférentiels de chacun ou à développer, est ici mise en avant. Nous avons montré un exemple (toujours en évolution) de dispositif de l’un de nos enseignements dans lequel le principe de variété nous a guidés : une classe inversée au sens du niveau 1, mais aussi de l’enseignement et de l’évaluation par les pairs, un mini-colloque, etc. De même que, concernant les objectifs, les compétences n’estompent pas les savoirs, nous pensons que l’enseignement traditionnel, fondé principalement sur la transmission des savoirs et leur antériorité par rapport aux exercices et applications contextuels, n’est pas exclu des méthodes que nous préconisons ici. Tout est question d’opportunité, de juste équilibre, de bon dosage, mais il restera toujours à l’apprenant de transformer ces savoirs – déjà et de plus en plus transmis – en connaissances, avec les autres, enseignants et apprenants. Les ressources et outils, entre émancipation et aliénation
186 On parle ici d’AECA, apprentissage et enseignement contextualisés authentiques. M. Frenay, D. Bédard, « Des dispositifs de formation s’inscrivant dans la perspective d’un apprentissage et d’un enseignement contextualisés pour favoriser la construction de connaissances et leur transfert » A. Presseau et M. Frenay (dir.) », 2004 in Le Transfert des apprentissages : comprendre pour mieux intervenir, Québec, Les presses de l’université Laval, 2004, p. 241-268. 187 À ce propos, voir la synthèse proposée par Amaury Daele sur son blog : « Pédagogie universitaire – enseigner et apprendre en enseignement supérieur », 24 mai 2009. [En ligne] Disponible sur : https:// pedagogieuniversitaire.wordpress.com/2009/05/24/reflechir-ason-enseignement/ , consulté le
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Les ressources et outils du numérique à l’école font couler beaucoup d’encre. Entre discours enthousiasmants, résistances farouches et déconvenues fracassantes, entre les potentiels des TIC et les nécessités de faire évoluer leurs contextes d’implantation, il est bien difficile de tracer un cheminement fertile pour que nous, enseignants et apprenants, ne restions pas au bord des autoroutes de l’information qui nous submerge et de la communication qui nous épuise.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
Il ne s’agit pas d’ajouter une couche technologique aux habitudes de transmission des savoirs prises à l’époque où le livre était rare comme le montre le tsunami actuel des MOOC 188 . Les ressources pour apprendre restent une condition nécessaire pour apprendre, mais cette approche est loin d’être suffisante. L’école (au sens large) demande une révision profonde. D’espace « privé » en lieu et temps, elle devient plus que jamais espace d’écolage pour la société complexe, espace mobilisable pour un apprentissage toute la vie durant. Le réseau rend poreux les cloisonnements artificiels entre les disciplines, les rendant ainsi plus aptes à se confronter aux situations et aux problèmes locaux et régionaux. Aussi, la distance toute virtuelle peut redonner de la valeur à la présence. Les processus d’évaluation, tensions entre certifications et valorisations
Les classes inversées montrent le chemin de certaines transformations pour l’école de demain, mais la route sera longue. Le rapport aux savoirs est bousculé par l’externalisation des ressources et les changements dans les rôles des formateurs et des apprenants sont inévitables en ces temps de « connectivisation » et d’horizontalisation des interactions. Il ne s’agit pas tant d’outils, de méthodes, que de changements de mentalités. La nécessité de ces changements, de ces états d’esprit est évidente, les technologies sont là au moment opportun, à la fois causes et solutions, à la
188 Le lien entre classes inversées et MOOC est souvent fait : voilà donc des ressources en ligne qui peuvent être utilisées avant d’autres activités et interactivités en classe. Il importe de considérer que, si le MOOC est bien réalisé, il comporte sa propre logique, son propre scénario constitué de ressources visuelles, d’exercices, d’activités à réaliser et parfois d’interactivités avec l’enseignant et les autres participants, tout cela en vue d’un usage autonome, en ligne. Le couplage de ce scénario interne, le plus complet possible en soi, avec la logique des classes inversées (qui associe fortement activités à distance et en présence, peut poser problème : question de granularité (par exemple, la longueur des capsules vidéo), de complémentarité des activités à distance prévues dans le MOOC et celles en présence (qui devraient être initiées dans le MOOC), de tempo entre les cours en présentiel et la diffusion du MOOC. On lira avec intérêt le blog de l’IPM Strip-Teach, en particulier l’article « MOOC et classe inversée : Les défis pédagogiques posés par l’ère numérique », 8 avril 2014. [En ligne] Disponible sur : http://blogs. uclouvain.be/ipmblog/2014/04/08/mooc-et-classe-inverseeles-defis-pedagogiques-poses-par-lere-numerique/ , consulté
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fois remèdes et poisons comme dirait Socrate 189. Tout y est. Oui, mais les mutations sont lentes ; même à l’heure du numérique, il faudra probablement réapprendre la patience et prendre le temps du nécessaire recul. Les enjeux sont énormes et, finalement, « les technologies nous ont condamnés à devenir intelligents190 ». La stratégie des classes inversées interroge fortement les processus d’évaluation « ordinaire » fondés sur la remémoration des connaissances et leurs applications dans un champ scolaire bien délimité (les exercices) 191 . Différentes inversions (les flips) permettent d’aborder les évolutions attendues à propos des tâches des étudiants et les besoins en termes d’instruments d’évaluation pour les enseignants et pour les étudiants dans une perspective de coévaluation ou d’auto-évaluation. Il ne s’agit plus uniquement d’évaluer des savoirs découverts, stabilisés et transmis par le maître, mais des savoirs construits par les étudiants, socialement contextualisés. De plus, au-delà des savoirs élaborés, c’est aussi la démarche entreprise qu’il s’agit d’évaluer. Pour que cela fonctionne, l’enseignant doit présenter en détail l’activité, qu’elle se situe dans la phase à distance ou dans la phase en présence : le sens qu’elle a ; pourquoi il opère ainsi ; quelles sont les marges de manœuvre dont les étudiants disposent ; les tâches à effectuer et leurs consignes précises, y compris les rôles de chacun si le travail se fait en groupe ; les productions à effectuer et les critères de réalisation,
189 Nous avons cité la fable de Thot dans la première partie. On parle ici du pharmakon (le fait qu’une innovation puisse être porteuse à la fois de promesses et de périls) de Socrate cité dans notre livre Des Technologies pour enseigner et apprendre (Bruxelles, De Boeck, 1999). À l’heure actuelle, les travaux de Bernard Stiegler portent sur cette thématique qu’il étend bien au-delà des outils techniques. Voir par exemple : www. cairn.info/revue-psychotropes-2007-3-page-27.htm
190 « Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents. Comme nous avons le savoir devant nous, comme nous avons l’imagination devant nous, nous sommes condamnés à devenir inventifs, à devenir intelligents… Nous sommes à distance du savoir, à distance de l’imagination, à distance de la cognition en général et il ne nous reste exactement que l’inventivité. C’est à la fois une nouvelle catastrophique pour les grognons, mais c’est une nouvelle enthousiasmante pour les nouvelles générations. » Transcription de la conclusion de Michel Serres dans la vidéo : « Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive », Interstices, 2007. [En ligne] Disponible sur : www.youtube.com/watch?v=w5OqlbrXiOE&fe ature=youtu.be, consulté le 15 septembre 2015. 191 L’article « L’hybridation dans l’enseignement supérieur : vers une nouvelle culture de l’évaluation ? » est disponible sur le site de la revue e-JIREF : http://e-jref. org/index.php?id=81
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
etc. C’est ainsi qu’un scénario précis leur sera communiqué, que des grilles d’évaluation (portant sur les ressources utilisées, les tâches à accomplir, les productions) seront proposées, voire construites avec les étudiants. En cela, sans doute, les classes inversées demandent plus de travail de préparation pour l’enseignant. Ces quelques idées peuvent être associées à la phase en présence correspondant au temps 2 du schéma intégrateur pour les classes inversées 192. La classe inversée s’assortit ainsi, on l’aura compris, de modalités d’évaluation formatives, en cycles courts. Elle ne semble pas trouver sa cohérence dans des évaluations uniquement certificatives, ponctuelles et terminales (qui restent cependant utiles). Pour résumer : les objectifs (le courant des compétences) sont en étroit rapport avec des modes de fonctionnement davantage horizontaux (le courant des méthodes actives) et avec les modes d’évaluation (comment évaluer les processus et les produits), tous marqués par les outils numériques. Les méthodes proposées par l’enseignant se rapprochent de celles qui se développent au niveau de la vie sociale, professionnelle, de la recherche (la construction des savoirs). La cohérence que nous recherchons n’est pas seulement interne, dans le cadre du cours proprement dit, mais externe, en relation avec les différents secteurs de la vie quotidienne : administration, gouvernance, économie, politique, etc. Les « problèmes » de l’école ne se résoudront pas par des mesures ciblées touchant uniquement aux référentiels, aux méthodes (de formation des élèves et des enseignants), à l’équipement numérique. C’est une vision globale et systémique qui doit nous animer et les classes inversées sont probablement un des phénomènes précurseurs de cette nouvelle école ouverte sur la société 193. Le numérique, ce n’est pas seulement de nouveaux outils qui s’ajoutent à la panoplie déjà présente pour enseigner et apprendre à l’école. La question du « numérique à l’école » cache probablement les
192 Voir supra figure « Un modèle systémique des classes inversées à la confluence des niveaux 1 (en bas à gauche) et 2 (en haut à droite) », p. 19. 193 Dans les transitions de phase, par exemple, le passage de l’état liquide à l’état solide dans lequel une structure désordonnée se change en structure davantage ordonnée ou cohérente (dans notre contexte, les changements prévisibles de « l’école »), on peut déceler des signes avant-coureurs de l’état nouveau (des cristaux se forment, des îlots de matière ordonnée apparaissent) : ce sont les phénomènes précurseurs.
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vraies questions en les ramenant trop souvent sous les seuls statuts instrumental, fonctionnel, administratif, voire hiérarchique. Outre l’école, la société tout entière et ses membres sont devenus numériques, et l’évaluation à ce niveau-là (la manière dont nous fondons nos appréciations) montre actuellement déjà bien les effets de ces technologies dans nos comportements. Or l’école prépare à la société qui vient ; elle se doit donc de préparer au mieux les nouvelles générations à ces mutations profondes. En ce sens, l’école sera numérique ou ne sera plus. Le principe de servuction (« puisque vous avez les outils à votre disposition et que les savoirs vous sont accessibles, faites-le vous-même, construisez vous-même votre opinion ») prend ici tout son sens. Cette injonction, même implicite, conduit de nouveau à une horizontalisation des pratiques et des relations, au risque de perdre une qualité des « productions », mais au bénéfice de l’émancipation des individus. Les nouveaux comportements préfigurent le monde de demain et nous interrogent sur les compétences à mettre en place pour vivre et survivre à l’ère numérique : entre émancipation et aliénation, le chemin est étroit.
LES CL ASSES INV ERSÉES, UNE INNOVATION QUI STIMULE OU QUI INHIBE Si nous acceptons ce qui a été dit précédemment (la cohérence globale à rechercher), nous devons dès lors nous interroger sur les conditions qui font que les phénomènes précurseurs, telles les classes inversées, peuvent se consolider et continuer à s’enrichir collectivement au-delà des initiatives pionnières, expérimentales et souvent individuelles. Les méthodes pédagogiques innovantes tout comme les technologies soulèvent à la fois des enthousiasmes parfois exagérés ou infondés et des résistances farouches. Le changement, pourtant porteur d’espoirs, fait craindre de perdre la proie pour l’ombre. Nous pourrions comparer ces in-tensions (un motvalise que nous formons entre intentions motrices et tensions résistives) au fonctionnement d’un oscillateur amorti (le fameux pendule ou le système masseressort) dans lequel l’impulsion donnée au départ peut être contrée par différentes forces opposées (ce n’est pas possible, cela ne marchera pas, le public cible n’est pas prêt, cela coûte trop cher…) pour revenir au point d’équilibre précédent ou dans un autre état fortement ou légèrement différent de l’état précédent. Ces réflexions nous aident à mieux comprendre le
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
Hype Cycle du groupe Gartner 194 (initialement prévu pour expliquer la pénétration – ou non – d’un produit dans le marché) et à l’adapter à la percolation d’une innovation – ou non – dans la société ou dans l’école. Déploiement de la technologie Le temps des
dans un nouvel état
Le retour de « la raison »
Démarrage d’une
désillusions
Temps
DE L’ENCLAVE PIONNIÈRE À LA PRATIQUE ANCRÉE, LA PERCOLATION D’UNE INNOVATION �TECHNOLOGIES, NOUVELLES MÉTHODES…� DANS UN SYSTÈME.
Mais comment expliquer la réussite ou l’échec de telles initiatives au niveau de l’adoption ou du rejet de l’innovation par les autres membres de la communauté au-delà des pionniers ? Pour comprendre ce point, et toujours en rangeant à la fois les technologies numériques et les classes inversées sous la même bannière des innovations, nous nous inspirerons du modèle TAM ( Technology Accepta Acce ptance nce Model Mode l , modèle d’acceptation des tech195 nologies ) issu de la théorie de l’action raisonnée. Ce modèle met en avant deux types de perceptions déterminantes dans l’acceptation l’acceptation de la technologie : perceived usefulness) et la facilité d’util’utilité perçue ( perceived perceived ease of use ). L’utilité perçue lisation perçue ( perceived renvoie au degré selon lequel une personne croit que l’utilisation d’une technologie augmentera sa performance dans son activité professionnelle professionnelle196. Toujours selon les mêmes auteurs, la facilité d’utilisation perçue, quant à elle, renvoie au degré selon lequel une personne croit que l’utilisation d’une technologie se fera sans effort (ou, du moins, lui demandera peu d’efforts). Ces deux perceptions influencent l’attitude
de l’utilisateur envers l’utilisation de la technologie. technologie. Ce modèle peut s’appliquer mutis mutandis aux classes inversées dont l’intérêt et l’utilité ne sont plus à démontrer. Quant à la facilité, elle peut se pratiquer suivant différentes différentes modalités et échelles ; nul besoin d’inverser tout son cours en une fois, de l’inverser complètement à la fois au niveau de la transmission des savoirs (niveau 1) et au niveau des changements de rôles (niveau 2). L’apprentissage des enseignants est aussi progressif, comme le montrent plusieurs modèles de développement professionnel dans un univers technologique ou numérique, dont le modèle SAMR (Substitution, Augmentation, Modification, Redéfinition197). Il décrit différents niveaux d’adoption des technologies par les enseignants : – le premier premier niveau niveau,, « substitution », concerne les outils d’enseignement qui remplacent en l’état d’autres outils sans changement fonctionnel. Par exemple, un syllabus ou encore un polycopié est remplacé par un fichier PDF ; – le deuxième deuxième niveau, niveau, « augmentation », concerne des outils d’enseignement qui en remplacent d’autres avec une augmentation d’utilisation à valeur ajoutée. Par exemple, l’enseignant ouvre un forum pour augmenter l’interactivité dans son cours ; – le troisième troisième niveau niveau,, « modification », concerne l’usage des technologies qui permettent de repenser des tâches de manière significative. Par exemple, un chapitre d’un cours exposé de manière traditionnelle qui serait relativement ardu : au lieu de suivre le cours « classique » dispensé par le professeur, l’étudiant parcourt de manière autonome une série de tâches variées (lire un passage théorique, faire des exercices d’intégration pour s’assurer de sa compréhension, comparer des illustrations, faire une synthèse de l’exposé, etc.). L’enseignant offre alors un nouvel environnement environnement pour soutenir l’apprentissage de ce passage relativement complexe ; – le quatrième quatrième niveau niveau,, « redéfinition », concerne les usages dans lesquels l’enseignant repense son cours et crée des nouvelles tâches qui n’étaient pas concevables antérieurement. Par exemple, imaginer son cours en serious game (jeu sérieux).
194 On consultera avec profit la présentation du cycle du Hype sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_du_ hype
195 On trouvera sur le site EduTechwiki, une présentation de ce modèle : http://edutechwiki.unige.ch/fr/ Mod%C3%A8le_d’acceptation_de_la_technologie
196 F. Davis, R. Bagozzi, R. Warshaw, Warshaw, “User Acceptance of Computer Technology: A Comparison of Two Two Theoretical Models”, Management Science, vol. 35, août 1989, p. 982-1003.
197 R. Puentedura, « Hipassus », 2013. [En ligne] Disponible sur : www.hippasus.com/rrpweblog/archives/2013/03/28/ SAMRandTPCK_AnIntroduction.pdf , consulté le 15 septembre 2015.
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
L’adoption ou non des technologies – et, dans notre optique, des classes inversées – est donc aussi une affaire d’apprentissage au niveau de l’enseignant, le but étant de respecter le mieux possible le principe d’isomorphie (former les enseignants de la même manière même manière qu’on souhaite qu’ils forment leurs apprenants).
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LESCLASSESINVERSÉES, ENTRECRITIQUES ETÉLOGES
Pour terminer cette partie, il nous paraît utile de passer en revue les critiques habituelles entendues à propos des classes inversées (en les considérant comme autant de points d’attention pour le succès de la démarche) et les éloges tout aussi habituels (en sachant que les promesses demandent d’être actualisées et contextualisées).
AVANTAGES ET PROMESSES Accroître la motivation des étudiants
Nous parlons ici de la motivation pour apprendre et non de la motivation en général par rapport à d’autres types de tâches. Aussi, de même que l’enseignant ne peut commander directement l’apprentissage des élèves (il peut le favoriser au travers du dispositif mis en place), la motivation pour apprendre ne se décrète pas même si les outils technologiques sont motivants ailleurs, dans d’autres contextes. Et c’est probablement à cet endroit précis (la perception des contextes d’usage) que se nichent les facteurs critiques de la motivation pour apprendre. Rolland Viau, un chercheur bien connu de la thématique de la motivation scolaire, nous mettait déjà en garde par rapport à cette pensée magique de la motivation automatique (envers les TIC, en l’occurrence198), en insistant sur l’ancrage de la motivation dans l’individu et dans le contexte, dans les perceptions de l’individu par rapport au contexte. Dès 1994, Viau proposait trois sources de la motivation 199 qui
198 R. Viau, « 12 questions sur l’état de la recherche scientifique sur l’impact des TIC sur la motivation à apprendre ». [En ligne] Disponible sur : http://tecfa.unige. ch/tecfa/teaching/LME/lombard/motivation/viau-motivationtic.html, consulté le
15 septembre 2015. 199 R. Viau, La Motivation en contexte scolaire, Bruxelles, De Boeck (2e édition), 2009.
peuvent être amplifiées par les technologies sans que ces dernières n’en soient la cause principale200 : – la perception de la valeur de l’activité d’apprentissage est « un jugement qu’un élève porte sur l’utilité de celle-ci en vue d’atteindre les buts qu’il poursuit ». Cette définition met en exergue l’importance des buts (d’apprentissage et de performance) ; – la perception de sa compétence à accomplir une activité ( perceived self-efficacy ) est « une perception de soi par laquelle une personne, avant d’entreprendre une activité qui comporte un degré élevé d’incertitude quant à sa réussite, évalue ses capacités à l’accomplir de manière adéquate ». Pour qu’une activité soit sujette à un processus d’autoévaluation, elle doit nécessairement comporter un degré élevé d’incertitude. En effet, une personne n’évaluera sa capacité à réussir des activités que si elle ignore son niveau de compétence à les réussir. Il est également important ici que l’étudiant soit convaincu qu’il est capable d’apprendre ; – la perception de la contrôlabilité se définit comme « la perception qu’un élève a du degré de contrôle qu’il possède sur le déroulement et les conséquences d’une activité qu’on lui propose de faire ». Selon nous, donc, les classes inversées atteindront leurs objectifs en fonction de : – la pertinence des tâches proposées en présence et à distance : regarder la vidéo avant le cours ; réaliser une synthèse ; trouver l’erreur ; préparer un jeu de rôle sur la thématique ; épingler les trois idées clés et, pour l’une, proposer un argument contraire ; comparer la vidéo proposée à une autre, etc. ; – les compétences (contenus, capacités, contextes) à exercer et leur bon dosage : ni trop facile (ce serait infantilisant), ni trop difficile (ce serait inatteignable). Il faut réfléchir en termes de défis à
200 Il est intéressant de constater que les deux premières sources sont proches de l’utilité et de la « facilité » perçues, deux éléments déterminants du TAM (Technology Acceptance Model), un modèle qui décrit pourquoi l’innovation est acceptée par les individus. Apprendre, ce serait innover en soi ?
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
réaliser, de buts explicites à atteindre, de productions témoins des activités d’apprentissage effectivement réalisées ; – les responsabilités des élèves, qui seront clairement définies, voire « contractualisées » : définir des espaces de liberté (propices au développement de l’autonomie) dûment balisés en termes de scénario, d’agenda, de critères de réalisation ou d’évaluation, de contraintes, etc. Il reviendra dès lors à l’enseignant d’expliciter comment le cours fonctionnera et pourquoi il l’a conçu ainsi.
Voici les raisons pour lesquelles la semaine prochaine sera vécue de la même façon : la motivation des élèves est palpable, leurs efforts sont plus constants, leur engagement à la tâche est à un haut niveau, mes collègues sont curieux et me questionnent, j’ai maintenant douze ordinateurs fonctionnels en salle de classe (prêtés par des collègues qui ne se servent pas des leurs), le comité de parents m’appuie et est à la recherche de nombreux casques d’écoute. Je cherche continuellement des solutions à mes défis afin de rendre meilleur ce nouveau climat d’apprentissage, et mes habiletés et mes connaissances s’accroissent chaque jour. Annick Arsenault Carter Enseignante de septième année à l’école Le Mascaret, Moncton, Nouveau-Brunswick (Canada201)
Encore faut-il que l’enseignant explique clairement le fonctionnement et les raisons de sa démarche, voire argumente face à des étudiants pas toujours convaincus des bienfaits de l’inversion. Cela les déroute, affirme Luc Chevalier, qui estime qu’il faut consacrer au moins une heure et demie ou deux heures à présenter l’objectif du cours. Si l’on ne prend pas ce temps-là, le risque est que les étudiants rejettent le principe même de la classe inversée, qu’ils ne fassent pas le travail préparatoire, et que l’on engage un bras de fer. Luc Chevalier Directeur de l’Ésipe (École supérieure d’ingénieurs de l’université Paris-Est-Marne-la- vallée202)
Plus de collaboration entre les élèves
Le travail en groupe ne s’improvise pas, qu’il soit en ligne (nous pensons à la partie à distance, à la maison ou au centre d’apprentissage établi dans l’école) ou en présence (en classe, en présence de l’enseignant). Nous accorderons plus d’attention à ce dernier point étant donné que les classes inversées, dans leurs principes, visent à accorder davantage de place à l’apprentissage (plutôt qu’à la seule transmission) dans les activités en classe. Mais quelles sont les conditions à réunir pour qu’un groupe soit productif (dans le sens de favoriser les apprentissages de chacun) ? Une première réponse se trouve dans la notion « de conflit sociocognitif ». Les rencontres interindividuelles sont en effet cognitivement structurantes et conduisent au progrès, à condition qu’elles permettent une opposition sociale de réponses ou de points de vue à propos d’une tâche commune. Trois arguments peuvent expliquer ce progrès : – la coopération est une source de décentration qui permet à chaque sujet de prendre conscience de l’existence de « réponses » possibles autres que la sienne ;
201 Le blog d’Annick Arsenault Carter traduit son enthousiasme au-delà des difficultés rencontrées : https://annickcarter1.wordpress.com .
202 L’extrait proposé ici provient d’un ensemble d’interviews concernant les classes inversées publié dans EducPros.fr « La classe inversée, un véritable bouleversement pédagogique ? » : [en ligne] disponible sur http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/la-classeinversee-une-veritable-revolution-pedagogique.html
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
– chacun fournit des informations supplémentaires par rapport aux autres et, ensemble, les partenaires peuvent élaborer une nouvelle réponse ; – la coopération engage chaque sujet dans un rapport social spécifique avec autrui. Le problème est d’abord de nature sociale, et les instruments sociocognitifs ne sont développés que dans la mesure où ils permettent aux participants de rétablir un équilibre de nature sociale. Le conflit est donc double, social et cognitif : – social, parce qu’il comporte un désaccord entre différents individus ; – cognitif, parce que le désaccord porte sur la façon de résoudre une tâche cognitive. Une deuxième réponse se niche dans la notion d’interdépendance 203 et une troisième touche encore davantage à la tâche soumise à l’entreprise collaborative pour apprendre. S. G. Paris et J. C. Turner en 1994 ont énoncé quatre caractéristiques d’une tâche motivante qu’ils résument sous le sigle des 4C : choice (choix), challenge (défi), control (contrôle), collaboration (collaboration204) : – la liberté de choix fait appel à la motivation intrinsèque des étudiants et conduit à un libre engagement et, par là, à une implication plus profonde. La nature et le moment des choix peuvent être variés : choix d’une tâche particulière dans un ensemble de tâches, choix des démarches à entreprendre, des ressources à consulter. En fonction des objectifs poursuivis, c’est à l’enseignant que revient le choix de définir « l’espace de manœuvre » ; – le défi se situe dans le niveau de difficulté de la tâche. Une activité motivante est d’un niveau de complexité moyenne, car une tâche trop facile conduit au désintérêt et une tâche trop difficile à l’abandon. Le défi pour l’enseignant consiste à placer correctement le niveau de difficulté de cette activité ; – l’étudiant doit pouvoir évaluer le chemin à accomplir, les compétences à exercer ou à développer, bref, la tâche doit lui paraître « sous contrôle ». Le
203 Comme nous l’avons vu supra dans le chapitre « Un modèle pragmatique pour soutenir et structurer la démarche », (concernant le facteur « Interaction »), p. 49. 204 S. G. Paris, J. C. Turner, “Situated motivation”, in P. R. Pintrich, D. R. Brown, C. E. Wienstein (éds.), Student Motivation, Cognition and Learning, New Jersey, Lawrence Erlbaum, 1994.
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contrôle est important pour qu’une relation positive soit établie entre l’autonomie de l’étudiant et sa motivation à persévérer dans la tâche. L’enseignant doit donc bien définir les consignes, les objectifs à atteindre, le cadre de l’activité, ainsi que son degré d’exigence ; – s’il est important que la tâche ne puisse être résolue seul afin d’encourager le travail de collaboration et le développement des habiletés sociales et relationnelles, la coopération, ou collaboration, augmente aussi la motivation des étudiants, car le support social permet de prendre des risques et d’assumer une plus grande responsabilité pour son propre apprentissage. Ces éléments favorables au travail collaboratif sont très proches d’éléments proposés par Rolland Viau 205 qui montre qu’une activité, pour être motivante, doit être le plus possible à l’image des activités de travail de la vie courante. Il poursuit en citant d’autres caractéristiques d’une activité d’apprentissage motivante ; une telle activité doit : – responsabiliser l’élève en lui permettant de faire des choix ; – être pertinente sur les plans personnel, social et professionnel ; – être de haut niveau sur le plan cognitif ; – être interdisciplinaire ; – être productive ; – représenter un défi pour l’élève ; – permettre aux élèves d’interagir ; – se dérouler dans une période de temps suffisante ; – comporter des consignes claires. Ces divers critères de qualité des tâches collaboratives ont de nombreux recouvrements avec ceux de la pédagogie active en général. Rappelons encore une fois que, dans les méthodes pédagogiques, les formes « pures » existent rarement et que, par ailleurs, la richesse pour l’apprentissage se trouve dans la diversité des dispositifs proposés, dans une même leçon, dans un même cours, dans un même programme. Les deux « moteurs » d’apprentissage, les interactions et les motivations de notre « modèle pragmatique d’apprentissage » ne vont pas de soi qu’ils soient portés par les technologies ou par les classes inversées. Ils demandent une réflexion approfondie sur les éléments du dispositif mis en place par l’enseignant.
205 R. Viau, La Motivation en contexte scolaire, Bruxelles,
De Boeck (2e édition), 2009.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
FAVORISER LA RÉUSSITE DES ÉTUDIANTS L’objectif pour les apprenants est de construire le cours. Celui-ci est divisé en six chapitres, et des groupes d’élèves construisent ensemble un élément des concepts à appréhender dans l’année. Bien sûr, le professeur est présent entre les groupes pour aiguiller, donner quelques directives. Mais c’est en collaboration et coconstruction que les élèves travaillent. Cette formule s’inscrit dans un cadre, et quelques règles. C’est ainsi que cela peut fonctionner. Ce n’est pas la jungle, mais un cadre défini où la liberté de jeu des élèves est ensuite totale. Jean-Charles Cailliez Enseignant de biologie cellulaire et moléculaire, directeur du Laboratoire d’innovation pédago l’université catholique de Lille206 gique de
Le temps de classe est prioritairement consacré aux apprentissages, l’élève se trouve en situation d’activité (il n’écoute plus ou ne recopie plus un cours) : il est responsable et davantage impliqué, car il travaille en groupe pour rédiger une trace écrite, une synthèse, il fait des choix, il me sollicite. Le laboratoire est configuré en îlots, je ne m’adresse plus au groupe classe, mais aux élèves ou groupes d’élèves. Je passe tout mon temps avec eux, assis à côté d’eux pour expliquer, réexpliquer… Je me rends disponible, je suis à l’écoute des élèves, de leurs besoins personnels. Le suivi est plus efficace. […] Les collégiens ne sont pas tous « opérationnels » immédiatement et prêts pour évoluer dans ce nouveau dispositif (travailler en groupe, coopérer, collaborer, prendre des initiatives, se déplacer, être acteur de ses apprentissages). Il y a donc un travail nécessaire de « formation initiale » des élèves. Pascal Bihoué Professeur de sciences physiques en collège et animateur TICE, Côtes d’Armor207
206 Un billet du Zeboute’ Blog : « La classe inversée ou les nouveaux usages pédagogiques », 10 mars 2015. [En ligne] Disponible sur : http://zeboute-infocom. com/2015/03/10/la-classe-inversee-ou-les-nouveaux-usages pedagogiques/ , consulté le 15 septembre 2015.
207 Une interview réalisée dans le cadre du site Le Café pédagogique : www.cafepedagogique.net/lemensuel/ lenseignant/sciences/physiquechimie/Pages/2013/144_1.aspx
Comme précédemment, nous travaillerons par analogie avec les analyses réalisées en matière de technologies à l’école, considérant que les classes inversées, tout comme les TIC, sont deux innovations prétendant au renouveau de l’éducation. C’est une question très difficile à traiter, car, en changeant la stratégie (la méthode) pédagogique et en tenant compte du principe de l’alignement constructif, on change aussi (ou on devrait changer) les objectifs, l’évaluation, etc. En systémique, la comparaison s’avère difficile. Pour faciliter néanmoins cette comparaison (par exemple entre méthode traditionnelle et innovante), les chercheurs maintiennent fixe l’une des variables ; l’évaluation sera donc la même dans le groupe témoin (celui où on n’applique pas l’innovation) et dans le groupe expérimental (celui où on applique l’innovation) : on change un paramètre à la fois « toute autre variable étant maintenue constante par ailleurs ». Difficile à concilier avec nos principes de cohérence mais bon, continuons. Ainsi, de très nombreuses recherches sur les TIC, à différents niveaux et dans différentes disciplines, ont tenté de comparer un dispositif témoin (où l’enseignant n’utilise pas les TIC) et un dispositif expérimental (dans lequel telle ou telle technologie était exploitée). Les élèves des deux groupes recevaient, au terme du processus, la même épreuve d’évaluation, les résultats tendant vers le « no significant differences » (NSD, pas de différences significatives). Un examen rapide de ces résultats pourrait faire croire à l’inefficacité des méthodes innovantes, avec ou sans TIC d’ailleurs. Il n’en est rien. Si on examine attentivement le processus de recherche ainsi mis en place, on se rend compte que, pour des besoins de standardisation, les tests d’évaluation portaient essentiellement sur des savoirs et quelques savoir-faire de bas niveau (au sens de Bloom). Les résultats du NSD signifient que les méthodes innovantes ne conduisent pas à une perte sèche au niveau des savoirs et savoir-faire, contrairement à ce qu’on entend parfois.
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
Si nous relisons les « pourquoi » et les « pour quoi » des classes inversées, nous constatons des changements profonds au niveau : – des objectifs (compétences de plus haut niveau liées à l’analyse, la synthèse, la créativité ; compétences transversales) ; – de l’évaluation (qui au-delà du caractère certificatif des tests, en devient davantage formative, au service de l’apprentissage) ; – des usages qui seront faits du numérique. Ce sont ces valeurs ajoutées qu’il faut tenter de mesurer et pas seulement mesurer si l’innovation est capable de reproduire ce qu’on faisait déjà ! Le problème est que, si l’élaboration de tests de savoirs et savoir-faire est relativement simple à effectuer (en tout cas, les enseignants en ont l’expérience), il devient beaucoup plus compliqué de mesurer la créativité, l’esprit critique, la compétence à travailler en équipe, à communiquer ou encore à développer des talents de curateur informationnel, voire à utiliser les réseaux sociaux de manière efficace… C’est sans doute sur ce point qu’il nous faudra travailler le plus.
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L’évaluation choisie consiste à proposer à l’élève un livret d’évaluation qu’il complète quand il se sent prêt à être évalué. Ce livret est connu à l’avance. En résumé, l’élève évalue ce qu’il veut, quand il veut. L’objectif est de faire en sorte qu’il soit le plus possible en situation de réussite, de le responsabiliser dans ses apprentissages. Les élèves se sont progressivement approprié ce dispositif et le troisième trimestre a mis en évidence des progrès assez nets pour plusieurs d’entre eux. David Bouchillon Professeur d’histoire et de géographie, collège Aliénor-d’Aquitaine, Salles208
Je soutiens que les élèves participant aux classes inversées ont une meilleure capacité de mémorisation. L’étudiant n’aura peut-être pas acquis plus de connaissances que dans le cadre d’une pédagogie classique, mais elles seront davantage ancrées en lui, dans la durée, car il les aura construites lui-même. Il n’aura pas tout oublié deux semaines après les examens.
Mine de rien, c’est une petite révolution dans cette classe pas facile (la moitié des élèves se trouvent en difficulté). Au départ, j’avais envie d’aider mes élèves qui peinaient le plus à avancer, avant de réaliser que la méthode pouvait aider tout le monde. Car la classe inversée présente deux atouts pédagogiques énormes : d’abord, elle permet aux écoliers les moins rapides de réécouter la leçon autant de fois qu’ils le souhaitent, sans avoir à me faire répéter. Mais surtout, cela me dégage du temps pour accompagner chacun à son rythme. Auparavant, les plus rapides s’ennuyaient en classe pendant que je répétais les choses pour les autres (ils me disaient : « C’est [barbant] d’attendre ! »). Désormais, ils sont placés en petits groupes et se mettent illico aux exercices, avec une marge de manœuvre pour progresser qu’ils n’avaient pas. Ceux qui ont plus de difficultés peuvent prendre le temps de bien tout saisir avec moi.
Jean-Charles Cailliez Enseignant de biologie cellulaire et moléculaire, directeur du Laboratoire d’innovation pédagogique de l’université catholique de Lille
Annick Arsenault Carter Enseignante de septième année à l’école Le Mascaret, Moncton, Nouveau-Brunswick (Canada)
C’est ainsi que nous pensons que les classes inversées bien réfléchies pédagogiquement peuvent (toujours ce potentiel à activer) contribuer à la réussite des élèves. Encore faut-il définir ce que nous entendons par réussite et nous donner les moyens de la mesurer !
208 On trouvera une description très concrète de la classe inversée mise en place progressivement par cet enseignant sur le site d’EducaVox « La classe inversée, bilan d’une expérience », 16 juillet 2013. [En ligne] Disponible sur : http://educavox.fr/innovation/pedagogie/ la-classe-inversee-bilan-d-une-experience, consulté le 15 septembre 2015.
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
OBSTACLES ET NÉCESSITÉS Comme par rapport à toute innovation, des difficultés de mise en place des classes inversées sont aussi rapportées par les enseignants volontaires qui les expérimentent. Par rapport aux espoirs portés par les « évangélistes », les résultats des pratiques sont bien souvent en deçà des attentes, ou alors ils sont pour le moins mitigés. Reconnaissons-le d’emblée : mettre en place une telle inversion par rapport à certaines formes traditionnelles d’enseignement n’est pas facile. Cela demande de l’imagination et de savoir rebondir sur les difficultés, voire l’échec. Cela demande aussi le courage d’investiguer l’inconnu, de se mettre en posture de recherche. Comme nous l’avons dit, nous considérons que ces difficultés sont comme des obstacles à vaincre, comme des défis à surmonter au risque de rester cantonnés dans les limites des ornières de l’innovation 209 : en abordant les classes inversées, mettons-nous, nous aussi, en posture d’apprentissage (on apprend en faisant, on apprend de ses erreurs…). Et si les élèves n’ont pas pris connaissance des ressources avant la classe ?
Il importe de distinguer deux causes probables et majeures : la teneur (ou la forme) des ressources, les tâches (et le dispositif) associées à ces dernières. En ce qui concerne les vidéos, la forme adoptée est importante pour favoriser l’apprentissage. Des recherches conduites dans le cadre des MOOC ont montré qu’il importait de distinguer 210 : – le cours dispensé par le professeur donnant ses explications au tableau, comme s’il était en classe, filmé par un élève ; – le cours donné par le professeur filmé de face (au bureau, au pupitre) ; – l’enregistrement d’animations explicatives et commentées effectué sur une tablette (les vidéos de la Khan Academy ont popularisé ce système) ; – la présentation (style PowerPoint) commentée.
209 Les ornières de l’innovation sont étroitement liées à la fossilisation des pratiques (refaire à peu près la même chose qu’avant avec les « nouveaux » outils ou « nouvelles » méthodes) que nous rencontrons bien souvent dans les utilisations concrètes des TIC. 210 P. J. Guo, J. Kim, R. Rubin, « How Video Production Affects Student Engagement: An Empirical Study of MOOC Videos », dans Proceedings of the First ACM Conference on Learning@ scale conference, ACM, mars 2014, p. 41-50. Voir aussi : http://blog.edx.org/how-mooc-video production-affects/
Les résultats, recueillis auprès de 128 000 étudiants suivant les cours proposés par edX, un consortium international de MOOC, sont les suivants : – les vidéos les plus courtes sont davantage appréciées : l’engagement des étudiants diminue après six minutes. Dans le même ordre d’idée, il est préférable d’offrir de courtes séquences organisées qu’un enregistrement d’un cours complet même si ce dernier est de haute qualité ; – la présence du visage de l’enseignant, superposé ou, mieux, en alternance, au long de la présentation est davantage appréciée qu’une présentation seule ; – un cadre informel ou contextualisé d’enregistrement est davantage apprécié qu’un enregistrement en studio. Des extraits d’émission télévisée, des interviews, des reportages peuvent aussi faire l’affaire ; – les enregistrements sur tablettes recueillent davantage l’assentiment des participants qu’un PowerPoint seul. Ils traduisent mieux la dynamique du contenu en évitant la linéarisation excessive d’une présentation formelle ou désincarnée ; – les vidéos dans lesquelles l’enseignant exprime son enthousiasme sont davantage appréciées. En termes d’apprentissage, Mayer a établi certaines conditions pour que les canaux auditifs et visuels (tous deux activés par l’audiovisuel ou le multimédia) fonctionnent correctement ensemble211. Il y est question de cohérence entre les images présentées et les commentaires sonores, de simultanéité entre les explications et le déroulé de l’animation, de qualité conversationnelle de l’oral plutôt que le caractère formel du discours, de bonne séparation entre les éléments essentiels et d’autres plus anecdotiques. Ceci étant dit, nous pensons que la meilleure vidéo possible (qui, somme toute, reste du registre transmissif) ne produira les effets escomptés que si elle est accompagnée de consignes, de tâches, de critères dûment explicités, voire négociés avec les étudiants. Donnons quelques exemples : – les élèves sont amenés à regarder, à consulter ou à analyser une vidéo ou un texte et à en dégager, seul ou en groupe, quelques arguments en faveur ou en défaveur des propos émis, pour le prochain cours ;
211 R. E. Mayer, Multimedia Learning, New York, Cambridge University Press, 2009 (2 e édition). Voir aussi : www. formavox.com/principes-pedagogiques-environnementsapprentissage-multimedia
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
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– les élèves sont amenés à trouver, seul ou en groupe, des illustrations, des exemples, des applications à présenter à leurs collègues ; – les courts textes proposés ou les vidéos énoncent des avis contraires sur une thématique ou sur une problématique. Les élèves sont amenés à construire un débat sur ces controverses ; – des rôles sont assignés aux élèves ou à des groupes afin qu’ils proposent en classe une synthèse des propos, des avis favorables ou défavorables, des exemples ou qu’ils jouent « l’avocat du diable » ; – les élèves proposent leurs solutions aux problèmes énoncés dans la vidéo ou dans le texte ; – les élèves sont invités à répondre à de courts questionnaires en ligne ou à écrire sur un forum de manière à pouvoir observer ce qui est compris, ce qui ne l’est pas, ou à récolter avant le cours les productions des élèves.
Les vidéos répondent immédiatement à deux besoins : sauver du temps de répétition pendant un cours (à vrai dire, ce temps avait habituellement lieu à l’extérieur des heures de cours, aux temps de récréations et dîners), et inclure davantage le parent aux apprentissages de leurs enfants. Trop souvent j’entendais : « Cela se passe bien en classe, mais j’oublie quoi faire une fois à la maison », ou bien « J’aimerais bien aider mon enfant, mais je ne comprends pas la matière et/ ou mon enfant me dit que j’apporte tout simplement de la confusion. » Ces commentaires diminuent, sinon disparaissent […]. Mais comment repérer ceux qui, depuis leur chambre à coucher, ont tranquillement séché ses cours ? Je leur pose toujours une question ou leur demande de faire un petit travail à la fin de la vidéo. Ceux qui n’ont pas travaillé sont vite démasqués.
À condition de tenir compte de ces conditions, on peut conduire les élèves à exercer des compétences de compréhension, d’application, mais aussi d’autres – probablement plus fécondes – d’analyse, de synthèse, d’évaluation critique, d’autonomie, de créativité…
Annick Arsenault Carter Enseignante de septième année à l’école Le Mascaret, Moncton, Nouveau-Brunswick (Canada)
Chaque semaine, les élèves regardent, chez eux, quatre « capsules » (deux en français, deux en mathématiques). Ces vidéos leur permettent de faire des pauses, de revenir en arrière s’ils n’ont pas compris. Ils peuvent prendre des notes, sous forme de carte mentale, et me demander des éclaircissements le lendemain matin. À l’inverse, s’ils ont compris, cela leur permet de passer rapidement à des choses plus complexes. Après avoir visualisé le cours, l’élève répond à un questionnaire. Il me permet de savoir qui a regardé la capsule, quelles erreurs ont été commises, qui a compris et qui n’a pas compris. Cela me permet ensuite de ne pas servir le même plat à tout le monde212. Soledad Messiaen Professeur des écoles, à Burie (Charente-Maritime)
Si les élèves ne disposent pas du matériel nécessaire pour réaliser les tâches préalables
Question importante, surtout en sachant que les classes inversées permettent la différenciation des apprentissages et de mieux cibler et accompagner les élèves en difficulté. Une question d’équité préalable, en quelque sorte. Tout d’abord, il nous faut constater que les progrès du numérique sont énormes, et font qu’ils sont de plus en plus accessibles. En 2014, en Belgique, le « baromètre des TIC » dénombrait 84 % des ménages possédant au moins un ordinateur et 83 % disposant d’une connexion internet. En 2015, l’agence We Are Social a réalisé des statistiques sur les usages d’Internet dans 30 pays du monde : en France, sur une population de 66 millions d’individus, 55 millions seraient des utilisateurs actifs d’Internet et ces internautes passeraient en moyenne 3 h 53 par jour sur le réseau213. Même si ces performances sont édifiantes et en progrès constant, il faut malgré tout considérer les personnes qui ne sont pas connectées : l’école doit rester un ascenseur social. En outre, un DVD ou une
212 Cette citation provient du site vousnousils.fr : « La classe inversée n’est possible “que si l’enseignement est une passion” », 30 avril 2015. [En ligne] Disponible sur : www. vousnousils.fr/2015/04/30/la-classe-inversee-nest-possibleque-si-lenseignement-est-une-passion-567987
213 Voir le site très documenté : http://wearesocial.com/fr/ etudes/digital-social-mobile-les-chiffres-2015
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CLASSES INVERSÉES, ENSEIGNER ET APPRENDRE À L’ENDROIT �
clé USB peut pallier l’absence d’Internet dans certains foyers. Ensuite, même si nous sortons du modèle original des classes inversées, les activités à distance ne doivent pas nécessairement être comprises comme des activités, voire des devoirs préalables, « à la maison ». Nous préférons dire que ces activités se passent sans la supervision ou le contrôle direct de l’enseignant. Ainsi, elles peuvent tout aussi bien être réalisées dans des lieux à l’école, mais hors la classe habituelle. Il s’agit là d’une évolution concrète des laboratoires informatiques, des bibliothèques qui deviennent de véritables laboratoires d’apprentissage. Dans l’enseignement supérieur, de tels espaces, les learning labs, se développent pour permettre l’expérimentation de nouvelles formes d’enseignement, d’apprentissage, de coapprentissage. La définition que nous avons suggérée pour ces nouveaux espaces d’apprentissage est la suivante : ces dispositifs et espaces collaboratifs pour apprendre portent en commun le souhait de mener des expérimentations sur de nouvelles formes d’apprentissage dont nous avons déjà développé les caractéristiques 214. Ces espaces, qui se mettent en place très rapidement dans le supérieur, sont encore précurseurs de nouvelles formes d’éducation et trouveront leur place dans le système d’enseignement obligatoire, dans la structure pédagogique et architecturale de l’école, car c’est toute « l’école », son organisation et sa structure même qui est concernée, comme en témoignent les enseignants de l’école du village de Clair au NouveauBrunswick (Canada). Mon objectif était de rendre mes élèves (4 e et 3e) davantage autonomes, en les faisant construire eux-mêmes leurs connaissances et leur savoirfaire. Je donne le travail longtemps à l’avance, de façon à ce qu’ils puissent venir dans ma salle, où des ordinateurs sont disponibles en permanence. Mais le vrai problème, ce sont les inégalités qui existent entre les élèves qui ont un bureau, une chambre et des parents attentifs, et ceux en difficulté sociale, qui ne peuvent visionner correctement mes capsules, ou qui ont
214 Voir supra « Les classes inversées, pour mieux apprendre en présence », p. 65. Cette définition a été élaborée avec la collaboration de collègues de l’École centrale de Lyon et de EM-Lyon : http://www.learninglabnetwork.com/
des difficultés de compréhension. Je me demande si je ne vais pas finir par tout faire en classe, en tout cas pour les élèves pour qui les cours « à la maison » ne sont pas adaptés 215. Olivier Quinet Professeur d’histoire-géographie, au collège Jean-Rostand, à Montpon-Ménéstérol (Dordogne)
Des enseignants de l’école du village de Clair (Nouveau-Brunswick, Canada) témoignent de leurs enthousiasmes, de leurs difficultés résolues et surtout de « l’esprit d’école » qui les anime. Ce n’est pas un rassemblement « d’extraterrestres » aveuglés par les technologies et dépourvus de sens critique. C’est un rassemblement de passionnés qui permet de croire que tout est possible. Les gens qui témoignent là-bas ne sont pas que des théoriciens, ce sont des gens qui ont vu, qui ont vécu, et qui ont réussi, des gens qui prouvent que, quand on veut, on peut. Des gens qui se sont débrouillés, qui se sont engagés. L’engagement ainsi que le développement professionnel étaient d’ailleurs des fils conducteurs de plusieurs des activités de l’édition 2015. Le C@HM (Centre d’apprentissage du HautMadawaska), où se déroule l’événement, se situe en milieu défavorisé, minoritairement francophone qui plus est. Pourtant, c’est l’une des écoles les plus « technos » qui soit. Les locaux débordent d’équipements – pas seulement informatiques – à faire rêver. Le directeur, Roberto Gauvin, explique candidement qu’en arriver là ne s’est pas fait du jour au lendemain, et qu’il n’a pas attendu de subvention du gouvernement. La culture entrepreneuriale de l’établissement, à laquelle adhère tout le personnel, et la force de la communauté locale sont des facteurs de succès. Pour en arriver là, on a fait d’innombrables demandes à différents programmes et
215 Cet extrait provient du site vousnousils.fr : « La classe inversée permet une pédagogie vraiment active », 4 juin 2015. [En ligne] Disponible sur : www.vousnousils. fr/2015/06/04/la-classe-inversee-permet-une-pedagogievraiment-active-570285
FREINS ET MOTEURS POUR LES CLASSES INVERSÉES
organismes. On y croyait. Dans les corridors, on confirmait : « Et on ne dit pas non à M. Gauvin ! » L’équipe école a choisi de faire confiance aux élèves qui peuvent apporter leurs appareils à l’école, le réseau est ouvert, et pourtant, on n’y voit personne en train de perdre son temps. Au C@HM, tout semble fait pour que les jeunes aient le goût de la réussite et qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes : studio de musique, radio, atelier de fabrication de bijoux, appareils mobiles, studio de tournage, salle de théâtre… Le local dans lequel se trouvent les livres, ce qu’on appelle la « bibliothèque » dans une école normale, s’appelle le centre de recherche d’innovation et de création (CRIC). On y trouve, à côté des livres et des ordinateurs, des équipements de robotique, un coin TEDx, un établi bien garni, une imprimante 3D. Une enseignante nous confie : « Moi, je ne sais pas comment tout ça fonctionne. Ce sont mes élèves qui s’en servent ! » On apprend au fil de notre visite que le directeur et son personnel d’entretien ont construit de leurs mains plusieurs supports, bureaux, étagères ; bref, qu’ils ont mis la main à la pâte dans l’intérêt des élèves. À côté,un enseignant d’une autre région se désole : « Chez nous, les profs commencent à 8 heures et finisssent à 16 heures. Pas moyen de les impliquer dans rien. » Tout porte à croire qu’une participation à Clair feur ferait du bien ! École du village de Clair (Nouveau-Brunswick, Canada216)
216 Nous avons eu l’opportunité et la chance de visiter cette école primaire du Haut-Madawaska au NouveauBrusnwick au Canada. Nous reprenons quelques extraits d’une page du site École branchée à propos du colloque qui s’y est tenu en janvier 2015 : http://www. ecolebranchee.com/2015/02/06/souvenirs-de-clair-2015 .
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Les classes inversées ne s’improvisent pas, elles se construisent petit à petit. Les changements de mentalité prennent du temps, bien plus longtemps que d’équiper une école en tablettes ou d’organiser une formation le mercredi après-midi pour les enseignants, plus longtemps qu’un mandat politique. Ce n’est pas une raison d’attendre, de patienter entre les promesses ainsi que les espoirs d’une pédagogie nouvelle pour une nouvelle humanité numérique et les obstacles ainsi que les peurs de l’innovation qui heurtent nos habitudes, notre train-train quotidien. Osons expérimenter ! Osons expérimenter, oui, mais pas n’importe comment. Dans cette partie, nous avons dressé un récapitulatif de quelques fondamentaux pédagogiques qui placent les classes inversées à la jonction de plusieurs courants fédérateurs ou dévastateurs. Quant à la question des moteurs et des obstacles tels que relayés par les témoignages d’enseignants, il est important de répéter que les moteurs (les discours d’évangélisme pédagogique dans le théâtre des exaltations) sont à considérer avec circonspection et que les obstacles sont surtout des défis à relever.
CONCLUSION
Selon le dictionnaire, conclure, c’est « finir un texte, un discours, le terminer, y apporter une fin ». Et même si ces pages sont bien les dernières de ce livre, nous espérons qu’il sera pour vous un départ, un nouveau départ dans cette expérimentation pédagogique sans fin que sont les classes inversées : un cheminement jamais tout à fait achevé, un « Tao pour l’éducation » comme nous le disions dans l’introduction. En effet, nous avons proposé de vous faire découvrir, de la colline de l’académie, le paysage de l’inversion avec des horizons nettement dégagés et plus ouverts que le slogan initial « Les leçons à la maison et les devoirs à l’école ». Ensuite, nous avons balisé le panorama au travers des larges avenues que sont le principe de cohérence, clé de voûte du dispositif pédagogique, et le principe de variété, qui trouve ses fondations dans les diff érentes facettes de ce qu’est apprendre. Puis nous sommes descendus du promontoire pour visiter quelques lieux incontournables, nous faisant entrer dans le vif du sujet. Nous y avons trouvé les ressources et les outils des classes inversées, mais aussi les interactions qui animent les travaux des différents acteurs, tous à la fois apprenants et enseignants, apprentis et compagnons. Nous y avons perçu d’autres considérations quant aux savoirs, aux compétences, aux rôles assumés par chacun dans la gestion de la communauté dans leur vie quotidienne, sociale et professionnelle. Après cette plongée dans les contextes, nous avons consolidé nos découvertes à la lumière des recherches récentes sur ces processus d’inversion tout en gardant en tête leurs applications dans nos propres environnements, de l’école primaire à l’enseignement supérieur. Évidemment, cette adaptation ne se fait pas sans difficulté : les enthousiasmes ont été tempérés par les contraintes de nos particularités et les obstacles sont devenus des défis à relever, à l’instar des témoignages que nous avons recueillis. Le présent ouvrage a finalement suivi les différentes phases que nous avons proposées dans le cycle de l’inversion : poser les savoirs de base à connaître (les fameuses capsules des classes inversées) avant de se lancer dans les contextes desquels nous avons recueilli les particularités (le retour en classe). Ensuite, il fallait réconcilier ces différentes perceptions en les cadrant avec les apports de l’expérimentation et de la recherche en matière de classes inversées tout en les nuançant avec les contraintes des environnement s dans lesquels elles sont amenées à se développer. Nous en arrivons au terme de ce livre. Le lecteur intéressé pourra, dans un autre cheminement, encore en revoir certains aspects en se tournant vers quelques vidéos qui illustrent nos propos217. Mais que conclure ? Concilier le principe de cohérence entre les finalités, les méthodes, les outils et les évaluations du dispositif avec le principe de variété favorable aux apprentissages, voici sans doute le défi majeur des classes inversées. Bonne route et faites-nous connaître vos aventures dans ce paysage de l’inversion. 217 Voir les références proposées dans la sitographie .
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FILMOGRAPHIE
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« De quelles hybridations parlonsnous pour l’éducation de demain ? », conférence en la Chapelle des Augustins, Atelier Canopé de Poitiers, 18 mars 2015. https://vimeo.com/123302301
« Les classes inversées : enseigner à l’envers, apprendre à l’endroit ou l’inverse », conférence organisée par le SU2IP (Service universitaire d’ingénierie et d’innovation pédagogique) à l’université de Lorraine, 3 avril 2015. Les différentes modalités des classes inversées y sont présentées. http://videos.univ-lorraine.fr/index. php?act=view&id=2176
« Causerie à Clair 2015 avec Annick Arsenault Carter et Christophe Batier autour des classes inversées à l’école primaire », tournée lors du colloque de Clair 2015, janvier 2015. https://youtu.be/jEDXIpuEiao
« Les confessions d’un prof converti » (“Confessions of a Converted Lecturer”), enregistrement d’une conférence d’Eric Mazur (Harvard) sur les méthodes inversées qu’il met en place dans ses enseignements, 2009. https://youtu.be/WwslBPj8GgI
« La classe inversée expliquée aux parents », une présentation de 2012 d’Annick Arsenault Carter, institutrice à l’école primaire au Nouveau Brunswick (Canada). https://youtu.be/vmtDdxAeNaQ
« Causerie avec Rolland Viau autour de la motivation des étudiants », enregistrée en décembre 2013 à l’université catholique de Lyon, une initiative du service iCap de Lyon 1 et du Réseau des conseillers pédagogiques de l’enseignement supérieur de la région Rhône-Alpes (PENSERA). https://youtu.be/CFv7PbRVPUA
LESAUTEURS
marcellebrun
julielecoq
Marcel Lebrun, docteur en sciences, est actuellement professeur en technologies de l’éducation à l’université catholique de Louvain (UCL) en Belgique. Conseiller pédagogique, il accompagne les enseignants dans la mise en place de dispositifs technopédagogiques à valeurs ajoutées pour l’apprentissage. Consultant, pédagogue et conférencier de renom, il anime de nombreuses activités de formation en Belgique, en Suisse, au Québec, en France… et ceci de l’école primaire à la formation continue. Chercheur, il investigue les conditions d’impact et les effets des technologies de l’information et de la communication sur l’apprentissage et la formation.
Julie Lecoq est docteur en sciences psychologiques et de l’éducation. Conseillère pédagogique à l’université catholique de Louvain, elle accompagne les enseignants – individuellement ou en communauté de pratiques – dans le développement de dispositifs pédagogiques innovants.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles scientifiques sur les rapports entre technologies et pédagogies. Depuis 2014, il assure la présidence de l’Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU). Enseignant et formateur, il expérimente des formes hybrides dans ses enseignements. Il est à l’initiative, avec son collègue Christophe Batier (université Lyon 1) du MOOC connectiviste eLearn2 « Se former en ligne pour former en ligne ».