Encyclopédie Médico-Chirurgicale 22-033-A-10
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Cellulites et fistules d’origine dentaire JM Peron JF Mangez
Résumé. – Les complications infectieuses aiguës dues à la mortification de la pulpe dentaire ou aux infections périodontales sont très fréquentes et à l’origine d’abcès localisés au niveau des tissus mous de la face et du cou : on les appelle les « cellulites » parce qu’ils se développent au niveau des espaces celluleux remplissant les loges entourant la mandibule et le maxillaire. Ces loges communiquent entre elles, notamment par l’intermédiaire de l’espace para-amygdalien, puis avec les grands espaces anatomiques de décollement qui s’étendent depuis la base du crâne jusqu’au médiastin ; c’est souligner le risque grave, voire vital, que représente la diffusion de ces abcès. La situation de la dent causale rend compte de la topographie de l’abcès qui se développe au niveau vestibulaire et/ou sous-cutané, ou au niveau palatin. Les collections postérieures s’accompagnent de trismus et de dysphagie ; leur évolution fait courir le risque d’obstruction des voies aériennes. Chez les patients aux défenses immunitaires amoindries peuvent survenir des accidents infectieux rares : les fasciites nécrosantes, véritables gangrènes, qui mettent en jeu rapidement le pronostic vital. Il existe des formes subaiguës et chroniques qui succèdent bien souvent à un traitement incomplet, qui laisse persister notamment la porte d’entrée de l’infection. Cette évolution au long cours doit également faire poser la question d’une infection à germes spécifiques. Une séquelle particulière est représentée par la fistule muqueuse facilement identifiée, ou la fistule cutanée dont le diagnostic est parfois tardif parce que la relation de cause à effet avec l’existence d’un foyer infectieux dentaire est méconnue. Le traitement des cellulites dentaires doit obéir à un principe médical intangible, celui de traiter une infection en même temps que sa porte d’entrée. © 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots-clés : cellulites dentaires, abcès dentaires, fistules dentaires.
Introduction L’ « abcès dentaire », motif de consultation quasi journalier en pratique de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, ne présente pas le plus souvent de caractère de gravité. Un traitement adapté de la collection et de sa porte d’entrée est le garant d’une évolution favorable. En revanche, dans un petit nombre de cas, l’attention doit être immédiatement attirée par des signes « inhabituels », qu’il faut bien savoir reconnaître parce qu’ils traduisent une forme de gravité particulière qui peut engager le pronostic vital ; dès lors, le traitement doit être reconsidéré comme un acte chirurgical majeur à effectuer en collaboration avec l’équipe de réanimation. Les cellulites chroniques résultent de l’absence ou de l’inadaptation d’un traitement qui ne répond pas aux principes de base du traitement d’une infection ; si, exceptionnellement maintenant, elles font le lit d’une infection spécifique, il n’est pas rare de voir, tardivement, des fistules cutanées dont l’origine dentaire aura été longtemps méconnue, parce que le foyer infectieux est quiescent, ou la cellulite inaugurale oubliée depuis longtemps. Nous ne donnons qu’une vue synthétique d’un certain nombre d’aspects fondamentaux en rapport avec cette question (anatomie,
bactériologie, etc) : ces prérequis indispensables sont largement traités dans d’autres parties de cet ouvrage ; nous conseillons au lecteur de s’y reporter.
Porte d’entrée infectieuse MORTIFICATION DE LA PULPE DENTAIRE
La mortification de la pulpe dentaire est le dénominateur commun de la majorité des étiologies dentaires : – la carie dentaire en est, bien sûr, la cause primordiale : l’infection diffuse dans l’espace desmodontal et, soit évolue d’un seul tenant sur un mode aigu, soit se « refroidit » pour aboutir au granulome et au kyste périapical, qui peuvent se « réchauffer » à tout moment et ramener au cas précédent ; – les traumatismes dentaires aboutissent au même résultat, parfois après une simple contusion, à bas bruit : si bien que les patients ne se souviennent plus forcément du traumatisme initial. Habituellement, la surveillance d’une dent proche ou incluse dans un foyer de fracture, d’une dent fracturée ou luxée, permet d’anticiper les problèmes. INFECTION PARODONTALE
C’est la deuxième cause d’accidents infectieux aigus : Jean-Marc Peron : Professeur, service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie. Jean-François Mangez : Praticien hospitalier, département d’anesthésie-réanimation. Hôpital Charles-Nicolle, 1, rue de Lecat, 76031 Rouen cedex, France.
– la parodontolyse détruit directement l’espace desmodontal et, à terme, mortifie la pulpe dentaire « a retro » ;
Toute référence à cet article doit porter la mention : Peron JM et Mangez JF. Cellulites et fistules d’origine dentaire. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Stomatologie/Odontologie, 22-033-A-10, 2002, 14 p.
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EMC [257]
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Tableau I. – Flore buccale endogène.
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A
Bactéries à Gram + Cocci aérobies-anaérabies facultatifs : Streptocoques alpha-hémolytiques Streptocoques bêtahémolytiques Streptocoques non hémolytiques Staphylocoques
++++ + +++ +++ +++
Cocci anaérobies
C
B 4
6
5
Bacilles aérobies-anaérobies facultatifs : +++
Actinomyces Lactobacilles Diphtéroïdes
4
+++ ++++
Bactéries à Gram -
2
Cocci aérobies-anaérobies facultatifs
+++
Cocci anaérobies
++++
Bacilles aérobies-anaérobies facultatifs
+
D E
Bacilles anaérobies : Bacteroides
+++
Prevotella, Porphyromonas sp.
+++
Fusobacterium sp.
+++
Spirochètes
+++
Levures
+++
Virus
?
++++ : habituellement présents et majoritaires ; +++ : habituellement présents et minoritaires ; + : parfois présents et minoritaires et transitoires.
– les péricoronarites d’éruption et de désinclusion, en particulier de la troisième molaire, inférieure le plus souvent, peuvent être la porte d’entrée de complications infectieuses souvent très bruyantes. GESTES THÉRAPEUTIQUES
Ils sont moins fréquemment en cause. La relation de cause à effet est évidente après dentisterie restauratrice, notamment au décours ou à distance de gestes proches de la pulpe, d’obturations canalaires, après chirurgie parodontale, et après avulsions de dents infectées. Bien entendu, tout acte de chirurgie maxillofaciale traumatologique ou orthopédique, la pratique implantologique, exposent à un risque infectieux et, dans ce cas, à la survenue de séquelles particulièrement graves dont la possibilité aura été expliquée au patient. Plus rarement, certains actes d’orthopédie dento-maxillo-faciale peuvent être classiquement la cause de mortification pulpaire. Pour mémoire, enfin, nous citons la piqûre septique, notamment la tronculaire ensemençant l’espace infratemporal, pour rappeler la nécessité d’une désinfection soigneuse de la muqueuse avant tout acte invasif, de même que l’obéissance aux règles d’hygiène et d’asepsie largement diffusées à présent.
Germes en cause
(tableau I)
Ils proviennent de la flore buccale endogène [8]. La diversité de cette flore rend compte du grand nombre d’agents pathogènes responsables : ils peuvent s’associer, par exemple beaucoup d’infections à bacilles à Gram négatif font intervenir également des cocci à Gram positif et à Gram négatif. L’association spirochètesFusobacteriae est bien connue et redoutable. Ils peuvent se sélectionner, par exemple les Gram négatif qui sont souvent copathogènes dans une infection déclarée, peuvent devenir les germes principaux après que les autres, volontiers des bactéries aérobies ou facultatives, ont disparu.
Hôte Pourquoi un même germe issu de la flore buccale commensale peut-il entraîner une infection quiescente ou, à l’inverse, dévastatrice ? 2
F
G 3
1
Coupe frontale de la face passant par la première molaire, d’après Testut et Jacob. 1. Muscles de la face ; 2. muscle buccinateur ; 3. muscle mylohyoïdien ; 4. muqueuse gingivale ; 5. muqueuse jugale ; 6. muqueuse palatine ; A. cellulite périmaxillaire externe à évolution génienne haute ; B. cellulite périmaxillaire externe à évolution buccale entre buccinateur et muqueuse ; C. il n’y a pas de phlegmon palatin mais des abcès sous-périostés ; D. cellulite périmaxillaire externe à évolution buccale entre buccinateur et muqueuse ; E. cellulite périmaxillaire externe à évolution génienne basse ; F. cellulite périmaxillaire interne à évolution sus-mylohyoïdienne ; G. cellulite périmaxillaire interne à évolution sous-mylohyoïdienne, c’est-à-dire sous-maxillaire. AFFAIBLISSEMENT DES DÉFENSES DE L’HÔTE
[6]
Il joue un rôle essentiel en le désarmant contre les infections banales qui, dès lors, s’exacerbent. Il peut être lié à des facteurs physiologiques : l’âge, la grossesse (dernier trimestre), la nutrition (carence protéique et vitaminique) ; des facteurs environnementaux : traumatismes physiques et/ou psychiques ; des facteurs immunitaires : congénitaux, acquis (le syndrome de l’immunodéficience acquise, les traitements immunosuppresseurs, le diabète et sa microangiopathie, l’obésité, l’insuffisance hépatocellulaire d’origine virale ou alcoolique, notamment). PRESCRIPTION MÉDICAMENTEUSE
Une prescription médicamenteuse inappropriée peut éventuellement être incriminée comme cela a été rapporté concernant les antiinflammatoires et la gravité d’évolution de certaines cellulites ; toutefois, les données bibliographiques actuellement disponibles ne permettent pas d’établir de façon certaine une relation de cause à effet, bien qu’un certain nombre d’observations rapportées confirmeraient ce fait. Une antibiothérapie inadaptée, facteur de sélection de germes, ou se substituant à un acte chirurgical au lieu de l’encadrer, fait courir le risque de ne plus permettre de maîtriser simplement les phénomènes infectieux [1].
Propagation de l’infection À PARTIR DU FOYER INFECTIEUX INITIAL
Elle se fait directement hors de la gencive, par voie sous-périostée, à partir d’une péricoronarite. À partir de l’espace desmodontal, l’infection traverse l’os, décolle le périoste, puis bientôt le rompt et colonise les parties molles périosseuses qui sont constituées par un tissu celluloadipeux remplissant les espaces délimités par les zones d’insertions musculoaponévrotiques au niveau des tables osseuses internes ou externes (fig 1).
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Apex molaires et ligne oblique interne.
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Arche dentaire maxillaire.
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Arche dentaire mandibulaire.
2
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10 5
15
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Parallèlement, une propagation par voie veineuse et lymphatique est bien entendu possible, facteur de diffusion précoce de l’infection, dépassant rapidement les barrières anatomiques locales et envoyant des métastases septiques à distance qui, avec le choc toxique, caractérisent l’état septicémique. ZONE D’IMPLANTATION DE LA DENT CAUSALE
Habituellement, l’infection se localise au voisinage de la zone d’implantation de la dent causale ; elle peut cependant diffuser à partir de ce site. Selon son appartenance maxillaire ou mandibulaire, sa situation antérieure ou postérieure, sa proximité par rapport aux tables osseuses et la situation de son apex par rapport aux insertions musculoaponévrotiques, l’infection se développe dans l’une des unités formant le puzzle des régions anatomiques maxillofaciales. Les apex correspondent au cul-de-sac muqueux vestibulaire au niveau des deux arcades dentaires, sauf au niveau mandibulaire où les apex molaires sont en position inférieure. Par rapport aux tables osseuses, les apex dentaires sont proches de la table externe du maxillaire, sauf les racines palatines des prémolaires et molaires (fig 2). Au niveau mandibulaire, la première molaire est en position axiale : en avant d’elle, toutes les dents sont plus proches de la table externe ; en arrière, elles jouxtent la table interne et on peut remarquer également que les apex des deux dernières molaires sont situés au-dessous de la ligne d’insertion du muscle mylohyoïdien (fig 3, 4). Ainsi, les infections issues des dernières molaires peuvent-elles ensemencer directement la région cervicale et/ou l’espace paraamygdalien, encore appelé espace sous-parotidien antérieur ou ptérygopharyngien (fig 5) [4], qui constitue un véritable carrefour
19 18
12 13
5
Espaces parapharyngés, d’après Couly. 1. Espace sous-parotidien postérieur ou rétrostylien ; 2. rideau stylien ; 3. espace rétropharyngien ; 4. ligament sphénomaxillaire ; 5. aponévrose interptérygoïdienne ; 6. épine du sphénoïde ; 7. trou ovale, projection ; 8. pénétration de la carotide externe ; 9. flèche signalant le passage dans la loge parotidienne, la boutonnière de Juvara et l’espace ptérygomaxillaire ; 10. ligament ptérygomaxillaire ; 11. bandelette maxillaire ; 12. flèche signalant le passage dans la gouttière parotidienne puis l’espace rétrostylien ; 13. flèche signalant le passage dans la loge sous-maxillaire puis l’espace para-amygdalien ; 14. muscle mylohyoïdien ; 15. ligament stylohyoïdien ; 16. apophyse styloïde ; 17. cavité rhinopharyngée ; 18. cavité hypopharyngée ; 19. paroi oropharyngée latérale ; 20. trompe d’Eustache.
stratégique pour la dissémination de l’infection vers les autres espaces cervicaux et vers le médiastin, via la gouttière vasculaire et l’espace décollable de Renke. En dehors des structures osseuses et du côté vestibulaire buccal, la propagation des infections contourne les limites du muscle buccinateur et des muscles peauciers. À ce propos, rappelons l’existence d’une particularité anatomique de la région : la gouttière buccinatomaxillaire qui vient s’ouvrir en avant dans la région génienne au niveau du quadrilatère de moindre résistance de Chompret (bord antérieur = bord postérieur du triangulaire des lèvres, bord supérieur = bord inférieur du buccinateur, bord postérieur = bord antérieur du masséter, bord inférieur = bord inférieur mandibulaire) ; à ce niveau, la muqueuse buccale tapisse directement les téguments de la région génienne (fig 6). 3
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Diffusion thème.
de
l’éry-
b
c
a g
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f
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Diffusion de la tuméfaction cervicale.
6 Muscle buccinateur et région génienne, d’après Ginestet. a. Base de l’os malaire ; b. fosse ptérygomaxillaire ; c. fosse canine (muscles zygomatiques) ; d. vestibule buccal ; e. abcès de Chompret et L’Hirondel ; f. fusée vestibulaire du précédent ; g. espace interptérygoïdien. Enfin, du côté palatin, l’infection se collecte en sous-périosté et ne diffuse pas.
Tableaux cliniques CELLULITES AIGUËS
¶ Tableau standard de cellulite circonscrite Cellulite séreuse La cellulite séreuse est le stade initial, purement inflammatoire ; les signes de la desmodontite aiguë prédominent : douleurs violentes spontanées, exacerbées par le contact de la dent antagoniste (dent « trop longue ») et le décubitus ; puis, peu à peu, apparaît une tuméfaction assez mal limitée, comblant les sillons ou dépressions de la face, effaçant les méplats. La peau en regard est tendue, lisse, rosée ; elle est collée à l’os sous-jacent, douloureuse avec augmentation de la chaleur locale ; elle est élastique et ne prend pas le godet. L’examen endobuccal retrouve une muqueuse soulevée et rouge au voisinage d’une dent qui ne répond pas aux tests de vitalité ; elle est légèrement mobile et la moindre tentative de percussion axiale serait très douloureusement ressentie. À ce stade, les signes généraux sont en rapport avec l’intensité de la douleur qui est calmée incomplètement par les antalgiques. Une radiographie panoramique est nécessaire pour préciser l’état de l’os autour de la dent responsable et réaliser un bilan de débrouillage du reste de la denture. Cellulite suppurée En l’absence de traitement approprié, la cellulite suppurée s’installe dans les jours qui suivent et les caractères généraux d’un abcès sont maintenant présents. Le patient qui dort peu depuis plusieurs jours et qui s’alimente difficilement d’autant plus qu’existe un trismus, est pâle, fatigué, fébrile. Sa douleur est devenue lancinante avec céphalées et sensation de battements au niveau de sa tuméfaction faciale. À ce niveau, la peau est rouge, chaude et luisante ; la palpation prudente permet de constater que cette tuméfaction s’est limitée, elle fait « corps avec l’os » ; les téguments prennent maintenant le godet et, au bout d’un certain temps d’évolution, une fluctuation peut être retrouvée. 4
Dans la cavité buccale, l’examen difficile retrouve un soulèvement muqueux oblong, rouge et très douloureux qui comble le cul-de-sac vestibulaire au voisinage de la dent causale ; cette constatation peut parfois également être faite au niveau palatin ou au niveau de la table interne de la mandibule. À ce stade, en dehors de signes généraux graves témoignant d’une toxi-infection, il est crucial de dépister l’installation d’éventuels signes locaux de gravité, dont la constatation doit permettre d’anticiper une évolution pouvant mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel : – un érythème qui, à partir de la tuméfaction, tend à s’étendre vers la partie basse du cou ou déjà vers les creux sus-claviculaires et la fourchette sternale (fig 7) ; – une tuméfaction sus-hyoïdienne latérale qui tend à progresser vers la région cervicale médiane, ou l’inverse (fig 8) ; – une crépitation neigeuse au palper de la tuméfaction ; – une tuméfaction du plancher buccal, qui n’est plus la collection limitée au niveau de la table interne de la mandibule et parfois déjà associée à un œdème lingual débutant (fig 9) ; – une douleur oropharyngée très vive, qui gêne la déglutition salivaire, s’accompagnant d’un trismus serré ; – une tuméfaction jugale qui ferme l’œil du patient (fig 10). Évolution L’évolution spontanée de cet abcès est encore malheureusement observée ; le plus souvent, la collection se fistulise à la peau et/ou à la muqueuse : cette « soupape de sécurité », si elle permet un soulagement transitoire, laisse les problèmes en place ; et pour peu qu’un traitement antibiotique « efficace » soit institué, le passage à la chronicité est assuré.
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* A
Œdème du plancher buccal.
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* B Œdème orbitaire.
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Cellulites de la région labiomentonnière. A. Cellulite labiale inférieure par infection apicale de l’incisive centrale. B. Cellulite du menton par infection apicale de l’incisive centrale. 1. Muscle carré du menton ; 2. muscles de la houppe du menton.
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Cette évolution peut également se faire vers des complications propres à l’unité anatomique dans laquelle l’infection s’est développée, ou vers la diffusion de l’infection vers les régions voisines, pouvant à son tour gagner les espaces cervicaux, voire le médiastin. Au total, le diagnostic de cellulite aiguë n’est pas en général très difficile à poser : l’anamnèse, l’examen clinique exo- et endobuccal, un bilan radiographique simple sont suffisamment explicites, même en cas de localisation particulière, comme nous allons le voir.
Cellulite mentonnière.
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Cellulite vestibulogénienne basse par infection 2 périapicale de la première molaire inférieure. 1. Muqueuse vestibulaire ; 2. muscle buccinateur.
1
¶ Tableaux particuliers en fonction de la localisation de l’infection Cellulites périmandibulaires
• Groupe incisivocanin La collection (fig 11) se développe du côté de la table externe où elle contourne les insertions des muscles carré et houppe du menton : au-dessus, elle est superficielle, vestibulaire, donnant un aspect de grosse lèvre ; au-dessous, elle est profonde et se développe dans l’éminence mentonnière, voire la région sous-mentale (fig 12). L’étiologie de la mortification incisive due à un traumatisme oublié est classique et, en pratique, ce tableau peu fréquent n’appelle pas de discussion diagnostique.
• Groupe prémolomolaire Différentes localisations peuvent se rencontrer, voire s’associer. Le plus souvent, la collection se situe en dehors de la mandibule. – Cellulite génienne (fig 13, 14) : la symptomatologie est dominée par la limitation d’ouverture buccale d’autant plus intense que la
dent est postérieure avec association d’une otalgie réflexe. Le soulèvement muqueux vestibulaire est centré en regard de la dent causale (fig 15) ; au bout d’un certain temps d’évolution, parfois d’emblée, une tuméfaction génienne, au-dessus du bord inférieur de la mandibule, se développe de façon concomitante. L’anatomie de la région explique pourquoi l’« abcès migrateur » ou buccinatomaxillaire de Chompret et L’Hirondel se collecte dans cette région après que le pus, issu de l’alvéole de la dent de sagesse, a cheminé le long de la gouttière buccinatomaxillaire. En fait, les 5
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Cellulite génienne.
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Cellulite massétérine.
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Cellulite sous-mylohyoïdienne. a. Muscle mylohyoïdien ; b. loge sublinguale ; c. loge sous-maxillaire ; d. fusée sous-cutanée.
b a c
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d
Tuméfaction vestibulaire.
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Cellulite sus-mylohyoïdienne, du plancher buccal. a. Muscle mylohyoïdien ; b. glande sublinguale ; c. glande sous-maxillaire.
infections provenant des molaires empruntent le même chemin ; ce qui peut rendre difficile l’identification de la dent causale. Quoi qu’il en soit, le diagnostic de cette cellulite ne pose pas de difficulté ; le kyste sébacé abcédé peut être évoqué pour discuter. – Cellulite massétérine : elle est peu fréquente et, classiquement, l’« accident de la dent de sagesse » en constitue le type de description ; cependant, l’anatomie nous apprend que cette dent est linguale : il faut donc admettre qu’il s’agit plus volontiers d’un accident sur dent de sagesse en malposition avec racines vestibulaires. Les autres molaires sont exceptionnellement en cause. Le tableau est dominé par un trismus très serré et des douleurs intenses qui rendent compte de la difficulté de l’examen : la tuméfaction est plaquée sur la face externe de l’angle mandibulaire (fig 16), tandis qu’une tuméfaction vestibulaire est visible en dehors du bord antérieur de la branche montante. Le problème ici est de bien voir si la collection n’a pas tendance à s’étendre au niveau de la face interne, ou au niveau de la partie postérieure du plancher buccal, ce qui change radicalement le degré d’urgence. En effet, la cellulite collectée initialement sous le masséter peut diffuser par l’échancrure sigmoïde vers la région para-amygdalienne et les espaces infratemporaux. Le tableau de cette cellulite ne peut être confondu avec celui d’une parotidite, qui comble l’espace intermandibulo-mastoïdien en soulevant le lobule de l’oreille. L’anamnèse et l’examen endobuccal retrouvant un écoulement de pus par l’orifice du canal de Sténon, éliminent cette hypothèse diagnostique. Parfois, l’abcès se collecte en dedans de la mandibule, de part et d’autre du muscle mylohyoïdien. Le trismus, la douleur, rendent également l’examen difficile. 6
b
a c
– Cellulite sous-mylohyoïdienne (fig 8, 17) : la tuméfaction fait corps avec le bord basilaire de la branche horizontale et s’étend dans l’espace sus-hyoïdien latéral, pour évoluer vers les téguments cervicaux. Le plancher buccal est œdémateux simplement : la collection n’est pas à ce niveau. Ce n’est pas une sous-maxillite aiguë : la tuméfaction reste séparée du bord inférieur de la mandibule ; ce n’est pas un adénophlegmon cervical, dont le point de départ se situe au niveau de la région sous-digastrique. – Cellulite sus-mylohyoïdienne : c’est la « cellulite du plancher buccal », peu fréquente, dont le danger primordial est l’obstruction des voies aériennes. La dent de 6 ans en est souvent la cause (fig 18). La tuméfaction est collée à la table interne de la branche horizontale
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Évolution d’une cellulite du plancher.
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Phlegmon de la face interne de la branche montante.
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Cellulite droite.
temporale
du processus infectieux. Au niveau cervical, le phlegmon périamygdalien s’accompagne d’une adénopathie sous-digastrique très douloureuse, mais qui reste mobilisable ; tandis que le phlegmon de la face interne se collecte dans l’espace sous-parotidien antérieur, puis tend à gagner la région sous-maxillaire, qui n’en est que la continuité anatomique : à l’effacement du méplat sousmandibulaire, succède à plus ou moins brève échéance, une collection latérale comme il a été vu précédemment. Sachant également que l’espace sous-parotidien antérieur est le carrefour des loges anatomiques cervicofaciales, qu’il met en relation avec les espaces celluleux profonds conduisant au médiastin, l’examen tomodensitométrique est indispensable pour connaître les limites de la collection et adapter les voies d’abord pour drainer correctement la collection. Cette cellulite est heureusement d’observation exceptionnelle. – La cellulite temporale (fig 21) est également exceptionnelle de nos jours ; sa complication primordiale est la myosite rétractile du muscle temporal responsable d’une constriction permanente. Cette cellulite complique la précédente, ou une cellulite massétérine ; cliniquement, la déformation externe est discrète : il existe un effacement du méplat suprazygomatique par rapport au côté sain, tandis que les signes déjà évoqués sont retrouvés au niveau du vestibule buccal.
en regard de la dent causale, puis elle gagne le sillon pelvilingual : tuméfaction sous-muqueuse rouge qu’il sera facile de différencier d’une périwhartonite (antécédents, pus à l’orifice du canal de Wharton, radiographie occlusale). Enfin, le creux sous-mandibulaire se comble. Les signes fonctionnels s’exacerbent : douleur, trismus, dysphagie avec hypersalivation et gêne à l’élocution. Il faut considérer cette cellulite comme une urgence absolue dès ce stade ; en effet, plus ou moins rapidement l’œdème s’accroît et la langue se trouve refoulée, d’autant plus vite que la cellulite s’étend vers l’oropharynx et vers le plancher buccal antérieur. Le danger est dès lors patent, chez un patient en équilibre ventilatoire précaire, que des manœuvres difficiles d’intubation peuvent décompenser brutalement (fig 19). Cellulites postérieures (fig 20). – Au niveau de la face interne mandibulaire, elles partagent le même degré de gravité que la cellulite du plancher, dont elles peuvent être l’extension. Ici encore le trismus serré, la dysphagie intense, l’otalgie violente, rendent compte de l’agitation du malade qui s’oppose à toute tentative de mobilisation. L’examen permet difficilement d’identifier la molaire responsable, bien souvent la dent de sagesse ; il est possible de visualiser le bombement du pilier antérieur du voile avec l’amygdale déjetée en dedans. Le reste du voile est normal ; il n’existe pas d’œdème de la luette. Ces constatations importantes permettent d’écarter le diagnostic de phlegmon périamygdalien et de bien reconnaître l’origine dentaire
Cellulites périmaxillaires Par définition, elles ne se rencontrent qu’au niveau externe par rapport à l’os : là où existe du tissu cellulaire. Du côté palatin, la fibromuqueuse, peu extensible, adhère fermement au plan osseux, ce qui limite le décollement, donnant un aspect en « verre de montre ».
• Groupe incisivocanin De façon analogue aux incisives mandibulaires, la collection issue en général d’une incisive centrale contourne ici le muscle myrtiforme (fig 22) et intéresse, soit, au-dessus de lui, le seuil narinaire, soit, au-dessous, la lèvre supérieure en « museau de tapir » (fig 23). L’incisive latérale peut parfois donner ce tableau, ou une cellulite vestibulaire, ou, de façon plus spécifique, un abcès palatin. La canine est responsable d’une collection vestibulaire et nasogénienne, s’accompagnant d’un œdème diffusant rapidement à la paupière inférieure. Ces cellulites sont à différencier, bien sûr, d’infections cutanées staphylococciques (fig 24) dont elles partagent toutefois le danger de thrombophlébite de la veine angulaire de la face.
• Groupe prémolomolaire (fig 25, 26, 27) Les infections périapicales des racines palatines de la première prémolaire ou des deux premières molaires sont responsables 7
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* A
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Cellulite de la région nasolabiale. A. Cellulite labiale supérieure par infection périapicale de l’incisive centrale. 1. Muscle myrtiforme. B. Cellulite sous-narinaire par infection périapicale de l’incisive centrale.
* B 25 Cellulite vestibulaire 1 supérieure. 1. Sinus maxillaire ; 2. muscle buccinateur ; 3. muqueuse ; 4. fibromuqueuse palatine. 2 4
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3 Cellulite labiale supérieure.
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Staphylococcie labiale.
26
Cellulite jugale. 1. Sinus maxillaire ; 2. 1 muscle buccinateur ; 3. muqueuse vestibulaire ; 4. fibromuqueuse palatine.
4 2
3
27 d’abcès palatins (fig 28). Du côté externe, tout dépend de la longueur des racines par rapport à la limite d’insertion maxillaire du buccinateur : au-dessous se constitue un abcès purement vestibulaire ; au-dessus se forme un abcès jugal qui bombe dans le vestibule buccal supérieur et distend la joue en s’étendant vers la paupière inférieure, dont l’œdème ferme la fente palpébrale au bout d’un certain temps d’évolution. Le danger primordial est celui de phlegmon périorbitaire avec son risque de cécité (fig 10, 29). Chez l’enfant, il est important de souligner la rapidité avec laquelle peut évoluer ce type de cellulite : le traitement ne souffre aucun retard. Enfin, c’est plutôt à l’occasion d’un épisode carieux ou parodontal que la dent de sagesse supérieure se mortifie ; elle peut être responsable d’un exceptionnel abcès infratemporal : la symptomatologie fonctionnelle est bruyante (trismus, douleurs hémifaciales pulsatiles, fièvre), les signes physiques désignant cette région profonde apparaissent progressivement : œdème temporal 8
Abcès palatin.
sous-périosté
puis jugal, œdème bipalpébral puis installation d’une exophtalmie et d’une limitation de l’oculomotricité, dysesthésies sous-orbitaires
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Abcès palatin.
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sous-périosté
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Parulie.
Un tel tableau peut se rencontrer également chez l’adulte dans l’évolution de poches parodontales profondes, ou de dents rhizalysées.
¶ Cellulites aiguës diffuses « Par opposition au phlegmon circonscrit, on décrit sous le nom de phlegmon diffus, l’inflammation diffuse du tissu cellulaire, sans tendance aucune à la limitation, compliquée par la nécrose étendue des tissus enflammés... On le désignait sous le nom de phlegmon gangreneux, d’érysipèle phlegmoneux... » (Lecène) [5]. Ces infections rares, mortelles pour un tiers des patients, sont à présent désignées sous le nom de fasciites nécrosantes ; elles ne sont pas spécifiques de la région cervicofaciale, mais dans cette localisation, un point de départ dentaire est retrouvé dans deux tiers des cas [7]. Étiopathogénie [7] Ces fasciites surviennent plus volontiers chez des patients aux défenses amoindries ; parfois, cependant, aucune pathologie associée ne peut être retrouvée. Les germes incriminés sont bien entendu issus de la flore buccale, dont principalement le streptocoque pyogène (hémolytique groupe A) le plus souvent associé à des germes anaérobies tels Fusobacterium, Prevotella, Bacteroides. Comme le soulignaient les auteurs classiques, l’unité pathogénique est la nécrose extensive : elle intéresse d’abord l’aponévrose superficielle et le tissu hypodermique sus-jacent, où est retrouvée une thrombose vasculaire provoquée par l’infection, qui va provoquer à son tour une nécrose des plans superficiels. Plusieurs notions fondamentales pour la prise en charge peuvent être déduites de ce qui précède : – il s’agit d’une toxi-infection avec souvent production de gaz par les anaérobies, ce qui aggrave les décollements et la nécrose ;
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Voie de propagation orbitaire des cellulites dentaires.
et bombement des culs-de-sac vestibulaires supérieur et inférieur. Le scanner est indispensable pour localiser la collection. Le risque primordial est celui de thrombophlébite ptérygoïdienne avec son risque d’extension au sinus caverneux.
– l’extension est rapide et profonde : les signes cliniques sont en retard ; c’est insister sur l’importance d’un scanner demandé précocement pour faire le bilan de cette extension au niveau cervical et savoir si le médiastin est déjà menacé ; – le geste chirurgical de débridement, fondamental pour le pronostic, doit anticiper l’extension plutôt que la suivre : c’est un geste lourd de conséquence.
Abcès sous-périostés (fig 30)
Clinique
Ces collections se développent dans des zones où la muqueuse buccale adhère au périoste sans couche de tissu cellulaire intermédiaire : cette disposition existe au niveau palatin, comme il a été vu précédemment, et au niveau de la fibromuqueuse gingivale attachée ; les parulies sont de petits abcès, surtout rencontrés chez l’enfant, provoqués par l’infection apicale de dents temporaires, qui se fistulisent rapidement, puis se reforment en l’absence de traitement, ou se pérennisent sous forme d’une fistule gingivale chronique.
D’emblée, les signes généraux sont intenses, témoignant d’un syndrome septique grave pouvant conduire à un état de choc. Au niveau de la région de départ, il existe un œdème et surtout une rougeur qui diffuse au niveau des téguments cervicaux, au sein de laquelle il existe parfois des phlyctènes hémorragiques ; la palpation peut retrouver la crépitation neigeuse. Un peu plus tard s’installent quelques taches cyaniques témoignant de la nécrose superficielle. C’est sans attendre qu’il faut prendre en charge le patient en collaboration avec le réanimateur ; obtenir le scanner 9
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cervicothoracique en urgence qui permet de situer le niveau des décollements et des poches hydroaériques par rapport au médiastin et guide l’intervention. Cette situation dramatique a conduit à des descriptions de tableaux cliniques particuliers en fonction de la région anatomique de départ de l’infection ; nous les rappelons brièvement.
• Phlegmon du plancher buccal de Gensoul (« Ludwig’s angina » des Anglo-Saxons) L’infection à point de départ d’une molaire inférieure gagne les loges sus- et sous-mylohyoïdiennes pour s’étendre très rapidement vers la région sous-mentale et le tissu cellulaire centrolingual, puis vers le côté opposé ; tandis que l’extension en profondeur démarre à partir de l’espace para-amygdalien et à partir de la loge hyo-thyroépiglottique vers l’espace prétrachéal. Tous les signes cliniques décrits précédemment sont ici exacerbés, l’œdème pelvilingual est majeur ; la dyspnée s’aggrave rapidement.
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• Cellulite diffuse faciale (de Ruppe, Petit-Dutaillis, Leibovici
Collection subaiguë sous-cutanée.
et Lattès, Cauhépé) La molaire inférieure est toujours en cause ; la cellulite, d’abord jugale, diffuse rapidement vers la région massétérine et vers la fosse infratemporale. Son extension cervicale mais surtout endocrânienne conditionne le pronostic.
• Cellulite diffuse péripharyngienne (angine de Sénator) Elle succède à une infection amygdalienne ou de la dent de sagesse ; dyspnée, dysphonie et dysphagie sont présentes. Le pharynx apparaît rouge, tuméfié sur toute sa surface ; le cou est « proconsulaire ». L’extension médiastinale est particulièrement rapide. Ces fasciites diffuses ne sont pas à proprement parler des cellulites initialement circonscrites, qui se sont étendues aux loges voisines faciales, voire cervicales qui constituent l’entité appelée cellulites diffusées : il manque à ces dernières la composante de nécrose extensive. Cependant, l’expérience montre que l’on peut se trouver en présence de tableaux « intermédiaires », du fait d’une évolution spontanée plus longue, ou du fait d’un traitement inapproprié qui aura sélectionné des germes plus agressifs, anaérobies notamment, ou amoindri les défenses immunitaires. CELLULITES SUBAIGUËS
Le point de départ est une cellulite aiguë circonscrite standard qui, soit évolue spontanément, soit ne bénéficie pas d’un traitement complet. La persistance du foyer causal assure l’ensemencement infectieux, malgré le renouvellement des cures d’antibiotiques et pour cause : la collection purulente initiale s’est réduite, parfois considérablement, et tend à s’entourer d’une gangue inflammatoire qui évolue plus tard vers la sclérose, pérennisant l’affection et créant une barrière efficace au traitement médical. Actuellement, deux tableaux cliniques sont habituellement rencontrés.
¶ Tuméfaction qui traîne C’est au bout de plusieurs semaines après le début de l’affection que le patient consulte, par exemple, pour un trismus serré si une molaire (inférieure bien souvent) est en cause, une tuméfaction et des douleurs latérofaciales, associées à un fébricule ; le foyer infectieux persiste, ou a été traité. L’évolution après la thérapeutique mise en œuvre n’a pas été franchement favorable amenant à la prescription de nouveaux antibiotiques, d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, voire de corticoïdes dans le but de faire céder un trismus inquiétant. À l’examen, la tuméfaction faciale est dure, mal limitée, un peu sensible, la peau en regard est peu inflammatoire ; les doigts 10
n’impriment pas de godet et ne retrouvent pas de fluctuation. En endobuccal, un comblement vestibulaire indique la région causale, où, soit la dent est toujours là, soit le site d’avulsion n’est pas encore cicatrisé et inflammatoire [3]. Un examen radiographique est indispensable pour préciser l’état de l’alvéole et de l’os environnant : persiste-t-il un foyer infectieux (granulome, kyste, séquestre osseux si l’avulsion a été difficile) ? Une ostéite est-elle en train de se constituer ? Le terrain sur lequel se développe cette infection traînante doit être précisé. Il faut prévenir le patient qu’un geste de révision s’impose sur la collection et le foyer initial, puis lui expliquer qu’une rééducation très attentive doit être mise en œuvre pour récupérer son amplitude d’ouverture buccale, qui peut rester limitée toutefois si une myosite s’est installée. Au cours du geste de révision, il faut procéder à des prélèvements bactériologiques à la recherche d’une infection spécifique, ainsi qu’à des prélèvements pour examen anatomopathologique.
¶ Collection sous-cutanée (fig 31) Elle peut constituer une évolution de la forme précédente. La collection est située directement sous les téguments au niveau d’une zone de moindre résistance comme le quadrilatère de Chompret dans la région génienne, ou la région mentale, plus rarement dans la région sous-maxillaire ou nasogénienne. L’inspection révèle une tuméfaction nodulaire, assez bien limitée, rougeâtre, avec une couverture cutanée amincie sur son sommet. La palpation peut mettre en évidence à ce niveau une fluctuation. L’examen endobuccal est superposable à celui de la forme précédente.
¶ Évolution Elle se peut se faire vers le réchauffement : c’est le retour au tableau aigu avec ses conséquences et ses complications. Le passage à la chronicité donne un tableau assez voisin avec la perception par le patient d’un noyau dans sa joue, puis insidieusement se constitue une fistule au fur et à mesure que la peau se déprime et s’infiltre. Une autre éventualité, rare actuellement, est l’installation et l’évolution sur le mode subaigu d’un placard tégumentaire infiltré, rougeâtre, mal limité, à la surface mamelonnée ; un peu de pus ou de liquide séreux louche fait issue du centre de certains de ces placards. Hormis une infection d’origine cutanée, une infection spécifique (fig 32, 33) doit être évoquée et recherchée par les prélèvements bactériologiques adéquats après contact avec le laboratoire.
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* A 32
Actinomycose.
* B 34 33
Tuberculose jugale.
A. Fistule chronique. B. Granulome apical responsable.
Ce ne sont pas des affections très fréquentes. Elles sont diagnostiquées souvent à l’occasion d’une n-ième poussée infectieuse, pour laquelle un avis spécialisé est demandé ; en effet, la plupart du temps, le patient est négligent vis-à-vis de sa denture, comme de ce « bouton », qui est là depuis longtemps et qui ne l’inquiète pas parce que la pommade qui lui a été prescrite résout rapidement les épisodes infectieux, au cours desquels il constate un petit écoulement séropurulent. L’épisode aigu initial, qui a été calmé par un traitement antibiotique, est complètement oublié. Cependant, la fistule peut aussi être la conséquence d’un foyer qui s’est constitué à bas bruit.
ou tel groupe dentaire mandibulaire (mentonnières, sousmandibulaires, géniennes basses), ou maxillaire (géniennes hautes, nasogéniennes, très rarement sous-palpébrales). Cependant, des trajets fistuleux moins directs, voire erratiques, peuvent être observés. Le diagnostic repose encore une fois sur les données de l’interrogatoire, de l’examen clinique retrouvant un cordon joignant la fistule au foyer causal, confirmé par la radiographie (fig 34B). En pratique, il faut écarter l’infection spécifique déjà vue, une fistule du premier arc branchial dans la région sous-mandibulaire ; un aspect atypique, rétracté, atone, doit faire évoquer un épithélioma dans les régions génienne ou nasogénienne et conduire à une biopsie au moindre doute diagnostique.
¶ Au niveau muqueux
Traitement
L’aspect de la fistule a été évoqué lors de l’étude des parulies ; elle siège pratiquement toujours au centre d’une saillie bourgeonnante plus rouge que la muqueuse environnante.
Le traitement médicochirurgical de l’infection associé à celui de sa porte d’entrée est un principe intangible.
¶ Au niveau du revêtement cutané
TRAITEMENT DES CELLULITES AIGUËS CIRCONSCRITES
FISTULES D’ORIGINE DENTAIRE
L’aspect clinique (fig 34A) est celui d’une pustule centrée par un orifice fistuleux inflammatoire, d’où peut sourdre un peu de sérosité ; parfois, la lésion cutanée prend l’aspect d’un botryomycome qui masque l’orifice de la fistule ; parfois enfin, très ancienne, elle prend un aspect infundibuliforme au sein d’une zone cutanée rétractée qui adhère à l’os sous-jacent. La topographie de ces fistules est logiquement la même que celle des cellulites ; ce qui permet dans une certaine mesure d’évoquer tel
¶ Méthodes Vis-à-vis de la cellulite
• Ponction Elle peut être proposée pour confirmer une collection, pour effectuer un prélèvement bactériologique avant le drainage ; il s’agit d’un geste diagnostique qui est insuffisant comme moyen d’évacuation de la collection. 11
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Cellulites et fistules d’origine dentaire
• Drainage chirurgical Endobuccal, cervical ou les deux associés, il doit être effectué dans les conditions d’asepsie habituellement respectées pour toute intervention dans cette zone. L’anesthésie doit être adaptée à l’ampleur prévisible du geste. Drainage endobuccal. – En vestibulaire, au niveau maxillaire et au niveau de l’arc antérieur mandibulaire, le bistouri incise horizontalement au sommet de la tuméfaction directement vers la corticale externe sur 2 cm ; la spatule-rugine décolle le périoste le plus largement possible pendant que l’aide aspire la collection ; il faut être prudent dans la région d’émergence du nerf alvéolaire inférieur. L’incision est laissée béante ; il n’est pas indispensable de mettre en place une lame ou une mèche si le décollement a été suffisamment large : il s’agit d’un geste rapide, réalisable au fauteuil. Au niveau maxillaire, l’incision vestibulaire permet de contrôler toutes les collections. – En lingual, il convient de procéder de la même manière, sachant cependant que le décollement doit se faire avec précaution bien au contact de la table interne. Il est préférable de décaler l’incision muqueuse en vestibulaire ou lingual par rapport à l’alvéole de la dent causale si une extraction est pratiquée dans le même temps : le décollement sous-périosté est ainsi plus facile à réaliser, parce que la muqueuse offre plus de laxité que si le décollement est effectué à partir de l’alvéole au niveau de la muqueuse attachée ; par cette méthode également, l’orifice de drainage se referme moins vite. – Au niveau palatin, il est conseillé d’exciser un quartier d’orange de fibromuqueuse au sommet de la tuméfaction : le drainage est plus complet et la muqueuse, en se réappliquant sur la voûte, ne bouche pas l’orifice de drainage ; ce qui est habituel en cas d’incision simple. La cicatrisation muqueuse évolue en règle rapidement sans nécessiter de protection particulière de la voûte. – Au niveau postérieur, il faut bien repérer la saillie du bord antérieur de la branche montante et inciser verticalement vers le versant externe ou interne de ce repère, en fonction de la situation de la collection. Ensuite, la rugine décolle largement en souspériosté ; puis, il est conseillé de contourner le bord antérieur pour décoller le versant opposé de la branche montante, où une petite collection, qui était passé inaperçue au cours de l’examen clinique, peut parfois être retrouvée et évacuée. Là encore, un décollement large permet de se passer de tout matériel endobuccal. En pratique, dans cette situation, les conditions d’examen sont difficiles, l’exposition réduite par le trismus, la cellulite souvent collectée au niveau cervical : l’intervention est menée le plus souvent sous anesthésie générale permettant une exploration complète. Exceptionnellement, l’extension de ce type de cellulite dans la fosse temporale amène à réaliser un drainage externe par une incision horizontale suprazygomatique associée aux voies d’abord endobuccales précitées ; une lame de drainage est passée sous l’arcade zygomatique pour rejoindre le vestibule buccal postérieur. Drainage cervical. Il est mené par une incision horizontale parallèle au bord inférieur de la mandibule, au point déclive de la tuméfaction, comme pour un abcès standard. La longueur de l’incision n’a pas besoin d’être très importante, mais suffisante pour permettre au chirurgien d’y passer l’index. Les plans sous-cutanés sont discisés avec une pince à hémostase, ce qui donne accès à la collection qui est aspirée, après un éventuel prélèvement bactériologique. Au fauteuil, habituellement, il est difficile d’en faire beaucoup plus ; chez le patient endormi, l’opérateur peut explorer au doigt la cavité de l’abcès et en effondrer tous les cloisonnements, réalisant de ce fait un geste de drainage beaucoup plus efficace. L’ intervention se termine par la mise en place d’un dispositif pour lavages aux antiseptiques et aspirations journaliers : une lame ondulée, ou deux petits tubes de silicone souple, en « canon de fusil », font l’affaire. 12
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Comme il a été vu, les cellulites des espaces postérieurs se collectent dans l’espace para-amygdalien ; la région sous-mandibulaire est en règle le point déclive de cet abcès : il est aisé de contrôler ces espaces profonds à partir d’une incision de cette région. Plusieurs incisions cervicales étagées et/ou controlatérales peuvent être réalisées suivant la situation et l’extension de la collection. De même, une incision endobuccale concomitante est souvent nécessaire pour contrôler correctement une collection étendue. Enfin, il est indispensable de surveiller attentivement les suites opératoires pour voir à temps si le drainage effectué est satisfaisant ou doit être repris ou élargi. Anesthésie. Anesthésie locale : elle peut être administrée au fauteuil. Les produits les plus couramment utilisés sont : lidocaïne (Xylocaïnet), procaïne (Novocaïnet), mépivacaïne (Scandicaïnet), surtout, dans notre spécialité, en solution adrénalinée ou non, suivant l’effet recherché (augmentation du pouvoir anesthésique, vasoconstriction locale). L’efficacité de ces produits est médiocre en phase aiguë : ce sont des bases faibles qui sont inactivées pour partie par l’acidose locale au niveau du sepsis. En pratique, il n’est guère possible d’effectuer plus qu’une injection intramuqueuse « traçante » à l’endroit de l’incision : l’anesthésie est précaire et le geste prévu doit être rapide. Les blocs tronculaires aux anesthésiques locaux sont plus efficaces en théorie mais nécessitent de maîtriser parfaitement la technique dans des conditions d’exposition parfois difficiles. Une anesthésie de contact par le froid peut également être appliquée au niveau tégumentaire ; toutefois, l’application de froid est douloureuse, l’anesthésie est superficielle et de très courte durée : elle peut servir pour l’incision, pas beaucoup plus. Rappelons enfin que toute sédation complémentaire intraveineuse doit être proscrite au cabinet pour tout acte chirurgical, si les conditions de sécurité maximale et de compétence ne sont pas respectées. Anesthésie générale : les antécédents médicochirurgicaux sont colligés et notés sur l’observation du patient servant de relais en vue de la consultation d’anesthésie : – terrain atopique et/ou allergique ; – passé cardiovasculaire et notamment valvulopathie aortique ou mitrale, coagulopathie ; – diabète insulinodépendant, immunosuppression ; – état nutritionnel, etc. Une éventuelle intubation difficile est systématiquement recherchée : – le critère de Mallampati, qui reste le critère de base en vue d’une intubation difficile, n’est pas un bon moyen compte tenu d’un trismus associé possible aux cellulites dentaires ; – l’ouverture buccale peut être limitée ; il faut coter cette ouverture ; – la mobilité du rachis cervical ; – la localisation de la cellulite a son importance ; une cellulite du plancher buccal, du fait de sa diffusion dans les parties molles, peut entraîner des difficultés d’intubation et surtout poser des problèmes lors de l’extubation (risque d’œdème postopératoire). Les traitements associés pris par le patient sont notifiés et font l’objet d’un éventuel relais avant l’intervention : traitement antihypertenseur, traitement anticoagulant, insulinothérapie, fractions coagulantes intraveineuses (maladie de Willebrand par exemple). L’anesthésie générale permet, compte tenu de la douleur périopératoire, d’augmenter le confort du patient, en permettant au chirurgien d’effectuer un geste complet en un seul temps. Bien entendu, les règles de sécurité de base doivent être respectées (décret sécurité en anesthésie, jeûne du patient, consultation préopératoire, passage en salle de surveillance postinterventionnelle [SSPI].) La réanimation peropératoire est relativement simple :
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Cellulites et fistules d’origine dentaire
– voie veineuse, réhydratation périopératoire ;
– vancomycine :
– poursuite de l’apport de dérivés sanguins (fractions coagulantes) ;
• en cas d’allergie aux pénicillines ;
– poursuite de l’antibiothérapie en cours ;
• 1 g intraveineux toutes les 12 heures ;
– début d’une analgésie suffisante à commencer en peropératoire. Pour la période de réveil, il faut distinguer les drainages par voie externe associés ou non à des avulsions dentaires, le drainage endobuccal de la cellulite avec les risques d’inhalation pulmonaire septique, et les cellulites du plancher buccal qui posent des problèmes de réveil et d’extubation compte tenu de l’œdème périopératoire. Ces patients sont admis en unités de soins intensifs en cas de problèmes et peuvent n’être extubés qu’après la disparition de la composante œdémateuse. Analgésie postopératoire. Comme pour l’intervention chirurgicale, la douleur postopératoire doit être prise en compte, de façon systématique en sortie de bloc opératoire puis de façon plus rationnelle dans les suites en faisant appel aux échelles visuelles analogiques de la douleur. Les médicaments non morphiniques les plus utilisés sont, dans les formes intraveineuses : – propacétamol (Pro-Dafalgant) ; – chlorhydrate de tramadol (Topalgict) ; – néfopam (Acupant). Les dérivés morphiniques par voie générale : – morphiniques morphine et dérivés (codéine) ; – morphiniques agonistes-antagonistes (nalbuphine, buprénorphine). Les médicaments assurant le relais per os (pris dès que possible) ou prescrits au cabinet peuvent être : – dérivés codéinés (Efferalgan Codéinet) ; – dextropropoxyphène (Antalvict, Di-Antalvict). Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) (kétoprofène, diclofénac, acide niflumique) ne sont pas indiqués dans ce type de pathologie car ils augmentent le risque de saignement en postopératoire et diminuent les réponses de l’organisme à l’infection. Vis-à-vis de l’infection
• En ambulatoire, au cabinet La prescription d’une antibiothérapie est probabiliste et, compte tenu des germes habituellement en cause, peuvent être proposés : amoxicilline + acide clavulanique (1,5 g/j), spiramycine + métronidazole (6 cp/j), clindamycine (0,6 à 1,2 g/j), pristinamycine (1-2 g/j). La durée de prescription, initialement de 5 jours, est à revoir en fonction de l’évolution et des résultats d’un éventuel prélèvement bactériologique.
• Au cours d’une hospitalisation Pour drainage au bloc opératoire d’une cellulite déjà plus grave et en attendant les résultats de la bactériologie, le schéma suivant peut être proposé : – ampicilline : • 2 g intraveineux en 30 minutes préopératoire ; • 1 g intraveineux ou per os toutes les 8 heures ; • association possible aux imidazolés, 0,5 g toutes les 8 heures ; – amoxicilline : • 2 g intraveineux en 30 minutes préopératoire ; • 1 g intraveineux ou per os toutes les 8 heures ; • association possible à l’acide clavulanique ;
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• association possible aux imidazolés, 0,5 g toutes les 8 heures. Ce traitement doit être adapté dès les résultats bactériologiques connus. La voie d’administration et la durée du traitement varient suivant le type d’infection, son extension et son évolution sous traitement. Chez les patients immunodéprimés, il faut couvrir les bacilles à Gram négatif aérobies et anaérobies par une bêtalactamine à large spectre : uréidopénicilline +/- inhibiteurs de bêtalactamases. Toute infection dentaire chez un valvulaire nécessite évidemment des précautions appropriées. Le traitement antiseptique est dans tous les cas un adjuvant primordial, tant en bains de bouche (à débuter quelques heures après l’intervention), qu’en irrigation par le système de drainage mis en place et, au mieux, deux fois par jour jusqu’à son ablation. Vis-à-vis de la porte d’entrée infectieuse C’est, au minimum, la trépanation dentaire avec le drainage pulpaire et, au maximum, l’extraction dentaire avec le curetage chirurgical de l’alvéole et du tissu parodontal. Au cabinet, le traitement dentaire est assez souvent impossible à réaliser dans le même temps que le drainage : l’anesthésie locale n’est pas suffisante, contraignant à attendre un « refroidissement » sous traitement médical, avant de réaliser un geste complet. En fin de compte, la décision de conservation de la dent est fonction : – d’abord, des conditions générales : la gravité du tableau infectieux, une pathologie associée peuvent contre-indiquer formellement de laisser subsister plus longtemps un foyer infectieux patent ; – ensuite, des conditions locales : la dent peut ne pas être récupérable du fait de l’ampleur de la destruction carieuse, du fait de l’extension de l’alvéolyse périapicale, notamment étendue aux furcations radiculaires, ou du fait de la parodontolyse. La conservation peut être difficile au cas où une reprise de traitement canalaire est indispensable, notamment sur une pluriradiculée, et/ou quand la morphologie radiculaire laisse prévoir un échec possible ; – enfin, de l’attitude du patient vis-à-vis de l’entretien de sa denture et de sa décision éclairée par l’explication des critères généraux et locaux énoncés ci-dessus. Malheureusement, il est encore assez fréquent qu’au cours d’une intervention pour traitement d’une cellulite, on soit amené à éradiquer, avec l’accord du patient, d’autres foyers infectieux qui font peser la menace d’une évolution aiguë semblable dans un délai plus ou moins long.
¶ Indications Quel est le degré d’urgence ? Quels moyens utiliser ? La réponse à ces questions dépend de l’état du patient, du stade de la cellulite, de sa situation et de son extension, de l’ampleur du geste à prévoir et de ses conséquences. Première situation : il s’agit d’une urgence dont la prise en charge en milieu hospitalier ne se discute pas. – Le patient est en mauvais état général du fait d’une infection sévère et/ou parce qu’il est fatigué, dénutri ; – il existe des signes cliniques locaux de gravité ; la cellulite est également inquiétante de par sa localisation postérieure, son volume et son extension à plusieurs loges anatomiques. Deuxième situation : l’hospitalisation pour drainage sous anesthésie générale et surveillance est recommandée : – chez l’enfant, le vieillard, le patient atteint d’une pathologie préexistante qui demande le traitement réglé de l’infection en un temps ; 13
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Cellulites et fistules d’origine dentaire
– quand la cellulite traîne depuis des jours avec un traitement incomplet, ou malgré un traitement paraissant bien conduit, indiquant une révision du drainage ; – quand le drainage impose une incision sur deux sites ; – quand, en ambulatoire, le trismus laisse prévoir une difficulté dans le contrôle de l’anesthésie locale et du drainage ; quand ces mêmes conditions sont susceptibles d’aggraver la prise en charge d’une complication per- ou postopératoire. Troisième situation : les conditions précédentes étant éliminées, la situation est favorable à une prise en charge ambulatoire : – la cellulite est au stade séreux, le drainage dentaire est réalisable et amène la guérison ; – la cellulite peut être contrôlée par une seule voie d’abord ; – le patient accepte d’être suivi pour la surveillance du drainage et le traitement secondaire de la dent responsable. TRAITEMENT DES CELLULITES AIGUËS DIFFUSES
Ces urgences vitales imposent une prise en charge en réanimation, par une équipe médicochirurgicale coordonnée.
¶ Traitement médical C’est tout d’abord le traitement d’un choc septique par les moyens de réanimation habituels. Parallèlement, l’antibiothérapie doit limiter la progression de l’infection et combattre un état septicémique. Il est proposé, par la conférence de consensus sur les fasciites nécrosantes [ 9 ] , le schéma suivant concernant notre région anatomique : association pénicilline G et clindamycine ou éventuellement rifampicine, en attendant les résultats des cultures des prélèvements opératoires. Sachant que l’isolement des anaérobies est difficile, le traitement doit comporter systématiquement un antibiotique dirigé contre eux. L’oxygénothérapie hyperbare [10] est classiquement recommandée pour lutter contre l’infection anaérobie : la disponibilité d’un caisson hyperbare, la variabilité des protocoles ne permettent pas de confirmer scientifiquement l’impression favorable procurée par ce traitement adjuvant. En aucun cas, cependant, il ne doit retarder le geste chirurgical.
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¶ Traitement chirurgical La précocité et la qualité du geste chirurgical sont les éléments déterminants du pronostic. L’intervention consiste à traiter la porte d’entrée et à débrider toutes les zones où existent des décollements et exciser tous les tissus nécrosés jusqu’à l’obtention de tranches tissulaires qui saignent ; les sacrifices tégumentaires, musculaires, peuvent être importants : ils ne peuvent être évités sous peine de se laisser dépasser par le processus infectieux et de perdre le contrôle de la situation que ne rétablit pas l’antibiothérapie. Tant qu’il reste du tissu nécrosé, le pronostic est engagé : c’est dire que la prise en charge initiale doit être réalisée par un chirurgien aguerri, qui suit lui-même l’évolution du patient et sait s’il doit compléter son geste les jours suivants ; le réanimateur compte sur son expérience et sa disponibilité. La trachéotomie, elle, peut prêter à discussion : elle est accusée de favoriser l’ensemencement septique du médiastin antérieur en raison du décollement de l’espace prétrachéal ; cependant, elle permet une ventilation assistée dans de meilleures conditions et assure une liberté des voies aériennes stable mettant à l’abri le patient d’une éventuelle réintubation difficile [2]. La réalisation de ce geste de façon réglée, au bloc opératoire, doit permettre d’en minimiser le risque. TRAITEMENT DES CELLULITES SUBAIGUËS ET CHRONIQUES
Il repose sur le traitement ou la reprise de traitement du foyer causal dont il faut faire une révision chirurgicale, sous couvert d’une antibiothérapie qui est adaptée à la population bactérienne retrouvée. Dans le même temps, un débridement sous-périosté associé à un drainage externe si besoin, doit être réalisé, ou renouvelé. La rééducation de la mobilité mandibulaire est entreprise dès que possible. TRAITEMENT DES FISTULES
Le traitement du foyer responsable amène la plupart du temps et à lui seul la guérison de la fistule. Ce n’est qu’en cas de fistule cutanée ancienne avec adhérence importante qu’une intervention secondaire correctrice peut se discuter.
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